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Balanchine à l’Opéra: sous la triste bannière étoilée

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Nomination. Le couple étoilé de Ballet impérial. Hannah O’Neill et Marc Moreau. 2 mars 2023

Commençons, une fois n’est pas coutume, par l’épilogue. Ma dernière soirée Balanchine de cette saison s’est achevée par une double nomination d’étoile. De manière assez inusitée, Alexander Neef et José Martinez sont montés sur scène à la mi-temps du programme. Le premier a annoncé d’abord la nomination étoile d’Hannah O’Neill puis, celle de Marc Moreau, les interprètes des deux rôles solistes principaux de Ballet impérial. Si la nomination de Mlle O’Neill était attendue depuis quelques temps et arrive presque tardivement, celle de Marc Moreau était une surprise. Le danseur est un vétéran de la compagnie qui a assez longtemps stagné dans la classe des quadrilles puis des sujets avant de passer premier danseur en 2019. Il y avait quelque chose d’émouvant à voir l’incrédulité puis l’effondrement joyeux du danseur à cette annonce. J’en ai presque oublié que je n’ai pas été tendre avec Moreau ces deux dernières saisons que ce soit dans Rhapsody d’Ashton, dans le Lac ou très récemment dans le soliste à la Mazurka d’Etudes. Marc Moreau est un excellent danseur mais, ces derniers temps, j’ai trouvé qu’il mettait beaucoup de pression et de contrainte dans sa danse dès qu’on lui confiait un rôle purement classique. C’est le syndrome, très Opéra de Paris, des danseurs qu’on laisse trop attendre et qui deviennent leur propre et impitoyable censeur. Cette nomination est donc à double tranchant. Soit elle libère enfin l’artiste (qui a montré l’année dernière ses qualités dans Obéron du Songe de Balanchine), soit elle finit de le contraindre. Et Marc Moreau n’a pas énormément de temps d’étoilat avant la date fatidique de la retraite à l’Opéra. On lui souhaite le meilleur.

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Cette double nomination aura mis quelques étoiles dans un programme bien peu étincelant par ailleurs.

Il présentait pourtant deux entrées au répertoire et donc deux nouvelles productions de ballet par le maître incontesté de la danse néoclassique au XXe siècle. Mais on peut se demander si ces additions étaient absolument indispensables…

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Ballet impérial. Pose finale. 16 février 2023.

Ballet impérial est un Balanchine de la première heure américaine. Il a été créé en 1941 pour l’American Ballet, alors toute jeune compagnie. Mais pour être un « early Balanchine », Ballet impérial est-il pour autant un chef-d’œuvre ? Disons plutôt qu’il a un intérêt historique. À l’époque de sa création, il fut ressenti comme très moderne. Le ballet symphonique, dont Léonide Massine était alors le grand représentant, avait le vent en poupe. Mais à la différence de Massine qui était tenté par l’illustration des programmes d’intention des compositeurs (comme dans la Symphonie fantastique de Berlioz), Balanchine proposait un ballet presque sans argument qui réagissait uniquement à la musique. De plus, en dépit de l’utilisation des oripeaux traditionnels du ballet (tutus-diadèmes pour les filles et casaques militaires-collants pour les garçons), le chorégraphe a truffé son ballet de petites incongruités qui marquent la rétine. Ainsi, la ballerine principale, placée en face de son partenaire qui avance, recule en sautillés sur pointe arabesque. À un moment, elle fait de petits temps levés en attitude croisée face à la salle qu’elle répète en remontant la pente de scène et dos au public. La deuxième soliste féminine, pendant un pas de trois avec deux garçons, est entrainée par ces derniers dans une promenade sur pointe en dehors. Les danseurs font alternativement des grands jetés tout en continuant à la faire tourner sur son axe.

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Alors pourquoi ce ballet n’entraine-t-il pas mon adhésion ? C’est qu’en dépit de ses qualités additionnées, Ballet impérial souffre d’un cruel défaut de structure, un peu à l’image du concerto n°2 pour Piano de Tchaïkovski sur lequel il est réglé. Le long premier mouvement, Allegro Brillante, commence d’une manière tonitruante et dévoile d’emblée toute la masse orchestrale avant de s’apaiser et d’additionner les thèmes. De même, Balanchine montre d’emblée l’ensemble de la compagnie. Au lever du rideau, huit garçons et huit filles placés en diagonale se font face. Après une révérence, huit autres danseuses entrent sur scène. Moins de trois minutes se sont écoulées et on a vu tout ce qu’il y avait à voir. Les ballabiles, habituellement point d’orgue dans les grands classiques et néoclassiques, se succèdent de manière monotone. À la fin de l’Allegro Brillante, la pose finale laisse penser que le ballet est teminé. Or il reste encore deux mouvements à venir. Ballet impérial est une œuvre sans montée d’intensité. Au bout d’un moment, l’attention s’effiloche. On se prend à faire la liste des inventions visuelles que Balanchine a réutilisées plus tard dans ses vrais chefs-d’œuvres.

Un autre problème vient aggraver encore ce manque de structure : la production. En effet, de 1941 à 1973, ballet impérial évoquait la Russie de Catherine II. Dans certaines productions, la Ballerine principale portait même une écharpe de soie censée être très régalienne, et lui donnant occasionnellement un petit côté « miss ». Il y avait un décor représentant les bords de la Neva à Saint Petersbourg. Mais en 73, Balanchine décida d’effacer toute référence nostalgique. Les tutus à plateaux et les uniformes masculins disparurent au profit de robes mi-longues de couleur rosée pour les filles et de simples pourpoints pour les garçons. Le ballet fut rebaptisé Tchaikovsky concerto n°2 et c’est ainsi qu’il est dansé dans la plupart des compagnies américaines aujourd’hui. Néanmoins, Ballet impérial, qui avait été donnée à d’autres compagnies (notamment le Sadler’s Wells, futur Royal Ballet) demeure avec tutus, diadèmes et casaques. Mais Balanchine, sans doute pour inciter à terme les compagnies à adopter la version 73, a exigé la suppression des décors. Et il faut reconnaitre que l’effet n’est pas des plus flatteurs. Sur une scène seulement habillée de pendrillons noirs et d’un cyclo bleu, pas même deux ou trois lustres pendus comme c’est le cas dans Thème et Variations pour suggérer un palais, les costumes de Xavier Ronze  pour la production de l’Opéra paraissent fort déplacés. Les garçons particulièrement semblent porter des pourpoints d’un autre temps et on se prend à remarquer combien ils sont en sous-nombre par rapport aux filles, marque d’une époque où, aux États-Unis, on comptait trop peu de danseurs suffisamment formés pour remplir un plateau. Ballet impérial, qui fut jadis un manifeste de modernité, apparaît ici comme une vieillerie.

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« Ballet impérial ». Corps de ballet. Saluts.

Qu’est-ce qui a poussé le ballet de l’Opéra à opter pour Ballet impérial plutôt que Concerto n°2 ? Dans ce dernier, les problèmes de structure de l’œuvre demeurent mais l’ensemble parait plus organique. Lorsque c’est bien dansé, avec une compagnie qui l’a dans les jambes, on peut même y prendre du plaisir. Ce fut le cas en 2011 lorsque le Miami City Ballet fut invité aux Étés de la Danse. On se souvient encore du trio formé par les sœurs Delgado et Renato Penteado.

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Or le ballet de l’Opéra, célébré encore universellement aujourd’hui comme un des meilleurs corps de ballet du monde, est loin de se montrer à la hauteur. Au soir de ma première, le 10 février, les lignes très géométriques voulues par Balanchine, alternant les carrés et les formations en étoiles qui s’entrecroisent, confinent au sinusoïdal. Ni les garçons ni les filles ne parviennent à l’unisson. L’une d’entre elles ne sait clairement pas où la prochaine mesure doit la porter. Cela s’est arrangé par la suite (15 février) sans jamais atteindre la perfection immaculée. Au soir de la représentation étoilée (2 mars), une danseuse rentre quand même dans une autre au moment d’un croisement de diagonale. Faut-il en imputer la faute aux répétiteurs ou la programmation ? Répéter en même temps Ballet impérial, Études (soirée Dupond) et Giselle pour la tournée en Corée du Sud peut s’avérer délicat même pour une compagnie de la taille du ballet de l’Opéra. Les jeunes quadrilles et surnuméraires, souvent « remplaçants de remplaçants » doivent apprendre tous les rôles et toutes les places afin, si besoin, de rentrer au pied levé. Dans un ensemble, les recours multipliés à ces jeunes artistes finissent par se voir nonobstant le talent et la bonne volonté que ces derniers déploient.

Au niveau des « principaux », le compte n’y est pas non plus le 10 février. En deuxième soliste, Silvia Saint-Martin, une autre de ces artistes talentueuses qui a beaucoup attendu et s’est mise à avoir une présence à éclipse, ne passe pas la rampe. Elle ne se distingue pas assez physiquement de la première soliste, Ludmila Pagliero, qui d’ailleurs ne semble pas au mieux de sa forme. Cette dernière rate par exemple à répétition une des incongruités balanchiniennes typique de Ballet impérial : les doubles tours seconde sur quart de pointe, jambe pliée, terminés en arabesque. Il est troublant de voir Pagliero, habituellement si sûre techniquement, achopper sur une difficulté technique. Plus dommageable encore, sa connexion avec le protagoniste masculin, Paul Marque, pourtant irréprochable, est quasi-inexistante. C’est regrettable. L’andante est le moment Belle au bois dormant acte 2 de Ballet impérial. Il préfigure aussi l’adage de Diamants (1967) : les danseurs s’approchent et se jaugent en marchant de côté chacun dans sa diagonale. Il y a même une once de drame dans l’air. La ballerine se refuse et le danseur doit faire sa demande plusieurs fois. Ici, rien ne se dégage de ce croisement chorégraphique.

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Ballet impérial. Ludmila Pagliero et Paul Marque.

L’impression est toute différente le 15 février. Hannah O’Neill est une deuxième soliste primesautière qui s’amuse avec ses deux compagnons masculins dans le fameux passage de la promenade-grand jetés. Cette posture joueuse contraste bien avec la sérénité élégante et la maîtrise régalienne du plateau déployées par Héloïse Bourdon en première soliste. En face d’elle, Audric Bezard sait créer le drame avec presque rien. Il y a une vibration dans l’air lorsque les deux danseurs s’approchent et se touchent. Bezard, plus imposant que Marque et de surcroît mieux accompagné d’un corps de ballet féminin plus à son affaire, met en valeur le passage où le danseur actionne comme un ruban deux groupes de cinq danseuses. Au soir du 10, le pauvre Paul Marque semblait s’adonner à un concours de force basque. Ce leitmotiv balanchinien, utilisé dans Apollon dès 1928, puis dans Sérénade (1934) ou enfin dans Concerto Barocco (1941) prend avec Bezard une dimension poétique. Le cavalier semble aux prises avec les fantômes de ses amours passées. Les deux « têtes de ruban », Caroline Robert et Bianca Scudamore s’imbriquent avec beaucoup de grâce en arabesque penchée sur son dos.

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Ballet impérial. Héloïse Bourdon et Audric Bezard

Le 2 mars, c’est d’ailleurs la damoiselle Scudamore qui endosse le rôle de la deuxième soliste. Elle le fait avec la légèreté et la facilité qui lui sont coutumières. Sa série de pirouettes sur pointe à droite et à gauche, reflétée par le reste du corps de ballet féminin est exemplaire. Hannah O’Neill, sans effacer chez moi le souvenir de Bourdon, sait se montrer déliée et musicale. C’est d’ailleurs elle qui maîtrise le mieux les redoutables tours sur quart de pointe. Nomination méritée donc. Marc Moreau, quant à lui, accomplit une représentation au parfait techniquement. Il est sans doute un peu petit pour sa partenaire mais gère plutôt bien cette difficulté notamment dans le passage aux reculés sur pointe. S’il a abandonné les gestes saccadés et coups de menton soviétiques qui nous ont tant agacé dans Études, il respire encore un peu trop la concentration pour emporter totalement mon adhésion. Avait-il eu vent d’une potentielle nomination ? En tous cas, c’est dans Who Cares ?, juste après avoir été nommé, qu’il a surtout montré son potentiel d’étoile de l’Opéra.

