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Roméo et Juliette de Jean-Christophe Maillot au ballet du Capitole: Tragédie à Grande Vitesse

La saison 2022-2023 du ballet du Capitole a brillamment débuté avec l’entrée au répertoire, pour hélas seulement 5 petites dates, d’un monument du ballet d’action, Roméo et Juliette de Prokofiev, dans la très belle et très épurée version de Jean-Christophe Maillot. À la tête du ballet du Capitole, Kader Belarbi parvient encore à innover puisque c’est apparemment la première fois qu’une œuvre du célèbre chorégraphe français, à la tête du célébré ballet de Monte Carlo, est adoptée par une compagnie française. Ce Roméo et Juliette n’est pas une nouveauté – créé il y a déjà 25 ans, on avait pu le voir peu après sa création au théâtre des Champs Élysées – mais il garde pourtant à ce jour toute sa modernité.

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Roméo et Juliette (Jean Christophe Maillot). Ballet du Capitole. Photographie David Herrero

La production tout d’abord n’a pas pris une ride. Exit les boursouflures dorées des décors et les kilomètres de velours des productions classiques. Le décor mouvant minimaliste d’Ernest Pignon-Ernest, fait de quatre grandes parois planes ou courbes, suffisent à suggérer une place écrasée de soleil ou la chambre d’un palais. Une grande chaussée en forme de virgule sera alternativement chemin de repli pour Roméo ou balcon toboggan pour Juliette. Les costumes médiévalisants de Jérôme Kaplan, réduits à l’épure, proposent une variation sur le noir et le blanc : blanc des Montaigu, allant du blanc cassé au crème,  noir des Capulet allant du gris taupe au noir solide (Tybalt) en passant par l’argent terni pour Rosaline. Juliette quant à elle porte une tunique dorée pour le bal. Le seul à porter ces deux non couleurs de manière tranchée est Frère Laurent qui essaye vainement d’agir et de s’interposer entre les deux familles ennemies. Les accessoires sont réduits au strict minimum. Il n’y a pas de duel à l’épée. Tybalt tue Mercutio à coup de masse et Roméo l’étrangle avec le drap ensanglanté de Mercutio. À la fin du ballet, il s’empale sur le lit catafalque triangulaire de Juliette. Cette dernière serre autour de son cou un foulard pourpre pour à son tour mettre fin à ses jours.

La chorégraphie de Jean-Christophe Maillot joue sur les oppositions de masse plutôt que sur le nombre de danseurs. Lors de la scène de rivalité qui ouvre le ballet, on a moins d’une dizaine de Capulets ou de Montaigus, pourtant le plateau semble submergé par le bruit et la fureur. Le bal des Capulets se recentre sur les interactions entre les différents protagonistes, l’assemblée des invités ne faisant que des traversées subreptices de la scène. À l’acte 2, les baladins sont remplacés par un facétieux jeu de guignol qui raconte l’histoire des héros, de leur rencontre au bal jusqu’au dénouement tragique. Ce format presque « de chambre » convient bien à la taille de la compagnie et on peut compter sur les danseurs du Capitole pour, comme toujours et bien que le corps de ballet ait été sérieusement renouvelé, enflammer le plateau.

La gestuelle de Maillot est fiévreuse. Les danseurs effectuent des mouvements sémaphoriques voire télégraphiques des bras qui semblent exprimer la vitalité débordante mais aussi la violence de ces sociétés où plus de la moitié de la population a moins de 15 ans. Les danseurs, bien que sur la musique, semblent toujours être dans « l’accéléré ». On glisse, on tombe parfois sur le postérieur.

Pendant la scène du balcon, Roméo s’élance vers Juliette, plonge et glisse sous ses jambes, se retrouvant au moins un mètre derrière elle. Les maladresses touchantes sont en effet inscrites dans la chorégraphie. Pendant la scène du bal, Juliette agite les mains comme une jeune fille un peu écervelée. Elle semble dire des riens à Roméo avant de lui voler un baiser (en effet, dans cette version, Roméo ne décide de pas grand chose). Mais dans une rencontre amoureuse, les propos n’ont-ils pas en général que peu d’importance? Ce qui se dit est souvent anodin, voire trivial. C’est finalement le sentiment de la connexion impalpable qui restera dans la mémoires des deux amants.

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Roméo et Juliette (Jean Christophe Maillot). Ballet du Capitole. Ramiro Gomez Samon (Mercutio), Alexandre de Oliveira Ferreira (Tybalt), Philippe Solano (Benvolio). Photographie David Herrero

Plus qu’expressionniste la chorégraphie est cartoonesque. Les protagonistes ressemblent à des personnages de dessin animé, soulignant leur grande jeunesse. Même dans le pas de deux du balcon, la gravité et le lyrisme ne s’introduisent qu’à la fin, comme par surprise.

En revanche, Jean-Christophe Maillot sait changer de rythme lorsque cela est nécessaire. La scène du double meurtre de l’acte 2 est ainsi traitée comme un ralenti cinématographique. Il utilise également les poses statuaires dans son traitement du personnage de frère Laurent qui observe l’histoire se dérouler comme a posteriori.

Ce personnage à la gestuelle particulièrement expressionniste (il apparaît dès le début de ballet, additionnant les poses de Pietà en compagnie de ses deux acolytes en blanc) prend une place de plus en plus prégnante dans le ballet au point de devenir presque encombrant à l’acte 3 lorsqu’il assiste au double suicide de Roméo et Juliette et semble converser avec l’héroïne.

Dans ce rôle, créé pour Gaëtan Morlotti, Ruslan Savdenov fait montre d’une grande puissance expressive. L’ensemble de la distribution ne lui cède en rien dans l’engagement. Ramiro Gomez Samon et Philippe Solano respectivement en Mercutio et Benvolio forment un tandem roboratif. Leurs étourdissantes pirouettes et leurs facéties saltatoires nous ont enthousiasmé. Leur connexion parait évidente. Dans le rôle du très noir Tybalt, Alexandre Ferreira séduit par son ballon et par le côté acéré de ses lignes. Néanmoins il n’efface pas le souvenir de Francesco Nappa que j’ai vu il y a bien longtemps dans ce même rôle. En effet, sa connexion avec ses lady Capulet en alternance n’a pas ce côté charnel et quasi incestueux qui m’avait frappé alors. Dans ce second rôle féminin, Alexandra Sudoreeva (le 28) cisèle en première distribution sa jolie ligne pour portraiturer une matriarche pleine de séduction, de morgue mais fort peu aimante. Pour l’amour, il faut regarder du côté de la nourrice (Nancy Osbaldeston, qui réussit à danser « adipeux » sans renoncer à la vivacité et au charme. Son désespoir à la mort de Juliette est d’une belle expressivité). Marlen Fuerte, en seconde distribution (le 30), tire sa lady Capulet du côté de la vamp’ au détriment de celui de la cheffe de famille. En revanche, son désespoir de lionne blessée à la mort de Tybalt est impressionnant. En première distribution, la danseuse interprète une très séductrice Rosaline que se disputent, à l’acte 1, Roméo et Tybalt. En seconde distribution, Juliette Itou, plus réservée, séduit par sa ligne réminiscente de celle de Bernice Coppieters, muse de Maillot, créatrice de Juliette et aujourd’hui répétitrice pour cette entrée du ballet au répertoire du Capitole.

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Roméo et Juliette (Jean Christophe Maillot). Ballet du Capitole. Alexandra Sudoreeva (Lady Capulet) et Natalia de Froberville (Juliette). Photographie David Herrero

Natalia de Froberville qui interprète Juliette est fort différente de Coppieters. Plus petite mais surtout moins androgyne, elle se coule néanmoins avec son habituelle efficience dans les pas de Juliette. Plus à l’aise le soir de la première dans l’exaltation juvénile que dans la passion ou le paroxysme du désespoir, elle progresse nettement dans ces derniers registres lors de la troisième représentation. On goûte alors particulièrement ce moment où, après s’être laissé glisser le long du balcon toboggan, elle s’assoit sur son bord, figurant une hirondelle sur un fil électrique. Minoru Kaneko, plus en retrait en Roméo le soir de la première, connaît aussi une belle progression lors de la troisième représentation du 30 octobre. Il portraiture merveilleusement le chien fou au moment de son entrée dans l’église lors de la scène du mariage, sous l’orbe textile actionnée par les deux acolytes de frère Laurent. Dans le duo qui ouvre l’acte, moment où le chorégraphe autorise enfin le lyrisme et l’abandon à ses interprètes, Kaneko et Froberville (laquelle danse tout l’acte pieds nus) parviennent à créer un moment de suspension et de plénitude amoureuse.

Souhaitons donc une très prochaine reprise de ce ballet qui va déjà si bien au Ballet du Capitole en dépit du peu de représentations qui lui ont été imparties.

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Roméo et Juliette (Jean Christophe Maillot). Ballet du Capitole. Minoru Kaneko (Roméo) et Natalia de Froberville (Juliette). Photographie David Herrero

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Roméo et Juliette : course en solitaire

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Roméo et Juliette : Osiel Gouneo (Roméo) et Valentine Colasante (Juliette)

Roméo et Juliette, Rudolf Noureev. Ballet de l’Opéra de Paris. Représentation du jeudi 24 juin 2021.

