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Toulouse : le Ballet du Capitole en « Noir et Blanc » … et en couleur

Voici donc le premier programme du Ballet du Capitole de Toulouse sans directeur après que Kader Belarbi a été officiellement débarqué en février dernier. C’est une série de représentations substantiellement différente de celle originalement prévue. Dans les plans de Belarbi, les trois œuvres programmées devaient évoquer les Arts plastiques. No more Play de Kylian regarde en effet vers Giacometti, la création de Michel Kelemenis se proposait d’évoquer les noirs de Pierre Soulage et Entrelacs, le ballet de l’ancien directeur, la calligraphie et les œuvres du peintre chinois Shi Tao. Cela n’a pas été. Entrelacs, qui avait été dansé à Toulouse au tout début du mandat de Belarbi, en février 2013, n’était plus connu de personne dans la compagnie et il est difficile de remonter une pièce quand son chorégraphe ne peut s’adresser directement ni aux danseurs ni même aux maîtres de ballet. Il a fallu trouver une solution. La relation qui suit aura, du coup, un petit côté chronique analytique que, j’espère, on me pardonnera.

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No More Play. Philippe Solano, Jérémy Leydier, Solène Monnereau, Tiphaine Prevost et Baptise Claudon. Photographie David Herrero.

No more Play est une œuvre de la grande période de Jiri Kylian. Créé en 1986, le ballet débute de manière quelque peu énigmatique avec deux façades de robes baroques posée de part et d’autre de la scène. Un duo de garçons  se place derrière celle qui se trouve à jardin. Puis, les deux robes disparaissent pour ne plus reparaître. Commence alors une sorte de marathon acrobatique pour cinq danseurs (trois garçons, deux filles) sur la musique d’Anton Webern. La gestuelle est anguleuse, les passes chorégraphiques nerveuses. Les filles s’enroulent et se déroulent comme des rubans sous l’action des danseurs. Elles semblent voleter au-dessus de leur dos. Les lignes sur-étirées, les déséquilibres donnent le vertige. Parfois, les danseurs se figent dans des positions statuaires impressionnantes comme dans ce pas de trois où une danseuse au sol est surplombée par un danseur penché au-dessus d’elle portant sur son dos la troisième danseuse. Tous bras et jambes écartés, les interprètes figurent un vol de cormorans. Avec Kylian, même l’immobilité semble bouger. Beaucoup d’enchaînements reposent, unifiés par le génie de Kylian, sur des emprunts à la barre au sol et à l’acrosport ; comme ce moment où un danseur, sur le dos, porte sa partenaire en planche à la force de ses jambes repliées. Par instants, les danseurs se servent de la fosse d’orchestre vide en s’y penchant comme sur le bord d’un précipice.

Cette hyper-technique porte désormais le sceau des années 90. Elle a même été galvaudée à force d’être reprise par moult épigones. Mais cela reste tellement beau quand c’est un original !

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No More Play. Jérémy Leydier et Solène Monnereau. Photographie David Herrero.

Deux distributions se succédaient dans ce chef-d’œuvre du maître de La Haye. Le 25 mars, les deux garçons initiateurs sont Philippe Solano et Jeremy Leydier. On ne peut imaginer deux danseurs au gabarit plus opposé. Derrière la robe, Solano parait tout petit, couvert qu’il est par les grands abatis de Leydier. Pourtant, dès qu’ils se mettent à danser, les deux interprètes déploient une énergie similaire. Il y a de la densité dans les tours-arabesque de Solano comme dans les élévations de Leydier. Les deux filles, Tiphaine Prevost et Solène Monnereau, ont quant à elles une sorte de qualité gémellaire qui fascine. Dans un pas de deux, la paire Leydier-Monnereau a une qualité à la fois fluide et anguleuse. Baptiste Claudon est parfait en partenaire des deux filles au début du ballet. Le 26, le rapport s’inverse. Le premier à avancer vers la robe est Minoru Kaneko, très ronde-bosse à l’Antique tandis que le partenaire qui l’enserre ensuite de ses bras est le très filiforme Simon Catonnet. Les deux filles sont elles aussi physiquement contrastées. Marie Varlet est plus athlétique et Kayo Nakasato plus délicate. Amaury Barreras Lapinet prête sa plastique parfaite au partenaire du pas de trois. Les deux distributions, pourtant si différentes, portent cependant le ballet d’une manière également convaincante. Le ballet du Capitole a « un style ».

