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Au Ballet du Capitole de Toulouse : le Chant et la Terre

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Le Chant de la Terre, John Neumeier. Ballet du Capitole de Toulouse. Ramiro Gómez Samón et Nathalia de Froberville. Photographie David Herrero.

Le Chant de la Terre (Gustav Mahler/John Neumeier). Ballet du Capitole. Musiciens de l’Orchestre national du Capitole. Anaïk Morel (mezzo soprano) et Airam Hernandez (Ténor). Représentations du 20 et 21 avril 2024.

On était curieux de voir quelle signification Le Chant de la Terre de John Neumeier allait prendre sur d’autres corps que ceux des danseurs du ballet de l’Opéra et dans l’écrin plus intime du théâtre du Capitole. En 2015, l’œuvre ne nous était pas apparue comme étant du meilleur cru du maître de Hambourg. Elle n’a, à ce jour, pas été reprise par la Grande boutique, son lieu de création. Parmi les créations de Neumeier pour l’Opéra, on aurait préféré revoir sur les danseurs du Capitole sa Sylvia (1997) ou encore son Magnificat (1987).

Le Chant de la Terre est pourtant un authentique ballet de Neumeier. On y reconnaît son goût pour l’allégorie alternant pas d’école et gestuelle plus contemporaine comme dans Magnificat. On retrouve également son penchant panthéiste : le corps de ballet en costumes épurés du Chant de la Terre, trois couples de demi-solistes et huit autres couples, fait penser à la théorie de sylphes qui, dans Sylvia, sert à la fois de décor mouvant et de double émotionnel aux solistes. Mais on fait face aussi, ce qu’on apprécie moins, à une tendance psychologisante très béjartienne dans les soli, à grands renforts de ports de bras s’ouvrant en soleil ou se repliant en origami sur les visages comme dans Waslaw (également au répertoire du ballet du Capitole) ou dans Parzival. Au début de la pièce, la danseuse principale regarde dans la salle et met un doigt sur la bouche comme pour dire « chut ». Le danseur principal cache la moitié de son visage avec la main un peu comme dans le Sacre de Maurice Béjart…

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Au soir du 20 avril, avec la première distribution, c’est surtout l’aspect ésotérique, mystérieux et l’esthétique est-orientale de la partition de Gustav Mahler qui ressortent. Le Chant de la Terre, œuvre hybride entre la symphonie et le cycle de lieder pour orchestre, à la structure surprenante (le dernier des six chants dure la moitié du temps complet de l’œuvre) est en effet créé sur des poèmes du lettré chinois du VIIIe siècle après Jésus-Christ Li-Taï-Po. On y parle entre autres de Pavillons en bord de lac, de fleurs de lotus, d’ivresse et de rencontres nocturnes.

La mise en scène épurée, conçue par le chorégraphe lui-même, est constituée d’un grand mur de fond de scène doré, percé d’une structure circulaire rotative, de rideaux translucides et d’une plate-forme inclinée, montée sur roulette, couverte d’une fausse pelouse d’un vert intense. On y reconnait l’influence de l’esthétique zen de Bob Wilson. Une section du sixième mouvement s’y rattache particulièrement : le corps de ballet regroupé en fond de scène à jardin figure une forme de chœur antique. Un garçon est au sol, la soliste principale  se tient à cour dans une position très géométrique tandis que le danseur principal, au centre du plateau, se tient de profil, immobile, à la manière d’un kouros archaïque. Voilà pour le tableau vivant. De manière récurrente, le danseur principal se voit convier à une sorte de cérémonie du thé, présenté dans de petits bols de porcelaine fine. Voilà pour l’impression d’Asie. On y prend parfois plaisir. La première servante n’est autre que la très belle Kayo Nakazato, à la fois élégante et dense. Elle fait ses promenades sur pointe avec une sérénité imperturbable.

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Le Chant de la Terre, John Neumeier. Ballet du Capitole de Toulouse. Alexandre De Oliveira Ferreira et Kayo Nakazato. Photographie David Herrero.

On voit durant cette soirée de très jolies choses. Durant le premier tableau, sur « Chanson à boire de la douleur et de la terre », le corps de ballet évolue en masse serrée tout en effectuant des enchaînements extrêmement techniques, à base de sauts et de battements. Dans la troisième partie, sur le mouvement « De la Jeunesse », on apprécie particulièrement le duo formé par Nina Queiroz et Aleksa Zikic dans une chorégraphie qui multiplie jetés, pirouettes et gargouillades. Durant le quatrième mouvement « De la Beauté », on se délecte aussi de la parade d’amour des garçons menés par le très solaire Alexandre De Oliveira Ferreira, second soliste masculin dans ce ballet.

Ces moments dynamiques offrent une respiration après de nombreux passages réflexifs où les danseurs se déplacent en marches glissées ralenties en faisant des ports de bras sémaphoriques. Car dans son Chant de la Terre, John Neumeier a intégré beaucoup – trop ? – de passages dans le silence comme cette scène d’ouverture de plus de dix minutes avant que ne retentissent les accents fiévreux du premier mouvement. Pour cette première revoyure, on ne peut s’empêcher de se demander si tous ces silences ne sont pas un expédient pour rallonger la sauce et porter cet opus musical de ses  55 minutes initiales à l’heure et demie attendue d’une soirée de ballet. La dynamique de la partition, comme en 2015, nous paraît mise à mal.

On est portant séduit par les trois danseurs principaux. En jeune homme, Ramiro Gómez Samón épouse avec bonheur les accents méditatifs de la chorégraphie de Neumeier et de la partition de Mahler. Sa danse fluide et son joli phrasé font merveille dans ses nombreux solos et dans le dernier pas de deux avec sa partenaire, Natalia de Froberville. L’étoile féminine de la compagnie, avec ses belles lignes étirées à l’extrême, incarne une sorte de déesse, à la présente abstraite et énigmatique. De son côté Alexandre De Oliveira Ferreira, avec son énergie concentrée et presque nerveuse, s’offre en contraste avec son alter ego masculin.

L’ensemble du ballet nous parait néanmoins flottant et abscons. Quel rapport lie vraiment les trois principaux ? Que représentent-ils ? Le Rêve, l’Action, la Terre ?

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Le Chant de la Terre, John Neumeier. Ballet du Capitole de Toulouse. Ramiro Gómez Samón et Natalia de Froberville. Photographie David Herrero.

Dans la plaquette du Ballet du Capitole, John Neumeier raconte qu’il a attendu trente ans avant de chorégraphier Le Chant de la Terre tant il avait été marqué par le ballet de Kenneth MacMillan sur cette même partition et tant il craignait d’être influencé par ce chef-d’œuvre. Mais en sortant le premier soir du théâtre du Capitole, on se demandait franchement si Neumeier n’avait pas créé avec ce ballet une version inutilement étirée du Chant du compagnon errant de Maurice Béjart.

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Le Chant de la Terre, John Neumeier. Ballet du Capitole de Toulouse. Philippe Solano et Nina Queiroz. Photographie David Herrero.

Le 21, en matinée, l’impression est toute autre. Philippe Solano, juché en position christique sur le plan incliné, ne médite pas. Il semble, dans son immobilité même en proie à une indicible angoisse. Lorsqu’il bouge enfin, il semble glisser de la plateforme contre son gré et cherche désespérément à se raccrocher. Dans le courant du ballet, à chaque fois qu’il montera sur la crête de ce promontoire, on s’imaginera qu’il se tient au bord d’un précipice. Puis apparaît Kleber Rebello derrière la structure. Et on est soudain cueilli par l’extraordinaire gémellité des deux danseurs : sensiblement de même taille, très bruns, le visage aux traits réguliers de statue grecque classique et une façon de présenter la danse à la fois musculeuse et facile. À la réflexion, on se dit que cette recherche des jumeaux est également un thème propre à Neumeier qui a aimé présenter dans ses ballets autour de la personnalité de Nijinsky une démultiplication du personnage principal surtout effective quand les frères Bubeniček les interprétaient dans sa compagnie.

Ici, Solano danse clairement avec son double. Et toute une narration se crée. À un moment, Rebello court sur la rampe et semble vouloir se jeter dans le vide. Solano le rattrape puis l’étreint. On est bien face à un cheminement de vie, à un parcours d’acceptation. Plus que l’esthétique du Chant de la Terre, ce qui est alors convoqué ici, c’est le Spleen même que ressentait Gustav Mahler lorsqu’il a créé sa partition en 1908 : il venait de perdre sa fille et la direction musicale de l’Opéra de Vienne.

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Le Chant de la Terre, John Neumeier. Ballet du Capitole de Toulouse. Kleber Rebello et Philippe Solano. Photographie David Herrero.

La divinité incarnée par Nina Queiroz, plus terrienne que sa prédécesseure, est aussi plus charnelle et maternelle (notamment pendant le pas de deux du second mouvement). Il y a quelque chose de consolateur dans toutes ses interventions. On sent que l’enjeu qui attend le jeune homme (ou sa psyché) est de créer une harmonie entre son corps (Rebello) et son âme (Queiroz). Tous les épisodes semblent prendre du sens dans ce cheminement. Le pas de deux  entre la fille en rouge (Nancy Obadelston, très déliée) et son partenaire (Simon Catonnet) devient une évocation des jours heureux de l’existence en présence de divinités féminines (Liam Sanchez Casto, douce Hébé en bleu et Marlene Fuerte, sensuelle Venus en rouge) que contemplerait le héros. Le quatrième mouvement, très dionysiaque, aborderait les excès de la vie.

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Le Chant de la Terre, John Neumeier. Ballet du Capitole de Toulouse. Philippe Solano et Nina Queiroz. Photographie David Herrero.

On réalise tout à coup, avec Philippe Solano, que le danseur principal ne quitte jamais la scène. Ceci ne nous avait pas marqué la veille et encore moins en 2015 avec les étoiles de l’Opéra. Spectateur intense, Solano est présent même lorsqu’il est apparemment immobile.

La scène finale voit ce parcours intérieur s’achever, après un passage d’angoisse et de doute symbolisé par un corps de ballet vêtu de noir. L’harmonie retrouvée entre le héros et son corps (la pose où le jeune homme est accroché comme un anneau à son partenaire, le buste penché en grande seconde) et son âme (ce moment où le danseur pose sa tête et ses bras écartés sur le dos de sa partenaire en fendu quatrième) est très émouvante.

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Tout cela n’est bien sûr que le récit personnel que je me suis fait en tant que spectateur. Au moment de la création, John Neumeier disait qu’il saurait peut-être dans vingt ans la signification de sa création. Les danseurs ont sans doute eu un autre scenario dans la tête mais ils nous ont offert une trame suffisamment solide pour qu’on y projette notre ressenti.

Que de talent au Ballet du Capitole !

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Le Chant de la Terre, John Neumeier. Ballet du Capitole de Toulouse. Philippe Solano et Kleber Rebello. Photographie David Herrero.

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Programme Feux d’artifice à Toulouse : des étoiles plein les yeux

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Suite en Blanc (Edouard Lalo – Serge Lifar). La Mazurka. Philippe Solano. Photographie David Herrero.

