Archives mensuelles : novembre 2015

Bayadère : les voies du « N’y r’va pas »

BastilleLa Bayadère, Ballet de l’Opéra de Paris. Soirée du mardi 24 novembre 2015.

L’Acte 1 de la Bayadère est souvent un réservoir des possibles. Dans ce ballet à l’argument faiblard (les deux premiers actes ont été récemment classés dans la catégorie « nanard » par Sylvie Guillem), le personnage principal masculin a vite fait de devenir falot (car indécis) ou salaud (car parjure) ; et parfois les deux à la fois. Josua Hoffalt-Solor se présente avec trois très beaux grands jetés identiques. Il a toujours l’air du mâle assuré de plaire. Il n’a pas son pareil pour intimer des ordres au Fakir d’Antonin Monié [edit : Hugo Vigliotti. Un changement que l’Opéra a omis d’annoncer en début de représentation] (mais oublie de lui dire qu’il ne faut pas trop forcer sur le fond de teint afin de ne pas laisser des traces partout où il s’est traîné). Lorsqu’on lui présente Gamzatti, il a l’air boudeur d’un Achille prêt à se retirer sous sa tente. Il cille néanmoins avec art au lever du voile pour montrer son appréciation de la beauté de la princesse. Solor-Josua serait-il un prince changeant ?

On ne peut guère être que dans l’expectative. Nikiya-Albisson, un peu à l’économie au premier acte, reste un mystère. Ses poses manquent de relief dans la première variation du temple comme ses piqués de suspendu lors du passage à la cruche. Elle n’est pas aidée par son grand Brahmane qui tente de la bisouiller à la manière d’un acteur de boulevard (Chérie ! Ma femme est sortie).

Elle est en revanche beaucoup plus inspirée dans son adage à l’esclave (Florent Magnenet) . Elle y instaure une atmosphère réflexive et apaisée. Mais sa relation à Solor se résume à un accord des lignes qui, avec un peu d’imagination, devra tenir lieu de connexion des âmes.

P1100901La Gamzatti de Valentine Colasante est dans la veine des princesses altières et cruelles. Dans sa scène de confrontation, elle savoure chacune des humiliations infligées à sa rivale et triomphe lorsque la danseuse sacrée lâche au sol son poignard.

À l’acte deux, cette interprétation acquiert un vernis supplémentaire de cruauté. Gamzatti-Colasante reste impassible pendant tout le drame, y compris quand Nikiya, piquée par le serpent caché dans la corbeille l’accuse de l’attentat – il faut dire aussi que, pour cette reprise 2015, le bouquet prétendument offert par Solor à la bayadère est aux couleurs du tutu de la princesse. Jusqu’où une danseuse sacrée peut-elle être cruche ? Cette impassibilité glace le sang. Lorsque le rideau se baisse sur la fête des fiançailles, on a le sentiment qu’il n’y a aucun mariage de prévu à l’horizon. Le père et sa fille ont juste donné une cruelle leçon à Solor qui sera désormais confiné sur ses terres dans l’attente de subir tôt ou tard le même sort que sa maitresse. Quel dommage que cette interprétation dramatique forte de Valentine Colasante n’ait pas trouvé son équivalent dans la danse. La première danseuse fait tout très juste mais ses qualités ressortent plus dans l’allegro que dans les grands déploiements de lignes que requiert le pas d’action de l’acte deux.

Et Solor-Hoffalt, me direz-vous ? Après s’être taillé un succès estimable avec sa variation du deuxième acte, il se rachète une aura de noblesse en se consumant de honte sur son fauteuil doré pendant le très beau lamento à la robe orange de Nikiya-Albisson. Dans sa série de jetés en tournant, elle ne s’agenouille jamais de la même façon au sol. Sa dernière prière muette est poignante et admirable. Mais Nikiya pleure-t-elle sur son bel amour perdu ou tout simplement sur elle-même ?

