Archives mensuelles : novembre 2019

Blixen: dialogue avec les fantômes

Blixen, ballet de Gregory Dean, musique de Debussy (arrangements Martin Yates), Ballet royal du Danemark, Copenhague – soirée du 9 novembre 2019.

Comme son nom l’indique, Blixen, nouvelle création du ballet royal du Danemark, prend pour objet la vie de Karen Blixen (1885-1962), femme de lettres qui connut une célébrité internationale à la fin des années 1930 pour son bestseller La ferme africaine, inspiré de ses infructueuses entreprises agricoles au Kenya, mais qui écrivit aussi de nombreux contes après son retour au Danemark en 1931.

Le ballet déroule chronologiquement l’histoire de la romancière, entremêlant les matériaux biographique et littéraire. Le premier acte raconte l’enfance et l’adolescence de la future romancière, marquée par le suicide du père quand elle avait neuf ans ; la complicité entre Karen-enfant et un père présent-absent donne lieu à une jolie scène de partenariat enfant/adulte, tendre sans mièvrerie (elle est dansée par la petite Delphine Kristiansen et par l’ancien Principal Mads Blangstrup, depuis peu à la retraite, et qui prête son charisme à un rôle tout d’effacement). À l’orée de l’âge adulte, Karen, née Dinesen, a une passion non partagée pour son cousin Hans von Blixen-Finecke (Benjamin Buza), mais se marie finalement avec son frère jumeau Bror (Jonathan Chmelensky).

C’est ce dernier qui décide de faire fortune grâce à une plantation de café en Afrique orientale anglaise, mais c’est elle qui prend rapidement les rênes de l’exploitation. Dans La ferme africaine, on apprend comme incidemment l’existence d’un mari vers la page 350, et la description de ses relations avec les hommes n’a rien d’ouvertement romantique (un anachorète qui a lu Blixen mais pas vu Out of Africa ne sait pas qu’il y a Robert Redford à l’intérieur). Il ne peut en aller de même dans un ballet classique, dont le cahier des charges requiert quelques scènes de groupe (le bal des débutantes au premier acte, la soirée jazzy dans un club britannique au deuxième, et une tournée triomphale aux États-Unis au troisième), et commande de faire progresser l’intrigue – comme de maintenir l’intérêt – via un minimum syndical de pas de deux.

Heureusement, la vraie vie de la baronne Blixen, qu’on connaît aussi à travers ses lettres, réserve son lot d’histoires dansables, dont se saisit la narration de Gregory Dean, qui est à la fois le chorégraphe de Blixen, et l’interprète du rôle de l’amant-chasseur-aviateur Denys Finch Hatton. Le deuxième acte, qui relate l’aventure africaine, se concentre sur les enjeux économiques et amoureux entourant Karen (Kizzy Matiakis).

Mizzy Matiakis et Gregory Dean - Blixen - (c) Henrik Stenberg, courtesy of Danish Royal Ballet

Mizzy Matiakis et Gregory Dean – Blixen – (c) Henrik Stenberg, courtesy of Danish Royal Ballet

Le contexte africain est – littéralement – relégué dans l’ombre, ce qui dispense de grimer les interprètes des danses kikuyu, perçues en contrejour. Gregory Dean n’essaie pas vraiment de créer une hétérogénéité de style entre l’Europe et l’Afrique (les sauts des Ngomas de nuit, sans être classiques, restent bien sages). Son univers chorégraphique est clairement celui du ballet du Danemark (où il danse depuis 2008) : c’est le monde de Bournonville. Propreté des positions, petite batterie ciselée, enchaînement élastique des sauts, virtuosité sans esbroufe : toutes les qualités de la troupe de Copenhague se déploient à plaisir, à chaque séquence soliste – impeccables entrechats de volée de Jonathan Chmelensky en mari de Karen – comme dans le corps de ballet. La réussite tient à ce que Dean exploite la grammaire de prédilection de la compagnie, sans pour autant en rester à l’exercice de style ni oublier de la moderniser – comme en témoigne l’exubérance de la partie dansée par Marcin Kupiñski, dans le rôle de Berkeley Cole. De manière assez amusante, les scènes-de-groupe-avec-accessoire (avec fusil de chasse, avec livre à la main…) se multiplient sans se répéter, ni paraître scolaires, grâce à une dynamique – également musicale, merci Debussy – constamment renouvelée.