Dans la plaquette donnée au public pour la soirée Feux d’Artifice, trois photographies juxtaposées montraient les trois ballets présentés lors de cette soirée. On focalisait d’emblée sur le côté leur côté graphique : Suite en Blanc et sa pièce montée de danseurs, Sechs Tänze et son porté loufoque, la danseuse juchée dos à dos sur son partenaire avec les mains et les pieds flexes à la limite de la peinture égyptienne, et enfin les pas de 4 à 6 aux chapeaux du Concert où un des danseurs, bassin cambré au point de s’assoir sur le visage de la ballerine principale, semblait être au beau milieu d’agapes.

On ne pouvait s’empêcher de penser qu’associer deux ballets comiques au très sérieux Suite en Blanc de Lifar était en soi un commentaire désobligeant à l’égard du ballet d’ouverture. Pourtant, le programme montrait plutôt comment trois chorégraphes réagissaient à des musiques symphoniques tout en offrant une vision dépouillée des a priori sur leur compositeur et leur style.

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Pour le Lifar de Suite en blanc, c’est la transformation d’un ancien ballet d’action néo-mauresque en un ballet abstrait présenté dans l’attirail le plus académique qui soit : chemise et collants pour les garçons et tutus pour les filles. Lifar a voulu construire un monument à la danse française en plein milieu de l’Occupation. Dans un espace tout noir équipé d’une sorte de grand autel en fond de scène (le ballet s’appelait Noir et Blanc à la création), les danseurs principaux viennent présenter de petites œuvres d’art ciselées au milieu d’un corps de ballet traité comme une frise. Pendant la célèbre variation masculine de la Mazurka, par exemple, les comparses masculins placés sur l’estrade figurent un fronton de temple grec.

Suite en blanc développe le vocabulaire néo-classique propre à Lifar (notamment ses portés décalés), ne gardant de la couleur locale que quelques détails joliment incongrus dans les ports de bras. Ce style n’a pas fait école. Il est aujourd’hui marqué du sceau de son époque et il est délicat à remonter sans le muséifier (une tendance qu’à force de correction, l’Opéra de Paris a pu parfois incarner).

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Suite en Blanc. Pas de 5. Kayo Nakazato en soliste féminine. Photographie David Herrero.

À Toulouse, on est loin de la pièce de musée, cela vit et cela danse. Est-ce également le fait que l’orchestre de Capitole, sous la baguette experte de Philippe Béran, fait scintiller la partition de Lalo comme on ne l’entend jamais à l’Opéra de Paris ? Il n’empêche que ces deux soirées montraient des différences notables dans l’adoption du style lifarien par les danseurs. Il y avait ceux qui en embrassaient pleinement les particularités et d’autres qui avaient suivi la voie de l’adaptation. J’ai une préférence pour les premiers mais au final, toutes les propositions étaient recevables et intéressantes à regarder.

Dans la Sieste, qui ouvre le ballet, le trio féminin en tutu romantique montrait cette juxtaposition tout en dansant à l’unisson. Du côté des puristes, Sofia Caminiti, qui avait déjà dansé cette partie du ballet en 2019, était un plaisir des yeux tant elle mettait de drame dans ses bras. Kayo Nakazato, elle aussi une spécialiste du style, a la part belle dans le pas de cinq, une variation où la fille développe une technique saltatoire presque masculine aux côtés de 4 garçons survitaminés. Dans le Thème varié, le 29 décembre, Philippe Solano dansait Lifar tandis que son acolyte, Kleber Rebello, balanchinisait la chorégraphie. Cette opposition ne manquait pas de saveur, les deux chorégraphes se détestant dans la vie. Entre ces deux bondissant gaillards, Nancy Osbaldeston, pas exactement dans le style, séduisait néanmoins par son entrain. Le 30 décembre, Tiphaine Prevost, dans le même rôle, déclamait en revanche son Lifar mêlant la rigueur presque graphique des jambes à la fantaisie Art Déco des bras aux côtés de Minoru Kaneko et Aleksa Zikic. Prevost et Osbaldeston s’étaient d’ailleurs échangé les rôles. Nancy Osbaldeston dansait la Sérénade que Tiphaine Prévost avait magistralement défendue le soir précédent.

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Suite en Blanc. Thème varié Tiphaine Prevost, Minoru Kaneko et Aleksa Zikic.  Photographie David Herrero.

Philippe Solano, quant à lui, confirme dans la Mazurka (le 30 décembre) sa compréhension fine de la geste lifarienne déjà visible dans le Thème varié. Dans ce solo plein de bravura, il assume crânement les contrappostos statuaires et les pas de caractère qui mettent cette variation à part dans le ballet et justifient qu’elle soit, par exemple, tellement proposée au concours de promotion du corps de ballet de l’Opéra de Paris.

La veille,  son prédécesseur dans la variation, Ramiro Gómez Samón, avait un peu tendance à gommer toutes ces petites aspérités qui en font tout le sel. Le danseur étoile dansait le 30 l’Adage avec Natalia de Froberville, un joli moment plein de charme qui faisait passer de l’émotion dans les intrications techniques bourrés de décalés et de portés de ce pas de deux qui arrive à un moment où l’attention du public risque de s’étioler. La veille, Alexandra Surodeeva donnait de ce même passage une vision plus formelle aux bras de Rouslan Savdenov. Ce style lui va bien. Le côté fruité de sa danse ressort bien dans Lifar qui, à son époque, a réenchanté l’académisme français, y insufflant un peu de lyrisme expressionniste slave. Dans la Flûte, Froberville ou Surodeeva séduisaient chacune pour des raisons différentes ; la danseuse étoile par son naturel sans affectation tandis que la soliste le faisait par son artifice. Dans la Cigarette, autre monument au milieu du monument qu’est Suite en blanc, où la ballerine devient la volute de fumée qui était montrée littéralement dans le ballet d’origine puisque la danseuse y fumait la cigarette, Natalia de Froberville jouait également la carte du charme et de la légèreté. Le 30, Haruka Tonooka, déjà danseuse sur la Sieste, troquait sa corolle romantique pour le plateau académique et faisait dans ce même passage une belle démonstration de style.

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Dans le style ou pas, comme tout cela était bien enlevé ! La coda, avec les manèges de d’Osbadelston ou de Prévost, ceux de Samoón ou de Solano et bien sûr les fouettés impeccables de Froberville, soulève la salle les deux soirs.

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Sechs Tänze. Jiri Kylian. Photographie David Herrero.

Dans les lectures nouvelles d’un compositeur, Sechs Tänze est peut-être la moins inattendue. Il y a en effet dans cette pièce de Jiri Kylian de 1991 quelque chose du Mozart survolté popularisé par le film de Milos Forman (1984). Mais quel étourdissant exercice de haute voltige ! Dans Sechs Tänze, sur les célèbres Danses allemandes de Mozart, les gags se succèdent à une telle vitesse qu’on a du mal à les mémoriser. Les danseurs sont presque méconnaissables badigeonnés de blanc et affublés pour les garçons de perruques poudrés. Le 29 et le 30, c’est plutôt une distribution de danseurs « nouveaux » dans la compagnie qui monte sur scène et je dois renoncer à les identifier. Après les représentations, on a envie de se faire servir une coupe de champagne en hommage à ce feu d’artifice d’images subreptices dont on a été bombardé pendant 15 courtes minutes. Des duos, trios, solos à géométrie variable (oui, même les solos) où les danseurs sautillent en accéléré, roulent sur le dos les uns des autres avec des positions angulaires ou mignardes, se tirent par la robe, par la perruque, renversent les codes du ballet dans un nuage de poudre. Tout cela en présence des deux artistes « invités » que sont les façades de robe de cour montées sur roulettes que les hommes surtout s’arrachent.

La pièce fonctionne presque mieux à Toulouse qu’à Paris en raison de la taille de la scène toulousaine, plus intimiste. Sechs Tänze, qui à Paris semblait être un aimable développement loufoque de Petite Mort, prend ici une toute autre dimension. On y reconnaît désormais une évocation de la révolution baroque qui a dépoussiéré la musique de Mozart de l’interprétation romantique avec instruments modernes.

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The Concert (Chopin-Robbins). Mistake Waltz. Photographie David Herrero.

Marchant décidément dans les pas du ballet de l’Opéra de Paris, la compagnie toulousaine faisait enfin entrer à son répertoire The Concert de Jerome Robbins (présenté à Paris en octobre dernier). En 1954, on a tendance à l’oublier, ce ballet bouffon a eu son rôle à jouer dans le dépoussiérage de la musique de Chopin en tant que musique de danse. Depuis qu’à l’orée du XXe siècle, Michel Fokine avait habillé de gaze vaporeuses les danseuses des Sylphides (le nom occidental pour Chopiniana), il semblait difficile de présenter le célèbre virtuose et compositeur pour piano d’une quelconque autre façon.  L’orchestration en fanfare des pièces pour piano était également un pied de nez aux puristes qui pensaient qu’avec Les Sylphides, l’outrage ultime avait été infligé au compositeur. Robbins y est allé au forceps en y faisant entrer dans Chopin le slapstick comique des théâtres de Broadway.

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The Concert (Chopin-Robbins). Nancy Osbaldeston (la ballerine). Photographie David Herrero.

Pour ces deux représentations, notre cœur balance entre les distributions, toute deux satisfaisantes. Qui choisir en ballerine évaporée, de Nancy Osbaldeston, fine et déliée, au ballon ébouriffant dans la scène des papillons, ou de Kayo Nakazato qui embrasse le piano comme personne et se ramollit irrésistiblement à la vue d’une rivale qui porte le même chapeau qu’elle ? Qui préférer entre le truculent et délicieusement terre à terre mari de Jérémy Leydier et le facétieux Ramiro Gómez Samón qui prête sa fibre aérienne aux petits hussards et aux papillons ? Les deux danseurs sont également surveillés d’un air suspicieux et autoritaire par l’épouse de Nina Queiroz. Alexandra Surodeeva est particulièrement drôle dans son  entrée de fille à lunettes atrabilaire tandis que Sofia Caminiti et Marie Varlet restaurent pour moi la scène du croisé de jambe pinup des deux amies que je n’avais pas vu ainsi servi depuis les années 1990,  quand Nathalie Riqué et Sandrine Marache l’exécutaient à l’Opéra de Paris. Le soir du 30, alors qu’il était déjà apparu dans les deux ballets précédents, Philippe Solano réitérait son excellent jeune homme timide, incomparable dans le pas de deux lorsque, courant après la ballerine, il a l’air de lui crier « Madame ! Mais Madaaame ! ».

On aura beaucoup ri.

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On passe encore des soirées bien agréables au Ballet du Capitole, en compagnie de danseurs à la personnalité marquée. On apprend que la direction a ouvert une audition externe pour recruter deux danseurs étoiles en remplacement de Julie Charlet et Davit Galstyan. C’est se donner bien du mal. Il y a bien quelques noms au sein de la compagnie qui émergent quand on pense à ce titre prestigieux et convoité.

