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Ballet du Capitole à Massy : ma part de Giselle pour l’hiver

Giselle. Ballet du Capitole de Toulouse. Davit Galstyan (Albrecht). Photographie David Herrero.

Giselle (mus. Adolphe Adam, chor. Kader Belarbi inspirée de Jules Perrot et Marius Petipa). Ballet du Capitole de Toulouse. Opéra de Massy. Représentations du samedi 25 et dimanche 26 janvier.

Il fallait certes traverser le périphérique pour y parvenir mais le Ballet du Capitole de Toulouse vient bien de faire une de ses – trop rares – visites parisiennes et qui plus est, avec la très belle Giselle refondue par Kader Belarbi. On avait découvert et apprécié ce bijou en 2015, à la création de la production, mais fort nous est de reconnaître que presque cinq après, la richesse de la relecture nous a de nouveau pris par surprise. A l’acte 1, le visuel est d’ores et déjà captivant, avec une esthétique inspirée de Brueghel l’Ancien. Les couleurs vives et chaudes des costumes villageois (Olivier Bériot) vous sautent aux yeux tandis que les tons terreux du décor translucide (Thierry Bosquet) vous attachent à la terre.

On avait, non pas oublié, mais sans doute estompé le souvenir de l’intelligence du découpage narratif. Les scènes de danses paysannes sont déployées tout au long de l’acte 1 et l’action avance inexorablement vers le drame final au gré du déroulé de la fête villageoise. On a vraiment le sentiment que l’histoire s’étire sur toute une journée. La chorégraphie captive et étonne aussi. La réécriture énergique des danses paysannes, avec force roulés au sol, sur les tonneaux et autres agaceries gaillardes des filles et garçons, ne perturbe jamais l’aficionado de la version traditionnelle du ballet que je suis.

Qui plus est, cette version est vraiment devenue la version du Ballet du Capitole. Les danseurs se la sont appropriée au point qu’on serait tenté de donner un prénom à chacun des paysans. Jérémy Leydier file par exemple son personnage de paysan bituré au-delà du délicieux duo de soulographes inventé par Kader Belarbi (les danseurs trinquent de la gourde après les avoir fait tourner autour de leur cou entre deux pirouettes dangereusement et drolatiquement décentrées). Le pas de quatre des paysans, qui commence avec le corps de ballet accompagnant chacun des solistes, reprend la quasi-totalité du pas de deux traditionnel (chaque couple interprète le pas de deux en le dansant soit à droite soit à gauche). C’est peut-être le seul moment du ballet qui n’échappe pas tout à fait à la structure en numéro et stoppe un peu l’action. Sans doute les deux couples ne dansent-ils pas assez sur le même registre. On ne boude cependant pas son plaisir car chacun offre, dans son genre particulier, une approche valide de la chorégraphie. Le couple Philippe Solano-Tiphaine Prévost est dans l’énergie, la vivacité et la prestesse, on se croirait devant une riche eau-forte. Minoru Kaneko et Kayo Nakazato mettent eux l’accent sur le moelleux et le ballon ; l’effet est celui d’une tempera très colorée.

Giselle. Ballet du Capitole de Toulouse. L’entrée de la chasse. Photographie David Herrero.

Dans les rôles dramatiques principaux, mis à part Hilarion, joué les deux fois par Rouslan Savdenov avec force et conviction (de près on croirait qu’il en fait trop, mais de loin, son personnage de rustaud amoureux est d’une grande lisibilité), les alchimies varient selon les personnalités. Le 25, Julie Charlet est une Giselle simple et vraie comme sa ligne et sa technique sont claires. L’héroïne est plus une jeune femme qu’une jeune fille. On admire le travail de la ballerine qui, dans la variation Petipa-Pugni, n’oublie pas de saluer différemment sa mère et son amoureux après une double pirouette sur pointe. Comme on avait déjà pu l’observer dans L’Arlésienne de Roland Petit, l’autorité scénique de la danseuse donne une direction au jeune et talentueux Ramiro Goméz Samón. Sa juvénilité émeut lorsqu’il danse avec sa Giselle et on le sent évoluer pendant les deux actes. Il y a ce moment touchant où les vignerons l’invitent dans leurs danse et où il tente, maladroitement, de les imiter dans l’espoir de s’intégrer à la bande. En Bathilde, Alexandra Surodeeva met bien valeur cet Albrecht-Loïs : elle est un mélange de raideur aristocratique et de bonnes intentions qui a peu de chance de séduire un si jeune homme.

La scène de la folie de Julie-Giselle est vraiment incarnée. Lorsqu’elle fond en larmes, elle nous brise le cœur. Sa terreur lorsqu’elle touche ses avant-bras qui lui échappent est palpable. On se sent gagné par la tension qui se dégage du plateau.

Le couple réunissant Natalia de Froberville à Davit Galstyan donne une toute autre atmosphère à l’acte 1. Froberville est une Giselle presque enfantine, d’une absolue fraîcheur et d’une grande aisance technique comme en témoigne sa très facile exécution de la redoutable diagonale sur pointe. Sa Giselle contraste avec la maturité physique et émotionnelle de Galstyan. L’Albrecht du danseur est très entreprenant et tactile. Natalia-Giselle passe son temps à réfréner ses ardeurs. Ce jeu du chat et la souris amuse comme celui d’un premier acte de la Fille mal gardée. On a beau connaître l’issue du premier acte, on ne peut que se mettre au diapason de cette Giselle insouciante. On apprécie d’autant plus le charmant passage où Bathilde (la très belle Marlen Fuerte, nouvelle soliste de la troupe) converse chorégraphiquement avec Giselle sur des pages peu jouées de la partition originale d’Adam. L’éclatement du drame n’en paraît que plus inattendu. Dans sa scène de la folie, Natalia de Froberville est comme une enfant prostrée. Sans être aussi dramatique que Julie Charlet, elle est aussi touchante. Et c’est comme si en deux soirs, on était passé de l’approche de la scène par Fanny Elssler à celle de Carlotta Grisi.

Giselle, Acte II. Les Willis. Photographie David Herrero.

L’acte 2 est plus conforme aux versions traditionnelles de Giselle mais une fois encore avec de subtils changements pour redonner du sens, telle cette scène des Willis virevoltant comme des feux follets entre les joueurs de dés ou encore la réintroduction de la scène du retour à la réalité à la fin du ballet. Il est servi par un corps de ballet féminin mousseux et homogène qui garde ses longs voiles fantomatiques pendant toute la première scène et par des deux Willis semi-solistes  chaque soir d’une grande qualité (Francesca Chinellato, preste, Alexandra Surodeeva, lyrique le 25, Juliette Thélin très élégante et Marlen Fuerte dont on admire la sureté des équilibres et la danse silencieuse le 26).

Les deux distributions offrent, on s’y attendait, des interprétations de l’acte blanc très contrastées. Le 25, Marlen Fuerte, après une très jolie entrée en piétinés, dépeint une Myrtha aussi implacable que marmoréenne (les contours mériteraient d’ailleurs d’être un tantinet adoucis). En face d’elle, Julie Charlet, avec ses beaux bras et ses équilibres suspendus (en dépit de très occasionnelles faiblesses de la jambe de terre) défend pied à pied son juvénile Albrecht (à la ligne impeccable et aux entrechats six ébouriffants). Ombre tutélaire, elle conduit son amant parjure sur le chemin de la maturité. Au petit matin, elle laisse dans la clairière désertée un homme certes marqué mais adulte enfin.

Le 26, face à la reine des Willis très moelleuse d’Alexandra Surodeeva, Natalia de Froberville est une sorte de créature de l’entre-deux. Plus du tout humaine mais pas encore spectre, elle est d’une autre consistance. C’est une âme. Ses équilibres sont planés. Elle semble sans poids. Davit Galstyan, avec son lyrisme exacerbé, son saut généreux, reste l’Albrecht du premier acte en recherche désespérée de contact tactile. Il court éperdument après la femme qui aurait dû être et qui ne sera jamais. Son désespoir final n’est pas un effondrement physique mais un cri de douleur.

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Dois-je l’avouer ? À la sortie de l’Opéra de Massy, sous un ciel pluvieux, après ces incarnations si personnelles des rôle principaux, je me suis pris à penser que, si jamais la longue grève à l’Opéra devait continuer à perturber les représentations du ballet d’Adam, j’aurais au moins eu ma part de Giselle pour l’hiver…

Giselle par le ballet du Capitole c’est encore à Santander (Espagne) le 31 janvier et les 9 et 10 février à l’Opéra de Vichy.

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Lifar in Toulouse : synesthesia

Théâtre du Capitole – salle. Crédit : Patrice Nin

Despite Lifar’s own rather jejune pronouncements about the superiority of dance to music [understandable though, as even today too many musicians look down their noses at ballet] on October 26th and 27th both the ballet and the orchestra of Toulouse’s Capitole were up and ready to share the spotlight.
Philippe Béran sprang up to the podium and began to bring the flutes to life. About ten measures into the overture to Edouard Lalo’s Namouna, I was afloat.

« En dépit des déclarations un brin naïves de Lifar lui-même sur la supériorité de la danse sur la musique […] les 26 et 27 octobre, aussi bien le ballet que l’orchestre du Capitole de Toulouse étaient prêts à partager les feux de la rampe.

Philippe Béran se hissa au pupitre et commença à donner vie aux flûtes. À dix mesures du début de l’ouverture de la Namouna d’Edouard Lalo, j’étais déjà embarquée. »

Whatever you may think about Serge Lifar the man, his choreographies for Suite en Blanc and Les Mirages deserve to be danced as often as possible. They were designed to make each individual shine in the company of others. Suite folds all kinds of technical challenges into that big one of stylistic refinement, while Mirages asks the cast to soulfully embody – rather than simply act out – a most surreal storyline. Best of all, his works allow the dancers to be music. You can’t just stomp out his steps on the beat, you have to insinuate yourself into the melody and play within rhythms.

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Suite en blanc. Final. Photographie David Herrero

Suite en Blanc begins with a tableau vivant of the cast that slowly breaks apart as various groups glamorously stalk off the stage, leaving a trio of ballerinas to embark on a kind of gentle chorale. At both performances, I was drawn to the manner in which Juliette Thélin gave a natural flow to the peculiarities of Lifar’s neo-classical style. Lifar’s vision involves an elegant Art Deco feeling, two-dimensional yet in three, with elbows bent just so, the nape of the neck bent just so, the décalé – a kind of languid stretching out/exaggeration of a movement’s impulse that makes time stop for a micro-second — and frequent use of 6th positions. This is not to say that on both nights the trio didn’t feel like a trio, but there was just “that soupçon of a quelque chose that Parisian girls have” (to quote Gary Cooper) more about the way Thélin moved. The next day, she would endow her incarnation of the melancholy Moon in Les Mirages with the same stylish glow.