Même si elle n’élude les détails prosaïques – la syphilis transmise par le mari au début du mariage, l’ablation d’une grosse partie de son estomac –, la mise en scène n’est pas entièrement réaliste. Bien vu, les contes de Blixen ne le sont pas non plus : on voit donc sur scène l’âme de Blixen (incarnée par Jón Axel Fransson, tout de noir vêtu, comme plus tard Karen au soir de sa vie), qui l’accompagne et l’engage à écrire, et une séquence onirique convoque la Shéhérazade des Mille et une nuits.

Blixen fait la part belle à la technique masculine, et sans être sacrifiés, les personnages féminins ont, du point de vue narratif, bien moins de relief. À telle enseigne qu’au troisième acte, une Karen célèbre et vieillissante, coquetant au milieu d’une cour d’admirateurs, décide de carrément renvoyer les filles, pour ne danser qu’avec les garçons, parmi lesquels le poète Thorkild Bjørnvig (dansé par le jeune Alexander Bozinoff) que la romancière prit sous son aile un moment. Lors du voyage aux États-Unis, alors que tout s’agite autour d’elle, notre personnage, qui ressemble de plus en plus à une silhouette, semble ordonner les mouvements de l’assistance par de discrètes indications des bras. Kizzy Matiakis, au visage émacié et expressif, est très crédible dans l’incarnation des différents âges de la vie de Blixen. Vers la fin de l’œuvre, les principaux hommes qui ont jalonné son existence – son père, son amour Denys, mort dans un accident d’avion, son serviteur somali Farah – reviennent danser avec elle. L’art du ballet ne sait pas mettre en scène les considérations d’ethnologue-amateur de Blixen sur les Masaï, ni son opinion sur l’administration coloniale, mais il sait montrer le dialogue avec les fantômes.

Blixen (acte II) - Photo Henrik Stenberg, courtesy of the Royal Danish Ballet

Blixen (acte II) – Photo Henrik Stenberg, courtesy of the Royal Danish Ballet

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Anna Karenina : amours lunaires et solaires

Anna Karenina, chorégraphie de Christian Spuck, musiques Rachmaninov / Lutoslawski/ Martin Donner / Sulkhan Tsintsadze / Josef Bardanashvili; scénographie : Christian Spuck et Jörg Zielinski – Ballet national de Norvège – Oslo – Représentation du 7 novembre 2019

Comment adapter Anna Karénine en ballet ? Lisant le roman quelques jours avant d’en découvrir la version scénique par Christian Spuck (créée en 2014 à Zurich), j’avais échafaudé des tas de scénarios. La narration ferait-elle droit à la prolifération des personnages du roman, ou se centrerait-elle sur le couple formé par Anna et son amant Vronski ? Comment seraient traités les démêlés conjugaux de Stiva Oblonski, le frère d’Anna, avec son épouse Dolly, et surtout l’intrigue amoureuse entre Levine et Kitty, dont la dimension spirituelle irrigue la fin du roman ?

Et puis – des fois, le lecteur vagabonde – le chorégraphe saurait-il donner vie au prince étranger à qui, au début de la quatrième partie, Vronski doit faire visiter Pétersbourg ? Car cette silhouette, dont Tolstoï écrit qu’en dépit « de tous les excès auxquels il se livrait, il gardait la fraicheur d’un concombre hollandais, long, vert et luisant » a de quoi piquer l’imagination… Plus sérieusement, je me figurais que, comme dans son plus récent Winterreise, très peu littéral, Spuck matérialiserait aussi l’impalpable, l’atmosphère, le rapport à la nature et aux saisons.

En fait, découvre-t-on dans le synopsis inclus dans le programme, la narration se déroule de manière assez linéaire, laissant de côté les intrigues secondaires (notamment celles impliquant les frères de Constantin Levine), comme les péripéties et débats politico-économiques. Cependant, une scène d’introduction présente d’une façon prémonitoire, et poignante dans sa simplicité, les relations entre les personnages, comme leur évolution.

