Ballet du Capitole de Toulouse : Programme Napoli-La Fille mal gardée. Samedi 30 mars 2013 à 20 heures et Dimanche 31 mars à 15 heures.
Dans la Ville rose, en ce mois de mars finissant, il ne faut pas espérer passer une soirée de ballet sous les ors du Théâtre du Capitole, abrité à droite derrière la façade du bâtiment principal aux majestueux alignements classiques de la place éponyme.
Non ; il faut prendre place dans les tonitruants cars rouges du casino Barrière qui vous emmènent gratuitement sur l’île qui abrite également le Stadium du club de foot toulousain, supporter à l’entracte les néons des machines à sous et surtout une lénifiante pop internationale dispensée dans les lobbys de ce Vegas sur Garonne.
Ma foi, quand on rentre dans le théâtre, on est convié à une expérience toute différente. La salle est moderne, confortable et sobre. Des lustres entourés d’abat-jours translucides se relèvent au plafond lorsque le spectacle commence – un effet très « Raymonda-3e acte pour le balletomane impénitent que je suis. Enfin l’acoustique est bonne et la direction d’orchestre d’Enrique Carreón-Robledo alerte.
Kader Belarbi, un danseur que j’ai beaucoup apprécié, accomplit ici sa première saison en tant que directeur de la danse. Il a concocté un programme à la fois ambitieux et intelligent.
Pour une compagnie qui sort du long règne de Nanette Glushak – et qu’on attend donc rompue au vocabulaire balanchinien –, le « pas de six de Napoli » de Bournonville s’inscrit presque dans la continuité. Mister B. lui-même était très féru de danseurs danois et adorait confronter les danseurs masculins de la compagnie avec les tarabiscotages intriqués du Français de Copenhague quand il n’engageait pas directement certains d’entre-eux (Peter Martins, Adam Lüders, Ib Andersen ; plus récemment, Peter Martins a perpétué la tradition avec l’engagement de Nikolaj Hübbe).
Le Napoli-Divertissement présenté ici est en fait un collage entre le pas de deux de la fête des fleurs à Genzano (musique de Pauli) et le pas de six du troisième acte de Napoli (musique de Helsteld) augmenté de la Tarentelle qui clôture ce ballet d’action. C’est une démonstration de musicalité et de style. Les grandes caractéristiques du style bournonvilien s’y donnent rendez-vous : temps levés, sissonnes, batterie à tout va, pirouettes en dehors et en dedans initiées de toutes les positions (quatrième, cinquième, seconde…) avec un effet d’enroulement et de déroulement perpétuel. Les bras se tiennent le plus souvent sagement placés dans une seconde un peu basse en anse de panier et les fins de variation mettent l’emphase sur les fermetures de position et de gracieux port de bras. Les danseurs terminent souvent sereinement quelques mesures avant l’orchestre.
Dans le programme, Dinna Bjorn, la répétitrice du ballet annonce fièrement : « Le style Bournonville […] est avant tout une tradition vivante et non pas une reconstitution de quelque chose qui a été créé au XIXe siècle. […] Lorsque je remonte ces ballets […], je les remonte toujours avec l’idée que ce sont des ballets d’aujourd’hui, pas des pièces de musée ». De ce point de vue, les danseurs de la compagnie toulousaine ont donc relevé le défi qui leur était proposé avec une indéniable qualité d’engagement et une vraie fraîcheur à défaut de faire montre d’une véritable unité de style. Lorsqu’on regarde les biographies sommaires de ses membres, on remarque tout d’abord l’étendue du bassin de recrutement de la compagnie (des Suédois, des Russes, des Italiens, des Japonais, des Kazakhs et quelques Français), puis sa jeunesse et enfin la multiplicité des expériences professionnelles de ses membres.

Maria Gutierrez et Davit Galstyan – photo David Herrero
Certains se détachent nettement. Le soliste masculin du Pas de deux, l’Arménien Davit Galstyan, bien qu’un peu râblé, possède un beau ballon et une batterie précise. Il parvient à dompter dans le carcan formel danois une nature qu’on devine bouillonnante. Dans la première variation du pas de six, l’Ouzbek Tatyana Ten est, quant à elle, la seule à vraiment posséder cette qualité voletante du travail de pointe de Bournonville. Elle a dû être fort agréable à regarder dans le pas de deux dans lequel elle était aussi distribuée.
Dans ce rôle, sa collègue, la soliste principale Maria Gutierrez, nous a semblé, malgré de réelles qualités de précision, manquer de naturel. Les mains étaient un tantinet crispées et la connexion avec son partenaire quasi-inexistante. On a préféré Juliette Thélin, la soliste de la quatrième variation (en rouge/celle aux jetés à la seconde) qui bien qu’un peu grande pour ce type de technique, tirait partie de chaque pas de la chorégraphie. Chez les garçons, dont certains sont encore un peu verts, on a apprécié les lignes et l’élévation du jeune Shizen Kazama.