C’est toujours avec émotion que je retrouve une production d’un grand ballet dans une chorégraphie de Rudolf Noureev. Personnellement je suis « né à la danse » avec elles et chacun des détails, même ceux que j’ai dû apprendre à aimer, sont aujourd’hui chéris. Aussi, la déception est cuisante quand on n’adhère pas, comme cela a été mon cas l’autre soir. L’Opéra recevait un invité, Osiel Gouneo, pour danser Roméo aux côtés d’une Juliette maison, Valentine Colasante, dont c’étaient les débuts dans ce rôle en tant que danseuse étoile de l’Opéra de Paris.

Tout commence par la production, un tantinet boursoufflée mais habituellement pas sans grandeur d’Ezio Frigerio (décors) et de Mauro Pagano (costumes). Las, les lumières riches et translucides de Vinicio Cheli, remontées ici par Jacopo Pantani, n’y sont pas. Il y a certes toujours une certaine réticence dans la Grande boutique à utiliser des spots suiveurs mais ici, le parti-pris semble avoir été porté trop loin. Le ballet se joue trop souvent dans la pénombre. La scène de rixe de l’acte 1 en souffre particulièrement. Le duc de Vérone sur sa sedia gestatoria rentre et sort ni vu ni connu. Durant la scène 2, l’amant qui appelle la nourrice de Juliette passe inaperçu. La danse « des chevaliers » parait terne. Surtout, les décors inspirés des vues idéales de cités de la Renaissance et leurs ciels à la Mantegna apparaissent éteints et plats.

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Jeremy-Loup Quer (Benvolio) et Marc Moreau (Mercutio)

Mais il arrive parfois que le feu des artistes pallie ce que les éclairages n’offrent pas. Ce n’était pas le cas au soir du 24 juin. Osiel Gouneo, un danseur cubain aujourd’hui fixé au Bayerische Staatsoper qu’on avait déjà vu à deux reprises sur scène (avec l’English National Ballet et avec le ballet de Cuba), ne nous a, encore une fois, pas fait grande impression. Doté d’un bon temps de saut mais de réceptions un peu sèches, d’un pied à bonne cambrure mais pas toujours très tendu, il paraît, dans la chorégraphie intriquée de Noureev, souvent entre deux positions. Les poids du corps sont souvent faux, ainsi dans ces développés en quatrième croisée de la première entrée de Roméo où le danseur doit projeter son haut du buste très en arrière avant de piquer loin en arabesque. Spécialiste de la pyrotechnie cubaine – des prouesses impressionnantes entrelardées de longs temps de placement – Osiel Gouneo n’était peut-être pas montré à son avantage dans le plus noureevien des ballets de Noureev, où tout est dans un flot continu de pas de liaison. Une Bayadère ou un Don Quichotte aurait peut-être un meilleur spectacle d’intronisation à l’Opéra. Son style dénote donc avec ses partenaires formés à cette école : Audric Bezard en Tybalt bougon et très « cravache », Marc Moreau en Mercutio acéré et primesautier ou Jeremy-Loup Quer en Benvolio conciliateur.

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Valentine Colasante (Juliette), Audric Bezard (Tybalt) et Sara-Kora Dayanova (Lady Capulet)

Du coup, le personnage d’Osiel-Roméo a du mal à sortir. Le garçon est souriant et sympathique mais sa psychologie reste la même d’un bout à l’autre du ballet. Dans sa scène de désespoir à l’annonce de la mort de Juliette par Benvolio, le danseur saute très haut en l’air avant d’être réceptionné par Jeremy-Loup Quer au lieu de se projeter violemment en arrière, mettant l’accent sur la technique plutôt que sur l’expression.

D’un petit gabarit, son partenariat avec Valentine Colasante, plus grande que lui quand elle est sur pointes, est certes très travaillé et au point mais ne parvient jamais à être lyrique ou même signifiant.

C’est dommage, Valentine Colasante à l’étoffe d’une très grande Juliette dans la veine des héroïnes non-romantiques voulues par Noureev. La danseuse dégage dès la première scène une grande maturité. Sa scène de « folie » devant le corps de Tybalt est d’une vraie puissance dramatique de même que sa confrontation avec ses parents à l’acte 2. Sa volonté têtue et sa détermination deviennent toujours plus évidentes au fur et à mesure qu’on approche de l’inéluctable dénouement : une vraie course au tombeau. Course hélas solitaire…

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Roméo et Juliette. Valentine Colasante et Osiel Gouneo. Saluts.

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Romeo and Juliet, Diop and Baulac : “Who straight on kisses dream.”

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Romeo & Juliet. Curtain calls. Guillaume Diop, Léonore Baulac and Company.

Paris Opera Ballet, Tuesday, June 15th 2021.

In the unexpected debut of Guillaume Diop — a youngster still only in the corps de ballet – he, along with his Léonore Beaulac, opted for a less-often used interpretation of the “star-cross’d lovers.” The sweet and tender thrum of their connection re-centered this ballet around youthful innocence rather than around the obsessive force of sexual desire. Shakespeare’s text leaves room for just how young these youngsters might be, even if he specifies that Juliet is a ripe thirteen…

Diop, de même que Léonore Baulac, a opté pour une interprétation moins usitée des amants « nés sous une mauvaise étoile ». Le doux et tendre continuo de leur connexion a recentré ce ballet autour de la juvénile innocence plutôt que de la force obsédante du désir. […]

Love goes toward love, as schoolboys from their books.”

Guillaume Diop’s way of dancing reminds me of the Hugo Marchand of maybe five years ago. Like Marchand back then, Diop has style already and everything else ready to go. Unaffectedly expansive épaulement giving you the impression that his arms actually start down there at the belly-button. Long legs performing effortless and unpretentious, but huge, leaps that end in silent and soft landings only to then extend out into high arabesques without any ostentation or exaggeration.  But, like Marchard back then, Diop just needs to concentrate a little bit more on enriching the control of his feet. Not that his are limp, not at all, he can certainly point them but…if he could just send a bit more energy down there and out from there, play more with the relevé, he could give them the same force as those of his unostentatiously powerful hands. And yes he will need to continue to burnish and polish those little details that only come from practice (holding on to turn-out when coming out of a phrase).

At the tender age of twenty (when men’s bodies only become fully mature and resilient around age twenty-three), Diop proved that he is already a reliable and attentive partner: reactive, confident and not stiff. With a few more years of experience in the spotlight, it is clear that he will make his partnering really swing.

But what matters more than these details is that Diop already holds the stage. He demonstrated that technique is meant to be a means, not an end in itself.

So now let us revisit the dramatic events.

Guillaume Diop […] comme l’Hugo Marchand d’il y a 4 ou 5 ans […] a déjà tout et même un peu plus ; des épaulements généreux sans être affectés qui vous donnent l’impression que ses bras sont connectés à son nombril, de longues jambes exécutant des sauts faciles et sans prétentions, quoique prodigieux, s’achevant dans de silencieuses réceptions pour enfin se développer en hautes arabesques sans ostentation ni exagération aucune. Mais comme Marchand alors, Diop doit se concentrer un peu plus pour enrichir le contrôle de ses pieds ; non pas qu’ils soient mous, car il les pointe tout à fait… mais on aimerait qu’il y transmette un peu plus d’énergie… […]

Au tendre âge de 21 ans, […] Diop s’est montré un partenaire solide et attentif : réactif, sûr de lui et sans raideur. […] [La pratique de la scène]  donnera à son partnering plus de « swing ».

Diop a déjà la maîtrise de la scène. […]

O! That I were a glove on that hand/That I might touch that cheek.

When Léonore Baulac’s Juliet pulled the curtain back on the Nurse having sex, her reaction was not about awakened senses but definitely about “eew that’s icky, I don’t want it.”

In the “morning after the wedding night” scene, here it was not about “I am physically-sated and I want more of this action until the end of days.” Instead, the rapport between R&J made you imagine that during all those hours in the dark, what they had been getting up to was exactly what you had once done: stayed up all night whispering more intently than you’d had ever even talked to anyone before, clinging to each other, whispering so as not to wake up the parents. While certainly a bit of exploring boobies and more kissing were probably involved, you sensed their innocence remained intact. My mind drifted back to a childish pact that was once sacred: make a tiny cut, smear pinkies together = blood brothers for life. The French have a great expression for this. You have discovered your “âme soeur,” your soul-mate.

Au lendemain de la nuit des noces […] R&J vous donnaient l’impression que, durant ces heures passées dans le noir, ce qu’ils avaient fait n’était rien d’autre que ce que nous avons tous fait jadis : veiller toute la nuit, murmurant intensément comme on ne l’avait jamais fait avec quelqu’un d’autre, restant collés et chuchotant de peur d’alerter les parents. Bien que cela ait sans doute entraîné un peu plus de frotti-frotta et de gros palots que d’habitude, on sentait que leur innocence était intacte. […]

“A word and a blow”

As Rosalind, a role where you don’t move very much and that has come to constitute an artistic ghetto unto itself for talented ballerinas (Isabelle Ciaravola was stuck in it for years), Hannah O’Neill gave this avatar a pleasing and cheery “oh well why the hell not” elegance.

