Archives mensuelles : mars 2018

Bernstein au Royal Ballet : en long, en large et au travers

Royal Ballet – Centenaire Bernstein – Soirée du 23 mars 2018

Jamais en retard d’un anniversaire, le Royal Ballet célèbre les 100 ans de la naissance de Leonard Bernstein en réunissant les forces de son trio créatif officiel – Wayne McGregor, Christopher Wheeldon et Liam Scarlett sont respectivement chorégraphe en résidence, artiste associé et artiste en résidence d’une maison qui ne manque pas de constance dans l’engagement – pour deux créations, et une reprise. Voilà l’occasion de découvrir quelques œuvres relativement peu connues du compositeur américain, dont l’inspiration est souvent très théâtrale.

Pour Yugen, Wayne McGregor s’est emparé des Chichester Psalms (1965), commande du doyen de la cathédrale de Chichester, œuvre à la fois profonde et dramatique, qui surprend par la variété de ses péripéties – un peu moins quand on lit que la partition reprend un projet avorté de comédie musicale pour Broadway… L’étonnante fusion entre douceur mélodique et énergie percussive qui irrigue cette pièce trouve son écho dans une création chorégraphique plus lyrique qu’à l’accoutumée. Dans l’explosif premier mouvement, les jambes sont décochées comme des flèches, et dans certains passages d’ensemble, on perçoit la réminiscence d’un vieux tic – le cou agité d’un mouvement d’oiseau qui picore –. Mais le mouvement se déploie aussi sur une amplitude plus grande, en particulier lors du solo de Calvin Richardson, puis dans le pas de trois avec Sarah Lamb et Federico Bonelli. On se laisse bercer par l’étrangeté sonore du texte hébreu ; les évolutions des danseurs ont quelque chose comme d’une grâce en suspension. Et on découvre que Sarah Lamb flotte. Oui, dans les airs, Sarah flotte.

Sarah Lamb / Yugen - Photo Andrej Uspenski, courtesy of ROH

Sarah Lamb / Yugen – Photo Andrej Uspenski, courtesy of ROH

McGregor relie musique et danse d’une manière un peu mystérieuse : on a l’impression qu’il cherche, moins que la correspondance directe, à se glisser dans l’épaisseur du son.

L’utilisation de la musique est plus conventionnelle – un trait, un mouvement – dans The Age of Anxiety (2014) de Liam Scarlett, ballet narratif réunissant un soir de beuverie, pendant la Seconde Guerre mondiale, un marin (Alexander Campbell), un aviateur (Tristan Dyer), un voyageur de commerce (Bennet Gartside, ressemblant furieusement à un personnage d’Arthur Miller) et Rosetta, une vendeuse esseulée (Sarah Lamb, on ne s’en lasse pas). Le meilleur moment de la soirée est celui de la fête alcoolisée chez Rosetta, où chacun perd le contrôle de lui-même. Et il y a toujours ce moment bouleversant où, enfin seule, épuisée,  Sarah Lamb enlève ses chaussures à talon. Ici encore, dans les vapeurs, elle flotte.

Corybantic Games de Christopher Wheeldon, puise dans la Grèce antique : le titre renvoie aux fêtes de Cybèle, les costumes de Erdem Moralioglu jouent sur la transparence et les bandelettes, et le ballet est réglé sur le concerto pour violon nommé Serenade after Plato’s ‘Symposium’… Les coiffures – gomina pour les hommes, cheveux crêpés et en chignon pour les filles – renvoient davantage aux années 1950. Wheeldon cumule citations – Balanchine, Nijinska, Nijinski – et invention. L’adage, qui fait évoluer en parallèle trois couples (deux hommes, deux femmes, un homme et une femme), explore de manière stimulante trois modalités très différentes de partenariat, finement éclairées par un jeu de lumières qui oriente le regard sans masquer les variations latérales. Wheeldon aime les dessins à l’architecture compliquée, parsème ses ensembles de moments posés, et glisse des angularités un peu partout. On se laisse gagner par le foisonnement du divers (chacune des cinq parties porte la voix d’un orateur différent), notamment lors d’un dernier mouvement où une soliste solitaire mange la scène (Tierney Heap) tandis que le corps de ballet se lance dans une série endiablée de portés à reculons.

Matthew Ball et William Bracewell - Corybantic Games. Photo Andrej Uspenski.

Matthew Ball et William Bracewell – Corybantic Games. Photo Andrej Uspenski.

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Orphée et Eurydice : saison des adieux

Orphée et Eurydice. Christoph Willibald Gluck. Opéra dansé de Pina Bausch. Palais Garnier. Samedi 24 mars 2018.

