Archives mensuelles : avril 2014

Un Roméo et Juliette magyar : le verbe et l’action

P1070001Rómeó és Júlia. mus : Prokofiev. Chorégraphie : László Seregi. Décors : Gábor Forray. Costumes : Nelly Vágó nemzeti balett. Magyar Álami Operaház (Budapest). Représentations du samedi 12 avril et du mardi 15 avril. Les minutages entre parenthèses correspondent à la vidéo placée en fin d’article.

Créé en 1985, à la toute fin de la période soviétique en Hongrie, le Romeo es Julia de Laszlo Seregi présente un intéressant mélange d’influences. À l’image de la compagnie magyare, entraînée à la méthode russe mais à la sensibilité somme toute très occidentale, le ballet semble littéralement infusé par les emprunts à des versions soviétiques (même si les Hongrois se sont dépêchés d’évacuer la version Lavroski qui leur avait été un temps imposée, la bravura demeure ainsi que certaines poses « oulanoviennes ») mais aussi de l’Ouest. On reconnaît ainsi des bribes de Cranko (dans les pas de deux), de Noureev (dans les scènes de rues et pour la mort de Mercutio), de MacMillan (il y a trois filles de rues, mais elles dansent beaucoup plus) et même, oui, de Maurice Béjart.

Roméo et Juliette, Seregi. Ballet national hongrois. Scène finale. Photographie : Szilvia Csibi. Courtesy of magyar Nemzeti Balett

Roméo et Juliette, Seregi. Ballet national hongrois. Scène finale. Photographie : Szilvia Csibi. Courtesy of Magyar Nemzeti Balett

L’ensemble du ballet n’en est pas moins une œuvre originale et personnelle qui offre un vrai point de vue sur la pièce de Shakespeare au lieu de ne se reposer que sur la narration des faits. Avec l’aide de son décorateur, Gabor Forray, Seregi recentre l’attention sur l’aspect théâtral, fictionnel et donc moral de l’œuvre. La première scène semble traditionnellement s’ouvrir sur le face-à-face des deux maisons véronaises ennemies au travers de deux imposantes façades arrondies se faisant front. Mais on distingue bientôt que ces deux façades sont reliées par des galeries de bois et on comprend alors que ces deux bâtiments figurent en fait l’intérieur du théâtre circulaire du Globe. Sur l’estrade apparaissent successivement tous les protagonistes du drame (0’05-0’15)  s’offrant à l’admiration du public  (le corps de ballet, déjà vêtu pour interpréter les foules de Vérone mais qui fait également assez bien l’affaire pour évoquer le Londres du temps du grand barde). À la fin du ballet, la tombe de Juliette fait écho à cette mise en abyme en se surélevant pour devenir une sorte de podium. Dans la semi-pénombre une dizaine de couples habillés comme les deux amants entourent ce catafalque devenu monument funéraire renaissant. Roméo et Juliette se relèvent alors. Ils deviennent les orants de leur propre tombe ; à moins que ce ne soit la tombe de toutes les amours contrariées par la stupidité humaine.

Les procédés de mise en abyme sont filés tout au long du ballet mais le chorégraphe et son metteur en scène maintiennent la plupart du temps un équilibre entre le narratif et le symbolique. Par le truchement d’un balcon-ascenseur, Roméo et Juliette semblent ainsi passer subrepticement de l’un à l’autre.

Tout n’est pas nécessairement aussi réussi dans ce parti pris littéraire. Seregi a introduit le personnage onirique de « la reine Mab » à l’entrée de la fête chez les Capulets sur la musique dévolue habituellement aux pitreries du trio Mercutio-Roméo-Benvolio, puis au début du duel Tybalt Mercutio (1’02-1’20). Les évolutions toutes béjartiennes de ce personnage féminin à la peau verte et aux cheveux rouges créent une rupture aussi bien chorégraphique que narrative. Cela passe encore, malgré le choc de la découverte, avec la belle étoile Alexandra Kozmer (le 12). Tout le monde ne peut hélas prétendre à ses lignes impeccables et à son élasticité hors du commun.