Lady Capulet and Tybalt had clearly connived to protect Juliet from this mean and ugly world from the day she was born, but you saw nothing Oedipal in their interactions. Emilie Cozette’s pensive and emotionally-exhausted Lady Capulet made me wonder whether she too had once been a headstrong Giulietta with all the joy since worn out of her. Her impulsive slap at Juliet’s refusal to marry Paris, as well as her shocked reaction to her own gesture, illustrated that of a loving mother undone by her so-far-so-perfect child’s first public tantrum. Indeed, the most rough-handed and grouchy person in the room kept turning out to be Yannick Bittancourt’s heavy-spirited Paris.

Florian Magnenet’s Tybalt was in no way sadistic nor mean either. You could just imagine him as a strict but benevolent pater-familias of six clingy kids six years hence.  He, too, cared more about protecting his little cousin than about the whole big fat fuss between the Capulets and Montagues. You could sense that the whole “us vs. them” had bloomed out of provincial boredom [Verona, even today, is a very, very, small town] and that everyone involved in the feud took it only half-seriously.

In the same interpretive vein, Pablo Legassa’s shimmering and sharp-legged Mercutio was “the guy no one can really get mad at.” [Legassa is so ready to play real leading roles, his body and soul are in that “sweet spot.”] And Marc Moreau’s  “I get the joke, guys” Benvolio gave real bounce to the repartee of the boys. As Benvolio, “the nice guy,” too many dancers get too serious and fade into the background while mentally preparing to catch “the big guy’s” grand anguished backward leaps in Act III.  While the back-flips were smoothly-managed rather than frightening, this fit the rapport that had been established between this sweet-dreaming Romeo and this “I have so got your back” Benvolio.

So the duel between Tybalt and Mercutio took on a specific vibe, more school-yard fight between two people saying “don’t be such an ass-hat” than the predictable fight to the death, which made their deaths all the sadder.

Rosalinde : Hannah O’Neill plaisante et joviale

Emilie Cozette, une lady Capulet pensive et émotionnellement épuisée m’a fait me demander si elle n’avait pas été jadis une Giulietta entêtée. […] Yannick Bittancourt Pâris : grognon et la main lourde. Autoritaire.

Le Tybalt de Florian Magnenet : ni méchant ni sadique. Un père de famille strict mais bien intentionné.

Le Mercutio scintillant au jeu de jambe acéré de Pablo Legassa / Marc Moreau : Benvolio, « j’ai compris la blague, les gars ! » donnait parfaitement la répartie aux autres personnages.

Du coup le duel entre Tybalt et Mercutio prit une résonnance particulière, plus querelle de cours d’école que […] prédictible combat à mort, ce qui a rendu leur mort plus triste encore.

O! She doth teach the torches to burn bright!”

Léonore Baulac’s  Juliet  floated on this bubble of love and friendship and good humor. She was that well-brought-up girl whose biggest personal challenge so far had been always winning the dare of “who will jump off the swing at its highest and land the furthest out!”

From the ballroom scene to the balcony scene to the bedroom scene each step of the interplay between these two reminded me of the infinite possibilities that Breughel the Elder’ proffers in  his “Children’s Games” {Kunsthistorisches Museum, Vienna}. It’s there in the choreography, but usually highlighting “patty-cake” suffices for most dancers. Here, while watching the dancers I started to make an inventory of references and to float back to those happiest days of childhood. Oh, hop-scotch, marbles, summersaults….just like when we were all just kids.

As the gentleness of a Tony from West Side Story infused Diop’s Romeo– absolutely a dreamy kid rather than a teenager with raging hormones — his connection to Baulac [she can become so responsive to what her partner is all about] replaced the expected over-heated sensual excitement with something often more true in real life: that lower-key mutual vibe that is the secret for lasting marriages. Your adored partner is in fact your best friend. This does not mean these young people were devoid of strong emotions, quite the opposite.

“When he shall die,/Take him and cut him out in little stars,/And he will make the face of heaven so fine.”

Cute detail: just before kissing Juliet for the first time, Diop’s mouth went wow into an adorable “O” as he inhaled. It was really like that boy aiming his face at you for his first kiss ever, not quite certain where it would land. So sweet.

An oft-cited quote from Nureyev speaks of a boy evolving into a man because of a young woman who “decides everything. She is passionate, head-strong, and more mature than he is.” Here with Guillaume Diop and Léonore Baulac, it was the opposite: a young man and a young woman who are equals in naïvité, equally astonished by a fate they had not anticipated. Neither really wanted to die, but just felt too ashamed to go and talk to their parents and ask for help.

Ces deux-là m’ont évoqué les infinies possibilités que Breughel le jeune présente dans sont « Jeux d’enfant » du Kunsthistorisches Museum de Vienne.

[…]

Le Roméo de Diop est plus un enfant rêveur qu’un adolescent tourmenté par sa poussée d’hormones. Sa connexion à Baulac a remplacé l’attendue excitation des sens par quelque chose de plus réaliste dans la vraie vie : cette connexion plus modérée qui est le secret des mariages qui durent. […] Un jeune homme et une jeune femme qui sont égaux en naïveté, également stupéfiés par ce sort qu’ils n’ont pu anticiper ; aucun des deux n’a jamais vraiment voulu mourir mais ils étaient trop timides pour confronter leurs parents et leur demander de l’aide.

The next day, I began describing what I saw to James. “Ah,” he said, “At the end, then, you wanted them to live so much you were ready to send them a link to a suicide hotline?” Yes, indeed. All of these kids – from Romeo to Juliet to Tybalt to Mercutio to Paris down to the Friar’s messenger – so totally didn’t deserve to, or want to, or need to, die.

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Pieter Breughel the Elder : « Children’s Games ». Kunsthistorisches Museum, Vienna.

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Roméo et Juliette, première (de la classe)

Sae Eun Park et Paul Marque, soirée du 10 juin 2021

Au petit jeu des chaises musicales, personne ne battra jamais l’Opéra de Paris. Le forfait de Germain Louvet propulse les débuts de la distribution n°2 au soir de la Première, avec à la clef une nomination cousue de fil blanc pour Sae Eun Park (quand le directeur est dans la salle, on sait ce qui se passe à l’issue de la représentation). Pour leur double prise de rôle, Paul Marque et la dernière nommée des étoiles du ballet de l’Opéra de Paris livrent un Roméo et Juliette appliqué.

Roméo Marque a de jolies qualités – un bas de jambe véloce, un pied caressant spirituellement le sol, une facilité dans les tours rapides, de jolis temps de saut – mais on voit encore un peu trop le bon élève qui veut bien faire, et se concentre par moments plus sur son enchaînement que sur son rôle. Au premier acte, il n’exprime pas de manière très visible son attrait sensuel pour Rosaline (Héloïse Bourdon), ni la sidération de l’amour lors de la rencontre avec Juliette Park.

Les deux solistes font partie de cette catégorie de danseurs dont les expressions faciales peinent à passer la rampe. Il leur faut extérioriser leurs sentiments autrement, et peut-être n’ont-ils pas encore trouvé la manière. Lors de son entrée en scène, dans la maison des Capulets, Mlle Park joue – un peu trop à mon goût – une petite fille (sa facilité de saut le lui permet), que la naissance de l’amour ne transformera pas beaucoup.

C’est peut-être que l’interaction entre les amoureux se concentre trop sur la partition, et pas assez sur la narration. L’adage du balcon démarre sans intensité parce que Paul Marque n’investit pas son solo d’entrée de suffisamment d’attente amoureuse (l’adage introspectif n’est pas son point fort). Et on passe les minutes qui suivent à attendre en vain une montée en tension : faute de sel et de poivre, de charme et d’abandon, les portés, qui devraient nous soulever aussi, ne donnent qu’une impression de précipitation. C’est l’impétuosité de la chorégraphie de Noureev qui porte l’histoire et non l’interprétation qui la rendrait sensible.

Mlle Park, dont la Tatiana m’avait frappé par son côté désespérément scolaire, est plus à son aise en Juliette amoureuse (à l’acte I, le personnage n’est pas encore dramatique), mais son incarnation manque de variété quand il s’agit de rendre la ferveur mystique (le mariage secret), la colère (fin de l’acte II), l’amour teinté de reproche et de désespoir (pas de deux de la chambre), l’irrésolution entre le couteau et le poison (scène avec les fantômes de Tybalt et Mercutio).

Elle réussit mieux l’absence (avec un regard douloureusement éteint lorsque la mort l’étreint au début du 3e acte), et la mort (la toute fin, qui émeut enfin un peu, montre que Sae Eun Park peut hurler de douleur).

Le défaut d’expression n’est pas qu’une question de visage (d’autres interprètes surmontent ce handicap, et damoiseau Marque y parvient un peu mieux), il se manifeste dans tout le corps (certains danseurs, de dos, fascinent encore). Chez Mlle Park, on a l’impression qu’il manque la dimension de la respiration (je n’ai vu qu’une fois sa poitrine se soulever durant toute la représentation), mais aussi une connexion organique entre le torse et les bras (lors du rêve de Roméo à Mantoue, les six incarnations supplémentaires de la vision de Juliette ont des bras plus intéressants, parce que plus vivants).

