Archives mensuelles : novembre 2012

Don Quichotte : dans les yeux de l’Amour

Soirée du 27 novembre : Maria Yakovleva et Denys Cherevychko (Kitri et Basilio), Laura Hecquet (reine des Dryades), Mathilde Froustey (Cupidon), Christophe Duquenne (le Toréador Espada, un Espagnol classieux), Charline Giezendanner et Marine Ganio (deux amies bien commères), Héloïse Bourdon (une demoiselle de pensionnat perdue dans un costume extravagant), Allister Madin (un gitan qui se la pète – et on aime ça), Séverine Westermann (une fraîche demoiselle d’honneur).

Direction musicale (Orchestre de l’Opéra national de Paris) : Kevin Rhodes

Par le hasard des blessures, des étoiles du Wiener Staatsoper, viennent interpréter le Don Quichotte de Noureev qu’ils ont acquis il y a deux saisons lors de l’arrivée à la tête de leur troupe de Manuel Legris, tout juste retraité du ballet de l’Opéra de Paris. Ce petit avant-goût du mois de juillet – le ballet de Vienne est la compagnie invitée des Étés de la danse – nous permet de nous interroger sur la transmission des œuvres du grand Rudy.

 À Vienne, en termes de programmation, Manuel Legris s’est placé dans la droite lignée des années Noureev, faisant rentrer au répertoire des œuvres qui ont fait les beaux soirs de la compagnie parisienne dans les années 80 et 90. L’effet Legris s’est indéniablement fait sentir sur le corps de ballet –un groupe uniforme et uniformément faible sous la direction Zanella qui danse aujourd’hui dans un bel unisson. Mais pour les solistes ?

Maria Yakovleva et Denis Cherevychko ne sont pas de parfaits inconnus pour moi. J’ai pu les voir dans une Chauve-Souris de Roland Petit, il y a deux ans. Cherevychko n’était encore que premier soliste et interprétait un rôle créé pour Luigi Bonino. J’avais alors apprécié son amplitude de mouvement, ses sauts légers et sa batterie claire. Son humour m’avait également conquis. Maria Yakoleva m’avait laissé un sentiment plus mitigé. Cette belle brune, à la danse souple et moelleuse, très agréable à regarder, manquait un peu de mordant dans le rôle de Bella, créé pour le sacrum mobile et les jambes fuselées de Zizi Jeanmaire.

Mais l’autre soir, l’étoile des invités viennois a quelque peu pâli. Ce n’était pas mauvais, non. Mais ce n’était pas ça.

Cette soirée m’a en fait réfléchir sur la notion de style. Je suis ressorti de l’Opéra en comprenant mieux les balletomanes britanniques qui déplorent la disparition du style Ashton. Le style Noureev, que je croyais jadis inscrit dans la chorégraphie, s’efface tout aussi surement que les subtiles inflexions du chorégraphe anglais.

Denys Cherevychko escamote, la plupart du temps joliment, les subtiles intrications chorégraphiques de Noureev. Sans doute l’attitude est-elle plus payante que celle de Karl Paquette qui s’évertue à juste les « passer » mais elle délave le texte dansé au point de n’en laisser qu’un palimpseste. Plein de bonne volonté, le danseur ukrainien mime son rôle avec feu (et réussit au passage une scène de suicide bien rythmée et très drôle) mais son jeu et sa danse ne connectent pas. Une autre spécificité du style Noureev disparaît donc : celle de ne jamais laisser les danseurs immobiles sur scène de manière à ce que la pantomime se fonde dans la chorégraphie.

Maria Yakovleva, quant à elle, démontre les mêmes qualités et les mêmes défauts que son partenaire qu’elle semble pourtant ignorer la plupart du temps. Dans la scène des Dryades, sa Dulcinée file son texte avec grâce mais laisse le pauvre Don Quichotte, pas plus chanceux que Basilio, déambuler sur scène comme une âme en peine sans que la demoiselle, yeux d’émail et sourire stéréotypé, ne semble s’en émouvoir. Mais qu’importe au Don, car il est aimé par l’Amour en personne.

Dans Cupidon, mademoiselle Froustey ne sort jamais de son personnage. Elle sourit avec indulgence au vieil original, l’encourage et le console sans doute de l’indifférence narcissique dont le gratifie Dulcinée. Même de loin, ce rapport « Cupidon-Don » est évident à l’œil car Mathilde Froustey oriente toujours la chorégraphie vers son objet et non vers le trou noir de la salle. On retrouve ainsi une autre spécificité du style Noureev qui insufflait une intention dans chaque pas afin qu’on n’ait jamais le sentiment d’assister à une vaine démonstration d’habileté.

Manuel Legris, interprète superlatif de l’œuvre de Noureev aurait-il échoué à communiquer son style aux danseurs de sa compagnie ? Pour sa décharge, il n’a pas, contrairement à ses prédécesseurs, fait de ménage radical dans les rangs des solistes à son arrivée. Cette attitude généreuse a envoyé un message positif à la compagnie viennoise mais, en contrepartie, imprimer sa marque sur ces danseurs expérimentés prendra plus de temps que si cela se faisait sur des jeunes issus du corps de ballet.

Et doit-on jeter la pierre à ces excellents solistes au plaisant style international de ne pas « danser Noureev » quand au sein même de l’Opéra, des artistes maisons qui en font fi sont mis en avant ? Certes non…

Regarder Laura Hecquet dans la reine des Dryades, aussi musicale et voluptueuse qu’une machine à écrire, fut une épreuve bien plus désagréable que de contempler Maria Yakovleva et Denis Cherevychko nous proposer leur version honnête bien qu’un peu fade du couple Kitri – Basilio.

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Don Quichotte: les Viennois à Bastille

Soirée du 24 novembre

Don Quichotte est un ballet funambule : l’histoire tient debout par miracle, les personnages ont l’épaisseur d’une silhouette, ça ne marche que si toutes les ficelles sont bien tendues.

Maria Yakovleva et Denys Cherevychko, étoiles de l’opéra de Vienne, ne composent pas un couple vraiment euphorisant. À part un peu au début de l’acte II (la scène nocturne sur la musique de la Bayadère), on perçoit dans leur partenariat plus de métier que d’irrésistible alchimie. Durant l’adage de l’acte III, Basilio nous tourne le dos un instant, et Kitri se place à un mètre de lui. Il y a un temps d’arrêt avant qu’elle développe son arabesque et qu’ils entament ensemble quelques tours de promenade. L’immobilité n’a de sens que chargée d’attente amoureuse ; elle doit être perceptible dans le jeu des regards, l’orientation des épaules ou le placement, un peu canaille et pseudo-ibérique, des bras. À ce moment, je me suis demandé si nos danseurs attendaient le passage du métro.