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Bianca Scudamore, Thomas Docquir et Florent Melac. La deuxième soliste et ses cavaliers

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Who Cares ?, justement. La deuxième entrée au répertoire de ce programme et sans doute la plus déplacée… George Balanchine était un homme malin. Arrivé dans un pays quasiment vierge en termes de ballet classique (même Michel Fokine s’y est cassé les dents quand il y a tenté sa chance), il savait à l’occasion caresser le public américain dans le sens du poil pour obtenir son soutien. Dans Square Dance, il présentait des danseurs sur des musiques de Corelli et Vivaldi dans des formations qui auraient pu être celles d’une danse de cour mais en les accompagnant des commentaires scandés d’un « square dance caller », il resituait tout le ballet sous une grange du midwest un soir de moisson. Dans Casse-Noisette, il faisait référence  à la danse arabe, dansée par une soliste féminine en tenue très légère, comme le passage « for the daddies » : il présentait aux maris et pères de familles accompagnateurs, morts d’ennui, l’évocation presque sans détour d’un spectacle de « burlesque » (un numéro d’effeuillage). Stars & Stripes, « le petit régiment » est un autre de ces ballets « américains » où la vulgarité assumée des costumes et de la musique suscite un enthousiasme facile. Who Cares ?, créé en 1970, est de cette veine. La musique de George Gershwin, avec qui Balanchine a travaillé brièvement à Broadway, est d’ailleurs augmentée et alourdie par l’orchestration sucrée d’Hershy Kay comme la musique de Souza pour Stars & Stripes. À la création, une critique toute à la dévotion du dieu vivant qu’était Balanchine (notamment Arlene Croce), a voulu y voir un chef-d’œuvre qui citait non seulement Raymonda (4 garçons en ligne font des doubles tours en l’air. Soit…), Apollon (car l’unique soliste masculin danserait avec trois danseuses solistes. Mais contrairement à Apollon, il n’en choisit aucune et elles ne dansent pas vraiment de concert) et Fred Astaire… Arlene Croce refusait cependant d’y voir un exercice de nostalgie du « Good Old Broadway » mais bien un ballet classique contemporain.

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« Who Cares? ». Saluts le 10 février.

C’est pourtant bien ce qu’est devenu Who Cares ?, un des numéros quasi-obligatoires de toute tournée d’une compagnie américaine à l’étranger. Dansé par le San Francisco Ballet, le Miami ou bien sûr le New York City Ballet, la pièce a un petit côté bonbon acidulé qui montre l’énergie et l’enthousiasme des danseurs américains ; leur « joie de danser » diront certains. Mais ces danseurs états-uniens, quoiqu’à un moindre degré aujourd’hui, sont baignés depuis l’enfance dans ce répertoire, qu’ils ont forcément rencontré à l’occasion d’un high school musical. Ils peuvent sans doute fredonner les paroles (lyrics) des chansons comme des Français le feraient pour La vie en rose de Piaf. Lorsqu’ils dansent, il y a un sous-texte. Le soir de ma première, dans le grand escalier à la fin du spectacle, une jeune femme disait à son amie : « je suis sûre d’avoir reconnu la musique de West Side Story ».

Les danseurs de l’Opéra pouvaient-il apporter autre chose que du mimétisme à Who Cares ? Non. Ils font de leur mieux mais soit cela tombe à plat (le 10 février) soit cela parait plaisant mais globalement insipide (le 2 mars). Comme pour Ballet Imperial, le Who Cares ? lasse par sa succession de tableaux à n’en plus finir. Il se termine néanmoins par une danse d’ensemble digne d’un final sur I Got Rythm.

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Entre deux moments de flottement, on peut trouver quelques éléments de satisfaction. Léonore Baulac (le 11 et le 15 février), dont c’est la rentrée cette saison, est fine, enjouée et déliée en soliste rose. Elle manque un peu de capiteux dans The man I love mais parvient à évoquer (le 15) une jeune Ginger Rogers aux côtés d’un Germain Louvet qui danse avec précision et légèreté mais ne varie pas d’un iota sa posture, quelle que soit sa partenaire. Les deux premiers soirs par exemple, il danse avec Valentine Colasante en soliste en parme pourtant aux antipodes de Baulac. Statuesque, sûre d’elle, femme puissante, elle se laisse voler un baiser avec délectation (Embraceable You). La soliste en rouge est tour à tour interprétée par Hannah O’Neill, un peu lourde le 10 et par Célia Drouy le 16 qui insuffle à son Stairway to Paradise une vibration jubilatoire communicative. Ceci n’empêche pas damoiseau Louvet de servir exactement la même – délectable – soupe à ces deux incarnations contrastées du même rôle.

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C’est sans doute le 2 mars que Who Cares ? a été au plus près de nous satisfaire. La salle et la scène étaient, dès le départ, comme électrisées par la nomination des deux danseurs étoiles. Le tableau des filles en violet dégageait une tension nerveuse assez roborative et le passage des petits duos des demi-solistes (filles en rose et garçons en violet) était sans doute le plus homogène des mes trois soirées. Jusque-là, on avait surtout remarqué Roxane Stojanov, la seule à avoir la dégaine requise, notamment pour son duo « Tu m’aimes, je te fuis. Tu pars, je t’aguiche » avec Gregory Dominiak. Le 2 mars, Camille de Bellefon et Chun-Wing Lam ont du feu sous les pieds dans S’Wonderful, Ambre Chiarcosso et Antonio Conforti sont adorables dans That Certain Feeling de même que Pauline Verdusen et Manuel Garrido.

Surtout, Marine Ganio est une superbe soliste rose. Son plié relâché est souverain et sensuel. Elle donne l’occasion à la nouvelle étoile Marc Moreau de montrer toutes ses qualités de leading man, sa réactivité à ses partenaires. Leur The Man I Love diffuse un sentiment d’intimité palpable même aux rangs reculés de l’amphithéâtre. Silvia Saint-Martin n’est peut-être pas aussi captivante dans Embraceable You que ne l’était Colasante, mais Moreau parvient à faire du baiser final un moment de complicité avec la salle. Héloïse Bourdon, le sourire accroché au visage comme un héros de guerre arbore sa médaille (on a encore étoilé une autre avant elle), est une danseuse rouge à la fois capiteuse et lointaine. Marc Moreau, le soliste au cœur d’artichaut, semble tournoyer autour d’elle comme une phalène attirée par un lampion. Il se dégage de leurs interactions un authentique charme un tantinet décalé…

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Mais une soirée réussie suffit-elle à justifier un tel programme ? L’Opéra annonce fièrement sur ses différentes pages qu’avec Imperial et Who Cares?, elle possède désormais 36 ballets de Balanchine. Mais que fait-elle de ce répertoire ? Depuis la brève direction Millepied, les Balanchine importés sont tous des œuvres secondaires du chorégraphe : Brahms Schoenberg Quartet, Mozartiana ou Le Songe d’une nuit d’été sont tous des ballets mineurs dans la production du maître, dépourvus de tension ou mal bigornés. Toute une jeune génération de balletomanes à l’Opéra n’aura connu de Balanchine que des œuvres mi-cuites. Pour eux, c’est une vieille perruque… Apollon musagète, Sérénade et Les Quatre tempéraments auraient dû être présentés en octobre 2020 mais 10 des 11 représentations ont été annulées en raison de la crise sanitaire. Or cela faisait déjà à l’époque une dizaine d’années que ces ballets n’avaient pas été dansés sur la scène de l’Opéra.
Un des – nombreux – chantiers de la direction Martinez sera de présenter à nouveau des œuvres dignes de l’authentique génie qu’était Balanchine ; des œuvres capables de porter les étoiles, actuelles, nouvelles et à venir vers de nouveaux cieux artistiques.

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Roxane Stojanov. Who Cares?. Saluts le 15 février.

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A l’Opéra : Croisée des Songes

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Fenella a déjà fait part de ses impressions sur la reprise de A Midsummer Night’s Dream. C’est au tour de Cléopold et de James de vous faire part de leur ressenti. Alors, ont-ils fait de beaux songes?

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cléopold2Cléopold : expériences inversées.

On aurait aimé avoir une révélation lors de cette revoyure du Midsummer Night’s Dream de Balanchine, une addition au répertoire de l’époque Millepied qui nous avait paru dispensable en 2017. Mais le ballet ne s’est pas bonifié avec le temps. Et pourquoi l’aurait-il fait ? Depuis sa création à New York en 1962, cela aurait eu amplement le temps d’avoir lieu. Reste que cet opus, pour manqué qu’il soit, avec ses failles narratives et ses redites chorégraphiques, reste du Balanchine ; et l’œuvre d’un génie, garde sa patte et son style. Dans le film de 1968, une distribution cinq étoiles rend même le brouet plutôt appétissant. Tout repose donc sur la cohérence de la distribution.

Or, au soir du 30 juin, le compte n’y est pas. C’est ainsi que dès le prologue, on se sent agacé par les conventions un peu ridicules que, sous prétexte qu’il évoquait un ballet de la fin de l’ère Petipa, Balanchine s’est permis de réitérer : la pantomime d’Obéron, le roi des elfes réclamant à Titania son petit page enturbanné, est en effet répétée deux fois à l’identique sur le reprise musicale de la célèbre ouverture de Mendelssohn. On a vu Balanchine plus inspiré…

Faut-il incriminer les danseurs ? Pas nécessairement. Titania-Pagliero incarne une reine des fées très fluide et féminine (notamment dans l’adage avec le « cavalier », Florent Magnenet, qui termine sa carrière dans ce rôle mineur) et Obéron-Quer, qui n’a pourtant pas le petit gabarit du créateur du rôle (Edward Villella), assure sa variation ultra-rapide de la scène 3 avec de jolis sauts et une batterie très claire. À peine peut-on chipoter sur le fini des pirouettes parfois négociées avec un haut du corps trop placé en arrière. Mais ce non-couple (ils n’ont jamais de pas de deux en commun) évolue du début à la fin dans des sphères séparées. L’histoire, déjà très paresseusement dessinée par Balanchine, ne prend pas. Du coup, Aurélien Gay ne convainc pas ce soir-là dans Puck. Il nous semble n’avoir aucun sex-appeal quand le créateur, Arthur Mitchell était vraiment savoureux. Et puis les Parisiens de l’entrée au répertoire (Emmanuel Thibault, Alessio Carbone ou encore Hugo Vigliotti) avaient plus de métier.

Le quatuor d’amoureux empêchés met lui aussi du temps à convaincre dans son timing comique. Les garçons sont plus à leur avantage que les filles, hélas assez insipides (le désespoir d’Hermia est ainsi un long moment d’ennui). En Lysandre, Pablo Legasa est délicieusement cucul lorsqu’il fait la cueillette des fleurs des bois tandis que son rival [le Demetrius d’Audric Bezard qui, avec son impossible perruque longue, sait être drôle en amoureux ensorcelé] lutine sa fiancée. Les deux compères savent ferrailler en mode ridicule lors de la scène de chasse. Il faut dire que ce passage, est l’un de ceux, avec la variation d’Obéron, qui a le plus de nerf. Et qu’Héloïse Bourdon la rythme de ses grand-jetés autoritaires d’Amazone ne gâche rien.