En Tybalt, Jérémy-Loup Quer semble promettre le meilleur avec une superbe diagonale de sauts, mais par la suite, il s’avèrera à la fois trop peu martial et trop peu dans le sol (durant la danse des chevaliers). En revanche, Francesco Mura campe un Mercutio irrésistible, hâbleur, sauteur, bon acteur, et à parité d’espièglerie avec le Benvolio de  Fabien Révillion. On remarque chez Paul Marque un superbe effondrement lorsqu’il rechigne à attaquer Tybalt, préfigurant la scène poignante où il se jette en arrière dans les bras de Benvolio. Toutes les scènes d’escrime sont réussies.

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Pas de deux at the Paris Opera Ballet : Baby Can YOU drive my car?

The extended apron thrust forward across where the orchestra should have been gave many seats at the Palais Garnier – already not renowned for visibility — scant sightlines unless you were in a last row and could stand up and tilt forward. Were these two “it’s a gala/not a gala” programs worth attending? Yes and/or no.

Evening  Number One: “Nureyev” on Thursday, October 8, at the Palais Garnier.

Nureyev’s re-thinkings of the relationship between male and female dancers always seek to tweak the format of the male partner up and out from glorified crane operator into that of race car driver. But that foot on the gas was always revved up by a strong narrative context.

Nutcracker pas de deux Acts One and Two

Gilbert generously offers everything to a partner and the audience, from her agile eyes through her ever-in-motion and vibrantly tensile body. A street dancer would say “the girlfriend just kills it.” Her boyfriend for this series, Paul Marque, first needs to learn how to live.

At the apex of the Act II pas of Nuts, Nureyev inserts a fiendishly complex and accelerating airborne figure that twice ends in a fish dive, of course timed to heighten a typically overboard Tchaikovsky crescendo. Try to imagine this: the stunt driver is basically trying to keep hold of the wheel of a Lamborghini with a mind of its own that suddenly goes from 0 to 100, has decided to flip while doing a U-turn, and expects to land safe and sound and camera-ready in the branches of that tree just dangling over the cliff.  This must, of course, be meticulously rehearsed even more than usual, as it can become a real hot mess with arms, legs, necks, and tutu all in getting in the way.  But it’s so worth the risk and, even when a couple messes up, this thing can give you “wow” shivers of delight and relief. After “a-one-a-two-a-three,” Marque twice parked Gilbert’s race car as if she were a vintage Trabant. Seriously: the combination became unwieldy and dull.

Marque continues to present everything so carefully and so nicely: he just hasn’t shaken off that “I was the best student in the class “ vibe. But where is the urge to rev up?  Smiling nicely just doesn’t do it, nor does merely getting a partner around from left to right. He needs to work on developing a more authoritative stage presence, or at least a less impersonal one.

 

Cendrillon

A ballerina radiating just as much oomph and chic and and warmth as Dorothée Gilbert, Alice Renavand grooved and spun wheelies just like the glowing Hollywood starlet of Nureyev’s cinematic imagination.  If Renavand “owned” the stage, it was also because she was perfectly in synch with a carefree and confident Florian Magnenet, so in the moment that he managed to make you forget those horrible gold lamé pants.

 

Swan Lake, Act 1

Gently furling his ductile fingers in order to clasp the wrists of the rare bird that continued to astonish him, Audric Bezard also (once again) demonstrated that partnering can be so much more than “just stand around and be ready to lift the ballerina into position, OK?” Here we had what a pas is supposed to be about: a dialogue so intense that it transcends metaphor.

You always feel the synergy between Bezard and Amandine Albisson. Twice she threw herself into the overhead lift that resembles a back-flip caught mid-flight. Bezard knows that this partner never “strikes a pose” but instead fills out the legato, always continuing to extend some part her movements beyond the last drop of a phrase. His choice to keep her in movement up there, her front leg dangerously tilting further and further over by miniscule degrees, transformed this lift – too often a “hoist and hold” more suited to pairs skating – into a poetic and sincere image of utter abandon and trust. The audience held its breath for the right reason.

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Manfred

Bewildered, the audience nevertheless applauded wildly at the end of this agonized and out of context solo. Pretending to themselves they had understood, the audience just went with the flow of the seasoned dancer-actor. Mathias Heymann gave the moment its full dose of “ah me” angst and defied the limits of the little apron stage [these are people used to eating up space the size of a football field].

Pas de deux can mostly easily be pulled out of context and presented as is, since the theme generally gravitates from “we two are now falling in love,” and “yes, we are still in love,” to “hey, guys, welcome to our wedding!” But I have doubts about the point of plunging both actor and audience into an excerpt that lacks a shared back-story. Maybe you could ask Juliet to do the death scene a capella. Who doesn’t know the “why” of that one? But have most of us ever actually read Lord Byron, much less ever heard of this Manfred? The program notes that the hero is about to be reunited by Death [spelled with a capital “D”] with his beloved Astarté. Good to know.

Don Q

Francesco Mura somehow manages to bounce and spring from a tiny unforced plié, as if he just changed his mind about where to go. But sometimes the small preparation serves him less well. Valentine Colasante is now in a happy and confident mind-set, having learned to trust her body. She now relaxes into all the curves with unforced charm and easy wit.

R & J versus Sleeping Beauty’s Act III

In the Balcony Scene with Miriam Ould-Braham, Germain Louvet’s still boyish persona perfectly suited his Juliet’s relaxed and radiant girlishness. But then, when confronted by Léonore Baulac’s  Beauty, Louvet once again began to seem too young and coltish. It must hard make a connection with a ballerina who persists in exteriorizing, in offering up sharply-outlined girliness. You can grin hard, or you can simply smile.  Nothing is at all wrong with Baulac’s steely technique. If she could just trust herself enough to let a little bit of the air out of her tires…She drives fast but never stops to take a look at the landscape.

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As the Beatles once sang a very, very, long time ago:

 « Baby, you can drive my car
Yes, I’m gonna be a star
Baby you can drive my car
And maybe I’ll love you »

Evening Two: “Etoiles.”  Tuesday, October 13, 2020.

We were enticed back to the Palais Garnier for a thing called “Etoiles {Stars] de l’Opera,” where the program consisted of…anything and everything in a very random way.  (Plus a bit of live music!)

Clair de lune by Alistair Marriott (2017) was announced in the program as a nice new thing. Nice live Debussy happened, because the house pianist Elena Bonnay, just like the best of dancers, makes all music fill out an otherwise empty space.

Mathieu Ganio, sporting a very pretty maxi-skort, opened his arms sculpturally, did a few perfect plies à la seconde, and proffered up a few light contractions. At the end, all I could think of was Greta Garbo’s reaction to her first kiss in the film Ninochka: “That was…restful.”  Therefore:

Trois Gnossiennes, by Hans van Manen and way back from 1982, seemed less dated by comparison.  The same plié à la seconde, a few innie contractions, a flexed foot timed to a piano chord for no reason whatever, again. Same old, eh? Oddly, though, van Manen’s pure and pensive duet suited  Ludmila Paglerio and Hugo Marchand as  prettily as Marriott’s had for Ganio. While Satie’s music breathes at the same spaced-out rhythm as Debussy’s, it remains more ticklish. Noodling around in an  absinth-colored but lucid haze, this oddball composer also knew where he was going. I thought of this restrained little pas de deux as perhaps “Balanchine’s Apollo checks out a fourth muse.”  Euterpe would be my choice. But why not Urania?

And why wasn’t a bit of Kylian included in this program? After all, Kylain has historically been vastly more represented in the Paris Opera Ballet’s repertoire than van Manen will ever be.

The last time I saw Martha Graham’s Lamentation, Miriam Kamionka — parked into a side corridor of the Palais Garnier — was really doing it deep and then doing it over and over again unto exhaustion during  yet another one of those Boris Charmatz events. Before that stunt, maybe I had seen the solo performed here by Fanny Gaida during the ‘90’s. When Sae-Un Park, utterly lacking any connection to her solar plexus, had finished demonstrating how hard it is to pull just one tissue out of a Kleenex box while pretending it matters, the audience around me couldn’t even tell when it was over and waited politely for the lights to go off  and hence applaud. This took 3.5 minutes from start to end, according to the program.

Then came the duet from William Forsythe’s Herman Schmerman, another thingy that maybe also had entered into the repertoire around 2017. Again: why this one, when so many juicy Forsythes already belong to us in Paris? At first I did not remember that this particular Forsythe invention was in fact a delicious parody of “Agon.” It took time for Hannah O’Neill to get revved up and to finally start pushing back against Vincent Chaillet. Ah, Vincent Chaillet, forceful, weightier, and much more cheerfully nasty and all-out than I’d seen him for quite a while, relaxed into every combination with wry humor and real groundedness. He kept teasing O’Neill: who is leading, eh? Eh?! Yo! Yow! Get on up, girl!

I think that for many of us, the brilliant Ida Nevasayneva of the Trocks (or another Trock! Peace be with you, gals) kinda killed being ever to watch La Mort du cygne/Dying Swan without desperately wanting to giggle at even the idea of a costume decked with feathers or that inevitable flappy arm stuff. Despite my firm desire to resist, Ludmila Pagliero’s soft, distilled, un-hysterical and deeply dignified interpretation reconciled me to this usually overcooked solo.  No gymnastic rippling arms à la Plisetskaya, no tedious Russian soul à la Ulanova.  Here we finally saw a really quietly sad, therefore gut-wrenching, Lamentation. Pagliero’s approach helped me understand just how carefully Michael Fokine had listened to our human need for the aching sound of a cello [Ophélie Gaillard, yes!] or a viola, or a harp  — a penchant that Saint-Saens had shared with Tchaikovsky. How perfectly – if done simply and wisely by just trusting the steps and the Petipa vibe, as Pagliero did – this mini-epic could offer a much less bombastic ending to Swan Lake.