Individuellement, ça ne marche pas tout le temps. La Kitri de Mlle Yakovleva n’est pas assez épicée et féminine à mon goût. Dans la variation des castagnettes (acte I), elle lance la jambe bien haut mais piétinise les pas de liaison qui suivent, et ne saute pas assez cambré pour qu’on crie « olé ». Même chose pour Cherevychko : il a de beaux pieds et danse précis, déjouant pas mal des pièges que Noureev a réservés à Basilio, mais il n’est ni amoureux, ni guitariste, ni espagnol.

Ce que l’on voit est peut-être ce qu’il faut attendre de danseurs invités, mais l’incarnation est trop passe-partout. Ou alors, par moments, on perd au contraire la mesure : les épaulements de Kitri à la fin de l’adage (acte III) convoquent le souvenir de la fille dans la femme. Mais s’ils sont trop appuyés,  on tombe dans le vulgaire.

La danse chic, avec ce qu’il faut de second degré, on la trouve avec Christophe Duquenne, désinvolte dans le pas des Matadors (regardez sa jambe qui glisse au sol un peu en arrière) comme à l’acte III (les deux doigts qui jouent au taureau assez bien pour qu’on comprenne, assez fin pour qu’on sache qu’on est dans une Espagne de pacotille). Le délicieux Cupidon de Mathilde Froustey, bras moelleux, doigts mutins, jambes spirituelles, éclipse facilement la reine des Dryades de Laura Hecquet, technique mais sans volupté.

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Jours étranges: Les parents sont dans la salle

Théâtre de la Ville – Hommage à Dominique Bagouet  (du 17 au 20 novembre). Jours étranges (Chorégraphie Dominique Bagouet, Musique: cinq chansons extraites de Strange Days, du groupe The Doors).

Pour rendre hommage à Dominique Bagouet, vingt ans après sa mort, le Théâtre de la Ville a présenté, quelques soirs de suite, Jours étranges (1990), dansé par « 10 adolescents de Rennes ». Est-ce la tendance de la saison ? En septembre, Thierry Thieû Niang faisait évoluer en rond 25 seniors (et Patrice Chéreau) pendant toute la durée du Sacre du printemps. Mais le recours à des amateurs était constitutif du projet. Ici, il s’agit de faire danser par dix jeunes une chorégraphie conçue à l’origine pour et par des danseurs professionnels.

Le résultat n’est pas mauvais, mais la démarche laisse perplexe. Elle a été déjà éprouvée ailleurs, et son intérêt pédagogique est indéniable: depuis 2009, Jours étranges a été transmis de manière similaire à des élèves de conservatoire ou des amateurs, à Montpellier, Paris et Bezons. Mais c’est la première fois que le fruit de ce travail est présenté sur une grande scène nationale.

Que peut-on en dire du point de vue esthétique ? On hésite à se prononcer. Pas tellement parce qu’émettre une réserve sur des performances d’amateurs serait délicat. Au contraire, ils méritent d’être pris au sérieux, aussi difficile soit-il de rester le cœur froid (comme bien des spectateurs adultes, et dans l’instant où j’ai su qu’il y avait des ados sur scène, je me suis transformé en parent d’élève toujours-déjà attendri).

L’identité des acteurs change profondément le regard du spectateur : on ne voit plus un danseur nous faire une proposition artistique, nous embarquer dans l’univers du chorégraphe, on voit un jeune qui danse, on se dit qu’il s’en sort pas trop mal, qu’il bouge plutôt bien, mais on ne parvient pas à maintenir une distance entre la personne et le personnage. L’étiquette « ado de Rennes » fait écran.

On me dira que Jours étranges évoque les désarrois de l’adolescence, et que Dominique Bagouet valorisait la personnalité de ses danseurs. En cela, c’est sans doute la pièce qui se prête le mieux à la conjonction entre pratique amatrice et recréation chorégraphique. À coup sûr, l’exercice a enrichi les participants.

Mais en tant que spectateur, je ne suis pas convaincu : pas plus qu’il ne faut être amoureux pour danser la passion, ni désespéré pour toucher au tragique, il n’est nécessaire d’être très jeune pour peindre la jeunesse. Et surtout, l’écriture de Bagouet ne recèle pas uniquement cette « vive jeunesse » dont parle Jean-Marc Adolphe dans le programme du spectacle. C’est une lecture parmi d’autres, et tellement accentuée par la verdeur des interprètes que d’autres couleurs possibles – la perte de soi, le doute ou la révolte – sont aplaties ou poussées dans l’ombre. Durant le solo introductif, le jeune homme plongé dans la musique des Doors rend très bien les torsions du buste de droite à gauche de la colonne vertébrale. Mais il n’a pas le ressort dont faisait montre, il y a quelques années, un danseur du ballet de Genève, qui, alternant tension vers le haut et effondrement, donnait l’impression de boxer contre lui-même ou le monde entier.

Catherine Legrand et Anne-Karine Lescop, responsables artistiques de la reprise, ont accompli un travail remarquable. Les Carnets Bagouet, créés pour assurer la transmission de l’œuvre du chorégraphe mort trop tôt, n’ont sans doute pas fait un choix à la légère. Mais je n’arrive pas à les suivre sur cette piste au fond trop attendue. « Avant même de savoir si un danseur que j’auditionne danse bien, j’imagine ce qu’il pourrait personnifier. Je trouve très important que les danseurs ne soient pas seulement des carcasses avec du savoir-faire », disait Bagouet en 1983. Trente ans après, cela doit bien exister quelque part, des danseurs avec la présence d’un Bernard Glandier, capables de faire exploser en pleine face la troublante beauté de Strange Days.