Dans le rôle croupion de Bottom (Balanchine garde l’épisode de l’âne mais élude la tordante pièce de théâtre dans le théâtre voulue par Shakespeare ; celle-là même que John Neumeier avait embrassée avec tant de panache dans sa propre version), Cyril Chokroun se montre très à l’aise et parvient à donner en âne l’impression qu’il est plus amoureux du foin que de Titania lorsqu’elle se jette dans ses bras.

Mais, ne le cachons pas, en ce soir du 30 juin, on était venu pour l’acte 2. Non pas qu’il soit meilleur que le précédent, bien au contraire : le passage sur la fameuse marche nuptiale avec tutu et strass est par exemple affreusement empesé. Mais cet acte recèle un véritable petit bijou. Le chorégraphe a calé un ballet de Balanchine (entendez détaché de tout contexte) dans un ballet de Balanchine. Les ensembles y sont « de bonne facture » sans être éblouissants. Mais en son centre, il y a le fameux pas de deux créé par Violette Verdy et filmé avec Allegra Kent, un des plus beaux adages que Balanchine ait jamais composé. Or, c’est Myriam Ould-Braham qui le danse, avec sa sérénité, sa perfection de lignes et cette façon si particulière de jouer avec les tempi de la musique, créant, avec l’aide d’un Germain Louvet inspiré, une impression de perpetuum mobile... Tout est dans le suspendu, l’immatériel. Une allégorie de l’amour (Hébée aux bras de Cupidon) a été convoquée aux noces terre à terre de Thésée. Mais dieu qu’il faut prendre son mal en patience pour avoir droit à ce moment de grâce !

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Le Songe d’une nuit d’été. Aurélien Gay (Puck), Ludmila Pagliero (Titania), Jeremy-Loup Quer (Obéron), Myriam Ould Braham et Germain Louvet (Divertissement), Héloïse Bourdon (Hippolythe).

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Au soir du 2 juillet, l’expérience est parfaitement inverse. Ce même pas de deux est littéralement transformé en exercice de classe par Laura Hecquet. Tout n’est que concentration ; tout paraît tenu et segmenté. En cavalier, Thomas Docquir a de la prestance et sa technique est bonne dans le presto.

C’est donc l’acte 1 qu’on retiendra. Marc Moreau (Obéron) maîtrise très bien sa partition et il a surtout un gabarit plus proche d’un Villella. Lui aussi a une batterie énergique mais ses pirouettes ne sont pas décentrées comme celles de son prédécesseur dans le rôle. Il développe également un très beau parcours. Surtout, il joue sans discontinuer. On le voit commander aux petits elfes de l’école de danse et donner des ordres impérieux. Il botte le derrière de Puck avec gusto. Et Justement, dans Puck, Aurélien Gay semble avoir mûri son interprétation. Il est facétieux et drôle. Sa pantomime (notamment lorsqu’il réalise ses erreurs de pairage amoureux) fait mouche.

Le quatuor de tendrons est beaucoup mieux calé. Eve Grinsztajn et Sylvia Saint Martin projettent davantage en Héléna et Hermia et leurs soupirants ne sont pas mal non plus. Florimond Lorieux est charmant en Lysandre et Arthus Raveau est presque plus pertinent que Bezard dans ses démêlées avec son amante indésirée.

Hannah O’Neill, quant à elle, est à sa place en Titania. On admire ses jolies lignes, ses sauts « naïade » et son plié même si, sur la longueur, son personnage ne s’affirme pas assez. Jean-Baptiste Chavignier fait de l’épisode de l’âne un grand moment : il a vraiment l’air de manger du foin.

Mais c’est Célia Drouy qui aura été la révélation de la soirée. En Hippolyte, elle mêle autorité et charme dans le passage pyrotechnique de la chasse. Ses grands jetés, ses pirouettes et autres fouettés soulèvent à raison l’enthousiasme de la salle.

Mais ces courts moments de bonheur, glanés au détour de deux soirées, ne suffisent pas à faire oublier le Songe de Neumeier. Espérons qu’une direction plus inspirée saura au moins, à défaut d’abandonner le ballet mi- cuit de Balanchine dont la production a certainement coûté une fortune, organiser une alternance entre les deux versions chorégraphiques du chef-d’œuvre de Shakespeare…

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JamesÀ la relecture de ce que j’avais écrit en 2017 sur Le Songe de Balanchine, il me revient que je m’étais promis de ne jamais revoir cette pièce. Et pourtant, cinq ans après, j’y suis retourné pour deux soirées! Faut-il accuser ma mémoire de poisson rouge, ou saluer la solidarité financière dont j’ai fait preuve à l’égard de l’Opéra de Paris (dont le taux de remplissage sur cette série a été un peu pitoyable) ? En tout cas, le temps a fait son œuvre : le caractère inutilement étiré de la pièce frappe moins, car le souvenir de la version Ashton, à la délicieuse économie narrative, s’estompe. Et puis, quand les interprètes sont un Paul Marque-Obéron à la petite batterie souveraine et une Ludmila Pagliero-Titania tout en scintillance de style, la mayonnaise passe mieux. Même la raide Laura Hecquet semble adéquate dans le rôle de celle que personne n’aime. Puis, dans le pas de deux du divertissement, Myriam Ould-Braham étire si infiniment ses lignes qu’on a envie que jamais cette pourtant interminable quenouille n’arrête de se dévider. Enfin, il y a matière à philosopher : il suffit d’une perruque ridicule à Audric Bezard pour perdre tout son sex-appeal. J’en conclus qu’on est bien peu de chose…  (soirée du 21 juin).

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Paul Marque (Obéron) et Ludmila Pagliero (Titania).

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Lors de la deuxième soirée, choisie pour voir Pablo Legasa, les longueurs balanchiniennes sautent davantage aux yeux, d’autant qu’Eve Grinsztajn, un peu prudente dans les constants changements de direction de Titania, n’est guère aidée, lors de son premier pas de deux, par le partenariat pataud d’Arthus Raveau. Legasa marque le rôle d’Obéron par son autorité et la superbe éloquence de ses mains. Si l’on faisait du chipot – comme disent les Belges – on remarquerait que le pied gauche est un poil moins tendu que le droit dans les sissonnes; mais la petite batterie est emmenée avec art. En Hippolyte, Silvia Saint-Martin fait d’ébouriffants fouettés. Dans le divertissement du second acte, on retrouve Ludmila Pagliero en partenariat avec Marc Moreau, qui racontent une histoire tout autre que celle que proposait le duo Ould-Braham/Louvet. Ces derniers étaient un peu irréels et éthérés, comme une apparition venue d’ailleurs. Pagliero/Moreau, en revanche, sont clairement des danseurs payés par le Duc pour régaler les invités de la triple noce : ils sont champêtres et sensuels, et les regards de Marc Moreau le peignent autant diablement séduit que séducteur. (soirée du 3 juillet)

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Eve Grinsztajn (Titania), Arthus Raveau (Cavalier) et Pablo Legasa (Obéron)

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Les Saisons de l’Opéra : Quel chorégraphe êtes-vous ?

Réception d’un Grand-Duc. P.E Mesplès

Après le classement des œuvres en fonction de leur fréquence et de leur état de conservation, passons à celui des chorégraphes. Si l’on additionne toutes « nos » 49 saisons (celles répertoriées par Memopera.fr depuis 1972, et jusqu’à la prochaine (dans sa configuration initiale), ils sont un peu moins de deux cents.

Pourquoi cette imprécision ? Parce qu’il y a des êtres hybrides. Par exemple, Jean Guizerix et Wilfride Piollet ont souvent créé ensemble, et parfois séparément. Cela fait, dans notre liste, trois entités créatrices, dont une siamoise. À l’inverse, le quintette formé par Anne Koren, Mathilde Monnier, Josef Nadj, Alain Rigout et François Verret forme un seul être collectif (crédité d’une pièce nommée LA, créée en janvier 1986 à la Salle Favart). François Verret, qui avait monté In illo tempore en 1981 (toujours dans le cadre des soirées du groupe de recherches chorégraphiques de l’Opéra) est compté en plus, mais pas les quatre autres.

Bref, il y a précisément 183 chorégraphes (individuels ou collectifs) dans notre liste, mais si l’on tient compte à la fois des noms qui sont comptés plusieurs fois et de ceux qui sont amalgamés dans un groupe, cela fait environ 200 personnes.

Comment les comparer ? Parbleu, grâce à des indices intelligemment construits ! Imaginez que vous êtes chorégraphe. Pour comparer votre réussite à l’Opéra de Paris avec celle de vos collègues, plusieurs possibilités s’offrent à vous :

  • Compter le nombre de fois où on vous a invité à saluer sur scène à l’occasion d’une création, d’une entrée au répertoire ou d’une reprise (généralement, ça n’arrive qu’une fois par série, au soir de la première, mais si vous êtes du genre Narcisse, ça peut être tous les soirs de représentation);
  • Recenser le nombre de vos œuvres au répertoire de la compagnie (car ce qui compte pour vous, ce n’est pas votre nom en haut de l’affiche, c’est votre postérité, et elle est mieux garantie si on présente un large éventail de votre talent plutôt qu’une parcelle) ;
  • Calculer quelle part de la recette du Ballet de l’Opéra vous revient en royalties (car enfin, vous ne vivez ni des fleurs qu’on vous jette, ni de l’admiration qu’on vous portera une fois dans la tombe).

Ces trois critères  –  vanité, reconnaissance et pépettes – sont bien sûr étroitement corrélés. Le premier est plus égalitaire que les deux autres (qu’importe que votre création ait été présentée trois fois au Studio Bastille, dans la brochure de la saison, que vous laissez négligemment traîner sur la table du salon, votre nom est à côté de celui de Balanchine).

Mais il y a un autre test, plus immédiat, plus sûr, et parfois plus cruel, par lequel évaluer votre statut de chorégraphe-au-répertoire-de-l’Opéra-de-Paris. C’est le passage devant le portier de l’entrée des artistes. Cette épreuve de vérité ne pouvant être franchie que par des personnes ayant vécu au XXe siècle, les créateurs de la période romantique et classique en sont exclus (exit Petipa, Ivanov, Bournonville, Coralli et Perrot, Saint-Léon, tous Immortels hors catégorie).

« Loups blancs » : Foyer de la Danse de l’Opéra de la rue Lepeletier. Gravure anonyme. XIXe siècle.

Le Loup blanc : on vous laisse passer dans vous demander votre badge, on vous salue par votre nom sans jamais l’écorcher. Tout le monde vous connaît, et c’est normal, vous êtes là tout le temps : on vous a programmé sans discontinuer sur l’ensemble de la période, pour un nombre appréciable d’œuvres, et une part à la fois stable et élevée de l’offre des saisons vous est réservée (figure 20). Vous êtes incontournable, et vous pouvez amener à Garnier votre caniche, même s’il fait ses besoins partout. Vous êtes, vous êtes (roulement de tambour) … Pierre Lacotte (dans cette catégorie, les quatre autres sont morts).

« Amis de la maison » : Gravure extraite des « Petits mystères de l’Opéra » de Nestor Roqueplan

Les Amis de la Maison : un cran en dessous pas besoin de montrer patte blanche, mais n’essayez pas de passer le guichet avec votre animal de compagnie – les huit chorégraphes programmés au moins durant six septennats sur sept peuvent aisément se considérer comme des Amis de la Maison, ou des Intermittents de luxe : leur présence est un peu moins régulière,  et leur part dans l’offre beaucoup plus en dents de scie (pour le mettre en évidence, la figure 21 donne les pourcents par chorégraphe et non par période). On vous programme en moyenne une année sur trois, vous avez une dizaine d’œuvres au répertoire, vous êtes… John Neumeier, William Forsythe ou Carolyn Carlson.