Suite of Dances brought Ophélie Gaillard’s cello back up downstage for a face to face with Hugo Marchand in one of those “just you and me and the music” escapades that Jerome Robbins had imagined a long time before a “platform” meant anything less than a stage’s wooden floor.  I admit I had preferred the mysterious longing Mathias Heymann had brought to the solo back in 2018 — especially to the largo movement. Tonight, this honestly jolly interpretation, infused with a burst of “why not?” energy, pulled me into Marchand’s space and mindset. Here was a guy up there on stage daring to tease you, me, and oh yes the cellist with equally wry amusement, just as Baryshnikov once had dared.  All those little jaunty summersaults turn out to look even cuter and sillier on a tall guy. The cocky Fancy Free sailor struts in part four were tossed off in just the right way: I am and am so not your alpha male, but if you believe anything I’m sayin’, we’re good to go.

The evening wound down with a homeopathic dose of Romantic frou-frou, as we were forced to watch one of those “We are so in love. Yes, we are still in love” out of context pas de deux, This one was extracted from John Neumeier’s La Dame aux Camélias.

An ardent Mathieu Ganio found himself facing a Laura Hecquet devoted to smoothing down her fluffy costume and stiff hair. When Neumeier’s pas was going all horizontal and swoony, Ganio gamely kept replacing her gently onto her pointes as if she deserved valet parking.  But unlike, say, Anna Karina leaning dangerously out of her car to kiss Belmondo full throttle in Pierrot le Fou, Hecquet simply refused to hoist herself even one millimeter out of her seat for the really big lifts. She was dead weight, and I wanted to scream. Unlike almost any dancer I have ever seen, Hecquet still persists in not helping her co-driver. She insists on being hoisted and hauled around like a barrel. Partnering should never be about driving the wrong way down a one-way street.

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Romeo und Julia à Zurich: le drame sans l’innocence

Opéra de Zurich

Romeo und Julia, chorégraphie de Christian Spuck, Ballett Zürich, soirée du 25 mai 2019

Au début du Romeo und Julia de Christian Spuck, repris en cette fin de saison par le ballet de Zurich, un personnage mystérieux trace au sol, à la craie, un trait blanc séparant la scène en son milieu. Avant ce geste, l’assistance désœuvrée pouvait passer pour une troupe d’escrimeurs au repos. Après aussi, puisque rien dans l’habillement ne différencie nettement Capulets et Montaigus, et que les danseurs n’auront de cesse de franchir la ligne. Le trait matérialise une tension qui n’en reste pas moins un paysage mental. Et qui relève de l’ordre de la fatalité. Comme on le comprend progressivement, celui qui dessine la ligne n’est autre que le Frère Laurent, qui paraît une incarnation de l’aveugle destin quand il chausse ses lunettes noires (le personnage biface est interprété par Filipe Portugal).

Bref, le ton est donné, mais n’anticipons pas. La première scène est clairement du côté du jeu, avec un dessin très architecturé, une chorégraphie virevoltante ; on reconnaît aisément le style Spuck, plus grand saut que petite batterie, offrant toujours beaucoup de parcours aux danseurs. Certains sauts de garçon sont un clin d’œil à Cranko (le directeur du ballet de Zürich a été chorégraphe en résidence à Stuttgart, et connaît manifestement son répertoire).

Le harcèlement que subit un malheureux Capulet aux prises avec des Montaigus aussi cruels que badins dégénère vite en bataille rangée. On sort les épées, mais on n’oublie pas de danser (jolie prouesse du chorégraphe comme des interprètes). Les évolutions se font plus linéaires lors de la fête chez les Capulet, où un certain hiératisme est de mise. Au début du bal, chaque membre du pack des hommes de la famille semble évoluer autour de son épée, qui accède ainsi au saisissant statut de partenaire de vie.

Romeo und Julia (c) Gregory Batardon, courtesy Ballett Zürich

Par la suite, le spectateur-midinette guette le moment de la rencontre entre Juliette et Roméo. Tous les ingrédients narratifs sont en place – irascible Tybalt, farfadets Mercutio et Benvolio faisant diversion, nourrice entremetteuse –, mais après l’initial coup de foudre, pas de crescendo. La construction de la scène ne rend pas très lisible le jeu des personnages principaux visant à se retrouver malgré l’obstacle de la foule et le contrôle des parents. Mais surtout, Roméo et Juliette manquent d’innocence. À aucun moment on ne perçoit chez eux l’étincelle du premier amour. Est-ce l’apparence des interprètes ? Cela joue sans doute : vus de près, Katja Wünsche et William Moore, sur qui Christian Spuck a créé son ballet en 2012, et qui incarnent à nouveau le couple maudit au soir de la première, projettent davantage l’expérience que la jeunesse.

Romeo und Julia (c) Gregory Batardon

Cependant, leur incarnation ne fait qu’accentuer une impression qui procède de la chorégraphie : la partition de Juliette fourmille de grands ronds de jambe en l’air qui respirent la maîtrise et l’ostentation, et le pas de deux du balcon fait figure de parade pour partenaires aguerris. Quant à celui du début de l’acte III, il peine à faire ressentir la douleur de la séparation autrement que par le truchement de la pantomime et l’aide d’intervenants extérieurs (d’un côté, Laurent traîne Roméo, de l’autre, la nourrice éloigne Juliette).

Qui plus est, certaines options sont dramatiquement curieuses ; faire de Pâris (Jan Casier) un personnage maniéré et imbu de lui-même prive son partenariat avec Juliette de toute potentialité sentimentale (qui ferait contraste avec l’éveil suscité par Roméo). Et puis, un Roméo dansant en tee-shirt lamé argenté décolleté pendant la scène du balcon, en ensuite – jusqu’à la fin – torse nu sous sa veste non boutonnée, fait plus victime de la mode qu’amoureux transi.

Frustrant quant à la peinture de l’amour, le Romeo und Julia de Spuck convainc davantage dans sa face tragique, qu’il s’agisse de la mort de Mercutio (Daniel Mulligan), poignante comme un déchirement d’entrailles, ou des affres de l’ingestion du poison chez Juliette. La distribution de la première réserve aussi une marquante opposition entre rousse glaciale (Eva Dewaele en comtesse Capulet) et rousse comique (Elena Vostrotina en nourrice). Une remarquable scénographie (décors de Christian Schmidt et lumières de Reinhard Traub) transforme la scène en catafalque (fin du 2e acte), puis en caveau éclairé à la bougie (4e acte). À la toute fin (attention, je vous la divulgâche), Juliette se réveille assez tôt pour voir Roméo mourir dans des transports de douleur. À ce moment comme dans d’autres, la douleur et la vie qui se disloque sont montrées de façon stridente, en écho à la partition de Prokofiev. Il faut dire que, sous la direction inspirée de Michail Jurowski, l’orchestre fait sonner certains pupitres comme jamais on ne les avait entendus.

Romeo und Julia (c) Monika Rittershaus, courtesy of Ballett Zürich

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A Toulouse : ce que Noureev me dit 2/2

Théâtre du Capitole – salle. Crédit : Patrice Nin

Programme Dans les pas de Noureev. Ballet du Capitole de Toulouse. Samedi 20 octobre (soirée)  et dimanche 21 octobre (matinée)  [suite]

Dans la partie centrale du programme, comprise entre deux entractes, qu’on appellera la  » partie de l’escalier »  (aviez-vous remarqué qu’il y en a souvent un fixe dans les productions de Noureev ?), l’intérêt était aiguisé par une autre entrée au répertoire, celle du pas de deux « au tabouret » extrait du Cendrillon hollywoodien créé par Noureev en 1986 pour Sylvie Guillem et Charles Jude. Pour ce duo, avec cette fois-ci les costumes originaux d’Hanae Mori, la difficulté est de trouver le bon équilibre entre la retenue et la séduction suggérées de concert par la chorégraphie néoclassique aux accents jazzy de Noureev : le chorégraphe s’inspire aussi bien des duos de Fred Astaire et Ginger Rogers dans les films RKO des années 30 que de ceux de Gene Kelly et Cyd Charisse dans le Singin’ In The Rain de 1953, non sans citer, au passage, les poses décalées lifariennes des années 40. Pour ce pas de deux taillé sur les qualités exceptionnelles de Guillem, le challenge est double : technique, bien sûr, mais aussi dramatique. Dès ses débuts, l’immense artiste avait cette personnalité à la fois solaire et distante, ce feu sous la glace, qui rendait plausible la rencontre entre un acteur vedette et une aspirante jeune première. Alexandra Sudoreeva (le 20) prend un évident plaisir à rentrer dans les pas conçus par Noureev. Elle le fait avec un joli moelleux, de longs et beaux bras. Malheureusement, elle ne dose pas assez le côté sensuel de la chorégraphie et à l’air de vamper le prince (Minoru Kaneko, grande élégance, belle présence, belle batterie et directions du mouvement précis). Dommage. C’est un contresens. Le dimanche 21, une nouvelle venue, Florencia Chinellato, transfuge de Hambourg, ne tombe pas dans le piège. Très belle avec ses longues lignes déliées, elle négocie les petites difficultés (notamment dans le partenariat de Timofiy Bykovets) avec élégance. Elle a la fraîcheur nécessaire pour ce rôle. Il se dégage alors du pas de deux une émouvante sensation d’intimité.