P1100914C’est la question qui reste en suspens durant tout le troisième acte. Amandine Albisson, qui semble avoir surmonté enfin la « malédiction du plateau » (mis a part quelques développés à la seconde un peu timides), déploie ses lignes et semble enfin danser sans penser « je suis trop grande pour porter ça ». Elle est belle et digne. Solor-Hoffalt, continue sur le thème du remord. Il rentre les épaules dès que son apsara évanescente pose le regard sur lui. Mais cela parle-t-il d’amour ? Durant tout l’acte, Hoffalt reste désolé et Albisson … belle et digne ; chacun dans sa sphère. Au moins Albisson est-elle agréable à regarder. Car Josua Hoffalt confirme décidément qu’il n’est pas à la hauteur du challenge technique de cette « Bayadère ». Il cochonne la plupart des pirouettes de la coda et escamote une fois encore les doubles assemblés du manège pour les remplacer par des coupés renversés tout rabougris.

Les sujets de satisfaction de cette soirée sont donc à chercher ailleurs que dans le trio principal. A l’acte 2, l’idole dorée de François Alu, conforme à la conception de Noureev : une idole de chair avec une pesanteur voulue –suggérée d’ailleurs par l’orchestration de la variation- avec une forte caractérisation des poses et un beau contrôle des ralentis ; une charmante Manou par Charline Giezendanner et un trio Fakir-indiens (Vigliotti, Gorse, Quer) des plus enlevé.

Et puis, il y a l’acte 3 : une descente des ombres pleine de sérénité avec trois demi-solistes au firmament ; Barbeau musicale et suspendue, Guérineau preste et aérienne et Bourdon précise et élégante.

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La Bayadère : analytique plutôt qu’extatique

P1020329La Bayadère, 17 novembre 2015 – Opéra Bastille

Solor fait son entrée devant le temple du premier tableau de La Bayadère par une série de trois grands jetés. Mathias Heymann gère leur gradation avec art. C’est presque trop joli pour un chasseur, mais c’est ce qu’on est venu voir : un félin plus qu’un guerrier.

Le danseur étoile, toujours musical et précis, se montre à son aise, sans toutefois l’insolente facilité dont il pouvait faire montre lors de la saison 2009/2010. Il compense par le métier : lors des doubles tours en l’air de l’acte III, il lui manquera souvent un petit quart pour arriver face au public, mais il enchaîne si bien sur le rebond qu’on reste emporté dans le mouvement. Les portés avec la Nikiya de Dorothée Gilbert sont un peu prudents, mais le premier pas de deux regorge de complicité. La demoiselle – qui a, par le passé, plus souvent été distribuée en Gamzatti – donne à ses bras un étonnant ciselé : ce ne sont plus des doigts, des mains, des poignets, des coudes ou des épaules, ce sont des éléments d’un mystérieux rituel. La danseuse sacrée n’en a pas moins du répondant quand elle s’oppose à Gamzatti (fin de l’acte I), et du sentiment quand son désespoir fait de son dos une cambrure serpentine. À l’acte III, elle est un peu froide, un peu absente, ce qui sied bien à un retour en ombre.

Hannah O’Neill fait ses débuts en Gamzatti : la caractérisation est bonne, il y a de l’autorité, de la présence. Mais elle est trop grande pour Heymann ; cela crée quelques accrocs de partenariat, et la connexion ne semblait pas se faire au soir de la première, où la future première danseuse a raté la séquence des fouettés.

Quoiqu’en dise l’applaudimètre (et l’abruti au 3e rang qui brandit son téléphone pour pixelliser l’instant), François Alu peine à convaincre en idole dorée : il n’a ni le style, ni la précision, ni l’élévation. On attend du surnaturel, et voilà de l’Humain, trop humain. L’extase viendra plutôt de la séquence onirique des Ombres, homogène et vaporeuse ; Marion Barbeau enlève la première variation avec un très joli temps suspendu lors des développé à la seconde (le temps de l’arabesque est moins réussi), et Mélanie Hurel a le piqué qu’il faut pour la deuxième variation. Les petits enfants qui accompagnent l’idole dorée ne sont plus grimés de noir ; leur collant blanc, tout politiquement correct soit-il, n’est pas très seyant.