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Les Balletos d’Or de la saison 2022-2023

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Gravure extraite des « Petits mystères de l’Opéra » par Alberic Second. 1844

Ils sont chaud-bouillants d’un côté, pluvieux-venteux de l’autre, mais il ne s’agit pas des conditions météos du jour dans l’Hexagone. Ils sont cuits à l’extérieur et crus à l’intérieur, mais ce ne sont pas des canelés. Ils sont polis en apparence et piquants en vérité, mais ce ne sont pas des piments. Ce sont, ce sont… les Balletos d’Or de la saison 2022-2023. Ne vous bousculez pas, il y en aura pour tous les goûts.

Ministère de la Création franche

Prix Création/Collaboration : Wayne McGregor (chorégraphie), Thomas Adès (musique), Tacita Dean (décors et costumes), Lucy Carter, Simon Bennison (lumières) et Uzma Hameed (dramaturgie) pour The Dante Project (London/Paris)

Prix programmation : Kader Belarbi  pour l’ensemble de son œuvre au Ballet du Capitole de Toulouse.

Prix Relecture : Martin Chaix (Giselle, Opéra national du Rhin)

Prix Réécriture : Kader Belarbi et Antonio Najarro revoient les danses de caractère de Don Quichotte (Ballet du Capitole de Toulouse).

Prix du Chorégraphe Montant : Mehdi Kerkouche (Portrait)

Prix Logorrhée : Alan Lucien Øyen (Cri de cœur)

Prix Chi©hiant : Pit (Bobbi Jene Smith / Orb Schraiber)

Ministère de la Loge de Côté

Prix Maturité : Paul Marque (Siegfried)

Prix C’est Arrivé ! : Hannah O’Neill (la nomination)

Prix Mieux vaut tard que jamais : Marc Moreau (la nomination)

Prix Et moi c’est pour quand ? : la versatile Héloïse Bourdon (Mayerling, Lac des cygnes, Études, Ballet impérial)

Prix Jouvence : Sarah Lamb et Steven McRae (Cendrillon d’Ashton)

Ministère de la Place sans visibilité

Prix Humour : Pam Tanowitz (Dispatch Duet, Diamond Celebration à Covent Garden)

Prix Adorable : Amaury Barreras Lapinet (Sancho dans DQ de Kader Belarbi et Loin Tain de Kelemenis. Ballet du Capitole de Toulouse)

Prix Lianes animées : Marlen Fuerte et Sofia Caminiti (Libra de George Williamson. Ballet du Capitole de Toulouse)

Prix de l’Arbre Sec : Sae Eun Park et Silvia Saint-Martin (ex-aequo)

Ministère de la Ménagerie de scène

Prix Bête de scène : Martin Harriague (Starlight. Biarritz)

Prix Pour qui sonne le glas: Le trio de bergers/bovins du Proyecto Larrua. (Idi Begi /Biarritz)

Prix Chaton rencontre un lion : Antoine Kirscher et Enzo Saugar (Le Chant du Compagnon Errant. Programme Béjart. Ballet de l’Opéra de Paris)

Prix Roi des Animaux : Audric Bezard (Boléro, Béjart).

Prix Guépard : Mathias Heymann (première variation de Des Grieux dans L’Histoire de Manon)

Prix Chatounet : Guillaume Diop (interprète un peu vert sur l’ensemble de sa saison)

Prix Croquettes : les distributions masculines de l’Hommage à Patrick Dupond

Ministère de la Natalité galopante

Prix Enfance de l’Art : Myriam Ould-Braham et Mathieu Ganio, merveilles de juvénilité dans L’Histoire de Manon

Prix Déhanché : Charline Giezendanner (Do Do Do, Who Cares ?).

Prix Débridé : Camille de Bellefon et Chun-Wing Lam (S’Wonderful, Who Cares ?).

Prix Boudiou ces Marlous: le corps de ballet masculin du ballet national du Rhin (Giselle, chorégraphie de Martin Chaix)

Prix Je t’aime moi non plus : Ariel Mercuri et Elvina Ibraimova (Demetrius et Helena dans le Songe de Neumeier à Munich).

Ministère de la Collation d’Entracte

Prix Velouté : Amandine Albisson en Manon

Prix Consommé : Le jeu de Pablo Legasa dans Le Lac des cygnes (Rothbart/Siegfried)

Prix Bouillon tiède : Laura Hecquet incolore en Sissi (Mayerling)

Prix Mauvaise Soupe : Concerto pour deux (chorégraphie de Benoit Swan Pouffer, musique de Saint-Preux)

Prix Onctueux : Natalia de Froberville en Dulcinée-Kitri (Don Quichotte de Belarbi)

Prix Savoureux : Philippe Solano en Basilio (Don Quichotte de Belarbi)

Prix Spiritueux : Marc-Emmanuel Zanoli en Espada (Don Quichotte de Martinez).

Prix Régime sans sel: la plupart des danseuses dans la prostituée en travesti à l’acte 2 de Manon.

Ministère de la Couture et de l’Accessoire

Prix de la production intemporelle : Jurgen Rose (Le Songe d’une nuit d’été de Neumeier, Munich).

Prix Brandebourgs et postiches : la pléthore de personnages à costumes dans Mayerling.

Prix Un coup de vieux : les décors et costumes du Lac de Noureev

Prix Mal aux yeux : la nouvelle production pour la Cendrillon d’Ashton (Royal Ballet)

Ministère de la Retraite qui sonne

Prix Tu seras toujours Garance : Eve Grinsztajn (dernier rôle dans Kontakthof, mais on se souvient encore des Enfants du Paradis).

Prix Reviens, Alain ! : Adrien Couvez (les adieux).

Prix Saut dans le vide : François Alu depuis longtemps en roue libre

Prix Étoile filante : Jessica Fyfe, les adieux, dans Instars d’Erico Montes (Ballet du Capitole de Toulouse). Belle prochaine saison au Scottish Ballet !

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Toulouse : le Ballet du Capitole en « Noir et Blanc » … et en couleur

Voici donc le premier programme du Ballet du Capitole de Toulouse sans directeur après que Kader Belarbi a été officiellement débarqué en février dernier. C’est une série de représentations substantiellement différente de celle originalement prévue. Dans les plans de Belarbi, les trois œuvres programmées devaient évoquer les Arts plastiques. No more Play de Kylian regarde en effet vers Giacometti, la création de Michel Kelemenis se proposait d’évoquer les noirs de Pierre Soulage et Entrelacs, le ballet de l’ancien directeur, la calligraphie et les œuvres du peintre chinois Shi Tao. Cela n’a pas été. Entrelacs, qui avait été dansé à Toulouse au tout début du mandat de Belarbi, en février 2013, n’était plus connu de personne dans la compagnie et il est difficile de remonter une pièce quand son chorégraphe ne peut s’adresser directement ni aux danseurs ni même aux maîtres de ballet. Il a fallu trouver une solution. La relation qui suit aura, du coup, un petit côté chronique analytique que, j’espère, on me pardonnera.

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No More Play. Philippe Solano, Jérémy Leydier, Solène Monnereau, Tiphaine Prevost et Baptise Claudon. Photographie David Herrero.

No more Play est une œuvre de la grande période de Jiri Kylian. Créé en 1986, le ballet débute de manière quelque peu énigmatique avec deux façades de robes baroques posée de part et d’autre de la scène. Un duo de garçons  se place derrière celle qui se trouve à jardin. Puis, les deux robes disparaissent pour ne plus reparaître. Commence alors une sorte de marathon acrobatique pour cinq danseurs (trois garçons, deux filles) sur la musique d’Anton Webern. La gestuelle est anguleuse, les passes chorégraphiques nerveuses. Les filles s’enroulent et se déroulent comme des rubans sous l’action des danseurs. Elles semblent voleter au-dessus de leur dos. Les lignes sur-étirées, les déséquilibres donnent le vertige. Parfois, les danseurs se figent dans des positions statuaires impressionnantes comme dans ce pas de trois où une danseuse au sol est surplombée par un danseur penché au-dessus d’elle portant sur son dos la troisième danseuse. Tous bras et jambes écartés, les interprètes figurent un vol de cormorans. Avec Kylian, même l’immobilité semble bouger. Beaucoup d’enchaînements reposent, unifiés par le génie de Kylian, sur des emprunts à la barre au sol et à l’acrosport ; comme ce moment où un danseur, sur le dos, porte sa partenaire en planche à la force de ses jambes repliées. Par instants, les danseurs se servent de la fosse d’orchestre vide en s’y penchant comme sur le bord d’un précipice.

Cette hyper-technique porte désormais le sceau des années 90. Elle a même été galvaudée à force d’être reprise par moult épigones. Mais cela reste tellement beau quand c’est un original !

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No More Play. Jérémy Leydier et Solène Monnereau. Photographie David Herrero.

Deux distributions se succédaient dans ce chef-d’œuvre du maître de La Haye. Le 25 mars, les deux garçons initiateurs sont Philippe Solano et Jeremy Leydier. On ne peut imaginer deux danseurs au gabarit plus opposé. Derrière la robe, Solano parait tout petit, couvert qu’il est par les grands abatis de Leydier. Pourtant, dès qu’ils se mettent à danser, les deux interprètes déploient une énergie similaire. Il y a de la densité dans les tours-arabesque de Solano comme dans les élévations de Leydier. Les deux filles, Tiphaine Prevost et Solène Monnereau, ont quant à elles une sorte de qualité gémellaire qui fascine. Dans un pas de deux, la paire Leydier-Monnereau a une qualité à la fois fluide et anguleuse. Baptiste Claudon est parfait en partenaire des deux filles au début du ballet. Le 26, le rapport s’inverse. Le premier à avancer vers la robe est Minoru Kaneko, très ronde-bosse à l’Antique tandis que le partenaire qui l’enserre ensuite de ses bras est le très filiforme Simon Catonnet. Les deux filles sont elles aussi physiquement contrastées. Marie Varlet est plus athlétique et Kayo Nakasato plus délicate. Amaury Barreras Lapinet prête sa plastique parfaite au partenaire du pas de trois. Les deux distributions, pourtant si différentes, portent cependant le ballet d’une manière également convaincante. Le ballet du Capitole a « un style ».

