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Ashton narratif ou abstrait: l’économie du geste

The Dream, Symphonic Variations, Marguerite et Armand, Royal Opera House, 2 et 3 juin 2017.

Un jour, j’en suis certain, le Royal Ballet abandonnera l’horrible coutume consistant à affubler de la même perruque blonde à frisotis toutes les ballerines incarnant Titania. Le décalage entre la chevelure et la complexion dessert autant une Akane Takada au teint de porcelaine que la brunette Francesca Hayward, qui toutes deux paraissent piètrement attifées pour carnaval. À part cette faute de goût, The Dream (1964) constitue une agréable entrée en matière du programme Ashton, qui clôture ces jours-ci la saison de ballet à Covent Garden. Sous la baguette d’Emmanuel Plasson, l’orchestre du Royal Opera House donne à Mendelssohn des accents frémissants et le London Oratory Junior Choir fait de la berceuse un moment d’irréelle suspension. À l’inverse de Balanchine, dont le Songe a récemment fait une dispensable entrée au répertoire de l’Opéra de Paris, Frederick Ashton a un sens aigu de la narration : les péripéties de la pièce de Shakespeare sont brossées à traits vifs ; en particulier, les mésaventures du quatuor formé par Helena (drolatique Itziar Mendizabal), Demetrius, Hermia et Lysander, sont rendues en quelques trouvailles hilarantes, et la séquence sur pointes de Bottom est d’une poétique drôlerie, et Bennet Gartside – soirée du 2 juin – y fait preuve d’une inénarrable décontraction.

Le soir de la première, un Steven McRae toujours précis et pyrotechnique, partage la vedette avec Akane Takada. Techniquement très sûre, la danseuse en fait un peu trop dans le style girly, notamment durant la séquence du chœur des elfes, où sa cour la prépare au sommeil. À cet instant, Titania doit avoir – à mon avis – la fraîcheur d’une Diane au bain ; Francesca Hayward (matinée du 3 juin), plus proche de ma conception, donne l’idée d’un délassement sans souci de séduction. Marcelino Sambé – qui n’est encore que soliste – incarne un Oberon impérieux et lascar. Ces deux danseurs, techniquement moins solides que McRae/Takada dans les variations solistes, intéressent davantage dans le pas de deux final, en investissant plus leur partenariat d’un enjeu émotionnel. Le tout jeune David Yudes incarne un Puck délicieusement bondissant (matinée du 3) : voilà un personnage qui donne l’air de ne pas savoir ce qu’il fait, mais le fait diablement bien.

Réglées sur César Franck, les Symphonic Variations (1946) ont l’allure d’une conversation entre musique et danse. La chorégraphie, simple et pure, requiert des six interprètes, présents sur scène en permanence, une concentration olympienne. Dès le premier mouvement de leurs bras, l’unité de style entre Yuhui Choe, Marianela Nuñez et Yasmine Naghdi frappe et enchante. Vadim Muntagirov se montre apollinien : ce danseur – accompagné de James Hay et Tristan Dyer – a un mouvement tellement naturel qu’il en paraît presque désinvolte. Avec eux, tout semble couler de source (soirée du 2 juin). La distribution du 3 juin, réunissant Lauren Cuthbertson, Yasmine Naghdi et Leticia Stock (côté filles) ainsi que Reece Clarke, Benjamin Ella et Joseph Sissens (côté garçons) fait aussi preuve d’une jolie unité, mais la concentration est malheureusement perturbée en cours de route par un problème de costume qui se détache pour Clarke.