Mais on ne s’arrêtera pas à ce détail. Le Roméo et Juliette de Seregi est à la fois efficace et fluide. Ce qui retient le plus l’attention, ce ne sont pas tant les soli et les pas de deux, de facture néoclassique, très musicaux mais somme toute attendus, que la façon dont ils respirent naturellement dans les ensembles. Seregi, venu de la danse de caractère, s’avouait lui-même plus à l’aise dans la création des évolutions d’un corps de ballet que dans l’invention d’un solo ou d’un pas de deux. Le Vérone de ce Roméo magyar grouille donc de vie. Les scènes de rixes coulent avec naturel sans qu’on se prenne à compter les nombres de coups en bas et en haut des épéistes improvisés ni qu’on ne voie son attention détournée de l’action par des chorégraphies un tantinet tarabiscotées. La fête de rue de l’acte deux est un petit chef-d’œuvre en soi. Le chorégraphe a su équilibrer les masses du corps de ballet et les évolutions classiques des demi-solistes (les trois prostituées et un sauteur de bâton emprunté du cirque oriental 3’50-4’18). Toute cette effervescence menée de main de maître sert alors les moments intimes réservés aux pas de deux. Et on apprécie ce retour à l’intime. C’est ce qui arrive aussi à l’acte 1 où, après une danse des chevaliers presque trop énergique (1’21-1’40), les deux amants se rencontrent à la lueur d’une chandelle…

Cette chorégraphie sied admirablement à cette compagnie qui, malgré l’indéniable qualité de ses solistes, ravit avant tout par son esprit de troupe.

Roméo et Juliette, Seregi. Ballet national hongrois. Aleszja Popova et Levente Bajari. Photographie : Szilvia Csibi. Courtesy of magyar Nemzeti Balett

Roméo et Juliette, Seregi. Ballet national hongrois. Aleszja Popova et Levente Bajari. Photographie : Szilvia Csibi. Courtesy of Magyar Nemzeti Balett

À ce propos, il nous été donné de voir deux distributions très différentes mais également cohérentes. Le 12 avril, la groupe des principaux protagonistes était caractérisée par la maturité des interprétations. Aleszja Popova et Lenvente Bajári s’entendaient à merveille pour traduire la fougue des amants de Vérone. Elle avait du souffle sous les pieds et une absence d’inhibition souvent enthousiasmante même si c’était parfois au détriment de la pureté de la ligne. Lui, félin, excellent partenaire, partait avec ardeur à la conquête de sa Juliette.

Le duo antagoniste Mercutio-Tybalt était enlevé avec la sûreté de ceux qui connaissent leur affaire par József Cserta, à la danse facile et au plié moelleux (qualité idéale pour cet aimable trublion de Mercutio) et Bence Apáti, un grand gaillard avec autant d’aplomb que de ballon sachant passer subtilement de la colère à la badinerie, puis du jeu au drame.

Le 14, les solistes alliaient en revanche le talent au charme de la jeunesse. Dès la première scène, le trio Montaigu enlevé par Gergely Leblanc (Roméo), Majoros Balázs (Mercutio) et Dmitry Timofeev (Benvolio) avait à la fois cette correction de la ligne issue de l’école et ce côté risque-tout qui vous font reconnaître et aimer les jeunes interprètes. Et tant pis si Mercutio-Balázs, excellent acteur, ne s’est pas montré aussi impérialement élastique que son devancier. Le Tyblat de Kekalo Jurij, cinglant comme une cravache, ainsi que le Paris de Roland Liebich, très noble, étaient là pour soutenir l’attention.

Gergely Leblanc aux saluts de la soirée du 15/04

Gergely Leblanc aux saluts de la soirée du 15/04

Gergely Leblanc, premier soliste de la compagnie et prix de Lausanne, est de ces danseurs qui savent capter la lumière sans avoir à en faire trop. Il présente le haut du corps d’une manière naturelle et projette sans avoir l’air d’y attacher une attention particulière. Son Roméo est un peu comme une fleur de tournesol qui se tourne vers le soleil. Lorsque sa Juliette apparaît, il ne semble plus absorbé que par elle.