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Instars. Kléber Rebello et Jessica Fyfe

Instars, l’une des deux pièces de remplacement du programme, a été chorégraphiée en 2018 par Erico Montes, un ancien premier artiste du Royal Ballet aujourd’hui maître de ballet à Toulouse, dans une veine qui doit beaucoup en un sens au style de technique poussé par Kylian dans les années 80-90. La première influence qui viendrait à l’esprit devrait bien sûr être celle de Christopher Wheeldon mais ce dernier doit sans beaucoup plus au néoclassicisme germanique qu’à l’école anglaise (où il a été formé) ou américaine (où il a dansé en tant que membre du NYCB). Tel qu’il se présente, ce pas de deux sur la musique en ostinato de John Adams est plaisant. Une fois passé la surprise de voir la ballerine porter un justaucorps arc en ciel dans un programme appelé « Noir et Blanc », on peut prendre plaisir au enroulements-déroulements et au perpetuum mobile qu’exécutent des deux protagonistes. Le 25, Jessica Fyfe se montre lyrique mais sans excès accompagnée du très attentif Kleber Rebello. Mademoiselle Fyfe a tout ce qu’il faut du côté des jambes mais ce sont ses ports de bras (très anglais, avec la ligne de la main un peu au-dessus de la ligne d’épaules) qui ravissent. La liberté de son haut du corps créé une suspension dans la chorégraphie qui manquera un tantinet le 26 avec Alexandra Sudoreeva, pourtant charmante, mais dont on remarque surtout les jambes aux côtés du très solaire Alexandre De Oliveira Ferreira. Au soir du 25, le chorégraphe est monté sur scène pour offrir un bouquet à Jessica Fyfe dont c’était, hélas, la dernière représentation sur la scène du Capitole. On regrettera cette artiste qui nous avait conquis l’an dernier dans Giselle lorsque, sur invitation de Kader Belarbi, elle était venue danser aux côtés de Philippe Solano.

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Jessica Fyfe et Erico Montes. Saluts. Adieux.

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Libra est une autre addition d’urgence au répertoire de la compagnie. Le chorégraphe anglais George Williamson a créé ce duo pour l’occasion. Encore sur une musique en ostinato, cette fois-ci de Peter Gregson, deux danseuses aux justaucorps très maillot de plage, un noir, un bleu, entrent sur scène en déboulés. S’ensuit tout un jeu d’imbrication des corps rapides et bien réglé qui, au soir du 25 mars, finit par lasser. La musique nous parait tomber dans l’orchestration sirupeuse de même que la chorégraphie. Pourtant, les deux interprètes sont nos deux Kitri de décembre, Nancy Osbaldeston (en bleu) et Natalia de Froberville (en noir). On avait apprécié, lors de deux soirées séparées, le contraste entre la perfection classique teintée d’une pointe d’humour de Froberville, qui en faisait une authentique Kitri-Dulcinée de l’acte 2, et l’efficacité terrienne et premier degré d’Osbaldeston qui faisait merveille sur la place de Séville à l’acte 1. Mais présentés ensemble, les styles des deux danseuses ne communiquent pas. Aucun jeu ne naît de leur apposition.

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Libra. Nancy Osbaldeston et Natalia de Froberville. Photographie David Herrero.

L’impression est diamétralement opposée le 26. Là aussi les deux danseuses ne se ressemblent pas. Sofia Caminiti (en bleu) est une gracieuse liane et Marlen Fuerte (en noir) une belle statue. Mais ici, leurs différences introduisent une forme de dialectique dans leurs évolutions au fur et à mesure qu’avance le ballet. Caminiti est l’élément végétal tandis que Fuerte est l’animal. Et le jeu d’imbrications prend du corps.

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Libra. Sofia Caminiti et Marlen Fuerte. Photographie David Herrero.

La pièce reste certes d’occasion mais elle peut donc offrir un plaisant moment de danse.

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Loin Tain de Michel Kelemenis était la seule création de la soirée initialement prévue par Kader Belarbi. Sur le concerto pour violoncelle et orchestre d’Henri Dutilleux, « Tout un Monde lointain », le chorégraphe se proposait d’évoquer les noirs profonds de la peinture de Pierre Soulages, récemment disparu. La scénographie de Bruno de Lavenère, constituée de deux couches de rideaux de chaînettes qui montent et descendent dans les cintres sur un fond noir, n’est pas loin de donner l’impression des coups de brosse de l’artiste sur ses monochromes. Les garçons, habillés en blanc, portent des tee-shirts qui évoquent le bleu électrique qui incendie parfois les noirs du peintre. Leur lèvres sont carminées.

La pièce commence par une scène charmante, dans le silence, où Amaury Barreras Lapinet traverse la scène de cour à jardin avec une gestuelle cartoonesque : petits sauts avec jambes qui gigotent en l’air, prestes voltes-faces. Le danseur semble appelé-attiré par le bout de sa main puis par la danseuse Kayo Nakazato, parfaite tentatrice entrée à jardin. Le charmant Puck de Barreras sera l’acmé de la pièce.

Car avec l’introduction de la musique de Dutilleux, l’ambiance change du tout au tout et devient sombre et absconse.  Kayo Nakasato, la ligne acérée, fait une sorte de variation reprise à l’identique derrière le rideau de chaînes par une autre fille. L’effet de miroir et de transparence n’est pas abouti. Les éclairages de Rémi Colas auraient gagné à être plus tranchés et plus translucides. Puis Nakasato est lancée en toute droite en l’air par 4 garçons et pousse de petits cris. La salle rit une fois puis devient atone à la répétition de cette facétie.

La gestuelle de Kelemenis est « contemporaine ». Chacun reste enfermé dans sa kinésphère ; les sauts, initiés par des jambes en parallèle, sont ancrés dans le sol. Les portés, à l’inverse de ceux d’un Kylian, focalisent l’attention du spectateur sur les points de contacts entre les corps. La gestuelle est anguleuse comme lors de ces marches en parallèle où les bras très tendus font un va-et-vient avec des poignets cassés à l’inverse. Kelemenis connaît son affaire.

Mais Kayo Nakasato a beau prendre la position couchée de dos sensuelle d’une déesse de Bourdelle, on peine à voir émerger une quelconque intimité entre ces dix-sept corps qui se croisent et se touchent pourtant de près. L’interaction entre la danseuse et Minoru Kaneko est avortée et ce n’est pas comme si celle avec Simon Catonnet, pourtant listé comme interprète soliste, était plus aboutie. Au fond, Kayo Nakasato n’aura jamais autant communiqué qu’avec son premier partenaire, Barreras Lapinet, qui termine le ballet dans la pose de la déesse de Bourdelle.

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Loin Tain. Kayo Nakazato et Amaury Barreras Lapinet

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C’est la deuxième fois cette saison qu’Amaury Barreras Lapinet, longtemps discret au sein du corps de ballet, révèle son talent facétieux (déjà perceptible une première fois dans son duo de petits chevaux avec Philippe Solano dans Les Saltimbanques en 2021). C’est ce que j’ai aimé toutes ces années dans le ballet du Capitole de Toulouse : voir éclore des personnalités au sein d’un groupe cohérent dans sa diversité.

Espérons qu’il y aura encore beaucoup de jolies surprises comme celle-ci à l’avenir. Mais cela ne se fera assurément pas en l’absence d’une direction et d’un répertoire original, propre à la compagnie …

Commentaires fermés sur Toulouse : le Ballet du Capitole en « Noir et Blanc » … et en couleur

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A Toulouse. Paysages intérieurs (Malandain/Carlson) et un Temps du Bilan inattendu

Le programme Paysage intérieurs, présenté pour trois petites dates par le Ballet du Capitole dans le cadre du festival de danse « Ici & Là » réunissait deux chorégraphes étiquetés « néoclassiques », l’Américaine Carolyn Carlson, qui fut jadis étoile contemporaine de l’Opéra de Paris, et Thierry Malandain, le directeur du CCN de Biarritz. Ce programme avait été conçu pour la saison 2020-2021 et n’avait en conséquence pas été présenté au public même s’il avait été répété par les danseurs.

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Voir Nocturnes de Thierry Malandain, c’est donc découvrir à rebours un ballet qui était destiné à familiariser la compagnie toulousaine au travail du chorégraphe avant la création de Daphnis et Chloé, spécialement conçu par le chorégraphe pour le ballet du Capitole en juillet dernier.

Kader Belarbi est sans conteste un programmateur judicieux. Il a évité l’écueil sur lequel s’était abimé le ballet de l’Opéra en 2011 en commandant directement une création à Thierry Malandain, L’Envol d’Icare, sans avoir vraiment donné aux danseurs le temps d’assimiler son style.

J’ai déjà commenté deux fois Nocturnes, cette très belle pièce de Malandain qui parvient à évoquer le romantisme propre aux nocturnes de Chopin sans avoir recours au pas de deux romantique (magistralement exploré par Jerome Robbins) et la mort sans instiller de pathos. Nocturnes, avec son lino rectangulaire de cour à jardin, se présente comme une grande frise chorégraphique où les individus se suivent, se croisent, s’imbriquent et se séparent, comme on le fait dans la vie où l’intimité des destins ne dure qu’un temps.

DHF_9606 - Nocturnes - crédit D. Herrero

Nocturnes.Thierry Malandain. Philippe Solano – Photographie David Herrero

Les danseurs du Capitole, sans pouvoir être en symbiose avec le style du chorégraphe comme le sont les danseurs du Malandain Ballet Biarritz embrassent néanmoins vaillamment l’esthétique du chorégraphe.

S’ils négocient un peu les sauts réceptionnés en tailleur dans le duo d’ouverture, celui des « doubles galipettes », Jeremy Leydier et Alexandre de Oliveira Ferreira entretiennent néanmoins une vraie tension dans leurs interactions. Ils convainquent… Dans le deuxième pas de deux Minoru Kaneko et Tiphaine Prevost ont le mouvement plus délibéré, moins coulé que chez les danseurs de Malandain mais dégagent un beau lyrisme sans excès. Kayo Nakasato et Saki Isonaga font la partie « des Sylphides » illustrée à Biarritz par Claire Lonchampt et Irma Hoffren. Là aussi, le jeu des références est compris. On voit bien des sylphides (déhanchées, main sur la bouche) mais occasionnellement aussi des Willis ou encore des piétinés de cygnes.

Malandain dégenre souvent les références visuelles de la Danse. Dans un pas de trois, les garçons font des sauts qui évoquent ceux de Giselle à l’acte 2.

Dans le rôle mystérieux créé par Arnaud Mahouy, Philippe Solano développe une énergie plus tendue et nerveuse que son prédécesseur et modèle mais évoque tout à fait la Parque qui met fin au ballet en coupant le fil de la vie. Alexandra Sudoreeva et son partenaire Simon Catonnet mettent en valeur le seul moment du ballet où Thierry Malandain regarde vers le pas de deux romantique. Les deux danseurs s’éloignent et se rapprochent presque contre leur gré. Ils sont comme soumis à une loi d’attraction-répulsion. Le final avec les filles en attitude décalée et la grande chaîne « des chandelles »  au passage de la mort (Solano) est fort réussi. L’œuvre de Thierry Malandain apparaît clairement transposée sur d’autres corps mais la proposition des danseurs du ballet du Capitole est fructueuse.