Cendrillon : Timofiy Bykovets et Florencia Chinelatto. Photographie David Herrero

Dans le pas de deux de Roméo et Juliette, une autre chorégraphie originale de Noureev dans un ballet « à escalier », les enjeux sont nombreux. Il faut d’une part « tenir la distance » de ce marathon chorégraphique où les deux protagonistes dansent sans cesse (ce qui n’est pas le cas de la plupart des autres versions de ce pas de deux), le faire avec style et maintenir un rapport d’égalité entre les deux amants (dans le ballet de Noureev, ce pas de deux est le moment charnière où l’on passe de la première partie, celle de Roméo, à la seconde, où Juliette prend la main). Dans ce difficile exercice à haute tension, c’est la seconde distribution (vue en premier) qui convainc le plus.  Passés les premiers moments seuls sur scène, un peu « appris », Philippe Solano et Tiphaine Prévost forment un couple techniquement et dramatiquement convaincant. On admire le lyrisme du haut du corps pendant les passes très difficiles voulues par le chorégraphe. Les pirouettes de Juliette finies en penché pourraient certes être plus vertigineuses mais elles sont très intelligemment négociées. Tiphaine-Juliette, admirable de justesse technique, est peut-être un peu trop dévouée à son bondissant Roméo. Sur l’ensemble du ballet, il faudrait se montrer plus « meneuse » pour être une Juliette de Noureev. Mais, avouons-le, on se laisse emporter. La première distribution, quant à elle, nous a paru être une addition de qualités  fort éloignés du style Noureev.

Roméo et Juliette : Philippe Solano et Tiphaine Prévost. Photographie David Herrero

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Les deux autres extraits de ballet présentaient de nouveau Noureev en tant que relecteur de la tradition classique. Pour celui du mariage de la Belle au bois dormant, on est dans l’exercice de style académique. Le grand Rudy s’y montre presque autant fasciné par le ballet impérial petersbourgeois que par ses réinterprétations par George Balanchine ou encore par le style français. Aurore et Désiré, dans leurs oripeaux nacrés et leurs perruques poudrées doivent moins se montrer éperdus d’amour que déjà souverains. Les deux distributions acceptent courageusement le défi. La deuxième n’est pas sans qualité mais elle est encore bien verte.  Louise Coquillard a un très joli physique et un très beau haut de corps : ses ports de tête et ses épaulements sont d’une grande élégance. Mais la pirouette n’est pas encore son fort. Son partenaire, Timofiy Bykovets, est aussi doué d’une ligne princière mais ses pieds ont tendance à le lâcher dans la difficulté technique. S’il y a une chose sûre, c’est que Philippe Solano, Désiré en première distribution aux côtés de Tiphaine Prevost (au très joli style), lui, ne lâche rien. Lors de son entrée, poudré et perruqué, il nous évoque, par l’énergie qui se dégage de son visage, le portrait du Maréchal de Saxe par Quentin de la Tour. Et la chorégraphie est d’ailleurs interprétée tambour battant. On se prend à penser que la délicate Aurore s’est endormie sous l’Ancien Régime mais qu’elle a été éveillée dans les premiers temps de l’Empire par un impatient Buonaparte. Je ne sais ce que Noureev aurait pensé de cette coloration post-révolutionnaire. J’ai personnellement fini par adhérer.

 

 

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Pour le pas de trois du Cygne noir on est face à un exercice de subtilité d’interprétation. Le rééquilibrage entre rôle masculins et féminin chez Noureev ne consistait pas qu’à rajouter des variations pour les hommes : ici le danseur-chorégraphe en a inventé une pour le magicien Rothbart tout en gardant l’essentiel de la chorégraphie traditionnelle du pas de deux. Le renforcement de Rothbart et son dédoublement en la personne du précepteur Wolfgang, une présence familière, est destiné à rendre le prince moins ballot quand, à l’acte 3, il prend le Noir pour du Blanc.

Pas de 3 du cygne noir : Julie Charlet et Ruslan Savdenov. Photographie David Herrero

Le cygne noir de Noureev se doit d’être subtil dans la séduction. Julie Charlet l’a bien compris. Son Odile, techniquement bien menée, n’est pas une aguicheuse perverse. Elle déploie dans l’entrada et dans l’adage l’exact équilibre entre séduction et froideur : pas de gestes brusques. Les mains sont refusées avec un art consommé de la diplomatie. Les regards à Rothbart (Simon Catonnet, plausible dramatiquement mais trop vert techniquement) peuvent très bien être un questionnement respectueux de la fille à son père. Son Siegfried, Rouslan Savdenov a une certaine prestance et se sort avec élégance des nourreevades (doubles tours finis attitude). Il enthousiasme la salle par une belle série de tours à la seconde dans la coda. Kateryna Shalkina, qui danse Odile le 21, est dans une approche de vamp plus traditionnelle et cela nous touche moins. Il est vrai que c’est toujours mieux que l’excès inverse, vu parfois à l’Opéra de Paris, où l’approche subtile nous occasionne des cygnes noirs tellement innocents que l’histoire semble ne plus faire sens. De plus, le rapport d’Odile avec son Rothbart était inégal durant cette matinée : Simon Catonnet reprenait du service en remplacement de Jeremy Leydier et on ne peut imaginer danseurs masculins plus différents. L’alchimie aurait sans doute été différente avec le partenaire initialement prévu, plein d’autorité naturelle. Minoru Kaneko, le prince Siegfried, exécute bien ses variations et gère le partenariat avec l’aisance qu’il faut. Mais il a l’air bien crédule…

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La Bayadère : Natalia de Froberville et Davit Galstyan. Photographie David Herrero

La troisième partie du spectacle troquait l’escalier fixe pour le plan incliné. On retrouvait avec un plaisir non dissimulé le troisième acte de La Bayadère dans le condensé intelligent qu’en a fait Kader Belarbi. L’ouverture avec les fakirs permet en effet de présenter l’une des rares interventions chorégraphiques du grand Rudy dans une chorégraphie somme toute très conforme aux versions traditionnelles. La variation de Solor permet au danseur d’exister techniquement avant de ne plus jouer qu’un rôle de partenaire jusqu’à la coda pyrotechnique et son manège de double-assemblés. Pour l’entrée des ombres, le corps de ballet féminin fait honneur à la difficile spécificité de la version Noureev : les arabesques moins penchées que dans les versions russes mais avec le dos tenu pour mettre en valeur le grand cambré qui suit. On s’émerveille, comme en 2014, de ne pas se trouver gêné par ces 18 ombres au lieu de 32. La proximité avec les artistes, dans un théâtre qui n’a pas les dimensions de Garnier ou de Bastille, ne cache pourtant rien des petits défauts de chacune. Et pourtant, l’effet spectral et hypnotique du chapelet de ballerines fait son effet. Les trois ombres principales n’ont pas démérité : les développés tenus de la première variation ou le final en équilibre sur pointe en attitude de la troisième sont des complications assez cruelles.

Pour cette Bayadère, les deux couples présentent une approche personnelle et cohérente. Le 21, Davit Galstyan est un Solor qui possède à la fois du poids au sol et une grande qualité de suspendu. Il rend l’histoire du ballet, pourtant tronquée, intelligible. Natalia de Froberville est une Nikiya qui défie la gravité. Elle a de jolies lignes élégiaques et des grands jetés aux retombées silencieuses. On décèle bien un soupçon de tension dans la variation du voile mais tout cela est rattrapé par une souveraine pirouette finie en fixé-attitude. Sa coda d’assemblés est d’une vertigineuse prestesse. Dimanche en matinée, Julie Charlet déploie le grand style. Sa batterie dans les portés est claire comme le cristal, ses ports de tête sont subtils et les directions du mouvement (un des points sur lesquels Noureev insistait beaucoup) sont toujours indiquées avec grâce. Ramiro Gomez Samon a la technique requise pour le rôle. Son ballon et sa batterie sont impressionnants. Il a, lui aussi, fait un gros travail sur le style. Le rapport entre les deux danseurs reste bien un peu désincarné. Mais on ne boude pas son plaisir devant tant de belle danse.

La Bayadère : Julie Charlet et Ramiro Gomez Samon. Photographie David Herrero

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L’acte des ombres de la Bayadère termine cet hommage à Noureev sur une note ascendante. Kader Belarbi peut à juste titre s’enorgueillir de ses solistes ; aussi bien ceux nouvellement promus étoiles que les solistes et demi-solistes. La plupart d’entre eux ont livré quelque chose d’eux même dans les chorégraphies présentées durant cette soirée. Plus qu’une exactitude de style, c’est sans doute ce qu’entendait et attendait le grand Rudy lorsqu’il a dit (l’a-t-il vraiment fait ? Les grandes phrases sont souvent apocryphes) : « Tant qu’on dansera mes ballets, je serai vivant ».