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Instars. Kléber Rebello et Jessica Fyfe

Instars, l’une des deux pièces de remplacement du programme, a été chorégraphiée en 2018 par Erico Montes, un ancien premier artiste du Royal Ballet aujourd’hui maître de ballet à Toulouse, dans une veine qui doit beaucoup en un sens au style de technique poussé par Kylian dans les années 80-90. La première influence qui viendrait à l’esprit devrait bien sûr être celle de Christopher Wheeldon mais ce dernier doit sans beaucoup plus au néoclassicisme germanique qu’à l’école anglaise (où il a été formé) ou américaine (où il a dansé en tant que membre du NYCB). Tel qu’il se présente, ce pas de deux sur la musique en ostinato de John Adams est plaisant. Une fois passé la surprise de voir la ballerine porter un justaucorps arc en ciel dans un programme appelé « Noir et Blanc », on peut prendre plaisir au enroulements-déroulements et au perpetuum mobile qu’exécutent des deux protagonistes. Le 25, Jessica Fyfe se montre lyrique mais sans excès accompagnée du très attentif Kleber Rebello. Mademoiselle Fyfe a tout ce qu’il faut du côté des jambes mais ce sont ses ports de bras (très anglais, avec la ligne de la main un peu au-dessus de la ligne d’épaules) qui ravissent. La liberté de son haut du corps créé une suspension dans la chorégraphie qui manquera un tantinet le 26 avec Alexandra Sudoreeva, pourtant charmante, mais dont on remarque surtout les jambes aux côtés du très solaire Alexandre De Oliveira Ferreira. Au soir du 25, le chorégraphe est monté sur scène pour offrir un bouquet à Jessica Fyfe dont c’était, hélas, la dernière représentation sur la scène du Capitole. On regrettera cette artiste qui nous avait conquis l’an dernier dans Giselle lorsque, sur invitation de Kader Belarbi, elle était venue danser aux côtés de Philippe Solano.

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Jessica Fyfe et Erico Montes. Saluts. Adieux.

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Libra est une autre addition d’urgence au répertoire de la compagnie. Le chorégraphe anglais George Williamson a créé ce duo pour l’occasion. Encore sur une musique en ostinato, cette fois-ci de Peter Gregson, deux danseuses aux justaucorps très maillot de plage, un noir, un bleu, entrent sur scène en déboulés. S’ensuit tout un jeu d’imbrication des corps rapides et bien réglé qui, au soir du 25 mars, finit par lasser. La musique nous parait tomber dans l’orchestration sirupeuse de même que la chorégraphie. Pourtant, les deux interprètes sont nos deux Kitri de décembre, Nancy Osbaldeston (en bleu) et Natalia de Froberville (en noir). On avait apprécié, lors de deux soirées séparées, le contraste entre la perfection classique teintée d’une pointe d’humour de Froberville, qui en faisait une authentique Kitri-Dulcinée de l’acte 2, et l’efficacité terrienne et premier degré d’Osbaldeston qui faisait merveille sur la place de Séville à l’acte 1. Mais présentés ensemble, les styles des deux danseuses ne communiquent pas. Aucun jeu ne naît de leur apposition.

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Libra. Nancy Osbaldeston et Natalia de Froberville. Photographie David Herrero.

L’impression est diamétralement opposée le 26. Là aussi les deux danseuses ne se ressemblent pas. Sofia Caminiti (en bleu) est une gracieuse liane et Marlen Fuerte (en noir) une belle statue. Mais ici, leurs différences introduisent une forme de dialectique dans leurs évolutions au fur et à mesure qu’avance le ballet. Caminiti est l’élément végétal tandis que Fuerte est l’animal. Et le jeu d’imbrications prend du corps.

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Libra. Sofia Caminiti et Marlen Fuerte. Photographie David Herrero.

La pièce reste certes d’occasion mais elle peut donc offrir un plaisant moment de danse.

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Loin Tain de Michel Kelemenis était la seule création de la soirée initialement prévue par Kader Belarbi. Sur le concerto pour violoncelle et orchestre d’Henri Dutilleux, « Tout un Monde lointain », le chorégraphe se proposait d’évoquer les noirs profonds de la peinture de Pierre Soulages, récemment disparu. La scénographie de Bruno de Lavenère, constituée de deux couches de rideaux de chaînettes qui montent et descendent dans les cintres sur un fond noir, n’est pas loin de donner l’impression des coups de brosse de l’artiste sur ses monochromes. Les garçons, habillés en blanc, portent des tee-shirts qui évoquent le bleu électrique qui incendie parfois les noirs du peintre. Leur lèvres sont carminées.

La pièce commence par une scène charmante, dans le silence, où Amaury Barreras Lapinet traverse la scène de cour à jardin avec une gestuelle cartoonesque : petits sauts avec jambes qui gigotent en l’air, prestes voltes-faces. Le danseur semble appelé-attiré par le bout de sa main puis par la danseuse Kayo Nakazato, parfaite tentatrice entrée à jardin. Le charmant Puck de Barreras sera l’acmé de la pièce.

Car avec l’introduction de la musique de Dutilleux, l’ambiance change du tout au tout et devient sombre et absconse.  Kayo Nakasato, la ligne acérée, fait une sorte de variation reprise à l’identique derrière le rideau de chaînes par une autre fille. L’effet de miroir et de transparence n’est pas abouti. Les éclairages de Rémi Colas auraient gagné à être plus tranchés et plus translucides. Puis Nakasato est lancée en toute droite en l’air par 4 garçons et pousse de petits cris. La salle rit une fois puis devient atone à la répétition de cette facétie.

