Archives mensuelles : octobre 2015

L’encyclopédie du corps de Sasha Waltz

Vienne. Colonne de la Peste. 1693

Vienne. Pestsäule. 1693

Les Balletonautes se flattent d’avoir des correspondants aux quatre coins de la planète. Certains sont plus actifs que d’autres. Telle cette chroniqueuse viennoise qui vient d’envoyer une lettre après deux ans d’absence.

Cléopold s’est précipité pour l’ouvrir, sûr d’y lire la suite des aventures de Manuel Legris au pays de Sissi. Erreur, un compte-rendu de « Körper » de Sasha Waltz l’attendait dans l’enveloppe !

Cléopold oubliait que l’Autriche est également un fief de la danse contemporaine. Le festival international Impulstanz a lieu chaque été depuis 30 ans. Le Festspielhaus St Pölten programme saison après saison les artistes les plus prisés (Guillem, Bausch, Cherkaoui, Khan, Teshigawara etc). Vendredi dernier, notre correspondante était au Tanzquartier Wien où se côtoient chorégraphes expérimentaux et grands noms de la danse.

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Il y a le corps medium, celui qui s’oublie pour permettre au danseur de s’exprimer. Et puis il y a le corps physique fait de chair, de poids, de peau, de cheveux… C’est ce dernier que Sasha Waltz décortique de A à Z dans « Körper » (« corps » en allemand), pièce créée en 2000 qui sera suivie de deux autres sur le même thème.

SASHA WALTZ :

SASHA WALTZ : « Körper »
© Bernd Uhlig, Courtesy of Tanzquartier Wien

« Körper » fourmille d’images fortes qui font à raison la célébrité de ce ballet. Elles se télescopent entre elles pour former un portrait détaillé de notre enveloppe physique. La pièce est tranchée en deux par l’impressionnante chute d’un mur central qui devient un immense plan incliné. Après cette chute,  les corps s’assemblent et font … corps comme dans le « corps de ballet » classique. Ainsi cet instant bouleversant où un danseur marche lentement sur une vague humaine. Malgré ces deux parties, on ne trouve pas de fil conducteur directement lisible, plutôt des thématiques qui vont et viennent en se chevauchant.

Sasha Waltz nous présente le corps désincarné de l’âme qui l’habite. Membres sortant de trous dans le mur. Formes entassées telles des cadavres. Corps-pancartes demandant d’éteindre son téléphone portable. Corps-meubles qui chutent sur le sol à grand bruit. Corps transformables, monétisés par la chirurgie esthétique. Corps-troncs empilables. Corps soulevés par les plis de la peau. Corps mesurés et comparés. Cet aspect du corps fait frissonner et penser à l’univers carcéral ou aux horreurs de la guerre.

Parallèlement, Sasha Waltz se joue des apparences et manipule notre perception du corps. Les lois de l’apesanteur sont défiées lors du passage culte où une dizaine de danseurs en slips chair sont emprisonnés entre un mur à alvéoles et une vitre et évoluent lentement les uns sur les autres. Ce génial tableau vivant vaut à lui seul le déplacement. Plus tard, deux  danseurs reliés par un tube en tissu, nous présentent un corps absurde où le bas du corps pivote à volonté. Les rires fusent dans le public. Plus galvaudée, l’image d’un danseur à plusieurs bras fait toujours son effet.

SASHA WALTZ :

SASHA WALTZ : « Körper »
© Bernd Uhlig, Courtesy of Tanzquartier Wien

Sasha Waltz aborde également le corps comme support de la communication humaine qui s’extériorise grâce à la bouche (la parole) et aux mains (l’écriture). Elle arme ses danseurs de craies qui leur permettent d’orner le mur et le sol de manifestes ou bien de tracer des cercles parfaits à l’aide du seul bras. Elle fait raconter des histoires de la vie quotidienne, où le récitant montre des parties du corps différentes de celles qu’il nomme. Le langage n’est qu’une convention au regard de l’évidence physique du corps.

Comme la plupart des grandes œuvres, « Körper » n’impose pas de réponse ou de point de vue au spectateur. L’encyclopédie du corps qu’elle propose est multiple et complexe. Certes, on peut s’y perdre ou être dérouté. Mais Sasha Waltz a compris qu’il ne pouvait en être autrement avec un sujet qui touche à l’intime et à la perception de nous-même.