« Aux deux représentations, j’étais attirée pas la façon avec laquelle Juliette Thélin donnait un débit naturel aux étrangetés du style néoclassique de Lifar […] un élégant aspect Art Déco, du bidimentionnel en 3D […] Le jour suivant, [Thélin] conférerait à son incarnation de la mélancolique lune des Mirages cette même aura stylée »

On the 26th, the Thême varié that follows — another trio, but this time for a girl and two boys – blew me out of the water. In any group, usually your eye catches one dancer no matter how hard you are trying to be fair. But here, Thiphaine Prévost, Philippe Solano, the promising Matteo Manzoni…sheesh, I wanted them to re-dance the damn thing three times. It was like staring into a gorgeous box of chocolates and trying to decide. Maybe Solano? He made the classic Lifar déhanchement super-elegant. This pose involves a stretchy and arched swerve of the hips and arms that both breaks and confirms the classical line. Preparations (and this goes for the whole company) were tossed off, subordinated to the movement. Not once did someone squat down into “now as I am about to do my big pirouette, just wait one more sec while I settle in” mode.

[Thème Varié] « Tiphaine Prevost, Philippe Solano et le prometteur Matteo Manzoni… Mazette ! J’aurais voulu les voir trois fois redanser leur bon sang de truc [Thème Varié]. C’était comme être devant une boîte de chocolats et essayer de se décider. Solano, peut-être ? Il rendait le caractéristique déhanché lifarien super élégant. […] Ses préparations (mais cela est aussi valable pour l’ensemble de la compagnie) étaient escamotées, subordonnées au mouvement. Pas une seule fois quelqu’un ne s’est campé dans le sol pour un « Et maintenant, je vais vous montrer ma multiple pirouette. Juste une petite seconde, que je me mette sur le bon mode »

On the 26th, Julie Charlet owned the La Cigarette variation with easeful and stylish phrasing, as if a foot caressing the floor and an hand teasing the geometries of the air just above her shoulder were the norm. She played with the music, seeming to wrap her body around the orchestra’s phrasing. On the Sunday matinee, Natalia de Froberville made invisible lift-offs from a lovely variety of pliés another norm. Later, in the pas de deux, de Froberville’s effortlessly unshowy balances floated along with the strings.

Le 26, Julie Charlet faisait sienne la variation de la Cigarette avec son phrasé à la fois facile et élégant ; comme si caresser le sol du pied et taquiner de la main les géométries de l’espace au-dessus de ses épaules était la norme. Elle jouait avec la musique, semblant se draper dans le phrasé de l’orchestre. [Dans la même variation] Natalia de Froberville quant à elle fit des envols partis d’une jolie variété de pliés une autre norme. Plus tard, dans le pas de deux, ses équilibres faciles et sans affectation flottaient parmi le son des cordes de l’orchestre.

Suite en blanc. Natalia de Froberville dans « La Cigarette ». Photographie David Herrero

Alas, while blessed with a smooth and solid technique, Alexandra Surodeeva needs to work on style. She substituted Princess Aurora arms in place of Lifarian épaulement whatever the role: Thême varié, Grand Adage, the “La Flûte” solo, or “La Femme” in Les Mirages. Whenever a combination of steps was repeated, the energy and phrasing were carbon copied. This must be fixed.

«Hélas, bien que douée d’une technique à la fois solide et fine, Alexandra Sudoreeva aurait besoin de travailler sur le style. Elle a substitué aux épaulements lifariens les bras de la Belle au bois dormant, quel que soit le rôle […]»

On the other hand, whether part of the female trio at the first performance, as a soloist the next day, or as the ballerina of one’s desire in Les Mirages, the unaffectedly feminine Florencia Chinellato made us breathe to the music. Her responsiveness to the pan pipe nuances of the orchestra’s flutist in La Flûte – including deliciously hovering décalés — gave you the feeling that the two of them could see each other. I know this sounds absurd, but musician and dancer seemed to be having a flirtatious conversation..

[La flûte] «La féminité sans affectation de Florencia Chinellato nous a fait respirer sur la musique. Sa réactivité aux accents de flûte de pan du flutiste […] donnait l’impression que les deux se voyaient. […] et menaient une conversation intime.»

Even if it comes before the adagio, I’ve left the Mazurka for last. It’s the best: an emulsion of steps and style and danciness, of chic and cool. (Even though it does proffer the temptation to ham it up). On the 26th, Davit Galstyan used his arching arabesques and organic sense of rhythmic variation. He gave his solo polish, sweep, and jazz, and made you want to run out and sign up for mazurka class. Perhaps because the Sunday matinée unexpectedly turned out to be his only shot at it, Solano’s beautifully-executed demonstration of the solo lacked the release he had had the night before. If the performance for the 29th hadn’t been cancelled, I am certain Solano would have let loose and grooved.

« [Mazurka] Davit Galstyan utilisait son arabesque cambrée et son sens organique de la variation rythmique. Il donnait à son solo à la fois un caractère polonais, du parcours et du jazz […] Peut-être parce que le dimanche matinée était sa chance unique, la démonstration parfaitement exécutée du solo par Solano manquait de ce relâché qu’il possédait lors de la représentation de la veille [dans le Thème varié]. »

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Les Mirages. Davit Galstyan (le jeune homme) et Julie Charlet (l’Ombre). Photographie David Herrero.

Henri Sauguet believed so deeply that his haunting score for Les Mirages only came alive – only existed — when danced out that he refused to allow the music to be recorded. This ballet is a fable about a young man who, shadowed by his conscience, insists upon chasing after glittering illusions at his own peril.
In a reversal of the usual, here the female lead, L’Ombre [His Shadow], often finds herself behind her partner and even on his back as she tries to point the way to the path he should be taking.

Les Mirages. Ramiro Gomez-Samon (le jeune homme) et Kayo Nakazato (la Chimère). Photographie David Herrero.

Like Romeo, the Young Man proves a role to which few young actors are actually suited. On the 26th, Ramiro Gómez Samón gave the character a naïve grace, purity of line and movement, great energy. He chased after the bird-woman, the ballerina, the pot of gold, with the gleeful joy of a little boy in a roomful of toys. No hint of growing disillusionment came through though, so the character gradually became static. Within a few years, this talented dancer will have had the experience to develop his interpretation into that of a man, certainly still young, but one with desires and regrets.

« Ramiro Gómez Samón a donné au personnage [du jeune homme] une grâce naïve, une pureté de ligne et de mouvement et une grande énergie […] Mais aucun soupçon d’une désillusion grandissante ne sourdait, en conséquence, son personnage est graduellement devenu statique. »

Les Mirages : Natalia de Froberville (l’Ombre) et Ramiro Gomez-Samon (le jeune homme). Photographie : David Herrero

Thus, as his shadow, Natalia de Froberville had less to work with than she deserved. Her partner was dancing to the beat of a different drummer.  If you hadn’t read the program notes, you would have been confused. Is she this immature boy’s disappointed ex-girlfriend? His governess? This is a pity, for her interpretation had integrity, sculpted and extending lines, and paid thoughtful attention to every unshowy detail down to the way she slowly swept the back of her palm across her eyes, trying to wipe away what she’s seeing in the boy’s future.

« Du coup, en tant que son Ombre, Natalia de Froberville avait moins à se mettre sous la dent qu’elle ne le méritait. Son partenaire dansait sur une toute autre partition. Si vous n’aviez pas lu l’argument dans le programme, vous auriez pu vous méprendre. Était-elle l’ex-petite amie déçue du jeune homme immature, sa gouvernante ? C’est dommage, car son interprétation était intègre, pleine de lignes sculptées et allongées, et prêtait attention à tous les petits détails cachés comme cette façon de lentement placer le dos de sa main sur ses yeux pour essayer de chasser l’image de ce qu’elle était en train de lire dans la destinée du jeune homme.»

On the 27th, Davit Galstyan’s Young Man – like Albrecht, like James – entered with that slow stop-and-start run around the stage, his arm loosely raised to track the will-o’-the-wisps flying just beyond his reach. He radiated the hope that if he chased them hard enough his dreams would come true, thus setting up his path to disappointment. Julie Charlet’s wide-eyed Shadow came across as softer and more protective. Less despairing, as if the pair had already travelled a long way together and she knew they were almost “there.” Here their relationship felt symbiotic, conjoined, even as Galstyan kept trying to squirm out of it. At one moment, after she reminded him of how the clock is ticking, the tender way she wrapped her arms around thin air said this: “You try to ignore that your existence is bound by chains even as you try to fly. Trust me, for I am the only one who cares about you.” By the end, as the two of them turned their backs on the mirages of the night and raised their faces towards the rising sun, you knew that this young man had finally found the light at the end of the tunnel.

« Le 27, le jeune homme de Davit Galstyan […] irradiait de l’espoir que s’il pourchassait très fort ses rêves ils deviendraient réalité, créant ainsi le terreau de la désillusion. Julie Charlet, Ombre aux yeux immenses nous est apparue plus douce et protectrice. Moins désespérée aussi, comme si le couple avait déjà accompli un long voyage et qu’elle savait qu’ils étaient presque arrivés à bon port. […] Ici, leur relation était en symbiose, conjointe, même lorsque Galstyan essayait de s’en extirper. […] À la fin, quand tous les deux ont tourné le dos aux mirages de la nuit et ont présenté leur visage au soleil naissant, vous compreniez que le jeune homme avait finalement vu la lumière au bout du tunnel »

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Ballet du Capitole : joyau français

Photo Patrice Nin / Théâtre du Capitole

Photo Patrice Nin / Théâtre du Capitole

Joyaux français. Ballet du Capitole de Toulouse. Suite en blanc (Lifar / Lalo) et Les Mirages (Lifar / Sauguet). Représentations des 26 et 27 octobre 2019.

Réunis sous le titre un peu sibyllin de « Joyaux français », le ballet du Capitole de Toulouse proposait un programme Serge Lifar avec la reprise des Mirages (1944-47), au répertoire depuis 2014 et l’entrée du redoutablement difficile Suite en Blanc (1943). Il y a quelques années encore, je n’aurais pas imaginé que Kader Belarbi prendrait la peine de défendre ce répertoire.