Dans Marguerite et Armand (1963), créé pour Margot Fonteyn et Rudolf Noureev, Ashton a condensé le drame d’Alexandre Dumas en cinq épisodes : un prologue, puis, en quatre stations rétrospectives, la rencontre, la vie à la campagne, l’insulte, et la mort de la Dame aux Camélias. Dans un décor kabuki dû à Cecil Beaton, l’économie narrative est maximale : deux gestes de la main suffisent au père d’Armand (Gary Avis) pour dire à Marguerite « ta beauté se fanera bientôt« , et un petit regard vers le collier qu’il lui a offert suffit au Duc (Alastair Marriott) pour dire à Marguerite qu’elle se doit à lui. À la fin de la scène de la campagne Marguerite se lance vers l’amant qu’elle a résolu de quitter, mais une fois dans ses bras, lui tourne le dos. Ce schéma se répète quasiment jusqu’à la fin : le regard des deux amants ne coïncide quasiment plus jamais. Elle l’aime et le quitte, il l’aime et l’humilie, il revient trop tard, la serre dans ses bras et elle n’est déjà plus là. La différence d’âge entre Alessandra Ferri et Federico Bonelli rappelle celle qui existait entre les deux créateurs du rôle, mais c’est surtout la fébrilité et l’intensité de leur partenariat qui emporte l’adhésion. Bonelli a un petit truc qui marche à tous les coups – un petit tremblement dans les doigts – pour communiquer l’émotion qui l’assaille, et rendre au mouvement sa vérité dramatique (lors du piqué arabesque de la scène de la rencontre, que les danseurs narcissiques transforment en « c’est moi ! », il dit plus justement : « je suis à toi »). L’interprétation d’Alessandra Ferri prend aux tripes : au-delà de la beauté des lignes, de la fragilité maîtrisée – l’impression que sa pointe ne tient qu’à un fil et son dos à un souffle – il y a un regard d’amoureuse mourante à fendre les pierres (matinée du 3 juin).

C’est injuste, mais certaines personnes sont bêtement jolies. Quand Roberto Bolle interprète Armand, il exécute tout ce que dit la chorégraphie, en omettant le sens : on voit des moulinets des bras et non de la fureur, des grimaces et non de la douleur. C’est dommage pour Zenaida Yanowsky, qui fait ses adieux à la scène londonienne sur le rôle de Marguerite, et met tout son talent à projeter une impression de consomption que la force de son physique contredit. La performance impressionne mais n’émeut pas aux larmes.

Symphonic Variations. Photo Tristram Kenton, courtesy of ROH

Symphonic Variations. Photo Tristram Kenton, courtesy of ROH

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Dawson-Wheeldon-Pite: Pompier 2.0

Royal Ballet – Programme mixte Dawson-Wheeldon-Pite, soirée du 18 mars

Le progrès fait rage, et gagne tous les domaines de la vie. Il y a une dizaine d’années, est apparue dans les blockbusters hollywoodiens la manie des plans panoramiques, survolant montagnes et vallées, plages et champs de bataille, à la manière d’un planeur. Ces séquences en images de synthèse s’achèvent généralement par un piqué en rase-motte vers le gros plan, sis en un endroit qu’il n’est pas rare d’atteindre en traversant un trou de serrure, une fente de tronc d’arbre ou une anfractuosité dans la roche. Le passage est littéralement impossible à l’œil humain, mais la fascination pour la technique est telle que personne ne crie au chiqué. Et si le summum de la modernité était l’éclipse du regard humain ? Il y a quelques mois, l’Opéra de Paris a fièrement présenté des images du palais Garnier filmé par un drone, avec l’inévitable – et hideux – aplatissement des vues 360° que propose tout appareil numérique.

The Human Seasons (2013) de David Dawson m’a frappé comme une illustration chorégraphique de l’hubris des temps modernes : une démesure technique qui tourne à vide. La pièce emprunte son titre à un poème de Keats (Four seasons fill the measure of the year / There are four seasons in the mind of man) et – nous dit le chorégraphe – le ballet illustre les quatre âges de l’homme. Mais on est bien en peine de percevoir ce qui distingue printemps, été, automne et hiver. Aux antipodes de la structure limpide des Quatre tempéraments ou de l’alternance atmosphérique des Four Seasons de Robbins, le spectateur perçoit un mouvement perpétuel (sur une ronflante et invertébrée musique de Greg Haines) d’où aucune ligne directrice ne se dégage. C’est exprès sans doute, mais ce fourre-tout lasse vite. Les danseurs – Mlles Cuthbertson, Calvert, Lamb, Nuñez, MM. Muntagirov, Underwood, Sambé, Bonelli –  enchaînent les prouesses, mais rien entre eux ne se passe.