Puis la trame narrative se déroule – fatalement en très accéléré – comme dans le roman : l’infidélité de Stiva (dans la fameuse première phrase, « Les familles heureuses se ressemblent toutes ; les familles malheureuses sont malheureuses chacune à leur façon », le malheur est de son fait), l’arrivée d’Anna venue rabibocher Dolly avec son mari, la rencontre avec l’officier Alexis Vronski au pied du train, et tout ce qui s’ensuit…

Les différents éléments de l’intrigue sont ensuite compactés dans la grande scène de bal, où se joue la demande en mariage de Levine, refusée par Kitty qui croit être amoureuse de Vronski, alors que ce dernier, oubliant son flirt, la délaisse pour Anna. Ce qui fait pas mal de choses à suivre, avec des enchaînements pas vraiment organiques entre les mini-séquences; à ce titre, la complexité mélodique, les nombreuses péripéties orchestrales et l’hésitation rythmique récurrente de l’andante con moto des Danses symphoniques de Rachmaninov rendent bien l’humeur contrainte et incertaine des protagonistes ; seul le corps de ballet, très homogène, fait son affaire sans barguigner. Kitty (Grete Sofie B. Nybakken) relève comme inconsciemment les épaules dans ses échanges avec Levine (Silas Henriksen) et regarde plus loin que lui, comme happée par un futur cavalier imaginaire.

Spuck donne au personnage d’Anna le mouvement caractéristique d’une montée-descente de pointes jambes tendues en quatrième, qui dit à la fois l’hésitation du personnage, et le soupçon de raideur à quoi la contraint sa situation (comme on sait, la quatrième est la position la plus difficile en termes de poids du corps). Son mari Karénine (Richard Suttie) est, de son côté, tout uniment corseté et engoncé dans des émotions qu’il ne sait pas exprimer. Vronski (Philip Currell) n’a pas vraiment de geste-signature, sans doute parce qu’il est – du moins dans la première partie – tendu vers la séduction d’Anna. La scène d’amour finit de manière un peu trop littérale, mais qui permet de montrer, par après, à quel point Anna est physiquement étrangère à son mari.

Maiko Nishino, qui incarne Anna, est une vraie interprète dramatique, qui jamais – et même si Spuck cisèle ports de bras ou mouvements de main au cœur des pas de deux – n’oublie les multiples facettes de son personnage de mère et d’amante. En Vronski, Philip Currell alterne fougue, désespoir (lors de la tentative de suicide) et froideur impénétrable (quand Anna se fait jalouse). Tous les deux font un sans-faute, mais d’où vient que leur interaction laisse un peu extérieur ? Sans doute est-ce parce qu’on s’attend à quelque chose de plus rayonnant chez elle (pendant la scène du bal, raconte le romancier, sa robe de velours noire très décolletée découvre « ses épaules sculpturales aux teintes de vieil ivoire et ses beaux bras ronds terminés des mains d’une finesse exquise »), de plus séduisant chez lui, et de plus évident dans leur couple.

Et puis, les deux personnages principaux sont desservis par l’alchimie entre les interprètes de Levine et Kitty. Les scènes relatives à cette deuxième histoire, d’une veine plus intimiste, sont d’ailleurs les plus réussies : le bouleversant désespoir de Levine, sur la mélodie de « Noch’ pechal’na » (op. 26, n°12), la scène de travaux des champs, surprenante au premier abord, et qui paraît si évidente après coup (Tolstoï décrit bien des faucheurs progressant par ligne), et rythmée par la musique-bruitage quasi méditative de Martin Donner, et surtout les retrouvailles entre les deux amoureux, puis leur mariage d’une douce et simple complicité (ils arrivent et repartent à bicyclette). La narration chorégraphique de Christian Spuck (avec un bas du corps plutôt classique, et un haut du corps traversé d’angularité expressive) y donne le meilleur, grâce à Silas Henriksen et Grete Sofie N. Nybakken, tous deux tout à fait solaires. L’avouerai-je ? C’est la première fois que je tombe amoureux d’un couple de blonds.