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Carmen réduite en purée

Photo by Ian Gavan/Getty Images for the Royal Ballet

Photo by Ian Gavan/Getty Images for the Royal Ballet

Royal Opera House, Soirée Scarlett-Robbins-Balanchine-Acosta, 12 novembre 2015

Après 17 ans en tant qu’étoile invitée, Carlos Acosta, danseur attachant à la présence étonnamment douce – il donne l’impression que la danse n’est pas une technique, mais une façon d’être –, fait ses adieux à la grande scène du Royal Ballet. Pour l’occasion, des tombereaux d’œillets rouges sont lancés sur la scène, le directeur fait un discours, le Principal sortant prend le micro à son tour, on applaudit une dernière fois, et tout le monde rentre chez soi. On est bien loin de l’interminable délire de paillettes des adieux parisiens, et l’émotion reste sous contrôle. À Paris, la solitude prolongée sur scène de l’étoile lui laisse amplement le temps d’être à un moment prise par un petit spleen qui redouble le nôtre ; à Londres, rien de ce cela : Acosta reste entouré de toute la distribution. La troupe comme la famille se joignent bientôt. Tout est plié en 10 minutes chrono.

Cette tiédeur est-elle toute britannique, ou tient-elle à la médiocrité de la pièce clôturant une soirée bizarrement construite ? Le programme amalgame quatre œuvres sans rapport ni musical, ni atmosphérique. Il débute par la reprise d’une création récente de Liam Scarlett, créée pour les qualités d’attaque balanchinienne du Miami City Ballet : Viscera bouge beaucoup, comporte de jolies compositions d’ensemble, mais le mouvement lent – dansé par Marianela Nuñez et Ryoichi Hirano –, manque de limpidité et ne ménage aucune arche émotionnelle. Après un premier entracte, on apparie sans raison apparente le Robbins d’Afternoon of a Faun et le Balanchine de Tchaïkovski pas de deux. Dans Faun, on peut à nouveau admirer la langueur animale – déjà remarquée l’année dernière – de Vadim Muntagirov. Il danse cette fois avec Sarah Lamb, qui n’a pas la sensualité un peu floue de Melissa Hamilton. Sarah, je t’aime mais tu sens trop le déodorant. Steven McRae danse Balanchine avec aplomb et précision, en compagne d’une Iana Salenko (remplaçant Natalia Osipova) un peu moins à l’aise, et dont je ne trouve pas le pied très joli.

L’enchaînement n’a ni queue ni tête, mais on a au moins vu trois-quarts d’heure de chorégraphie construite. En comparaison, les 56 minutes de la Carmen d’Acosta font piètre figure. On n’arrive pas à comprendre comment cet embarrassant ratage a pu être programmé.

Du point de vue dramatique, c’est de la bouillie : la Carmen de Mérimée, scénario en or, est démantibulée et reconfigurée au hasard ; il n’y a ni tension, ni progression, ni finesse. Loin d’être une femme libre qui choisit, Carmen aguiche tout le monde ; les pas de deux n’ont pas d’enjeu, la jalousie maladive de José est omise, l’intervention d’un minotaure est laide et grotesque. Rien de ce qui fait frémir avec Carmen – l’amour, la mort, la liberté, le destin, le sang – n’est sérieusement pensé.

Musicalement, c’est de la guimauve : l’orchestration sauvage et subtile de Bizet est remplacée par de pâteuses dégoulinades, certaines mélodies charmantes parce que courtes dans l’opéra sont inutilement étirées jusqu’à l’ennui. Roland Petit disait qu’il avait chorégraphié sa Carmen sans du tout connaître l’opéra ; c’est peut-être vrai, mais en tout cas, il avait eu les bonnes intuitions. À l’inverse, ici tous les choix portent à faux : l’émotion ne colle pas avec le choix musical. Surtout, rien de la fureur dionysiaque de la partition de Bizet n’est préservé. Au moins ce brouet donne-t-il envie de relire Nietzsche.

Mais alors, la chorégraphie ? Elle est – comment dire cela poliment ? – redondante. Tout est premier degré, et n’évite pas le ridicule : pour manifester leur désir, les hommes tombent la chemise et puis le pantalon ; chacun tortille du bassin à qui mieux mieux. Les pas de deux (aussi bien celui avec José que celui avec Escamillo) charrient l’ennui, vu que les protagonistes sont au lit dès le début. Acosta aurait dû prendre des leçons de sexy chez Matthew Bourne. Dans la plupart des mouvements d’ensemble, tout – couleurs, lumières, costumes, attitudes, géométrie, mouvement – relève d’une esthétique de publicité pour sous-vêtements. Le moindre inconnu chorégraphiant des routines à Broadway ou dans le West End aurait pu faire mieux.