La gestuelle de Kelemenis est « contemporaine ». Chacun reste enfermé dans sa kinésphère ; les sauts, initiés par des jambes en parallèle, sont ancrés dans le sol. Les portés, à l’inverse de ceux d’un Kylian, focalisent l’attention du spectateur sur les points de contacts entre les corps. La gestuelle est anguleuse comme lors de ces marches en parallèle où les bras très tendus font un va-et-vient avec des poignets cassés à l’inverse. Kelemenis connaît son affaire.

Mais Kayo Nakasato a beau prendre la position couchée de dos sensuelle d’une déesse de Bourdelle, on peine à voir émerger une quelconque intimité entre ces dix-sept corps qui se croisent et se touchent pourtant de près. L’interaction entre la danseuse et Minoru Kaneko est avortée et ce n’est pas comme si celle avec Simon Catonnet, pourtant listé comme interprète soliste, était plus aboutie. Au fond, Kayo Nakasato n’aura jamais autant communiqué qu’avec son premier partenaire, Barreras Lapinet, qui termine le ballet dans la pose de la déesse de Bourdelle.

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Loin Tain. Kayo Nakazato et Amaury Barreras Lapinet

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C’est la deuxième fois cette saison qu’Amaury Barreras Lapinet, longtemps discret au sein du corps de ballet, révèle son talent facétieux (déjà perceptible une première fois dans son duo de petits chevaux avec Philippe Solano dans Les Saltimbanques en 2021). C’est ce que j’ai aimé toutes ces années dans le ballet du Capitole de Toulouse : voir éclore des personnalités au sein d’un groupe cohérent dans sa diversité.

Espérons qu’il y aura encore beaucoup de jolies surprises comme celle-ci à l’avenir. Mais cela ne se fera assurément pas en l’absence d’une direction et d’un répertoire original, propre à la compagnie …

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Les Balletos d’or 2018-2019

Gravure extraite des « Petits mystères de l’Opéra ». 1844

La publication des Balletos d’or 2018-2019 est plus tardive que les années précédentes. Veuillez nous excuser de ce retard, bien indépendant de notre volonté. Ce n’est pas par cruauté que nous avons laissé la planète ballet toute entière haleter d’impatience une semaine de plus que d’habitude. C’est parce qu’il nous a quasiment fallu faire œuvre d’archéologie ! Chacun sait que, telle une fleur de tournesol suivant son astre, notre rédaction gravite autour du ballet de l’Opéra de Paris. Bien sûr, nous avons pléthore d’amours extra-parisiennes (notre coterie est aussi obsessionnelle que volage), mais quand il s’est agi de trouver un consensus sur les les points forts de Garnier et Bastille, salles en quasi-jachère depuis au moins trois mois, il y a eu besoin de mobiliser des souvenirs déjà un peu lointains, et un des membres du jury (on ne dira pas qui) a une mémoire de poisson rouge.

 

Ministère de la Création franche

Prix Création : Christian Spuck (Winterreise, Ballet de Zurich)

Prix Tour de force : Thierry Malandain parvient à créer un ballet intime sur le sujet planche savonnée de Marie Antoinette (Malandain Ballet Biarritz)

Prix Inattendu : John Cranko pour les péripéties incessantes du Concerto pour flûte et harpe (ballet de Stuttgart)

Prix Toujours d’Actualité : Kurt Jooss pour la reprise de La Table Verte par le Ballet national du Rhin

Prix Querelle de genre : Les deux versions (féminine/masculine) de Faun de David Dawson (une commande de Kader Belarbi pour le Ballet du Capitole)

Prix musical: Goat, de Ben Duke (Rambert Company)

Prix Inspiration troublante : « Aimai-je un rêve », le Faune de Debussy par Jeroen Verbruggen (Ballets de Monte Carlo, TCE).

Ministère de la Loge de Côté

Prix Narration : François Alu dans Suites of dances (Robbins)

Prix dramatique : Hugo Marchand et Dorothée Gilbert (Deux oiseaux esseulés dans le Lac)

Prix Versatilité : Ludmila Pagliero (épileptique chez Goecke, oiseau chez Ek, Cendrillon chrysalide chez Noureev)

Pri(ze) de risque : Alina Cojocaru et Joseph Caley pour leur partenariat sans prudence (Manon, ENB)

Prix La Lettre et l’Esprit : Álvaro Rodriguez Piñera pour son accentuation du style de Roland Petit (Quasimodo, Notre Dame de Paris. Ballet de Bordeaux)

Prix Limpidité : Claire Lonchampt et son aura de ballerine dans Marie-Antoinette (Malandain Ballet Biarritz).