On a toujours, lors de retrouvailles avec Orphée et Eurydice de Pina Bausch, cette même expérience de la surprise sans cesse renouvelée. C’est paradoxal, sans doute. Je m’explique. Depuis que je le vis la première fois en 1993 à l’Opéra, avec la compagnie de Wuppertal, il m’est toujours resté des images fortes qui résumaient et encapsulaient, du moins le pensais-je, l’œuvre. Lors de cette première vision, j’avais fixé mon attention sur la madone aux roses rouges, très Thérèse de Lisieux et l’imagerie au final très chrétienne utilisée pour raconter ce mythe. Lors de la dernière reprise, c’était sur les sinuosités baroques de l’œuvre. Mais à chaque fois, c’est quelque chose de différent qui ressort. Pour cette reprise, ce sont les métaphores de la terre désolée qui m’ont servi de fil conducteur : le grand arbre couché et la cage de verre avec son tas de terre de la scène du Deuil ; chaque fil des Parques tissé par quelque arachnide qui asservit les damnés dans l’acte de Violence ; les canapés moussus du tableau de la Paix ; et enfin le pitoyable tas de feuilles mortes du final de Mort. Pour cette reprise, ces éléments de scénographie, occultant les danseurs ou bien dérangés par eux, m’ont évoqué une saison : celle des adieux.

Les adieux ? Ce sont bien sur ceux de Marie-Agnès Gillot, auxquels je n’assisterai pas. Cette soirée était-donc mon au revoir personnel à une artiste dont je garderai des souvenirs très mêlés, entre émerveillements et déceptions. Il était important que cette dernière « rencontre » soit la bonne.

Et pour cela, dans une pièce telle qu’Orphée et Eurydice de Gluck-Bausch, il faut que l’ensemble des interprètes vous soutienne sur une bonne moitié de l’œuvre puisque l’héroïne ne s’engage dans le premier pas de danse qu’à mi-chemin de la soirée.

On a donc commencé par avoir quelques doutes. En Orphée, Stéphane Bullion ne nous convainc pas d’emblée. Ses tressautements de désespoir pendant l’acte du Deuil ne sont peut-être pas assez incarnés et il semble une peu passif dans la scène aux Enfers. On a le sentiment qu’on lui a trop prodigué le conseil récurrent du « n’en fais pas trop ». Du coup, chez ce danseur plutôt introverti, cela se traduit par un côté précautionneux, voire marqué.

Heureusement, Muriel Zusperreguy réveille la première scène avec son « Amour ». Les torsions en huit bauschiennes, qui le plus souvent chez la chorégraphe suintent la souffrance psychologique, prennent instantanément et naturellement des accents jouissifs avec cette danseuse. Dans ce court passage (correspondant à une aria pour soprano) mademoiselle Zusperreguy ne se contente pas de montrer la voie au héros éploré par le truchement d’un chemin tracé à la craie, elle nous remet également sur le droit chemin de l’histoire.

Aux Enfers de Violence, notre destination, nous sommes également accueillis par un très beau trio de cerbères-bouchers : Alexis Renaud sculptural et impassible, Aurélien Houette aux qualités élastiques et Vincent Chaillet tranchant et impitoyable. La scène des désespoirs du corps de ballet présente une belle montée en intensité. Le tableau de Paix réserve également son lot de belles surprises. Il est introduit par Emilie Cozette, dans un rôle « demi-soliste » qui danse harmonieusement le thème de l’apaisement. Et puis paraît enfin Gillot-Eurydice. On est soulagé de la voir rendre le mouvement plein et les sinuosités habitées. Un soulagement après son Boléro exsangue. L’atmosphère de « l’asile aimable et tranquille » est instantanément plantée. À la fin de la scène, on remarque un joli moment où le chœur de ballet (admirable pendant toute la scène avec des ports de bras élégiaques et des portés d’une indicible tendresse) fait voler la gaze de la robe d’Eurydice comme celui d’une Victoire de Samothrace. Ce début de marche vers le monde des vivants est extrêmement touchant. Eurydice-Gillot s’approche d’Orphée tel un courant d’air et se love à son côté comme une colombe qui se serait posée sur son épaule.

Après l’entracte, dans le tableau de Mort, la transmutation d’Orphée-Bullion est spectaculaire. Le poète avait semblé traverser jusqu’ici la scène comme un somnambule. Du coup, on est cueilli par surprise par l’intensité dramatique des duos. Les spirales des corps s’entrechoquent. Des nœuds improbables se nouent. Stéphane Bullion devient souvent palpitant quand il se retrouve dans la situation du martyre qu’on écartèle. Lorsque, après une dernière étreinte, Eurydice s’effondre (après nous avoir captivés par sa variation d’imprécation et la fibrillation de sa robe rouge), Orphée se bute aux parois de tissus du décor comme un bateau ivre contre des falaises un soir de tempête.

La tempête, un état du temps idéal pour dire au revoir à Marie-Agnès Gillot.

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Cendrillon de Malandain : l’intemporel et rien d’autre.

