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Béjart à l’Opéra : une question d’interprètes

P1190185Dans les ballets de Maurice Béjart, il n’y a jamais eu, de l’aveu même du chorégraphe lui-même, grand-chose de novateur en termes de technique. Comme souvent, les grands moments de renouveau dans le monde du ballet ne se jouent pas sur le dépassement des limites physiques de cet art mais sur un nouvel éclairage ainsi que sur des métissages réussis. Balanchine a exploré et poussé à l’extrême le ballet symphonique déjà en germe dans la Belle au bois dormant de Tchaïkovski-Petipa tandis que Lifar poussait à ses limites les volutes décoratives des Ballets russes. Plus tard, Forsythe a ajouté la structure en boucle des enchaînements ainsi que des départs de mouvements inspirés de la kinésphère labanienne au vocabulaire du ballet.

Dans un sens, Béjart ne va même pas aussi loin que ces novateurs d’un art séculaire. Chez lui, ce sont les sujets abordés, les mises en éclairages de thèmes anciens, l’ancrage dans les thématiques du présent qui ont fasciné les foules. Ce principe a rencontré ses limites. Après les années 80, Maurice Béjart a perdu son flair de l’air du temps et ses créations sont devenues redondantes et fastidieuses. C’est l’époque où je suis devenu balletomane… Autant dire que le chorégraphe ne fait donc pas partie intégrante de mon panthéon chorégraphique.

Pourtant, à la différence de l’œuvre de Lifar qui est « d’une époque » dans le sens noble du terme, certains ballets de Béjart ont acquis une sorte d’intemporalité. La simplicité des procédés aussi bien chorégraphiques que scéniques provoque toujours l’adhésion du public pour peu qu’elle soit transmise par des danseurs inspirés.

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Oiseau(x) de feu : le difficile équilibre entre la force et la vulnérabilité

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L’Oiseau de feu. Soirée du 28 avril. Grégory Dominiak (le Phénix) et Francesco Mura (l’Oiseau)

L’Oiseau de feu est un ballet qui se veut une métaphore de l’esprit révolutionnaire (les huit partisans desquels émerge l’oiseau au troublant académique rouge portent des tuniques qui ne paraîtraient pas déplacées dans Le Détachement féminin rouge) mais qui n’échappe pas complètement à la métaphore christique, avec sa lumière pourpre reçue des cintres comme on serait touché par l’Esprit saint. Il a été créé en 1970 par Mickaël Denard alors que ce dernier n’était que premier danseur. Devenu étoile entre temps, Denard a immortalisé en 1975, pour la télévision française, deux extraits de son rôle. Il exsudait à la fois la force (la clarté des pieds dans les brisés de volée de la première variation) et l’abandon (le relâché de l’arabesque – première variation – ou les bras repliés au sol avec cette suspension digne des amortisseurs d’une DS – deuxième variation). Il présentait aussi un curieux mélange de détermination (le regard magnétique planté dans le public) et de langueur (les roulés au sol de la variation finale entre agonie et orgasme).

Mickaël Denard nous a quittés en février dernier. La saison prochaine, aucune soirée d’hommage n’a été programmée. Sans doute faudra-t-il à l’Opéra trois années, comme pour Patrick Dupond, avant de réagir. Un petit film d’hommage, utilisant l’archive de l’INA aurait néanmoins pu être concocté pour ouvrir cette soirée. Mais peut-être valait-il mieux ne pas convoquer le souvenir de cette immense interprétation au vu de ce que la maison avait à présenter sur cette saison. En début de série (le 28 avril), Francesco Mura ne s’est en effet guère montré convaincant en Oiseau. Le danseur, très à l’aise dans la veine « héroïque » (son Solor avec Ould-Braham nous avait séduit) manque de ligne pour rendre justice à la chorégraphie. Son arabesque est courte et forcée. La chorégraphie semble plus exécutée qu’incarné. L’élégie est cruellement absente. Gregory Dominiak paraît plus efficace en oiseau phénix. Mais c’est Fabien Revillion dans l’uniforme gris des partisans qu’il faut regarder pour voir véritablement un oiseau de feu.

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L’Oiseau de feu. Soirée du 18 mai. Yvon Demol (le Phénix), Mathieu Ganio (l’Oiseau)

Plus tard dans la série (le 16 mai), Mathieu Ganio interprétait à son tour l’Oiseau. En termes de lignes, on tutoie l’idéal. Le créateur du rôle même n’approchait pas cette facilité physique. Les temps levés avec rond de jambe 4e devant de l’Oiseau sont un plaisir des yeux. Mais Ganio manque absolument de cette sauvagerie qui évoquerait le Leader et qui rendrait plus émouvant par contraste les passages de la chorégraphie où le danseur joue sur le registre de la vulnérabilité. Dans la variation de la mort, Denard, le buste penché et montant une jambe en attitude seconde reste menaçant, ce n’est que lorsqu’il casse la ligne du cou et dépose sa tête sur l’épaule droite qu’on réalise que la bête est blessée. Avec Ganio, on a plutôt l’impression d’assister à la mort de la Sylphide…

Qui aurait pu rendre justice à ce rôle iconique ? On a bien quelques noms en tête mais ce ne sont pas ceux qu’on a vu apparaître sur les listes de distribution.

Le Chant du Compagnon errant : duos concertants

Ce ballet, déjà présenté lors de l’hommage à Patrick Dupond, montre un Béjart osant faire danser deux hommes ensemble tout en évitant l’écueil de l’homo-érotisme trop marqué. Dans le Chant du Compagnon Errant, sur le cycle de lieder du même nom de Mahler, le soliste en bleu symbolise la jeunesse et ses illusions tandis que le soliste rouge est le destin ou, mieux encore, la mort qui attend son heure et avec laquelle il faut apprendre à composer. Le ballet, composé pour Rudolf Noureev et Paolo Bertoluzzi, a depuis souvent été dansé par des stars de la danse. Il nécessite non seulement des personnalités individuelles marquées mais aussi une vraie connexion entre les deux interprètes.

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Le Chant du Compagnon errant. Soirée du 28 avril. Antoine Kirscher et Enzo Saugar

La distribution du 28 avril ne provoquait pas à priori l’enthousiasme sur le papier. Antoine Kirscher, promu premier danseur à l’issue du dernier concours de promotion annuel, s’est montré d’une grande faiblesse dans le pas de trois du Lac des cygnes en décembre. Enzo Saugar, distribué sur le soliste rouge est peu ou prou un inconnu. Il est quadrille. Il a réalisé un beau concours où il a été classé sans pour autant être promu coryphée.

Mais à notre plus grande surprise, le résultat a été plus que satisfaisant. Les deux danseurs ont une beauté des lignes qui emporte l’adhésion car ces dernières s’accordent parfaitement en dépit de leur différence de gabarit (Kirscher est plutôt frêle, notamment des jambes, et Saugar déjà très bâti). Produits de leur école, les deux interprètes accentuent les lignes avec toujours ce petit plus qui les rendent plus profondes et conséquemment plus signifiantes. Ils partagent aussi et surtout une musicalité jumelle. Ils répondent avec acuité et nuance à la musique et au timbre du baryton Samuel Hasselhorn. Antoine Kirscher garde ses fragilités mais n’en paraît ici que plus juvénile. Enzo Saugar ressemble à une Statue du Commandeur, à la fois protectrice et implacable. On passe un très beau moment.

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Le Chant du Compagnon errant. Soirée du 16 avril. Germain Louvet et Marc Moreau.

Le 18 mai, le duo étoilé n’était pas nécessairement très assorti physiquement. Germain Louvet (en bleu) est tout liane et Marc Moreau tout ronde bosse. Louvet, avec sa pureté de lignes, son ballon et sa batterie limpide portraiture parfaitement la jeunesse insouciante. Moreau, dans le deuxième mouvement s’oppose intelligemment en déployant une énergie concentrée et explosive là où, dans la même combinaison de pas, Louvet était tout soupir. La confrontation entre l’homme et son destin a bien eu lieu même si on ressent toujours une certaine réticence quand les danseurs sont l’un à côté de l’autre. Mais peut-être le fait que le baryton, Thomas Tatzi, criait tous ses aigus a pu nous rendre moins réceptif au couple d’étoiles qu’aux deux outsiders de la soirée du 28 mai.

Boléro(s) : Bottom, Middle and Top

Le Boléro est un de ces coups de génie comme il peut en arriver parfois dans le ballet ; c’est à  dire que la modernité et l’intemporalité de l’œuvre repose sur des ressorts très simples ancrés dans l’Histoire de la discipline. Boléro était dès l’origine un Ballet. Conçu en 1928 pour Ida Rubinstein, transfuge des Ballets russes de Serge de Diaghilev, et pour sa compagnie, le ballet se situait dans un bouge espagnol où une beauté exotique montait sur une table pour danser et déchaîner la passion des mâles. Ravel s’était résigné à cette interprétation par défaut, lui qui voyait une danse d’ouvriers sortant de l’usine, l’ostinato figurant sans doute le rythme obsédant de la chaîne de production. Même le titre a sans doute été déterminé par défaut. La partition de Ravel se compte à trois temps quand un Boléro authentique se compte à quatre.

En 1961, à la Monnaie de Bruxelles, Béjart revint en quelque sorte au ballet original de Nijinska-Rubinstein en plaçant sur scène une immense table basse rouge, disponible dans les magasins du théâtre, et une pléthore de chaises de la même couleur. À l’époque, c’est une femme, Duška Sifnios, qui « succédait » à Rubinstein au centre de la table. Les garçons tout autour faisaient tomber la cravate et desserraient les cols au fur et à mesure que l’imperturbable oscillation en développés fondus se perpétuait. Aujourd’hui, l’interprétation du Boléro est devenue beaucoup moins anecdotique et plus musicale. Le chorégraphe comparait « la », et bientôt « le », soliste central à la mélodie et le corps de ballet (un temps alternativement masculin ou féminin, mais la forme masculine semble s’être imposée) à la masse orchestrale.

Un autre indice de la puissance de cet opus béjartien vient justement du fait que le rôle, loin d’être univoque, est un medium parfait pour faire ressortir les qualités profondes d’un interprète (et parfois malheureusement aussi ses faiblesses). On aura été plutôt chanceux ces fois-ci. Chacun des danseurs qu’on a pu voir attirait l’attention sur un aspect particulier de la chorégraphie ainsi que sur une partie de leur corps.

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Boléro. Soirée du 28 avril. Hugo Marchand

Avec Hugo Marchand qui ouvrait le bal, ce sont les jambes que l’on regardait. Ses oscillations en petits fondus, énergiques et imperturbables, étaient véritablement hypnotiques. Élégiaque et androgyne, présence presque évanescente en dépit de sa taille conséquente, Marchand avait bien sûr des bras mousseux mais on était fasciné par la musique du bas du corps dont la mélodie semblait littéralement émaner.

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Boléro. Répétition publique du 5 mai. Audric Bezard.

À l’occasion du cours public donné à Bastille (le 5 mai), il nous aura été donné d’assister à un filage du ballet, sur bande enregistrée et sans corps de ballet, avec Audric Bezard. Lors de cette découverte inattendue, l’attention se porte sur le buste aux contractions reptiliennes et sur les bras puissants et sensuels du danseur. Là où Marchand était la musique, Bezard, semblait ouvrir tous les pores de sa peau afin d’en absorber l’essence et pour lentement s’en repaître ; une bien belle promesse que le danseur a très certainement concrétisée lors des représentations complètes

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Boléro. Soirée du 18 avril. Ludmila Pagliero entourée de Gregory Dominiak, Florent Melac et Florimond Lorieux

Avec Ludmila Pagliero, le 16 mai, on recentre toute son attention sur les mains, immenses et comme démesurées de l’interprète qu’on n’avait jamais remarquées auparavant… La danseuse, qui apparaît étonnamment juvénile (elle qui habituellement paraît si femme) déploie une sorte de soft power. Sinueuse et insidieuse comme la mélodie, Pagliero ne paraît plus tout à fait humaine. Au moment où les garçons commencent à entourer la table en attitude, poignets cassés, on croit deviner une architecture arabo-mauresque dont la danseuse serait la coupole ornée d’un croissant.