Ministère de la Place sans visibilité

Prix Singulier-Pluriels : Pablo Legasa pour l’ensemble de sa saison

Prix Je suis encore là : Le corps de Ballet de l’Opéra, toujours aussi précis et inspiré bien que sous-utilisé (Cendrillon, Le lac des Cygnes de Noureev)

Prix Quadrille, ça brille : Ambre Chiarcosso, seulement visible hors les murs (Donizetti-Legris/Delibes Suite-Martinez. « De New York à Paris »).

Prix Batterie : Andréa Sarri (La Sylphide de Bournonville. « De New York à Paris »)

Prix Tambour battant : Philippe Solano, prince Buonaparte dans le pas de deux de la Belle au Bois dormant (« Dans les pas de Noureev », Ballet du Capitole).

Prix Le Corps de ballet a du Talent : Jérémy Leydier pour A.U.R.A  de Jacopo Godani et Kiki la Rose de Michel Kelemenis (Ballet du Capitole de Toulouse)

Prix Seconde éternelle : Muriel Zusperreguy, Prudence (La Dame aux camélias de Neumeier) et M (Carmen de Mats Ek).

Prix Anonyme : les danseurs de Dog Sleep, qu’on n’identifie qu’aux saluts (Goecke).

Ministère de la Ménagerie de scène

Prix Cygne noir : Matthew Ball (Swan Lake de Matthew Bourne, Sadler’s Wells)

Prix Cygne blanc : Antonio Conforti dans le pas de deux de l’acte 4 du Lac de Noureev (Programme de New York à Paris, Les Italiens de l’Opéra de Paris et les Stars of American Ballet).

Prix Gerbille sournoise (Nuts’N Roses) : Eléonore Guérineau en princesse Pirlipat accro du cerneau (Casse-Noisette de Christian Spuck, Ballet Zurich).

Prix Chien et Chat : Valentine Colasante et Myriam Ould-Braham, sœurs querelleuses et sadiques de Cendrillon (Noureev)

Prix Bête de vie : Oleg Rogachev, Quasimodo tendre et brisé (Notre Dame de Paris de Roland Petit, Ballet de Bordeaux)

Prix gratouille : Marco Goecke pour l’ensemble de son œuvre (au TCE et à Garnier)

Ministère de la Natalité galopante

Prix Syndrome de Stockholm : Davide Dato, ravisseur de Sylvia (Wiener Staatsballett)

Prix Entente Cordiale : Alessio Carbone. Deux écoles se rencontrent sur scène et font un beau bébé (Programme « De New York à Paris », Ballet de l’Opéra de Paris/NYCB)

Prix Soft power : Alice Leloup et Oleg Rogachev dans Blanche Neige de Preljocaj (Ballet de Bordeaux)

Prix Mari sublime : Mickaël Conte, maladroit, touchant et noble Louis XVI (Marie-Antoinette, Malandain Ballet Biarritz)

Prix moiteur : Myriam Ould-Braham et Audric Bezard dans Afternoon of a Faun de Robbins (Hommage à J. Robbins, Ballet de l’Opéra de Paris)

Prix Les amants magnifiques : Amandine Albisson et Audric Bezard dans La Dame aux camélias (Opéra de Paris)

Ministère de la Collation d’Entracte

Prix Brioche : Marion Barbeau (L’Été, Cendrillon)

Prix Cracotte : Emilie Cozette (L’Été, Cendrillon)

Prix Slim Fast : les 53 minutes de la soirée Lightfoot-Leon-van Manen

Prix Pantagruélique : Le World Ballet Festival, Tokyo

Prix indigeste : les surtitres imposés par Laurent Brunner au Marie-Antoinette de Thierry Malandain à l’Opéra royal de Versailles

Prix Huile de foie de morue : les pneus dorés (Garnier) et la couronne de princesse Disney (Bastille) pour fêter les 350 ans de l’Opéra de Paris. Quand ça sera parti, on trouvera les 2 salles encore plus belles … Merci Stéphane !

Prix Disette : la deuxième saison d’Aurélie Dupont à l’Opéra de Paris

Prix Pique-Assiette : Aurélie Dupont qui retire le pain de la bouche des étoiles en activité pour se mettre en scène (Soirées Graham et Ek)

Ministère de la Couture et de l’Accessoire

Prix Supersize Me : les toujours impressionnants costumes de Montserrat Casanova pour Eden et Grossland de Maguy Marin (Ballet du Capitole de Toulouse)

Prix Cœur du sujet : Johan Inger, toujours en prise avec ses scénographies (Petrouchka, Ballets de Monte Carlo / Carmen, Etés de la Danse)

Prix à côté de la plaque : les costumes transparents des bidasses dans The Unknown Soldier (Royal Ballet)

Prix du costume économique : Simon Mayer (SunbengSitting)

Prix Patchwork : Paul Marque et ses interprétations en devenir (Fancy Free, Siegfried)

Prix Même pas Peur : Natalia de Froberville triomphe d’une tiare hors sujet pour la claque de Raymonda (Programme Dans les pas de Noureev, Ballet du Capitole)

Ministère de la Retraite qui sonne

Prix Laisse pas traîner tes bijoux n’importe où, Papi : William Forsythe (tournée du Boston Ballet)

Prix(se) beaucoup trop tôt : la retraite – mauvaise – surprise de Josua Hoffalt

Prix Sans rancune : Karl Paquette. Allez Karl, on ne t’a pas toujours aimé, mais tu vas quand même nous manquer !