[La citation est extraite de « Le personnage dans la danse, la danse des personnages », entretien entre Dominique Bagouet et François Cohendy, en novembre 1983, théâtre/public – juillet-octobre 1984 – disponible sur le site des Carnets Bagouet]

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Don Quichotte : c’est loin l’Espagne

Don Quichotte, vendredi 16 novembre (Kitri : Ludmila Pagliero; Basilio : Karl Paquette; Reine des Dryades : Sarah Kora Dayanova; Cupidon : Mélanie Hurel; Une danseuse de rue : Eve Grinsztajn; Espada : Christophe Duquenne; Deux amies de Kitri : Melles Bourdon et Hecquet; un gitan : Allister Madin; Don Quichotte : Guillaume Charlot; Sancho Pança : Hugo Vigliotti). Orchestre de l’Opéra national de Paris. Direction : Kevin Rhodes.

Il est plus facile d’écrire sur des spectacles qu’on a détesté que sur ceux qu’on a aimé. Chercher là où ça gratte, là où ça tire est moins ardu que de définir avec des mots qui ne soient pas trop éculés l’état de contentement, voire d’extase, dans lequel une bonne représentation vous a mis. Mais parler de ce qu’on aime est infiniment moins pénible que de parler de ce qui vous a laissé complètement indifférent. Que dire ? J’étais à la première de Don Quichotte. Je suis venu, j’ai vu et … je suis rentré me coucher. «Pourquoi nous déranger pour en parler si vous n’avez rien à raconter », me direz-vous ?

Me taire, je l’aurais sans doute fait s’il s’était agi de parler de Karl Paquette en Basilio, qui a fait de son mieux, ou des demoiselles Hecquet et Bourdon (les deux amies de Kitri), réglées comme des métronomes. J’aurais même tu, non sans remords, la prestation savoureuse de Stéphane Phavorin en Gamache qui est parvenu à m’intéresser à la trajectoire d’un mouchoir souillé pendant un bon tiers du premier acte.

Mais j’étais redevable à Allister Madin pour son capiteux gitan – un mélange de belle technique et de naturel –, à Mélanie Hurel pour son cristallin Cupidon et à Charline Giezendanner pour le charme ineffable de sa danse, pour ses petits développés suspendus en fin de pirouette dans la demoiselle d’honneur.

Enfin et surtout, je le devais à Ludmila Pagliero.

Car la nouvelle danseuse étoile peut à juste titre être fière de sa soirée de première. Elle avait décidé de conquérir le public et elle a sans aucun doute réussi. Nous avons été gratifiés d’œillades, d’équilibres insolents, de pliés moelleux et de fouettés de batteur électrique.

Et tout cela m’a laissé de marbre. Pourquoi ? Fatigue d’un vendredi soir ? Peut-être, mais pas seulement.

C’est qu’à tant vouloir conquérir le public, Ludmila Pagliero a oublié de nous faire croire à son histoire d’amour avec Basilio. Chacune de ses entrées distillait l’image d’une Kitri sans innocence qu’on pouvait imaginer sans peine, dans le futur, porter la culotte à la maison et terroriser ses multiples belles-filles. Son attaque agressive du plateau l’empêchait occasionnellement d’accomplir ses variations sur un mode ascendant : difficile de surenchérir quand on a donné d’entrée tout ce qu’on avait en réserve.

Quant au style Noureev, il faut l’oublier. Par un phénomène bizarre, Mademoiselle Pagliero, qui a jadis refusé d’entrer à ABT pour tenter sa chance dans le corps de ballet de l’Opéra – une décision courageuse et hasardeuse –, a dansé comme une artiste invitée de cette compagnie avec ce que cela comporte d’abattage mais aussi de manque de subtilité.

Je voulais voir Don Quichotte, et j’ai vu une danseuse de gala. C’est loin l’Espagne…

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A not too biased plot summary of Don Quixote/Quichotte

NB : voir en dessous pour la traduction française.

La scène des Dryades, Saint Petersbourg. Gravure russe.

A minor episode from the second volume of Miguel Cervantes’s novel Don Quixote de la Mancha – “Gamache’s Wedding” – is spun out into a comic evening-length ballet. While the mime playing the Don keeps crossing the stage in his single-minded pursuit of courtly love, the real heroes are two thwarted but resourceful young lovers. This is a ballet of many colors: exuberant stylized folk dances (Spanish and gypsy) contrast with the classical purity of the poetic “dream scene;” and slapstick gives way to an explosion of spectacular pyrotechnic dancing in the final “wedding scene.”

As Cleopold points out, even the choreographer of record re-tooled his original within two years and then again…and this ballet has been added onto and fussed over by each generation and every company ever since. For Paris, Rudolf Nureyev scanned and chewed over every version he could find in search of, for lack of a better word, the truth. He sought to create a dramatically-correct structure that would allow the dancers to feel less silly. By instilling some kind of additional logic into the plot and action (details, really) and adding yet more dance, he reshaped this ballet chestnut into an even more satisfying soufflé.

PROLOGUE: IN DON QUIXOTE’S ROOMS

The mimed prologue brings us into the world of Don Quixote, an impoverished gentleman obsessed with the days of chivalry. We see the exasperation of his starving entourage: his servants and the rotund monk Sancho Panza. While this fat man of God tries to hold onto the chicken he has just stolen, the Don prepares to go out and right the world’s wrongs.

ACT I: A SQUARE IN BARCELONA

The high-spirited and strong-willed Kitri, the innkeeper’s daughter, leaps into view. She is soon joined by the man she loves: the dashing Basilio, a barber. Her father, Lorenzo, interrupts them. He refuses to let his gorgeous daughter marry such an impecunious suitor. Lorenzo has a much better catch in mind: the idiotic Gamache, a foppish aristocrat.

The sexy Street Dancer, joined by the toreador Espada and his matadors — and then by Kitri’s two girlfriends — all entertain the crowd with dances until the Don arrives astride his mangy horse. The earthy antics of Sancho Panza (which consist mostly of looking up under the womenfolk’s skirts) distract the crowd. When Don Quixote espies Kitri, he mistakes her for the sweet and inexistant “Dulcinea,” his imaginary ladylove. Kitri humors the elderly knight and joins him in an old-fashioned minuet.

When Sancho Panza’s unsuccessful attempt to steal a fish creates a disturbance, Kitri and Basilio run away together.

ACT II

SCENE 1: A GYPSY CAMP IN THE SHADOW OF A WINDMILL

Finally all alone in the middle of nowhere, Kitri and Basilio come to realize just how serious their flirtatious love affair has become. When set upon by gypsies, the couple appeals for help. Kitri’s gold earrings play a cameo role. By the time Lorenzo, Gamache, the Don, etc., catch up with them, the young lovers have become unrecognizable in borrowed gypsy garb. Kitri is particularly brazen, jiggling her shoulders and rattling her new fake jewelry right under the noses of her pursuers. The guests are next treated to a puppet show, which tells the story of…young lovers on the run. The Don, always one more step away from the real world, first tries to rescue the puppets but then espies a giant monster: the famous windmill. Challenging it to a joust, the Don rushes to the attack. Even the orchestra goes oooh! The windmill wins.