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Au final, la soirée se terminait donc à chaque fois sur une note ascendante. L’hommage à Maurice Béjart, en dépit du bémol de mes distributions sur l’Oiseau de feu peut donc être considéré comme une réussite. C’est que les trois ballets choisis, qui ne sont pas isolés dans l’œuvre du chorégraphe décédé en 2007, justifient à eux seuls la place majeure qu’il tient dans le concert des chorégraphes du XXe siècle.

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Balanchine: au milieu de l’Atlantique

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Who Cares? Décors Paul Gallis (détail).

Deux parties, deux ambiances. À vol d’oiseau, le trajet entre Saint-Pétersbourg (Ballet impérial) et New York (Who Cares ?) vous fait passer l’entracte quelque part au milieu de l’Atlantique. La première pièce du programme Balanchine, qui est en partie un brouillon des créations postérieures de George, m’a d’abord fait l’effet d’un exercice de style. Le soir de la première, Ludmila Pagliero et Paul Marque semblaient en démonstration pour le Balanchine Trust : « T’as vu ? Je fais tout, même les bizarreries, comme tu m’as dit ! ». C’est à la fois impressionnant de maîtrise, et bien froid. Le lendemain, Héloïse Bourdon et Audric Bezard, techniquement moins à l’aise, racontent une histoire – intrigue de cour et un peu de cœur –, et ce souffle de tension amoureuse fait qu’on cesse de regarder sa montre pour vérifier la différence entre temps objectif et temps ressenti (9 février). Quasiment un mois plus tard, Hannah O’Neill et Marc Moreau, étrennant leur étoile nouvelle, font revenir la pièce sur le versant formel. Las, à un moment, le cavalier fait tourner sa cavalière de manière un peu trop penchée, et  par la suite, sa tension devient douloureusement visible. Souhaitons que l’étoilat permette à damoiseau Moreau de dompter le stress (4 mars).

Dans Who Cares ?, il m’a fallu attendre la deuxième représentation pour voir le style qui manquait à la première, du côté des filles : Charline Giezendanner, dans Do Do Do, a le déhanché et le roulement d’épaule jazzy. C’est discret, chic et charmant. Non contente d’entraîner Gregory Dominiak dans son sillage, elle donne in fine l’impression, par des retirés musicalement impérieux, de donner elle-même le tempo à l’orchestre. C’est grisant (soirées des 9 février et 4 mars). Il faudrait plusieurs Charline pour donner du peps aux évolutions du corps de ballet féminin. Il y a aussi Dorothée Gilbert, flirteuse en chef dans The Man I Love : la ballerine a le déhanché balanchinien voluptueux, mais sans ostentation : cet art d’être le style sans le montrer est délicieux (9 février). On retrouvera la même impression, en moins canaille, chez Ludmila Pagliero (4 mars).

Côté garçons, Germain Louvet donne l’impression d’être une projection des fantasmes des trois filles avec lesquelles il danse : c’est l’homme idéal, celui qui n’existe que dans tes rêves, mon chou (8 février). Jeremy-Loup Quer (9 février) comme Mathieu Ganio (4 mars), ont une présence plus réelle. On s’amuse à voir dans les trois filles qu’ils courtisent autant de new-yorkaises : pour Quer, l’amoureuse (Mlle Gilbert), l’impétrante (Roxane Stojanov, Embraceable You), la pétulante (Bianca Scudamore, Who Cares ?). Pour Ganio, celle qui fait ses premiers pas dans le monde (Mlle Pagliero), l’intello qu’on croise au Metropolitan Museum (Laura Hecquet), et la libérée, celle qui virevolte dans Central Park (Hannah O’Neill).

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Hommage à Patrick Dupond : la deuxième est (presque) la bonne

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Etudes. Saluts le 22/02

J’suis snob. C’est de famille. Du temps de sa splendeur vocale, je n’ai pas pu entendre Jonas Kaufmann  chanter au festival de Salzbourg, mais j’ai une photo de ma tante avec le ténor un peu flou en arrière-plan qui nous a permis de faire croire à la terre entière qu’on y était. Pour l’hommage à Patrick Dupond, c’est pareil, j’ai   raté le gala du mardi 21 février avec le défilé des anciennes Étoiles, mais j’ai vu la même distrib’ le surlendemain, donc, c’est tout comme.

Blague à part, je n’ai pas regretté une revoyure au lendemain de la soirée du 22. Déjà, l’expérience prouve qu’on peut assister deux fois en 24 heures au défilé du Ballet sans éprouver la moindre lassitude. Mais surtout, pour les deux premières chorégraphies, c’était le jour et la nuit.

Le soir du 22, les solistes principaux de Waslaw comme du Chant du compagnon errant m’ont laissé de marbre : le lendemain, d’autres interprètes m’ont bouleversé. Dans le rôle de Waslaw, Marc Moreau fait preuve d’une poignante intensité (alors que la veille, Alexandr Trusch montrait surtout sa maîtrise de la gestuelle Neumeier). Son abattement final, lors de la mise au ban(c) vous fait un effet de plomb fondu à même le cœur. Dans le rôle du double torturé, Audric Bezard est bouillant de rage rentrée (rendant criante la profondeur du hors-sujet commis par Guillaume Diop la veille).

Au soir de mercredi, la compagnon errant et son acolyte m’avaient aussi laissé sur le bord du chemin. Je suis membre à vie du fan-club de Mathieu Ganio, mais il m’a paru bien trop élégant pour émouvoir : son style élégiaque fait merveille dans Robbins, mais s’avère trop propret pour Béjart. Et faute de percevoir une interaction forte entre lui et Audric Bezard (en rouge), tout dans la pièce m’a fait l’effet d’un exercice de style alternativement creux ou pompier.

Le lendemain, dans le même rôle du soliste en bleu, Germain Louvet ose une véhémence qui, d’emblée, emporte l’adhésion ; il fait de discrètes mais vives accélérations sur les tours, ce qui leur donne une dimension d’urgence et de course. Vers quoi ? L’abîme, la solitude, le lointain et la perte ? Germain Louvet, que j’ai plusieurs fois trouvé fade, frappe ici par l’intensité émotionnelle de son incarnation. On ne regarde plus la technique, on ne se demande plus si le cycle mahlérien a vraiment besoin d’une chorégraphie, on suit les tourments d’un personnage pétri de douleur. La complicité généreuse de l’échange avec Hugo Marchand s’avère, aussi, immédiatement attachante.

Avec deux distributions pour trois soirs, l’Opéra de Paris aurait pu aligner dans Études au moins deux étoiles féminines (sur sept en état de marche) et quatre étoiles masculines (sur quatre). Ça aurait eu quelque panache. Las, cette générosité à la Patrick Dupond ne semble plus de saison. Cependant, au soir du 22 février, ce ne sont pas tant les solistes qui m’ont chagriné que l’impression brouillonne donnée par le corps de ballet masculin lors du finale. Est-ce le manque de répétitions ou la jeunesse des interprètes ? D’un côté de la scène, sur quatre garçons, il y avait deux rythmes. L’impression d’ensemble est meilleure le soir du 23 (avec quelques danseurs plus aguerris que la veille dans le casting).

Quant aux solistes, comment résister au charme d’Héloïse Bourdon ? La ballerine folâtre avec esprit avec ses deux partenaires (damoiseaux Quer et Moreau). Quand elle réapparaît pour la séquence « Sylphide », on se frotte les yeux : est-ce bien la même danseuse ? Oui, mais elle apporte à sa partition un alanguissement tout liquide, et nous régale de poses délicieusement précieuses sans être maniérées.

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Héloïse Bourdon. Défilé.

Le 23 févier, Valentine Colasante, toujours techniquement très sûre, emporte moins dans le rêve, mais ne boudons pas notre plaisir : dans la pièce de Lander, la maîtrise, pour le spectateur, un effet directement jubilatoire. Paul Marque a une petite batterie si propre et si véloce qu’on n’en voit (presque) pas la difficulté. Dans le rôle du deuxième soliste masculin, Guillaume Diop rabote un peu les changements de cap de la mazurka. En fait, Marc Moreau, que Cléopold a trouvé un brin démonstratif, m’a davantage convaincu dans le rôle (soirée du 22).

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Valentine Colasante (défilé).

Au fond, le premier danseur, qui tire son épingle du jeu aussi bien dans Waslaw que dans Études, n’est pas loin d’être pour moi la petite révélation de la soirée Dupond.

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Marc Moreau. Etudes. « Petite » révélation.

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Hommage à Patrick Dupond : une grand messe en mal de desservants

Voici donc qu’a eu lieu le très attendu hommage à Patrick Dupond : trois soirées dont une de gala hors de prix (j’ai passé mon tour), une plaquette hagiographique truffée de jolies photographies qui élude complètement la question des rapports difficiles qu’a entretenus le danseur avec « sa » maison (son renvoi se réduit à « 1997 : un conflit avec l’Opéra entraîne son départ ») mais un programme somme toute bien construit.

Le fait est à relever et à saluer. Les hommages ne sont pas, loin s’en faut, la spécialité de la Grande boutique.

Ici, s’adjoignaient en effet à un très joli film d’introduction par Vincent Cordier et au Grand défilé de la troupe trois ballets intimement liés au souvenir du flamboyant météore que fut Patrick Dupond dans le firmament chorégraphique : Vaslaw, créé en 1979 pour le tout jeune danseur par John Neumeier, Le Chant du compagnon errant, évoquant le fort lien personnel et artistique que Dupond entretint avec Maurice Béjart et enfin Études d’Harald Lander, le rôle du soliste à la Mazurka ayant été un des grands rôles du bouillant et facétieux interprète.

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Grand défilé du corps de ballet. Mercredi 22 février.

Cela étant dit, cette soirée d’hommage, dès le défilé, montrait les failles actuelles de la compagnie. C’est en effet une cruelle ironie du sort qu’alors qu’on célèbre le danseur même qui a révélé au monde, par sa médaille d’or et son grand prix au concours international de Varna en 1976, qu’il y avait d’excellents danseurs à Paris, que les rangs des étoiles masculines aient été si décimés. Quatre étoiles à mettre sur scène, c’est bien peu pour une compagnie de 154 danseurs.

Et la suite du programme n’a fait que confirmer cette impression.

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Vaslaw. Mercredi 22 février 2023. Saluts

Pour Vaslaw, par exemple, la compagnie a dû faire appel à Alexandr Trusch, un vétéran de Hambourg, pour interpréter le soliste blanc créé par Dupond.

Vaslaw est un ballet un peu à part dans la somme des ballets que John Neumeier a créés autour de la personnalité de son idole, Nijinsky, dont il collectionne les memorabilia et artefacts depuis de nombreuses années. Au fur et à mesure, ces différentes pièces sont devenues de plus en plus biographiques et narratives. Ici, le lien avec l’immense icône de la danse est plus ténu. Il n’y a pas d’argument. Sur des pièces de Bach qu’aurait voulu chorégraphier Nijinsky, mais qu’il n’a jamais touchées, quatre couples et un soliste en vert égrènent un art du pas de deux néoclassique. Le personnage principal n’est finalement pas celui qu’on croit car Vaslaw (en blanc) est très statique. Il reste posé au sol dans des positions de gymnaste, avec beaucoup d’écarts, ou fait des poses plastiques (une référence au spectre de la Rose et quelques poignets cassés à la Faune) lorsqu’il est debout. Les fulgurances chorégraphiques sont très subreptices. John Neumeier, plutôt que de paresseusement se reposer sur la technique explosive du jeune Dupond, a intelligemment voulu  montrer son incroyable charisme.