Escamillo et Carmen, photo Tristram Kenton, courtesy of ROH

Escamillo et Carmen, photo Tristram Kenton, courtesy of ROH

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Bayas d’Hier pour Aujourd’hui

P1050177En 2012, tandis que l’Opéra préparait une grande reprise de « La Bayadère », les Balletonautes, tout juste nés, poussaient leurs premier cris.

Dans l’enthousiasme de cette ouverture, nos trois compères ont écrit, un peu dans le désert, des articles dans la veine qui, depuis lors, a été la leur sur le site. James s’est vanté d’avoir plein de billets pour quantité de distributions différentes (se doutait-il que celles-ci changeraient une bonne quinzaine de fois?). Fenella a écrit un savoureux plot summary (pour cette reprise 2015, la rédaction, ne reculant devant aucun sacrifice, a traduit ce texte à l’intention des lecteurs non anglophones).

Cléopold, quant à lui, a inondé le site de longs et nombreux articles documentés sur l’histoire de ce ballet : partant de la production de l’Opéra de Paris par Ezio Frigerio et Franca Scarciapino (1992), il évoque l’orientalisme de rotonde panoramique de ce ballet ainsi que les œuvres chorégraphiques sur le même thème qui l’ont annoncé. Il montre ensuite la difficulté qu’il y a à se représenter les interprétations d’antan de ce chef-d’œuvre de Petipa. Mieux vaut en effet se reposer sur les témoignages des danseurs quand ils sont spectateurs d’une œuvre que lorsqu’ils en sont les interprètes. Enfin, lui même spectateur de la création de la version de Noureev, Cléo détaille par le menu sa perception subjective des trois premières distributions, sans oublier les interprètes de la première reprise,  quelques semaines à peine après la mort du grand Rudy.

C’est enfin lors d’une vue croisée avec James sur une décevante représentation d’étoilat que Cléopold définit les spécificités de l’interprétation française de ce classique russe.

Bonnes (re ?)lectures en attendant le 17 novembre.

Tiroir de secrétaire indien. Victoria Alberts museum. London.

Coffret indien. Victoria Albert’s Museum. London.

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Un très subjectif argument de La Bayadère

LA BAYADÈRE [La danseuse sacrée]
Chorégraphie de Rudolf Noureev (1992) d’après Marius Petipa (1877)
Musique (pas si mal quand elle n’est pas jouée paresseusement) de Ludwig Minkus.

Libre traduction par Cléopold de l’article en Anglais de Fenella.

Avant même qu’il ne créé la grande trilogie avec Tchaikovsky –Lac des cygnes, Belle au bois dormant et Casse Noisette- le chorégraphe français Marius Petipa produisit plusieurs grands classiques en Russie utilisant tous la même formule : un décor exotique, un triangle amoureux (comme dans la plupart des opéras), et une célèbre « scène de rêve » (que les Français dénomment « ballet blanc ») où le héros voit sa bien aimée multipliée par trente deux ballerines revêtues de tutus identiques. Ce ballet en particulier n’avait jamais été montré hors de Russie jusqu’à ce que la troupe du Kirov ne présente sa production à Paris en 1961 (avec Rudolf Noureev).

Essayez de ne pas prendre l’aspect orientaliste de ce mélodrame trop au sérieux. Laissez-vous séduire par cette description fruitée de « couleur locale » située dans une Inde de fantaisie, créée par des artistes qui n’y avaient jamais été autrement que dans leur imagination. Laissez-vous transporter par la passion comme cela était le cas au XIXe siècle.

ACTE I (48 minutes)

SCENE 1 : LE TEMPLE DU FEU ET DE L’EAU

Le noble guerrier Solor envoie ses compagnons à la poursuite d’un Tigre pour le Rajah. Ce n’est qu’un prétexte pour être seul, car Solor convoque le Fakir et lui ordonne de faire savoir à son aimée, la virginale danseuse du temple, Nikiya (la Bayadère) qu’il l’attendra dans le jardin. Leur amour est secret car interdit : ils appartiennent à différentes castes.