En tant que danseur Kader Belarbi a dit de Serge Lifar qu’il « appartient à l’histoire de l’Opéra [même si] le temps estompe un peu son influence » mais pointe aussi son « narcissisme excessif, plus en relation avec la sensibilité contemporaine » [Cette déclaration extraite de Serge Lifar à l’Opéra date de 2006 a déjà aujourd’hui, à l’ère du selfie et de l’instagramisation du quotidien, un petit côté « historique »]. En tant que chorégraphe, Belarbi disait, toujours en 2006, que l’héritage lifarien lui était en grande partie étranger : « Je suis dans un choix chorégraphique qui ne recherche pas spécialement un style ni une ligne classique pure », « en tant que danseur, je sais que Lifar est là, même si en tant que chorégraphe, j’en suis moins sûr ».

Heureusement, Kader Belarbi, le directeur artistique du Ballet du Capitole de Toulouse, programmateur intelligent, sait ce que l’étude et l’intégration d’un style peut apporter à une compagnie de jeunes danseurs de 14 nationalités différentes et d’au moins autant d’écoles de ballet, pratiquement tous nés après la mort de Serge Lifar en 1986.

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Et ce style n’est pas aisé à animer. C’est qu’il y a en lui une base « statuaire », très années 30-40, tel ce lever de rideau sur Suite en Blanc où les danseurs sont groupés comme des divinités antiques sur un fronton. Les poses lifariennes, avec leurs ports de bras en anse hyper-stylisées, les contrapposto des danseurs masculins en 6e position auraient vite fait de paraître empesés si les interprètes ne maîtrisaient pas une « nouveauté» dont Lifar n’est peut-être pas exactement l’inventeur mais qu’il a utilisée de manière toute personnelle : les décalés. Ces positions qui allongent la ligne d’une arabesque ou d’un dégagé chez Lifar, contrairement à d’autres chorégraphes, ne sont pas conçues comme un déséquilibre mais bien comme une respiration. Dans Suite en blanc, la démonstration la plus emblématique de ce décalé est peut-être dans le court solo féminin de La Flûte, à la fin du ballet, où une soliste féminine alterne des positions parfaitement centrées et académiques (des assemblés sur des 5e très fermées suivis de relevés en attitude devant sur pointe) avec une série de développés devant décalés associés à un léger cambré du dos. Ce mouvement, exagéré, conduirait à un déséquilibre et à une forme de claudication. Respiré, il ressemble à une marche badine, très naturelle. Cet art de la mesure dans le cambré, essentiellement « français » [Selon Attilio Labis, Lifar disait : « vous les Français, vous avez quelque chose qui est rare et que personne d’autre n’a, c’est le sens de la mesure. Vous savez faire le geste juste, sans exagération » ], est un peu le test imparable qui montre si le style est acquis ou pas.

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Suite en blanc. Julie Charlet. Photographie David Herrero.

Et c’est une grande part de l’exploit en quoi a consisté l’entrée au répertoire de Suite en Blanc au ballet du Capitole,  dont les danseurs n’ont, pour la plupart, jamais été confrontés ni à ce style ni à cet exercice de mesure dans la démesure. Les garçons de Toulouse se lancent par exemple avec beaucoup d’énergie dans les curieuses courses en 6e avec les bras en poignées d’amphores. Ils animent le bas-relief avec une bravoure très crane. La plupart des solistes rentrent également, à des degrés divers, dans le jeu avec, pour les danseuses, la difficulté supplémentaire d’avoir à endosser plusieurs variations attribuées à l’Opéra de Paris à des solistes différentes. En deuxième distribution, vue le 26/10, Julie Charlet interprétait ainsi avec chic La Sérénade avec ses redoutables petites cloches sur une jambe de terre pliée sur pointe, La Cigarette , exercice de maîtrise (avec un délié du haut du corps, des ralentissements et des accélérations à donner le frisson et de petites révérences primesautières), et finissait par les fouettés de la Coda. En 1ere distribution, vue le 27, Natalia de Froberville interprétait aussi La Cigarette, d’une manière tout à fait personnelle (un parti-pris entre la chaleur de l’école russe et l’élégance de l’école française, beaucoup d’humour dans les œillades à la salle et de féminité dans les ports de bras), elle continuait avec le Grand adage, interprété de manière très sereine aux côtés de Ruslan Savdenov, partenaire très sûr, et finissait sur les fouettés. La comparaison des deux étoiles féminines de la troupe toulousaine donnait un peu le pouls de la compagnie sur ce difficile ballet. Elles déployaient toutes deux, chacune à leur manière, un abattage de bon aloi, fait de cabotinage contrôlé, d’émulation avec les autres ballerines, le tout dans une volonté de présenter l’excellence technique de la troupe. Et, à l’exception notoire d’Alexandra Sudoreeva qui danse toujours velouté mais sert la même sauce à chaque repas (L’adage, le Thème varié et la Flûte de Lifar cette année ou la Cendrillon de Noureev l’an dernier), les autres solistes de la troupe se sont mises au diapason de leurs têtes d’affiche.

Suite en Blanc. Adage. Natalia de Froberville et Rouslan Savdenov. Photographie David Herrero

Dans La Flûte (le 27/10), dont nous avons parlé plus haut, Florencia Chinellato (déjà charmante le 26 dans le trio aux beaux épaulements de La Sieste) fait montre d’une grande maîtrise de la musicalité. Elle sait danser entre les tempi musicaux et ménager de jolies surprises. Ses équilibres attitude sont un rêve de balletomane. Kayo Nakazato, seule titulaire du Pas de 5 (elle est entourée de 4 marlous battants, bondissants et tournoyants) montre un joli ballon sur les sissonnes et à de beaux piqués en attitude ouverte (surtout le 27 où elle se montre plus détendue). Dans le Thème varié, Tiphaine Prevost est d’une clarté technique cristalline. Son regard parfois dirigé vers la salle est très « français », très second degré. Elle intègre les ports de bras « pin-up baigneuse » de sa partition avec un naturel désarmant. Elle est accompagnée de Philippe Solano qui époustoufle par le ciselé de sa danse : ses réceptions arabesques sur les assemblés, d’une totale propreté, avec en prime, une extension de la ligne d’arabesque, sont mémorables. Son collègue, Matteo Manzoni, s’il n’a pas encore le même fini, danse avec la même bravura. On savoure d’avance les duos masculins qu’ils pourront former tous deux sur le pas de six de Giselle ou dans Raymonda. Ajoutez à cela la musique héroïque de Lalo et on avait le sentiment de voir deux mousquetaires faisant la cour à une Constance Bonacieux délicieusement accorte.

Philippe Solano écopait également pour une seule date (le 27/10) de la célèbre Mazurka, cheval de bataille récurrent des concours masculins du corps de ballet à l’Opéra. Le jeune danseur y fait preuve d’une énergie roborative. Ses positions sont littéralement facettées. Tout cela brille de mille feux. On espère que le danseur aura de plus nombreuses occasions de danser ce solo, de s’y détendre un peu et d’y introduire l’abandon « danse de caractère » propre à une mazurka. C’est ce mélange d’abandon dans la force dont faisait preuve le plus chevronné Davit Galstyan (le 26) pour le plus grand bonheur de la salle.

Tous les soirs, on se laisse emporter par l’énergie du grand finale interprété par les 32 danseurs de la troupe toulousaine. La gageure est relevée. Lifar ne paraît en aucun cas amidonné.

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4 - Les Mirages - Solène Monnereau (La Lune) - crédit David Herrero

Les Mirages. Solène Monnereau (La Lune), Mohamed Sayed et Jeremy Leydier (les bergers). Photographie David Herrero

La compagnie toulousaine retrouvait à l’occasion de ce programme Les Mirages, entré au répertoire dans le cadre d’une programme Henri Sauguet avec Les Forains de Roland Petit. Pour cette mouture 2019, les éclairages ont été fort à propos révisés . En 2014, la réduction du volume de la cage de scène écrasait un peu le surréaliste palais de la Lune imaginé par Cassandre et certains beaux costumes, très « École de Paris », étaient rendus presque outranciers par le manque d’éloignement. Ici, lorsque le rideau se lève sur le scintillement mystérieux de l’ouverture de Sauguet, on retrouve la belle pénombre ésotérique qui prépare à l’enchantement des Mirages. Messieurs Leydier et Sayed peuvent survivre sans trop de mal à leur costume de pâtre à perruque blonde bouclée et conduire les évolutions de la lune déshabillée d’un très osé académique blanc intégral à dos nu. Le 26, Solène Monnereau rayonnait de l’éclat laiteux de l’astre tandis que le 27, Juliette Thélin évoquait plutôt la Diane chasseresse.

Les Mirages. Florencia Chinellato (la femme). Photographie David Herrero

On retrouve dans Mirages de nombreuses particularités techniques exposées dans Suite en Blanc. L’adage du jeune homme avec la Femme (qui porte l’un des plus jolis tutus du répertoire classique, tous ballets et productions confondus), par exemple, voit reparaître des portés de l’Adage, les pointés sur pliés sur pointe du Thème varié ou les décalés dynamiques de la Sérénade. Mais contrairement à Suite en blanc où il s’agit de jouer le ressort de l’émulation, l’atmosphère qu’installe le couple principal est primordiale pour obtenir l’adhésion du public. Les deux couples qui se partageaient Mirages n’étaient pas sur ce point à égalité. Alors qu’en première distribution Julie Charlet et Davit Galstyan avaient déjà travaillé leur rôle en 2014, Natalia de Froberville et Ramiro Gomez Samon le découvraient. La seconde distribution s’en tire avec les honneurs stylistiques. Natalia de Froberville a compris le style lifarien, sa dynamique et l’esthétique de ses poses plastiques mais elle reste peut-être trop « ombre » pendant tout le ballet. Car le rôle de l’Ombre est ambivalent. Il faut trouver le juste milieu entre l’être allégorique et l’être de chair qui incarne les rêves très humains du jeune homme. En 2014, Maria Gutierrez était presque trop humaine. Elle dépeignait une sorte de Mater Dolorosa inquiète pour son rejeton récalcitrant. Cette approche avait l’avantage d’offrir un final poignant. Natalia de Froberville, en revanche, joue la carte de l’implacable œil de la conscience et s’enferme par là-même dans le rôle de gâte-sauce. À aucun moment le jeune homme de Ramiro Gomez Samon ne semble faire corps avec elle. Le danseur est touchant dans ses interactions enfantines avec les différentes protagonistes féminines (la chimère très papillonnante et insaisissable de Kayo Nagasako ou la femme suprêmement élégante et sensuelle de Florencia Chinellato) mais il ne semble jamais quitter le monde de l’adolescence. Du coup, sa variation en hommage à la femme, bien calée techniquement, manque de mâle autorité. De son côté Natalia de Froberville semble interpréter la fameuse variation de Chauviré comme une introspection personnelle. À la fin, dans le paysage aride, le jeune homme semble bien boudeur et désolé d’être encore et toujours persécuté par cette austère matrone en gris.