Dans cette catégorie, l’hétérogénéité est plus marquée. En moyenne, les Amis de la Maison sont programmés au moins une année sur trois, et ont une dizaine d’œuvres au répertoire (cf. la figure 22). Mais outre l’exception Lander (présent pour une seule œuvre), ils se différencient au niveau temporel : Forsythe et Neumeier n’étaient pas présents en première période, Robbins, Lander et Béjart ont connu une éclipse passagère en milieu de période, tandis que pour Lifar, Carlson et Fokine, elle se situe dans la période présente… et s’apparente du coup à un crépuscule…

« Gloire déchue ». Les Petits mystères de l’Opéra. Nestor Roqueplan.

Les Gloires déchues : ceci nous amène à notre catégorie suivante, qu’on pourrait aussi appeler les Étoiles mortes. Vous avez connu votre heure de gloire, puis une chute brutale de faveur. À l’entrée des artistes place Diaghilev (Bastille n’est pas de votre époque), les plus anciens cerbères vous reconnaissent encore, mais les jeunes vous apostrophent de manière humiliante. Pas de doute, vous êtes une femme et/ou vous appartenez à l’univers soviétique, vous êtes…. Alicia Alonso (dont les productions de Giselle et de la Belle tenaient le haut du pavé dans les années 1970), ou Rosella Hightower (dont on a dansé la production de La Belle au bois dormant à 120 reprises entre 1981 et 1983), ou Vladimir Bourmeister (dont la version du Lac, créée à Moscou en 1960, a été dansée 129 fois entre 1973 et 1992), ou bien encore Iouri Grigorovitch, dont Ivan le Terrible a fait les beaux jours de la saison 1976-1977 (plus de 50 représentations en l’espace de 9 mois…).

« Nouveaux Lions » : Les petits mystères de l’Opéra. Nestor Roqueplan.

Les Nouveaux Lions : vous n’étiez pas là en début de période, mais vous percez à présent, et votre ascension symbolise peut-être le renouveau dans l’esprit de la direction de la danse (et sans doute la décadence pour les plus conservateurs des abonnés). Pour les plus précoces, vous avez entamé votre ascension dans le répertoire au milieu des années 1980, et pour les plus avancés dans la carrière, cumulez à présent une dizaine de saisons, et au moins une demi-douzaine d’œuvres. Vous êtes, vous êtes…., par ordre décroissant de présence cumulée sur les 28 dernières années : Angelin Preljocaj (7 œuvres, 18 saisons), Patrice Bart (2 œuvres, 9 années, mais absent en dernière période, contrairement à tous les autres), Jiří Kylián (13 œuvres, 14 saisons), Mats Ek (6 pièces, 11 saisons), Pina Bausch (2 œuvres, 10 saisons) Wayne McGregor (4 œuvres, 8 saisons), Anne Teresa de Keersmaeker (5 pièces, 5 saisons), Benjamin Millepied (6 pièces, 7 saisons)… Si, sans être jeune, vous entrez dans la catégorie ascensionnelle, vous ne pouvez être que… Frederick Ashton ou John Cranko, dont les œuvres n’entrent durablement et en force au répertoire que durant la période Lefèvre.

« Les éphémères » : Un petit tour et puis s’en va. « Karikari », Ludovic Halévy, 1886.

Les Éphémères : vous avez brillé de quelques feux, mais renaîtrez-vous de vos cendres ? On vous a vu dans les parages à peu près pendant une décennie, le temps de vous identifier à moitié (votre passage à l’entrée des artistes est donc plus ou moins fluide, ça dépend du cerbère). Deux à cinq de vos œuvres ont été programmées entre 2 et 6 fois, mais la dynamique semble arrêtée. Vous êtes… Trisha Brown, Edouard Lock, Jean-Claude Gallotta, Nicolas Le Riche, Douglas Dunn, Glen Tetley, Dominique Bagouet, Maguy Marin, Alwin Nikolais, Karole Armitage, Nacho Duato, Odile Duboc, ou encore Ulysses Dove…

Les Inconnus : c’est un peu la honte, mais personne ne vous reconnaît à l’entrée. Vous avez beau avoir revêtu vos habits du dimanche, dans les coulisses, on ne sait pas non plus à coup sûr qui vous êtes. Votre création, c’est « trois petits tours et puis s’en va » (une œuvre, une saison, mais rien depuis). Il va falloir intriguer sérieusement ou brûler des cierges pour qu’on vous reprogramme. Il y en a plus de 80 comme vous, et vous êtes presque perdu dans la masse. Qu’on ne s’y trompe pas ! Il y a parmi vous des gens reconnus dans le vaste monde (Birgit Cullberg, Christopher Wheeldon, Alvin Ailey, Thierry Malandain, Abou Lagraa, José Montalvo, Lucinda Childs, Philippe Decouflé, Karine Saporta), mais pas dans le microcosme un peu spécial qu’est l’Opéra de Paris. Bien sûr, si vous faites partie de la compagnie, vous entrez comme dans un moulin, mais on vous identifie comme danseur et non comme chorégraphe. Vous vous appelez peut-être Manuel, Marie-Agnès ou Mallory. Et si vous êtes dans ce cas, les soirs de spleen, il ne vous reste qu’une seule et amère consolation : vous comparer avec le dernier de la liste (Jérémie Bélingard, 0,0302% de l’offre de la saison 2016-2017 pour Scary Beauty).

"Inconnus": "On ne passe pas!". Le passage noir de l'Opéra de la rue Lepelletier.

« Inconnus » : Le passage noir de l’Opéra de la rue Lepeletier, purgatoire des refoulés à la porte de la concierge.

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Les Saisons de l’Opéra : mémoires de loge, oubliettes de strapontin

Gustave Doré : le public des théâtres parisiens.

Faisons une pause dans notre exploration des saisons de l’Opéra de Paris depuis un demi-siècle. Partant d’un constat visible à l’œil nu (la chute de la part des œuvres classiques et néoclassiques, nette depuis le début du XXe siècle), nous avons scruté le sort fait aux vieilleries, dont une grande partie moisit dans l’oubli. À tort ou à raison ? Beaucoup de questions restent à trancher, mais c’est à présent l’été, et nous avons bien gagné le droit à un peu de légèreté.

Observons donc le temps qui passe à travers un petit bout de lorgnette. Aujourd’hui, on classera les œuvres non par leur âge ou leur style, mais par leur caractère récurrent. Quelles sont les pièces qu’on voit le plus souvent ? Sont-ce toujours les mêmes au fil du temps ? Suffit-il d’être dansé souvent pour échapper au péril des oubliettes ? (Bon d’accord, en termes de frivolité, c’est un peu décevant, mais recenser les œuvres en fonction de la couleur des costumes aurait pris trop de temps).

Piliers (Gustave Doré)

Les pièces présentées plus de 10 fois dans les 49 dernières années sont les piliers de la maison (Figure 16). Elles sont au nombre de 15. Au haut du palmarès, les apparemment indétrônables Lac des Cygnes et Giselle (programmés environ tous les 2 ans en moyenne), suivis des blockbusters attendus (Sylphide, Belle, DQ, Bayadère, etc.) mais aussi d’autres pièces à effectif plus réduit (Afternoon, Le Fils prodigue ou Agon), dont des séries sont programmées tous les 3 à 4 ans.

Ces piliers sont tous assez solides, à l’exception de Petrouchka, à la présence relativement plus fragile (l’œuvre n’a pas été dansée à Paris depuis plus de 10 ans, sa présence a connu deux éclipses de 8 et 12 années, et les dernières programmations sont plus espacées qu’auparavant).

« Loges » (Gustave Doré)

Un cran en dessous en termes de fréquence sur scène, on a décidé de nommer « Loges » les pièces qui ont été présentées sur la scène de Garnier ou de Bastille entre 6 et 9 fois lors des 49 dernières saisons. Viennent ensuite les « Chaises » (entre 3 et 5), les « Strapontins » (2 fois) et les « Places debout » (1 fois).

Tout le monde aura compris la métaphore : on est moins à son aise juché sur son strapontin qu’assis sur une chaise, et les titulaires des places debout sont les moins bien installés. Logiquement, le nombre d’œuvres dans chaque catégorie va croissant : en regard des 15 piliers-superstar, on compte 33 loges, 72 chaises, 86 strapontins et 222 places debout (pour éviter les aberrations historiques, la douzaine d’œuvres anciennes programmées une seule fois pendant la période 1972-2021, mais dont on sait qu’elles étaient souvent dansées auparavant, sont rangées non pas en « place debout », mais par approximation dans une catégorie supérieure).

Être une Loge est-il une garantie de pérennité ? Pas si sûr… Certaines œuvres de cette catégorie peuvent prétendre au rang de futurs piliers, par exemple Le Parc, En Sol, In the Night, déjà programmés à neuf reprises pour plus de 100 représentations depuis leur entrée au répertoire.

Mais de l’autre côté du spectre, il est prouvé qu’une loge peut tomber en ruine. Ainsi d’Istar (Lifar, 1941), pièce représentée une bonne centaine de fois à l’Opéra selon les comptages d’Ivor Guest, mais dont la dernière programmation en 1990 pourrait bien avoir été le chant du cygne. Plus près de nous, la Coppélia de Lacotte (1973), dont des séries ont été dansées sept fois en moins de 10 ans, a ensuite connu une éclipse de huit ans, avant une dernière programmation, en 1991, qui sera peut-être la dernière.

Hormis ces deux œuvres en péril d’oubliettes, on repère quelque fragilité – les teintures s’effilochent, la peinture s’écaille, les fauteuils se gondolent – dans le statut d’œuvres comme Tchaïkovski-pas de deux, Raymonda, Les Mirages, les Noces de Nijinska ou le Sacre du Printemps de Béjart. Un indice de décrépitude – plus ou moins flagrant selon les cas – réside dans l’écart soudain entre l’intervalle moyen de programmation et le temps écoulé entre les dernières séries. Quand une œuvre autrefois programmée souvent connaît soudain des éclipses plus ou moins longues, c’est que du point de vue de la direction, elle est plus du côté de la porte que de la promotion (Figure 17).

À ce compte, ce sont le Sacre de Béjart, les Noces et Les Mirages, qui semblent les plus fragiles : non seulement l’écart entre deux séries s’allonge significativement, mais en plus, la dernière date de programmation commence aussi à être éloignée dans le passé.

Dans une moindre mesure, ce phénomène touche le répertoire balanchinien (Tchaïkovski-pas de deux, et Sonatine) dont la fréquence s’amenuise au fil du temps, ainsi que Raymonda (dont la date de reprogrammation après le rendez-vous manqué de décembre 2019 sera sans doute décisive).

En dehors de ces huit cas (24% du total quand même…), la majorité des 33 œuvres-Loge semble solidement implantée dans le répertoire (on compte parmi elles Suite en blanc, Paquita, Le Sacre de Pina Bausch, Cendrillon, Manon, La Dame aux Camélias, The Concert, Joyaux…). Mais on ne peut s’empêcher de remarquer que cinq autres pièces de Balanchine – Serenade, Symphonie en ut, Les Quatre tempéraments, Violon concerto et Concerto Barocco – se font plus rares au fil du temps (le temps écoulé entre deux séries ayant tendance à s’allonger de moitié par rapport au passé, ce qui n’est peut-être pas sans effet sur le résultat sur scène…).

« Chaises » (Cham)

De manière plus synthétique, mais en utilisant les mêmes critères, l’analyse de l’état de conservation des Chaises, Strapontins et Place debout donne des résultats assez prévisibles. Ainsi, les Chaises (programmées entre 3 et 5 fois) se répartissent à part presque égales entre solidité, fragilité et décrépitude (Figure 18).