ACT II

SCENE 2: A FOREST GLADE (THE DON’S DREAM)

We now share the vision that appears to a terribly wounded Don Quixote. He hallucinates that Dulcinea/Kitri leads him to a magic land: the kingdom of the dryads (mythical wood nymphs). Here Kitri, Cupid, the Queen of the Dryads, and a bevy of identically dressed ballerinas all dance only for him. The knight’s idea of heaven turns out to be a pure and abstract classical ballet: a realm of soft colors and music, beautiful tutus, complex geometric patterns, gentle and harmonious movements, which provide the setting for extremely technically difficult solos for each ballerina.

ACT III

SCENE 1: A TAVERN

The bullfighter Espada and his friends are rejoined by Kitri and Basilio, still in their exotic disguise. Lorenzo, et al., also catch up with them. Kitri’s father is adamant that his daughter must marry Gamache – the stupid suitor from act 1 — but Basilio has one more trick up his sleeve. “Distraught,” Basilio “stabs” himself and lies “dying” center stage. Kitri begs the Don (miraculously recovered from the windmill’s conk on his head) to help the course of true love. Her father finds himself forced at swordpoint to bless their union. This, of course. means that Basilio may miraculously recover from his wound. The Don and Gamache decide to finally have it out. (When the guys are “on,” this bit can turn into the Minister of Silly Walks meets Mr. Bean).

ACT III

SCENE 2: THE WEDDING PARTY

No extensive miming of wedding vows here, merely a joyful party where Kitri and Basilio express their relief, like any newlyweds, at finally being united.

We get to see these two burst into a brilliant grand pas de deux, a rite of ballet which follows a template as codified as any ceremony. A bouncy entrance for both. A sudden burst of private emotions brings them together to dance in slow harmony. Then the hero will jump for joy. Then the heroine will begin to trill [When she whips out her fan, start – discreetly – to rub your head and pat your stomach along to the music, to demonstrate just how much you are in sync to this subtle demonstration of technical mastery]. Then they will both try to outdo each other in the final coda but finish having decided that fabulous partnering is in fact the secret to a great marriage.

All on stage join together to celebrate. The guest of honor, Don Quixote, decides to take his leave and sets out in quest of new adventures. I bet that, after today’s events, he will only find boredom.

Un épisode mineur du second volume du Don Quichotte de la Mancha de Miguel Cervantes -les noces de Gamache- est monté en épingle jusqu’à devenir un ballet comique en deux actes. Tandis que le mime qui joue le Don ne cesse de traverser la scène en quête d’amour courtois, les vrais héros sont deux amants certes contrariés mais jamais à court d’idées. Voila un ballet aux multiples couleurs : d’exubérantes danses de caractère stylisées (espagnoles et gitanes) contrastent avec la classique pureté de la scène du rêve ; et la grosse farce fait place à une explosion spectaculaire de pyrotechnie dansée dans la scène nuptiale finale.

Comme Cléopold l’a fait remarquer, le chorégraphe d’origine a lui-même revisité son original deux ans après la création et encore après … et son ballet a été revu et tarabiscoté par les générations suivantes. Pour Paris, Rudolf Noureev a passé en revue et digéré toutes les versions à disposition, à la recherche, en l’absence d’un vocable plus approprié, de la « vérité ». Il aspirait à créer une structure dramatique correcte qui permettrait aux danseurs de ne pas se sentir insipides. En instillant un peu de logique supplémentaire dans le livret et dans l’action (quelques détails seulement), et en ajoutant encore un peu plus de danse, il a accommodé ces restes de ballet pour en faire un consistant plat de résistance.

PROLOGUE : DANS LA CHAMBRE DE DON QUICHOTTE

Le prologue mimé nous transporte dans le monde de Don Quichotte, un gentilhomme fauché obsédé par l’époque de la chevalerie. On sent l’exaspération de son entourage affamé : ses serviteurs et le rondouillard moine Sancho Panza. Tandis que l’aimable gyrovague essaye de rester en possession du poulet qu’il vient juste de chiper, le Don se prépare à sortir afin de redresser les torts qui pullulent en ce monde.

ACTE I : UNE PLACE DE BARCELONE

La vivace et têtue Kitri, la fille de l’aubergiste, nous saute littéralement aux yeux. Elle est bientôt rejointe par l’homme qu’elle aime : le beau Basilio, barbier de son état. Son père, Lorenzo, les contrarie. Il refuse de laisser sa superbe fille épouser ce prétendant impécunieux. Lorenzo a un bien meilleur candidat en tête : le ridicule Gamache, un aristocrate suranné.

La pulpeuse danseuse de rue, rejointe par Espada le toréador, ses compagnons matadors ainsi que par les deux amies de Kitri divertissent la foule de leurs danses jusqu’à ce que Don Quichotte arrive à califourchon sur va vieille rosse. Les badineries rustiques de Sancho (qui consistent en gros à regarder sous les jupes des filles) distraient la foule. C’est alors que Don Quichotte s’avise de la présence de Kitri qu’il confond avec la douce et imaginaire « Dulcinée », la dame de ses rêves. Kitri divertit le vieux gentilhomme et danse avec lui un désuet menuet.

à la faveur du trouble causé par la tentative manquée de Sancho pour voler un poisson, Kitri et Basilio prennent la poudre d’escampette.

ACTE II

SCENE 1 : UN CAMP GITAN A L’OMBRE D’UN MOULIN A VENT

Enfin seuls au milieu de nulle part, Kitri et Basilio réalisent soudain combien leur bluette est devenu une affaire sérieuse. Capturé par des gitans le couple leur demande de l’aide. C’est une boucle d’oreille en or de Kitri qui décide de leur sort. Quand Lorenzo, Gamache, le Don etc. les rejoignent, les jeunes amants sont devenus méconnaissables, dissimulés sous des oripeaux gitans. Kitri se montre particulièrement effrontée, agitant ses épaules et faisant sonner ses nouveaux bijoux de pacotille juste sous le nez de ses poursuivants. Les invités se voient ensuite donner un spectacle de marionnettes qui conte l’histoire de … deux jeunes amants en fuite. Don Quichotte, jamais vraiment les deux pieds sur terre, essaye d’abord de voler au secours des marionnettes puis aperçoit un monstre géant : le fameux moulin. Le provoquant en combat singulier, il fonce tête baissée. Même l’orchestre fait « Hiiiiiiii » ! C’est le moulin qui gagne.