Les Mirages : Davit Galstyan (le jeune homme) et Tiphaine Prévost (la-chimère) Photo : David Herrero

L’approche de Julie Charlet est beaucoup plus fructueuse. Elle joue une Ombre dure certes mais pas implacable car toujours charnelle. Son rapport avec Davit Galstyan, pour être antagoniste, laisse cependant la place à une évolution. Dans sa variation, l’ombre semble vraiment danser les tergiversations du jeune homme. Galstyan, quant à lui dépeint un jeune homme tourmenté à la recherche d’une échappatoire. Mais chacune de ses rencontres avec un personnage féminin exprime une forme de maturation de l’homme. Avec la chimère terrestre et aguicheuse de Tiphaine Prevost, il est dans les amours adolescentes. Avec les deux courtisanes-sucre d’orge aux cous serpentins (mesdemoiselles Sofia Camininti et Solène Monnereau qui succèdent aux non moins charmantes Louise Coquillard et Yuki Ogasawara) dans la scène du Marchand-berlingo (Rouslan Savdenov, retors là où Minoro Kaneko, le 26, jouait sur le registre comique du baryton d’opérette), il se lance tête baissée dans la bacchanale, tel un fils prodigue. Avec la femme (Sudoreeva), il succombe à sa première passion d’homme. Toute sa variation semble dirigée vers sa partenaire (même le départs de pirouette de face sont précédés d’un regard intense jeté côté jardin).

Lorsque déçu par tous les mirages le jeune homme renvoie dans les airs la boite de Pandore du palais lunaire, le pas de deux final avec l’ombre est très touchant. Un amour se révèle. Le jeune homme accepte son ombre non plus comme un censeur mais comme une muse. Dans le paysage désolé, le jeune homme comprend les directions que sa tutrice lui indiquait depuis le début. Les ports de bras vers la terre, vers le ciel et à l’horizon sont porteurs d’espoirs. Ébloui par le soleil naissant, le jeune homme devenu adulte est prêt à commencer sa route.

Les Mirages. Davit Galstyan (le jeune homme) et Julie Charlet (l’ombre). Photographie David Herrero

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Sorti de cette soirée, regardant l’affiche à l’entrée du théâtre du Capitole, on se dit que oui, le titre de ce programme n’était finalement pas mal choisi. Car au-delà de ces deux chefs-d’oeuvre de Serge Lifar, c’est bien le ballet du Capitole qui est un joyau français.

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Ballet du Capitole Toulouse : Petit. Drames

Photo Patrice Nin / Théâtre du Capitole

Photo Patrice Nin / Théâtre du Capitole

Programme Roland Petit. Ballet du Capitole de Toulouse. Soirée du samedi 10 mars 2018.

Avec Kader Belarbi à sa tête, un programme Roland Petit au Ballet du Capitole paraît une évidence. Le directeur-Étoile de l’Opéra a été l’Interprète (la majuscule est voulue) du répertoire de Petit dans la grande boutique pendant la plus grande partie des années 90, avant que le chorégraphe, toujours avide de sensations et de nouveauté et, il faut le dire, un peu volage, ne donne sa préférence à un jeune Nicolas Le Riche. Personnellement, c’est Belarbi qui a imprimé dans ma rétine les standards d’interprétation du Jeune Homme, de Don José, du Loup ou de Quasimodo.

Le programme choisi par Belarbi mettait bien en valeur les qualités du chorégraphe.

Dans les Forains (1945), sa première pièce conséquente entrée au répertoire du ballet du Capitole en 2014, on admire le génie du chorégraphe pour ces riens qui vont droit au cœur.

Une entrée le dos courbé, des verres qui s’entrechoquent au dessus d’une nappe trop petite, une escarcelle vide, une cage à oiseau chérie oubliée puis retrouvée et l’atmosphère est posée. On est souvent au bord des larmes.

Les danseurs de Toulouse réussissent à merveille cet exercice de haute haute voltige lacrymale. Juliette Thelin avec sa frange plaquée et sa grande natte est entre La petite danseuse de Degas (pas tant la statue que les esquisses dessinées) et Yvette Guilbert peinte par Lautrec. Philippe Solano (le Clown) semble écrasé sous le poids de la fatigue. Seul Davit Galstyan (le prestidigitateur) rayonne. C’est l’incorrigible optimiste de la bande… Mais tous s’animent pour la répétition. Au spectacle, on admire Solano qui saute haut et sec puis atterrit dans le moelleux. La batterie est aussi claire en bas que le cou est désarticulé en haut. Même la perte, fortuite, de la perruque à la fin de sa variation se fait en musique et rajoute au comique de la scène. Les sauts de Galstyan, le Prestidigitateur, traduisent bien la posture de vie du personnage: musicaux et suspendus comme on est enthousiaste et idéaliste. Dans ses tours de magie, le danseur montre une vraie maîtrise du coup de théâtre: le jeu avec la baguette – le regard détourné puis fixé dans le public – n’est pas seulement destiné aux badauds sur scène (une impression que m’a par exemple toujours donné Le Riche dans ce rôle), mais inclut aussi chaque spectateur dans la salle.

Juliette Thélin assure sa Loïe Fuller malgré un peu de tension sur les redoutables piqués arabesque avec longue robe de voile à bâton. La Belle endormie de Kateryna Shalkina a une jolie ligne. Elle se montre très crédible dans les scènes d’atmosphère mais ne comprend pas bien l’équilibre entre idiome classique et incongruités «petitiennes» (les petits dodelinements de la tête, les arabesques bizarrement penchées) dans le pas de deux. À aucun moment on ne croit à sa somnambule sous hypnose. Dommage, car une fois encore, Galstyan est charmant.

Les Forains. Philippe Solano (Le Clown). Photographie David Herrero.

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Avec l’Arlésienne, une entrée au répertoire, on est face à une œuvre plus tardive (1974) où Roland Petit remettait avec flair, dans un ordre différent, ses marottes et obsessions. Le corps de ballet fait par exemple s’envoler les deux principaux protagonistes du drame (Frederi et sa fiancée Vivette) les entremêle puis les sépare comme dans Le Loup (1954). Nouveauté majeure cependant, la femme fatale (tant de fois abordée depuis le Jeune homme et la Mort et Carmen) n’apparaît pas sur le plateau. Mais elle est omniprésente. Avec l’Opéra de Paris (compagnie avec laquelle j’ai le plus vu ce ballet), la théorie de 16 danseurs (8 filles et garçons) donne à l’Arlésienne un petit côté Noces de Nijinska. Ici, les ensembles et les lignes, peut-être moins parfaitement minérales qu’a Paris, offrent un écrin plus naturel au couple mort-né Vivette-Frederi.

Julie Charlet, très brune et très belle, touche droit au cœur dans sa lutte contre l’inéluctable. Elle n’est que courbe et tendresse (sa scène du déshabillage dans la chambre nuptiale avec ses contorsions gênées est musicale, lyrique mais reste « naturelle »).

Dans le rôle de Frederi, Ramiro Gómez Samón poursuit sa belle progression d’interprète. Il lui reste bien quelquefois, au début, des réflexes de jeune fort technicien, un peu trop héros de la pirouette et de la cabriole battue, mais ensuite, la technique se montre signifiante. Fermé au début mais soucieux des conventions sociales, il laisse peu a peu éclater son désespoir, n’épargnant pas même Vivette au travers de pas de deux de plus en plus tourmentés (à la fin, le partenariat est pour ainsi dire râpeux). Dans sa grande variation, ses développés seconde sur plié de dos claquent comme le tambourin et sonnent comme l’appel obsédant de la folie. Son corps se désarticule enfin. Le saut final par la fenêtre parvient à donner le sentiment qu’on se trouve au troisième étage d’une maison. Une grande réussite.

 

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Carmen (1949), qui clôturait la soirée, semble bien le choix idéal d’entrée au répertoire pour le Ballet du Capitole. Dans le plus petit écrin du théâtre du Capitole, on apprécie encore mieux le chromatisme tranché et l’économie de moyens du décor à transformation d’Antoni Clavé, l’invention des costumes. Et on savoure le ballet du Capitole dans ce morceau de danse française. Ça pétarade de tous les côtés. L’énergie sourd de tous les corps. Solano en chef des brigands, affublé de l’horrible perruque orange traditionnelle, fait claquer sa partie avec précision et humour tandis qu’Amaury Barreras Lapinet dresse un portrait hilarant du deuxième bandit, surjouant avec délice son texte. Thiphaine Prevost a le jeté énergique, le ballon impressionnant dans ses sauts de basques. Elle dégage la féminité sereinement provocante à la Petit.

Hélas, la compagnie et les demi-solistes ont les qualités qui manquent cruellement au couple principal. Dennis Cala Valdés, a un beau physique, mais joue un Don José au tout premier degré. Il ne fait pas ressortir le ridicule assumé des mouvements de son personnage (ce côté sur-mâle outrancier qui invalide la masculinité chez Petit). Cet exercice ne pose aucun problème à Norton Ramos Fantinel qui dresse du Toréador un portrait de presque travesti tant il pousse les limites du ridicule induit par la chorégraphie de Roland Petit.

Carmen. Norton Fantinel (le Toréador). Photographie David Herrero

Natalia de Froberville passe quant à elle complètement à côté du rôle créé par Zizi Jeanmaire. Elle confond Carmen avec Aegine, la courtisane dans Spartacus, et ne parvient qu’à avoir l’air d’une midinette. Sa Carmen agite le bas de jambe au lieu de faire frémir la cuisse par le dessous. Du coup, la scène finale, est un long moment d’ennui. Froberville la voit sans doute comme un pas de deux du cygne noir un peu edgy et ne meurt même pas en musique.

Cette danseuse a montré par ailleurs son talent. Mais peut-être Le Loup (une production plus lourde à transférer de la scène parisienne au plateau toulousain) lui aurait mieux convenu à son stade d’acclimatation avec l’esprit de la danse française.

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A Toulouse, « Programme italien » : ces bestioles sont de drôles de personnes…

Toulouse, La Halle aux Grains

Toulouse, Ballet du Capitole. « Les liaisons dangereuses » (Davide Bombana-Rameau); Cantata (Mauro Bigonzetti-ASSURD). Matinée du 28/01/2018.

Le Ballet du Capitole sous la direction de Kader Belarbi offre toujours des programmes intelligemment construits, même lorsqu’ils sont constitués, comme ici, de reprises. Ainsi, les deux pièces rassemblées pour l’occasion sous l’étiquette semi-officielle de « chorégraphes italiens » soulignent-elles plus les riches contrastes d’inspiration que les affinités nationales.