SSASHA WALTZ :

SASHA WALTZ : « Körper » © Bernd Uhlig, Courtesy of Tanzquartier Wien

Körper –mise en scène et chorégraphie de Sasha Waltz ; musique de Hans Peter Kuhn ;  interprétation par la  Compagnie Sasha Waltz & Guests ; scénographie de Thomas Schenk, Heike Schuppelius et Sasha Waltz ; lumières de Valentin Gallé et Martin Hauk ; costumes de Bernd Skodzig ; Présenté le 15 et 16 octobre 2015 au Tanzquartier Wien http://www.tqw.at (Autriche) ; Une coproduction avec le Théâtre de la Ville Paris.
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Premier Bilan en Ouverture

P1100776Programme Millepied/Robbins/Balanchine.

Palais Garnier. Représentations du 30 septembre et du 9 octobre 2015.

Au terme de cette série du premier programme de la saison du ballet de l’Opéra, se dégagent déjà de nombreux sujets de contentement, le principal étant sans doute l’émergence ou l’épanouissement de personnalités dans un groupe depuis trop longtemps passé au rouleau compresseur administratif de la précédence direction.

« Clear, Loud, Bright, Forward » était apparue le soir du gala d’ouverture comme une pièce plaisante mais un peu extérieure où les danseurs se voyaient donner l’occasion de montrer leurs belles possibilités. Or, dès le 30 septembre, on pouvait déjà observer une acuité supplémentaire dans leur interprétation. Du coup, les qualités du ballet ressortaient mieux. Hugo Marchand et Léonore Baulac ont pris « à bras le corps » la noueuse place centrale qui est la leur dans le ballet. On regrette juste que leur moment d’intimité chorégraphique, qui émerge enfin, ne soit pas plus isolé dans un cercle de lumière en lieu et place des éclairages – trop ?- étudiés de Lucy Carter. Mais on ne peut nier que la qualité de la chorégraphie est de permettre aux danseurs de déployer leurs plus belles qualités sans qu’elle semble trop servilement pincée sur eux. Quand Eléonore Guérineau et Laurène Lévy dansent ensemble quasiment le même texte, on s’émerveille du ballon de l’une et de l’élasticité de liane de l’autre mais on admire surtout la communauté d’impulsion qui les anime. Par contre, on reste à la fois gêné et séduit par les groupes statuaires dignes du « Détachement féminin rouge » que forme parfois le « corps de solistes » et on ne sait toujours quelle voie forte et claire Benjamin Millepied veut nous faire emprunter – après le pas de deux Marchand-Baulac on voit certes de très belles choses mais on aimerait passer au final. Les danseurs, eux, ont cependant l’air de savoir où ils vont. N’est-ce pas, après tout, le principal ?

Léonore Baulac, Hugo Marchand et Eléonore Guérineau le soir du 10 octobre.

Léonore Baulac, Hugo Marchand et Marion Barbeau le soir du 9 octobre.

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Avec « Opus 19, The Dreamer » de Jerome Robbins, on a pu mesurer l’écart de sens sidéral que deux couples principaux peuvent donner à une œuvre. Avec la distribution réunissant Mathieu Ganio et Amandine Albisson (30 septembre), on avait eu le sentiment de passer de l’abscons (Millepied) au mystérieux (Robbins). Un soliste principal en blanc était aux prises avec un corps de ballet bleu comme un ciel d’été en fin de journée, lorsque le soleil s’est couché mais que la luminosité reste importante. Dans ce décor mouvant, prêt à basculer dans la nuit, apparaissait une soliste vêtue d’un bleu plus intense qui subjuguait le rêveur lunaire. Était-elle une vision, comme le suggérait sa disparition très Sylphide derrière deux lignes du corps de ballet se fondant en une seule à la fin du 1er mouvement ? On retrouvait certes des éléments du style de Robbins, avec notamment ces séquences de danse classique pure d’où éclosent parfois, comme des bourgeons impromptus, des ébauches de danse de caractère. Mais tandis que le rêveur blanc les intégrait à sa danse un peu à la manière des protagonistes de « Dances at a Gathering » (une pièce où Mathieu Ganio excelle), les notes folkloriques faisaient littéralement irruption dans la danse du corps de ballet et dans celle d’Amandine Albisson, créant une impression de rupture voire d’agression. Le ciel d’été recelait-il les prémices d’un orage? Avec ce premier couple, « The Dreamer » susurrait une langue mystérieuse, hermétique mais évocatrice.