ACTE II

SCENE 2 : UNE CLAIRIERE (LE RÊVE DE DON QUICHOTTE)

Nous assistons maintenant à la vision qui apparait à Don Quichotte, cruellement blessé. Dans son hallucination, Dulcinée/Kitri le conduit dans une contrée magique : le royaume des dryades (de mythiques nymphes des bois). Là, Kitri, Cupidon et la Reine des dryades, ainsi qu’une cohorte de ballerines habillées de manière identique dansent toutes pour lui. L’idée que se fait le chevalier du Paradis prend la forme d’un pur moment de danse classique abstraite : un domaine de couleurs et de musique suaves, de beaux tutus, de figures géométriques complexes, d’élégants et harmonieux mouvements, écrin approprié pour les très techniques solos de chacune des ballerines.

ACTE III

SCENE 1 : UNE TAVERNE

Le Torero Espada et ses amis sont rejoints par Kitri et Basilio toujours dans leur déguisement exotique. Lorenzo & Cie les rattrapent finalement. Le père de Kitri est inflexible dans sa résolution de marier sa fille à Gamache -le stupide prétendant du premier acte- mais Basilio a plus d’un tour dans son sac. « Dérangé », celui-ci se« poignarde » et gît, « mourant » en plein milieu du plateau. Kitri supplie Don Quichotte (miraculeusement rétabli de son mouliné sur la caboche) d’aider la cause de l’amour vrai. Le père se trouve bientôt forcé de donner son consentement à la pointe de l’épée. Cela donne le signal à Basilio pour guérir miraculeusement de sa blessure. Don Quichotte et Gamache décident finalement d’en découdre (quand les gars sont bien dedans, la scène peut ressembler à la fille adultérine des Monty Python et de Mister Bean).

ACTE III

SCENE 2 : LES NOCES

Pas de grande scène de mime pour ce mariage mais avant tout une joyeuse réception où Kitri et Basilio expriment leur soulagement, comme tous jeunes mariés, d’être enfin unis. On verra ces deux-là se lancer dans un brillant pas de deux, un rituel balletique qui suit une routine aussi réglée qu’une cérémonie. Une entrée bondissante pour les deux suivie d’une soudaine effusion les unissant dans une danse de calme harmonie (adage). Puis, le héros saute de joie (variation I). Puis l’héroïne se met à roucouler (variation II) [Quand elle commencera à agiter son éventail, entreprenez de -discrètement- vous frotter la tête et l’estomac en même temps, avec panache, pour montrer toute votre sympathie à cette discrète démonstration de maîtrise technique]. Enfin, ils essaieront chacun de se surpasser l’un l’autre dans la coda, tout ça pour finir par convenir qu’un fabuleux partenariat est le secret de tout bon mariage. Tous se joignent à eux pour célébrer la noce.

L’invité d’honneur, Don Quichotte, décide alors de s’éclipser pour aller vers de nouvelles aventures. Je pense qu’après les évènements de cette folle journée, il ne pourra que se raser.

Libre traduction de Cléopold

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Don Quichotte : un ballet de Rudolf Noureev?

Il est probable que Marius Petipa ne reconnaîtrait pas l’œuvre jouée sous son nom, y compris les passages assurés authentiques de sa chorégraphie, mais comme la version de l’Opéra de Paris porte également le nom de Rudolf Noureev, on peut, seulement vingt ans après sa mort, se demander légitimement ce qui fait de cette production un « ballet de Rudolf Noureev. » La réponse est subtile, car Noureev partait en général des versions qu’il avait connues au Kirov avant sa défection et n’intervenait que sur les passages les plus altérés de la chorégraphie, quand cela lui paraissait nécessaire à la bonne lecture de l’œuvre.

Dans Don Quichotte, ses interventions peuvent être listées des plus évidentes au plus subtiles.

Les ajouts chorégraphiques : ils concernent principalement le rôle de Basilio. Lorsque Noureev chorégraphia le ballet pour la première fois pour le Ballet de Vienne (1966), il était encore en pleine possession de ses moyens de danseur et le créa sur lui-même. Au premier acte, le barbier facétieux est donc crédité d’une première variation débutant par des tours arabesques et des petits ronds de jambe qui s’intercalent dans son badinage avec Kitri sur une « danse des marins » extraite de l’acte de la taverne. Puis, dans le pas de deux, il écope d’une variation débutant par des sauts à l’italienne pour préluder à son pas de trois avec les deux amies de Kitri.

Comme souvent, chez Noureev, les ajouts de substance pour les danseurs masculins se font d’entrée de jeu, afin de camper le personnage. Au deuxième acte, un pas de deux d’exposition entre Kitri et Basilio est réglé, assez bizarrement aujourd’hui pour nos oreilles, sur la rencontre du temple entre Solor et Nikiya dans la Bayadère. Les héros dansent également un pas gitan du cru de Noureev. Dans les ajouts, il faut également compter la scène du jardin magique des dryades qui ne garde que le motif du ballonné et des petits jetés qu’on trouve, sous une forme ou sur une autre, dans toutes les versions de ce ballet. Cette scène des dryades est plutôt un ballet post-balanchinien, un hommage à Thème et variations. Les groupes sont sévèrement hiérarchisés et les trois demi-solistes exécutent de redoutables pirouettes en dedans achevées en penché arabesque sur pointe. Pour la scène de la taverne, Noureev a créé un pas « synthétique » sur l’entrée de Kitri et Basilio où interviennent le toréador Espada et les deux amies de Kitri.

Les petites complications : Outre ses chorégraphies originales qui ne laissent guère de répit à ses interprètes, Noureev ajoutait souvent quelques petites « gâteries » dans le texte original. Ces ajouts ne sont en général pas des cadeaux et Le Don n’échappe pas à la règle. C’est dans le grand pas de deux du troisième acte qu’on les trouve. Basilio remplace les pirouettes en dehors attitude par des pirouettes assorties de temps levés avec petits ronds de jambes et termine sa variation non par une diagonale de tours en l’air mais par une série de tours en l’air sur place à droite et à gauche finis en arabesque. Il n’est pas sûr qu’il ait gagné au change. Kitri, quant à elle, souffre moins du changement, n’était la série de relevés sur pointe au ralenti qui remplace les échappés des versions traditionnelles et met accessoirement la danseuse à la merci du chef d’orchestre. Bien peu de choses, somme toute.