Pour être juste, les affres d’Anna – dont le drame, au fond, est que faute d’obtenir le divorce d’avec son mari, elle est à la fois condamnée socialement et précaire dans son amour, d’où son alternance folle entre passion et jalousie – ne sont pas vraiment faciles à montrer. Dans les dernières scènes, qu’elles soient de déprime opiomane ou d’affront en société (avec l’apparition d’une rivale possible en la personne de la princesse Sorokina, une grande bringue en bonne santé qu’on a illico envie de baffer), c’est à la fois l’affaissement et la torsion déchirante avant l’effondrement. À ce moment, l’interprète est d’autant plus vraie qu’elle est seule.

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Forsythe au Châtelet : la force tranquille

A Quiet Evening of Dance. William Forsythe. Festival d’Automne. Théâtre du Châtelet. 5 novembre 2019.

Revenir au théâtre du Châtelet, aux ors rutilants de sa récente restauration mais intact dans ses incommodités initiales – espaces publics crampés et piliers à tout-va -, pour voir du William Forsythe est nécessairement une expérience à forte charge émotionnelle. Tant de souvenirs du ballet de Francfort au début des années 90 se catapultent, tant d’images de danseurs, Tracy Kay Mayer, Thomas McManus, Marc Spradling, tant de ballets enthousiasmants ou déroutants, parfois les deux à la fois, Artifact, The Loss of Small Detail, Eidos : Telos, A Isabelle A… Oui, c’est une expérience terriblement émotionnelle…

Et l’émotion peut parfois vous jouer des tours. Car cette calme soirée de danse (A Quiet Evening of Dance : traduit volontairement un tantinet littéralement) commence pour moi plus doucement que calmement. Le premier duo aux gants blancs, seulement accompagné du son amplifié des respirations, réunissant Ander Zabala et Jill Johnson est pourtant une collection des indémodables de la gestuelle forsythienne tant aimée : notamment l’usage de positions très écartées et croisées et de couronnes hyper stéréotypées. C’est une belle démonstration dans laquelle on n’entre pas forcément. Le duo suivant pour deux filles démarre par un ballet essentiellement de bras touchant les différents points du corps (hanches-épaules-coudes). On reconnaît la construction en loops (boucles) typique de Forsythe et on attend que ces désignations entraînent des départs de mouvement depuis des zones inusitées du corps. Curieusement, cela n’arrive pas tout de suite. Est-ce parce Christopher Roman, titulaire de cette pièce isolée (Catalogue) est absent ?  L’intérêt grandit cependant. Les deux filles se regardent comme pour suivre la partition de l’autre. Mais leurs deux timings semblent refuser de s’accorder, telle une mécanique désynchronisée. Lorsque les jambes s’en mêlent, on retrouve l’introduction inopinée de citations très classique (4e ouverte ou croisées avec port de bras et même des piétinés).

Et Puis, voilà l’apparition d’un grand gaillard moustachu, Rauf « RubberLegz » Yasit. Pour cette première intervention de l’homme aux jambes caoutchouc, on est surtout émerveillé par la rigueur du travail des bras. Ceux-ci semblent dicter le mouvement aux jambes; ça sautille, ça ondule, il y a des effondrements au sol « dynamiques » : une position genou à terre en fente, les bras étirés, prend un relief incroyable. Rauf Yasit semble être une vrai créature nocturne. Plus qu’à la musique musique minimaliste de Morton Feldman, on se prend à s’intéresser à la bande son de chants d’oiseaux.

Un danseur afro-américain de petit gabarit, Roderick George (les danseurs sont neuf sur scène et non plus sept sans que le théâtre du Châtelet ait jugé bon d’intégrer des erratum dans ses plaquettes. Certains noms nous échappent donc. -edit 10/11- Merci à Christine d’avoir photographié les écrans à cristaux liquide à l’entrée de la salle pour nous aider à réparer cette injustice) qui vient ensuite, très laxe et bondissant (gants oranges), impressionne par sa maîtrise technique (notamment une batterie cristalline, même en chaussons-chaussettes colorés) sans autant toucher que son prédécesseur. Son moment viendra… Mais lorsque Brigel Gjoka et Riley Watts apparaissent pour leur Duo 2015, on se sent transporté dans une forêt, la nuit, peuplée d’étranges créatures virevoltantes : un pas-de-deux intime où les deux danseurs ne se touchent jamais mais où les ports de bras dialoguent. Gjoka, sorte de Puck facétieux, semble moquer le sérieux de l’élastique et suprêmement élégant Watts. Il est le petit frère intenable aux côté d’un aîné stoïque. Et La danse vous emporte. Ce duo, qu’on voit pour la troisième fois, change et grandit à chaque revoyure… Forsythe, ou l’importance des interprètes…