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Espace Michel-Simon. Noisy-le-Grand. Représentation mardi 6 mars 2018.

Comment, lorsqu’on a moins de trente danseurs, se confronter à un ballet d’action et surtout à une partition monstre (certains diront boursouflée) comme celle de la Cendrillon de Prokofiev ? On peut faire confiance à Thierry Malandain et à son complice décorateur et costumier Jorge Gallardo pour offrir des solutions simultanément astucieuses, étonnantes et poétiques. Pour ce faire, ils se sont débarrassés de toute tentation d’inscrire le conte dans une période historique. C’est donc dans un présent sublimé que se déroule cette Cendrillon créée en 2013 (et qu’on découvre donc un peu sur le tard). L’héroïne porte une simple robe tunique courte et son prince se balade en veste-tee shirt. Tout accessoire est superflu ; point de pantoufles de vair mais une nuée d’escarpins suspendus que personne ne portera et qui, les beaux éclairages de Jean-Claude Asquié aidant, ressemble parfois à une envolée printanière d’hirondelles.

Tout est du domaine de l’onirique. La fée-marraine (la très belle et longiligne Claire Lonchampt, à la danse sereine) n’entre jamais qu’en décrivant de large courses circulaires. Elle est une métaphore du temps cyclique et fait d’ailleurs arriver sa pupille au bal dans une roue. Ses acolytes (un corps de ballet de douze danseurs des deux sexes en justaucorps lamé champagne) figurent dès la première scène, par des enchaînements au sol, une sorte d’horloge de chair ; mille-pattes ou encore coléoptère grouillant (ils seront aussi théorie d’Elfes personnels protecteurs ou consolateurs pour Cendrillon). Le trio formé par la marâtre acrobate en béquilles et ses deux filles hommasses (Baptiste Fisson, Frederik Deberdt et Arnaud Mahouy) crée à l’œil une sorte de Cerbère antique (acte 1) qui se prendrait occasionnellement pour une compagnie de majorettes (scène du bal). Le comique même est toujours mâtiné de poésie. Le cours de danse des sœurs au premier acte se fait avec des barres « volantes » tenues par les ballerines elles-mêmes. La recherche de Cendrillon disparue à l’acte 3 est à la fois loufoque, entre espagnoles-armoires à glace et lampadaires orientaux, et prétexte à deux très beaux pas de deux dessinant des amours déréglées, conflictuelles (Claire Lonchampt et Hugo Layer) ou lascives (Irma Hoffen et Romain Di Fazio).

Pour le bal, l’idée des mannequins en robe longue lamée, posés sur pivots à roulettes, est à la fois maligne (ils démultiplient l’assemblée) et puissante (ce bal de femmes sans tête a un côté inquiétant et menaçant pour ce jeune couple qui se découvre). C’est une métaphore des conventions sociales dont les héros ont à s’affranchir.

Cendrillon-La scène du bal-®-Olivier-Houeix-2

Et quand on dit les héros, il ne s’agit pas d’une simple figure de style.

Rarement a-t-on vu une version de ce ballet où le prince était moins potiche. Les présentations sont d’ailleurs faites par l’entremise de la fée avant même le bal (le prince porte alors les couleurs de cette dernière).

Au bal, dans sa première entrée en grand jetés ou dans ses déplacements par petits sauts de basque, il se meut de manière linéaire et semble encore composer avec l’étiquette de sa cour. Mais dès la rencontre des deux amants prédestinés, la technique change.

Miyuki-Kanei-et-Daniel-Vizcayo-Cendrillon–®-Olivier-Houeix

Les attouchements de ces deux-là se muent en secousses telluriques. Les mains s’électrisent, les bustes se repoussent ou se collent à la manière d’aimants. Dans un très joli porté tourbillonnant, Cendrillon, jambes retirées en dehors, repose le ventre sur l’épaule de son partenaire, et ressemble alors à une étoile – une bien belle représentation d’une assomption amoureuse. Mickaël Conte (le prince) n’exprime pas tant l’émotion ou le trouble par le visage que par son torse et ses bras qui sont admirables, et Patricia Velazquez, avec sa musculature compacte qui rend complètement inattendue l’amplitude de ses levés de jambe, est parfaite en adolescente réprimée qui accède à la plénitude de la féminité.

Le classique n’est pourtant jamais très loin. À l’acte trois, pour le pas de deux des retrouvailles, le garçon comme la fille, apaisés, prêts au choix mature de l’hymen, font une série d’équilibres soutenus dans la plus grande tradition académique.

Dans la scène finale, les deux amants, plutôt que de danser un ultime pas de deux, se joignent au groupe des elfes, de la fée et du père de Cendrillon (Romain di Fazio, partenaire privilégié et équivoque de Claire Lonchampt pendant tout le ballet), puis reforment la grande horloge de l’ouverture du ballet ; une horloge à dix-sept coups de minuit. Quelle belle image du passage des personnages du conte de l’anecdotique au mythe.