Un autre regard surtout : C’est un ensemble de choix qui fait qu’un ballet dans une version Noureev n’est jamais au premier degré ni écrasé par la relecture. Tout d’abord, Noureev aimait les archaïsmes qu’il utilisait avec parcimonie et discernement. Ici, la scène mimée présentant Don Quichotte et Sancho est un détail souvent coupé ou fortement écourté dans les autres versions. Il permet à ce personnage d’attirer la sympathie et de ne pas être un simple prétexte tout au long du ballet. Dans la scène des dryades, Kitri-Dulcinée apparaît derrière un rideau translucide portée par un homme en noir, quasi invisible au yeux du public. Ce procédé ancien confère une poésie délicieusement désuète à ce passage. Mais avant tout, une version Noureev ce sont des directions, une façon pointue d’orienter le mouvement pour en montrer l’incisive vérité. Dans la scène des gitans, très proche pourtant des versions russes, les lignes du corps de ballet, comme nettoyées des scories décoratives qui l’encombrent habituellement, sont orientées géométriquement vers le côté jardin où se trouvent les poursuivants de Kitri et Basilio. Du coup, on n’est plus dans le simple divertissement à couleur locale mais dans un prolongement du roman picaresque. Ce sous-texte permanent est peut-être l’héritage le plus fragile de Noureev. Gare aux lignes qui s’émoussent !

La dernière spécificité noureevienne de Don Quichotte, le rapport étroit du chorégraphe avec son décorateur de prédilection, Nicholas Georgiadis, est malheureusement perdue pour nous. Les références pour la version de 1981 étaient Gustave Doré (la chambre de Don Quichotte) et Francisco Goya. Chaque scène était une sorte d’espace fermé où transparaissaient des ciels d’orage : la tragédie derrière la farce ? La scène des Dryades semblait être un motif d’une dentelle précieuse qui se serait miraculeusement animée. Les costumes des divinités sylvestres, corsages lacés vert d’eau et coiffes compliquées avaient un chic aristocratique. La décoratrice de la version 2000 s’est contentée de replacer le ballet dans des décors et des costumes évoquant les productions dix-neuvième siècle de ballet et d’opéra. Cette érudition de bibliothèque tournante n’a, hélas, aucun panache. Il faudra attendre le mois de juillet 2013 pour retrouver, dans la production qu’apportera Manuel Legris avec le ballet de Vienne aux Étés de la danse, une version scénique conforme aux souhaits de Rudolf Noureev.

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Cunningham/Gillot : Le plein et le creux

Soirée « Gillot-Cunningham ». Soirée du 6 novembre et matinée du 10 novembre.

Sous apparence (Gillot/Feldman/Bruckner/Ligeti ; décors Olivier Mosset, costumes walter Van Beirendonck) : Vincent Chaillet, Laëtitia Pujol, Alice Renavand, ensemble Ars Nova et Choeur Accentus dirigé par Laurence Equilbey.

Un jour ou deux (Cunnhingham/Cage/Johns) : Émilie Cozette (6 novembre) ; Stéphanie Romberg (10 novembre) Hervé Moreau (6/11 & 10/11 en remplacement de Florian Magnenet), Fabien Révillion.

Comment parler d’Un jour ou deux ? Le voir étant, pour le spectateur, comme une aventure spirituelle, on hésite à croire l’expérience partageable, ou le ressenti autre que purement subjectif. Une des grandes beautés de la chorégraphie de Merce Cunningham, de la musique de John Cage (intitulée etcetera, mazette, quel titre) et des décors conçus par Jasper Johns, est qu’ils ne paraissent pas avoir de limites. L’horizon est impalpable, la couleur émerge du flou, la lumière reste incertaine, le mouvement circule – entre les danseurs et dans l’espace – tel un furet. On oscille entre la sophistication extrême et une simplicité presque enfantine (une ronde à trois, des sauts d’un pied sur l’autre). C’est si riche que je n’ai pas vu le temps passer.

En plus, c’est une joie d’avoir la confirmation, trois ans après la mort du chorégraphe américain, et quelques mois après la dissolution de sa compagnie, de la pérennité de ses créations. L’implication du corps de ballet est exemplaire. Et puis, il y a Hervé Moreau. Son apparition en solo est un choc. On avait retrouvé dans Serenade la beauté des lignes, la maîtrise et la prestance. On découvre avec Un jour ou deux une présence, une autorité, une densité et une profondeur nouvelles. Certains se souviennent peut-être de la prestation de l’étoile dans la Troisième symphonie de Neumeier : c’est de la même qualité, en plus mûr. C’est mémorable : en attitude derrière, bras croisés, Hervé Moreau monte en demi-pointe, un peu, puis encore un peu plus, on a l’impression qu’il pourrait s’élever à l’infini, et occuper tout l’espace. Couché au sol, on dirait un fleuve que sa partenaire franchit d’un grand jeté. Stéphanie Romberg danse précis, inflexible, impénétrable, là où Émilie Cozette fait trop joli ou doux. Fabien Révillion – qui danse blond mais sans chichis – est plus dans le style.

Si l’on en croit le programme, Sous apparence serait un hommage « libre et vivant » à Cunningham. Mais il ne suffit pas de singer les processus pluridisciplinaires de Merce pour parvenir à un résultat présentable. Inconscience ou inculture, de la platitude est plaquée sur un Kyrie et un Agnus Dei. On s’attendait à une réflexion sur la pointe ? À part Vincent Chaillet, peu de garçons ont les genoux tendus et de toutes façons le plus souvent ils marchent à plat. Et puis, il faudrait encore quelques efforts pour indifférencier les moutons : le spécimen masculin se brosse les fesses latéralement, tandis que la fille bascule le bassin d’avant en arrière. Le décor comprend un rocher en béton d’inspiration helvétique, paraît-il surnommé Toblerone. Quant à la glose  de Marie-Agnès (« les apparences sont innocentes de nos erreurs »), pas de doute, c’est du sous-Char.