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Bordeaux : Roméo et Juliette ou le temps des adieux

Roméo et Juliette, Prokofiev. Chorégraphie de Charles Jude. Ballet de Bordeaux. Soirée du 1er juillet 2017.

C’était samedi soir la première de Roméo et Juliette et la dernière série de la direction de Charles Jude. La soirée prenait donc également une tournure pré-soirée d’adieux (il y en aura vraisemblablement une officielle programmée la saison prochaine) alors que les danseurs venaient d’apprendre que sept contrats de deux ans avaient été renouvelés : une bonne nouvelle en soi. A priori, les ballets classiques montés pendant vingt ans à Bordeaux par Charles Jude devraient rester au cœur du répertoire de cette compagnie largement bicentenaire. Alors qu’en est-il de ce Roméo et Juliette destiné sans doute à être repris après le départ de son créateur ?

C’est une production intelligente dans l’économie narrative. Les décors du début, une palissade de hauts murs percés chacun d’une unique et étroite fenêtre, rendent bien l’atmosphère de claustrophobie qu’une ville où règne une haine séculaire peut susciter. Les motifs architecturaux en transparence (scènes devant le palais des Capulets) valent bien tous les décors construits en dur de compagnies mieux nanties et le tableau du bal, avec ses décorations pompéiennes de papier découpé, fait son petit effet. Les couleurs des costumes, bien marquées, ne vous laissent jamais ignorer qui est qui. Les rouges (Capulets) et les verts (Montaigus) claquent bien à l’œil surtout avec, entre les deux, l’orange acidulé de Mercutio.

La chorégraphie de Charles Jude, qui ne témoigne pas nécessairement d’un style clairement personnel, n’est pas autant un collage de citations des versions que le danseur a interprétées pendant sa carrière à l’Opéra qu’était son Lac des cygnes. L’influence de la version Noureev (Jude a également dansé les versions Grigorovitch et Cranko) se ressent néanmoins. On sait gré à Charles Jude d’avoir, comme son mentor, chorégraphié les scènes de rues au lieu de les abandonner à la pantomime. Elles sont de conception plus classique néanmoins que chez Noureev. Tout ce petit monde se bat en parfait arc de cercle et dans une parfaite symétrie. C’est très réussi à l’acte 2, pendant la fête populaire, où l’énergie sourd des danseurs qui mangent l’espace en jetant ou glissant par cercles concentriques.

Pour la scène du bal, Jude tourne le dos à l’angularité de Noureev. On ne s’en plaint pas. Il insère au milieu de cette « scène des chevaliers » une variation pour Pâris sur la danse des lys de l’acte trois. Car cette version du ballet sert plutôt bien les interprètes secondaires. Outre cette variation, Pâris se voit attribuer plusieurs interventions dansées à base de renversés un tantinet féminins. Marc Emmanuel Zanoli prête ses belles lignes à ce personnage bien intentionné envers Juliette mais tout simplement inadéquat. En comparaison, le rôle de Benvolio est plus négligé. En revanche, Lady Capulet fait sa scène de la folie sur le corps de Tybalt à grand renforts d’arabesques penchées sur pointe. Si on reste thuriféraire de la version Noureev qui dévolue ce passage à Juliette, on doit reconnaître que cette option dansée de Lady Capulet est bien préférable aux excès expressionnistes de bien d’autres versions. Et puis, Marina Kudryashova s’y jette « à corps tendu ». La nourrice (Laure Lavisse) porte haut également les attributs de la ballerine : elle évolue en bottines-pointes et tombe en parfait écart facial pendant son badinage avec Mercutio et Benvolio.

Pour les rôles secondaires principaux, Tybalt est particulièrement bien servi. Charles Jude a beaucoup dansé ce rôle en fin de carrière dans la version Noureev. Mais curieusement, c’est plutôt à Lifar qu’on pense lorsqu’on le voit dans l’interprétation d’Alvaro Rodriguez Piñera. On apprécie encore une fois la technique saltatoire et les retombées silencieuses de ce danseur (un exemple que pourrait suivre Ashley Whittle – Mercutio – néanmoins doté de tempérament et d’une belle vélocité). Mais ici, on admire avant tout ici son travail des mains. Elles se découpent, à la fois stylisées et expressives sur le pourpoint rouge, expriment la colère, le défi ou la jubilation. Le corps du danseur se jette dans la mêlée, mettant l’accent sur des poses sans jamais donner le sentiment de poser. Monsieur Piñera serait sans doute un très beau Roméo dans le pas de deux de Lifar sur la fantaisie symphonique de Tchaïkovski. Mais aura-t-il jamais l’occasion d’aborder ce genre de répertoire maintenant que Charles Jude est parti ?

Le Roméo de Jude, quant à lui, était interprété par Oleg Rogachev. Le premier danseur, doté d’un très beau physique princier, n’est peut-être pas un technicien superlatif (ses tours en arabesque pour sa première entrée étaient un peu poussifs) mais il est doté d’un lyrisme très naturel : le haut du corps est délié, les bas toujours harmonieux. C’est un partenaire qui a le temps de se montrer passionné dans une chorégraphie qui ne lésine pas sur les effets tourbillonnants et les portés acrobatiques. Sa Juliette, Oksana Kucheruk, manque hélas de charme. Elle fait claquer le grand jeté avec une régularité métronomique, possède une vrai science des oppositions dans le mouvement mais son absence d’abandon et de spontanéité, sa pointe d’acier, vous laissent l’œil sec. Oleg Rogachev dessine pourtant une vraie progression dans son personnage, passant du jeune blanc-bec un soupçon falot à l’amant ardent, puis au pacificateur convaincu, au vengeur déterminé, et enfin au désespéré suicidaire.

Charles Jude ne résiste pas à la tentation de faire danser Juliette avec Roméo pendant la scène du tombeau. On ne pourrait dire si c’est un choix justifié ou une erreur. L’absence d’alchimie du couple interdit de trancher en faveur de ce choix ou en sa défaveur.

Il n’en reste pas moins qu’on applaudit sans trop d’arrières-pensées ce Roméo et Juliette et son chorégraphe Charles Jude, salué officiellement d’une pluie de roses après avoir passé l’année à marcher sur des épines. On salue aussi de travail de répétition du maître de ballet Eric Quilleré pour donner de la cohérence à un groupe constitué de vingt-deux membres de corps de ballet « permanents » gardés de haute lutte et d’une dizaine d’intermittents, danseurs de qualité condamnés à une vie d’incertitude.

Jude

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Roméo et Juliette 2016 : un temps du bilan

La série des représentations de Roméo et Juliette s’est achevée le 16 avril dernier et il est grand temps pour notre traditionnel bilan.

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En 2016, Les Balletonautes ont pris, une fois encore, la mesure de leur attachement à la version de ce ballet par Rudolf Noureev. Un attachement qui ne va pas nécessairement de soi comme le montre le premier article préparatoire de Cléopold où il se retrouve confronté à sa lointaine première vision du ballet. À la découverte d’un ballet de Noureev, on est souvent dérouté par l’abondance de pas et d’intentions. Ses opus peuvent d’abord être inconfortables à l’œil mais, ensuite, on ressent invariablement un manque lorsqu’on voit une mouture des mêmes ballets par d’autres chorégraphes. Les danseurs semblent avoir paradoxalement une approche similaire. Dans une interview fleuve sur Danses avec la Plume, Héloïse Bourdon ne dit-elle pas :

« La technique de Rudolf Noureev est très dure. […] Au début c’est contradictoire, ce n’est pas vraiment naturel. Mais plus on pratique plus on trouve des oppositions.  […]Je vois qu’il y a des choses peut-être pas évidentes à la base mais une fois que l’on t’a donné la clef de la chose qui te manque, que ce soit musicalement ou techniquement, ça aide et la chose devient organique… En tout cas, plus organique. Moi j’aime ce qu’il a fait. Rudolf Noureev était un visionnaire chorégraphique. Il n’y a pas de ballet de lui que je n’aime pas.»

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Mais venons-en aux représentations.

Filant la métaphore épistolaire initiée lors d’un autre programme, nos considérations seront enrichies par la – ô combien tardive – relation des spectacles auxquels James a assisté durant cette reprise. À son tour, d’écrire des lettres !

Car c’est lui qui a inauguré la série en assistant à la première de cette reprise le 19 mars. Le couple réunissant Amandine Albisson et Mathieu Ganio l’a globalement convaincu :

Quoi dire sur mes distributions Roméo et Juliette ?

Ganio/Albisson : le couple jumeau…

il est un Roméo idéel (ce n’est pas une coquille : la maîtrise est si complète que le personnage paraît imaginaire, tout droit sorti de l’imagination plutôt que du réel sublunaire) et enchante dès ses premiers piqués arabesque ; il danse moelleux, semblant toujours avoir le temps; elle donne à la danse de Juliette une précision et une attaque qu’on n’a pas vues dans ses récentes prises de rôle, et ceci aussi bien dans les agaceries de bas de jambe de la première scène que dans les mouvements plus expressionnistes du second et troisième acte.