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Ballet du Capitole Toulouse : Petit. Drames

Photo Patrice Nin / Théâtre du Capitole

Photo Patrice Nin / Théâtre du Capitole

Programme Roland Petit. Ballet du Capitole de Toulouse. Soirée du samedi 10 mars 2018.

Avec Kader Belarbi à sa tête, un programme Roland Petit au Ballet du Capitole paraît une évidence. Le directeur-Étoile de l’Opéra a été l’Interprète (la majuscule est voulue) du répertoire de Petit dans la grande boutique pendant la plus grande partie des années 90, avant que le chorégraphe, toujours avide de sensations et de nouveauté et, il faut le dire, un peu volage, ne donne sa préférence à un jeune Nicolas Le Riche. Personnellement, c’est Belarbi qui a imprimé dans ma rétine les standards d’interprétation du Jeune Homme, de Don José, du Loup ou de Quasimodo.

Le programme choisi par Belarbi mettait bien en valeur les qualités du chorégraphe.

Dans les Forains (1945), sa première pièce conséquente entrée au répertoire du ballet du Capitole en 2014, on admire le génie du chorégraphe pour ces riens qui vont droit au cœur.

Une entrée le dos courbé, des verres qui s’entrechoquent au dessus d’une nappe trop petite, une escarcelle vide, une cage à oiseau chérie oubliée puis retrouvée et l’atmosphère est posée. On est souvent au bord des larmes.

Les danseurs de Toulouse réussissent à merveille cet exercice de haute haute voltige lacrymale. Juliette Thelin avec sa frange plaquée et sa grande natte est entre La petite danseuse de Degas (pas tant la statue que les esquisses dessinées) et Yvette Guilbert peinte par Lautrec. Philippe Solano (le Clown) semble écrasé sous le poids de la fatigue. Seul Davit Galstyan (le prestidigitateur) rayonne. C’est l’incorrigible optimiste de la bande… Mais tous s’animent pour la répétition. Au spectacle, on admire Solano qui saute haut et sec puis atterrit dans le moelleux. La batterie est aussi claire en bas que le cou est désarticulé en haut. Même la perte, fortuite, de la perruque à la fin de sa variation se fait en musique et rajoute au comique de la scène. Les sauts de Galstyan, le Prestidigitateur, traduisent bien la posture de vie du personnage: musicaux et suspendus comme on est enthousiaste et idéaliste. Dans ses tours de magie, le danseur montre une vraie maîtrise du coup de théâtre: le jeu avec la baguette – le regard détourné puis fixé dans le public – n’est pas seulement destiné aux badauds sur scène (une impression que m’a par exemple toujours donné Le Riche dans ce rôle), mais inclut aussi chaque spectateur dans la salle.

Juliette Thélin assure sa Loïe Fuller malgré un peu de tension sur les redoutables piqués arabesque avec longue robe de voile à bâton. La Belle endormie de Kateryna Shalkina a une jolie ligne. Elle se montre très crédible dans les scènes d’atmosphère mais ne comprend pas bien l’équilibre entre idiome classique et incongruités «petitiennes» (les petits dodelinements de la tête, les arabesques bizarrement penchées) dans le pas de deux. À aucun moment on ne croit à sa somnambule sous hypnose. Dommage, car une fois encore, Galstyan est charmant.

Les Forains. Philippe Solano (Le Clown). Photographie David Herrero.

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Avec l’Arlésienne, une entrée au répertoire, on est face à une œuvre plus tardive (1974) où Roland Petit remettait avec flair, dans un ordre différent, ses marottes et obsessions. Le corps de ballet fait par exemple s’envoler les deux principaux protagonistes du drame (Frederi et sa fiancée Vivette) les entremêle puis les sépare comme dans Le Loup (1954). Nouveauté majeure cependant, la femme fatale (tant de fois abordée depuis le Jeune homme et la Mort et Carmen) n’apparaît pas sur le plateau. Mais elle est omniprésente. Avec l’Opéra de Paris (compagnie avec laquelle j’ai le plus vu ce ballet), la théorie de 16 danseurs (8 filles et garçons) donne à l’Arlésienne un petit côté Noces de Nijinska. Ici, les ensembles et les lignes, peut-être moins parfaitement minérales qu’a Paris, offrent un écrin plus naturel au couple mort-né Vivette-Frederi.

Julie Charlet, très brune et très belle, touche droit au cœur dans sa lutte contre l’inéluctable. Elle n’est que courbe et tendresse (sa scène du déshabillage dans la chambre nuptiale avec ses contorsions gênées est musicale, lyrique mais reste « naturelle »).