Aliya Tanykpayeva et Kekalo Jurij (Tybalt) au second plan.

Aliya Tanykpayeva (Juliette) et Kekalo Jurij (Tybalt) au second plan.

Dans ce rôle, l’étoile kazakhe, Aliya Tanykpayeva, technique impeccable et jolies lignes, donne au rôle des accents presque farouches. Dès la première scène où elle badine avec sa nourrice, elle parait difficilement contrôlable. Sa scène du bal est dans la même veine. Lorsqu’elle a vu Roméo, elle ne prétend même plus face à Pâris. La scène du mariage n’en est que plus charmante. Le pauvre frère Laurent (Oskár Rotter) peine à contenir le désir effréné qui anime les deux tourtereaux. Tout va d’ailleurs très vite, dans ce couple. Dans le pas de deux de la chambre, ils ont déjà leur première dispute ; un détail qui ne m’avait pas paru si évident avec la première distribution. Juliette-Aliya s’y montre impérieuse ; déjà maîtresse femme. Roméo-Gergely, quant à lui est extrêmement émouvant dans son désespoir lorsqu’il se jette en sanglotant au pied de l’autel. Mais l’acte 3 appartient à Juliette. Sa scène de résistance au mariage avec Pâris, extrêmement violente (même comparée aux critères parisiens de la version Noureev) était vraiment admirable : rage à l’encontre des femmes de la famille, dégoût envers Pâris, vaine résistance aux coups du père (très impressionnant György Szirb). Comme dans la pièce, cette Juliette était sans conteste le verbe de l’action.

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Une découverte au sud de la Thuringe

myrthaBallet de Stuttgart. Giselle (chorégraphie d’après Jean Coralli, Jules Perrot, Marius Petipa, musique d’Adolphe Adam et Friedrich Burgmüller). Représentations du 19 avril (Giselle: Elisa Badenes, Albrecht: Alexander Jones, Hilarion: Roland Havlica, Myrtha: Ami Morita) et matinée du 20 avril 2014 (Giselle : Hyi-Jung Kang, Albrecht: Constantine Allen, Hilarion: Roland Havlica, Myrtha: Rachele Buriassi).

L’avantage de choisir une Giselle au pif, c’est le coup de cœur imprévu. Quand elle apparaît au seuil de la chaumière, Elisa Badenes fait l’effet d’un personnage de bande dessinée : des yeux immenses, dont la rondeur est accentuée par quelques coups de crayon noir, une bouche saillante, un sourire trop grand, une naïveté dans le regard qui attendrissent dans l’instant. Et pour longtemps, car la demoiselle est aussi fine comédienne que danseuse. Au premier acte, elle accomplit ses ronds de jambe sautillés sur pointe avec un naturel confondant, distribuant en même temps quelques bisous au vent – un détail qui transforme une simple prouesse technique en précieux moment de grâce. Dans l’acte blanc, elle étonne par la légèreté et la précision de sa petite batterie, et sa poésie dans l’adage (même si elle finit trop vite ses développés à la seconde). Alexander Jones a l’allure parfaite d’un Albrecht (beau et con à la fois). Il danse comme si c’était sa manière d’être et la façon la plus sûre de séduire (dans le même rôle, le dernier à m’avoir donné cette impression était Carlos Acosta en février 2011). L’interaction entre les deux danseurs sert le drame. Dans la scène de la folie, quand Giselle revit à travers la danse les étapes de son illusion amoureuse, Alexander Jones lui tend le bras pour l’accompagner comme il l’avait fait quelques scènes auparavant ; elle l’ignore, déjà ailleurs, et il reste les bras ballants, attentionné mais impuissant.