Prix Noooooooon ! : Caroline Bance, dite « Mademoiselle Danse ». La fraicheur incarnée prend sa retraite

Prix Non mais VRAIMENT ! : Julien Meyzindi, au pic de sa progression artistique, qui part aussi (vers de nouvelles aventures ?)

Louis Frémolle par Gavarni. « Les petits mystères de l’Opéra ».

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A Toulouse : Nijinski, à bras le corps

Toulouse, La Halle aux Grains

Programme « Nijinski, Clown de Dieu ». Ballet du Capitole. La Halle aux grains. Œuvres de John Neumeier, Michel Kelemenis, David Dawson et Stijn Celis. Jonas Vitaud et Nino Pavlenischvili (pianistes), Victoire Bunel (Mezzo-soprano). Soirées des vendredi 21 juin et samedi 22 juin 2019.

Lorsqu’on pense à Nijinski, on pense avant tout aux bras. On sait bien sûr qu’il marqua les esprits par son incroyable ballon et par sa batterie, mais, comme il n’a jamais été filmé (Diaghilev était contre, sans doute à raison), ce qui nous reste de lui ce sont des poses sur des photographies et des affiches. Sur celles-ci, on est souvent fasciné par ses bras et ses mains. Palimpsestes de son génie, un siècle après qu’il eut définitivement cessé de danser pour se reclure dans la folie, ces mains des Orientales, ces mains du Faune ou ces ports de bras du Spectre de la Rose paraissent immenses. Pourtant des témoins du temps, qui avaient vu le danseur dans la « vraie » vie, avaient été choqués de constater combien tout était court chez lui, y compris ses mains.

L’une des nombreuses qualités du programme de Kader Belarbi, « Nijinski Clown de Dieu » (un terme dont le danseur s’était affublé lui-même dans ses mémoires et que Maurice Béjart avait déjà choisi pour l’un de ses ballets) était de nous offrir le plus souvent une évocation et une réflexion sur ces positions iconiques.

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Vaslaw. Philippe Solano. Photographie David Herrero.

Vaslaw de John Neumeier (1979), qui ouvrait le programme, est un ballet plus émancipé de la chronologie de la vie de Nijinski que d’autres plus tardifs et plus narratifs  produits par le maître de Hambourg (Nijinski en 2000 ou Le Pavillon d’Armide en 2009).  Sur scène, un danseur en blanc, Vaslaw, est entouré par quatre couples et une soliste en vert qui évoluent sur les variations pour Clavier bien tempéré et les Suites françaises de Bach. Les pièces choisies par Neumeier seraient celles qu’avait prévues Nijinski pour un grand ballet abstrait qui ne vit jamais le jour. Pour autant, les pas de deux qui se succèdent autour de l’interprète principal, souvent figé dans des pauses réflexives, sont moins des spéculations sur ce qu’aurait pu être le ballet rêvé par Nijinski qu’un ballet de John Neumeier, comme il en faisait dans les années 80 : on pense à la Passion selon Saint Mathieu (1981), ou au Magnificat (1987) pour le ballet de l’Opéra. Les évolutions de ces couples ne sont pas non plus sans évoquer celles du corps de ballet de Sylvia (1997). On s’émerveille encore et toujours de la qualité d’invention et d’expressivité développée pour les couples. Au début, les filles des trois premiers duos exécutent de curieux piétinés en parallèle, et basculent sur un axe, rendu possible par le partenaire placé derrière chacune d’elles, qui leur donne l’air d’être de petites hélices articulées sur pivot. Cet ensemble est suivi par un premier pas de deux, plutôt mélancolique (avec de jolies promenades sur pointe en petite seconde, de nouveau sur un axe décalé). Natalia de Froberville se montre élégiaque à souhait aux bras de Simon Catonnet qui semble avoir gagné en présence depuis le début de saison. Le deuxième pas de deux est plus explosif et badin. La danseuse, sous l’impulsion énergique de son partenaire, accomplit des sauts en l’air très droits sur son axe. Julie Charlet est à la fois charme et précision aidée par le partenariat très sûr de Philippe Solano. Un troisième pas deux, dans la même veine badine, met en valeur la belle allure de Florencia Chinellato et la prestance de Timofiy Bykovets.

Le quatrième couple (Alexandra Surodeeva et Minoru Kaneko) n’apparaît que tardivement dans la pièce. C’est un pas de deux qui commence par une succession de passages quasi-géométriques d’une position académique à une autre mais qui, finalement, se mue en un pas de trois avorté. Le danseur principal se mêle en effet à ce duo pour quelques portés : on pense au pas de trois « de la mort » dans Sérénade. Le chorégraphe évoquerait-il le dédoublement de personnalité du mythique danseur ou l’infidélité de sa femme, Romola, ayant une aventure avec son psychiatre ? Qui sait ? Et peu importe. La qualité de Vaslaw est justement de soigneusement éviter les arcanes du narratif.