Parmi les Chaises en ruine ou en péril à l’Opéra de Paris, on repère – outre les œuvres de Skibine, Clustine, Lifar, Massine, Fokine… dont on a déjà évoqué la disparition lors de nos précédentes pérégrinations – le Pas de dieux de Gene Kelly (création en 1960, dernière représentation 1975), Adagietto d’Oscar Araïz (entrée au répertoire 1977, dernière apparition en 1990), mais aussi Density 21,5 (1973) et Slow, Heavy and Blue (1981) de Carolyn Carlson, Casanova (Preljocaj, 1998), Clavigo (Petit, 1999), et Wuthering Heights (Belarbi, 2002). Par ailleurs, certaines pièces entrées au répertoire au tournant des années 1980, comme le Jardin aux Lilas (Tudor), Auréole (Taylor), Divertimento n°15 (Balanchine) ou Sinfonietta (Kylian) ne semblent pas avoir fait souche, et en tout cas, s’éclipsent au cours des années 1990.

Les Chaises un peu bancales – renaissance pas impossible, mais présence en pointillé en dernière période –, incluent certaines entrées au répertoire de Neumeier (Sylvia, Vaslaw  et le Songe d’une nuit d’été), Tzigane (Balanchine), la Giselle de Mats Ek, Dark Elegies (Tudor), Le Chant de la Terre (MacMillan), The Vertiginous Thrill of Exactitude (Forsythe), et – parmi les créations Maison – Caligula (Le Riche), et La Petite danseuse de Degas (Patrice Bart).

« Strapontins » (Cham)

La situation est par nature plus précaire pour les Strapontins, et encore plus pour les Places debout. Et notre classement devient forcément sommaire, principalement corrélé à l’ancienneté de la dernière représentation : un Strapontin déplié une dernière fois il y a plus de 30 ans est tout rouillé, et une Place debout qui n’a pas bougé depuis 20 ans est ankylosée de partout. Les créations un peu plus récentes sont dites fragiles, faute de mieux, et on évite de se prononcer sur les dernières nées : l’avenir des Noces de Pontus Lidberg, par exemple, est imprévisible.

Bien sûr, les 222 Places debout, majoritaires en nombre, ne constituent pas la moitié des spectacles : présentées moins souvent, dans des jauges plus petites, ou occupant une partie de soirée, elles représentent une part minime de l’offre… sauf, et c’est troublant, dans la période récente.

Alors qu’entre 1972 et 2015, les œuvres programmées une seule fois composaient en moyenne 9% de l’offre (nous ne parlons plus ici de nombre d’œuvres, mais de leur part pondérée dans les saisons), lors du septennat en cours, cette part triple, pour atteindre 27%, signe d’une accélération de la tendance au renouvellement dans les saisons Millepied et Dupont (Figure 19).

Ce phénomène n’est pas seulement dû à l’absence de recul historique (les entrées au répertoire sont forcément Debout, avant éventuellement de monter en grade) : lors de la période précédente, seules deux pièces (Daphnis et Chloé de Millepied, et le Boléro de Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet), étaient des créations vouées à être reprises quelque temps après. Et elles ne représentent que 1,1% de l’offre 2008-2015 (autrement dit, le passage du temps ne change pas beaucoup la donne).

Au demeurant, la rupture est visible de l’autre côté du spectre : la part combinée des Piliers et des Loges s’estompe au fil du temps (de plus de 60% sur la période 1972-2001, à moins de 50% lors des 20 dernières années). Un signe que l’instabilité gagne du terrain ?

[A SUIVRE]

« Places debout » (Daumier)

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Les Saisons de l’Opéra : Raymond, qu’as-tu fait de ton stock ?

André Eglevsky, « Le Spectre de la Rose », par ALex Gard

Résumé des deux épisodes précédents: la part du classique dans les saisons de l’Opéra de Paris diminue sur longue période, celle des œuvres issues du XIXe siècle aussi (c’est logique). Mais quid des créations du premier tiers du XXe siècle?

Penchons-nous donc sur les créations post-1900, en gros à partir des Ballets russes. C’est là que les difficultés commencent, car d’une part les univers chorégraphiques se diffractent (troupe Diaghilev et ses démembrements, galaxie Vic-Wells, expérimentations expressionnistes, etc.), d’autre part leur présence dans les saisons de l’Opéra est à la fois inégale et instable.

Il est donc bien plus malaisé de repérer à la fois les œuvres qui s’imposent d’elles-mêmes par leur récurrence et leur prégnance dans l’imaginaire collectif, mais aussi de les classer a priori.

Prenons donc une autre méthode, et demandant pardon à votre délicatesse pour le vocabulaire employé. Notre période d’analyse démarrant en 1972, on appellera « Stock XXe » toutes les œuvres parmi lesquelles on peut « piocher » pour construire sa programmation (qu’elles aient déjà été dansées à Garnier, ou qu’on veuille les y présenter pour la première fois). Imaginez Raymond Franchetti, directeur de la danse de 1972 à 1977, et inventeur des saisons de ballet telles que nous les connaissons aujourd’hui, contempler chaque pièce du stock d’un œil interrogatif : « je la programme-t-y ou je la programme-t-y pas ? » (il est né à Aubervilliers, notre reconstitution lui prête un accent faubourien).

À l’époque, les vols transatlantiques existent, on passe par-dessus la Manche autant qu’on veut, le monde de la danse est dès longtemps international, et tout circule vite : fait partie du vivier tout ce qu’on a pu voir ou dont on a pu entendre parler à temps pour avoir envie de le programmer, donc toute œuvre créée en 1970 au plus tard (car en 1971, on finalise déjà le programme de l’année suivante : In the Night fait partie du stock, Les Variations Goldberg, non).

Collecter les ingrédients du « Franchetti éternel »

Le stock potentiel 1901-1970 est, bien sûr, un ensemble immense (certaines œuvres créées pendant la période n’ont jamais été dansées par le ballet de l’Opéra, elles ne sont pas « au répertoire » comme dit la régie de la danse). Par ailleurs, le stock constaté est une reconstitution après-coup (car certaines œuvres de la période n’ont fait leur « entrée au répertoire » que longtemps après leur création).

Enfin, le vrai stock d’œuvres créées sur notre planète s’enrichit chaque année (le stock Lefèvre, directrice de la danse 1995-2014, étant plus large que le stock Hightower, directrice de 1980 à 1983, etc.).

Mais à élargir sans cesse les marges, on arriverait à considérer que tout est stock, ce qui n’aurait pas de sens pour l’analyse. Effectivement, Aurélie Dupont peut faire son marché dans tout le XXe siècle, mais nous n’avons pas envie de nous mettre dans la tête d’Aurélie.

Nous préférons imaginer un Franchetti éternel qui aurait présidé à tous les choix de programmation patrimoniale jusqu’à présent, et à qui on pourrait demander :  Raymond, qu’as-tu fait de ton stock ? (Les amoureux de la vraisemblance plaident pour une reformulation en : Raymond, qu’a-t-on fait de ton stock?, mais nous ne sommes pas de ce genre-là).

Si vous nous avez suivis jusqu’ici, vous savez que c’est le moment d’un petit graphique. La part des œuvres de la période considérée dans la totalité des saisons s’établit à un niveau assez stable, aux alentours de 18%. L’évolution sur longue période n’apparaît que si l’on décompose un peu.

Le stock Franchetti « mis en boîtes » à la hussarde.

Tâchons d’expliquer, à présent la figure n°6 ci-dessus. En fait, l’univers chorégraphique du stock Franchetti n’est pas aussi hétérogène qu’on pouvait le craindre. Mais comme nous aimons bien les graphiques à trois couleurs, nous l’avons encore simplifié. Ainsi, la catégorie Ballets russes inclut-elle, au-delà de Diaghilev, les démembrements de fin de parcours (Le Bal des cadets de David Lichine, période Colonel de Basil), ainsi que les créations des Ballets suédois (la recréation de Relâche de Jean Börlin, 1924, production de 1979).

On a aussi éhontément amalgamé en « Monde anglo-saxon » des chorégraphes aussi divers qu’Antony Tudor (Le Jardin aux Lilas, 1936), Agnes de Mille (Fall River Legend, 1948), José Limon (La Pavane du Maure, 1949), Paul Taylor (Auréole, 1962), John Cranko, Frederick Ashton, Jerome Robbins et George Balanchine dans sa période américaine (car ce dernier a été délicatement écartelé : les productions antérieures au Bourgeois gentilhomme sont comptées chez les Ballets russes).

Anthony Tudor par Alex Gard

Enfin, on a réuni en une autre grosse catégorie fourre-tout, « Chorégraphes Maison », toutes les œuvres dues aux chorégraphes liés, de près ou de loin, à l’Opéra de Paris. Cela inclut tous les anciens directeurs de la danse, dont les créations (pas forcément pour l’Opéra) étaient encore jouées à l’aube des années septante (pas forcément pour très longtemps) : Léo Staats (Soir de fête, 1925), Ivan Clustine (Suites de danses, 1913), Serge Lifar (de son Icare de 1935 aux Variations de 1953), George Skibine (Daphnis et Chloé, 1959), Michel Descombey (Symphonie concertante, 1962). On compte aussi dans le lot Victor Gsovsky (Grand pas classique, 1949), car il a été maître de ballet à Garnier (et puis l’œuvre, bien que créée au TCE, a été réglée sur Yvette Chauviré et Wladimir Skouratoff). Et l’on annexe aussi au contingent « Maison » les Études (1948) d’Harald Lander, car ce dernier a tout de même dirigé un temps l’école de danse de l’Opéra.

On l’aura compris, nous avons l’adoption facile. Mais aussi cavalier que cela paraisse, ceci n’est pas irraisonné: il est courant que chaque grande école de ballet ait son chorégraphe attitré (Bournonville à Copenhague, Ashton au Royal Ballet après 1945, puis MacMillan, Cranko à Stuttgart et, plus près de nous, Neumeier à Hambourg), dont les productions contribuent à forger l’identité stylistique du lieu. Que cette pratique courante soit contrecarrée, à Paris, par une relative instabilité directoriale n’enlève rien au fait qu’il est justifié et intéressant – ne serait-ce qu’à titre de comparaison avec les autres maisons – de pister le sort fait à la production endémique. Par ailleurs, comme l’a montré Cléopold pour Suites de danses, certaines pièces-maison ne visent-elles pas précisément à acclimater les tendances du jour au style propre à la compagnie, ou à en magnifier les possibilités ? Enfin, la plupart des œuvres comptées dans le contingent-maison ont été soit créées pour l’Opéra de Paris soit conçues et présentées dans son orbite proche.

C’est pourquoi Roland Petit et Maurice Béjart sont enrôlés sous la bannière-maison, en dépit de la brièveté de la relation institutionnelle du premier avec l’Opéra (quelques semaines virtuelles à la direction de la danse en 1970) et de son caractère tumultueux pour le second (avec de sérieuses bisbilles au cours du mandat Noureev). Tout cela pourrait être débattu, mais ce qui compte pour notre propos est que, aussi indépendante qu’ait été leur carrière, elle n’en a pas moins fait, et durablement, quelques allers-retours avec la Grande boutique (Notre-Dame de Paris et L’Oiseau de feu sont tous deux des créations ONP).

Un petit coup de lorgnon dans chacune des boîtes …

Ceci étant posé, nous ne sommes pas des brutes. La catégorisation à la hussarde a le mérite de la lisibilité, mais ensuite, rien n’interdit de zoomer, et de retrouver le sens des nuances.