L’alchimie ne fonctionne pas aussi bien, le lendemain, entre Hyo-Jung Kang et Constantine Allen (au même moment de la fin de l’acte I, il ne fait rien de spécial, laissant sa Giselle porter toute seule la scène). La danseuse d’origine coréenne est moins à l’aise et précise que Mlle Badenes, et le jeune danseur – entré dans le corps de ballet en 2012/2013, il est encore demi-soliste, et n’a effectué sa prise de rôle en Albrecht qu’il y a quelques semaines –, sans démériter, ne donne pas encore l’épaisseur d’une interprétation à ses évolutions (il fait des tas d’entrechats six mais ne donne l’impression ni de la contrainte, ni de la fatigue).

C’est égal, une découverte par week-end suffit. La production de Reid Anderson et Valentina Savina, plaisamment traditionnelle, a le bon goût de faire apparaître progressivement Myrtha – qui s’avance imperceptiblement vers le devant de la scène – derrière un bosquet qui s’efface. On pense au livret de Gautier :

« Une gerbe de jonc marin s’entr’ouvre alors lentement, et du sein de l’humide feuillage on voit s’élancer la légère Myrtha, ombre transparente et pâle, la reine des Wilis. Elle apporte avec elle un jour mystérieux qui éclaire subitement la forêt, en perçant les ombres de la nuit. »

Lors de la matinée de dimanche, Rachele Buriassi est une Myrtha aux lignes souples – continuons la citation – « apparition insaisissable » qui « ne peut rester en place ». On aurait aimé qu’elle partage la scène plutôt avec Elisa Badenes, car les deux danseuses ont le même type de physique (attaches fines, longs doigts), et la reine aurait semblé une Giselle qui n’a pas vraiment connu l’amour, et un poil plus sèche. Hilarion, incarné deux fois de suite par Roland Havlica, a l’air épuisé avant même d’avoir trop dansé; c’est un peu dommage. L’orchestre de Stuttgart, dirigé par Wolfgang Heinz, appuie trop les fortissimi, mais l’alliance des violons, de la flûte et de la harpe fait des merveilles de douceur éloquente durant l’acte blanc.

Mlle Badenes, jeune danseuse d’origine espagnole, a gravi en quelques années tous les échelons du ballet de Stuttgart (une marche par an). La compagnie dirigée par Reid Anderson a un recrutement très international, mais ne va pas chercher ses stars ailleurs, comme fait trop le Royal Ballet, au risque de déminéraliser le corps de ballet. La troupe, homogène, enlève aussi bien la fête des vendanges que le sabbat des Willis (on met aujourd’hui généralement deux L là où Gautier n’en écrivait qu’un). Voilà en somme un bien joli voyage au sud de ces coteaux de Thuringe où le librettiste avait logé son histoire.

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Soirée Jeunes Danseurs: Cherchez le sens !

P1010032 Soirée Jeunes danseurs, représentation du 18 avril 2014 – Extraits de Wuthering Heights (Kader Belarbi), Les Enfants du paradis (Martinez), La Source (Jean-Guillaume Bart), Réversibilité (Michel Kelemenis), Le Parc(Angelin Prejlojcaj), Caligula (Nicolas Le Riche), Quatre figures dans une pièce (Nicolas Paul), Fugitif (Sébastien Bertaud), Genus (Wayne McGregor), Amoveo (Benjamin Millepied). Orchestre de l’Opéra national de Paris dirigé par Marius Stieghorst.

 

C’est une soirée « Merci Brigitte », entrelaçant des pièces dues aux « talents maison » (dans l’ordre alphabétique : Bart, Belarbi, Bertaud, Le Riche, Martinez, Paul) et/ou commandées durant le long mandat de Brigitte Lefèvre à l’Opéra de Paris (Kelemenis, McGregor, Millepied, Preljocaj). Le talent de programmation de la directrice de la danse sortante s’y exerce à plein tube, avec des réminiscences à tisser soi-même d’une pièce à l’autre : les postures d’amours enfantines de Wuthering Heights font écho aux figures de drague d’Amoveo (Millepied), dont certains portés convoquent le souvenir du dernier pas de deux du Parc de Preljocaj (qui me semble toujours devoir son succès plus à Mozart qu’à ses mérites propres). Et on peut aussi percevoir une ambiance méditative, pétrie de nuit, de silence ou de cuicui électronique, aussi bien dans le début en ombres chinoises des extraits de l’acte II des Enfants du paradis (pastiche de grand pas de l’acte de Robert Macaire) que par éclats dans Caligula (Le Riche), Genus (McGregor) ou Quatre figures dans une pièce (Paul).