Solor se cache et observe l’entrée du Grand Brahmane, gardien du feu sacré. Celui-ci convoque les prêtres et les bayadères (danseuses sacrées du temple), tandis que le Fakir et les adorateurs du feu sacré se lacèrent le corps devant l’autel. Enfin, Nikiya interprète sa danse rituelle. Lorsqu’elle et ses consœurs apportent l’eau aux fidèles épuisés, le Fakir transmet le message de Solor.

Baya Malovik FistMais voilà… que le Brahmane harcèle, en aparté, la Bayadère. Il lui offre sa couronne (et, beurk, dévoile la tête chauve qui se trouve dessous). Elle pretexte qu’ils sont de castes différentes pour le décourager : elle n’est qu’une modeste servante (geste pantomime de lever une cruche d’eau sur son épaule). Mais elle doit finalement [violemment] le repousser.

Quand tous sont partis, les amants peuvent finalement se rejoindre dans une danse extatique. Ignorant de ce que le Brahmane les espionne, Solor jure amour et fidélité éternels sur le feu sacré. Le Brahmane serre le poing et jure d’écraser son rival.

SCENE 2 : LE PALAIS DU RAJAH

Baya Didière FistDes jeunes filles moins consacrées dansent pour divertir le Rajah et sa cour. Celui-ci mande sa fille, Gamzatti, pour lui annoncer qu’elle doit être mariée, si elle y consent, au bel homme dont le portrait est ici exposé : Solor. Gamzatti apprécie ce qu’elle voit et sort. Solor entre ; il est affreusement surpris par la nouvelle. Il ne peut ni avouer qu’il est déjà liée à une autre (à une danseuse, pas moins) ni se résoudre à désobéir à son souverain. Opinant du chef, il décide de régler la question plus tard.

Nikiya a été convoquée pour interpréter une de ses danses rituelles histoire d’agrémenter une réception de cour. (Trans)Portée par un esclave (dans un « pas d’esclave »), elle répand des roses sur la princesse. Nikiya pas plus que Gamzatti ne réalisent qu’elles sont en face de « l’autre femme ».

Le Brahmane arrive et exige de voir le Rajah. Il révèle le pot aux roses, tandis que Gamzatti espionne. : Solor est amoureux de… cette danseuse ! Devant le Brahmane horrifié, le Rajah serre le poing et décide, car il veut toujours de Solor comme beau-fils, que Nikiya doit être écrasée à sa place.

Platel Baya FistGamzatti, jouant machinalement avec son voile nuptial, convoque l’impertinente danseuse. Après avoir prétendu être sa nouvelle amie elle entre en action : « Vois-tu ce portrait de Solor ? Il est désormais mien ! Prends ce collier, pathétique vibrion, cela vaut plus que ce que tu pourras gagner en l’espace de trois vies ! Laisse-le moi ! ». Nikiya ne pouvant croire que l’amour de sa vie ait pu la trahir ainsi explose finalement. Juste à temps, la nourrice, arrache le couteau des mains de Nikiya. Gamzatti serre le poing et jure d’écraser sa rivale.

ENTRACTE (20 minutes)

ACTE II (43 minutes)

LA FÊTE DE FIANÇAILLES AU PALAIS

Baya IndièneGrand apparat. Tous font une entrée spectaculaire, tout particulièrement Solor sur un engin éléphantin (moins spectaculaire est le pendouillant tigre en peluche que ses compagnons transportent). Le prétexte d’une fête permet de montrer une série de danses pittoresques : avec des éventails, des perroquets, par les demoiselles d’honneur, par une Idole dorée en suspension dans l’air, par Manou qui tient une jarre en équilibre sur sa tête, par les « indiens danseurs du feu » qui exécutent une sorte de can-can… Et voici qu’arrive le moment tant attendu du…

… Grand Pas de Deux [en français dans le texte], célébration des fiançailles entre Solor et Gamzatti. C’est l’occasion pour le public de savourer de la pyrotechnie, glorieuse et décomplexée (à l’origine situé à l’acte 4, voir la note plus bas).