Avec le second couple du 9 octobre, Pierre-Arthur Raveau et Laura Hecquet, le ballet gagnait en clarté narrative ce qu’il perdait en angularité. Mademoiselle Hecquet, fluide et élégante, avait le « caractère » plus intégré. Jamais menaçante, elle évoquait plutôt une ombre tutélaire ou une muse parfois capricieuse. Le corps de ballet apparaissait du coup moins comme un ciel d’été orageux que comme une de ces nuées, un peu épaisses et presque palpables, qui présagent d’une belle journée d’automne. Ils pouvaient aussi représenter les humeurs du poète, un Pierre-Arthur Raveau au mouvement dense et plein, plus intériorisé, moins exalté que Mathieu Ganio. Une des sections du deuxième mouvement faisait tout à coup immanquablement penser au Pas de cinq « Flegmatique » des « Quatre Tempéraments » de Balanchine. Alors que le couple Ganio-Albisson laissait le ballet sur une question sans réponse, le couple Raveau-Hecquet, dans sa pose finale, semblait proposer une conclusion: la réalité faisait désormais corps avec les aspirations. Le rêveur avait apprivoisé sa muse… À moins que ce ne soit le contraire.

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D’une distribution à l’autre, «Thème et Variations» de Balanchine subissait lui aussi sa petite révolution copernicienne; à moins que ce ne soit sa théorie de la relativité.

Ancrés dans le sol, accentuant crânement le plié, jouant à fond le jeu des oppositions pieds-épaule. C’est ainsi que se présente le couple Colasante-Alu le 30 septembre, un duo au physique assez éloigné des canons de l’Opéra mais qui a le mérite de prendre les options qui lui conviennent le mieux. Un grand chemin a été parcouru depuis les Rencontres à l’amphithéâtre Bastille où les deux danseurs se cherchaient encore (on trouvait même alors que Millepied, répétiteur aurait beaucoup mieux convenu à Mademoiselle Colasante en terme de lignes que monsieur Alu). Ici, on pouvait apprécier le poli du travail. François Alu joue sur la puissance du saut et le fini bravache des pirouettes mais (mis à part les préparations de sa première variation qui vendent un peu la mèche) le rendu est d’une grande propreté. Melle Colasante danse sa partition jusqu’au bout de ses possibilités. Ses directions dans les redoutables déboulés tous azimuts de sa première variation sont diablement précises et sa pirouette finale semble s’achever sur un genou tapissé de velcro tant elle est arrêtée net. Ses gargouillades dans la deuxième variation sont sans concessions. Ce pas, plutôt fait pour émoustiller la tarlatane d’un tutu long que pour ébouriffer les dessous d’un tutu à plateau, nous rappellent les qualités modernes de la chorégraphie de Balanchine, qui n’hésitait jamais à introduire des aspérités dans un enchaînement sans cela cristallin.

On retrouve de ces petites incongruités dans le pas de deux lorsque le danseur attire à lui la danseuse qui effectue une sissone dos au public. Les deux danseurs ne cherchent pas à danser « joli » mais leur façon de présenter leur travail est tellement à l’unisson qu’on finit par se laisser emporter par cette interprétation un peu brut de décoffrage de la méthode américaine.

Le 9 octobre, en revanche, avec Héloïse Bourdon et Mathias Heymann, on retournait franchement sous les auspices de la Belle de Petipa-Tchaikovsky. Mademoiselle Bourdon, jusqu’ici tous les soirs dans ce même ballet à la place de demi-soliste, prenait en main avec une sérénité désarmante la place de leading lady. Naturel de l’arabesque, musicalité jamais prise en défaut, la danseuse abordait les difficultés avec cette aisance presque détachée de la ballerine née. Le haut du corps restait toujours libre au dessus de la corolle du tutu même dans les passages les plus rapides Et tant pis si, au passage, les fameuses gargouillades se trouvaient changées en de gracieux sauts-de-chat suspendus. Mademoiselle Bourdon convoque l’Aurore épanouie du troisième acte de la Belle. Mathias Heymann était dans « un jour sans », ce qui ne l’empêchait pas d’être en accord avec l’atmosphère créée par sa partenaire et de soulever la salle, à l’occasion, par l’élégance féline de ses sauts. Eut-il été moins tendu, on aurait sans doute assisté à la plus harmonieuse des représentations de cette reprise du chef d’œuvre de Balanchine.