L’absence totale de pièces classiques rompt avec la tradition des séries Jeunes danseurs – dont les précédentes éditions comportaient toutes au moins un extrait d’une production Noureev, du Petipa ou du Balanchine – qui permettait aux jeunes pousses de tenter leur chance dans des rôles mythiques, redoutés et convoités, avant de pouvoir y prétendre par leur grade ou leur expérience.

Privée de sa raison d’être originelle, la soirée réunit tout de même 25 danseurs (9 filles et 16 garçons) dans une pratique du saucissonnage de gala pas toujours très heureuse. La Source en fait les frais, avec des extraits présentés sans logique narrative apparente, et du coup dépouillés d’émotion (Djémil adresse ses prouesses au vide, Zaël danse tout seul un passage où il devrait avoir quatre acolytes…). Il faudrait une interprétation d’exception pour rattraper l’affaire, et on en est loin – c’est la pièce techniquement la plus exigeante du programme –, malgré les jolis bras d’Alice Catonnet. Les jeunes danseurs paraissent plus à leur aise – ce n’est ni surprenant ni réjouissant – dans des pièces plus faciles et payantes, quand bien même certaines d’entre elles ne laisseront qu’une empreinte fugace en mémoire (Fugitif, de Sébastien Bertaud, qui précède et imite l’extrait de la pièce de McGregor, et se réclame aussi de Cunningham – si j’en crois le programme qui n’a manifestement pas été relu, la citation de Merce comportant une coquille ; en passant, notons que le prix est le même que d’ordinaire, malgré une pagination réduite, selon un principe de shrinkflation qu’on croyait l’apanage de l’industrie agroalimentaire).

Nicolas Paul a récemment chorégraphié les danses de Platée à l’Opéra-Comique, sur un cahier des charges bête et limitatif du metteur en scène Robert Carsen. Quatre figures dans une pièce, créé en 2007, est bien plus personnel. Quatre bonshommes en pantalon de pyjama évoluent chacun dans un carré de lumière d’environ deux mètres sur deux, qu’ils s’emploient à rapetisser eux-mêmes à la craie, avant de s’en affranchir partiellement. Créé à l’origine pour un espace restreint – le musée Picasso de Málaga – Quatre figures crée un intrigant jeu avec l’espace, explore la répétition musicale (comme sait faire Anne Teresa De Keersmaeker avec Steve Reich) tout en créant un sens du développement (comme ne sait pas faire Benjamin Millepied sur Philip Glass), qui pousse le spectateur à se demander à chaque instant ce qui va bien pouvoir se passer après. Et voilà comme on peut trouver un intérêt de découverte à une soirée dont la logique s’est évanouie depuis belle lurette. Les danseurs – Daniel Stokes, Julien Cozette, Maxime Thomas, Antonin Monié – ne sont pas tous vraiment « jeunes », mais à ce stade on s’en contrefiche.

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Le soleil a rendez-vous avec la lune (Winter’s Tale, Wheeldon)

 

P1000939The Winter’s Tale, ballet de Christopher Wheeldon, musique de Joby Talbot, décors de Bob Crowley, lumières de Natasha Katz. Royal Ballet, le 12 avril 2014. Orchestre du Royal Opera House dirigé par David Briskin.