Créé spécialement pour le Ballet du Capitole en 2015, Les Liaisons dangereuses de Davide Bombana a comme point fort une narration claire dans un style post-classique efficace et plaisant, non exempt de lyrisme. L’action inspirée du roman de Pierre Choderlos de Laclos est racontée au travers d’une série de pas de deux entre les principaux protagonistes du drame. Ceux-ci sont entrecoupés de scènes de groupe par un corps de ballet représentant la société licencieuse du XVIIIe siècle.

Pour autant, on n’est pas nécessairement conquis. En effet, l’œuvre n’échappe pas aux poncifs et écueils des évocations du XVIIIe : costumes coquets-coquins qui ne retiennent que l’aspect dessous-chics de la mode de la fin de l’Ancien Régime, avec notamment un abus de matières transparentes aux couleurs acidulées ; utilisation attendue de la musique de Rameau. De plus, le ballet ne rend que très imparfaitement hommage à la structure épistolaire du roman. Les lettres jaunes que s’échangent à l’occasion les danseurs (parfois délivrées plaisamment par un trio de facteurs sur-vitaminés –messieurs Solano, Rombaut et Barreras Lapinet) ne sont qu’un prétexte, et la chute finale de papier depuis les cintres (lettres, minutes du procès que perd la marquise de Merteuil démasquée) évoque hélas tout autre chose que du papier à lettres.

Les Liaisons dangereuses. Julie Loria (la présidente de Tourvel), Davit Galstyan (Le vicomte de Valmont) – crédit David Herrero

Plus gênant encore est le caractère heurté des comportements dépeints, aux antipodes de l’esprit du roman, où tout se passe en sous-main dans une atmosphère feutrée et où la cruauté – réelle – se colore toujours de jeux badins et de bonnes manières. La technique employée par Bombana, très musculeuse et athlétique, avec des portés acrobatiques, ne dessine les personnages qu’à gros traits et ne donne guère leur chance aux personnages « naïfs » du roman. Katerina Shalkina, affublée de rose fuchsia, ne parvient pas à faire ressortir la candeur de Cécile de Volanges et son tendron, le chevalier Danceny, est condamné à l’insipidité (un comble quand on le voit interprété par Minoru Kanako). Norton Fantinel en Gercourt joue un peu les utilités après son duo d’ouverture sur un lit catafalque avec la marquise de Merteuil. Solenne Monnereau tire son épingle du jeu. Elle est ce qu’il faut fine et autoritaire pour évoquer la mère de Cécile de Volanges. Avec son joli costume bleu ciel, sans doute le plus réussi de la production, elle évoque ce mélange de chic et d’autorité calculée qu’on aurait voulu pour la marquise de Merteuil. En lieu et place, le personnage principal féminin, tout habillé de noir, semble constamment en proie à la colère et à l’hystérie. Comment peut-elle tromper son monde dans cette société des apparences ? Pourtant, Julie Charlet défend son rôle avec une belle férocité de mante religieuse. On se laisse gagner par son interprétation intense de cette partition hors-sujet. Davit Galstyan n’est pas exactement un Valmont non plus. Son rôle semble plutôt être inspiré de Giacomo Casanova. Cependant, le danseur parvient toujours à insuffler une humanité touchante qui fait adhérer à ses personnages. On retrouve ainsi un hommage indirect à l’ambivalence du Valmont du roman épistolaire, certes roué mais avec une petite faille empathique pour sa belle prude, madame de Tourvel. Le très beau pas de deux, tout de douceur -enfin!- avec la poignante Julie Loria est certainement le souvenir le plus cher qu’il me restera de ce ballet. Le souvenir le plus fort sera sans conteste la mort des personnages principaux. Madame de Tourvel, la Merteuil comme Valmont ont des agonies d’insectes écrasés sous le pied.

Les Liaisons dangereuses. Davit Galstyan (Le vicomte de Valmont), Julie Charlet (La marquise de Merteuil) – crédit David Herrero

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Avec Cantata que nous avions déjà vu et apprécié en 2015, on reste en compagnie des insectes. La pièce dansée de Mauro Bigonzetti sur des musiques populaires du sud de l’Italie, interprétées par les quatre puissantes interprètes du groupe ASSURD, évoque les tarentelles, ces danses inspirées des transes provoquées par les piqûres d’arachnides et censées les guérir. Mais ces insectes là sont bien vivants. Ils grouillent avec frénésie et ont parfois des abandons et des douceurs qui manquent dans la chorégraphie sous tension de Bombana : deux trios aux multiples bras et jambes nous emmènent dans leur tourbillon festif ; un millepatte affectueux (tous les danseurs de la compagnie imbriqués les uns dans les autres) nous envoie ses multiples baisers à la fin de la pièce.

Il est curieux de retrouver ainsi une œuvre qu’on a découverte et qui nous avait dépaysé. La familiarité avec le monde dépeint rendrait-elle les perceptions tout autres? Contrairement à la première fois, où on avait d’abord ressenti la violence masculine envers les femmes puis un retournement de situation, ces dernières semblaient d’emblée mener la transe après la piqûre de la tarentule, clairement suggérée dès le début par le geste de la main insérée dans la bouche et par des mouvements de doigts crochus de possédées. Les hommes semblent peiner à juguler leurs ardeurs. Dans un groupe admirable encore par sa cohésion, malgré un changement substantiel parmi les danseurs phares de la troupe, on distingue particulièrement Jeremy Leydier qui prête sa forte musculature au gars au polo rose. Il secoue les épaules comme personne et son « pas de deux à trois » avec Katherine Shalkina est d’une grande puissance. Dans la fille en noir, Juliette Thélin oscille des bras comme une libellule et frappe le sol comme une armée de fourmis industrieuses. Sa transe se conclut par un accouchement surprise : Minoru Kaneko qui sort littéralement de ses jupes. C’est que l’humour n’est jamais loin dans Cantata : les deux filles à l’écoute de leur ventre sont inénarrables (Louise Coquillard et Olivia Lindon). Et la fièvre ne tarde pas à vous gagner après le duo festif et pyrotechnique entre Philippe Solano et Norton Fantinel.

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Casse-Noisette: l’enfance pérégrine

Photo Patrice Nin / Théâtre du Capitole

Photo Patrice Nin / Théâtre du Capitole

Théâtre du Capitole de Toulouse, représentation du 30 décembre 2017

Le Casse-Noisette réinventé par Kader Belarbi pour le ballet du Capitole de Toulouse débute dans un pensionnat : l’atmosphère est grise comme un dortoir, espiègle comme ses habitants, autoritaire comme la surveillante, facétieuse comme le directeur Drosselmeyer. C’est le soir de Noël, une guirlande traversant la scène suffit à créer une idée de fête. Pour la distribution des cadeaux, on sort du placard quelques joujoux qui ont déjà servi. Qu’importe, l’enchantement des enfants est tout neuf. Le chorégraphe a imaginé pour ses danseurs une gestuelle d’apparence malhabile, signalant le défaut de maîtrise (les bras partent à l’improviste) tout en restant jolie (des sauts au destin inattendu).

Cette petite société enchaîne les corvées – se brosser les dents, laver et ranger la pièce – d’une manière aussi loufoque qu’inefficace ; le groupe n’est exempt ni de tension (les chipies et un garçon jaloux qui maltraitent le casse-noisette que Marie a eu en cadeau) ni de cruauté (certains ont des parents, d’autres pas). Toute la première partie du premier acte, émaillée de péripéties, ravit l’esprit. L’impression de fouillis cache une jolie gestion des ensembles, tout en donnant le temps de faire connaissance avec tous les personnages. Belarbi saisit l’enfance sans mièvrerie, et toujours en mouvement. La magie opère : des adultes dansent, et on voit des enfants.

Les costumes de Philippe Guillotel ne cherchent pas la joliesse. Les cadeaux aussi sont assez dépareillés. Le casse-noisette est une figurine aux couleurs criardes et au couvre-chef ridicule ; et quand Marie, rouvrant le placard à jouets dans la nuit, découvre sa poupée transformée à taille humaine, elle est plus que pataude. La séquence dite des rats, remplacée ici par une invasion d’araignées, dont la reine navigue sur une chaise à roulettes, ne fait pas vraiment peur. La montée émotionnelle que suggère la musique n’est pas redoublée visuellement ou dramatiquement comme il est habituel à ce moment (l’agrandissement du sapin dans les versions traditionnelles, un crescendo de frayeur chez Noureev, une explosion de lumière chez Neumeier). Le cœur du public est près d’exploser, mais le climax ne vient pas. Le pas de deux entre le Casse-Noisette incarné par Davit Galstyan et la Marie de Julie Charlet laisse aussi le spectateur en manque d’émotions fortes sur sa faim :  car le personnage, loin de se métamorphoser en jeune homme, reste un automate pataud. Affublé d’une coiffe disgracieuse et boudiné dans un short matelassé, il a en plus perdu son bras droit dans la bataille. Galstyan accomplit la prouesse de danser de manière mécanique et de gérer son partenariat avec un seul bras. Cette amusante incongruité est aussi frustrante : Marie reste une gamine – c’est Julie Charlet, très crédible en orpheline rouquine aux quilles maigrelettes – et la fin du premier acte, amputé de la valse des flocons, s’achève sur une note toujours enfantine.

Le pervers spectateur adulte qui voit du sous-texte psychanalytique dans tous les contes a tout l’entracte pour se faire une raison : l’imagination et la fantaisie qui président à ce Casse-Noisette empruntent à des chemins inattendus, naïfs et buissonniers. C’est ce qui fait leur charme.

Au second acte, Marie cherche un bras de remplacement pour son automate. Cette quête est plus collective qu’individuelle : le chorégraphe fait accompagner la petite fille par ses amis du Club des Cinq : la poupée Coccibelle (Tiphaine Prévost), lady Chattelaine (Solène Monnereau) , un criquet à lunettes (Simon Catonnet), le robot Spoutnik (Dennis Cala Valdés) et le clown Bidibulle (Philippe Solano, aux tours et sauts plus qu’épatants). Ils visitent un jardin enchanté, puis font des rencontres dans des mondes imaginaires. Ces séquences oniriques sont les moments les plus enchanteurs de la soirée, par l’intelligence à tiroirs des décors d’Antoine Fontaine, la drôlerie dramatique et la caractérisation chorégraphique : les grenouilles de la danse espagnole ont une allure et une attaque qu’on verrait bien dans Don Quichotte, les siamois de la danse chinoise, en mode boîte à musique, sont irrésistibles.