Les pas de deux réagissent à la musique. Le premier, très calme, met l’accent sur les lignes. Roxane Stojanov et Florent Melac s’y montrent très à l’aise et installent un climat de plénitude. Le deuxième, très dynamique, avec des sauts en l’air pour la fille, va bien à Hohyun Kang et Andrea Sarri. Le couple est vraiment charmant. Si le troisième pas deux dans la même veine badine que le précédent (Hannah O’Neill et Daniel Stokes) marque moins, le quatrième qui se mue en pas de trois avec Vaslaw, défendu par Arthus Raveau (en belle forme) et Naïs Duboscq (charmante de fraîcheur), séduit.

Las, avant ce pas de deux à trois, Guillaume Diop a saccagé la variation la plus célèbre du ballet (choisie jadis moult fois lors des concours de promotion), celle au poing dans le sol. Neumeier a en effet dissocié le corps et la psyché de Vaslaw. Si le soliste en blanc, sans être prostré comme plus tard Nijinsky, semble être déjà rentré en lui-même, le ou la soliste en vert (la variation est en effet dégenrée) exprime les affres et aspirations du plus mythique des danseurs-chorégraphes. Guillaume Diop passe malheureusement complètement à côté de sa partition, rendant mignarde et narcissique l’ensemble de la variation. Il faudrait veiller à ce que le plus étoilable des garçons de la compagnie ne verse pas dans une insipidité de joli garçon content de lui. Certes Guillaume Diop est jeune mais Patrick Dupond était plus jeune encore quand Neumeier a créé ce ballet sur lui.

C’est d’autant plus dommage que ce trou d’expression à un moment crucial du ballet m’a empêché de vraiment adhérer à la proposition de l’invité hambourgeois, dont on voit bien pourtant qu’il maîtrise les clés du vocabulaire du maître de Hambourg. Trusch paraissait curieusement parachuté au milieu des danseurs parisiens.

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Le Chant du compagnon errant. Audric Bezard et Mathieu Ganio.

J’ai toujours associé Le Chant du Compagnon errant à Patrick Dupond. En 1985, lors de l’émission du Grand échiquier de Jacques Chancel qui lui était consacrée, il avait dansé la section finale avec son ami de toujours, Jean-Marie Didière. Il interprétait le soliste principal en bleu et Didière le soliste en bordeaux. En 1990, à l’occasion de la Carte Blanche à Jean Guizerix (un autre trait de la générosité d’intentions de la direction Dupond que cette soirée consacrée à une étoile sortante, tellement plus parlante que les ovations à pétales qui sont devenues la tradition aujourd’hui), Patrick Dupond avait endossé le rôle du second soliste face à Rudolf Noureev. Le directeur entrant rendait ainsi une forme d’hommage au sortant. Dans le petit film de Vincent Cordier, un extrait des saluts à la suite de cette représentation montre Noureev faisant un geste en direction de Dupond. Celui-ci recule d’abord et Rudy répète ce geste comme pour dire avec humour, « viens, idiot ! Je ne vais pas te manger ! » C’était absolument émouvant. Le Ballet est enfin rentré au répertoire en 2003. En 2007, il fut repris à l’occasion d’une très forte soirée d’adieux pour Laurent Hilaire. C’est Manuel Legris, son binôme-rival-parèdre de toujours dans la compagnie, qui l’entrainait vers les ténèbres du fond de scène.

« Compagnon errant » est un résumé du travail béjartien. Sur la partition du même nom de Gustav Mahler, Béjart, comme tous les grands réformateurs du ballet – Balanchine avant lui et Fosythe après – égrène des enchaînements somme toute très classiques, presque extraits de la classe, arabesques, ports de bras, souvent en position croisée, changements de direction, mais mis dans une lumière nouvelle. Ainsi, des développés-seconde se terminent en grands plié sur un pied en demi-pointe. Les développés-quatrième se font en miroir inversé (l’un des partenaires faisant des arabesques dans la même diagonale).

Le soliste principal en académique bleu commence le ballet seul sous le regard du soliste rouge. Puis les deux danseurs dansent en parallèle ou en canon. Ils interagissent enfin dans des parades de séduction, puis dans des duos conflictuels. Rien d’explicitement homo-érotique ici. Le Chant du compagnon errant est tout centré autour de l’acceptation d’une compagne crainte par-dessus tout : la Mort. D’abord ignorée, puis courtisée, puis enfin combattue avant d’être enfin acceptée comme une nécessaire et ultime partenaire. Dans le rôle du soliste bleu, Mathieu Ganio a cette qualité solaire et éternellement juvénile qui rend ce dialogue avec la mort poignant. Audric Bezard est parfait dans le rôle de la Mort. Il a au début ce côté impavide qui inspire l’admiration et la crainte. Il est séduisant et dangereux à la fois. Ses talents de partenaire le rendent également doux et attentionné. Personnellement, j’ai été interpellé par ce duo.

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Etudes. Héloïse Bourdon

Études est également un rôle qui a marqué la carrière de Patrick Dupond. La variation de la Mazurka faisait notamment partie de son programme de deuxième tour à la compétition de Varna en 76. Il y fit, selon ses dires, « le gadin le plus brillant de toute l’histoire de la danse ». Obligée de se retirer dans un gymnase au sol glissant en raison des conditions météo, la compétition avait vu une hécatombe de chutes conduisant certains compétiteurs à se blesser irrémédiablement. Invité à recommencer le jour suivant dans le cadre habituel du théâtre de verdure, Dupond avait reçu entre temps les conseils (pas forcement utiles selon lui) du créateur du rôle en 1948, John Gilpin.

Pour cette soirée d’hommage, la première question qui se posait était de savoir si le corps de ballet de l’Opéra, qu’on a trouvé un peu à la peine sur Ballet impérial lors des premières représentations du programme Balanchine, allait être à la hauteur de mes souvenirs. Le soulagement est venu très vite. Le ballet de Lander, au répertoire depuis 1952 (Lander était alors maître de ballet à l’Opéra), est toujours dans les jambes de la compagnie, surtout chez les filles. Dans la section de « la barre des tutus noirs », la série des ronds de jambes et des petits frappés est tirée au cordeau. Les séries de pirouettes des tutus blancs passent bien ainsi que toute la batterie, filles et garçons confondus. Le final aux diagonales de grand jetés, d’emboités et de coupés jetés (hormis pour un garçon qui semble avoir commencé du mauvais pied en coulisse) a l’élan et le brio nécessaire.

Dans le trio d’étoiles, Héloïse Bourdon est parfaitement à son aise. Elle irradie une sérénité et une détente dans sa danse, même dans les passages les plus techniques, qui provoque immanquablement l’adhésion. Dans le passage de « La Sylphide » (un épisode historique rajouté par Lander pour l’entrée au répertoire de l’Opéra), la danseuse ébauche même une narration.

Hélas, elle est seule. Les interactions avec ses partenaires ne passent pas la rampe. Jeremy-Loup Quer a une jolie ligne et passe tolérablement les difficultés techniques mais il lui manque une pointe de brio dans ce ballet où tout doit être pyrotechnique. Marc Moreau confirme l’impression qu’il nous avait donnée dans le Lac des cygnes en décembre dernier. Dès qu’il y a un enjeu technique, il se met en mode hyper-contrôle. Il croit rattraper le manque de moelleux qui en découle en jouant au matamore qui se prendrait pour un chef d’orchestre. Avec ses mains et ses ports de tête, il souligne les tutti d’orchestres d’une manière un peu ridicule surtout dans la Mazurka, jadis cheval de bataille du danseur qu’il est censé célébrer. Voilà une curieuse manière d’évoquer la mémoire du grand danseur à la souplesse de chat que fut Dupond.

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Le nouveau directeur de la danse, lui-même étoile hors pair, a décidément une première mission à accomplir : redonner confiance et force aux excellents danseurs masculins de l’Opéra visiblement en perte de repères.

Dupond Boléro 2

Patrick Dupond dans « Boléro » de Maurice Béjart. Photographie Mickaël Lemoine

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Trois Mayerling: ras la frange

Mathieu Ganio

Mathieu Ganio

Mayerling, Opéra-Garnier, représentations des 26, 28 octobre et 2 novembre 2022

Hasard du calendrier, Mayerling est programmé cette saison à Londres, Stuttgart, Budapest et Paris. Le Royal Ballet commémore ainsi le 30e anniversaire de la mort du chorégraphe. On peut trouver une logique historico-musicale à la programmation de l’œuvre dans la capitale hongroise. Au Ballet de Stuttgart, où Kenneth MacMillan créa certaines de ses pièces les plus notables, la connexion relève davantage de l’affinité stylistique. Mais à Paris, on se demande bien à quoi rime cette entrée au répertoire. Serait-ce un choix par défaut ? Faute de créer in loco de ballets narratifs potables, la direction se résout à importer encore et toujours, au risque de râcler les fonds de tiroir.

Du côté des spectateurs, étant donnés le complet ratage en rouge et noir de Pierre Lacotte et l’incapacité foncière de l’Opéra de Paris à fixer dans le paysage les – rares – réussites indigènes de ces dernières années (Wuthering Heights, La Source, ou même Les Enfants du Paradis), on en vient à se demander si on peut faire la fine bouche. Il faut croire que dans mon cas, la réponse est « non » », car j’ai finalement pris des places pour trois représentations…

Et il y en a eu au moins une de trop. À la première revoyure, et fort de la réactivation de mes souvenirs londoniens, j’ai pu briller à l’entracte (savez-vous que durant la scène 4 de l’acte II, le tableau qu’offre Elisabeth à son époux est une manière de lui signifier qu’elle sait que la cantatrice portraiturée – et qui va bientôt chanter – est sa maîtresse ?). À la deuxième, j’ai compté les longueurs de ce grand bazar boursouflé qui ne nous épargne rien de ce que la Cacanie avait de cracra-moisi. Durant la troisième, je les ai esquivées en piquant de mini-siestons sur la banquette de mon fond de loge.

Trêve de plaisanterie, que font les danseurs parisiens de l’œuvre qu’on leur donne à incarner ? Ils s’y investissent manifestement, y compris dans ses méandres narratifs. Ainsi les quatre officiers hongrois – au premier rang desquels Pablo Legasa fait des étincelles – racontent-ils clairement une histoire (qu’elle soit obscure est une autre affaire). La lisibilité de l’ensemble est cependant obérée par l’absence de saut générationnel visible entre les protagonistes : à Londres, la tradition des character artists permet de confier certains rôles à des vétérans possédant un peu de bouteille (par exemple, Bay Middleton n’est pas censé avoir le physique de Jérémy-Loup Quer). Cela donne au moins quelques repères. Ici, et comme l’a noté Fenella, nombre de spectateurs auront eu du mal à percevoir qui est qui. Qu’Héloïse Bourdon soit la mère de Mathieu Ganio (soirée du 26 octobre) ne saute pas aux yeux.

Autre différence avec le Royal Ballet, les ruses des distributions parisiennes font alterner quelques ballerines sur des rôles partiellement antithétiques. Certaines y réussissent mieux que d’autres : la sécheresse de l’impératrice va mieux à Laura Hecquet (28 octobre) que ne lui sied le charme de l’ancienne maîtresse de Rudolf (26 octobre). En revanche, Héloïse Bourdon réussit aussi bien son Elisabeth (avec un frappant changement de style dès que son fils entre en scène – acte I, scène 2, 26 octobre) que sa Marie Larisch, dont on conçoit fort bien que Rudolf ait pu en être épris et en conserve un brin de nostalgie (2 novembre). Distribuée alternativement en Marie Larisch (28 octobre) et en Mary Vetsera, Hannah O’Neill fait flèche de tout bois et tire son épingle du jeu ; en jeune et nouvelle amante adepte des pistolets, elle vampe littéralement Stéphane Bullion (qui vasouille malheureusement trop sa partition). Dans le pas de deux de séduction (acte II, scène 5), elle fait l’effet d’une liane carnassière (2 novembre).