Vaslaw. Ramiro Gomez Samon, Aleksandra Surodeeva et Minoru Kaneko. Photographie David Herrero

Dans le ballet de Neumeier, Vaslaw est un être à part qui interagit très peu avec ce qui se passe sur scène. Cette forme est sans doute liée à l’histoire de la création du ballet qui a été pensé pour Patrick Dupond à l’occasion de l’édition 1980 du gala Nijinsky. La jeune étoile internationale s’est sans doute greffée aux autres couples qui avaient travaillé en amont. Mais dans ce cas, cette contingence fait sens. Le danseur principal, omniprésent mais souvent immobile, ne s’identifie comme Nijinski qu’au travers de subreptices poses pourtant clairement reconnaissables : celle du Faune (la pose grecque, de profil avec les poignets cassés) ou encore l’arabesque du Spectre de la Rose telle que représentée dans la célèbre affiche pour la saison de Monte Carlo en 1911. D’autres ports de bras, non rattachés spécifiquement à Nijinsky, font prendre au danseur des positions d’écoute ou d’orant. Le danseur achève le ballet en traversant lentement la scène en diagonale pour s’asseoir sur un banc. En revanche, les deux variations qu’interprète le danseur sont redoutables, avec des promenades et des arabesques penchées qui interviennent après des sauts en l’air. Ramiro Gómez Samón, le Vaslaw de la première distribution joue sur le rapport à la musique et sur l’aspect géométrique de sa chorégraphie. Il marque la folie par des sortes d’affolements dans la musicalité (il semble au bord de se mettre en dehors de la musique sans vraiment le faire). C’est une approche intéressante qui fait pardonner quelques petites raideurs de réception ou des recherches d’équilibre un peu voyantes. Philippe Solano, en deuxième distribution, évoque par sa plastique l’Apollon de Balanchine ou le Paul Taylor d’Auréole. Il paraît au début plus serein mais indique par de petits spasmes dans le cou et dans le dos les fêlures de son personnage. Là encore, l’angle de vue apporté est stimulant. On avouera un petit faible pour cette seconde distribution, principalement en raison de la célèbre variation féminine, que les balletomanes d’une certaine génération ont vu de nombreuses fois les jours de concours annuel du corps de ballet à l’Opéra de Paris. En première distribution, Kayo Nakazato déploie certes une belle musicalité mais la fluidité qu’elle donne à la gestuelle de la variation, notamment lors de la pose au poing fiché dans le sol qui la débute et s’offre ensuite comme un leitmotiv, laisse perplexe. Elle use de sa très belle longue chevelure de jais qui glisse comme des fils de soie sur son visage. L’effet est saisissant mais lasse à la longue. Telle qu’elle se présente, la danseuse ressemble à une belle ménade, une vision mythologique, mais elle n’endosse pas la psyché et les tourments de Vaslaw. En seconde distribution, Tiphaine Prévost se montre beaucoup plus dans l’esprit contemporain du solo (elle est la seule fille qui ne soit pas sur pointes mais pieds nus). Par son énergie plus condensée et violente, elle incarne à merveille les tourments de l’homme et du créateur.

Vaslaw. Tiphaine Prevost. Photographie David Herrero

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Kiki La Rose. Jérémy Leydier. Saluts.

Kiki La Rose de Michel Kelemenis, une pièce de 1998, bien que de technique différente, n’est pas sans points communs avec le ballet de John Neumeier. La narration élusive en est un. L’attention portée aux bras et aux mains en est un autre. Mais ce deuxième élément, qui n’est qu’un aspect du ballet de Neumeier, représente le cœur même de l’œuvre de Kelemenis. Très intelligemment, le chorégraphe a décidé de ne pas utiliser la célèbre Invitation à la Valse de Carl Maria von Weber mais les deux premières mélodies extraites des Nuits d’été de Berlioz, Villanelle et Le spectre de la Rose sur des poèmes de Théophile Gautier qui ont fourni son argument au ballet. Dans Kiki, on ne trouve pas ou peu de ces sauts qui ont rendu Nijinsky célèbre. Un garçon entre et fait glisser au sol son peignoir vert, qui évoque à la fois les soies de Fortuny et les feuillages d’un rosier. Le Spectre de la première distribution (vu le 22 juin), Rouslan Savdenov, sensible à l’aspect mélodique de la partition de Berlioz réduite pour le piano, virevolte sur la musique avec aisance et subtilité. Mais ses ports de bras restent très formels, voire un tantinet parodiques à force d’être affectés. Jérémy Leydier, le 21 juin, met plus l’accent sur l’atmosphère qui se dégage des deux mélodies (parole et musique confondues). Il charge d’une forme de densité musculaire les ports de bras et les gestes de mains où le chorégraphe joue à cache-cache avec le poème de Gautier. Ses mains sont tour à tour œil qui s’ouvre comme une corolle récalcitrante, pistil qu’on froisse pour libérer des fragrances ou couronne végétale dont on se ceint le front. Jeremy Leydier savait être à la fois le séducteur du bal, la rose et son parfum. Il s’accordait bien au timbre capiteux de la mezzo soprano Victoire Bunel. Avec lui, on avait le sentiment, à la fin, d’avoir assisté à une version masculine de la Mort du cygne.