Dans le rôle de Frederi, Ramiro Gómez Samón poursuit sa belle progression d’interprète. Il lui reste bien quelquefois, au début, des réflexes de jeune fort technicien, un peu trop héros de la pirouette et de la cabriole battue, mais ensuite, la technique se montre signifiante. Fermé au début mais soucieux des conventions sociales, il laisse peu a peu éclater son désespoir, n’épargnant pas même Vivette au travers de pas de deux de plus en plus tourmentés (à la fin, le partenariat est pour ainsi dire râpeux). Dans sa grande variation, ses développés seconde sur plié de dos claquent comme le tambourin et sonnent comme l’appel obsédant de la folie. Son corps se désarticule enfin. Le saut final par la fenêtre parvient à donner le sentiment qu’on se trouve au troisième étage d’une maison. Une grande réussite.

 

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Carmen (1949), qui clôturait la soirée, semble bien le choix idéal d’entrée au répertoire pour le Ballet du Capitole. Dans le plus petit écrin du théâtre du Capitole, on apprécie encore mieux le chromatisme tranché et l’économie de moyens du décor à transformation d’Antoni Clavé, l’invention des costumes. Et on savoure le ballet du Capitole dans ce morceau de danse française. Ça pétarade de tous les côtés. L’énergie sourd de tous les corps. Solano en chef des brigands, affublé de l’horrible perruque orange traditionnelle, fait claquer sa partie avec précision et humour tandis qu’Amaury Barreras Lapinet dresse un portrait hilarant du deuxième bandit, surjouant avec délice son texte. Thiphaine Prevost a le jeté énergique, le ballon impressionnant dans ses sauts de basques. Elle dégage la féminité sereinement provocante à la Petit.

Hélas, la compagnie et les demi-solistes ont les qualités qui manquent cruellement au couple principal. Dennis Cala Valdés, a un beau physique, mais joue un Don José au tout premier degré. Il ne fait pas ressortir le ridicule assumé des mouvements de son personnage (ce côté sur-mâle outrancier qui invalide la masculinité chez Petit). Cet exercice ne pose aucun problème à Norton Ramos Fantinel qui dresse du Toréador un portrait de presque travesti tant il pousse les limites du ridicule induit par la chorégraphie de Roland Petit.

Carmen. Norton Fantinel (le Toréador). Photographie David Herrero

Natalia de Froberville passe quant à elle complètement à côté du rôle créé par Zizi Jeanmaire. Elle confond Carmen avec Aegine, la courtisane dans Spartacus, et ne parvient qu’à avoir l’air d’une midinette. Sa Carmen agite le bas de jambe au lieu de faire frémir la cuisse par le dessous. Du coup, la scène finale, est un long moment d’ennui. Froberville la voit sans doute comme un pas de deux du cygne noir un peu edgy et ne meurt même pas en musique.

Cette danseuse a montré par ailleurs son talent. Mais peut-être Le Loup (une production plus lourde à transférer de la scène parisienne au plateau toulousain) lui aurait mieux convenu à son stade d’acclimatation avec l’esprit de la danse française.

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Onéguine : l’âge de raison

Laura Hecquet (Tatiana)…

Onéguine de John Cranko. Ballet de l’Opéra de Paris. Soirée du lundi 5 mars 2018.

Il y a parfois des distributions qu’on n’attend pas et qui vous ravissent par surprise.

Laura Hecquet est une Tatiana déjà mûre, non tant par l’âge que par l’esprit. Elle a déjà le port aristocratique de la future comtesse Gremine et paraît, bien que jolie, déplacée dans sa robe à ceinture haute et avec sa natte de jeune fille. Cette élégance captive l’œil.

Stéphane Bullion (son Onéguine), est un danseur qui m’a, depuis sa nomination, plus d’une fois laissé sur le bord du plateau par l’impassibilité de son beau visage qui frise parfois l’inexpressivité. Ici pourtant, cela convient parfaitement à la première entrée de son personnage. On projette ce qu’on voudra sur ce sphynx séduisant. Mais il n’y a pas que cela. La bonne impression se confirme. Son vague à l’âme est bien caractérisé (il est le seul à reprendre le léger gigoti de doigts impatients avec sa main dans le dos que font certains Oneguines Stuttgartois). Sa variation réflexive est très réussie, avec de beaux ports de bras ondoyants sans être affectés qui masquent les préparations de pirouettes arabesques de surcroit parfaitement contrôlées.  Il installe ainsi un vrai mystère. On comprend qu’il captive Tatiana-Laura.

Dans le pas de deux de la chambre, le partenariat est tendre et sans faille. Il n’y a pas nécessairement de fulgurances passionnelles mais une forme de préfiguration de l’âge adulte. La ligne un peu minérale de Laura Hecquet s’adoucit juste aux moments où elle tombe dans les bras de son partenaire. Les nuances sont telles qu’on a le sentiment d’assister à un raccourci des trois pas de deux d’In The Night de Robbins : la découverte, la mûre tendresse mais aussi le soupçon de tempête qui prévient de la routine.