Et Rudolf dans tout ça ? Mathieu Ganio (26 octobre) et Hugo Marchand (28 octobre) marquent de leur empreinte l’écrasant rôle du prince mal léché. Certes, le premier fait preuve d’un peu de fébrilité lors de la variation de la scène du mariage, dont les tours finis arabesque ou pris de la demi-pointe demandent à la fois un contrôle impeccable et un sens dramatique aigu (des qualités dont le second fait une éclatante démonstration). Mais par la suite, le décalage s’estompe, et l’on ne voit plus guère que des différences d’incarnation. Ganio excelle dans l’élégance (la variation légère de la scène de la taverne), mais investit aussi tous les changements de style de sa partie. Lors de la scène finale, quand – juste avant le dernier pas de deux – il soulève sa jambe raide de ses mains pour avancer, on dirait qu’elle ne lui appartient plus (Marchand, de son côté, montre davantage la douleur).

Dorothée Gilbert, Hugo Marchand, Hannah O'Neill

Dorothée Gilbert, Hugo Marchand, Hannah O’Neill

Les perruques vous changent une ballerine ; avec leur frange sage et leur nœud rose, toutes les Mary Vetsera se ressemblent. Ludmila Pagliero, toujours très crédible en jeune fille, passe en un clin d’œil de l’innocence à la séduction (manque de chance, le 26 octobre, son coup de pistolet n’est pas parti, acte II, scène 5). Je m’aperçois que je pourrais dire la même chose de Dorothée Gilbert (28 octobre, avec Hugo Marchand) comme d’Hannah O’Neill (2 novembre). Je découvre que j’ai juste admiré l’investissement physique et technique des ballerines, sans m’interroger sur leur interprétation.

C’est sans doute que, faute d’appétence pour les grandes névroses, la psychologie de la donzelle Vetsera m’est à la fois opaque et indifférente. Coucher oui, mourir non : j’ai plus d’affinités avec le pragmatisme d’une Mitzi Caspar, un rôle dans lequel Bleuen Battistoni montre sa maîtrise des moulinets du poignet (à la Ashton) et nous persuade qu’il faut d’emblée la distribuer dans Manon (26 octobre). Et puis, le souvenir glaçant de la nuit de noces entre Rudolf et la princesse Stéphanie joue peut-être aussi un rôle (acte I, scène 3) : Éléonore Guérineau, porcelaine apeurée, s’y montre particulièrement bouleversante face à la brutalité de Rudolf Ganio (26 octobre).

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“Some enchanted evening/you may see …” (My spring season at the Paris Opera)

Just who wouldn’t want to be wandering about dressed in fluffy chiffon and suddenly encounter a gorgeous man in a forest glade under the moonlight? Um, today, that seems creepy. But not in the 19th century, when you would certainly meet a gentleman on one enchanted evening…« Who can explain it, who can tell you why? Fools give you reasons, wise men never try. »

Notes about the classics that were scheduled for this spring and summer season — La Bayadère, Midsummer Night’s Dream, Giselle — on call from April through July.

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After the confinement, filmed rehearsals, and then two live runs in succession, DOES ANYONE STILL WANT TO HEAR ABOUT LA BAYADERE? But maybe you are still Dreaming or Giselling, too?

Here are my notes.

Bayaderes

« Some enchanted evening, you may see a stranger across a crowded room. And somehow you know, you know even then, That somehow you’ll see her again and again. »

April 21

In La Bayadère, if Ould-Braham’s Nikiya was as soft and naïve and childlike as Giselle. Bleuenn Batistoni’s  Gamzatti proved as hard and sleek as a modern-day Bathilde: an oligarch’s brat. [Albeit most of those kinds of women do not lift up their core and fill out the music]. Their interactions were as clear and bright and graphic as in a silent movie (in the good sense).

OB’s mind is racing from the start, telling a story to herself and us, desperate to know how this chapter ends. Partnering with the ardent Francesco Mura was so effortless, so “there in the zone.” He’s one of those who can speak even when his back is turned to you and live when he is off to the side, out of the spotlight. Mura is aflame and in character all the time.

OB snake scene, iridescent, relives their story from a deep place  plays with the music and fills out the slow tempi. Only has eyes for Mura and keeps reaching, reaching, her arms outlining the shape of their dances at the temple (just like Giselle. She’s not Nikiya but a  Gikiya).

Indeed, Batistoni’s turn at Gamzatti in the second act became an even tougher bitch with a yacht, as cold-blooded as Bathilde can sometimes be:  a Bamzatti. There was no hope left for Ould-Braham and Francesco Mura in this cruel world of rich fat cats, and they both knew it.

April 3

Park  as Nikiya and later as Giselle will channel the same dynamic: sweet girl: finallly infusing some life into her arms in Act 1, then becoming stiff as a board when it gets to the White Act, where she exhibits control but not a drop of the former life of her character. I am a zombie now. Dry, clinical, and never builds up to any fortissimo in the music. A bit too brisk and crisp and efficient a person to incarnate someone once called Nikiya. Could the audience tell it was the same dancer when we got to Act 3?

Good at leaps into her partner’s arms, but then seems to be a dead weight in lifts. When will Park wake up?

Paul Marque broke through a wall this season and finds new freedom in acting through his body. In Act Three: febrile, as “nervosa” as an Italian racecar. Across the acts, he completes a fervent dramatic arc than is anchored in Act 1.

Bourdon’s Gamzatti very contained. The conducting was always too slow for her. Dancing dutifully. Where is her spark?

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Midsummer Night Dreams

« Some enchanted evening, someone may be laughing, You may hear her laughing across a crowded room. And night after night, as strange as it seems, The sound of her laughter will sing in your dreams. »

June 30

Very baroque-era vivid conducting.

Aurelien Gay as Puck: feather light.

Pagliero’s Titania is clearly a queen, calm and scary. But also a woman, pliant and delightful.

Jeremy Loup-Quer as Oberon has heft and presence. Dances nicely. Smooth, but his solos are kind of like watching class combinations. (Balanchine’s choreography for the role is just that, basically)

First Butterfly Sylvia Saint-Martin displayed no authority and did the steps dutifully.

Paris Opera Ballet School kiddie corps has bounce and go and delicate precision, bravo.

Bezard/Demetrius in a wig worthy of a Trocks parody. Whyyyy? Particularly off-putting in the last act wedding scene. Who would want to marry a guy disguised as Mireille Matthieu?

Bourdon/Hyppolita unmusical fouettés. I miss her warmth and panache. Gone.

Act 2 Divertissement Pas where the couple appears out of nowhere in the “story.” (see plot summary). The way Louvet extends out and gently grasps Ould-Braham’s hand feels as if he wants to hold on to the music. Both pay heed and homage to the courtly aspect of the Mendelssohn score. That delicacy that was prized by audiences after the end of the Ancien Régime can be timeless. Here the ballerina was really an abstract concept: a fully embodied idea, an ideal woman, a bit of perfect porcelain to be gently cupped into warm hands. I like Ould-Braham and Louvet’s new partnership.  They give to each other.

July 12

Laura Hequet as Helena gestures from without not from within, as is now usual the rare times she takes the stage. It’s painful to watch, as if her vision ends in the studio. Does she coach Park?

Those who catch your eye:

Hannah O’Neill as Hermia and Célia Drouy as Hyppolita. The first is radiant, the second  oh so plush! Hope Drouy will not spend her career typecast as Cupid in Don Q.

In the Act II  Divertissment, this time with Heloise Bourdon, Louvet is much less reverential and more into gallant and playful give and take. These two had complimentary energy. Here Louvet was more boyish than gentlemanly. I like how he really responds to his actresses these days.

Here the pas de deux had a 20th century energy: teenagers rather than allegories. Teenagers who just want to keep on dancing all night long.

NB Heloise Bourdon was surprisingly stiff at first, as if she hadn’t wanted to be elected prom queen, then slowly softened her way of moving. But this was never to be the legato unspooling that some dancers have naturally. I was counting along to the steps more than I like to. Bourdon is sometimes too direct in attack and maybe also simply a bit discouraged these days. She’s been  “always the bridesmaid but never the bride” — AKA not promoted to Etoile — for waaay too long now.  A promotion would let her break out and shine as she once used to.

My mind wandered. Why did the brilliant and over-venerated costume designer Karinska assign the same wreath/crown of flowers (specifically Polish in brightness) to both Bottom in Act I and then to the Act II  Female Allegory of Love? In order to cut costs by recycling a headdress ? Some kind of inside joke made for Mr. B? Or was this joke invented by Christian Lacroix?

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Giselles

« Some enchanted evening, when you find your true love, When you hear her call across a crowded room, Then fly to her side and make her your own, Or all through your life you may dream all alone.. »

 July 6

 Sae Eun Park/Paul Marque

 Sae Eun Park throws all the petals of the daisy already, does not lower the “he loves me” onto her skirt. There goes one of the main elements of the mad scene.

Her authoritative variations get explosions of applause due to obvious technical facility , plus that gentle smile and calm demeanor that are always on display.

What can Paul Marque’s Albrecht do when faced with all this insipid niciness? I’ve been a bad boy? He does try during the mad scene, shows real regret.

Ninon Raux’s Berthe:  gentle and dignified and not disdainful.

Park’s mad scene was admired by those around me at the top of the house. Many neophites. They admired from afar but not one of those I surveyed at the end of Act I said they had cried when her character died. Same thing at the end of the ballet while we reconnected and loitered around on the front steps of the Palais Garnier.  I asked again. No tears. Only admiration. That’s odd.

On the upside, the Paris Opera has a real thing with bourrées (piétinées), Each night, Myrtha and Giselle gave a plethora of what seemed almost like skateboard or surfing slides. They skimmed over a liquid ground with buttery feet whether forward, backward, or to the side. I think a new standard was set.

In her variations, Hannah O’Neill’s Myrtha gave us a will o’ the wisp of lightly churning jétés. She darted about like the elusive light of a firefly. Alas, where I was sitting behind a cornice meant a blocked view of downstage left, so I missed all of this Wili Queen’s acting for the rest of Act II.

Daniel Stokes’s Hilarion was not desperate enough.

Despite the soaring sweep of the cello, I don’t feel the music in Park-Marque’s Giselle-Albrecht’s pas de deux.  Not enough flow. Marque cared, but Park so careful. No abandon. No connection. The outline of precise steps.

July 11

 Alice Renavand/Mathieu Ganio

Act I

Battistoni/Magliono peasant pas: Turns into attitude, curve of the neck, BB swooshes and swirls into her attitudes and hops. As if this all weren’t deliberate or planned but something quite normal. AM’s dance felt earthbound.

Renavand fresh, plush, youthful, beautiful, and effortlessly mastering the technique (i.e. you felt the technique was all there,  but didn’t start to analyse it). I like to think that Carlotta Grisi exhaled this same kind of naturalness.

ACT II

The detail that may have been too much for Renavand’s body to stand five times in a row: instead of quick relevé passes they were breathtakingly high sissones/mini-gargoullades…as if she was trying to dance as hard as Albrecht in order to save him (Mathieu Ganio,, in top form and  manly and protective and smitten from start to stop with his Giselle. Just like all the rest of us)

Roxane Stojanov’s Myrtha? Powerful. Knows when a musical combination has its punch-line, knows how to be still yet attract the eye. She continues to be one to watch.

July 16

 Myriam Ould-Braham/Germain Louvet

Act I :

A gentle and sad and elegant Florent Melac/Hilarion, clearly in utter admiration of the local beauty. Just a nice guy without much of a back story with Giselle but a guy who dreams about what might have been.