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Faune. Florencia Chinellato et Natalia de Froberville. Photographie David Herrero.

Faun de David Dawson avait dans la soirée un statut particulier. Cette œuvre de 2009 a été l’objet d’une requête de la part de Kader Belarbi. Il a en effet demandé au chorégraphe de lui permettre de donner ce duo créé pour deux hommes à deux danseuses en première distribution. Le 21 juin, soir de la fête de musique, le directeur était visiblement enthousiaste à l’idée de présenter à la suite l’une de l’autre les deux versions, la féminine et la masculine. Cette présentation a d’ailleurs été réitérée le jour suivant.

Dans sa version féminine, celle qui aura fait découvrit ce Dawson à Toulouse, le ballet paraît plus une réflexion sur la réduction pour deux pianos à queue de sa partition par Debussy qu’une évocation du Faune de Nijinski. Une soliste (Natalia de Froberville) ouvre le ballet dans le silence avant d’être rejointe par une seconde (Florencia Chinellato). Les ports de bras tournoyants, les pirouettes rapides très bas placées sur la cambrure du pied et sur genoux pliés, les jolis cambrés du dos de Natalia de Froberville sont fascinants par leur musicalité et leur perfection formelle. Florencia Chinellato quant à elle, séduit par sa sérénité jusque dans les passages les plus véloces. Mais avec les deux danseuses, on voit des cygnes, des ailes du papillon, êtres fort peu dionysiaques. On assiste à un bucolique bain des nymphes. Avec les garçons, la dimension faunesque et l’hommage à l’original de Nijinski apparaissent de manière plus évidente. Philippe Solano mime à merveille les oreilles du Faune. L’affectation des poses et des cambrés rend beaucoup mieux compte de l’androgynie un peu sulfureuse du danseur mythique. Elle est même décuplée quand apparaît le second protagoniste, Ramiro Gómez Samón. La dimension agonale du duo est également plus évidente. À la fin du ballet, dans la version féminine, la première protagoniste désigne quelque chose à sa partenaire et lui murmure un secret. Les mêmes gestes chez les garçons résonnent plus comme un défi et un pied de nez. On avoue avoir été plus sensible à la proposition originale du chorégraphe.

Faun. David Dawson. Ramiro Gomez Samon et Philippe Solano. Photographie David Herrero

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Petrouchka par le chorégraphe belge Stijn Celis était une création pour le ballet du Capitole. Dans sa déclaration d’intentions, le chorégraphe se montre soucieux de dialoguer avec la musique de Stravinski ainsi qu’avec les « trois autres écritures chorégraphiques puissantes » auxquelles il a été associé. Cette intention est louable mais c’est peut-être la principale raison pour laquelle on s’est un peu perdu en chemin. L’écriture ne manque pourtant pas de caractère. Les danseurs accomplissent des petites courses sonores et entrechoquent leurs corps avec des bruits sourds. Ils ressemblent parfois à des insectes pris au piège ou à des boites à musique déréglées (troisième mouvement : la chambre du maure). Des ports de bras saccadés et personnels à chaque danseur les individualisent même si leurs visages sont occultés par de grandguignolesques masques de Lucha Libre (l’un d’entre eux se parant à l’occasion d’une langue grotesque). Jérémy Leydier – encore lui – est immanquable lorsqu’il marche avec le haut du dos courbé, les mains collées à la couture du pantalon. Son corps prend la forme d’une virgule qui aurait acquis le pouvoir sécant d’un point. En fait, ce qui manque le plus dans ce ballet c’est un Petrouchka, même si Kayo Nakazato, première à tomber le masque, semble s’imposer dans le mouvement de la chambre de la marionnette. On apprécie les citations de ports de bras des autres pièces de la soirée, la volonté d’évacuer la narration et, un peu moins, le jeu de cheveux lâchés de Kayo Nakazato. Mais on aurait souhaité que le chorégraphe se mette moins dans la perspective de la soirée et plus dans celle de son ballet en tant qu’œuvre indépendante. Il aurait sans doute alors repéré que l’essence de Nijinsky dans Petrouchka, c’était l’individu opprimé par un groupe et non pas un groupe, qu’il soit d’opprimés ou d’oppresseurs.