Le spectacle abonde en inventions visuelles – les soldats de plomb se promènent avec leur petit socle de gazon sous le pied – ou musicales – le démantèlement percussif de Tchaïkovski, via des arrangements d’Anthony Rouchier, qui signale le devenir de boîte à musique de la partition. L’amateur qui a de la mémoire éprouvera même un petit pincement de cœur en voyant les jardiniers de la valse des fleurs planter quelques roseaux autour de la scène, en un discret écho aux fleurs coupées tombant sur le plateau de Wutherings Heights  (création de Belarbi pour l’Opéra de Paris en 2002). La mise en scène, fort bien servie par le décor et les costumes tout au long du spectacle, connaît un moment de creux lors de la séquence des flocons : les patineuses y évoluent au milieu de danseurs déguisés en sapins-bonshommes de Noël, qui tournent lentement sur eux-mêmes sans faire autre chose que brouiller le dessin de danseuses.

Pendant ce temps, Marie et le Casse-Noisette ont enfilé des tenues de prince et de princesse. Voici venu le temps du pas de deux, seule concession à la tradition – tant dans l’imaginaire que dans la chorégraphie. David Galtsyan retrouve l’usage de son bras droit, Julie Charlet passe directement de la petite enfance à l’âge adulte et dans l’adage, leur partenariat coule comme une harpe. Les variations solo sont enlevées avec style pour lui, préciosité et musicalité pour elle.

Bien sûr, tout cela était une illusion nocturne, mais voilà qu’un nouveau pensionnaire arrive, qui ressemble furieusement au prince avec qui Marie a dansé. Il a maintenant l’air d’un gosse, comme elle. Il faut se rendre à l’évidence, le merveilleux de ce Casse-Noisette est résolument ancré dans l’enfance.

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Toulouse : Fokine/Preljocaj, une affaire d’hommes

Toulouse, La Halle aux Grains

Toulouse : Fokine/Preljocaj. 2 juillet 2017

Que font les garçons quand ils sont tout seuls ou entre garçons ?

Ils baguenaudent, ils musardent, rêvent ou fantasment. Le dernier programme de la saison du ballet du Capitole semble reposer sur un concept très paritaire : un ballet féminin et une pièce pour garçons. Mais en est-on si sûr ?

Dans Chopiniana, l’effectif est certes essentiellement féminin mais la présence masculine du poète (un rôle créé jadis par Nijinsky) ne doit pas cacher qu’il s’agit d’un rêve d’homme. C’est la femme imaginée, dessinée et fantasmée dans une robe de gaze par le désir masculin. Ces femmes à la fois virginales et tentatrices, ces trois solistes qui représentent trois facettes (trois poncifs) de la féminité, ce sont des idées d’homme.

Le Chopiniana de Toulouse, privé du clair de lune imaginé par Léon Bakst pour Les Sylphides  (la version de ce ballet révisée par Fokine en 1909 pour le public parisien), un peu lesté aussi par la musique enregistrée de la réorchestration déjà discutable des pages de Chopin, demande un petit temps d’adaptation pour séduire. Le corps de ballet féminin parvient cependant assez vite à se couler dans ce style moelleux mais pas si précieux qu’il n’y paraît au premier abord. Les deux demi-solistes, Julie Loria et Olivia Lindon sont de jolies idées de femmes.

Chopiniana : Ballet du Capitole de Toulouse. Ramiro Gomez Samon et Natalia de Froberville. Photographie David Herrero.

Natalia de Froberville, transfuge de Perm, parle avec ce style sa langue maternelle (ses piqués arabesque avec moulinés des bras sont exquis) et Ramiro Gomez Samon est un poète tout en délicatesse (ports de bras et réceptions silencieuses, jolie batterie aérienne). Il ne lui reste qu’à travailler l’expression du regard encore un peu tourné vers l’intérieur. C’est moins concluant pour les deux autres solistes féminines. Juliette Thelin fait montre d’un beau ballon dans les jetés de la valse opus 70 n°1 mais sa danse reste un peu trop minérale pour convaincre totalement. Quant à Julie Charlet, elle  a le souci du style mais, sur la durée, la tension s’installe dans ses mains et son plié devient de verre.

MC 14/22 Ceci est mon corps. Photographie : David Herrero.

Avec MC 14/22, on reste dans le domaine du fantasme masculin. Cela commence même sous le signe du rêve. Huit hommes dorment d’un sommeil agité et charnel sur ce qui semble être des lits superposés. Les corps se contorsionnent et se confondent parfois sans jamais se toucher tandis que, côté jardin, un garçon (Demian Vargas) accomplit les ablutions pour un camarade inerte et qu’un autre, côté cour, trace sur le sol au scotch de déménagement un étrange signe cabalistique. MC14/22 oscille la plupart des 55 minutes de sa durée entre ces deux pôles : l’un céleste et l’autre infernal.

La référence christique est évidente (on commence sur une Pietà) mais l’homo-érotisme est assumé. À un moment, les six tables de fer qui figuraient les lits au début sont mises à la suite les unes des autres. Les 12 danseurs évoquent alors immanquablement les apôtres (on distingue même Judas regardant dans sa main le prix de sa trahison) mais bientôt d’autres scènes viennent interférer. Les garçons singent des statues antiques : Hippomène et Atalante, le discobole et autres lutteurs. La pièce échappe en fait à toute référence culturelle précise. La musique de Tedd Zahmal n’est pas sans évoquer celle des temples hindouistes, de même que les longs pagnes des garçons font penser au Japon.

Ce qui fait le lien, c’est la violence. La violence des désirs masculins : les tables métalliques sont tour à tour chariots mortuaires, tables de kinésithérapie musclée et couches de stupre. La violence prend toutes les formes et agit en n’importe quel nom. La pièce accomplit lentement une escalade vers l’insoutenable. Alors qu’on croit assister à une accalmie, un danseur (Nicolas Rombaut) commence à chanter en voix de tête une sorte de cantique indistinct tandis que neuf de ses camarades adoptent une gestuelle apaisée. Deux compagnons s’ingénient alors à poser leur marque sur son chant, tapotant puis martelant sa cage thoracique, bouchant tour à tour tous ses orifices faciaux, pressant enfin son estomac pour pervertir la qualité angélique du chant. Il sera finalement distordu de manière grotesque (provoquant l’hilarité d’une partie de la salle). Mais personne ne rit plus dans la scène suivante où un jeune homme (Pierre-Emmanuel Lauwers) qui avait accompli une chorégraphie fluide rencontre  son bourreau qui lui scotche les yeux. Le jeune gars répète son pas à l’identique. Le bourreau lui scotche alors, une main à la figure, un bras à l’avant bras, puis un genou au talon. Que sais-je encore. Jusqu’où peut aller la haine et la cruauté envers l’autre et jusqu’où peut aller la rage de s’exprimer? Transformé en paquet humain, le corps du jeune homme scotché de toutes parts s’agite encore et toujours avec rage. A ce moment, la salle ne rit plus. Quelques sorties intempestives et indignées de membres du public sont désormais perceptibles.

La dernière scène enchaîne sur une note plus paisible. Mais en est-on si sûr ? Les six tables montées en escalier sont un tremplin pour les danseurs qui, un à un, les gravissent pour se jeter dans le vide, à la merci de leurs camarades. Est-ce une célébration de la confiance entre les hommes ou cela démontre-t-il simplement le résultat de tous les artifices précédents, destinés à briser chez ces hommes toute volonté individuelle ?

MC14/22 n’a pas été crée pour le ballet du Capitole et pourtant… l’identité même de la compagnie, la diversité et l’individualité forte de ses danseurs (Solano, Astley, Kaneko…) qui savent pourtant se fondre dans un ensemble classique sans se renier, lui permet d’apporter ici, dans ce chef-d’œuvre contemporain, la chair digne d’une compagnie à chorégraphe.

MC 14/22. Pierre-Emmanuel Lauwers (la victime), ici avec Jackson Carroll (le bourreau). Photographie David Herrero.

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Le Corsaire de Toulouse : singulier et pourtant familier

Le Corsaire du Ballet du Capitole est paradoxalement entièrement original mais a un air de famille avec les versions « traditionnelles ». Kader Belarbi évacue les tutus et le cucul sans tourner le dos à une certaine tradition, ni à certaines conventions de l’œuvre (le collage musical de plusieurs compositeurs, mais exit le prince Oldenburg au profit de Lalo ou de Sibelius. Une option qui fonctionne moins bien lorsque la musique est enregistrée comme ici au TCE).

L’originalité de cette évocation du Corsaire est dans doute résumée dans le grand pas de deux du deuxième acte où le Corsaire et La Belle esclave (Conrad et Medora du livret original) expriment leur amour dans un assaut de pyrotechnie. Le garçon danse une variation proche du célèbre cheval de bataille introduit à l’ouest par Noureev mais les tours assemblés en l’air se terminent accroupis au sol dans une position qui n’est pas sans évoquer le Nijinsky des Orientales. Dans sa remontés de relevés arabesque, La Belle esclave fait des raccourcis au jarret, une première fois seule et la deuxième fois en se lovant dans les bras de son partenaire ; un moment d’intimité au milieu du feu d’artifice technique. Que demander de plus?

Natalia de Froberville, à part peut-être son premier pas de deux, un tantinet tendu, se fond avec aisance dans une chorégraphie crée sur Maria Gutierrez. Comme en mai dernier pour Don Quichotte, on apprécie son ballon, mais ici, elle tire également fort bien parti des passages sinueux et ondulants inventés par Kader Belarbi. La ductilité de son buste est tout à fait remarquable. Elle forme un couple bien assorti avec Ramiro Gomez Samón, excellent partenaire (les portés acrobatiques sont exécutés avec une facilité désarmante), technicien dans l’aisance (un grand progrès depuis son Paquita-Grand pas de juillet dernier) mais acteur encore un peu vert.

Il était également intéressant de voir dans ce Corsaire s’infuser dans l’œuvre du créateur une petite réminiscence de Kader Belarbi-le danseur. En effet, le Sultan acquéreur de la belle esclave, habituellement portraituré comme un vieux navet gélatineux et stupide, n’est pas sans convoquer le souvenir de l’Abderam de la Raymonda de Noureev, un rôle que Belarbi a marqué de son sceau. Ce tyran lambda de toutes les dictatures du monde reçoit en partage des variations aux sauts puissants et des mouvements regardant vers la modern dance américaine (première variation à l’acte 2). Il se confronte au Corsaire en employant les mêmes combinaisons chorégraphiques. Et c’est toujours lui qui gagne. Dans ce rôle, Minoru Kaneko développe une danse toute en puissance féline. Ce jeune danseur en a sous le pied au sens propre comme au sens figuré. C’est tant mieux. Le personnage ne supporterait pas l’anodin. La chorégraphie du sultan, puissamment ancrée dans la terre, même ses simples entrées sur des accords sombres de l’orchestre, sont soulignés par la pétrification du corps de ballet féminin, sans cela extrêmement vivant et ondoyant. Seule l’angulaire sultane de Juliette Thélin à la gestuelle pantomime hypertrophiée semble savoir se frotter à ce bourreau, non sans prendre quelques risques (acte 2).