William Forsythe. A Quiet Evening of Dance. DUO 2015. 
Dancers : Brigel Gjoka et Riley Watts. Photographie Bill Cooper

La deuxième partie, sur des pièces de Rameau, est moins absconse certes, plus directement charmeuse mais aussi un peu moins poétique. Les longs gants aux couleurs les plus extravagantes deviennent systématiques. La dimension parodique paraît évidente au premier abord pour le balletomane. Les danseurs répondent aux rythmes et contrepoints de Rameau d’une manière volontairement servile. Les pas de deux correspondent drôlatiquement à l’atmosphère supposée des variations « ramistes »

On voit, en filigrane, les préciosités de la danse rococo (cette partie prend d’ailleurs un petit côté ballet à entrées), les maniérismes de la danse néoclassique post-balanchinienne (de très belles variations féminines) ainsi que ses développements forsythiens (ports de bras hypertrophiés, poignets et mains presque trop ciselés). Mais le duo entre Ryley Watts et Ander Zabala (qui se délecte pour notre plus grand plaisir de cet exercice second degré), très représentatif de cette manière doxographe, est interrompu par Monsieur RubberLegzs qui, bien décidé à justifier de son surnom, casse l’ambiance et bat des ailes…avec les genoux (pied gauche sur la cuisse droite, il passe la jambe gauche de l’en-dedans à l’en dehors).

L’élastique Rauf Yasit offre encore d’autres moments mémorables. Son duo « Castor et Pollux » avec Roderik George, où chaque enroulement de l’un entraîne une action de son comparse, pour peu qu’un de ses membres se mette dans le prolongement d’un membre de l’autre, évoque l’alignement des planètes ou une mystérieuse constellation. Au milieu des joliesses néo-néo postclassiques, Yasit accomplit aussi un très beau duo avec Gjoka. Les ports de bras aux gants colorés enflamment la cage de scène. A un moment, les bras très en anses de Rauf RubberLegzs Yasit évoquent un trou noir absorbant les étoiles filantes figurées par les bras gantés de Brigel Gjoka. Ce duo qui contraste avec les autres évolutions des danseurs n’est pas sans faire référence aux hiérarchies anciennes de la danse baroque entre danse noble, demi-caractère et caractère. Les interactions des deux danseurs font penser un peu à l’acte deux d’Ariane à Naxos où Zerbinette et sa joyeuse compagnie commentent sur un mode de commedia dell’arte la tragédie grecque. Le pas de deux de Yasit avec une partenaire féminine, où Forsythe laisse le danseur-chorégraphe déployer son propre vocabulaire acrobatique, n’a pas la même poésie. Il faut se concentrer pour voir les très belles évolutions de sa partenaire.

On finit d’ailleurs par se demander  si ce pastiche de la danse mène quelque part. Car on a le sentiment d’assister à un Vertiginous Thrill Of Exactitude étiré sur 40 minutes. Comme souvent, chez Forsythe, aucune thèse n’est offerte. L’ensemble est sous le signe de l’ellipse.

Et on reste un peu perplexe à la fin. Mais qu’importe : la maîtrise presque diabolique par Forsythe des codes du ballet, passés au mixeur, sa façon de rendre le mouvement, les entrées et sorties des danseurs captivants pour le public du fait de leur rythme interne, éloigné de toute étalage gratuit de virtuosité, laisse groggy. Qui dit mieux, dans le paysage chorégraphique contemporain?

« A Quiet Evening Of Dance« . 5 novembre. Saluts. Brigel Gjoka, uncredited dancer 1 : Roderick George, uncredited dancer 2 : Ayman Harper, uncredited dancer 3 : Brit Rodemund, Pavaneh Scharafali,  Ander Zabala, Jill Johnson, Riley Watts, Rauf « RubberLegzs » Yasit.

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