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Scarlett, McGregor, Wheeldon : Triplette sur Tamise

Viscera – Infra – Fool’s Paradise (Soirée du 5 novembre).

Viscera (Scarlett/Liebermann), avec Laura Morera, Marianela Nuñez, Ryoichi Hirano ; Infra (McGregor/Richter), avec Mlles Choe, Cowley, Hamilton, Lamb, Nuñez, Raine, MM. Cervera, Hirano, Kay, Trzensimiech, Watson, Watkins ; Fool’s Paradise (Wheeldon/Talbot), Mlles Lamb, Hamilton, Choe, Mendizabal ; MM. Bonelli, Watson, McRae, Campbell, Trzensimiech.

Ces jours-ci à Londres, le trio créatif du Royal Ballet présente son savoir-faire.

En ouverture, le petit jeune qui monte, fraîchement nommé « artiste en résidence ». Liam Scarlett présente Viscera, créée il y a 10 mois par le Miami City Ballet, et réglée sur le concerto pour piano n°1 de Lowell Liebermann. Scarlett fait fond, une fois encore, sur le lyrisme de l’instrument. L’humeur reste sombre et changeante, comme dans Asphodel Meadows (2010). On songe aussi au Concerto de MacMillan (1966), pour la structure tripartite, les académiques unis (ici, le prune domine, là où l’orange et le jaune prévalaient), et le fond lumineux, dont la couleur évolue au gré des humeurs du ballet. Mais Scarlett a aussi exploité les qualités d’attaque et de vélocité du Miami City Ballet. L’architecture des ensembles est aussi un hommage à Balanchine, et le dernier mouvement, le plus réussi à mon goût, a quelque chose du perpetuum mobile de bien des finales balanchiniens : un tourbillon énergique dont on n’entrevoit ni ne souhaite l’épuisement. Laura Morera a les qualités requises pour la partie soliste des premier et troisième mouvement : la rapidité dans les pieds et la flexibilité du haut du corps, que Scarlett sollicite énormément. Marianela Nuñez danse l’adage avec Ryoichi Hirano. Comme souvent dans le néoclassique des années 2010, la complexité du partenariat semble un but en soi, et on peine à percevoir un développement, jusqu’à ce qu’advienne une figure inversée de celle du début (où, les deux interprètes se tournant le dos, l’un repose un instant son dos cambré sur celui de l’autre). On comprend alors que les deux danseurs repartiront chacun de leur côté. Sinistre, mais à revoir.

Infra (2009), de Wayne McGregor, ne dépare pas l’ambiance : c’est, rétrospectivement, la plus intime des créations pour grande scène du « chorégraphe en résidence » du Royal Ballet. On est frappé, à revoir l’œuvre, d’une certaine correspondance des duos avec la variété des couleurs orchestrales de la partition de Max Richter (ici les violons, là le piano, plus loin le violoncelle). Les passages se succèdent sans solution de continuité, mais cette solitude – chacun dans sa case – et cette fragilité sont le propos même d’Infra, et on aurait presque envie de sauter sur scène pour consoler Sarah Lamb hurlant seule au milieu d’une foule indifférente. Pour le reste, le style heurté et sur-sexualisé de McGregor séduira les uns et barbera les autres. En temps normal, c’est le sculptural Eric Underwood qui danse avec Melissa Hamilton un pas de deux torride, ainsi qu’un solo tous biscottos dehors. Pour la deuxième représentation de la série, il est remplacé par le blond Dawid Trzensimiech, qui ne récolte pas à l’applaudimètre un dixième du triomphe habituel d’Underwood. Un décalage qui met en évidence la part de proposition plastique qu’il y a chez McGregor.

Cette tendance à faire image plutôt que mouvement se retrouve chez Wheeldon, « artiste associé » à Covent-Garden. Fool’s Paradise, créé en 2007 pour la compagnie Morphoses (qu’il dirigeait à l’époque) est la première coopération entre le chorégraphe et le compositeur Joby Talbot. On ne réussit pas toujours du premier coup : l’atmosphère musicale s’englue et la chorégraphie se perd dans une emphase qui culmine dans le finale (cf. la dernière image du ballet dans le diaporama ci-dessous). Nous voilà du côté des statues grecques, évoluant, majestueuses et lointaines, sur fond de pétales dorés tombant du plafond, sous une lumière zénithale. À deux reprises, Federico Bonelli porte Sarah Lamb sur le haut du dos, dans une posture qui fait songer à Atlas soutenant un gracieux globe terrestre.

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Don Quichotte, Marius Petipa dans le texte?

Nous avions laissé Marius Petipa aux prémices de sa carrière russe, chassé de Paris par la gloire sans partage de son bien aimé frère Lucien, remontant le ballet Paquita dans lequel ce dernier avait triomphé à Paris. Curieux retour des choses, la seule partie encore authentique de ce ballet de Mazilier est le grand pas nuptial créé par Marius pour une reprise du ballet en Russie en 1881. Dans ce divertissement, le style de Marius Petipa s’est quelque peu affranchi de l’esprit couleur locale propre au romantisme. Les pas comme la musique ont bien peu d’ingrédients espagnols. Cette interpolation a pris le dessus, telle un gourmand de rosier supplantant la souche. C’est le destin des ballets de subir des mutations parfois irréversibles au point qu’on se demande à quoi pouvait ressembler l’original.

Au soir de sa longue vie, après une éviction dorée des théâtres impériaux, le grand Marius décida d’écrire ses Mémoires pour prouver qu’il avait bien toute sa tête contrairement aux déclarations du directeur des théâtres impériaux d’alors, L. Teliakovski. Plus que toute autre chose, c’est le destin de son œuvre qui le préoccupait. Certaines d’entre-elles continuaient d’être présentées mais dans des versions qui ne satisfaisaient pas le maître.

« Je suis indigné par la déformation de ballets classiques où l’on insère inutilement des polkas et des danses modernes. Pourquoi un ballet classique ne bénéficie-t-il pas de la même protection qu’un opéra ou un drame connu ? Essayez d’introduire une valse quelconque dans un opéra et tout le monde vous éreintera, mais sur la scène moscovite, de tels attentats à l’intégrité des œuvres de ballets sont facilement admis »

La Gazette de Saint-Petersbourg, 8 janvier 1897

Petipa oublie opportunément que la pratique existait avant lui et qu’il l’a souvent lui-même utilisée. L’interpolation de Minkus dans la partition de Giselle pour la fameuse diagonale sur pointe, la Mazurka de Paquita ou encore la scène du jardin enchanté dans le Corsaire devenu une macédoine de compositeurs divers et laissant très peu de choses de la partition originale d’Adolphe Adam sont les exemples les plus connus des interventions de Petipa dans les ballets de ses collègues.