A l’acte 2, Onéguine-Bullion, très en accord avec le personnage voulu par Pouchkine, arrive au bal de madame Larine avec le visage renfrogné de celui qui a une tâche pénible à accomplir. Sa cruauté ne se construit que graduellement au fur et à mesure que Tatiana s’abandonne à sa peine jusqu’à se donner en spectacle devant le prince Gremine. Elle fait sa variation sans perdre de vue qu’elle est censée danser pour ce dernier -les tours attitudes se terminent dans des arabesques parfaitement dirigées vers l’invité de marque- mais toujours son regard, dans les départs de mouvement, est pour le cruel joueur de cartes qui a refusé son amour.

En revanche lorsqu’Onéguine  est enfin exaspéré, il se montre véritablement odieux avec son ami Lenski. Ses ports de bras-pieds de nez sont presque physiquement agressifs.

Pourtant avant même le duel contre Lenski, le jeune fat a déjà amorcé sa conversion. Il s’effondre devant le rideau de scène. Il est enfin foudroyé par le regard de Tatiana après le coup de feu fatal.

A l’acte 3, au bal petersbourgeois, c’est un Onéguine moins vieilli que brisé qui fait son entrée accompagné du prince Gremine. Il prend Tatiana par surprise après son pas de deux conjugal. Tatiana ne danse pas avec un mari aimant (Alexis Renaud, à allure militaire et au poli de classe admirablement bien caractérisés. Il parvient à insuffler du charme dans un personnage indifférent). Elle est exposée comme une possession de prix. Ceci rend d’autant plus poignant le dénouement.

Dans l’ultime scène, après une pathétique tentative pour secouer la politesse quasi marmoréenne de son mari, Tatiana sait donc à quoi s’attendre. Onéguine arrive implorant, absolument touchant. Il tombe à terre à la fois noblement (ce qui rappelle sa variation de l’acte 1) mais avec une chaleur nouvelle (réminiscence du pas de deux de la chambre). Tatiana ne dissimule pas. Elle résiste par convenance, s’affole. Onéguine fait de même. Le pas de deux entier est un moment de brève et intense communion. Même lorsqu’elle lui rend la lettre, Tatiana ne repousse pas Onéguine. Elle implore une décision de raison. Et elle l’obtient. Il y a presque une forme de séparation consentie entre ces deux là. C’est tout simplement déchirant.

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Giselle à Londres: volage, comme Albrecht

Giselle, Royal Ballet (janvier-mars 2018)

Le spectateur est une espèce inconstante. Un samedi de février, il m’a suffi de quelques secondes pour changer de toquade. Arrivé sur scène cape au vent, suivi d’un écuyer immanquablement affolé et impuissant, Matthew Ball campait un Albrecht à la pantomime aussi déliée qu’un discours. Son visage racontait l’histoire avec tellement de verve – il y a des danseurs qui ont un visage, et n’oublient pas qu’il fait partie du corps – qu’au moment où la porte de la cabane s’est ouverte, je me suis dit un instant : « mais qui est cette brune qui sautille ? ».

J’avais impromptu adopté le point de vue d’Albrecht : celui d’un aristo en goguette tombé sous le charme d’une jeune fille dont il connaît l’adresse mais n’est pas bien certain du nom. En quelques mimiques, Matthew Ball avait posé l’équation du drame : la morgue et la sincérité, l’appétit et la légèreté, l’engagement et l’inconséquence.

Contrairement à la plupart des Giselle, Yasmine Naghdi – la ballerine pour qui j’avais fait le voyage à Londres – danse le premier acte cheveux dénoués. Outre qu’il épargne à sa mère Berthe la corvée de destruction de chignon à l’orée de la scène de la folie (moment périlleux, où l’épingle en trop menace de ruiner l’émotion), le détail dit quelque chose de l’interprétation : voilà une jeune fille qui charme moins par sa beauté que par sa vivacité, et dont la danse émeut plus par son caractère primesautier que par sa perfection. On aurait aimé plus d’aisance dans la variation du premier acte, mais l’interprète attrape le spectateur aux tripes avec une scène de la folie totalement investie. L’acte blanc me remet sur les rails de la versatilité, car c’est à nouveau Albrecht qui retient l’essentiel de mon attention. Plusieurs fois, dans d’autres rôles, Matthew Ball m’avait donné l’impression de finir tout solo d’un rictus qui clamait « Maman, j’ai fini ma variation ! ». Il a apparemment dépassé ce stade infantile du soliste, dansant la partition d’Albrecht tout à la fois avec panache et comme au bord de l’effondrement. Et puis, dans les dernières secondes, quand ne reste de sa Giselle que la trace éphémère d’une fleur coupée, il a la bonne idée – quand d’autres interprètes se concentrent sur leur peine – de pointer le regard et le bras vers le ciel, en un dernier signe vers la défunte qui l’a sauvé. À cet instant, Ball est devenu le premier Albrecht qui m’ait fait pleurer (matinée du 10 février).