Les deux interprétations à une dizaine de jours de distance, pour diamétralement opposées qu’elles soient, étaient toutes deux valables. Elles nous rappelaient que Thème, créé pour Alicia Alonso et Igor Youskevitch, des « stylistes » dans une certaine mouvance des Ballets russes, avait été remanié par son chorégraphe lorsqu’il l’avait repris au New York City Ballet pour Gelsey Kirkland et Edward Villella, deux brillants représentants de la danse classique à l’américaine.

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Aujourd’hui, à l’Opéra de Paris, cette diversité de points de vue donnée sur une même œuvre est on ne peut plus de bon augure. Elle démontre, si besoin est, la supériorité d’une direction de danseur-chorégraphe sur celle d’un administrateur-programmateur.

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Charmatz at the Opéra : “Fate is a foolish thing…Take a chance”*

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The evil fairy’s costume from Nureyev’s « Sleeping Beauty, » trapped in a glass case. Her dancer spirit roamed the halls of the Palais Garnier.

20 danseurs pour le XXe siècle. Palais Garnier. September 30th

The public spaces outside the auditorium of the Palais Garnier are designed for circulation, a bit of people-watching, but certainly not for strap-hanging.

I feared getting around Boris Charmatz’s seemingly random collage of dance and dancers would feel like being stuck in the Paris metro. God, another accordionist. You rush to the car behind, but then get your nose crushed against the door. Moments later you find yourself waist-high in a school group. Then, abruptly, it all thins out and you are gawking at two boys rapping and doing back-flips in the aisle. Maybe, with luck, you get to sit.

That’s why I only took one chance on 20 Danseurs pour le XXe siècle as adapted for the Paris Opéra dancers. The Charmatz/Musée de la danse concept sounded borrowed from what has, in the space of twenty years, become a theatrical staple. Actors spread out throughout an a-typical space repeat scenes – fragments of a story – and are gawked at. You use your legs to trace a path, choose how long you want to stand in one doorway, and worry about what’s going on elsewhere. Chances are you will construct a narrative that makes sense to you, or not. I find this genre as annoying as where — just when you start to get into the novel you are eaves-reading – your seatmate hops off at her stop.

I was so wrong. Instead of a half-overheard conversation in a noisy train, here we were treated to an anthology of coherent one-page short stories. It was the hop-on-hop-off tour bus: only a three-day ticket lets you get to enough of the sights. But even one day in Paris is definitely worth the trip.

If, as Fred Astaire’s Guy Holden says, “chance is the fool’s name for fate,”* somehow I was fated (pushed and pulled?) to stopping off at those stations that housed tiny but complete narratives of sorrow. (A Balletonaut has told me I missed much happy, even foolish, fun. Next time, I’m travelling with him).

“How do you do? I am delightful”*

Perhaps the oddest thing for both conductor and passengers is finding themselves face to face. When the lights are out in a theater, the auditorium looks like a deep dark tunnel from the stage…not like these hundreds of beady eyes now within touching distance. And even we were uneasy: one wall had been broken down, but where to put eye contact? We did what we usually do at the end of each snippet: applauded and moved on. Very few dared to actually approach and speak to the ferociously focused dancers. Thank god joining in some kind of conga-line was not part of the plan. Instead:

I stumbled across Stephanie Romberg, loose and intense, unleashing all of Carabosse’s furious curse within the tiny rotunda of the “Salon du soleil.” As in each case here: no set, no costume. It felt almost obscene to be peeping at a body sculpting such purely distilled rage. Think: the crazy lady, with a whiff of having once been a grande dame, howling to herself while dangerously near the edge of the subway platform.