Leur partenariat m’a fait comprendre – et je n’ai pas souvenir d’avoir eu cette impression auparavant, ni en vidéo ni lors de la reprise de 2011  – que les pas de deux du Roméo & Juliette de Noureev reposent non pas sur la passion (la conception MacMillan), mais sur la gémellité : la scène du balcon, notamment, fourmille de mouvements identiques, en canon ou en miroir, qui manifestent la découverte de l’âme-sœur ; quelque chose de léger se joue dans l’échange  – les baisers, presque enfantins, sont comme le prolongement des jeux (à comparer à Tcherniakov/Casse-Noisette, où une embrassade déclenche un cataclysme – vision dramatique, et au fond bien puritaine, de la sexualité) et Ganio/Albisson, par leur proximité physique (taille, finesse, propreté), le donnent joliment à voir.

Un petit bémol, James ?

Ganio/Albisson convainquent sans prendre aux tripes. Ils sont si bien accordés qu’on en oublierait presque leur destin tragique.

Commença alors une série de changements de distribution, réminiscence d’une période qu’on aurait voulu révolue. Cléopold a regretté de ne pouvoir découvrir la Juliette de Muriel Zusperreguy ; cette danseuse dessine toujours ses personnages bien plus grands que l’étroit espace de la cage de scène. Mais il a eu en compensation le plaisir de voir un couple d’un soir, Josua Hoffalt et Myriam Ould-Braham, dresser un portrait d’adolescents qui deviennent adultes dans la douleur (le 22 mars).

La vision aura été fugace. Dès la représentation suivante, Josua Hoffalt avait déclaré forfait. Du coup, lorsque Fenella vit le couple réunissant Léonore Baulac et Germain Louvet, il ne s’agissait pas, comme prévu, d’une double prise de rôle mais d’un travail déjà bien rôdé, les jeunes danseurs ayant assuré le remplacement. Germain Louvet était un Roméo « au jeu charmant et engagé, à la belle arabesque » mais peut-être encore un peu trop « poulain ». Léonore Baulac dressait le portrait d’une « Juliette à la bride sur le cou. Plus tout à fait jeune fille et pas encore femme, avide de vie et d’amour, qui ne s’embarrasse pas de nous le rendre joli à l’œil. » (si, si, c’est un compliment !).

Puis ce fut hélas au tour de Myriam Ould-Braham de disparaître des distributions ; et Léonore Baulac de prendre sa place aux côtés de Mathias Heymann. C’est James qui a essuyé les plâtres (le 10 avril en matinée).

Je passe sur Baulac-Heymann ; j’étais trop déçu du forfait de MoB (annoncé avec une déplaisante désinvolture par l’Opéra de Paris : « Le rôle de Juliette sera interprété par… », dit au micro sur le ton de « Le train pour Bayonne partira voie 2 » et sans citer le nom de la ballerine blessée ni rien expliquer…) pour être vraiment juste à l’égard de la prestation de la remplaçante. Qui plus est, le partenariat improvisé manquait encore de rodage.

Le 13 avril, sur la même distribution, l’impression est toute autre. La prestesse – désormais contrôlée – des pirouettes d’Heymann, la danse « volontaire » de Baulac, les « petits angles » du partenariat qui disparaissent sur la durée, dressent un portrait d’amants qui courent allègrement au tombeau.

Entre-temps, James avait trouvé sa distribution « idéale » sur cette série (soirée du 8 avril) :

Gilbert/Marchand ; il est un Roméo emporté, au bon sens du terme (lors de la première scène, son mouvement donne l’impression d’être toujours tourné vers l’après, non par précipitation, mais par anticipation). Il a un défaut visible à travailler – ses pieds –  et des qualités qui emportent l’adhésion : le sens des épaulements, et un sourire ravageur, à la Christophe Duquenne. Gilbert, dont l’interprétation cisèle chaque moment, fait penser à Loudières, dont elle a le regard d’oiseau et le physique de brindille, mais aussi l’inaltérable juvénilité du saut.

Gilbert/Marchand émeuvent aux larmes ; peut-être parce que vus de très près – cela joue – ; sans doute aussi parce que leur différence de taille et de carrure fait crisser l’imaginaire, et qu’ils la compensent par le débordement émotionnel.

En dépit des tressautements de la distribution des rôles principaux, les sujets de satisfaction ont été nombreux. Le ballet de Noureev est dans les gènes de la compagnie. Il convient à son style un peu minéral, aux antipodes du lyrisme romantique.

Dans les seconds rôles, de nombreux danseurs s’illustrent. Que ce soit les « vétérans » Stéphanie Romberg (très noble dame Capulet) ou Emmanuel Thibaut (merveille de fraîcheur technique dans Mercutio), les confirmés (Fenella devient lyrique à l’évocation du Benvolio de Sebastien Bertaud et Cléopold s’est laissé séduire par le Tybalt de Florian Magnenet) ou enfin la jeune génération : François Alu a fait feu des quatre fers dans Mercutio et Révillion de son élégance passionnée dans Benvolio ; les Pâris ont laissé leur marque (Yann Chailloux, « une présence claire et élégante » ou surtout Pablo Legasa) ; enfin, Fanny Gorse a été une piquante Rosaline.

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En cette période troublée et incertaine, la compagnie du ballet de l’Opéra brille donc d’un bel éclat. Y aura-t-il enfin quelqu’un pour remettre cette étoile sur orbite comme l’avait fait jadis Rudolf Noureev ?

R1J BOLSHOI

« Roméo et Juliette » en répétition, ça prend facilement un petit air de « West Side Story ». Première visite du Bolchoï à New York. 1958

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Roméo et Juliette : jeux d’enfants

BastilleRoméo et Juliette, soirée de 13 avril 2016

Difficile d’imaginer une progression de couple plus différente que celle du couple Baulac-Heymann comparé à Ould Braham-Hoffalt. Elle est inverse. Lorsqu’ils se rencontrent leur premier pas de deux a de charmants petits « angles ». Ils mettent en scène deux cœurs qui sont attirés l’un par l’autre mais dont les corps se cherchent encore. Elle est une adolescente enjouée, un peu têtue (sa danse est précise sans tous les glacis que lui donnera un jour l’expérience) et lui un jeune homme charmeur (il a une incomparable façon d’attirer l’attention sur les gestes entreprenants de son personnage), direct (la célérité très impressionnante de ses pirouettes) et idéaliste (il les finit parfois avec des arabesques suspendues qui touchent le fond de l’âme du spectateur).

Leur rencontre se fait au milieu d’un groupe d’amis-ennemis aussi bien équilibré qu’il est individualisé. Revillion-Benvolio est un jeune rêveur qui s’affirme au cours du drame. Il est évident qu’à la fin c’est lui qui a battu le rappel des deux familles autour du tombeau de Juliette. Alu, un Mercutio plus « âgé » de quelques mois dans sa bande d’amis, émerveille par son sens du jeu pantomime qui se fond dans les chorégraphies les plus techniques. Il est au dessus de sa danse et peut donc se permettre quelques facéties supplémentaires alors même qu’il effectue les tricotages de jambes les plus torturés. Sa scène badine et vacharde aux dépends de la nourrice de Juliette, parfaitement épaulée par Révillion, est un chef d’œuvre de drôlerie. On est plus circonspect sur sa ligne, par trop courte et ramassée, mais on se laisse gagner par la richesse de son registre expressif. Sa scène de mort, en totale rupture de ton, est des plus saisissantes. Son meurtrier, Tybalt-Magnenet touche par sa juvénilité apparente. Les jeux de l’enfance ne sont pas loin. Ce qui frappe d’ailleurs, c’est la connexion qui semble exister entre les danseurs. On a le sentiment d’une forme d’intimité entre ces jeunes gens appartenant à des mondes antagonistes. Le temps n’est pas si loin où ils jouaient ensemble, avant que la gangrène des préjugés familiaux ne les contamine à leur tour. Il y a d’ailleurs une certaine forme de jeu dans le combat entre Tybalt et Roméo : en pleine rixe, Magnenet lance et rattrape sa dague comme un adolescent frimeur.

Par contraste, Pâris est étranger au groupe. Cet élégant jeune homme de famille fortunée ne sait pas exactement où il met ses pieds… qui font des merveilles. Pablo Legasa nous joue son petit air du « Et si c’était moi, Roméo » avec conviction et sérénité. Dans la sérénade à la mandoline, il nous gratifie d’une série de pirouettes attitudes en dehors achevées en arabesque suspendue, parfaites et immaculées. Le danseur fait mouche ; incontestablement.

Cet environnement de seconds rôles incarnés porte littéralement l’interprétation du couple principal. Léonore Baulac et Mathias Heymann ne partent pas du même point mais ils entrent en synergie dès la scène du balcon, même s’il y est encore beaucoup question de jeu. A l’acte 3, Juliette-Baulac reste une adolescente et Roméo-Heymann un jeune homme impulsif. Mais leur pas de deux de la chambre, par son lyrisme intime, montre que l’attirance s’est transmuée en accord charnel. Les deux grands enfants courent alors au bord du précipice puis s’y jettent sans plus réfléchir. Heymann vole plus qu’il ne court vers le lit mortel de Juliette et cette dernière se jette sur le couteau comme on embrasse l’être aimé.

Cette vision romantique en diable n’est peut-être pas celle qui se rapproche le plus de la conception de Rudolf Noureev mais elle vous emporte néanmoins par sa dynamique inflammable et haletante.

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