Pour être honnête, ma surprise en voyant surgir une brunette de la cabane de Giselle a quelque lien avec le souvenir encore frais laissé par la blonde Sarah Lamb. La danseuse aux lignes idéales et au teint de porcelaine compose un personnage immédiatement attachant, naïf et fragile. Ryoichi Hirano incarne un Albrecht plutôt doux, à la drague très patte de velours, en tout cas moins agressive que celle de Ball. Cela confère au partenariat un aspect feutré et ouaté. La donzelle n’en donne pas moins son cœur sans réserve : quand elle prend conscience de la duperie, la Giselle de Sarah Lamb affronte son sort avec une éloquence très particulière dans le haut du corps, laissant sa tête et les épaules s’abandonner vers l’arrière, dans un déséquilibre qui annonce la fin. Au second acte, elle se métamorphose en madone protectrice, avec une qualité de danse yeux mi-clos qui laisse une impression durable (matinée du 20 janvier).

La troisième Giselle de ma saison londonienne, Natalia Osipova, est une jeune fille au caractère bien affirmé. Face à un David Hallberg à l’allure si pure et juvénile, elle semble par moments prendre la direction des opérations. Tout se passe si un Albrecht timide et introverti avait trouvé qui le déniaiserait. Cette impression tient aussi au contraste stylistique entre les deux interprètes : Osipova mange la scène, quand Hallberg est tout d’élégance. Le degré d’appropriation du rôle par la ballerine russe est unique : la diagonale de sautillés sur pointes s’enrichit d’un passage en tournant, et se finit par un manège à un rythme endiablé. Elle effectue aussi de jeux de mains très personnels – avec par moments des moulinets trop sophistiqués à mon goût à l’acte I. On reste bouche bée sans être vraiment ému : il faudrait pour cela que le personnage projette une fragilité que la maestria à toute berzingue de la danseuse dément. On ne saura jamais ce qu’aurait donné le partenariat d’Hallberg avec la Giselle d’outre-monde, car le danseur américain, blessé au mollet durant le premier acte, est remplacé au pied levé par… Matthew Ball, mon Albrecht préféré. Natalia Osipova entame l’acte blanc avec une énergie inentamée, un étonnant ballon, et des bras qui flottent comme des algues. Cette Giselle survitaminée reste la folle danseuse du premier acte, moins animée du souci du beau que de l’urgence du rebond. Elle ralentit aussi à plaisir les promenades tête en bas de l’adage de l’acte blanc, allongeant le chant du violon jusqu’à l’irréel (soirée du 1er mars).

Dans les seconds rôles, on remarque forcément l’Hilarion très expressif de Tomas Mock. Danse-t-il tous les soirs ? Je l’ai en tout cas vu mourir trois fois, et à chaque fois il semble dire à ses tourmenteuses : « mais qu’ai-je fait pour mériter cela ? ». Dans la catégorie des Willis en chef,  la palme revient à Itziar Mendizabal, Myrtha pleine d’autorité, mais sans sécheresse (20 janvier). On note aussi la grâce d’Elizabeth Harrod en Moyna (vue sur les trois dates), qui officie aussi dans le pas de six des paysans du 1er mars, le plus satisfaisant de la série, même si Yuhui Choe y manque d’un chouïa de langueur dans les poses de l’adage (avec James Hay). Dans la coda, Elizabeth Harrod et Meaghan Grace Hinkis sont joliment à l’unisson, tout comme les garçons Calvin Richardson et Joseph Sissens, dansant en harmonie – pour une fois – leur chorégraphie en canon. Enfin, il faut citer les prodiges de pantomime qu’accomplit Gary Avis en duc de Courlande. On croit presque l’entendre dire: « bon d’accord, cette table en bois est bien moche, mais la bibine est moins mauvaise que prévu » (10 février et 1er mars).

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Programme Ravel : géométrie variable

Benjamin Millepied, Maurice Béjart. Ballet de l’Opéra de Paris. Soirée du jeudi 1er mars 2018.

Le programme Millepied-Béjart a pour lui le mérite de la cohérence. Unifié par deux partitions de Maurice Ravel créées pour ou dans la mouvance des Ballets Russes de Serge de Diaghilev, il met à l’honneur deux chorégraphes français qui ont bâti l’essentiel de leur notoriété à l’extérieur de l’hexagone et qui ont tous deux eu des rapports complexes avec l’Opéra. L’un en a refusé deux fois la direction et le second l’a abandonnée en début de mandat.