Myriam Kamionka’s luminous face and warm and welcoming persona then drew me over into a crowded curving corridor. Casually seated on a prop bench in front of a loge door, she suddenly disappeared into the folds of Martha Graham’s Lamentations. I wound up experiencing this dance from total stage left. Pressed between tall people, my cheek crushed against the frilly jabot of Servandoni’s marble bust, I felt like someone pretending not to be looking directly at the person collapsed on the station floor. And then I couldn’t stop staring. You could almost feel the air thicken as Kamionka drew us into her condensation of despair. Even the kiddies, just a few feet away, sat silent and wide-eyed and utterly motionless. As they remained for the next story: a savagely wounded swan in pointes and stretch jeans dying, magnificently.

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In search of air to clear my head I wound up behind two visions of Stravinsky’s Sacre. The view from the wrong end of the station, as it were, was so cool: this is the corps’ or the stagehands’ view!

In Pina Bausch’s version, Francesco Vantaggio pushed against the limits of the long and narrow Galerie du Glacier like a rocking runaway train. His muscular, dense, weighted, rounded and fully connected movement projected deep power, unloosed from the earth. When he repeated that typical Pina shape that’s kind of a G-clef – arms as if an “s” fell on its side (rather like an exploded 4th), body tilted off legs in passé en pliant – I thought, “man, Paul Taylor’s still alive. Get on the subway and go barge into his studio…now!” Yet when it was over, as he moved away and sat on the floor to the side to decompress and I was trying to catch my own breath back…I feared making eye-contact. (Forget about, like, just walking over and saying “Hi, loved it, man.” You don’t do that in Paris, neither above the ground nor underneath it).

Marion Gautier de Charnacé. Nijinsky's Rite of Spring

Marion Gautier de Charnacé possessed by Nijinsky’s Rite of Spring

Marion Gautier de Charnacé, on the outdoors terrace, then made the honking horns and sirens accompanying “The Chosen One’s” dance of death seem like part of the score. All our futile rushing about each day was rendered positively meaningless by the urgency of Nijinsky’s no-way-out vortex of relentless trembles and painful unending bounces. Even if she was wearing thick sneakers, I since have been worrying about this lovely light-boned girl repeatedly pounding her feet on a crushed stone surface over thirteen days. Make-believe sacrifice, yes. Shin-splints, no.

Finally I cast my eyes down from an avant-foyer balcony to spy upon Petroushka’s bitter lament of love and loss, as Samuel Murez – making it look as if his limbs were really attached by galvanized wires — let the great solo unfold on the Grand Escalier’s boxy turnabout. A moment of grace arrived. Two little girls framed within the opening to the orchestra level behind him could not resist trying to mirror his every movement. Not for us, but for themselves. As if they really believed he was a life-size puppet and were trying to invite him home to play. The barrier between audience and performer, between real and unreal, the prosaic and the magical, had finally given way. Too soon, it was all over. Time to wave goodbye.

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Beyond the rainbow: Samuel Murez conjures Petroushkins.

“Chances are that fate is foolish.”*

Back on the metro the next morning, I got a seat and quietly began to concentrate on my thoughts. But then at the next station that woman got on who still gives us no choice but to endure three stops’ worth of “Besame mucho” whether we want it or not.

* Quotes are from Fred and Ginger’s 1934 The Gay Divorcée, especially as mangled by Erik Rhodes’s enchanting “Alberto Tonnetti”

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Premières et dernières amours

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Royal Ballet – Romeo and Juliet (3 octobre), Chéri (4 octobre).

Pour le cinquantième anniversaire du Romeo and Juliet de MacMillan, le Royal Ballet propose un cast « bébé à bord», avec une double entrée en piste pour les rôles principaux, et des comparses pas bien plus âgés tout autour. Luca Acri (Mercutio) fait de l’acné juvénile, Benjamin Ella (Benvolio) a les joues gonflées de lait maternisé, Erico Montes (le père Laurent) n’a qu’un fil de poil au menton, Nicol Edmonds (Pâris) est aussi gauche qu’un dragueur de cour de récré, et sous la coiffe de Lady Montaigu, Beatriz Stix-Brunell ressemble à une poupée.

Il y a bien aussi quelques vétérans (Christopher Saunders en Lord Capulet, Bennet Gartside toujours féroce en Tybalt, et Christina Arestis qui donne à Lady Capulet une douleur suraiguë) mais tout le monde – y compris la critique de danse britannique, venue en nombre – est ici pour les débuts de Yasmine Naghdi et Matthew Ball. En février 2015, lorsque les deux jeunes danseurs avaient incarné le couple Olga/Lenski dans Oneguin, la qualité de leur partenariat donnait envie d’en voir plus.