Alexandra Danilova, « Gaité Parisienne », par Alex Gard

Pour les Ballets russes, le rideau tombe lentement mais sûrement (figure n°7). Le phénix renaîtra peut-être de ses cendres après l’éclipse totale du septennat actuel, mais de toute même, la variété des œuvres et des chorégraphes se réduit comme peau de chagrin : dans le palmarès des œuvres représentées, seuls surnagent encore L’Après-midi d’un faune (1912), Apollon Musagète (1928, mais c’est à présent la version 1979 qui est le plus souvent représentée, et on pourrait la compter ailleurs), le Tricorne (1919), le Fils prodigue (1929) et Petrouchka (1911). Nijinska, dont Les Noces (1923), entrées au répertoire en 1976, étaient présentées assez souvent, est à présent proche de l’oubli dans la maison (Le Train bleu et Les Biches, présentées au début des années 1990, n’ont pas fait souche).

Si l’on fait un rapide gros plan sur le monde anglo-saxon (on y reviendra), il est amusant de comparer les destins croisés de trois paires de chorégraphes qui à eux seuls, concentrent 95% du paquet (même quand on zoome, on aime créer des effets de flou). La figure n°8 contraste le sort de trois tandems rassemblés à la diable :

George Balanchine dans ses années Ballets Russes de Monte Carlo par Alex Gard

  • Les duettistes Tudor/Taylor n’ont pas grand-chose en partage (en tout cas, ni l’âge, ni le style), hormis un destin commun au regard des saisons parisiennes : une percée assez notable, mais peu durable. Qui se souvient qu’Auréole (1962) a été programmé à huit reprises entre 1974 et 1996 ? Et qu’au tournant des années 1990, l’Opéra avait rendu hommage à Antony Tudor (1908-1987) en présentant quatre fois, de manière rapprochée, aussi bien Le Jardin aux lilas (1936) que Dark Elegies (1937) ?
  • Par contraste, l’ascension dans les saisons des rejetons de la filière Vic-Wells-Royal Ballet, John Cranko (Onéguine, 1965), et Frederick Ashton (La Fille mal gardée, 1960), est plus récente, mais aussi plus forte, et probablement plus durable (la petite touche orangée durant la période 1979-1986 est due à un passage-éclair au répertoire du Roméo et Juliette de Cranko, 1962).
  • Rien de facétieux, enfin, dans le rapprochement entre les deux chorégraphes iconiques du NYCB, dont la présence dans les saisons est en pente ascendante.

Le sort des chorégraphes-maison « en conserve »

Last but not least, que met en évidence un petit gros plan sur la section « Maison » de notre stock Raymond ? Fidèles à notre manie des rapprochements hardis et des acronymes stupides, nous réunissons dans un seul paquet les hommes qui n’ont qu’une pièce au répertoire durant toute la période 1972-2021 (Lander=Études, Clustine=Suites de Danse, Staats=Soir de fête, Descombey=Symphonie concertante, etc.) ainsi que Georges Skibine (qui en a trois, mais elles disparaissent vite : Daphnis et Chloé, La Péri et Concerto). Cet être collectif sera nommé HSO&S (pour Hommes d’une Seule Œuvre & Skibine ; on lui donne, pour années de naissance et mort, la médiane des dates des huit personnes concernées). N’échappent à notre logique de groupement que Serge Lifar, Maurice Béjart et Roland Petit.

La figure n°9 parle d’elle-même : HSO&S ne survit que par la grâce d’Études. Sans l’annexion de Lander aux Chorégraphes-Maison, le stock endémique hors-Lifar (10 œuvres créées entre 1913 – Suites de danses – et 1969 – Ecce Homo de Lazzini) aurait disparu encore plus vite : hors Études (qui revient encore tous les dix ans : 1994, 2004, 2014), les seuls presque-survivants sont Soir de fête (dernier soir pour l’œuvre en 1997) et le Grand pas classique (dernière présentation en soirée régulière en mars 1982 ; les reprises par l’École, en 1987, et les 5 soirées de gala entre 1991 et 2020 ne valent pas résurrection).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’intérêt programmatique pour Serge Lifar rebondit un peu dans les années qui suivent son décès (6 œuvres présentées, à un niveau qui reste très modeste dans l’offre globale), mais le phénomène s’apparente à un feu de paille (Figure n°10). Par la suite, le répertoire vivant se réduit progressivement (bientôt, ne restera-t-il que Suite en blanc ? ).

Quant aux œuvres de jeunesse de Béjart, elles se maintiennent correctement : des cinq pièces présentées entre 1972 et 1979 (période qu’on peut nommer « septennat Franchetti-Verdy »), toutes sont encore présentées lors des 21 dernières années (Le Sacre et L’Oiseau de feu, l’increvable Boléro, mais aussi Serait-ce la mort ? et Webern op. 5). Il reste que la part des œuvres du chorégraphe dans les saisons baisse nettement dans la période actuelle.

Pour l’heure, et pour finir, Roland Petit n’est pas non plus trop mal servi, avec le maintien sur le long terme de pièces dansées par le ballet de l’Opéra dès les années 1970 (Notre-Dame de Paris, Le Loup), et l’ajout au fil du temps d’œuvres des années 1940 (Carmen, le Rendez-vous, les Forains, Le Jeune homme et la mort).

Il n’y a guère que Formes (1967), pas de deux silencieux avec habillage sonore de Marius Constant, qui ait disparu de la scène. Cette incursion de Roland Petit dans l’expérimental a été dansée pour la dernière fois à Favart en 1978, avec en alternance, Wilfride Piollet et Jean Guizerix, ou Ghislaine Thesmar et Jean-Pierre Franchetti. Jean-Pierre ? Le fils de Raymond !

[À SUIVRE]

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À Stuttgart: Cranko, blanc de blancs

Konzert für Flöte und Harfe - courtesy of Stuttgarter Ballet

Konzert für Flöte und Harfe – courtesy of Stuttgarter Ballet

Le programme Shades of White (en anglais dans le texte) du ballet de Stuttgart débute par un ballet blanc à corps de ballet masculin, le Concerto pour flûte et harpe (1966) de Cranko. Lors du World Ballet Day, Tamas Detrich, qui dirige à présent la compagnie, expliquait, en faisant répéter l’adage, qu’obtenir l’unisson de la part des hommes était un défi dans les années 60, et le restait aujourd’hui. On s’attendait donc à une configuration plutôt classique : des morceaux de bravoure pour les deux couples solistes pendant que dix bonshommes feraient tapisserie au fond ou sur les côtés.

Mais Cranko s’est manifestement amusé à déjouer les attentes trop convenues. Lors du premier mouvement, les lignes du corps de ballet sont, assez souvent, rompues par une petite intervention en solo d’un des gars, comme inopinément jailli du décor. Et à l’inverse, on peut reconnaître, caché dans les ensembles, un soliste (Friedemann Vogel), qui alternera sans cesse entre singularité et unité.

Quand une des filles apparaît, on se dit qu’elle va concentrer l’action et aimanter le regard au centre. Fausse piste : non seulement elle n’établit pas de partenariat avec le type que la distribution lui assigne, préférant papillonner avec un ou plusieurs autres, mais en plus, un des « vrais » solistes masculins fait le malin de l’autre côté. Il faudrait loucher pour tout voir. Le premier mouvement, assez jubilatoire, donne l’impression d’une profusion – « c’est presque surpeuplé », relis-je sur mes notes griffonnées dans le noir – en réponse à l’invention mélodique mozartienne. Cranko a concocté pour ses danseurs une partition fluide, cumulant tricotage du bas de jambe, temps de saut souvent voyagés (la configuration spatiale est souvent complexe), et tours sur le contrôle.

Lors de la cadence – moment intime où flûte et harpe dialoguent de manière virtuose, en interpolant les thèmes de l’allegro – la ballerine entame un pas de deux avec un des membres du corps de ballet. On retrouvera cette configuration inattendue dans les deux mouvements suivants (on regrette d’ailleurs de n’être pas en mesure d’identifier formellement chacun des trois zigues).

L’andantino débute avec une impeccable arabesque penchée – clin d’œil à Giselle ? – de Friedemann Vogel, qui parle le Cranko 1e langue. Tout du long – il est présent les trois-quarts du temps – le danseur se montre délicieusement précis : on se souviendra longtemps de ses pirouettes au jarret finies en développé devant ou arabesque, comme de ses grands jetés sans élan. À l’image de la chorégraphie, Vogel sait être délicat sans mièvrerie, brillant sans ostentation. Également familière du style Cranko, sa partenaire Alicia Amatriain prolonge cette impression de facilité. Le deuxième couple – Ami Morita et David Moore – ne démérite pas, mais on aurait grand tort de ne parler que des rôles principaux. Au niveau du corps de ballet, de simples ports de bras, subtilement agencés, diffusent une atmosphère de sereine méditation. Chaque porté central du mouvement lent – la ballerine est hissée par quatre à cinq danseurs, tandis que les autres l’entourent en penché – est aussi délicat qu’une porcelaine.

Konzert für Flöte und Harfe - Courtesy of Stuttgarter Ballet

Konzert für Flöte und Harfe – Courtesy of Stuttgarter Ballet

En deuxième partie de soirée, l’acte des Ombres de la Bayadère est présenté dans la version Makarova, qui fait pour l’occasion son entrée au répertoire de Stuttgart. La toile de fond montagneuse évoque un sommet himalayen éclairé de lumière bleutée. Durant leur descente, les vingt-quatre ombres ont un plié très retenu, ni moelleux ni vaporeux, mais la magie opère progressivement. Elisa Badenes compose une Nikiya lyrique, aux très jolis bras, quoiqu’un peu fébrile dans les tours planés. Adhonay Soares da Silva déploie la partie de Solor avec bravoure, avec un sourire et des bras un peu conventionnels (on en jugerait peut-être autrement sur une soirée entière).

La soirée s’achève avec le Symphony in C de Balanchine, où l’on apprécie le sens de l’attaque du corps de ballet féminin, et le peps’ de Miriam Kacerova. L’adage est pris par l’orchestre un poil trop vite pour que les danseurs – Elisa Badenes et Jason Reilly – puissent nous étourdir de langueur. L’ensemble est honorable, et – Bizet aidant – on ressent toujours le frisson du quatrième mouvement, quand progressivement tous les danseurs reviennent faire leur tour sur scène; mais on ne voit pas dans Balanchine et chez tous les solistes actuels de Stuttgart l’aisance naturelle qui fait tellement merveille dans Cranko.

Sinfonie in C - Courtesy of Stuttgarter Ballet

Sinfonie in C – Courtesy of Stuttgarter Ballet

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Alone together (Balanchine/Teshigawara/Bausch)

Agon/Grand Miroir/Le Sacre du printemps.
November 3 & 4, 2017, at the Palais Garnier.

I’ve always hated it when the people around me peer in the dark at their programs, searching for the dancers’ names. Why not just look up and out at the dancers dancing? That was, alas, going on all around me during the entirety of Saburo Teshigarawa’s Big Mirror. The program could have easily listed: “the dancer daubed in pale green/in turquoise/in yellow… » That’s done for Robbins, no? Then the audience would at least have carried one name out the door with them: the one in drab grey shmeared all over with burgundy body-paint and – thankfully – allowed to keep her short brown hair un-dyed, is a dancer in the corps named Juliette Hilaire. She was all force, possessed with a ripe and percussive energy and strong sense of direction and intention that bounced back against a tepidly decorative score by Esa-Pekka Salonen (O.K. he wasn’t conducting this time).

The Teshigarawa, a new commission for the Paris Opera Ballet, is pretentious eye-candy. Nine dancers swirl around like droplets of paint, triplet-ing or quadruplet-ing or whatever, windmilling their arms non-stop like trees trying to shake off their last dead leaves for… exactly thirty minutes. Think Trisha Brown takes a small tab of speed. Some of the painted few get to mime conniptions from time to time, for whatever reason. Apparently, the choreographer read a bit of Baudelaire: a poem where music=sea=mirror=despair. I’m so glad the program book informed me as to this fact.