Ould-Braham a bit rebellious in her interactions with mum. This strong-minded choice of Albrecht above all will carry into the Second Act. Myrtha will be a kind of hectoring female authority figure. A new kind of mother. So the stage is set.

Peasant pas had the same lightness as the lead couple. As if the village were filled with sprites and fairies.

Peasant pas: finally a guy with a charisma and clean tours en l’air:  who is this guy with the lovely deep plié? Axel Magliano from the 11th!  This just goes to show you, never give up on a dancer. Like all of us, we can have a day when we are either on or off. Only machines produce perfect copies at every performance.

Bluenn Battistoni light and balanced and effortless. She’s not a machine, just lively and fearless. That spark hasn’t been beaten out of her by management. yet.

O-B’s mad scene: she’s angry-sad, not abstracted, not mad. She challenges Albrecht with continued eye contact.

Both their hearts are broken.

Act II:

This Hilarion, Florent Melac, weighs his steps and thoughts to the rhythm of the church bells. Never really listened to a Hilarion’s mind  before.

Valentine Colasante is one powerful woman. And her Myrtha’s impatience with men kind of inspires me.

O-B and Germain Louvet both so very human. O-B’s “tears” mime so limpid and clear.

GL: all he wants is to catch and hold her one more time. And she also yearns to be caught and cherished.  All of their dance is about trying to hold on to their deep connection. This is no zombie Giselle. When the church bells sang the song of dawn, both of their eyes widened in awe and wonder and yearning at the same time. Both of their eyes arms reached out in perfect harmony and together traced the outline of that horizon to the east where the sun began to rise. It was the end, and they clearly both wanted to go back to the beginning of their story.

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What would you do, if you could change the past?

« Once you have found her, never let her go. Once you have found her, never let her go. »

The quotations are from the Rogers and Hammerstein Broadway musical called
« South Pacific » from 1949.

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A l’Opéra : trois essences de Giselle

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Sans doute reçoit-on la preuve qu’un chef d’œuvre est absolu et intemporel lorsqu’il nous est donné d’admirer, au travers de trois soirées, trois ballerines mettre en lumière des aspects et des couleurs foncièrement différents d’un même rôle tout en dégageant l’essence intrinsèque du ballet. L’histoire même du ballet Giselle a commencé ainsi. Créé par la blonde et solaire italienne Carlotta Grisi, dans un costume pourpre et bouton d’or, il a été dramatiquement « augmenté » de l’interprétation d’une autre beauté blonde solaire mais autrichienne, Fanny Elssler, qui a donné à la scène de la folie qui clôt l’acte 1 une signifiance particulière. Après une longue éclipse en France (le ballet a été pour la dernière fois dansé en 1867 avant de ne revenir sur scène qu’en 1909, rapporté par les Russes de Serge de Diaghilev), le standard d’interprétation a été comme fixé dans le marbre par une russe aux cheveux de geai, Olga Spessivtseva, qui dans une petite robe bleue dessinée par Alexandre Benois, a tracé le portrait d’une jeune fille fragile et cardiaque. Dès lors, chacun a son avis mais il n’est pas rare d’entendre qu’unetelle ne peut danser Giselle parce qu’elle « est blonde », ou qu’elle « est grande », ou qu’elle « a l’air en trop bonne santé » : « Je ne la vois pas dans le rôle » est une tarte à la crème des discussions de Balletomanes et hélas parfois aussi, des directeurs de compagnie mal inspirés.

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P1180443Ma première Giselle (le 3 juillet en matinée) possédait à peu près toutes les qualités qu’on attend à priori d’une Giselle. Dorothée Gilbert est une brune point trop grande avec une vivacité de bon aloi au premier acte mais aussi des pommettes légèrement creusées qui peuvent être compatible avec le modèle consomptif de l’héroïne. La délicatesse des lignes et des attaches convient parfaitement au deuxième acte. L’ami James a déjà rendu compte de cette distribution, aussi ne m’étendrai-je pas sur tous les aspects de la représentation. Ce qui m’a frappé et ému dans cette matinée, c’est l’originalité du quintet matrimonial à l’acte 1. En effet, les cinq protagonistes semblaient réellement amoureux, qu’ils soient payés ou non de retour. Durant la première scène de confrontation, on avait le sentiment qu’il y avait eu un attachement amoureux entre Hilarion (Fabien Révillion, extrêmement émouvant) et Giselle. On sortait donc du schéma du lourdaud favorisé par la maternelle de l’héroïne et cela donnait un supplément d’âme et de drame à l’ensemble. De même, la Bathilde d’Aurélia Bellet semblait sincèrement attachée à son fiancé et, loin de l’habituelle distance hautaine qu’on nous sert souvent durant la scène de la folie, elle paraissait à la fois effondrée d’avoir été trahie tout en étant bouleversée par le destin de la jeune paysanne qui tombait en morceaux sous ses yeux. Hugo Marchand, dépeignait un prince totalement sincère, allant où son cœur le porte et ne réalisant sa faute qu’au moment où la mère de Giselle (Laurène Lévy) lui retire le poignet de sa fille morte sur lequel il versait des larmes.

Avec un tel acte 1, il ne restait qu’à se laisser porter durant l’acte 2. Hilarion-Révillion est mort avec le panache d’un héros romantique sous les coups de Myrtha (une Hannah O’Neill parfaite visuellement et techniquement mais à l’autorité un peu en berne) et Hugo Marchand, fidèle à son premier acte, fut un prince éploré n’ayant cure de sa cape et repartant avec une seule marguerite dans la main comme trésor lorsque Giselle (une Dorothée Gilbert aux équilibres flottés) l’aura laissé seul face à son destin.

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P1180470Le 4 juillet, avait lieu une prise de rôle bien tardive dans le rôle-titre. Alice Renavand, dont les adieux étaient programmés le 13 du même mois, est sans doute l’exemple même de tout le mal que peut faire le typecasting dans la trop courte carrière d’une artiste chorégraphique. Plutôt grande et respirant la santé, cataloguée contemporaine parce qu’après quelques années difficiles dans le corps de ballet elle a été choisie par Pina Bausch elle-même pour danser son Sacre, Alice Renavand a été peu vue dans des purs classiques. Elle a dansé Kitri en 2012 avec un très jeune François Alu. Elle a été Lise en 2018. Mais je ne souviens pas l’avoir vu distribuée en Odette-Odile ni en Aurore durant sa carrière. Elle a fait un très beau pas de deux du tabouret de Cendrillon lors des soirées de reprise post-premier-confinement en 2020. Sa prise de rôle-adieux dans Giselle pouvait paraître sur le papier un choix curieux. Et au final, il nous a fait amèrement regretter que l’Opéra se soit réveillé si tard pour donner sa chance à cette Giselle. Alice Renavand, dès sa sortie de la petite maison, respire à la fois la fraîcheur et le feu. On a peine à imaginer qu’il s’agit là d’une prise de rôle tant tout est inspiré et en place, aussi bien dramatiquement – elle dépeint une jeune fille légère, enjouée et insouciante – que techniquement (elle nous gratifie notamment d’une très belle diagonale sur pointe). Son prince parjure, Mathieu Ganio, un habitué du rôle, émerveille aussi par de petits détails d’interprétation comme lorsqu’il fait mine, au moment de toquer à la porte, de regarder par la fenêtre de la chaumière de toile peinte. Giselle-Renavand n’est pas en reste pour les petits détails subtils d’interprétation. La scène où Giselle touche la fourrure de la traine de Bathilde est absolument touchante. La jeune fille ne fait que l’effleurer avec déférence.

Sa scène de la folie, comme amplifiée par la réalisation de la trahison, est en revanche extrêmement puissante, notamment lorsqu’elle se jette dans la foule et percute Bathilde épouvantée (de nouveau Aurelia Bellet, ici dans une approche plus traditionnelle de son rôle). L’épisode de l’épée, entrecoupé de rires hystériques, est effrayant. On ne sait pas bien si cette Giselle va attenter à sa vie ou s’en prendre à quelqu’un. Albrecht-Ganio, comme prostré, se tient la tête entre les mains. Lorsque Giselle reprend brièvement ses esprits, elle se catapulte littéralement dans ses bras avant de s’effondrer comme une masse. On est sonné…

A l’acte 2, Renavand est moelleuse à souhait. Son visage aux yeux baissés n’est jamais fermé. Il y a une légèreté et un suspendu dans cette Giselle dès son premier tourbillon d’entrée. On s’émerveillera aussi dans le courant de l’acte de sa série d’entrechats voyagés. Quel ballon ! La rencontre avec Abrecht-Ganio est très émouvante. Renavand cisèle son lâcher de fleurs et Ganio mime à la perfection les tentatives manquée de saisir son doux spectre. Il y a un bel accord de lignes entre les deux partenaires. La pose finale de l’adage est quasi allégorique. Mathieu Ganio élude certes les entrechats six pour des sauts de basque mais sait les moduler pour demander toujours de manière plus véhémente sa grâce à Myrtha (une Roxane Stojanov en devenir, avec certes de jolies lignes et du ballon qui en feront une belle reine des Willis mais pour l’heure un manque d’autorité flagrant ; son dos n’exprimant rien). Lors de leur première confrontation, il offrait encore son poitrail à la reine mais c’est qu’il croyait qu’il rejoindrait Giselle dans la mort. Entre temps, le doux fantôme l’avait persuadé qu’il fallait tenir le reste de la nuit afin de les sauver tout deux ; on s’émeut notamment de la pantomime de la marguerite faite au dessus du corps effondré d’Albrecht. C’est l’Hilarion d’Axel Ibot qui a connu ce sort que, lui aussi, il appelait de tous ses vœux (sa pantomime au début de l’acte, pourtant noyé de fumigènes, est l’une des plus claires qu’il m’ait été donné de voir).

La représentation s’achève sur cette même note fervente et émouvante quand Ganio soulève une Alice Renavand sans poids puis effleure son tutu avant qu’elle ne disparaisse définitivement dans la tombe, sauvée par la preuve d’amour du fiancé qui a su racheter son parjure.

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img_2046Pour deux petites représentations dont une matinée, Myriam Ould-Braham clôturait la saison de Giselle le 16 juillet. Les voies du seigneur sont impénétrable et on se gardera bien de chercher les raisons qui ont fait qu’une danseuse émérite, qui a déjà brillé dans le rôle, s’est retrouvée seule dépouillée de ses dates afin d’en offrir 5 (ou plutôt 4 1/2) à Alice Renavand. Mais peut-être « ne la voyait-on pas dans le rôle » ? Il est vrai que Myriam Ould-Braham « est une charmante fille [blonde] aux yeux bleus, au sourire fin et naïf, à la démarche alerte […] », bien loin donc de la brune qui a le palpitant qui déraille. Mais tiens ? Ne viens-je pas de citer Théophile Gautier décrivant Carlotta Grisi, la danseuse pour laquelle il a inventé le ballet tout entier ?

Car c’est Carlotta Grisi que Myriam Ould-Braham évoque. Au premier acte, elle dépeint une Giselle à peine sortie de l’enfance. Lorsqu’elle sort de la chaumière, elle illumine la scène de sa présence rayonnante et de sa joie de vivre. On s’identifie à Albrecht (Germain Louvet, qui exprime parfaitement sa fascination face à la jeune fille. A l’Opéra de Paris, les princes sont légers mais sincères). La scène du banc est un charmant badinage amoureux où chacun rend coup pour coup. Albrecht donne un petit coup d’épaule mais Giselle s’esquive gracieusement et laisse le séducteur un peu pantois. Il y a de la « fille mal gardée » dans cette ouverture. Lorsque la marguerite dit « non », Myriam-Giselle la fait glisser discrètement au sol et semble s’en vouloir d’avoir joué à ce jeu idiot. Germain-Loys-Albrecht, en arrachant un pétale semble moins la berner que lui dire « allez, n’y pense plus ! ». Les nuages s’amoncellent ; Hilarion se plaint et menace (Florent Mélac, poignant amoureux transi), un malaise la prend, Berthe tonne et met en garde mais Giselle est heureuse et prête à tout quand il s’agit de son amoureux (la rentrée forcée à la maison est là encore très « Lise »). Elle reçoit le cadeau de Bathilde (Marion Gautier de Charnacé, très bonne, très noble) avec grâce et danse une variation de la diagonale impeccable (notamment pour ses équilibres tenus sans être « plantés » dans le sol).