Sur la photo, ils sont faits pour le rôle : elle est gracile, a un sourire irrésistible, et donne l’illusion d’être entrée en puberté à peine hier ; lui, beau comme un astre aux yeux clairs, a une pâleur aussi lunaire qu’aristocratique.

Mais ce qui compte vraiment, c’est le mouvement. Le trio formé par Roméo et ses copains n’est pas complètement synchrone, et la première passe d’armes en solo de Matthew Ball déçoit : lors de la scène de la rencontre, quand, subjugué par Juliette, il entame une parade sur un air de mandoline, le mouvement est un peu précipité, manque de grâce et de respiration – un défaut assez visible quand un type tape l’incruste au milieu d’un groupe de filles sur un aigrelet filet de mandoline – et il atterrit à genoux trop loin d’elle et trop concentré pour signer ses intentions.

On se console vite grâce aux pas de deux, où l’alchimie entre les deux interprètes enchante ; ce n’est pas juste qu’ils sont physiquement assortis – en pointes, elle est à la bonne hauteur pour l’embrasser –, c’est qu’ils sont à l’unisson en termes de fraîcheur et d’engagement. Ils donnent à voir l’instant, fugace et absolu, des premières amours. C’est presque douloureux à voir – d’autant que les cordes de Prokofiev, criardes d’émotion, n’omettent pas de fouailler le cœur – car le spectateur connaît le destin funeste des amants (et pleure aussi, s’il n’est plus tout jeune, le souvenir de ses emportements d’adolescent).

Et la ballerine dans tout ça ? Yasmine Naghdi n’a pas l’animalité d’une Alina Cojocaru (dont la Juliet sait montrer toutes les émotions par la seule expansion de sa poitrine), mais elle impressionne par sa maturité dramatique, notamment au troisième acte, lors de la scène de rébellion contre ses parents, où elle titube sur pointes comme on va à l’échafaud. On admire alors le contraste entre les moments où le personnage donne tout (scène du balcon), tente de retenir (séparation au début de l’acte III) et s’abandonne sans donner (un laisser-aller fait d’absence et d’omoplates crispées lors du pas de deux avec Pâris).

Le hasard des saisons fait qu’on pouvait aussi voir à Londres, le weekend dernier, Chéri, de Martha Clarke, inspiré des romans de Colette. Où l’on voit Léa (Alessandra Ferri) laisser filer son amant Chéri (Herman Cornejo), qui a vingt ans de moins qu’elle. Sur des musiques au piano de Ravel, Debussy, Mompou, Poulenc et Wagner, dans un décor plus Laura Ashley que Palais Royal (mais passons), la chorégraphe montre l’intimité physique du couple, la séparation, le revenez-y, la fin tragique après la guerre de 14. Les deux interprètes sont parfaits : Mlle Ferri a de beaux traits que l’âge accentue, des jambes et un cou de pied superbes ; M. Cornejo a une séduction laiteuse et ambiguë d’un enfant gâté – lors de la première scène, il porte autour du corps le collier de perles de sa maîtresse. La chorégraphe fait beaucoup virevolter Alessandra dans les bras d’Herman, et joue la sensualité avec un premier degré lassant : chez MacMillan, on comprend ce qui se passe, chez Clarke, on vous l’explique, et Chéri finit par baisser culotte. Je n’arrive pas à adhérer à une chorégraphie qui choisit la quadruple pirouette pour faire dire le désespoir. Et puis le propos est vieilli : de nos jours, Léa se battrait comme une lionne pour garder son toy boy, voudrait vivre toujours de nouvelles amours, et elle aurait bien raison.

Au Royal Opera House toujours, Hofesh Shechter signe la mise en scène d’un Orphée et Eurydice musicalement très réussi. Le dispositif scénique est assez ingénieux. La chorégraphie – dansée par la Hofesh Shechter Company – est le plus souvent brutale, répétitive, et creuse : lors de la scène de descente aux enfers, les choristes s’avançant en grappes sont plus menaçants que les danseurs qui s’agitent en arrière-plan.

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