Then in the last minute to go, oh joy, some dancers actually touch, even catch at, each other. I guess some point was being made. I adore Jackson Pollock, but do not make me stand and stare for thirty minutes at one corner of a drip painting.

I was equally perplexed by the current incarnation of Pina Bausch’s normally devastating Rite of Spring. Nine containers of dirt dragged and spread across the stage during intermission – with the curtain raised – already sucks you into a strange canvas.

Yet, and I feel weird saying this: the casting wasn’t gendered enough. The women were great: lofty, loamy, each one a sharply drawn individual. Your eye would follow one in the massed group and then another and then another. Trying to choose between Léonore Baulac, Caroline Bance, and a stunningly vibrant Valentine Colasante got really hard. I found Alice Renavand’s richly drawn Chosen One (self-flagellating yet rebellious to the very end) more convincing than Eleanora Abbagnato’s extremely interiorized one.

But the men? Meh. If it’s Bausch, then the men should be as complex and fearsome as the heads on Easter Island. But here the men didn’t feel like a dangerous pack of wolves, not much of a pack/force/mob at all. They weren’t meaty, weighty, massively grounded.

One big point Bausch was making when she created this ballet way back in 1975 was that a group of men will congeal into a massive blob of testosterone when they decide to commit violence against any random woman. This is why the program never tells you which of the women will ultimately become the “Chosen One.” (Alas the Opera de Paris website does). The point is not who she is, but what she is: a female. Any of these women could die, all the men know it. That needs to be played out. The conductor, Benjamin Shwartz, can take part of the blame. The score of Rite has rarely sounded so pretty.

 

So in the end, I should have left the theater after each of the two enchanting renditions of Balanchine’s Agon that started the evenings. Oh, the men in this one! Audric Bezard eating through space with his glorious lunges, the feline force of his movements, and his hugely open chest. Mathieu Ganio bringing wry classic elegance to the fore one night; Germain Louvet connecting Baroque to jazz throughout each of his phrases the next. Florian Magnenet gave clarity and force to just a strut, for starters…

Dorothée Gilbert has a deliciously self-aware way with the ralenti, and infuses a slightly brittle lightness into her every balance. Her meticulous timing made you really hear the castanets. Her trio with Bezard and Magnenet had the right degree of coltishness. In the girl/girl/boy trio, Aubane Philbert brought a bounce and go that her replacement the next night utterly lacked.

And Karl Paquette, looking good, proves to be in marvelous shape as dancer and partner. In “the” pas de deux – the one created for Arthur Mitchell and Diana Adams — he made his ballerinas shine. He let a melting but powerful Myriam Ould-Braham unwrap herself all over him (that little supported pirouette into a fearless-looking roll out of the hip that whips that leg around into an attitude penchée, ooh, I want to keep rewinding it in my mind until I die). They gave a good teasing edge to their encounter, all healthy strength and energy, their attack within each phrase completely in synch.

With the luminous Amadine Albisson, he got sharper edges, more deliberation. Instead of teasing this partner, Paquette seemed to be testing the limits with a woman who will give nothing away. Here the image I won’t forget is when he kneels and she stretchingly, almost reluctantly, balances on his back and shoulder. No symbiosis here, no play, but fiercely well-mannered combat.

Diana Adams et Arthur Mitchell créateurs du Pas de deux en 1957

My Dear One is mine as mirrors are lonely. W.H. Auden « The Sea and the Mirror »

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Agon, Grand Miroir, Le Sacre : les intermittences du plaisir

Soirées Balanchine Teschigawara Bausch. Ballet de l’Opéra de Paris. Palais Garnier. Vendredi 3 novembre et samedi 4 novembre 2017.

Dans cette soirée Balanchine / Teshigawara / Bausch, pour laquelle on serait bien en peine de trouver un fil conducteur, l’un des points principaux de contentement est l’excellente tenue de la reprise d’Agon de Balanchine. Lors de la dernière série, en 2012, le ballet de l’Opéra en avait un peu trop raboté les aspérités. En 2017, on retrouve avec un plaisir paradoxal l’inconfort de ce ballet baroque cubiste car il est dansé avec beaucoup plus d’acuité. Des trois pièces, Agon a beau être la doyenne, celle qui utilise le plus l’idiome classique (entendez que les danseuses dansent sur pointe), elle reste cependant la plus exigeante. On sent que le public ne sait pas trop quoi faire de ce mélange de familier (grands écarts, pirouettes et grands jetés) et d’incongru (frappement de mains précieux, castagnettes mimées et roulades sur le dos impromptues). Ce qui semble le plus le déstabiliser sont les saluts formels que leur adressent les danseurs à la fin de leur variation, avec un soupçon de défi. Espérons simplement que la jeune génération de balletomanes, habituée ces derniers temps au Balanchine aimable radoteur de son propre style (les entrées au répertoire de l’ère Millepied), ne décidera pas de jeter le bébé avec l’eau du bain.

Au soir du 3 novembre, la distribution était à la fois bien assortie et tout en contrastes. L’intérêt des trois groupes solistes résidait en effet dans la différence d’atmosphère qu’ils installaient. Le premier (un garçon, deux filles) était ainsi sur le mode « fête galante » mousseuse. Mathieu Ganio s’ingénie à arrondir les angles tandis que ses deux comparses, Hannah O’Neill et Aubane Philbert, frappent délicatement des mains dans leurs duos comme si elles craignaient d’abîmer leurs bracelets de perles visibles d’elles seules.

Le second mouvement (une fille, deux garçons) joue sur la séduction et l’agacerie. Le combat (une des traduction du titre du ballet) se dessine. Dorothée Gilbert, qui semble depuis la rentrée avoir subi sa révélation balanchinienne, est très « flirt » avec ses deux compagnons plutôt bien assortis, Audric Bezard et Florian Magnenet. Leur variation en canon compétitif – pour séduire la belle ou alors le public ? – se termine par une pose finale bien dessinée. Le style tacqueté de mademoiselle Gilbert convient bien à la variation dite des « castagnettes ».

Avec le pas de deux, on entre enfin dans le vif du sujet. Myriam Ould-Braham, claire et fraîche comme l’eau de source – ce qui la rattache au premier trio –, a certes décidé de se laisser séduire par son partenaire mais pas sans mener elle-même le jeu – ce qui rappelle le second trio. Elle ralentit ses développés pour en souligner la tension. Karl Paquette, galant, lui accorde la victoire non sans quelques révérences presque humoristiques.

C’est donc un peu une histoire de la danse qui se dessine sous nos yeux. Style chrétien (Ganio-Taglioni), style païen (Gilbert-Ellsler) et la synthèse des deux styles (Ould-Braham-Grisi).

Le 4 novembre, la distribution n’a pas cette cohérence interne qui enflamme l’imagination du spectateur. Elle n’est pas cependant sans qualité. A l’inverse de Ganio, Germain Louvet décide dans le premier trio  de souligner les aspérités de la chorégraphie, mettant l’accent sur le côté Commedia del arte : accentuation des flexes, regards pleins d’humour sur les ports de bras un peu affectés, piétinements inattendus qui contrastent joliment avec les passages classiques de la chorégraphie rendus dans toute leur pureté par le danseur. On espère alors, après avoir assisté à une histoire du Ballet, assister à une métaphore autour du genre théâtral. Mais Dorothée Gilbert danse sa partie exactement de la même manière que la veille et le duo formé par Amandine Albisson et Karl Paquette nous entraine plutôt vers la mythologie. Mademoiselle Albisson n’a pas l’hyper laxité d’une Myriam Ould-Braham mais elle met des accents et les tensions là où il faut. Elle est une belle statue animée (non exempte de sensualité) et Paquette ressemble du coup à un Pygmalion qui aurait du fil à retordre avec sa créature miraculeusement dotée de vie. Pourquoi pas ?

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La création de Saburô Teshigawara bénéficie d’un beau concerto pour violon contemporain du compositeur Esa-Pekka Salonen (2009) qui dirigeait d’ailleurs les cinq premières représentations. Le dispositif scénique est d’une indéniable beauté. Un carré de feuilles d’or (le miroir du titre ?) sert de sol à neuf danseurs aux couleurs de pierres semi-précieuses. La chorégraphie semble plus élaborée que le dernier opus de ce chorégraphe pour le ballet de l’Opéra qui nous était littéralement tombé des yeux. Sur l’ostinato du premier mouvement, ce sont des courses sautées avec ports de bras en spirale qui transforment les danseurs en des sortes d’électrons bigarrés qui s’entrecroisent et infléchissent leur course. Cette constellation colorée intrigue. Un horizon d’albâtre sert ensuite de décor à la danseuse blanche, Amélie Joannidès, pour un solo gracieusement torturé au milieu des autres danseurs bougeant au ralenti. On pense qu’une histoire va naître pour faire écho à celle que semble raconter l’orchestre. Voilà justement que Joannidès amorce un duo avec la danseuse rose-fuchsia, Juliette Hilaire (dense et captivante). Et puis ? Plus rien. L’habituelle succession de solo, duos, trios se déroule inlassablement jusqu’à la fin du ballet sans toujours atteindre la barre fixée par la richesse et la force de la partition. Ganio (en bleu), Louvet (en vert) ou Cozette (en jaune, mauvaise pioche) passent presque inaperçus. Et on s’ennuie.

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On patiente pourtant dans la perspective des retrouvailles avec le Sacre de Pina Bausch, la pièce la plus brutalement puissante du programme. Las, la direction d’orchestre de Benjamin Shwartz n’est pas à la hauteur de nos attentes. Elle manque cruellement de couleur et de force. On ne ressent pas ces roulements de tonnerre ou ces bourrasques venteuses qui vous happent habituellement dans la musique. Pour cette reprise, une nouvelle génération de danseurs investit le plateau couvert d’humus. Les jeunes femmes relèvent le défi avec brio. Leur groupe est d’une grande cohésion. On note avec plaisir les petites citations que Bausch fait du chorégraphe original de la partition. Paradoxalement, c’est plutôt le Faune de Nijinsky que son Sacre qui l’inspire (deux filles entrent main dans la main en marche parallèle, un homme puis une femme se couchent sur la tunique rouge). Les garçons convainquent moins. Question de maturité sans doute. Certains jeunes corps athlétiques ne sont pas encore ceux d’hommes mais d’éphèbes. Du coup, jamais ils n’ont en groupe ce côté mégalithe contre lesquels on craint de voir les filles se briser en mille morceaux. Il n’est pas certain non plus que Florent Melac ait encore l’autorité pour être l’Élu. Comble de malchance, le 3 novembre, Eleonora Abbagnato qui nous avait jadis fortement émus en Élue, s’agite en mesure, lance des râles de porteur d’eau sans transmettre le sentiment du drame. On remarque plus les autres élues putatives restées en tunique beige. Baulac, fragile et terrorisée, Colasante, puissante et rageuse et Renavand enfin. C’est cette dernière qui enfilait la tunique rouge le soir suivant. La danseuse fait onduler sa colonne vertébrale jusqu’au tressautement. Ses grands ronds de corps avec port de bras exsudent une sorte de terreur animale. L’Élue d’Alice Renavand menace, voudrait s’échapper avant d’enfin se résigner pour rentrer dans la transe finale qu’il la conduit à l’effondrement. Une fois encore, on ressort groggy et heureux.

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Agon, Grand Miroir, Le Sacre : l’œil écoute (presque)


Programme Balanchine / Teshigawara / Bausch – Soirée du 25 octobre – Opéra Garnier

Ce n’est pas une des moindres réussites de l’Opéra de Paris que d’avoir convaincu Esa-Pekka Salonen de revenir y diriger cet automne. Le chef et compositeur finlandais, qui a une rare maîtrise des dynamiques et de la pâte sonore, tire de l’orchestre une tension revigorante. De chaque pupitre montent le chatoiement, les rugissements et les stridences de Stravinsky. Le plaisir de l’écoute, rarement offert au public les soirs de ballet, se double d’un démarrage en trombe, avec un enthousiasmant pack masculin dans Agon.