En 1861, le chorégraphe avait lui-même connu une querelle judiciaire assez retentissante à Paris lors de sa venue pour monter un ballet en un acte, Le Marché des Innocents, afin de mettre en valeur les qualités de sa femme. Lors de la soirée à bénéfice de Marie, il avait décidé de varier les plaisirs en interpolant un pas, La Cosmopolitana, créé par son collègue Jules Perrot pour le ballet Gazelda ou les Tziganes. Perrot avait refusé de lui donner la permission d’utiliser son œuvre et Petipa était passé outre. S’ensuivit ce que l’historien de la danse Ivor Guest qualifie de première affaire de « copyright » (droits d’auteur) concernant une chorégraphie. Les avocats tentèrent en effet à cette occasion de définir à qui appartenait une œuvre chorégraphique, tâche difficile dans ce cas car ni l’avocat de Perrot ni le public parisien n’avaient jamais vu la Cosmopolitana et l’artiste ne notait pas ses chorégraphies. Arthur Saint Léon dut donc témoigner en faveur de son collègue et attester qu’il s’agissait bien du même pas. L’avocat de Petipa, maître Chaix d’Est-Ange, un habitué des coulisses de l’Opéra, plaida que ce n’était pas tant le maître de ballet mais l’interprète qui faisait le pas par « sa grâce, sa force, son expression, tout les jeux de son corps et de sa physionomie » (sic).

Finalement, Perrot ne tira que 300 francs de dommages et intérêts des 10000 que son avocat réclamait et la soirée à bénéfice des Petipa eut un succès retentissant en raison de la publicité donnée dans la presse à l’occasion du procès.

Par un juste mais tout de même cruel retour des choses, Marius Petipa subit de telles trahisons à la fin de sa longue vie. À vrai dire, presque plus que les changements opérés dans ses ballets, c’étaient les reprises de ses chefs d’œuvre où les maîtres de ballets effaçaient son nom de l’affiche qui le mettaient hors de lui. Lors de son conflit avec Perrot, si l’on en croit ses Mémoires, il avait cité le nom de son collègue.

La scène des Dryades, Saint Petersbourg. Gravure russe.

Que reste-t-il donc du Don Quichotte de Petipa dans les productions actuelles ? La réponse à cette question est compliquée par le fait que Petipa fit lui-même deux versions très différentes de son ballet. La première pour le Bolshoï de Moscou en 1869 donnait une place plus importante au personnage éponyme et ne comportait pas de scènes des dryades. Dans la scène des moulins, assommé, Don Quichotte confondait la lune (de papier) avec sa bien-aimée. La lune pleurait puis riait pour la plus grande joie du public. L’œuvre était dans la tradition du romantisme avec de nombreuses scènes pantomimes et de multiples danses de caractère. Cette version était celle qui devait le plus à l’expérience de jeunesse de Petipa en Espagne. En 1871, pour la version petersbourgeoise, il inventa la scène fantastique des dryades mais ne connecta jamais ce moment de poésie à la scène des gitans et des moulins comme nous le voyons aujourd’hui (Don Quichotte envoyé dans les airs par ses ennemis de toile et de bois fait un rêve où Kitri, entourée de Cupidon et de la reine des Dryades apparaît sous la forme de Dulcinée). Elles étaient séparées par la scène de la place de Barcelone. Ce schéma moins dynamique donnait cependant plus de place au récit picaresque et au personnage éponyme quand aujourd’hui il n’est plus guère qu’un prétexte à raconter une histoire d’amour entre deux héros dotés de toutes les grâces de la nature.

Le premier à avoir changé substantiellement le ballet fut un élève de Petipa et ce fut du vivant du maître, en 1900. Petipa est tellement furieux contre son ancien élève qu’il rechigne à le nommer dans ses mémoires.

« Ce n’est nullement de ma faute si M. Gorski, pour faire plaisir à son protecteur [Teliakovsky], prit un autre chemin, et, me volant mes propres œuvres, commença à y introduire des innovations [à Moscou] qui ne témoignent guère en sa faveur ».

Gorski débarrassa pourtant la scène de Barcelone de tout ce qu’elle pouvait avoir de corseté en demandant au corps de ballet d’interpréter des personnages et de former un écrin « naturel » autour des évolutions solistes de Petipa. C’est lui qui eut l’idée de fusionner la scène des moulins avec celle des dryades. Était-ce une raison, lors de la reprise petersbourgeoise de cette production moscovite en 1902, d’effacer le nom de Petipa de l’affiche?

Maria Pavlova, artiste invitée à Moscou dans la version Gorski de Don Quichotte

Après la mort de Petipa (1910), d’autres altérations eurent encore lieu. Le grand Fandango qui ouvre l’acte III fut ajouté dans les années vingt et les années trente virent l’ajout de variations masculines soviétiques pour le danseur Vakhtang Tchaboukiani.

Selon le programme de l’Opéra de Paris, que reste-t-il de Petipa dans Don Quichotte ?

Les solos de Kitri, le duo de ses amies, et le trio qu’elles forment avec Basile dans l’acte I (la place de Barcelone), les variations de la reine des Dryades, de Cupidon et de Dulcinée/Kitri, ainsi que les évolutions du corps de ballet dans la scène de « la vision ».

Pourtant, si l’on regarde les différentes versions de cette scène, la seule chose qui semble les lier est l’usage pour le corps de ballet des ballonnés et de petits jetés en avançant. Le Kirov, dans les années 80 mettait des enfants sur scène habillés en Cupidon pour rappeler que Petipa en alignait 54 en 1871. La version ABT-Barychnikov fait évoluer le corps de ballet en cercles tandis que Noureev (pourtant habituellement fidèle aux passages traditionnels qu’il avait connus à Leningrad) créé une hiérarchie très géométrique entre un trio de tête, un quatuor secondaire et le reste du corps de ballet.

Petipa eut-il été satisfait ? Bien peu subsiste de son œuvre mais son nom est sur l’affiche et recouvre désormais ceux de ses collègues Gorski, Lopoukhov, Tchaboukiani et tant d’autres après eux.

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