Des réminiscences de Belarbi interprète sont peut-être à trouver également dans la scène du rêve du Corsaire prisonnier. Les jolies idées de femmes en vert d’eau (menées par Lauren Kennedy et Julie Loria) ne sont pas sans rappeler le Songe de Roméo à l’acte 3 du ballet de Noureev. Pas certain néanmoins que le public ait compris que le héros était endormi en prison à ce moment précis.

On retrouve enfin dans ce Corsaire un des traits les plus incontestablement originaux de Belarbi-chorégraphe : les danses de caractère. Derviches tourneurs, janissaires, almées, corsaires hirsutes de tous sexes vous soulèvent littéralement de votre siège. Pour faire vivre cette fresque, les danseurs du Capitole (2 solistes, 6 demi-solistes et 22 danseurs du corps de ballet) se démultiplient tels des génies protéiformes, changeant cinq fois de costume par acte pour nous offrir une image infiniment plus large que l’étroit cadre de la scène et des effectifs de leur compagnie.

Le Corsaire, souvent écrasé ailleurs par son esthétique boite de chocolat Meunier retrouve avec la version de Kader Belarbi une bonne part du rêve orientaliste des origines, entre violences fantasmées, bribes de couleur locale et jeux subtils d’occultation-dévoilement du corps.

Le Corsaire, Ballet du Capitole de Toulouse. Natalia de Froberville (La Belle Esclave) et Ramiro Gomez Samon (Le Corsaire). Photographie David Herrero.

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“Can we ever have too much of a good thing?” The Ballet du Capitole’s Don Q

Théâtre du Capitole – salle. Crédit : Patrice Nin

Way down south in a place called Toulouse you will find a Don Q that – as rethought by Kader Belarbi – avoids cliché and vulgarity both in story telling and in movement. The dancing bullfighters, the gypsy maidens, and even the “locals” inhabit their personae with force and finesse, with not an ounce of self-conscious irony, and never look like they feel silly. Liberated from the usual “olé-olé” tourist trinket aesthetic of what “Spanish” Petipa has become, the ballet became authentically engaging. By the end, I yearned to go back to that time when I struggled to learn how to do a proper Hota.

Production:

The key to Belarbi’s compact and coherent rethinking of this old chestnut is that he gave himself license to get rid of redundant characters thus giving those remaining more to do. Who needs a third suitor for Kitri’s hand – Gamache – when you can build up a more explicit rivalry just between the Don and Basilio? Who needs a “gypsy queen” in Act II, when Kitri’s girlfriend Mercedes could step in and gain a hot boyfriend on the way? Why not just get rid of the generic toreador and give his steps and profession to Basilio?

This version is not “streamlined” in the sense of starved: this smallish company looked big because all tore into new meat. Even the radiant individuals in the corps convinced me that each one of them thought of themselves as not “second row, third from left” but as “Frasquita” or “Antonio.” Their eyes were always on.

Economy and invention

The biggest shock is the transformation of the role of Don Quixote into a truly physical part. The role is traditionally reduced to such minimal mime you sometimes wonder why not get rid of him entirely? Yet the ballet IS called “Don Quichotte,” after all. Here the titular lead is given to someone who could actually dance Basilio himself, rather than to a beloved but now creaky veteran. This Don is given a ton to act upon including rough pratfalls and serious, repeated, partnering duties…while wearing Frankenstein boots, no less. (Don’t try this at home unless your ankles are really in shape.)

Taking it dead-seriously from the outset, Jackson Carroll’s tendril fingers and broken wrists could have gone camp but the very fit dancer hiding under those crusty layers of Gustave Doré #5 pancake foundation infused his clearly strong arms with equal measures of grace and nuance. His every pantomimed gesture seemed to float on top of the sound – even when trilling harshly through the pages of a tome — as if he were de facto conducting the orchestra. Carroll’s determined tilt of the head and firm jut of chin invited us to join him on his chivalric adventure. His minuet with Kitri, redesigned as an octet with the main characters, shook off the creepy and listless aspect it usually has.

Imagine what the dashing Douglas Fairbanks could have brought to Gloria Swanson’s role in Sunset Boulevard. That’s Carroll’s Don Q. Next imagine Oliver Hardy officiating as the butler instead of von Stroheim, and you’ve got Nicolas Rombaut or Amaury Barreras Lapinet as Sancho Panza.

Kitri:

At my first performance (April 23rd, evening), Natalia de Froberville’s Kitri became a study in how to give steps different inflections and punch. I don’t know why, but I felt as if an ice cream stand had let me taste every flavor in the vats. The dancers Belarbi picks all seem to have a thing for nuance: they are in tune with their bodies they know how to repeat a phrase without resorting to the Xerox machine. So de Froberville could be sharp, she could be slinky, she could be a wisp o’ th’ wind, or a force of nature when releasing full-blown “ballon.” Widely wide échappés à la seconde during the “fanning” variation whirled into perfect and unpretentious passés, confirming her parallel mastery of force and speed.

The Sunday matinée on April 24th brought the farewell of María Gutiérrez, a charming local ballerina who has been breathing life with sweet discretion into every role I’ve seen in since discovering the company four years ago (that means I missed at least another twelve, damn). She’s leaving while she is still in that “sweet spot” where your technique can’t fail but your sense of stagecraft has matured to the point that everything you do just works. The body and the mind are still in such harmony that everything Gutiérrez does feels pure, distilled, opalescent. The elevation is still there, the light uplift of her lines, the strong and meltingly almost boneless footwork. Her quicksilver shoulders and arms remain equally alive to every kind of turn or twist. And all of this physicality serves to delineate a character that continued organically into the grand pas.

Typical of this company: during the fouettés, why do fancy-schmancy doubles while changing direction, flailing about, and wobbling downstage when you can just do a perfect extended set of whiplash singles in place? That’s what tricks are all about in the first place, aren’t they: to serve the character? Both these women remained in character, simply using the steps to say “I’m good, I’m still me, just having even more fun than you could ever imagine.”

Maria Gutiérrez reçoit la médaille de la ville de Toulouse des mains de Marie Déqué, Conseillère municipale déléguée en charge des Musiques et Déléguée métropolitaine en charge du Théâtre et de l’Orchestre national du Capitole.
Crédit photo : Ville de Toulouse

Basilio:

Maybe my only quibble with this re-thought scenario: in order to keep in the stage business of Kitri’s father objecting to her marrying a man with no money, Basilio – so the program says – is only a poor apprentice toreador. Given that Belarbi could well anticipate which dancers he was grooming for the role, this is odd. Um, no way could I tell that either the manly, assured, and richly costumed Norton Fantinel (April 22nd, evening) or equally manly etc. Davit Galstyan (April 23rd, matinée) were supposed to be baby bullfighters. From their very entrances, each clearly demonstrated the self-assurance of a star. Both ardent partners, amusingly and dismissively at ease with the ooh-wow Soviet-style one-handed lifts that dauntingly pepper the choreography, they not only put their partners at ease: they aided and abetted them, making partnership a kind of great heist that should get them both arrested.

Stalking about on velvet paws like a young lion ready to start his own pride, Davit Galstyan – he, too, still in that “sweet spot” — took his time to flesh out every big step clearly, paused before gliding into calm and lush endings to each just-so phrase. Galstyan’s dancing remains as polished and powerful as ever. In his bemused mimes of jealousy with Gutiérrez, he made it clear he could not possibly really need to be jealous of anyone else on the planet. Even in turns his face remains infused with alert warmth.

Norton Fantinel, like many trained in the Cuban style, can be eagerly uneven and just-this-side of mucho-macho. But he’s working hard on putting a polish on it, trying to stretch out the knees and the thighs and the torso without losing that bounce. His cabrioles to the front were almost too much: legs opening so wide between beats that a bird might be tempted to fly through, and then in a flash his thighs snapped shut like crocodile jaws. He played, like Galstyan, at pausing mid-air or mid-turn. But most of all, he played at being his own Basilio. The audience always applauds tricks, never perfectly timed mime. I hope both the couples heard my little involuntary hees-hees.

Mercedes

Best friend, free spirit, out there dancing away through all three acts. Finally, in Belarbi’s production, Mercedes becomes a character in her own right. Both of her incarnations proved very different indeed. I refuse to choose between Scilla Cattafesta’s warmly sensual, luxuriant – that pliant back! — and kittenish interpretation of the role and that of Lauren Kennedy, who gave a teasingly fierce touch straight out of Argentine tango to her temptress. Both approaches fit the spirit of the thing. As their Gypsy King, the chiseled pure and powerful lines of Philippe Solano and the rounded élan of Minoru Kaneko brought out the best in each girlfriend.

Belarbi’s eye for partnerships is as impressive as his eye for dancers alone: in the awfully difficult duets of the Second-Best-Friends – where you have to do the same steps at the same time side by side or in cannon – Ichika Maruyama and Tiphaine Prévost made it look easy and right. On the music together, arms in synch, even breathing in synch. There is probably nothing more excruciatingly difficult. So much harder than fouéttés!

Dryad/Nayad/Schmayad

Love the long skirts for the Dream Scene, the idea that Don Q’s Dulcinea fantasy takes place in a swamp rather than in the uptight forest of Sleeping Beauty. The main characters remain easily recognizable. Didn’t miss Little Miss Cupid at all. Did love Juliette Thélin’s take on the sissonne racourci developé à la seconde (sideways jump over an invisible obstacle, land on one foot on bended knee and then try to get back up on that foot and stick the other one out and up. A nightmare if you want to make it graceful). Thélin opted to just follow the rubato of the music: a smallish sissone, a soft plié, a gentle foot that lead to the controlled unrolling of her leg and I just said to myself: finally, it really looks elegant, not like a chore. Lauren Kennedy, in the same role the previous day, got underdone in the later fouéttés à l’italienne at the only time the conductor Koen Kessels wasn’t reactive. He played all her music way too slowly. Not that it was a disaster, no, but little things got harder to do. Lauren Kennedy is fleet of foot and temperament. The company is full of individuals who deserve to be spoiled by the music all the time, which they serve so well.