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Autre personnalité du néoclassique moderne, Carolyn Carlson était honorée à travers deux pièces créées au XXIe siècle, Wind Women (2018) et If to leave is to Remember (2006). Je précise « du XXIe siècle » car la danseuse chorégraphe crée depuis les années 70 des œuvres qui ont été célébrées et ont marqué des générations de danseurs, notamment à l’Opéra de Paris où Carlson, interprète charismatique, a été étoile-chorégraphe entre 1974 et 1980. Kader Belarbi (entré dans le corps de ballet en 1980, l’année même du départ de Carlson), qui a eu toujours une fibre moderne, était de ceux-là. En 1997, aux côtés de Marie-Claude Pietragalla, il a d’ailleurs créé Signes qui sera repris en fin de saison à Paris. De mon côté, arrivé dans la balletomanie à un moment ou l’influence de Carlson s’estompait, je n’ai jamais encore été conquis par les œuvres de la chorégraphe américaine. Pendant longtemps, Carlson c’était pour moi le solo féminin de Density 21.5 (1972) présenté en variation libre par les danseuses au concours du corps de ballet. Signes, même avec le duo Pietra-Belarbi m’a laissé complètement sur le bord de la route. En 2015, j’ai lâchement laissé l’ami James en faire la revue. Pas plus conquis que moi, il a pondu un article vachard titré « 10 raisons d’aller voir Signes ». En 2017, je n’ai pas été emporté non plus par « Pneuma », présenté à Chaillot par le Ballet de Bordeaux. Si je notais en frontispice « il y a de bien jolies images dans Pneuma », je trouvai  aussi que la machine tournait à vide et se résumait souvent à une scénographie précieuse.

Alors, les danseurs du Capitole allaient-ils me convertir à Carlson ?

DZ7_0187 - Wind Women - crédit David Herrero

Wind Women. Carolyn Carlson. Ensemble. Photographie David Herrero

Pour Pneuma, j’avais perçu le style de Carlson comme une chorégraphie de facture « contemporaine traditionnelle », le classique l’emportant sur le contemporain. Avec Wind Women, sur une bande son planante et somme toute un peu convenue de Nicolas de Zorzi faite de tintements de clochettes, de halètements et flux et reflux de vagues, on se dirigerait plutôt vers une esthétique bauschienne saupoudrée de Trisha Brown. Marlen Fuerte, intense interprète, commence la pièce dans le silence, les cheveux lâchés, vêtue d’une grande tunique blanche. Son corps se lance dans des spirales entraînées par le mouvement des bras, souvent saccadé. La danseuse se retrouve parfois en position de deuil, le haut du dos et le cou recourbé, les cheveux recouvrant le visage. Elle est bientôt rejointe par tout un groupe de douze filles (parmi elles les deux Kitri de décembre dernier, Natalia de Froberville et Nancy Olbadeston) qui danse avec une gestuelle similaire (Jessica Fyfe, notre Giselle de la saison dernière s’y montre très à l’aise), en canon, créant une sorte de vague figurant bien l’action du vent sur les corps solides ; feuilles ou herbes folles.

C’est joli. Mais où cela va-t-il ?

DHF_0489 - If To Leave Is To Remember - crédit D. Herrero

If To Leave Is To Remember. Carolyn Carlson. – Photographie David Herrero

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« If to Leave Is to Remember » est réglé sur un quatuor de Philip Glass, un choix qui en 2006, était déjà un poncif musical, et dans une mise en scène très minimaliste-chic (rais de néons descendant des cintres sur plateau noir, là encore costumes épurés). Le ballet commence avec un groupe de dix garçons dans une chorégraphie très véloce usant beaucoup de la saltation sur jambes pliées, de pirouettes et d’occasionnelles reptations sur les mains. L’apparition d’une grande fenêtre à meneaux rouge sur le devant de scène à jardin signale l’entrée en scène de l’élément féminin. On apporte une table sur laquelle Marlen Fuerte gît en sous-vêtements, étendue comme un cadavre à la morgue. Les autres filles en robes noires et talons (encore une référence très Pina) entrent à cour. Jeremy Leydier, présence intense, rejoint la table. Est-il un amant éploré? Non, semble-t-il. Il commence à manipuler sa partenaire, ou plutôt à l’actionner comme une marionnette tandis qu’un autre couple danse une sorte de tango argentin à l’opposé du plateau. Assiste-t-on à la même histoire vue sous un angle plus « social » ?

Lorsqu’on apporte une autre table en fond de scène, cette fois-ci avec un corps masculin, le gars ne sera pas manipulé, lui. Les pas de deux et trios se succèdent ensuite. Minoru Kaneko retire et jette violemment les talons de Solène Monnereau avant de danser avec elle. Kayo Nakasato est une belle présence solitaire. Trois couples se métamorphosent en trios (2 garçons et une fille). Ils sortent à reculons, un couple debout, le troisième larron roulant entre leurs jambes ; une jolie image.

On remarque aussi un autre trio, dynamique, constitué de Philippe Solano, Minoru Kaneko et Kleber Rebello mais on note aussi une forme de poncif dans l’utilisation de la musique de Philip Glass ; cette danse en accéléré sur l’ostinato des cordes tandis qu’un autre groupe de danseurs se meut au ralenti pour souligner la répétition obsessionnelle des phrases musicales. Twila Tharp faisait déjà cela dans les années 80 dans In the Upper Room sur une partition directement commandée au compositeur.

La pièce, qui continue sans qu’on se sente en prise avec un quelconque sous-texte, s’achève avec une voix récitant un texte en anglais où il est question de pluie sur des carreaux de fenêtre (celle de la scénographie disparaît dans les cintres), de choix faits ou à faire… Les derniers mots « If to leave is to remember » clôturent la pièce tout en lui donnant son titre. Les danseurs finissent de dos en fond de scène. Deux néons descendent des cintres. Voilà…

Les danseurs du ballet du Capitole ne m’ont donc pas converti à Carlson, mais ils ont, encore une fois, su me captiver par moments individuellement ou en groupe.

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Triste épilogue

Les danseurs du Capitole…

J’ai été cueilli par la nouvelle tandis que j’attendais mon train de retour vers Paris… Faisant suite à une plainte d’un ancien danseur de la compagnie pour harcèlement et d’un audit interne, le Capitole met fin aux fonctions de Kader Belarbi.

Comme beaucoup, je m’étais inquiété du gros « turnover » dans la compagnie, qui s’était accéléré ces deux dernières années. Mais à chaque saison, la troupe du Capitole, même renouvelée, montrait toujours cette cohésion forte qui me rassurait. Je n’ai jamais senti ce genre d’automatisme presque mécanique qu’on sent chez les danseurs dans les compagnies classiques où la direction dysfonctionne. Qu’est-ce qui a pu conduire à cette annonce brutale qui ne peut qu’être dommageable pour la suite de la carrière de Kader Belarbi en tant que leader de compagnie?

Car il y a un bilan artistique Belarbi… Les Balletonautes ont suivi son Capitole depuis avril 2013 où nous étions allés découvrir le programme Bournonville/Cramér au Casino Barrière de Toulouse. Pendant cette fructueuse décennie, on a vu un public se construire. Les salles n’étaient pas toujours pleines au début, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Loin s’en faut. Il y a eu aussi la construction d’un répertoire original à la fois soucieux d’éduquer le public à la danse française (Kader Belarbi a par exemple exprimé ses doutes sur le génie chorégraphique de Serge Lifar mais a néanmoins fait entrer Suite en Blanc et Mirages au répertoire), de le familiariser avec la création classique-néoclassique et contemporaine à travers des entrées au répertoire et des créations. La programmation de Kader Belarbi n’a jamais été par exemple une réminiscence de sa carrière à l’Opéra comme ce que fait Manuel Legris (jadis à Vienne, aujourd’hui à Milan). Il y a surtout le fantastique travail du chorégraphe, particulièrement dans sa relecture des grands classiques (Corsaire, Giselle, Don Quichotte, Casse-Noisette) …

Et la question est, que va-t-il advenir de ce splendide répertoire après son départ ?

La mairie de Toulouse affiche sa sérénité. Dans un article de La Dépêche du 13 février, elle affirme : « Le Ballet du Capitole reste hautement désirable et attirera les meilleures candidatures.. ». Sauf que cet appel à candidature ne semble pas avoir de calendrier, alors que la dernière audition de monsieur Belarbi aurait eu lieu le 7 novembre dernier. La mairie se montre bien naïve (l’euphémisme est assumé) lorsqu’elle déclare : « La continuité de l’activité sera assurée », indique-t-on à la Mairie de Toulouse, qui « entend poursuivre l’ambition artistique de cette compagnie reconnue au niveau national et international. Les projets de tournée et la programmation sont maintenus tels que programmés […] La saison 2023-2024 du Ballet du Capitole étant déjà largement ébauchée, il n’y a pas d’urgence à recruter un remplaçant à Kader Belarbi. »

Qui peut penser qu’on pourra maintenir « l’ambition artistique » d’une compagnie « au niveau national et international » sans quelqu’un à sa tête pendant une saison et demie ? Les maisons d’Opéra sont en général des lieux où l’orchestre, le lyrique et le ballet cherchent à tirer la couverture à soi en termes de budget ; ce dernier sortant rarement vainqueur du combat… Alors avec personne à sa tête ?

Qu’on nous entende bien, nous ne minimisons pas la souffrance des danseurs, qui arrivent tout minots et souvent désarmés dans une profession où il faut exister vite avant de disparaître trop tôt. Dans un récent post sur les réseaux sociaux, le danseur de Bordeaux Guillaume Début, relayé par son collègue Marc-Emmanuel Zanoli, rappelait que « seuls les danseurs de l’Opéra peuvent toucher une partie de leur retraite à quarante-deux ans et demi. Les danseurs du reste de la France sont obligés d’être licenciés pour insuffisance professionnelle ou de faire une rupture conventionnelle et de se reconvertir ». À Toulouse, on trouve inacceptable « de[s] comportements […] de la part d’un responsable artistique détenteur d’une autorité sur des danseurs et danseuses souvent très jeunes et totalement soumis à ses décisions en matière de renouvellement de leurs contrats ». Ne serait-il pas temps donc de mettre fin au système de ces contrats « sièges éjectables » qu’on trouve dans la plupart des maisons d’Opéra et qui ne sont assurément pas une invention de Kader Belarbi ? On attend avec impatience les propositions de la mairie de Toulouse.

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Photo officielle du Ballet du Capitole. Photographie David Herrero

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Don Quichotte à Toulouse : Une cure de soleil en plein hiver

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Don Quichotte de Kader Belarbi, Ballet du Capitole. Photographie David Herrero.

Les couleurs des décors et des costumes éclatent comme celles d’un étal de fruits sur un marché du sud-ouest. Dans le corps de ballet, Sofia Caminiti, l’œil et le cheveu très noirs arbore crânement une robe d’un jaune pétant.

Le ballet du Capitole reprend le Don Quichotte de Kader Belarbi, une production gorgée de soleil qui vous met du baume au coeur.  Les murailles de cette ville d’Espagne ont pris les tons rosés et chauds des rues de Toulouse. La production elle-même (décors d’Emilio Carcano, costumes  de Joop Stokvis et lumières de Vinicio Cheli) n’est pourtant pas due à Kader Belarbi qui, dans un louable souci d’économie a repris l’ancienne production de la direction Glushak, ne demandant des nouveaux décors que pour la scène des dryades (ici des naïades) située dans une mystérieuse mangrove vert arsenic.

Et puis il y a la musique. Sous la baguette alerte et enjouée de Fayçal Karoui, l’orchestre de l’Opéra national du Capitole fait scintiller la partition de Minkus. L’ouverture de l’acte 3, avec ses castagnettes qui crépitent provoque un petit frisson dans le dos. Un don du ciel après quatre Lacs des cygnes à l’Opéra où le terne le disputait à la dissonance.