Marchand, Louvet, Magnenet et Bezard ont tous quatre un beau sens de l’attaque : c’est précis et élastique, affirmé et délicat. De la belle danse qui n’oublie pas d’être spirituelle, avec un petit côté biscottos-sans-en-faire-trop qui fait mouche sur tout le parcours. Les huit filles ne sont pas en reste même si, parmi les solistes, Hannah O’Neill et Sae Eun Park s’avèrent un peu en retrait (il faudrait qu’elles apprennent à danser ensemble). Lors du premier pas de trois, Germain Louvet fusionne de belle manière excellence classique (quels pieds !) et présence moderne (les passages en parallèle et les épaulement jazz). Dans la variation aux castagnettes, Dorothée Gilbert fait de ses bras un petit rébus musical (avec Audric Bezard et Florian Magnenet). Puis Hugo Marchand et Myriam Ould-Braham font leur apparition pour un pas de deux furieusement cubiste. Ils m’ont fait l’impression de deux matous : ce n’est pas assez de dire qu’ils sont félins ; il faut souligner aussi qu’ils mettent, dans le regard et les intentions, autant de sensualité que de roublardise. Tout se passe comme si les deux danseurs s’étaient dit : « amusons-nous de toutes ces bizarreries, ça n’a rien d’abstrait puisque toi Jane, moi Tarzan ». Ce couple de scène – curieusement distribué une seule fois sur cette série – raconte mille et une choses. Si c’était une expérimentation, elle est réussie. On en redemande.

La musique de Salonen, à la fois virtuose, architecturée et foisonnante, est un terreau chorégraphique d’exception. La richesse de Lachen verlernt (2002) et Nyx (2011) ont ainsi inspiré à Wayne McGregor son Obsidian Tear (2016), qui est à ce jour une de ses pièces les plus fortes (exceptionnellement, le chorégraphe britannique s’émancipe de son fonctionnement en vase clos et laisse entrer de l’exogène, et on a l’impression que la musique y est pour beaucoup). Dans les premières minutes de Grand Miroir, on se demande si la même bonne surprise n’est pas en train de se dérouler sous nos yeux : la gestuelle emportée et le parcours autarcique des danseurs (ça tourne beaucoup et on craint le décrochement d’épaule) dans un carré de lumière central font système avec le Violin Concerto (2009). Le spectateur se laisse gagner. On ne comprend pas pourquoi les danseurs, en short court, ont le corps et le visage peinturluré – en craie, safran passé, mandarine, tomate, herbe tendre ou bleu lilas – mais à ce stade on s’en soucie peu. Reste que, passé le premier mouvement (Mirage), on se demande si le chorégraphe sait quoi faire des trois suivants. La tension retombe, et le défaut d’individualisation des danseurs nuit à l’implication comme à l’émotion. Il ne s’agit pas seulement de la difficulté à identifier les protagonistes, mais à intuiter un fil conducteur, ou du moins percevoir quelques pistes vers lesquelles les danseurs sont censés nous entraîner. Il doit bien y avoir quelque chose, puisque, par exemple, Ganio en bleu traverse la scène en grand mélancolique (sa présence suffit, on le suit), et que le ballet se clôt sur l’image d’un unique contact entre deux des dix interprètes. Peut-être faudra-t-il lire le programme pour comprendre ?

Après l’entracte, la différence d’intensité entre la pièce de Teshigawara et le Sacre du Printemps de Pina Bausch saute aux yeux. Pour cette reprise, qui laisse groggy et déclenche une ovation debout, on est frappé par une certaine « wuppertalisation » du casting comme de l’interprétation : la diversité physique des danseurs et des danseuses paraît plus marquée que par le passé, et on a, à l’occasion de maints gros plans émotionnels que dégage la pièce,  l’impression de découvrir de nouvelles personnalités – ceci surtout pour les filles, et pas seulement quand elles s’échappent, une à une, peureusement, du groupe. Dans le rôle de l’Élue, Eleonora Abbagnato semble littéralement terrifiée ; j’ai trouvé sa danse finale par moments trop contenue – par rapport au souvenir que j’ai de Renavand, par exemple – mais c’est un détail. Qu’on le découvre enfin en vrai, ou qu’on le revoie encore et encore, ce Sacre est toujours un choc.

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Joyaux : Diamants aux reflets changeants à l’Opéra

Dans son « Complete Stories of the Great Ballets », Balanchine parle très peu de la chorégraphie mais beaucoup de la musique de Tchaïkovski.

« [Le ballet] est dansé sur la symphonie n°3 en Ré majeur, qui a cinq mouvements. Je n’ai pas utilisé le premier mouvement qui ne se prête pas vraiment à la danse, et me suis concentré sur les quatre restants, qui comportent deux scherzos, un mouvement lent et une superbe polonaise »

Si Mr B. a raison lorsqu’il dit que le premier mouvement ne se prête pas à la danse (pas tant par manque de rythme dansant que par la répétition à l’identique de sections entières), il n’en reste pas moins vrai que le ballet commence d’une manière un peu bizarre. Les 12 filles déjà placées sur scène (un procédé qu’on trouve pourtant dans Thème et Variations et qui paraît naturel) ont l’air d’être arrivées là après avoir fini une section qui aurait été coupée au montage. C’est que le premier scherzo de la Symphonie n°3 ressemble à tout sauf à un premier mouvement. Le ballet semble commencer sur la pointe des pieds, au sens figuré du terme.

Si l’ouverture de Diamants paraît hors contexte, les volutes du corps de ballet féminin chorégraphiées par le maître sont néanmoins séduisantes. C’est du grand Balanchine. À l’inverse, la grande polonaise du final, qui plaisait tant au chorégraphe et doit servir de conclusion à la soirée entière de Joyaux (34 danseurs sur scène, c’était à peu près l’effectif total du corps de ballet du New York City Ballet en 1967) ne fait pas l’effet que le final de Thème et Variations ou même celui de Western Symphony produisent.

J’ai souvent pensé que c’était parce que les garçons arrivaient un peu comme un cheveu sur la soupe, à la toute fin du ballet. Pourtant, à la réflexion, ils arrivent encore plus tard dans Thème. Dans Diamants, quatre d’entre eux apparaissent déjà dans le second scherzo qui annonce le Final. En fait, dans Thème et Variations, la chorégraphie est unifiée par la combinaison de pas de départ qui s’est amplifiée et complexifiée à mesure que le ballet avançait dans le temps. Les messieurs qui arrivent en nombre sur la variation 12 peuvent ainsi très bien passer pour la démultiplication du danseur soliste. Dans Diamants, les garçons de la Polonaise ne parviennent jamais à avoir l’air d’autre chose que d’utilités.

Mais voilà, au milieu de cet écrin un peu chiche, est disposée une gemme de la plus belle eau. Le pas-de-deux central, créé pour la dernière muse du chorégraphe, Suzanne Farrell, est une émulsion de toutes les plus belles rencontres de couple dans les actes fantastiques des ballets de Marius Petipa.

Qu’en a-t-il été à l’Opéra ? Dans les costumes exquis de Christina Lacroix et sous le firmament nettement moins séduisant, en forme de guirlande de sapin de Noël design, qui tient lieu de décor, il y eut de bien belles rencontres ayant chacune un caractère bien marqué. Voilà les histoires qu’elles m’ont conté.

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Amandine Albisson

Le soir de la première, Amandine Albisson et Hugo Marchand dansaient le couple principal. Avec le couple Farrell-Martins, filmé dans le pas-de-deux en 1977, c’est à une communion secrète qui se passe des mots qu’on assiste. Avec Albisson-Marchand, on est invité à une conversation dansée. Marchand y est pour beaucoup, avec des ports de bras expressifs qui interrogent sa ballerine, des ports de têtes amusés ou tendres. Mais sa partenaire n’est pas en reste. Dans ce dialogue qui est souvent enjoué, elle touche presque au badinage (la façon dont elle plonge en arabesque puis fouette pour échapper à son partenaire) jusqu’à ce tremolo d’orchestre où la ballerine termine par deux attitudes, l’une devant et l’autre en arrière. À ce moment précis, elle semble soudainement, lors d’un soudain orage, dire « non » à son cavalier. Celui-ci, interloqué, sent son cœur s’emplir d’un respect nouveau. Il accompagne dès lors très dignement sa dame, tel un homme du monde. Il y a une progression dramatique, une histoire du couple qui se dessine dans ce pas de deux. On vibre aux jetés de chat de Marchand dans le Scherzo et au jeu des mains d’Albisson dans la série des piqués-arabesque. Elle semble les regarder comme s’il s’agissait d’étoiles filantes.

De retour chez moi après cette vision, j’ai éprouvé le besoin d’écouter la scène au bois de la Belle au bois dormant.

Amandine Albisson et Hugo Marchand

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Le 29 septembre, avec Ludmila Pagliero et Germain Louvet, l’impression fut tout autre. Mademoiselle Pagliero danse avec le charme assuré de « la femme de trente ans », dans tout l’éclat de sa beauté et de son pouvoir de séduction. Louvet a, malgré son élégance aristocratique, un petit côté poulain. C’est donc le jeune amant tout ébaubi d’avoir attiré l’attention de la femme la plus belle et la plus en vue. Elle lui sort le grand jeu : « Voulez-vous la scène du cygne blanc ? La Voici ! Ah, La Belle ? La Voilà… Je les parle toutes… pour vous ». Elle rayonne, il bouillonne.

De retour dans mes pénates, j’ai immédiatement écouté « Le Chevalier à la Rose », l’ouverture et la première scène durant laquelle la Maréchale, surnommée Bichette par son jeune amant Octavian, lui répond en l’appelant Quinquin. Dans l’harmonie d’une scintillante blancheur du corps de ballet qui fait penser à la Rose d’argent, gage de mariage, qu’apporte Octavian à l’acte 2, je sais déjà où se trouve la jeune Sophie, sa récipiendaire. C’est la bien la jolie Marion Barbeau qui respire plus encore qu’elle ne danse la chorégraphie de Balanchine.

Ludmila Pagliero et Germain Louvet

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Myriam Ould-Braham

Au soir du 7 octobre, Myriam Ould-Braham ne dansait pas avec son partenaire attitré, Mathias Heymann qui avait déclaré forfait, mais avec Germain Louvet. Ould-Braham est sans doute la danseuse dont l’interprétation évoque le plus l’approche de Suzanne Farrell. Sa présence élégante et fragile, sa réserve obligent ses partenaires à se montrer déférents. Louvet n’est plus un Octavian, un tendron, mais un adorateur adulte et plein de dévotion. Avec les deux autres couples, on devinait un scénario, une histoire ; complète chez Albisson-Marchand, simplement à ses prémices chez Pagliero-Louvet. Avec Myriam Ould-Braham on fait, au détour d’une arabesque penchée d’une facilité déconcertante ou encore d’équilibres voletés de tableau d’autel (on croirait voir des putti qui soufflent sous ses pieds), l’expérience du temps suspendu. Myriam Ould-Braham est une ballerine qui vous met à l’écoute de la musique et vous fait flotter avec elle entre les phrases musicales et la matière orchestrale.

Retournant à mon lot quotidien, j’ai immédiatement mis sur la platine l’adage de la 3e symphonie de Tchaïkovski. J’ai fermé les yeux, rêvant de cygnes, de princesses endormies ou de nobles damoiselles en costume magyar…

Myriam Ould-Braham et Germain Louvet

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