Les mouvements de partenariat sont si hardis (je n’ai pas dit jolis) qu’il faudrait écrire tout un nouveau lexique pour les désigner – le grand-plié-crapaud en l’air, le traîné-glissé sur le ventre, le tourbillon à ras du sol, le porté par l’arrière du genou, le grand mouliné-cambré-tête en bas, le lancé-retourné à quatre – mais on y chercherait en vain la trace ou l’idée d’une interaction humaine signifiante.

Les acrobaties qu’affectionne Dawson – notamment lors d’une épuisante séquence où Claire Calvert danse avec six bonshommes – finissent par créer le malaise. À rebours d’une partie de la critique anglaise, qui parle de sexisme, je crois que le problème est plutôt que ces manipulations se réduisent à une mécanique musculo-articulaire  (le premier porte en flambeau, le second transmet en agrippant par les cuisses, trois autres gèrent la roulade en l’air) : ce n’est pas vraiment « boys meet girl », ce sont plutôt des corps sans âme au travail (dont un qui fait environ 45 kg, sinon tout cela est irréalisable).

Il y a plus de sentiment dans After the Rain (2005), créé par Christopher Wheeldon pour Wendy Whelan et Jock Soto (New York City Ballet) ; le pas de deux – dansé par Zenaida Yanowsky et Reece Clarke – convoque des idées de séparation, d’épuisement, à travers un partenariat contorsionné (on voit clairement la filiation Wheeldon-Dawson), mais fluide. Cheveux lâchés, la blonde Zenaida, connue pour son attaque et sa technique de fer, y est à contre-emploi.

La soirée s’achève avec une création de Crystal Pite, réglée sur la 3e symphonie de Gorecki. Comme The Seasons’ Canon, créé à Paris en début de saison, Flight Pattern se distingue par une très sûre gestion des masses. Mais le propos est ici plus sombre, car la chorégraphe canadienne aborde la crise des réfugiés. Les trente-six danseurs, habillés de longs manteaux de couleur sombre, apparaissent tout d’abord en file indienne, avançant ou reculant de concert. Les séquences de groupe – qui gagnent sans doute à être vues de loin – donnent souvent l’impression d’un organisme mouvant. Les réfugiés plient leurs manteaux en coussin pour dormir, en chargent une des leurs – poignante Kristen McNally – et leur danse exprime chaos, fatigue, colère, mais aussi envol. Pite insuffle à sa gestuelle des éléments naturalistes – hoquet du plexus, poings serrés. Flight Pattern est sans conteste maîtrisé, mais aussi appuyé. À mon goût, c’est un peu de la danse pompière. Entre l’absence et l’excès de sens, mon cœur balance…

 

Flight Pattern Photo Tristram Kenton, (c) ROH

Flight Pattern Photo Tristram Kenton, (c) ROH

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Londres : la Musique, perdue puis retrouvée

P1000939Triple bill Balanchine, Shechter, MacMillan. Royal Ballet 27/03/15

Un Balanchine pour hors-d’œuvre et une autre vision du Chant de la terre de Mahler en dessert, c’était assez pour risquer la découverte d’un plat de résistance qu’un de nos rédacteurs – dont je tairai pieusement le nom – m’avait prédit être de l’ordre de l’étouffe chrétien.

Et me voici donc de nouveau de l’autre côté du Channel, déjà prêt à chanter entre King’s Cross-Saint Pancras et Covent Garden le « Magnificat ».

Quand j’ai pris des places pour la première du « Four Temperaments/New Hofesh Shechter/Song of the Earth », j’avais la prescience de mon épuisement après le « voyage d’hiver » que nous avait concocté la direction précédente à Paris : enchaîner Paul-Rigal-Lock et Le chant de la Terre de Neumeier en quelques semaines revenait à faire flotter dans l’air un bien entêtant « Ich habe genug ». Mais l’avantage des maisons de ballet anglo-saxonnes par rapport à notre Grande boutique, c’est qu’elles offrent souvent des programmes mixtes où se mêlent les influences, les saveurs ou les humeurs plutôt que de nous assener une seule idée pendant toute la soirée.