The Ballet du Capitole continues to surprise and delight me in its fifth year under Kader Belarbi direction. He has taken today’s typical ballet company melting pot of dancers – some are French, a few even born and trained in Toulouse, but more are not –and forged them into a luminously French-inflected troupe. The dancers reflect each other in highly-developed épaulement, tricks delivered with restrained and controlled finishes, a pliant use of relevé, a certain chic. I love it when a company gives off the vibe of being an extended family: distinct individuals who make it clear they belong to the same artistic clan.

The company never stopped projecting a joyful solidarity as it took on the serious fun of this new reading of an old classic. The Orchestre national du Capitole — with its rich woody sound and raucously crisp attack – aided and abetted the dancers’ unified approach to the music. In Toulouse, both the eye and the ear get pampered.

The title is, of course, taken from Miguel de Cervantes, Don Quixote, Part I, Book I, Chapter 6.

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A Toulouse : l’adieu à Dulcinée

Photo Patrice Nin / Théâtre du Capitole

Photo Patrice Nin / Théâtre du Capitole

Ballet du Capitole. Don Quichotte (nouvelle production et chorégraphie de Kader Belarbi). Samedi 22 avril (soirée) et matinée du dimanche 23 avril 2017.

Dans la version de Kader Belarbi, Don Quichotte s’éveille – péniblement – dans une chambre enfumée qui se révèle au fur et à mesure. On distingue d’abord une forêt de livres empilés, puis un papier peint en forme d’enluminure surdimensionnée et enfin la tête argentée d’une cavale. Cette tête-trophée de chasse incongrue, décollée de son socle par le héros lors d’une crise d’exaltation deviendra sa monture du chevalier improvisé. C’est une des plus jolies trouvailles visuelles de cette production qui en fourmille. Tout l’attirail dont s’affuble le vieux toqué avec l’aide de son acolyte paillard et aviné, Sancho, est peu ou prou une relique de sa chambre. Casque, bouclier, lance… Peut-être même Dulcinée n’est-elle que l’effet d’un courant d’air agitant les rideaux de l’alcôve du maître des lieux. Kader Belarbi sait décidément bien s’entourer. Les décors d’Emilio Carcano (avec mention spéciale pour ses bosquets mouvants de l’acte des marais), le lumières de Vinicio Cheli et les costumes de Joop Strokvis (acidulés pour la place de Barcelone, éteints et pour tout dire inquiétants dans la scène gitane) participent pleinement à l’enchantement visuel d’une version bien pensée.

Car comme toujours dans ses productions des grands classiques, Kader Belarbi a des idées et sait les rendre lisibles sans qu’elles soient trop pesantes.  Les options  dramatiques, les resserrements et coupures viennent servir le déroulement de l’action et la cohérence des personnages dans un ballet que, de toutes façons, Petipa ne reconnaîtrait pas lui-même dans les versions prétendument authentiques.

Basilio, qui n’est plus barbier mais apprenti torero (l’un des rares bémols de la production : le public voit sans doute un toréador dans son habit de lumière mais pas un apprenti), écope donc de l’entrée d’Espada et le ballet s’allège ainsi d’un personnage falot sans perte chorégraphique. Du coup, Mercedes, la danseuse de rue, privée de son traditionnel acolyte, devient la maîtresse du chef des gitans et suit les tribulations du couple principal d’un bout à l’autre du ballet au lieu de jouer la potiche après son entrée fracassante de l’acte un et sa danse des poignards (d’ailleurs non retenue ici) dans les versions traditionnelles.

Mais c’est la fusion des personnages de Don Quichotte et de Gamache qui est sans doute la plus pertinente et fructueuse trouvaille de Kader Belarbi. Elle permet au personnage éponyme du ballet de regagner toute sa place dans l’histoire. Son infatuation qui le pousse à croire qu’il peut épouser une très jeune fille le rend encore plus ridicule mais lorsqu’il est maltraité par le corps de ballet, qu’il est assommé par un thon, on se prend de compassion pour lui au lieu de se réjouir sans arrières pensées… Le rôle nécessite un danseur ; déjà pour triompher de ses bottes, mi-chaussures orthopédiques mi-sabots d’équidé qui gênent sa marche autant qu’elles la rendent poignante, et surtout pour mener à bien les différents pas de deux qui lui sont échus en plus des passages traditionnels. Durant l’acte deux, le Don est tenté par Mercedes la gitane-danseuse de rue (sur Sola a Gitana très peu souvent utilisée) et il danse (sur des passages empruntés à La Source) un pas de deux avec Kitri-Dulcinée qui le laisse tout ébaubi et désemparé. Jackson Carroll est parfait dans ce rôle sur le fil entre élégance presque élégiaque et fantaisie second degré. Ses deux partenaires successifs dans le rôle de Sancho Pansa, Amaury Barrerras Lapinet (le 22) et Nicolas Rombaut (le 23) virevoltent autour de lui avec une célérité qui met en exergue sa lenteur.

D’une manière générale, la chorégraphie de Belarbi, qui fait référence juste ce qu’il faut aux passages chorégraphiques attendus (le troisième acte est très proche de la version Noureev présentée par la compagnie en 2013), fait d’ailleurs la place belle aux rondes tourbillonnantes lorsque le chevalier à la triste figure se trouve sur scène. Que ce soit par la jeunesse facétieuse de Barcelone ou par les naïades (Kader Belarbi a changé leur dénomination de dryade et son costumier les a parées de la vaporeuse tunique au plissé mouillé des ondines), le Don semble en permanence étourdi par l’agitation ambiante.

Les danses de caractère, comme dans sa Giselle de 2016, sont  très dans la terre ; tout  particulièrement le passage gitan de l’acte deux particulièrement bien servi dans ses deux distributions du 22 en soirée et du 23 en matinée. Le 22, Philippe Solano, pyrotechnique avec élégance, se montre survolté en gitan face à Scilla Cattafesta, la danse pleine, sensuelle en diable et pleine d’humour dans son rôle d’entremetteuse bienveillante. Le 23 dans le même rôle, Lauren Kennedy ressemble plus à une jeune Bette Davis déguisée en gitane pour une superproduction hollywoodienne en noir est blanc. Sa délicatesse classique ne nuit pourtant pas au charme du personnage d’autant que son partenaire Minoru Kaneko  fait également belle impression en chef des gitans. La veille, la jolie danseuse était une reine des naïades à la belle ligne un peu sinueuse comme dans un tableau maniériste et d’un grand moelleux. Elle semblait néanmoins avoir un peu de mal à s’accorder avec le chef d’orchestre Koen Kessels (sans cela au parfait sur les deux représentations). Le 23, Juliette Thélin donnait une vision plus minérale que liquide à la souveraine des marais. Elle séduisait néanmoins par l’élégance de sa belle coordination de mouvement.

Jackson Carroll (Don Quichotte), Juliette Thélin (la Naïade). Photographie David Herrero. Courtesy Théâtre du Capitole.

Au travers de ces prises de rôle, on retrouve un des points forts de la compagnie de Kader Belarbi. Les danseurs, qui viennent d’horizons fort divers et d’écoles très différentes gardent une personnalité marquée mais dansent avec une énergie commune.

Natalia de Froberville et Norton Fantinel. Photographie David Herrero. Courtesy of Théâtre du Capitole.

Les émotions suscitées par les deux couples principaux ne faisaient pas exception à la règle. Le 22 en soirée, Natalia de Forberville, nouvelle recrue issue de l’école de Perm, jolie danseuse blonde à l’ossature légère et au très impressionnant ballon surprend par la pléthore de ses registres expressifs. Incisive à l’acte 1, elle se montre tour à tour sensuelle dans la scène gitane puis virginale (avec de jolis équilibres suspendus) dans la scène des naïades de l’acte 2. Elle est très drôle dans la pantomime de supercherie de la taverne et efficace avec charme dans le grand pas de deux (ses fouettés menés tambour battant resteront longtemps imprimés dans ma rétine). On est curieux de voir ce que donnera cette belle danseuse quand elle parviendra à unifier ses multiples facettes scintillantes en un seul et même rayonnement intérieur. Son partenaire, Norton Fantinel,  séduit moins en Basilio. Il vient de l’école pyrotechnique sud-américaine mais la machine ne suit pas toujours. Il met un peu trop d’énergie dans ses tours en l’air au détriment du fini. C’est un diamant brut qui nécessite encore un gros travail de polissage. Il se montre cependant un partenaire attentif et un bon acteur.

Maria Gutiérrez. Kitri-Dulcinée. Photographie David Herrero. Courtesy Théâtre du Capitole de Toulouse.

Pour la matinée du 23, c’est sous le signe de la maturité et de la maîtrise. Cela commence par le partenariat. Maria Gutiérrez forme un couple d’exception avec Davit Galstyan. Dans l’interprétation de ces deux danseurs, Kitri et Basilio sont des amants mais aussi de vieilles connaissances. On les imagine bien enfants dans les rues de Barcelone en train de jouer des tours aux passants. Cette complicité brille tout particulièrement dans le pas de deux en ouverture de l’acte que Belarbi a, là encore, chorégraphié sur des pièces souvent mises de côté  de la partition de Minkus (une Carmencita extraite de l’acte de la taverne) : Gutiérrez se jette dans les bras de Galstyan sans la moindre once d’appréhension. L’atmosphère devient électrique. Basilio-Davit, maître du moelleux, les réceptions silencieuses, l’œillade facile et le port de bras élégant conduit  en effet sa partenaire le long d’une représentation à la résonance spéciale. Maria Gutiérrez faisait en effet ce jour même ses adieux à la compagnie et à sa carrière professionnelle dans toute la maîtrise de son talent. On se souviendra de sa stature frêle démentie par l’assurance de sa technique limpide, de la délicatesse de son travail de pieds (particulièrement déployé dans le prologue et dans la vision), de ses bras exquis (une couronne très haute et sans presque d’inflexion des coudes, des poignets un peu tombants prolongés par des mains toujours vivantes), de ses piqués attitudes suspendus. On se souviendra surtout de cette proximité très spéciale qu’elle savait instaurer avec ses collègues sur le plateau et avec le public dans la salle.

C’est si court, une carrière de danseur. Des fleurs, des paillettes qui tombent du grill, un discours, une médaille de la ville, une réception avec les collègues et en présence de la famille… Et puis voilà. C’est fini. Salut l’artiste.

Le seul reproche qu’on fera à Maria Gutiérrez – mais il est minime – c’est d’être partie avant que la compagnie ne visite pour la première fois de son histoire un théâtre parisien. Ce sera en juin au Théâtre des Champs Élysées dans Le Corsaire dont elle  avait créé le rôle principal féminin.

Adieux de Maria Gutiérrez – crédit Ville de Toulouse

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