Petrouchka. Stijn Celis. Photographie David Herrero

Quoi qu’il en soit, on ressort de ce dernier programme de la saison 2018-2019 du Ballet du Capitole avec beaucoup d’images fortes en tête et d’idées à méditer. Peu de compagnies de tradition classique en France peuvent se targuer d’offrir des propositions aussi riches au public national. Rendez-vous la saison prochaine ?

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Soirée Jeunes Danseurs: Cherchez le sens !

P1010032 Soirée Jeunes danseurs, représentation du 18 avril 2014 – Extraits de Wuthering Heights (Kader Belarbi), Les Enfants du paradis (Martinez), La Source (Jean-Guillaume Bart), Réversibilité (Michel Kelemenis), Le Parc(Angelin Prejlojcaj), Caligula (Nicolas Le Riche), Quatre figures dans une pièce (Nicolas Paul), Fugitif (Sébastien Bertaud), Genus (Wayne McGregor), Amoveo (Benjamin Millepied). Orchestre de l’Opéra national de Paris dirigé par Marius Stieghorst.

 

C’est une soirée « Merci Brigitte », entrelaçant des pièces dues aux « talents maison » (dans l’ordre alphabétique : Bart, Belarbi, Bertaud, Le Riche, Martinez, Paul) et/ou commandées durant le long mandat de Brigitte Lefèvre à l’Opéra de Paris (Kelemenis, McGregor, Millepied, Preljocaj). Le talent de programmation de la directrice de la danse sortante s’y exerce à plein tube, avec des réminiscences à tisser soi-même d’une pièce à l’autre : les postures d’amours enfantines de Wuthering Heights font écho aux figures de drague d’Amoveo (Millepied), dont certains portés convoquent le souvenir du dernier pas de deux du Parc de Preljocaj (qui me semble toujours devoir son succès plus à Mozart qu’à ses mérites propres). Et on peut aussi percevoir une ambiance méditative, pétrie de nuit, de silence ou de cuicui électronique, aussi bien dans le début en ombres chinoises des extraits de l’acte II des Enfants du paradis (pastiche de grand pas de l’acte de Robert Macaire) que par éclats dans Caligula (Le Riche), Genus (McGregor) ou Quatre figures dans une pièce (Paul).

L’absence totale de pièces classiques rompt avec la tradition des séries Jeunes danseurs – dont les précédentes éditions comportaient toutes au moins un extrait d’une production Noureev, du Petipa ou du Balanchine – qui permettait aux jeunes pousses de tenter leur chance dans des rôles mythiques, redoutés et convoités, avant de pouvoir y prétendre par leur grade ou leur expérience.

Privée de sa raison d’être originelle, la soirée réunit tout de même 25 danseurs (9 filles et 16 garçons) dans une pratique du saucissonnage de gala pas toujours très heureuse. La Source en fait les frais, avec des extraits présentés sans logique narrative apparente, et du coup dépouillés d’émotion (Djémil adresse ses prouesses au vide, Zaël danse tout seul un passage où il devrait avoir quatre acolytes…). Il faudrait une interprétation d’exception pour rattraper l’affaire, et on en est loin – c’est la pièce techniquement la plus exigeante du programme –, malgré les jolis bras d’Alice Catonnet. Les jeunes danseurs paraissent plus à leur aise – ce n’est ni surprenant ni réjouissant – dans des pièces plus faciles et payantes, quand bien même certaines d’entre elles ne laisseront qu’une empreinte fugace en mémoire (Fugitif, de Sébastien Bertaud, qui précède et imite l’extrait de la pièce de McGregor, et se réclame aussi de Cunningham – si j’en crois le programme qui n’a manifestement pas été relu, la citation de Merce comportant une coquille ; en passant, notons que le prix est le même que d’ordinaire, malgré une pagination réduite, selon un principe de shrinkflation qu’on croyait l’apanage de l’industrie agroalimentaire).

Nicolas Paul a récemment chorégraphié les danses de Platée à l’Opéra-Comique, sur un cahier des charges bête et limitatif du metteur en scène Robert Carsen. Quatre figures dans une pièce, créé en 2007, est bien plus personnel. Quatre bonshommes en pantalon de pyjama évoluent chacun dans un carré de lumière d’environ deux mètres sur deux, qu’ils s’emploient à rapetisser eux-mêmes à la craie, avant de s’en affranchir partiellement. Créé à l’origine pour un espace restreint – le musée Picasso de Málaga – Quatre figures crée un intrigant jeu avec l’espace, explore la répétition musicale (comme sait faire Anne Teresa De Keersmaeker avec Steve Reich) tout en créant un sens du développement (comme ne sait pas faire Benjamin Millepied sur Philip Glass), qui pousse le spectateur à se demander à chaque instant ce qui va bien pouvoir se passer après. Et voilà comme on peut trouver un intérêt de découverte à une soirée dont la logique s’est évanouie depuis belle lurette. Les danseurs – Daniel Stokes, Julien Cozette, Maxime Thomas, Antonin Monié – ne sont pas tous vraiment « jeunes », mais à ce stade on s’en contrefiche.

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