Enfin le découpage intelligent de l’action par Belarbi, condensant les personnages (Basilio et le Toréador, la Danseuse de rue et la Reine des gitans, Don Quichotte et Gamache) et allant droit au but, est magnifié par l’énergie sans cesse renouvelée de la compagnie. Elle embrasse avec panache les danses de caractère classiques, proches de celles de la version Noureev mais recentrées depuis 2019 sur l’authenticité des impulsions par l’intervention du chorégraphe Antonio Najarro.

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Au soir du 28 décembre, la scène d’introduction, noyée dans la pénombre dans la production de l’Opéra de Paris, est au contraire lisible et palpitante. Ruslan Savdenov sait être un Don à la fois ridicule et touchant, sorte de pantin fantasque. Il s’effondre avec gusto sur son séant, les bras ballants. Dans les scènes suivantes, il sait être ridicule en vieux soupirant tout en gardant son côté hidalgo. Son Sancho Panza, Amaury Barreras Lapinet, méconnaissable, est truculent à souhait. Ce danseur, très beau mais habituellement très réservé révèle ici un vrai talent comique.

Sur la place de Séville, la pantomime est aussi énergique que les danses de caractère. Tiphaine Prévost et Kayo  Nakasato sont deux amies de Kitri avec du feu sous les pointes et la danseuse de rue-gitane de Marlen Fuerte est capiteuse à souhait.

Nancy Osbaldeston, une nouvelle venue dans la compagnie, interprète le rôle de Kitri. La jolie danseuse a un gabarit et une énergie à la Eléonore Guérineau. Elle danse avec une assurance bravache et possède un impressionnant temps de saut (notamment dans sa variation aux castagnettes). Elle reste toujours dans son rôle même hors des parties dansées. Minoru Kaneko, dont c’est décidément la saison, embrasse crânement le rôle du toréador Basilio. Il met de la puissance dans ses sauts et peaufine son partenariat.

Les deux danseurs dansent dans un bel unisson. À l’acte 2, leur pas de deux, sur des pages de Minkus peu souvent utilisées, est sensuel. Kitri-Osbaldeston fait des piétinés « tu m’attires-je te résiste » très convaincants.

Dans ce tableau gitan, Alexandre De Oliveira Ferreira est un roi dont la danse claque comme son fouet. Marlen Fuerte est à son affaire dans un pas de deux drolatique où sa danse de séduction à l’encontre de Don Quichotte, fortement accentuée, effraye le brave homme de la Mancha.

On sourit face aux bosquets mouvants sur pattes, croquignolets et poétiques, ainsi qu’à la carriole-moulin et aux masques de la scène du cauchemar qui précèdent la scène des naïades.

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Don Quichotte, Ballet du Capitole. Alexandre De Oliveira Ferreira. Photographie David Herrero

Dans la Mangrove, Jessica Fyfe, qui nous avait déjà séduit en Giselle aux cotés de Philippe Solano, incarne une Reine des naïades aux longues et belles lignes. L’arabesque est haute et les jetés aériens. Nancy Osbaldeston est peut-être moins convaincante dans le registre éthéré mais son côté charnel reste pertinent. Dulcinée n’est après tout que Kitri, la fille du tavernier promue vision dans l’esprit perturbé du chevalier à la triste figure. Conduites par Tiphaine Prévost et Kayo Nakasato, les naïades installent une atmosphère aquatique apaisante. Pour l’épilogue, Don Q et Sancho partent pour de nouvelles aventures ; un retour à la réalité dans la veine du ballet romantique.

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Don Quichotte, Ballet du Capitole. Jessica Fyfe (la reine des naïades). Photographie David Herrero.

Tout l’acte 3 a lieu sur la grande place de la ville. La chorégraphie reste pourtant conforme à la scène de taverne des versions traditionnelles. Mercedes et Esteban se voient néanmoins attribuer un pas de deux capiteux.

Minoru Kaneko fait une variation aux gobelets spectaculaires et bravache à souhait. Sa scène du suicide est délicieusement loufoque. Tous les danseurs d’ailleurs s’en donnent à cœur joie, Jeremy Leydier, en père du Kitri, dans le genre bouffe, est à mettre en tête.

Le Fandango qui ouvre la scène du mariage à proprement parler a beaucoup de caractère. Il s’agit de celle de Noureev mais elle a été rendue plus terrienne et anguleuse par les bons soins d’Antonio Najarro. Le ballet se termine dans un crescendo de virtuosité. Le grand pas de deux est dominé par Kaneko et Osbaldeston. Le partenariat réglé au cordeau reste néanmoins vivant. Basilio-Kaneko se montre très à l’aise dans les doubles assemblés en l’air et dans sa diagonale de cabrioles. Kitri-Osbaldeston est très enjouée dans sa variation où elle met l’accent sur la tenue des équilibres.

C’était une bien belle soirée. On en redemande et on y retourne avec entrain le lendemain.

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Don Quichotte, Ballet du Capitole. Nancy Osbaldeston (Kitri) et Minoru Kaneko (Basilio). Photographie David Herrero.

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Les hasards de ma présence toulousaine ont fait que j’ai vu la distribution 1 après la distribution 2. Au soir, du 29 décembre, c’est Simon Catonnet qui chausse les bottes orthopédiques de Don Quichotte. Déjà grand, il paraît désormais immense et titube de toute sa hauteur. Cette instabilité gravitatoire semble refléter sa fragilité psychique. Avec sa grande houppette qu’il agite avec esprit aux moments opportuns, il ressemble à un croisement entre Tintin et le professeur Tournesol. Sans atteindre la folie douce d’Amaury Barreras Lapinet, Lorenzo Misuri est un Sancho Pansa rempli d’humour.

Natalia de Froberville, que nous avions découverte dans ce rôle en 2017 quand elle n’était encore que soliste, tire Kitri du côté de la ballerine classique. C’est très poétique durant le prologue. À l’acte 1, ce n’est pas nécessairement capiteux mais c’est assurément léger et primesautier. La technique est suprêmement maîtrisée.

Philippe Solano continue à s’affirmer comme une des valeurs les plus sûres de la compagnie. Déjà Albrecht en tournée la saison dernière, il a également interprété le rôle-titre de Toulouse Lautrec. Arrivé en tant qu’artiste du corps de ballet, il a gravi tous les échelons. À ce stade de sa carrière et au vu de ses distributions, on commence à espérer pour lui une promotion au rang d’étoile. Quel beau signe de santé cela serait pour la compagnie !

À l’acte 1, Solano prend très au sérieux son rôle de toréador  et prend techniquement la commande du plateau. Son approche un tantinet mâle alpha gêne un peu la crédibilité du couple qu’il forme avec Froberville mais tout cela est vite oublié à l’acte 2, où dès le pas de deux de séduction avec Kitri, on retrouve son ouverture sans affectation, son charisme et sa chaleur naturelle.

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Don Quichotte, Ballet du Capitole. Solène Monnereau (Mercédès) et Lorenzo Misuri (Sancho), Photographie David Herrero.

L’ensemble des comparses est à l’unisson. Solène Monnereau est une Mercédès très second degré qui, dans son duo drolatique avec le Don, joue moins sur le registre sensuel que végétal (une préfiguration de la mangrove des naïades ?) ; Monnereau ressemble en effet à une liane strangulatoire qui s’enroule autour du vieil hidalgo. Au contact d’Esteban, le chef gitan, ces mêmes enroulements sont soudain tout infusés de séduction. Il faut dire que le rôle est interprété par Kleber Rebello, une des sensations de la visite du Miami City Ballet en 2011 lors des Étés de la Danse, devenu entre-temps principal dans cette compagnie. Impressionnant techniquement, avec ses sauts hauts et propres et ses multiples pirouettes arrêtées en équilibre sur la demi pointe, Rebello enflamme la salle.

Dans la scène des naïades, l’équilibre s’inverse par rapport à la soirée précédente. Marlen Fuerte est en effet plus régalienne que divine tandis que Froberville incarne une poétique et mousseuse vision.

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Don Quichotte, Ballet du Capitole. Scène des Naïades. Natalia de Froberville et Rouslan Savdenov (Kitri-Dulcinée et le Don), Marlen Fuerte (Reine des naïades). Photographie David Herrero.

L’acte 3 est enfin un bonheur pour les yeux et les oreilles. Durant la première scène, on remarque une sorte de gémellité entre Solano-Basilio et Rebello-Esteban lorsqu’ils dansent ensemble. Et s’ils étaient frères ? Cela expliquerait pourquoi Lorenzo -Leydier, le paternel de Kitri, ne verse du vin dans les gobelets de Basilio-Solano qu’à contrecœur contrairement à ce qu’il faisait la veille pour Basilio-Kaneko. Pensez ! Marier sa fille à un gitan !

Qu’on me pardonne cette interpolation. Il en est ainsi des représentations où tout fonctionne. Le public, tenu en alerte, s’invente sa propre histoire et étend les décors et le temps au-delà des limites étroites de la scène. Et ici tout coule de source. La drôlerie de la  scène du suicide de Solano, le grand pas de deux roboratif avec une émulation entre les deux partenaires qui dévorent leur partition avec gourmandise, tout concourt à vous porter vers le dénouement de l’intrigue dans l’allégresse. La salle enthousiaste réserve un triomphe aux deux héros et à toute la compagnie… C’est mérité.

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Don Quichotte, Ballet du Capitole. Philippe Solano (Basilio), Natalia de Froberville (Kitri). Photographie David Herrero.

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Décidément ce Don Quichotte est un authentique bijou qui mériterait d’être  montré en France et à l’étranger. Avis aux programmateurs curieux et avisés : vous avez ici de l’or en barre !

Parisiens et Franciliens, le ballet du Capitole sera :
à l’Opéra de Massy pour présenter son programme « Picasso et la Danse : Toiles-Etoiles » avec notamment une pièce d’Antonio Najarro les 21 et 22 janvier 2023 .
 au TCE pour présenter le Toulouse-Lautrec de Kader Belarbi du 13 au 15 avril 2023.

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Roméo et Juliette de Jean-Christophe Maillot au ballet du Capitole: Tragédie à Grande Vitesse

La saison 2022-2023 du ballet du Capitole a brillamment débuté avec l’entrée au répertoire, pour hélas seulement 5 petites dates, d’un monument du ballet d’action, Roméo et Juliette de Prokofiev, dans la très belle et très épurée version de Jean-Christophe Maillot. À la tête du ballet du Capitole, Kader Belarbi parvient encore à innover puisque c’est apparemment la première fois qu’une œuvre du célèbre chorégraphe français, à la tête du célébré ballet de Monte Carlo, est adoptée par une compagnie française. Ce Roméo et Juliette n’est pas une nouveauté – créé il y a déjà 25 ans, on avait pu le voir peu après sa création au théâtre des Champs Élysées – mais il garde pourtant à ce jour toute sa modernité.

