Ballet du Capitole Toulouse : Petit. Drames

Photo Patrice Nin / Théâtre du Capitole

Photo Patrice Nin / Théâtre du Capitole

Programme Roland Petit. Ballet du Capitole de Toulouse. Soirée du samedi 10 mars 2018.

Avec Kader Belarbi à sa tête, un programme Roland Petit au Ballet du Capitole paraît une évidence. Le directeur-Étoile de l’Opéra a été l’Interprète (la majuscule est voulue) du répertoire de Petit dans la grande boutique pendant la plus grande partie des années 90, avant que le chorégraphe, toujours avide de sensations et de nouveauté et, il faut le dire, un peu volage, ne donne sa préférence à un jeune Nicolas Le Riche. Personnellement, c’est Belarbi qui a imprimé dans ma rétine les standards d’interprétation du Jeune Homme, de Don José, du Loup ou de Quasimodo.

Le programme choisi par Belarbi mettait bien en valeur les qualités du chorégraphe.

Dans les Forains (1945), sa première pièce conséquente entrée au répertoire du ballet du Capitole en 2014, on admire le génie du chorégraphe pour ces riens qui vont droit au cœur.

Une entrée le dos courbé, des verres qui s’entrechoquent au dessus d’une nappe trop petite, une escarcelle vide, une cage à oiseau chérie oubliée puis retrouvée et l’atmosphère est posée. On est souvent au bord des larmes.

Les danseurs de Toulouse réussissent à merveille cet exercice de haute haute voltige lacrymale. Juliette Thelin avec sa frange plaquée et sa grande natte est entre La petite danseuse de Degas (pas tant la statue que les esquisses dessinées) et Yvette Guilbert peinte par Lautrec. Philippe Solano (le Clown) semble écrasé sous le poids de la fatigue. Seul Davit Galstyan (le prestidigitateur) rayonne. C’est l’incorrigible optimiste de la bande… Mais tous s’animent pour la répétition. Au spectacle, on admire Solano qui saute haut et sec puis atterrit dans le moelleux. La batterie est aussi claire en bas que le cou est désarticulé en haut. Même la perte, fortuite, de la perruque à la fin de sa variation se fait en musique et rajoute au comique de la scène. Les sauts de Galstyan, le Prestidigitateur, traduisent bien la posture de vie du personnage: musicaux et suspendus comme on est enthousiaste et idéaliste. Dans ses tours de magie, le danseur montre une vraie maîtrise du coup de théâtre: le jeu avec la baguette – le regard détourné puis fixé dans le public – n’est pas seulement destiné aux badauds sur scène (une impression que m’a par exemple toujours donné Le Riche dans ce rôle), mais inclut aussi chaque spectateur dans la salle.

Juliette Thélin assure sa Loïe Fuller malgré un peu de tension sur les redoutables piqués arabesque avec longue robe de voile à bâton. La Belle endormie de Kateryna Shalkina a une jolie ligne. Elle se montre très crédible dans les scènes d’atmosphère mais ne comprend pas bien l’équilibre entre idiome classique et incongruités «petitiennes» (les petits dodelinements de la tête, les arabesques bizarrement penchées) dans le pas de deux. À aucun moment on ne croit à sa somnambule sous hypnose. Dommage, car une fois encore, Galstyan est charmant.

Les Forains. Philippe Solano (Le Clown). Photographie David Herrero.

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Avec l’Arlésienne, une entrée au répertoire, on est face à une œuvre plus tardive (1974) où Roland Petit remettait avec flair, dans un ordre différent, ses marottes et obsessions. Le corps de ballet fait par exemple s’envoler les deux principaux protagonistes du drame (Frederi et sa fiancée Vivette) les entremêle puis les sépare comme dans Le Loup (1954). Nouveauté majeure cependant, la femme fatale (tant de fois abordée depuis le Jeune homme et la Mort et Carmen) n’apparaît pas sur le plateau. Mais elle est omniprésente. Avec l’Opéra de Paris (compagnie avec laquelle j’ai le plus vu ce ballet), la théorie de 16 danseurs (8 filles et garçons) donne à l’Arlésienne un petit côté Noces de Nijinska. Ici, les ensembles et les lignes, peut-être moins parfaitement minérales qu’a Paris, offrent un écrin plus naturel au couple mort-né Vivette-Frederi.

Julie Charlet, très brune et très belle, touche droit au cœur dans sa lutte contre l’inéluctable. Elle n’est que courbe et tendresse (sa scène du déshabillage dans la chambre nuptiale avec ses contorsions gênées est musicale, lyrique mais reste « naturelle »).

Dans le rôle de Frederi, Ramiro Gómez Samón poursuit sa belle progression d’interprète. Il lui reste bien quelquefois, au début, des réflexes de jeune fort technicien, un peu trop héros de la pirouette et de la cabriole battue, mais ensuite, la technique se montre signifiante. Fermé au début mais soucieux des conventions sociales, il laisse peu a peu éclater son désespoir, n’épargnant pas même Vivette au travers de pas de deux de plus en plus tourmentés (à la fin, le partenariat est pour ainsi dire râpeux). Dans sa grande variation, ses développés seconde sur plié de dos claquent comme le tambourin et sonnent comme l’appel obsédant de la folie. Son corps se désarticule enfin. Le saut final par la fenêtre parvient à donner le sentiment qu’on se trouve au troisième étage d’une maison. Une grande réussite.

 

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Carmen (1949), qui clôturait la soirée, semble bien le choix idéal d’entrée au répertoire pour le Ballet du Capitole. Dans le plus petit écrin du théâtre du Capitole, on apprécie encore mieux le chromatisme tranché et l’économie de moyens du décor à transformation d’Antoni Clavé, l’invention des costumes. Et on savoure le ballet du Capitole dans ce morceau de danse française. Ça pétarade de tous les côtés. L’énergie sourd de tous les corps. Solano en chef des brigands, affublé de l’horrible perruque orange traditionnelle, fait claquer sa partie avec précision et humour tandis qu’Amaury Barreras Lapinet dresse un portrait hilarant du deuxième bandit, surjouant avec délice son texte. Thiphaine Prevost a le jeté énergique, le ballon impressionnant dans ses sauts de basques. Elle dégage la féminité sereinement provocante à la Petit.

Hélas, la compagnie et les demi-solistes ont les qualités qui manquent cruellement au couple principal. Dennis Cala Valdés, a un beau physique, mais joue un Don José au tout premier degré. Il ne fait pas ressortir le ridicule assumé des mouvements de son personnage (ce côté sur-mâle outrancier qui invalide la masculinité chez Petit). Cet exercice ne pose aucun problème à Norton Ramos Fantinel qui dresse du Toréador un portrait de presque travesti tant il pousse les limites du ridicule induit par la chorégraphie de Roland Petit.

Carmen. Norton Fantinel (le Toréador). Photographie David Herrero

Natalia de Froberville passe quant à elle complètement à côté du rôle créé par Zizi Jeanmaire. Elle confond Carmen avec Aegine, la courtisane dans Spartacus, et ne parvient qu’à avoir l’air d’une midinette. Sa Carmen agite le bas de jambe au lieu de faire frémir la cuisse par le dessous. Du coup, la scène finale, est un long moment d’ennui. Froberville la voit sans doute comme un pas de deux du cygne noir un peu edgy et ne meurt même pas en musique.

Cette danseuse a montré par ailleurs son talent. Mais peut-être Le Loup (une production plus lourde à transférer de la scène parisienne au plateau toulousain) lui aurait mieux convenu à son stade d’acclimatation avec l’esprit de la danse française.

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