Las, je n’ai pas été spécialement convaincu par la vision des «Quatre Tempéraments» défendue par le Royal Ballet. Comment dire… Qui a fait répéter les danseurs dans ce style « film muet »?

Dans le 3ème thème, Melissa Hamilton, au lieu de caresser le sol comme une nymphe en suspension, semble sauter sur ses pointes tant Ryochi Hirano la manipule brusquement. L’iconique poisson renversé ne semble être exécuté qu’en passant. Dans « Mélancolique », McRae nous sert une collection de couronnes raides et stéréotypées. Il semble vouloir faire sa meilleure imitation de Robert Helpmann dont ce n’était pourtant pas le répertoire. Dans « Sanguin », on trouve enfin très peu de Jazz. Akane Takada (qui remplace Osipova) utilise ses jambes comme des compas forcés et oublie consciencieusement le moelleux. Elle est pourtant aux bras de Federico Bonelli qui connait son affaire. Ce manque de tendu-relâché s’applique d’ailleurs à l’ensemble du corps de ballet féminin. Et si les jambes se lancent avec force, elles ne le font pas toujours avec synchronisation.

On sent un peu de cette même vision « pantomime » de l’interprétation quand Ed. Watson interprète « Flegmatique ». Mais c’est plus fort que lui. Il ne se montre jamais autrement que moelleux, serpentin et délicieusement imprévisible. Zenaida Yanowsky, quant à elle, vitupère comme une diva, pour notre plus grand bonheur. On se souviendra aussi de Yuhui Choe dans le deuxième thème lorsqu’elle est lancée en l’air par Alexander Campbell : sa batterie acérée ne vient jamais parasiter sa délicieuse féminité.

Mais pour le reste, l’allégorie du mouvement n’était pas à l’ordre du jour d’autant plus que l’orchestre, à ma grande surprise, n’a pas donné la plus ébouriffante interprétation de la partition d’Hindemith.

Triple Bill-Royal Ballet-ROH. Photographed by Tristram Kenton. Edward Watson in The Four Temperaments.

Triple Bill-Royal Ballet-©ROH. Photographed by Tristram Kenton. Edward Watson in The Four Temperaments.

« Untouchable » d’Hofesh Shechter est une création sur une musique percussive, avec cordes et mélopée de voix. Vingt danseurs habillés à la Mad Max sont rangés en un carré de cinq lignes successives sur un sol cerclé de douches de lumière. Le carré initial se casse en sections de dix ou en groupes divers plus réduits qui oscillent des bras et du buste. Bien qu’assouplie, la structure géométrique initiale du groupe reste toujours présente. Au début c’est assez fort. Mais après dix minutes, on commence à se demander où tout cela va. Hofesh Shechter à une corde très forte à sa lyre, mais elle semble ne jouer qu’une seule note.

À moins que… Allez, autant l’avouer. J’ai la forte présomption d’avoir piqué du nez. L’un de nos rédacteurs m’assure que, vu la musique créée habituellement par ce chorégraphe, c’est un tour de force. Je prends cela comme un compliment.

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Triple Bill-Royal Ballet- ©ROH. Photographed by Tristram Kenton. Artists of The Royal Ballet in Untouchable

J’appréhendais un peu néanmoins l’heure à passer avec le « Song of the Earth », même dans la version de MacMillan. Une expérience sous le signe de la comparaison après l’épreuve des représentations parisiennes.

Heureusement le parti-pris du chorégraphe britannique est diamétralement opposé à la version mollement panthéiste de Neumeier. Tout d’abord, la partition est jouée de bout en bout, gardant sa dynamique et la chorégraphie fait un jeu avec l’ellipse (souligné par le sobre décor en arc de cercle) qui sied à la musique de Mahler (là où tout chez Neumeier tendait vers le parallélépipède).