Toute cette légèreté de ton préserve la surprise du dénouement tragique. La scène de la folie de Myriam Ould-Braham est saisissante. Debout au centre de la scène, pliée en deux et la tête dans les bras, elle regarde l’assemblée par le dessous. Sa pantomime est simplifiée à l’extrême. Elle fixe ses mains présentées en supination puis se tourne vers Albrecht, interrogatrice. Sa folie est plutôt une rage intérieure où les rires déréglés se mêlent aux sanglots. Pour la première attaque cardiaque, où Giselle reprend son pas avec Albrecht de manière désarticulée, Myriam Ould-Braham résiste à la musique et reste presque immobile puis précipite violemment le mouvement avant de s’effondrer. Tant de violence après tant de douceur. On a les larmes aux yeux…

A l’acte 2, la magie blanche coutumière de Myriam Ould-Braham opère comme toujours. Elle fait une très belle entrée avec son tourbillon aérien et des coupés-jetés parcourus jusqu’à l’envol. Tous ses équilibres sont suspendus. De très jolis petits ronds de jambes ébouriffent la corolle de son tutu qui semble alors la libérer de l’apesanteur. Son mouvement continu, jamais fixé dans une pose, renforce l’impression fantomatique. Ce doux spectre convient bien à la nature introspective et lyrique de Germain Louvet dans le rôle d’Albrecht. Il n’est jamais aussi bien qu’en partenaire même si on reste ébaubi de ses jetés aériens et de sa batterie cristalline. Son Albrecht semble accepter le sort que lui réserve Myrtha (Valentine Colasante, qui allie puissance du parcours et légèreté du ballon, implacabilité et qualité éthérée.). Giselle-Myriam semble transférer sa volonté de survie à ce prince d’abord résigné : Ould Braham est une Giselle qui retourne à la tombe un léger sourire sur les lèvres. Germain-Louvet n’emporte aucune fleur. Il touche la Croix de la tombe de sa bien-aimée comme pour y insuffler un peu de sa chaleur et de son amour… Un bel adieu inattendu.

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Voilà bien des raisons d’être satisfait. Trois Giselle, trois visions personnelles et pertinentes du même ballet, sans cesse repris, jamais usé, sans cesse renouvelé.

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Roland Petit à l’Opéra : histoires d’interprètes

Programme Hommage à Roland Petit. Palais Garnier. Représentations du vendredi 2 et du mercredi 7 juillet 2021.

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Rideau de scène du Rendez-Vous. Pablo Picasso

Un mois après les premières représentations, de retour à Garnier, on s’étonne du regard nouveau qu’on peut porter sur le Rendez-Vous. Ce ballet, un peu frelaté, un peu réchauffé, reprenait de l’intérêt dans deux distributions très différentes. Le 2 juillet, Florent Melac, qui nous avait paru bien pâle en Escamillo le 3 juin, incarnait le jeune homme du Rendez-vous de manière très juvénile et touchante : avec un joli mélange de clarté de lignes, de souplesse (ses attitudes qu’il projette vers sa tête sont presque féminines) et de sensibilité à fleur de peau, le danseur émouvait dans le rôle du puceau malchanceux à la recherche de sa première passion. L’ensemble de la distribution était d’ailleurs du même acabit. Le Destin de Nathan Bisson paraissait bien jeune lui aussi. Ainsi, pendant la rencontre à l’ombre du pilier du métro aérien, le jeune et son persécuteur partageaient une forme de gémellité : Florent Melac semblait interagir avec son propre cadavre. Roxane Stojanov, fine comme une liane dans sa robe noire, dégageait un parfum douceâtre et vénéneux. Le pas de deux dans ses intrications de bras et de jambes devenait un subtil jeu de nœud-coulant, sensuel en diable.

Le 7 juillet, la dynamique est tout autre. Alexandre Gasse n’est en aucun cas un jeune poète des Sylphides égaré dans un film néoréaliste comme Ganio ou un tendron en recherche d’amour. Son Jeune Homme est néanmoins absolument satisfaisant. Sa danse pleine, énergique et masculine lui donne un côté plus terre à terre. Il est le seul à montrer clairement comment la prophétie fatale l’isole des autres. Cela rend son association avec le bossu (le vaillant et bondissant Hugo Vigliotti qu’on aura vu les 4 fois dans ce rôle) plus intime et par là-même plus poignante. Aurélien Houette, qu’on avait déjà vu et apprécié dans le Destin, se montre absolument effroyable avec un sourire éclatant, dans une complète jouissance du mal et de la souffrance morale qu’il inflige. La connexion avec Alexandre Gasse est évidente : on sent ce dernier complètement agi par son partenaire et réduit à l’état de marionnette. Amandine Albisson, en Plus belle fille du monde, se montre sensuelle dès son entrée. Soyeuse comme sa robe, elle n’est pas une jeune fille et clairement une « professionnelle ». Le pas de deux entre elle et Gasse prend la forme d’une parade amoureuse. Il y a l’approche et les préliminaires, les premiers frottements qui conduisent à l’acte sexuel. Les poses suggestives suivies de pâmoisons voulues par Petit évoquent l’acte lui-même. Le coup de rasoir ne figure rien d’autre que l’orgasme. On frissonne quand on était resté de marbre avec la distribution de la première.

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Le Jeune Homme et la Mort. Décor. Paysage après la bataille.

Etonnamment, l’alchimie qui manquait au couple Renavand-Ganio dans Le Rendez-vous était justement au rendez-vous du Jeune Homme et la Mort. Mathieu Ganio mettant l’accent sur la pesanteur dans tous les nombreux moments de musculation du ballet (soulèvement de la chaise, traction de la table) rend palpable le poids du destin qui pèse sur le lui. Alice Renavand, quant à elle, déploie un legato dans les ralentis qui matérialise à l’avance la conclusion inéluctable du ballet. Le couple ménage des temps d’attente très sensuels (la pointe sur l’entrejambe du danseur ou la pose de la danseuse en écart facial, accrochée face au bassin de son partenaire). Alice Renavand souffle très bien le chaud et le froid. Mathieu Ganio répond à ces sollicitations contradictoires avec une belle expressivité. A un moment, tapant du pied, il a un mouvement d’imprécation avec ses deux paumes de main ouvertes ; une invite de la femme et ses mains se décrispent évoquant désormais une supplique avant de se tendre, avides vers l’objet de son désir… Après une dernière agacerie explicite de la femme en jaune, son jeune homme se rend compte du jeu pervers de sa partenaire. Il ressemble désormais à une phalène qui essaierait d’échapper à l’attraction de la lanterne qui la tuera. Ayant assis le jeune homme sur sa chaise, Renavand ne pianote pas discrètement sur le dos de son partenaire comme le faisait Dorothée Gilbert avec Mathias Heymann. Elle martèle impitoyablement son clavier l’air de dire : « N’as-tu pas enfin compris ? ». Le couple Renavand-Ganio ne vous laisse jamais oublier la potence qui trône dans la chambre de l’artiste martyr.

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Carmen. Scène finale.

Carmen était sans doute la principale raison pour laquelle on avait repris des places pour le programme Petit et la distribution du 2 juillet était particulièrement attendue. Amandine Albisson comme Audric Bezard avaient déjà interprété les rôles principaux de ce ballet chacun avec un partenaire différent. Amandine Albisson m’avait séduit par son élégance très second degré dans un rôle trop souvent sujet à débordements le 2 juin face à Stéphane Bullion tandis qu’Audric Bezard m’avait donné le vertige par la violence assumée de son interprétation le jour suivant aux côtés de Ludmila Pagliero. Ces deux interprétations ne pouvaient s’accorder et on était curieux des ajustements que les deux artistes, qui nous avaient déjà conquis dans Onéguine ou La Dame aux camélias, allaient apporter à leur vision du rôle. Et le petit miracle attendu a eu lieu. Amandine Albisson incarne ainsi, sans perdre de sa subtilité, une Carmen beaucoup plus sûre de sa féminité et manipulatrice. Don-Bezard reste dévoré de passion mais celle-ci est plus saine et peut être aussi plus poignante car elle est davantage guidée par un sincère attachement amoureux que par un simple désir de possession. Dans la scène de la chambre, il dévore sa Carmen des yeux lorsqu’elle remet ses bas avec une affectation calculée et regrette immédiatement son geste après l’avoir jetée au sol. La dernière partie du pas de deux y gagne en tendresse et en sensualité. La scène de l’arène enfin ressemble plus à une querelle d’amants qui tourne mal (la Carmen d’Albisson ne considère jamais sérieusement le bellâtre Escamillo, subtilement délivré mais avec gusto par Mathieu Contat) : les coups de pieds et les baffes pleuvent des deux côtés dans un crescendo de violence impressionnant. Le coup de couteau final et la dernière étreinte laissent un Don José hébété, comme s’il prenait conscience de sa désormais inéluctable incomplétude.

La salle ne s’y trompe pas qui récompense le couple par une véritable ovation.

Aurais-je dû en rester à cette incarnation d’exception ? Voilà ce que je me demandais le 7 juillet pendant la scène des cigarières. Hannah O’Neill et Florian Magnenet parviendraient-ils à emporter mon adhésion après le couple Albisson-Bezard ? La réponse est oui. Magnenet comme O’Neill prennent le parti de la clarté technique, du classicisme et de l’élégance. Don Florian, dans sa première variation, s’emploie même à accentuer sa partition très exactement sur les éructations « l’aaaamour » du corps de ballet. Pour sa variation de la taverne, Hannah-Carmencita prend le parti de jouer « cygne noir ». Elle porte beaucoup de paillettes sur ses cheveux et s’emploie à finir de les éparpiller en s’époussetant le dessus de la tête avec son éventail. Pour la scène de la chambre, les deux danseurs nous transportent dans le temps. Lorsque le rideau jaune s’entrouvre, il est clair qu’on n’en est pas aux délices de la première nuit d’amour. L’ambiance est clairement morose entre les deux amants et on assiste à une dispute suivi d’un fragile rabibochage. O’Neill ne baisse la garde qu’après les baisers et, s’il n’est pas dénué de sensualité, l’acte sexuel évoqué par la fin du pas de deux sent la lassitude des corps et des âmes.

Faire de Don José un voleur et un meurtrier aura été pour Carmen un travail de longue haleine. Dans sa courte variation du poignard, Magnenet semble encore adresser une prière à l’arme blanche, à moins que ce ne soit une supplique à Dieu. Durant la Scène de l’arène le Don José de Magnenet menace-t-il sérieusement la Carmen d’O’Neill ? Il se laisse certes emporter par sa colère mais la scène devient comme une scène chambre poussée à l’extrême. Carmen prend conscience du danger avant son amant. Poignardée, elle frétille des pieds comme une bête prise au piège. Don José fixe les mains de sa victime, hébété. Il réalise seulement quand elles se détachent de ses mains et tombent au sol, inertes, qu’il a tué. Carmen aurait-elle réussi au-delà de ses espérances son œuvre de dévoiement d’une âme pure ?