Lauren Kennedy (Lison) et Valerio Mangianti (Ragotte) – Photographie de David Herrero
Avec La fille mal gardée d’Ivo Cramer, on n’est plus à priori dans la « transmission ininterrompue d’une tradition vivante » puisque le ballet n’a guère survécu que par son synopsis. Ivo Cramér, le chorégraphe de cette Fille, montée opportunément pour le ballet de Nantes l’année du bicentenaire de la Révolution française, ne voulait pas du terme reconstitution et lui préférait celui d’interprétation; et plus de vingt ans après, on comprend encore exactement ce qu’il voulait exprimer par là. Car la Fille de Cramér, loin d’être un travail d’archéologie érudite versant dans la froide conférence doctorale, prend le parti de nous offrir les couleurs et le parfum d’une évocation.
L’évocation est bien sûr scénographique. Les décors et costumes de Dominique Delouche nous conservent l’essentiel d’une mise en scène pré-romantique : les décors changent à vue, de petits lustres malingres surplombent les décors même pendant les scènes d’extérieur et Lison nourrit une brochette de poulets mécaniques montés sur roulette. Pour les couleurs, on oscille entre les paysages champêtres d’Hubert Robert (ceux à l’origine du hameau de Trianon) et Mme Vigée-Lebrun pour la blancheur d’albâtre des teints et le nacré des costumes. Les références visuelles au ballet d’origine sont utilisées avec parcimonie et à bon escient. Colas fait son entrée en bras de manche mais coiffé d’un coquet chapeau à plume jaune ; on pense alors à la gravure russe représentant Didelot dans le même rôle. Dans la scène des moissons, un pas de trois pour un paysan et deux paysannes évoque immanquablement cette gravure où l’on voit Dauberval, Melles Allard et Guimard dans une pastorale. On l’aura compris, à la différence de la version Spoërli un temps au répertoire de l’Opéra, la Fille de Cramér n’est pas « révolutionnaire ». Quand un danseur porte un toast au Tiers État, il s’adresse aux riches financiers qui battaient le haut du pavé à Bordeaux à la fin de l’Ancien Régime. Pour Ivo Cramér, si la fille était bien représentative de la fin d’un monde, c’était par son sujet (mettant en scène des bergers plutôt que des dieux) et par sa chorégraphie, première efflorescence en France des principes de Noverre.
Cette dernière est fidèle aux intentions de la production. Ce n’est pas un traité de technique oubliée. Certes, les danseurs dansent en talons, il y a des pas glissés et de fréquents passages par de profonds pliés à la seconde mais tout cela sous forme d’un vibrant hommage au style de l’époque. Ce sont surtout les principes défendus par Dauberval qui sont honorés. La pantomime y est en effet développée d’une manière claire, comme un prolongement naturel de la gestuelle quotidienne. C’est ainsi que, sans être aussi élaborée que chez Ashton, la première scène entre Lison et Colas, sur les mêmes musiques réutilisés plus tard par Hérold, a toute la fraîcheur de la nouveauté. Plutôt que de jouer les Albrecht truculents, Colas n’accule pas Lison au baiser, il baise le ruban rouge qu’elle lui a cédé comme pour demander humblement une permission.
Les interprètes rendaient parfaitement justice à ce travail. À part le premier soliste, Valerio Mangianti, qui prête ses grands abatis et son expressivité à Ragotte, une mère à la fois querelleuse et tendre, les principaux rôles étaient tenus par de nouveaux venus. Lauren Kennedy, une Bostonienne, a cette finesse d’attache alliée à la rondeur que prisait tant le XVIIIe siècle. Elle semble née pour porter de la poudre. Elle est une Lison à la fois tendre, effrontée et par accident cruelle. Elle sait jouer de son petit panier de fraises porté sur l’épaule aussi bien pour désarmer que pour persécuter son prétendant non désiré : l’Alain de Nicolas Rombaud, un petit marquis poudré qui parvient à nous émouvoir en dépit de ses ridicules. Le partenaire selon son cœur de Lison, le Russe Alexander Akulov, à la ligne claire et à la batterie trépidante, est un Colas délicat sans affèterie, raffiné et mâle tout à la fois.
Doit-on voir un signe dans le fait qu’ils sont pour la plupart de jeunes recrues de la compagnie ? Kader Belarbi serait-il déjà en train déjà de façonner son Ballet du Capitole? C’est une question qui traverse l’esprit alors qu’on regagne la Ville rose dans les cars rouge du casino Barrière, aux côtés des danseurs logés à la même enseigne que nous.
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