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Roméo et Juliette (Jean Christophe Maillot). Ballet du Capitole. Photographie David Herrero

La production tout d’abord n’a pas pris une ride. Exit les boursouflures dorées des décors et les kilomètres de velours des productions classiques. Le décor mouvant minimaliste d’Ernest Pignon-Ernest, fait de quatre grandes parois planes ou courbes, suffisent à suggérer une place écrasée de soleil ou la chambre d’un palais. Une grande chaussée en forme de virgule sera alternativement chemin de repli pour Roméo ou balcon toboggan pour Juliette. Les costumes médiévalisants de Jérôme Kaplan, réduits à l’épure, proposent une variation sur le noir et le blanc : blanc des Montaigu, allant du blanc cassé au crème,  noir des Capulet allant du gris taupe au noir solide (Tybalt) en passant par l’argent terni pour Rosaline. Juliette quant à elle porte une tunique dorée pour le bal. Le seul à porter ces deux non couleurs de manière tranchée est Frère Laurent qui essaye vainement d’agir et de s’interposer entre les deux familles ennemies. Les accessoires sont réduits au strict minimum. Il n’y a pas de duel à l’épée. Tybalt tue Mercutio à coup de masse et Roméo l’étrangle avec le drap ensanglanté de Mercutio. À la fin du ballet, il s’empale sur le lit catafalque triangulaire de Juliette. Cette dernière serre autour de son cou un foulard pourpre pour à son tour mettre fin à ses jours.

La chorégraphie de Jean-Christophe Maillot joue sur les oppositions de masse plutôt que sur le nombre de danseurs. Lors de la scène de rivalité qui ouvre le ballet, on a moins d’une dizaine de Capulets ou de Montaigus, pourtant le plateau semble submergé par le bruit et la fureur. Le bal des Capulets se recentre sur les interactions entre les différents protagonistes, l’assemblée des invités ne faisant que des traversées subreptices de la scène. À l’acte 2, les baladins sont remplacés par un facétieux jeu de guignol qui raconte l’histoire des héros, de leur rencontre au bal jusqu’au dénouement tragique. Ce format presque « de chambre » convient bien à la taille de la compagnie et on peut compter sur les danseurs du Capitole pour, comme toujours et bien que le corps de ballet ait été sérieusement renouvelé, enflammer le plateau.

La gestuelle de Maillot est fiévreuse. Les danseurs effectuent des mouvements sémaphoriques voire télégraphiques des bras qui semblent exprimer la vitalité débordante mais aussi la violence de ces sociétés où plus de la moitié de la population a moins de 15 ans. Les danseurs, bien que sur la musique, semblent toujours être dans « l’accéléré ». On glisse, on tombe parfois sur le postérieur.

Pendant la scène du balcon, Roméo s’élance vers Juliette, plonge et glisse sous ses jambes, se retrouvant au moins un mètre derrière elle. Les maladresses touchantes sont en effet inscrites dans la chorégraphie. Pendant la scène du bal, Juliette agite les mains comme une jeune fille un peu écervelée. Elle semble dire des riens à Roméo avant de lui voler un baiser (en effet, dans cette version, Roméo ne décide de pas grand chose). Mais dans une rencontre amoureuse, les propos n’ont-ils pas en général que peu d’importance? Ce qui se dit est souvent anodin, voire trivial. C’est finalement le sentiment de la connexion impalpable qui restera dans la mémoires des deux amants.

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Roméo et Juliette (Jean Christophe Maillot). Ballet du Capitole. Ramiro Gomez Samon (Mercutio), Alexandre de Oliveira Ferreira (Tybalt), Philippe Solano (Benvolio). Photographie David Herrero

Plus qu’expressionniste la chorégraphie est cartoonesque. Les protagonistes ressemblent à des personnages de dessin animé, soulignant leur grande jeunesse. Même dans le pas de deux du balcon, la gravité et le lyrisme ne s’introduisent qu’à la fin, comme par surprise.

En revanche, Jean-Christophe Maillot sait changer de rythme lorsque cela est nécessaire. La scène du double meurtre de l’acte 2 est ainsi traitée comme un ralenti cinématographique. Il utilise également les poses statuaires dans son traitement du personnage de frère Laurent qui observe l’histoire se dérouler comme a posteriori.

Ce personnage à la gestuelle particulièrement expressionniste (il apparaît dès le début de ballet, additionnant les poses de Pietà en compagnie de ses deux acolytes en blanc) prend une place de plus en plus prégnante dans le ballet au point de devenir presque encombrant à l’acte 3 lorsqu’il assiste au double suicide de Roméo et Juliette et semble converser avec l’héroïne.

Dans ce rôle, créé pour Gaëtan Morlotti, Ruslan Savdenov fait montre d’une grande puissance expressive. L’ensemble de la distribution ne lui cède en rien dans l’engagement. Ramiro Gomez Samon et Philippe Solano respectivement en Mercutio et Benvolio forment un tandem roboratif. Leurs étourdissantes pirouettes et leurs facéties saltatoires nous ont enthousiasmé. Leur connexion parait évidente. Dans le rôle du très noir Tybalt, Alexandre Ferreira séduit par son ballon et par le côté acéré de ses lignes. Néanmoins il n’efface pas le souvenir de Francesco Nappa que j’ai vu il y a bien longtemps dans ce même rôle. En effet, sa connexion avec ses lady Capulet en alternance n’a pas ce côté charnel et quasi incestueux qui m’avait frappé alors. Dans ce second rôle féminin, Alexandra Sudoreeva (le 28) cisèle en première distribution sa jolie ligne pour portraiturer une matriarche pleine de séduction, de morgue mais fort peu aimante. Pour l’amour, il faut regarder du côté de la nourrice (Nancy Osbaldeston, qui réussit à danser « adipeux » sans renoncer à la vivacité et au charme. Son désespoir à la mort de Juliette est d’une belle expressivité). Marlen Fuerte, en seconde distribution (le 30), tire sa lady Capulet du côté de la vamp’ au détriment de celui de la cheffe de famille. En revanche, son désespoir de lionne blessée à la mort de Tybalt est impressionnant. En première distribution, la danseuse interprète une très séductrice Rosaline que se disputent, à l’acte 1, Roméo et Tybalt. En seconde distribution, Juliette Itou, plus réservée, séduit par sa ligne réminiscente de celle de Bernice Coppieters, muse de Maillot, créatrice de Juliette et aujourd’hui répétitrice pour cette entrée du ballet au répertoire du Capitole.

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Roméo et Juliette (Jean Christophe Maillot). Ballet du Capitole. Alexandra Sudoreeva (Lady Capulet) et Natalia de Froberville (Juliette). Photographie David Herrero

Natalia de Froberville qui interprète Juliette est fort différente de Coppieters. Plus petite mais surtout moins androgyne, elle se coule néanmoins avec son habituelle efficience dans les pas de Juliette. Plus à l’aise le soir de la première dans l’exaltation juvénile que dans la passion ou le paroxysme du désespoir, elle progresse nettement dans ces derniers registres lors de la troisième représentation. On goûte alors particulièrement ce moment où, après s’être laissé glisser le long du balcon toboggan, elle s’assoit sur son bord, figurant une hirondelle sur un fil électrique. Minoru Kaneko, plus en retrait en Roméo le soir de la première, connaît aussi une belle progression lors de la troisième représentation du 30 octobre. Il portraiture merveilleusement le chien fou au moment de son entrée dans l’église lors de la scène du mariage, sous l’orbe textile actionnée par les deux acolytes de frère Laurent. Dans le duo qui ouvre l’acte, moment où le chorégraphe autorise enfin le lyrisme et l’abandon à ses interprètes, Kaneko et Froberville (laquelle danse tout l’acte pieds nus) parviennent à créer un moment de suspension et de plénitude amoureuse.

Souhaitons donc une très prochaine reprise de ce ballet qui va déjà si bien au Ballet du Capitole en dépit du peu de représentations qui lui ont été imparties.

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Roméo et Juliette (Jean Christophe Maillot). Ballet du Capitole. Minoru Kaneko (Roméo) et Natalia de Froberville (Juliette). Photographie David Herrero

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Les Balletos d’Or de la saison 2021/2022

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Gravure extraite des « Petits mystères de l’Opéra ». 1844

Après une année d’interruption due à la crise sanitaire, les Balletos d’Or reviennent pour la saison 2021-2022. L’attente était, bien sûr, à son comble ! On a décidé de limiter le nombre de prix  au quota habituel – pas question de tout dédoubler pour rattraper l’annulation de l’an passé –, mais aucunement de se restreindre en termes de distribution de baffes.

Ministère de la Création franche

Prix Création (ex-aequo) : Thierry Malandain relit Fokine dans L’Oiseau de feu (Malandain Ballet Biarritz) et dans Daphnis et Chloé (Ballet du Capitole)

Prix Recréation : John Neumeier pour son Dörnroschen (Ballet de Hambourg)

Prix de Saison : Kader Belarbi (Ballet du Capitole de Toulouse). Trois programmes seulement mais que des créations !

Prix Cher et Moche : conjointement attribué à Pierre Lacotte et Aurélie Dupont pour Le Rouge et le Noir, ratage en roue libre…

Prix Musical : Johan Inger pour Bliss sur la musique de Keith Jarrett

Prix Dispensable : Dominique Brun fait prendre un coup de vieux au Sacre de Nijinsky (Opéra de Paris)

Ministère de la Loge de Côté

Prix au Pied Levé : Mathieu Contat en Basilio de dernière minute (1er janvier 2022)

Prix Mieux vaut tard que jamais : Alice Renavand en Giselle

Prix Révélation : Bleuenn Battistoni. La Demoiselle d’honneur (DQ), Gamzatti (Bayadère), Giselle (Pas de deux des vendangeurs et bien plus…)

Prix Affirmation : Simon Catonnet (Ballet du Capitole de Toulouse) se révèle en danseur-acteur-chanteur (Yvette Guilbert. Toulouse-Lautrec de Kader Belarbi).

Prix (se) de rôle  : Philippe Solano danse un Albrecht ardent face à la très romantique Jessica Fyfe

Ministère de la Place sans visibilité

Prix Tourbillon : Gianmaria Borzillo et Giovanfrancesco Giannini (Save the last dance for me au CND)

Prix Fusion : David Coria et Jann Gallois dans Imperfecto. Le Flamenco et la danse contemporaine se rencontrent (Théâtre National de Chaillot).

Prix Adorables : Margarita Fernandes et Antonio Casalinho (Coppélia de Roland Petit)

Prix Soulève-moi si tu peux : Sae Eun Park qui n’aide pas franchement ses partenaires sur l’ensemble de la saison.

Prix Mouvement perpétuel : Myriam Ould-Braham et Germain Louvet. Pas de deux du divertissement du Songe d’une nuit d’été de Balanchine.