Baya mortLeur danse vient de se terminer. Nikiya arrive pour faire son devoir : une nouvelle danse pour consacrer les festivités. Désespérée, elle n’a de cesse de croiser le regard de Solor. « Cela peut-il être vrai ? Peux-tu m’abandonner, juste comme cela ? » L’haya de Gamzatti donne à la jeune fille un panier de fleurs – « de sa part à lui ». La joie de la pauvre fille –« Il m’aime encore ! »– est brisée lorsqu’un serpent caché au milieu des fleurs la mord. C’est Gamzatti qui a envoyé les fleurs après y avoir placé le reptile. Le Brahmane éploré tend à Nikiya une antidote au poison, mais elle comprend finalement que Solor n’osera jamais renoncer à sa caste et à sa position pour son bien à elle. Elle préfère mourir.

C’est seulement à ce moment que Solor réalise ce qu’il a fait.

ENTRACTE (20 minutes)

ACTE III (40 minutes)

DANS UN JARDIN PARFUMÉ

Éperdu de douleur, honteux, toujours amoureux, Solor absorbe une méga-dose d’opium.

Alors qu’il se laisse emporter par le sommeil, la vision d’un nombre infini de Nikiyas idéalisées, revêtues de tutus blancs immaculés et de voiles de mousseline, flotte légèrement sur le jardin. Il s’agit des Ombres, des bayadères qui sont mortes d’amour et sont condamnées à errer entre ce monde et l’au-delà. Vous serez sans doute aussi stupéfaits que Solor par le corps de ballet : des douzaines de solistes potentielles qui subliment leur égo afin d’atteindre cette forme d’harmonie kaléidoscopique. Ouvrez grand vos yeux au moment des trois solos, donnés aux danseuses les plus prometteuses. Lorsque Solor danse avec le fantôme de Nikiya chaque contact, chaque tour, les rapproche l’un de l’autre. A un moment donné, un long voile tendu entre eux symbolise leur connexion. Solor saute littéralement de joie dans son solo. L’acte se termine en triomphe : Nikiya lui a pardonné, en conséquence ils ne seront plus jamais séparés.

Baya ombres

Notes : Acte III, « Le Royaume des Ombres », est souvent d’abord introduit seul au répertoire des compagnies, ou présenté comme un extrait indépendant lors de tournées. Ainsi réduit et « sans éléphant » [en Français dans le texte], tout ce dont on a besoin est : une rampe en pente, un gars, une fille, et 24 à 32 paires de collants surmontées d’un tutu blanc près à plier jusqu’à sentir là où ça fait mal.

A l’origine, il y avait un acte IV. Dans celui-ci, Solor retournait sur terre et épousait malgré tout Gamzatti. Cela mettait en colère les dieux et la noce entière était ensevelie sous les ruines du temple. Cet acte a été rarement représenté depuis la première guerre mondiale. Dramatiquement parlant, soyons francs, tout cela fait l’effet d’une douche froide après l’acte III. Solor y apparait comme un sale type en retournant ainsi vers sa fiancée terrestre. Mais plus que tout, un décor « effondrable », coûte une fortune.

Toutes les photographies de l’article sont des copies d’écran de la captation de 1994 avec les créateurs de la production (Isabelle Guerin, Laurent Hilaire, Elisabeth Platel, Francis Malovik, Jean-Marie Didière, Virginie Rousselière, Lionel Delanoë, Gil Isoart).

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ATK : au Corps de la Musique

P1010032Soirée Bartók/Beethoven/Schönberg – Anne Teresa De Keersmaeker – Opéra Garnier. Représentations du 23 octobre et du 2 novembre 2015.