Même les programmes un peu bancals, ainsi celui d’Hommage à Roland Petit à l’Opéra, peuvent ainsi, à la revoyure, réserver quelques bonnes surprises quand il sont portés par des artistes inspirés…

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Roméo et Juliette : vin et champagne

P1180002Au soir du 29 juin, première de la distribution réunissant Dorothée Gilbert et Hugo Marchand, j’ai eu quelques minutes d’absence. En voyant un puissant Tybalt fendre l’espace, je me suis demandé : « mais qui est ce petit jeune qui danse si bien et ressemble à Mathieu Ganio, aérien sur la place du marché, terrien et viscéral dans la danse des chevaliers? ». À l’entracte, un coup d’œil à la feuille de distribution m’ôte les écailles des yeux : c’était Mathieu Ganio.

À ma décharge, je n’ai, depuis quelques jours, plus tout mon esprit, tant l’entêtante musique de Prokofiev trotte en permanence dans ma cervelle. La faute en est, principalement, à l’allant et à la truculence que met le corps de ballet à rendre les scènes de marché qui parsèment les deux premiers actes. Quand la musique – et la chorégraphie avec elle – fait prout, ils rendent tout ça l’air de rien, et la trivialité passe comme une lettre à la poste.

Dans le rôle de Mercutio, Pablo Legasa donne une prestation du même tonneau : suprêmement élégant, même dans la pitrerie. Un des grands plaisirs de la représentation du 29 juin tient d’ailleurs à l’excellence du trio des « O » composé par Hugo Marchand, Fabien Revillion (Benvolio) et Pablo Legasa. Voilà trois Roméos, dont deux virtuels (Revillion comme Legasa pourraient danser le rôle), dont on se prend à imaginer l’interprétation, et dont on jouit de l’interaction : le grand, le blond et le frisé sont d’apparence disparate, mais ils ont en commun le style, et, miraculeusement, tout fonctionne.

Quand il suit sa Rosaline (Fanny Gorse), Hugo Marchand donne l’impression de chercher sa voix : on dirait un outsider qui tente de s’incruster dans le groupe en imitant ses membres. C’est précieux, mais c’est une danse de gentil suiveur. La transfiguration que suscite la rencontre avec Juliette n’en est que plus spectaculaire : il est comme galvanisé, enchaînant les sauts avec une fougue inattendue. La Juliette de Dorothée Gilbert opère aussi un changement à vue : elle dansait poliment avec Pâris, et la voilà comme aimantée par le regard de Roméo.

Le partenariat Gilbert-Marchand se distingue par la lisibilité des intentions dramatiques : c’est si fin, si précis qu’on croirait les entendre parler ; ils rendent saillant chaque détail de l’intrigue et de la progression dans le sentiment amoureux, sans pour autant appuyer car ils passent bientôt au suivant. Le spectateur en sort bouche bée : tout prend sens, mais tout est fluide et poignant.

Dès le pas de deux dit du balcon, le spectateur tressaille en anticipant la suite : quand Dorothée-Juliette, après l’avoir quitté, revient vers Roméo-Hugo, il se relève sur ses genoux comme si son aimée lui faisait retrouver l’air. L’interprétation fait signe vers le drame, ce qui satisfait le spectateur-pleureur (celui qui sait déjà, par exemple, à la première alerte cardiaque de Giselle, que tout ça va mal finir).

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Par contraste, le couple formé Myriam Ould-Braham et Mathias Heymann paraît moins déjà marqué par la tragédie (soirée du 3 juillet) : il y a plus de légèreté sensuelle chez lui, plus d’insouciance chez elle, à tel point que la première interaction entre les deux personnages n’emporte pas d’emblée l’adhésion, tant le souvenir de la parade amoureuse de Dorothée Gilbert, qui arrive à ne quasiment pas quitter son Roméo du regard, même quand elle échange quelques pas avec Mercutio et Pâris, reste présent à l’esprit. Mais bientôt le naturel du partenariat entre Myriam O.-B. et Mathias H. enchante, et ceci jusqu’à la fin.

Lors du pas de deux de l’acte III dans la chambre de Juliette, Heymann et Ould-Braham rendent palpables le souvenir du pas de deux du balcon. C’est comme une réminiscence douloureuse : le même enchaînement est répété, mais cette fois, il se colore d’un grand demi-plié en effondrement de la ballerine dans les bras du danseur.

S’il fallait comparer les deux distributions-vedette, on parlerait d’amour-passion dans un cas, et d’amour-bisous de l’autre ; de ligne claire chez Marchand-Gilbert, et de danse moussue chez Ould-Braham-Heymann. Les uns sont un vin, les autres un champagne ; les premiers sont superbes, les seconds adorables. Pourquoi choisir ?

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Roland Petit à l’Opéra : chercher la femme

img_8999Programme Hommage à Roland Petit. Ballet de l’Opéra de Paris. Palais Garnier. Représentations du mercredi 2 juin et du jeudi 3 juin. Réouverture de la saison.

Palais Garnier, rotonde du Glacier, 1er entracte

Cléopold (de fort méchante humeur, avisant James, planté devant un des bustes en marbre sur piédouche qui ornent la rotonde) : ah, vous voilà, vous ? Alors, bien dormi depuis la première hier soir ? Vous vous-êtes racheté une paire d’yeux ?

James (interloqué mais déjà amusé) : Bonsoir, Cléo, (appuyant sur le mot) et VOUS, je ne vous demande pas si vous avez bien dormi, car il est évident que vous vous êtes au moins levé de vos DEUX pieds gauches… Que me vaut l’honneur de votre insigne déplaisir?

Cléopold : Le Jeune Homme, MO-sieur, le Jeune Homme. Ou devrais-je plutôt dire LA Mort d’hier soir…

James : tut-tut ! Comme vous y allez… Tout de suite, le verre à moitié vide plutôt que le verre à moitié plein … Ainsi, je suis sûr que nous allons trouver des points d’accord sur le Rendez-vous. D’ailleurs, voici Fenella, qui saura jouer les conciliatrices …

Fenella : Hello Cléopold ! (puis, d’une manière plus pincée) … Oh, hi, James….

James (commençant à perdre de sa superbe) : … Fenella ? Vous aussi… (se reprenant) Bon, trouvons des points d’accord… Déjà, la première prévue au 28 mai reportée au 2 juin… C’est on ne peut plus « Opéra », non ?

Cléopold grogne, Fenella lève les yeux au ciel

Une première post-confinement retardée pour cause d’incurie dans la gestion des travaux (on avait oublié de tester valablement les cintres) …

Cléopold (fulminant) : 7 mois, ils avaient 7 MOIS !

James : et tout n’est pas encore réglé. Avez-vous remarqué ? La douche censée éclairer le chef d’orchestre tombe sur le 2e rang !  Mais qu’importe, après tant de mois de frustration, on accepterait volontiers d’essuyer les plâtres plutôt que d’attendre les retrouvailles un jour de plus.

Fenella : Et donc, ce Rendez-vous ?

James : Au jeu des comparaisons, le Rendez-vous est hors-catégorie puisque – sans doute du fait de la préséance donnée aux étoiles – Mathieu Ganio et Alice Renavand dansent encore ce soir. La reprise de cette pièce obéit à une logique esthétique paresseuse : ça vous a un petit air de carte postale signée Carné-Prévert, peut-être se dit-on que ça fait couleur locale, mais l’effet en est largement éventé.

Fenella : sans oublier Brassaï… Le Rendez-Vous, c’est ni plus ni moins un florilège de nostalgies du Saint-Germain-des-Prés d’après-guerre.

Cléopold : C’est une œuvre hybride… à la fois un peu musée et laboratoire de tous les grands ballets à suivre de Roland Petit (la femme fatale un peu sadique, la mort, le bossu, la figure masculine émasculée, les introductions de mouvements mécaniques etc…). Mais allez savoir… C’est surtout une reconstruction par Petit d’un ballet dont il avait lui-même oublié la chorégraphie. Allez savoir si les similitudes qu’on distingue ne sont pas plutôt une évocation-bilan de l’œuvre accomplie plutôt qu’annonciatrice de ce qui devait suivre après 1944. De toute façon, déjà en 1991, et en dépit des créateurs – Pensez ! Kader Belarbi et Marie-Claude Pietragalla, Cyril Atanasoff dans le destin, Jean Guidoni qui chantait les feuilles mortes – la seule raison d’être de cette reprise était le rideau de scène de Picasso dans le cadre d’un programme Picasso et la Danse…

Fenella : du coup, ici, cela fait un peu trop de la même chose. Ce qui m’agace toujours avec ces triple bill parisiens c’est qu’ils sont répétitifs : femme fatale + atmosphère + angoisse existentielle masculine = un programme varié.

(avec une moue) Les ballets de Roland Petit’s essayent toujours de nous faire prendre parti dans la prétendue guerre éternelle entre hommes et femmes…

Cléopold : Et puis, pour un hommage, c’est assez peu rétrospectif… J’aurai préféré voir Les Forains (un autre ballet qui joue sur l’atmosphère d’après-guerre) ou encore Le Loup ou l’Arlésienne… On serait resté dans le tragique mais on aurait moins soupé de la (appuyant les derniers mots avec une voix caverneuse) Femme Fataaaaaale.

James : bon, et cette unique distribution de reprise ?

Fenella : Les “types” était bien distribués. le bossu alerte et vivant d’Hugo Vigliotti qui interagissait avec la délicate, touchante sans être pitoyable, vendeuse de violettes de Victoria Anquetil, l’aisance fluide d’Ines McIntosh et Samuel Bray dans le jeune couple …

Cléopold : je vous suis tout à fait, Fenella…. Aurélien Houette, dans le rôle du destin, était une figure de mort-vivant tout à fait glaçante… (riant) J’ai pensé à la scène de mort-vivant de « Thriller »(Se reprenant) en plus subtil. Sa pantomime avait le tranchant de la lame de rasoir qui coupera finalement la gorge du jeune homme ensorcelé par « la plus belle fille du monde ».

Fenella (fronçant les sourcils) : Cléopold ! Vous empiétez sur mon territoire… Les parallèles pop-music, c’est MA spécialité…

James : Bon, et à propos de la « plus belle fille du monde »…

Fenella : Alice Renavand a fait preuve d’énergie, de poigne et de force mais n’est pas parvenue à me convaincre. Était-elle à contre-emploi ? Elle, qui peut être poétique, par exemple dans Kagayuhime, passe son temps à être distribuée comme la bitch de service.

Cléopold : je l’ai trouvée aguicheuse mais pas vénéneuse… Dommage… Ganio était un parfait jeune homme poète. Il a évité à la rencontre avec la « plus belle fille du monde » de tomber complètement dans le trivial. (soudain) Ah… La clochette…

(se tournant vers James) Bon, j’espère que nous serons moins en désagrément qu’hier au soir…

img_9279James :

Cléopold : Mais enfin James, qu’avez-vous donc à vous perdre dans la contemplation de ce buste en marbre d’une plantureuse actrice ?

James : plantureuse, vraiment ? Non, ce qui m’interpelle, c’est le cartel sur le socle…

Cléopold : … cartels qui viennent d’être refaits… Oh sapristi!!

James : Oui, pourquoi un buste de femme avec le nom d’un poète breton ? Vous pensez que l’Opéra a vraiment pris le grand tournant de la diversité et de l’inclusion ?

Cléopold (agacé) : Pourquoi ne suis-je pas étonné ? Il y a dû y avoir une inversion de plaque… Ce buste doit être celui de MADEMOISELLE Maillard, une cantatrice… Mais du coup, il est où le Maillard breton ?

James : J’ai cherché aux alentours et aux secondes loges un mec avec un placard de fille. Il faut élargir le périmètre…

Fenella : Rendez-vous dans les couloirs des troisièmes loges au prochain entracte ?

James et Cléopold : Deal !