 

On prend les mêmes et on recommence. Trois ans après la création de ses Aventures d’Alice aux pays des merveilles, Christopher Wheeldon chorégraphie à nouveau un ballet narratif pour Covent Garden, avec la même équipe (Joby Talbot pour la musique, Bob Crowley aux décors et Natasha Katz pour les lumières), et les mêmes danseurs. Le défi est quand même tout autre : les aventures d’Alice imposaient de donner vie à un guilleret non-sens, et d’inventer des solutions visuelles pour des péripéties aussi multiples que burlesques, comme les changements de taille de l’héroïne ou le jeu de croquet avec des flamands roses. L’adaptation de la pièce de Shakespeare suppose de rendre sensible des événements plus intérieurs, ainsi que le passage du temps.

Le Temps, personnage de la pièce de théâtre, est, comme d’autres personnages secondaires, absent d’un livret qui recentre l’action sur les principaux protagonistes. Mais il en reste assez pour donner de jolis rôles à six principals du Royal Ballet. Léonte, roi de Sicile (Edward Watson), accueille son ami d’enfance Polixène, roi de Bohème (Federico Bonelli), et se persuade au fil du temps que son épouse Hermione (Lauren Cuthbertson) l’a trompé avec son invité. Certain que l’enfant qu’elle porte n’est pas de lui, il l’accuse violemment, provoquant apparemment sa mort et celle de son fils aîné Mamillus ; le bébé qu’il ne veut pas reconnaître est abandonné au loin. Seize ans après, elle est une jolie bergère de Bohème – prénommée Perdita – et amoureuse d’un prince déguisé (Florizel, fils de Polixenes, à qui la mésalliance déplaît). Les amoureux s’enfuient en Sicile, Perdita (Sarah Lamb) retrouve son père, les amis se réconcilient, et Hermione cachée tout ce temps par la fidèle Pauline (Zenaida Yanowsky) réapparaît comme par miracle. La fille et la mère se découvrent. Seul Mamillus reste définitivement mort.

La production joue de l’opposition entre deux pôles – la tragédie, grisâtre et lunaire (Sicile) et la comédie, fluorescente et solaire (Bohème) – dont le troisième acte assure la réunion. Pour peu qu’on ait rapidement parcouru le synopsis, le fil narratif se suit aisément ; grâce à une combinaison astucieuse entre décor, musique, mouvement et lumières, on entre ainsi aisément dans la tête d’un jaloux qui imagine le pire. Il faut dire que la chorégraphie met en valeur la faculté d’acuité douloureuse d’un Edward Watson aux jambes-ciseaux, aux doigts écartelés et aux yeux hallucinés. Les autres rôles aussi taillés sur mesure pour l’innocence laiteuse et la légèreté de Lauren Cuthbertson, le charme irrésistible de Bonelli, l’infaillibilité de Zenaida Yanowsky, la fraîcheur presque enfantine de Sarah Lamb, comme pour la grisante juvénilité saltatoire de Steven McRae (Florizel).

Tout n’est pas réussi aux actes I et III : la mort de Mamillus et l’évanouissement d’Hermione tombent un peu platement, et lors du touchant moment où la statue d’Hermione prend vie, le climax musical est franchement trop badaboum. Mais on se souviendra longtemps des deux séries de tours arabesque d’Hermione, qui disent l’innocence lors de la scène du procès, et se teintent d’un soupçon de reproche au moment des retrouvailles avec Léonte.

Au cœur de l’œuvre, l’acte bohémien est d’une gaieté à donner le tournis. Le spectateur y est éclaboussé d’une incroyable débauche de couleurs étalées sur les robes pastel des filles et les jupes asymétriques des garçons, dont chaque pirouette, dévoilant une doublure à motif inattendu, est une surprise pour l’œil. La fête du mois de mai est parsemée de motifs subtils et de petites inventions (les petits ronds de jambe vers l’arrière, en parallèle cuisse contre cuisse) dont Sarah Lamb s’empare avec la gourmandise d’une collégienne. Les mouvements d’ensemble épatent, mais les échanges entre Perdita/Florizel restent simplement décoratifs (alors que dans Alice, les pas de deux avec le valet de cœur étaient pétris d’émotion). Nous sommes en féérie et ce Conte d’hiver aux curieux accents orientalisants – par la couleur, la musique ou le mouvement – fait facilement prendre le large.

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