Forsythe au Boston Ballet : grosse fatigue

Boston Ballet. Programme Jiri Kylian / William Forsythe. Théâtre des Champs-Elysées. Mardi 9 avril 2019

Voir le nom de Forsythe inscrit sur une affiche est toujours une incitation à la dépense, même lorsqu’il s’agit du très onéreux Théâtre des Champs Élysées. Ces dernières années, on a bien appris à se méfier, le chorégraphe américain de Francfort ayant tendance à donner de manière un peu trop libérale ses pièces à n’importe qui. Mais dans ce cas précis, avec la venue du Boston Ballet à Paris, on pensait pouvoir se lancer les yeux fermés. Pensez. Le grand Billy, de retour sur le tard dans sa patrie d’origine, a choisi la ville de Boston pour se fixer et a même accepté d’y enseigner. La compagnie venait, de plus, présenter un ballet spécialement créé pour elle par le maître quelques semaines auparavant.

Pourtant on a très vite déchanté. Dès l’entrée de la première fille dans Pas/Parts 2018 (une relecture très proche du ballet d’origine créé pour le ballet de l’Opéra de Paris en 1999), il était clair qu’on n’y trouverait pas son compte : absence de surprise dans les départs de mouvement (toute l’énergie est concentrée dans les extrémités et non dans des zones inusitées et changeantes de l’ensemble du corps), présentation ostentatoire et sans mystère de la danse avec sourire ultrabright à la clé, arabesques forcées et trop ouvertes. On se retrouvait devant la collection navrante et habituelle de tous les maniérismes de la chorégraphie post-forsythienne. Plus grave, la musicalité des danseurs de Boston paraît plaquée et « comptée », ce qui annule tout effet inopiné. On les voit entrer et se placer avant leur « variation ». Les fulgurances techniques ne semblent plus sortir du mouvement quotidien et deviennent, pour le coup, bien triviales. Un duo de filles que j’apprécie habituellement beaucoup, où les deux interprètes, comme absorbées dans leur propre mouvement, trouvent pourtant le moyen de se répondre en écho, a été raboté. Ces deux jeunes filles qui passent leur temps à checker avec un air enjoué évoquent plutôt les petites amies de Kitri à l’acte 1 de Don Quichotte. Il ne leur manque que les peignes et les éventails.

Dès lors, on se prend à s’ennuyer…

Mais pour tout dire, on a presque regretté cet ennui au vu de la création en première française, de Playlist (EP). A priori, le principe ressemble à celui de Blake Works : une bande-son d’aujourd’hui pour une chorégraphie somme toute classique. Mais, si au début, devant la cohorte de garçons habillés de leggings et de teeshirts d’un bleu et d’un fuchsia outrageux, on essaye de se rassurer en se souvenant des doutes qui nous avaient assaillis durant les premières minutes de Blake Works, on doit se rendre à l’évidence. Entre voguing, crumping et un soupçon de twerk saupoudrés sur de la pyrotechnie passe-partout, on ne quitte jamais vraiment l’atmosphère de salle de sport. On ne peut non plus s’empêcher de penser que ce ballet aurait été dansé avec plus de flair et d’élasticité par la troupe d’Alvin Ailey.

Et puis, devant les évolutions girly des filles en tunique à jupette fuchsia, vient le coup de grâce… Cette pièce du maître révéré de Francfort nous évoque ni plus ni moins… l’embarrassant ballet qui clôture (et discrédite) le film Center Stage (1999) avec Ethan Stiefel et Sasha Radetsky.

Seul moment à sauver ? Le premier pas de deux où un grand barbu, Roddy Doble, délivre –enfin !- avec sa partenaire (Chrystyn Mariah Fentroy ?) un échange dont les ports de bras sont naturels, les torsions du corps inattendues et le dos vivant. Ce même danseur, dans un Wings of Wax de Kylian dont la subtile chorégraphie par contrepoints avait été jusque là empâtée par la physicalité univoque des danseurs, nous avait déjà ému dans le pas de deux final par la prestesse de son bas de jambe et ses ports de bras, alternant tension et douceur.

Mais voilà venu le temps des saluts et des ovations. Les spectateurs savent-ils que Twyla Tharp faisait déjà danser les filles en pointes sur de la pop à la fin des années 70 ? Et le maître est là, saluant avec les danseurs, apparemment satisfait. C’est son droit. N’a-t-il pas même donné le duo de Léonore Baulac et de François Alu de Blakes Works en répétition à deux interprètes de Boston ? Et tant pis si on reconnaît la musique mais pas la chorégraphie (il s’agit pourtant une fois encore de Roddy Doble).

En ce mardi 9 avril, William Forsythe m’a paru bien fatigué et son art, le ballet, m’a semblé bien vieilli.

 

 

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