La première fois que j’ai vu Anne Teresa De Keersmaeker en vrai de près, elle dansait Fase, four mouvements to the music of Steve Reich (1982), une de ses premières pièces. En baskets blanches, elle exécutait avec une crânerie et une détermination remarquables de courtes séquences, qui indéfiniment répétées, compliquées et altérées par petites touches, finissaient par dessiner un surprenant parcours dans l’espace et le temps. Crânerie ? C’est bien le terme : une façon d’affirmer sans ambages un principe, creuser un sillon créatif, explorer, fouailler la relation en musique et danse, aller de l’avant sans se soucier d’être suivie, mais avec la certitude qu’elle le sera. J’ai repensé à cette expérience de spectateur lors de ma première vision du Quatuor n°4 (1986) dansé par Aurélia Bellet, Camille de Bellefon, Miho Fuji et Claire Gandolfi. Ces quatre filles, au mini-plié affolant de moelleuse désinvolture, s’emparent de la partition avec un réjouissant mélange d’effronterie, d’autorité et de séduction. Elles s’affirment par le mouvement, provoquent le spectateur ou les musiciens, s’affalent les jambes écartées, minaudent en diagonale, milli-métrisent la préciosité d’un balancé de bras, se lancent dans une course de petits battus en bottine, glissent et pincent leur mouvement en accord profond avec chacun des mouvements de l’envoutant quatuor de Bartók. Le plaisir de la musique – qui pourrait presque suffire au bonheur de cette soirée – est redoublé par la musicalité si fine de la chorégraphie, dont l’inventivité parfois cocasse donne furieusement envie de s’esclaffer. ATK ne s’attache pas seulement aux rythmes d’inspiration folklorique de Bartók, elle restitue aussi la couleur et l’humeur de l’œuvre – ainsi de l’atmosphère de grande plaine hongroise du 3e mouvement, Non troppo lento, dont la chorégraphie ne semble faite que de changements de poids du corps en suspens dans l’air du soir. Tout est très construit (à chaque mouvement son affect, son type de parcours, explique doctement le programme), mais on peut se contenter de s’amuser à écouter et regarder (23 octobre). La distribution réunissant Sae Eun Park, Juliette Hilaire, Charlotte Ranson et Laura Bachman m’a paru moins élastique et globalement plus fade, un peu comme si les danseuses avaient oublié de jeter du piment dans leur potage (2 novembre).

Deuxième pièce de la soirée, Die Grosse Fuge (1992) réunit 7 danseurs et une danseuse en costume et chemise blanche. Au furioso visionnaire de l’opus 133 de Beethoven répondent une impressionnante série de bonds et chutes, ponctués de quelques faux apaisements, changements de cap et alanguissements au sol. J’ai, pour cette pièce aussi, préféré ma première vision à la seconde, en partie du fait d’un changement de perspective. Die Grosse Fuge gagne à être vue de loin : on en perçoit mieux la géométrie ; de trop près, tout paraît un peu brouillon. La distribution « pas chic » (Caroline Bance, avec MM. Renaud, Stokes, Botto, Thomas, Vigliotti – impressionnant dans son petit solo –, Carniato, Coste) est plus dans le ton que celle réunissant étoiles et premiers danseurs (Renavand, Bullion, Paquette, Chaillet, Magnenet, Paul, Couvez, Gasse), dont certains sont bien engoncés dans leur costard.

Verklärte Nacht (1995), sur la musique douloureusement romantique et raffinée de Schönberg – très lyriquement interprétée par l’orchestre de l’Opéra sous la direction de Vello Pähn – clôt la soirée. Après le quatuor féminin et la fugue masculine, voici enfin venu l’heure des pas de deux ! Anne Teresa de Keersmaeker diffracte sur plusieurs couples le poème dont s’est inspiré le compositeur (une femme dit à l’homme qu’elle aime qu’elle porte un enfant qui n’est pas de lui ; son amour lui fait accepter la situation). Les personnages s’appellent Samantha, Cynthia, Marion B, Johanne, Sarah, Suman, Cosi, Olivier, Brice, Marc, etc., mais plus qu’à l’anecdote, on s’attache surtout à l’émotion qui se dégage des échanges, aux jeux de regard. À l’inverse des deux autres œuvres, cette Nuit transfigurée gagne à être vue de près. C’est ainsi que Marie-Agnès Gillot se fond bellement dans la partition angoissée qui lui est donnée, tandis que Léonor Baulac frappe par un lyrisme échevelé (2 novembre). Dans cette pièce encore, Anne Teresa De Keersmaeker va chercher son mouvement au cœur de la pâte sonore.

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