Ministère de la Ménagerie de scène

Prix l’Esprit volète : Hugo Layer. L’oiseau dans l’Oiseau de feu de Thierry Malandain

Prix La Mer : Sirènes de Martin Harriague

Prix Popeye : François Alu pour son spectacle Complètement Jeté

Prix Olive : La couleur d’Aurélie Dupont quand elle a nommé François Alu étoile

Prix Bête de scène : Hamid Ben Mahi pour ses solos autobiographiques Chronic(s) et Chronic(s) 2

Ministère de la Natalité galopante

Prix Pas de deux : Alina Cojocaru et Alexandr Trusch (Dörnroschen)

Prix Blind Date : La relecture de l’adage à la Rose de Fabio Lopez (La Belle au Bois dormant. Compagnie Illicite)

Prix La Muse et son Poète : Myriam Ould-Braham et Francesco Mura (La Bayadère)

Prix Séduction : Oleg Rogatchev, Colas ravageur dans La Fille mal gardée (Ballet de Bordeaux)

Prix (se) de la Bastille : Celia Drouy conquiert le plateau en amazone (Hippolyte, Le Songe d’une nuit d’été)

Ministère de la Collation d’Entracte

Prix Capiteux : Alvaro Rodriguez Piñera (La Rose / La Sorcière) dans La Belle de Fabio Lopes et une mère Simone pas dénuée d’épines (La Fille mal gardée)

Prix du Poids : Paul Marque gagne en consistance dramatique depuis son Étoilat (ensemble de la saison)

Prix Coxinha (croquette brésilienne) : Kader Belarbi pour ses intermèdes dansés de Platée. Également attribué à l’inénarrable Catcheur (inconnu) et L’Oiseau de Carnaval (Jeremy Leydier).

Prix Pêche Melba : Ludmila Pagliero, délicieuse de féminité en Titania (Le Songe d’une nuit d’été)

Prix grignotage : Les chorégraphies d’Hofesh Shechter, plus captivantes par petits bouts dans « En Corps » de Cédric Klapisch que sur une soirée entière.

Ministère de la Couture et de l’Accessoire

Prix Je veux ces couleurs pour mes robes : Lynette Mauro, créatrice des costumes de Like Water for Chocolate (Royal Ballet)

Prix Sorcière: Jason Reilly (Carabosse, Belle au Bois dormant de Stuttgart)

Prix Grelots : Les fantastiques costumes de danses basques de la Maritzuli Konpainia

Prix Rideau : Honji Wang et Sébastien Ramirez mettent le rideau du Faune de Picasso au centre de leur création (Ballet du Capitole)

Prix Fatal Toupet : la perruque d’Audric Bezard dans Le songe d’une nuit d’été de Balanchine.

Ministère de la Retraite qui sonne

Prix de la Myopie invalidante : Aurélie Dupont privant Myriam Ould Braham d’un quota correct de dates en Giselle.

Prix Émotion : le dernier Roméo sur scène de Federico Bonelli

Prix Tu nous manques déjà : Davit Galstyan (Ballet du Capitole)

Prix I Will Be Back : Aurélie Dupont. Encore combien d’années de programmation Dupont après le départ de Dupont?

Prix Je vous ferai « Signes » : Alice Renavand, les adieux reprogrammés. Après sa Giselle, on préférerait qu’elle nous fasse Cygne…

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Daphnis et Chloé de Thierry Malandain au ballet du Capitole : la geste de Pan

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Ballet du Capitole : Giselle, retour aux sources du Romantisme

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Philippe Solano (Albrecht) et Jessica Fyfe (Giselle).

Giselle. Ballet du Capitole de Toulouse. Théâtre Paul Eluard de Bezons. 14/04/2022.

Bezons, une commune du Val d’Oise de   30 000  habitants n’est guère éloignée de Paris à vol d’oiseau ; à peine une dizaine de kilomètres. Pourtant, les tours minérales de La Défense, visibles depuis certaines rues de la ville, semblent la séparer de Paris comme, au XVe siècle, les châtelets verrouillaient certains ponts de la capitale. Sur le site internet du Théâtre Paul Eluard, qui propose une riche et diverse offre culturelle aux Bezonnais, le plan d’accès par les transports en commun parle d’un bus ou d’un tramway pris depuis la Défense. Lorsqu’on est motorisé, il faut compter une quarantaine de minutes pour atteindre le centre de Paris. Autant dire que, pour profiter de l’offre culturelle parisienne, il faut vraiment en prendre la décision. C’est en cela que des scènes conventionnées-Danse comme le théâtre Paul Eluard (qui fait également office de cinéma) ont un rôle majeur dans l’accès à la culture théâtrale pour les jeunes générations.

 Accueillir la Danse est une chose. Mais recevoir une compagnie de danse classique de plusieurs dizaines d’artistes avec toute l’infrastructure que nécessitent le transport, le montage et l’adaptation des nombreux décors d’un grand ballet narratif en est une autre. Au soir du 14 avril, avant la représentation de Giselle, le directeur du Théâtre remerciait gracieusement Kader Belarbi de la « démarche militante » qui a conduit le Ballet du désormais Opéra national de Toulouse dans sa commune. Il faut tout autant saluer son courage à lui qui a voulu et rendu possible cette visite. Dans la salle, on observe donc un nombre non négligeable de jeunes d’âge scolaire qui auront peut-être découvert le ballet par une compagnie située à 600 kilomètres de chez eux quand l’Opéra de Paris, tout proche, n’y envoie jamais ses danseurs.

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Sur scène, on retrouve toutes les qualités de la production de Giselle de Kader Belarbi. Les décors et accessoires prennent certes plus de place et il faudra 30 bonnes minutes d’entracte entre le premier et le deuxième acte. Mais paradoxalement, dans cet espace plus resserré,  l’esthétique Brueghel l’Ancien voulue par Kader Belarbi et son décorateur et costumier Olivier Beriot est presque renforcée. Les danseurs semblent encore plus incarner les foules bruissantes et gesticulantes du maître flamand. Les couleurs tranchées des costumes, par exemple les rouges des chausses des garçons associés aux bleus-canard de leurs gilets, vous sautent à l’œil. Dans cette proximité renforcée, les détails expressionnistes bien dosés de la chorégraphie, telle cette danse des vignerons joliment rustiquée et gaillarde ou encore la danse des ivrognes particulièrement bien défendue par le duo de danseurs-acteurs Simon Catonnet et Jeremy Leydier, vous happent littéralement. Aléa désormais habituel de cette période troublée de pandémie, le pas de quatre des paysans devient un pas de trois. Minoru Kaneko y développe sa technique saltatoire impeccable et puissante. Tiphaine Prévost et Kayo Nakazato jouent leur partition dans un bel unisson.

Mais, l’un des intérêts premier de cette revoyure, au-delà de toutes les qualités de la production, était la découverte d’un nouvel Albrecht.

Philippe Solano est l’un des danseurs « carte de visite » de la compagnie. Entré au ballet du Capitole en 2015 après un passage par les rangs de surnuméraires de l’Opéra de Paris puis par feue la compagnie de Victor Ullate, il a gravi les échelons à Toulouse. Entré en tant que membre du corps de ballet, il est aujourd’hui soliste, le grade juste en dessous d’étoile (une distinction récente introduite par Kader Belarbi qui remplace le titre de premier soliste). Se voir confier un rôle aussi emblématique qu’Albrecht dans Giselle est une grande marque de confiance de la part de son directeur qui aurait pu, comme il l’a d’ailleurs fait pour le rôle-titre, recourir à un invité de l’extérieur.

Philippe Solano, qui s’est essayé déjà une fois au rôle à Béziers quelques jours auparavant, dépeint un Albrecht directement séducteur, insistant voire impérieux : le type même du joli prince qui passe. Ce bel Epiméthée traverse l’acte un sans penser plus loin que le moment présent. Cette interprétation convient bien à sa technique puissante, dense et directe, toujours sur le fil de la brusquerie. Une ligne qu’il ne franchit néanmoins jamais.

On aime détester cet Albrecht-Loïs lorsqu’il berne la jeune fille en arrachant des pétales à sa marguerite mais qui d’un regard enjôleur sait se faire pardonner. Cette approche « égoïste » du prince déguisé en paysan, est en fait plus romantique qu’on pourrait le penser. Elle met en effet en valeur la Giselle de Jessica Fyfe, soliste du Ballet de Stuttgart. Très romantique d’aspect (on croirait voir par moment un portrait d’une Rachel rousse), la Giselle de mademoiselle Fyfe l’est également de tempérament : naïve, enjouée et douce. Cette Giselle de type définitivement consomptif est d’ailleurs couvée par sa maman, une Laure Muret à la pantomime limpide, vraie matriarche bienveillante qui préfère définitivement Hilarion – le très touchant Rouslan Savdenov – . Jessica Fyfe, avec sa jolie ligne et ses mouvements déliés, séduit. Sa scène de la folie est saisissante. Elle module subtilement les moments introspectifs et violents. Sa répétition de la scène de la Marguerite est déchirante. Le crescendo de la désarticulation des sauts qui préfigure son effondrement est presque vériste.

Devant ce drame, Philippe-Albrecht est bouleversé mais ne se dépare pas de sa morgue princière. Agenouillé devant le corps de sa victime, il semble ne pas comprendre pourquoi tout le monde se détourne de lui et le repousse. Il quitte les lieux dans un grand mouvement de cape « offusqué ».

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Giselle de Kader Belarbi. Photographie David Herrero

A l’acte 2, les Willis du ballet du Capitole, menées par une Alexandra Sudoreeva plus marquée par la force que par l’élégie et la poésie, égrènent leur partition avec grâce. Les 16 danseuses du corps de ballet savent être à la fois disciplinées tout en restant mousseuses et fluides.  On apprécie également le joli duo des deux Willis : Sofia Caminiti altière-nostalgique et Solène Monnereau, moelleuse et comme « suspendue ». La traversée croisée en sautillé arabesque du corps de ballet, parfaitement posée sur la musique, figure à merveille les jeunes mortes glissant sur un lac au clair de lune. La ronde courue autour d’Hilarion (Savdenov qui meurt avec toute l’énergie du désespoir) est à la fois immatérielle et brutalement implacable.

Si Philippe Solano fait un peu trop d’effets de cape pour son entrée au risque de paraître affecté, il offre néanmoins une belle progression dramatique à son Albrecht. Apeuré par l’attaque initiale des Willis, déboussolé par les apparitions subreptices de sa défunte aimée, le danseur sait jouer au cours de l’acte de son réel épuisement physique (qui ne l’empêche pas d’accomplir une impeccable série d’entrechats 6) pour faire ressentir les affres de son personnage. Jessica Fyfe, qui a fait une très belle entrée (le tourbillon des sautillés arabesque), est parfaite en ombre rédemptrice avec ses bras ondoyants et ses arabesques planées.

Il y a de très beaux moments de partenariat dans cet acte 2. Les six portés flottés à la fin de l’adage sont chaque fois différents, ménageant une surprise et accentuant l’effet de volètement.

Au tintement de l’Angélus, Giselle-Fyfe est une ombre qui sourit à la paix éternelle retrouvée. Albrecht-Solano trace depuis la tombe de sa bien-aimée un chemin de lys comme on s’entaille les veines ; une conclusion presque violente qui nous laisse véritablement ému.

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