Que reste-t-il de l’enthousiasme qui avait présidé à la création de Daphnis et Chloé en 2014, alors que son chorégraphe venait d’être désigné comme successeur de Brigitte Lefèvre ? Guère que des cendres. Et que reste-t-il de ce ballet et de sa scénographie par Daniel Buren ? Comme alors, le jeu d’ombres chinoises géométriques sur le rideau d’avant-scène fait son petit effet. Le chromatisme du plasticien opère un charme réel ; il a quelque chose du panthéisme qu’on trouve dans la musique. La chorégraphie de Millepied séduit toujours par sa fluidité. Les enroulements déroulements des couples du corps de ballet sont plaisants. Leurs déplacements épousent bien les vagues orchestrales de la musique de Ravel. Le ballet manque cependant parfois de tension. La faute n’en revient peut-être pas qu’au chorégraphe. Il y a des sections entières de la partition de Daphnis et Chloé qui n’appellent pas la danse. En 1912, il semble que l’on attendait déjà beaucoup de l’enchantement visuel que produiraient les décors de Léon Bakst. Benjamin Millepied ne parvient pas à surprendre suffisamment dans ces passages (qui précèdent puis succèdent à l’enlèvement de Chloé par le pirate Bryaxis) : la théorie de filles en tulle blanc se laisse regarder sans créer d’effets mémorables et la succession de deux pas de deux entre Daphnis et Chloé frise la redondance.

L’action du ballet comporte également une tare. Comme dans Sylvia de Delibes-Mérante, ce n’est pas le héros qui délivre sa bien aimée mais un dieu (Éros dans Sylvia, ici le dieu Pan), Daphnis est donc cantonné dans un rôle purement décoratif. Le couple formé par Dorothée Gilbert et Mathieu Ganio est tout velours et coton mais il échoue à éveiller mon intérêt. Il en est de même pour le second couple, la courtisane Lycénion et le pataud Dorcon. Alessio Carbone est trop gracieux en berger jaloux pour parvenir à convaincre. Dans sa « variation-concours », ses départs de sauts ne sont pas assez affirmés et ses chutes trop précautionneuses. François Alu, c’était attendu, casse la baraque dans le rôle du pirate, avec sa sûreté habituelle mais aussi son manque de grâce revendiqué. Sa scène d’intimidation avec Gilbert est effrayante à souhait.

Mais le vrai plaisir qui domine pour cette reprise est celui de revoir des figures qui se sont fait rares depuis le départ du chorégraphe-ex directeur Millepied : Adrien Couvrez, Allister Madin bien sûr, mais surtout Eléonore Guérineau. En blanc ou en jaune, sa danse incendie le plateau et son ballon vous transporte. Nymphe, dryade ou bacchante, elle est simplement unique.

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Créé pour Ida Rubinstein, le Boléro montrait une danseuse espagnole dansant sur la table ronde d’une taverne et excitant le désir de l’assemblée. Les décors, très couleur locale étaient d’Alexandre Benois et la chorégraphie (avec combat au couteau entre hommes, s’il vous plait) de Nijinska.

Le génie de Maurice Béjart aura été de s’éloigner fort peu de ce dispositif tout en l’épurant à l’extrême. Une table rouge réduite à son plateau, une série de chaises avec des hommes torse nu dans toutes les positions et nuances caractéristiques du mâle en chasse, deux spots, une combinaison en ostinato de coupés-relevés, quelques port de mains serpentins, un grand écart facial. De tous ces petits riens naît un immense tout pour peu que l’interprète s’y prête.

Ce n’est hélas pas le cas pour Marie-Agnès Gillot qui tente la stratégie de la théâtralité moindre pour le plus d’effet. Mais elle fait chou blanc. Le jeu des mains, immenses, fait bien son petit effet au début. On se prend à espérer l’araignée hypnotique ou la créature tentaculaire. Mais ensuite, l’interpètre semble absorbée dans un exercice intériorisé qui se voudrait peut-être rituel de la devadâsî du temple mais qui évoque plutôt la routine de la danseuse sous-payée et fatiguée dans un cabaret pour touristes. Du coup, les garçons qui s’amoncellent et se déhanchent graduellement autour de la table semblent plutôt être des collègues consciencieux que des mâles poussés sur les bords du précipice orgasmique. C’est dommage car ils se donnent sans compter. On s’est pris à espérer à plusieurs reprises que Vincent Chaillet ou Audric Bezard indifféremment, voire simultanément, sautent sur la table pour y mettre un peu du feu qui lui manquait cruellement.

C’était peut-être la dernière fois que je voyais Marie-Agnès Gillot. Personnellement, j’ai toujours pensé que cette danseuse s’était trompée de carrière lorsqu’elle s’était laissée consacrer « contemporaine ». Elle avait tout pour être une époustouflante ballerine classique. Dans le contemporain, elle n’aura finalement été qu’un grand corps doué de plus qui évolue en mesure.

Marie-Agnès Gillot. Au centre de la table mais pas forcément au centre d’intérêt.

 

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