Entracte 2, couloir des 3e loges

James (titubant, comme égaré) : ah mais ce Jeune Homme ! J’ai l’impression que la représentation d’hier était comme un brouillon de ce soir ! Mathias Heymann est, à n’en pas douter, l’interprète le plus remarquable de nos jours de ce rôle : c’est vraiment un peintre qui tourne comme un lion en cage dans son studio mansardé et mal isolé (il n’en existe plus, c’était un loyer « loi de 1948 »). Le danseur délaisse la joliesse, fait du bruit – lui qui est si chat, le voilà qui appuie ses réceptions –, montre une angoisse qui prend aux tripes.

Cléopold : Hier, Marchand n’était pas l’artiste, il était la peinture : physique de Raphaël et poses torturées de Saint Sébastien baroque. Oui, c’était beau mais Heymann … Heymann est captivant même couché sur un lit faisant de petits moulinets de l’avant-bras de manière machinale. Il parvient à donner l’impression d’un ralenti forcé qu’il utiliserait pour se calmer. Il installe dans cette chambre de carton-pâte un huis-clos étouffant. Le jeu avec la montre ! Viendra-t-elle? Elle est en retard !

Fenella : Le Jeune Homme de Marchand semblait émotionnellement et physiquement au bout du bout dès le début, ce qui peut être une interprétation valide. Mais cela ne laissait pas de place à la peinture de l’horreur montante qui s’empare de l’homme au fur et à mesure qu’il réalise son sort. Il a fait ce qu’il a pu mais sa partenaire … (pause) ne l’a pas porté.

Cléopold (regardant triomphalement James) : VOI_LÀ !!…

James : quelques secondes après l’entrée de Laura Hecquet, j’ai cru saisir la note qu’elle tenait (un personnage simplement sadique), et m’en suis désintéressé, pour ne regarder que le danseur.

Cléopold (s’exaltant de nouveau) : Il y avait une vitre blindée entre elle et son partenaire. Les ressorts du Ballet paraissaient donc cousus de fils … jaunes. Les interactions n’était plus poétiques et cruelles mais grand-guignolesques… un naufrage en direct ! Vous voyez, vous voyez, James qu’on NE PEUT PAS se contenter de regarder le jeune homme !

Fenella (inquiète) : Cléopold, calmez-vous, vous êtes encore au bord du malaise vagal ! C’est vrai que la monotone Mort de Hecquet manquait de poids. Dans son entrée, l’orchestre produit un boum boum emphatique pour donner plus de punch à ses grands développés; voilà un cas où il ne faut pas manquer d’être en mesure. Or, elle ne l’était pas.

Cléopold (encore fiévreux) : Ses premiers piétinés d’entrée … Coppélia, acte 2 qui aurait piqué la perruque de sa maman!

Fenella (d’une voix posée) : Sa domination manquait de jubilation, ce qui vidait le personnage de tout son vice. En fait, je ne pouvais m’imaginer comment à la base cet homme avait jamais pu la trouver captivante.

James : Je le concède, maintenant que j’ai vu Dorothée Gilbert avec Mathias Heymann, il ne peut y avoir de jeune homme et la Mort sans mort.

Cléopold : Gilbert entre, et on trouve à la fois l’implacable mais aussi la sensuelle mort, celle qui eut de la passion charnelle pour l’artiste. Alternent les moments de pure cruauté et d’intimité presque sexuelle. Au moment de montrer la corde à Heymann-jeune homme, elle tapote sur son dos comme si elle répétait sur son clavier la toccata de Bach qui sert de fond à ce drame fantastique.

James : cette ballerine parvient à donner de la sensualité à ses gants. Elle est à la fois câline et cruelle, sensuelle et brutale. Au jeu du chat et de la souris, elle est celle qui mène la danse : on le voit clairement lors du manège de sauts que fait le danseur autour d’elle : on dirait qu’elle le téléguide. Alternant caresses et coups de pied, elle est (ménageant son effet) une (a)mante religieuse.

img_9278Fenella : joli, James ! Mais au fait, nous sommes-là pour une chasse au trésor, non ? On cherche un monsieur avec une étiquette de cantatrice, c’est ça ?

James : Les bustes ici ne sont pas tous renseignés. Ils viennent pourtant d’être réinstallés. Et puis, ils ont l’air presque trop grands pour le décor… Un peu comme Marchand dans le décor du jeune homme et la mort…

Cléopold : Regardez, cette autre cantatrice, on croirait qu’elle a été gonflée à l’hélium… (plissant les yeux)  Oh, mais je vois un autre buste, là-bas, posé par terre, entre un escalier secondaire et la porte des toilettes. C’est peut-être notre Maillard… (s’approchant en compagnie de ses comparses) Ah non, c’est Théophile Gautier…

Fenella : Sic Transit Gloria Mundi

James : mais voilà que ça sonne… Rendez-vous à la sortie ?

Fenella et Cléopold : Deal !

Rez-de-Chaussée, Couloir d’entrée de l’orchestre, devant une vitrine à costume non éclairée

img_9004Fenella : Platée ! Voilà nous quittons l’Opéra sur un air de trans-identité !

James : A défaut d’avoir trouvé monsieur Maillard, cantatrice…

Cléopold (arrivant à son tour) : Bon, eh bien à défaut de cela… Je pense que nous serons enfin tous d’accord. Après cette soirée, nous avons « trouvé la Femme »…

Fenella (acquiesçant) : et l’Homme !

James : acheminons-nous vers la sortie, je n’ai pas envie d’être enfermé dans la maison et de me retrouver nez à nez avec Poinsinet. Il est d’une humeur encore plus détestable que vous ces derniers temps, Cléopold (ils se dirigent vers la sortie et se retrouvent sur le grand perron).

(Brisant enfin le silence) tout semblait plus en place, dans les ensembles de Carmen ! Et surtout, l’interaction entre les solistes m’a paru autrement satisfaisante le deuxième soir que le premier.

Cléopold : Je vous trouve bien dur avec la distribution d’hier. Certes, celle-ci m’a enchantée tandis que l’autre m’a plu mais…

James : Hier, j’ai vu des danseurs, aujourd’hui, des personnages. Stéphane Bullion me paraît irrémédiablement mou en Don José, et le flop qu’a fait à mes yeux sa variation d’entrée (où il est censé danser aussi aigu que sa navaja) a coloré toute ma perception : je suis resté de marbre devant Amandine Albisson, (regardant tour à tour l’œil acéré de ses deux interlocuteurs) ce qui est sans doute sévère, (reprenant) et je n’ai pas vibré lors du pas de deux central (lors de la réconciliation, on a l’impression que Bullion travaille ses abdos plutôt qu’il ne fait l’amour), et n’ai tressailli que lors de la confrontation finale (qu’il faut vraiment vouloir pour rater).

Fenella : L’interprétation de Bullion, déprimé et plus naïf qu’il ne le pense, était plus proche de Bizet que de Mérimée. On pouvait imaginer Micaela en train de hanter les coulisses et le persécuter avec le souvenir de sa maman à chaque fois qu’il quittait la scène. Il est malchanceux et en aucun cas un tueur né : une passive victime du destin plutôt qu’un danger pour Carmen.

(Réfléchissant) Si vous changiez de temps pour la chanson de Sting “Every breath you take” et passiez de “I’ll be watching you” (j’aurai un œil sur toi dans l’original) pour “I am watching you” (je te contemple) ces mots, beaucoup moins scabreux, pourraient sortir de la bouche de ce Don José.

Cléopold : je l’ai trouvé touchant. Chez Petit, le mec a vraiment raté son coup quand il a échoué à disqualifier le mâle au travers de son interprétation. En cela, Baryshnikov, fixé sur la pellicule avec Zizi Jeanmaire, est plus à côté de la plaque que notre Bullion national.

James : Huuuuuuum. Admettons. Et la Carmen d’Albisson ?

Cléopold : Je n’imaginais pas Albisson, avec son tempérament et son physique, singer l’espagnole. La Carmen d’Albisson m’a parue sensuelle parce qu’engageante. Taquine, mais pas perverse. Le délié, le moelleux du bas de jambe et la nervosité des adducteurs étaient là. C’était « La petite femme française »« La parisienne », entre Arletty des Enfants du Paradis, deuxième époque, et Zizi.

Fenella : Albisson a offert une sensuelle, sournoise et chic Carmen. La chorégraphie de Petit est assez explicite comme ça pour qu’une danseuse exagère encore les roulis du bassin et autres mordillés du petit doigt…

Cléopold : Vous savez quoi? Carmen-Albisson m’a fait penser à la chanson de Madonna, Material Girl, (chantonnant) “Some boys kiss me / Some boys hug me / I think they’re ok / If the don’t give me proper credit / I just walk away – aaay”

Fenella (outrée) : Cléopold! You did it again!

Cléopold (la bouche en cœur, faussement contrit) : ooops! (se reprenant) Plus sérieusement, j’ai aimé que tout semble être un jeu pour cette Carmen, y compris les deux tiers de la scène de l’arène.

James : Bon, certes. Mais ce soir… aux mêmes scènes qui m’avaient laissé froid, j’ai quasiment arrêté de respirer. Audric Bezard est un hidalgo acéré, qu’on dirait saisi par le destin. Ludmila Pagliero m’enchante par ses espagnolismes de garçonne libre. Surtout, une tension palpable règne dans toutes les interactions du couple : elle danse pour lui, ils s’affrontent et se réconcilient (les trois temps du pas de deux), et on a l’impression d’être des voyeurs.  La scène finale est saisissante, notamment la diagonale des coups de pied (le dernier donne l’impression de frôler le visage), à laquelle répond une série de baffes qui paraît réelle. Dans l’autre diagonale, celle où José-Audric étrangle Carmen-Ludmila, cette dernière désarticule ses bras (elle faisait ça déjà très bien dans Giselle).

Cléopold : Tout à fait. Bezard, après avoir été hier un Escamillo irrésistible de drôlerie et de ridicule contrôlé, est un Don José hyper masculin et macho, finalement peu sympathique. C’est un matamore qui croit contrôler le petit tigre Carmen-Pagliero mais qui perd à ce jeu. Sa variation est peut-être à peaufiner mais le final de la scène de la taverne avec ses jambes qui trépignent et le haut du corps parfaitement immobile, laissant le lent port de bras mettre en valeur ses mains prédatrices, est saisissant. Dans la scène de la chambre j’ai vu beaucoup de tension sexuelle dans ce couple mais pas d’amour. On devine déjà que DJ va tuer. Il l’aurait sans doute fait avec une autre femme. Peut-être seulement moins tôt… Bezard est un Don José très « violences faites aux femmes »…

Tout cela culmine avec la scène de l’arène. Les deux ex-amants rendent coup pour coup. une vraie corrida. On verrait presque le sang couler sur les flancs de la bête.

Fenella : La macha Ludmila Pagliero a engagé dès le début avec son Don José un combat pied à pied pour le contrôle de l’autre. Le mâle alpha de Bezard a suivi un bel arc dramatique. Il réalise peu à peu qu’il a trouvé sa parèdre. Carmen met en danger ses plus intimes certitudes : une perception de soi construite autour de ses succès de bourreau des cœurs.

 “What you want?/ Baby, I got it. / What you need? / You know I got it /All I’m askin’ for is[…]a little R.E.S.P.E.C.T. … ” Maintenant, imaginez combien l’hymne à la puissance des femmes d’Aretha Franklin deviendrait sinistre s’il était chanté par un homme ; du genre de ceux qui s’expriment avec leurs poings. Les mains de Bezard autour du cou de Pagliero, la propulsant en avant pendant les temps de flèche, m’ont terrifié !

Les comparses sont arrivés devant la bouche de métro Opéra.

James (qui consulte son smartphone) : AAAh !

Fenella et Cléopold : Quoi, quoi… James ?

James : En fin de série, Bezard redanse avec Albisson (s’adressant à Cléopold). Alors, comment croyez-vous qu’elle va s’en sortir, votre « petite femme de Paris » devant votre « prédateur »

Cléopold et Fenella : On veut savoir !

James : moi aussi… Deal !

(Ils s’engouffrent dans la station).

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