De plus, MacMillan, identifie clairement trois personnages – l’homme, la femme, la mort – ce qui donne un fil clair, une cohérence narrative à cet assemblage de poèmes traduits très librement de lettrés chinois à la fin du XIXe siècle. Cela permet de se raccrocher à des individualités, à des humains, plutôt qu’à des principes vaguement symboliques. Moins de ciel et plus de terre, donc.

Le chorégraphe britannique n’a pas peur non plus de céder aux humeurs de la musique quand Neumeier s’est montré adepte du contrepoint systématique. Des images fortes arrivent à point nommé sans être « attendues »: à la fin du Chant 1, le génie de la mort (Carlos Acosta), porté en l’air par les garçons de la troupe est lâché brusquement. Il roule le long de leur corps mais est rattrapé à quelques centimètres du sol, le bras tendu, la main écarquillée vers le ciel. Dans le chant 2, l’un des garçons saute à la poitrine de l’autre. Ce dernier se renverse comme une planche et reste coincé en oblique entre les jambes du premier, contemplant le ciel. L’effet est presque comique. Mais l’œuvre de Mahler est parfois facétieuse. MacMillan n’hésite pas non plus à introduire un soupçon de narration comme dans le mouvement de la jeunesse, mené de droit par la moelleuse Yuhui Choe, où le corps de ballet se fait décor, figurant les pagodes en bord de lac évoquées par poème. Dans le 5e chant, « l’homme ivre au printemps », le trio réunissant l’homme (Thiago Soares), et deux amis (Alexander Campbell et Valeri Hristov) n’hésite pas à appuyer sur leur côté débridé.

C’est un des aspects attachants de cette version. Si La mort est omniprésente dans le ballet, elle n’est jamais directement menaçante. Elle est même amicale, participant au jeu de la vie, comme pour suggérer que c’est elle qui lui donne son prix. La gravité n’est jamais appuyée. À un moment, les garçons sont agenouillés et les filles font des piétinés en arc de cercle tantôt s’éloignant tantôt se rapprochant d’eux. L’effet est simple et juste touchant : une parfaite image de l’amour et de sa constante perte. Le trio final est un grand moment de danse pure, à la fois abstrait et charnel. Les statures athlétiques de Thiago Soares et de Carlos Acosta magnifient les longues et liquides lignes de Marianela Nuñez. Le trio part amicalement et paisiblement vers un infini où on voudrait bien le suivre.

Oubliées fatigue et ennui. Le lendemain matin tournoyaient dans ma tête les premières phrases du Chant de la terre : « Schon winkt der Wein im gold’nen Pokale… ». Et presque enivré par le sentiment de ma propre finitude, je suis parti dans Londres vers d’autres aventures.

Triple Bill-Royal Ballet-: ROH. Photographed by Tristram Kenton. Carlos Acosta as The Messenger of Death, Marianela Nuñez and Thiago Soares in Song of the Earth.

Triple Bill-Royal Ballet- ©ROH. Photographed by Tristram Kenton. Carlos Acosta as The Messenger of Death, Marianela Nuñez and Thiago Soares in Song of the Earth.

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Le soleil a rendez-vous avec la lune (Winter’s Tale, Wheeldon)

 

P1000939The Winter’s Tale, ballet de Christopher Wheeldon, musique de Joby Talbot, décors de Bob Crowley, lumières de Natasha Katz. Royal Ballet, le 12 avril 2014. Orchestre du Royal Opera House dirigé par David Briskin.

 

On prend les mêmes et on recommence. Trois ans après la création de ses Aventures d’Alice aux pays des merveilles, Christopher Wheeldon chorégraphie à nouveau un ballet narratif pour Covent Garden, avec la même équipe (Joby Talbot pour la musique, Bob Crowley aux décors et Natasha Katz pour les lumières), et les mêmes danseurs. Le défi est quand même tout autre : les aventures d’Alice imposaient de donner vie à un guilleret non-sens, et d’inventer des solutions visuelles pour des péripéties aussi multiples que burlesques, comme les changements de taille de l’héroïne ou le jeu de croquet avec des flamands roses. L’adaptation de la pièce de Shakespeare suppose de rendre sensible des événements plus intérieurs, ainsi que le passage du temps.

Le Temps, personnage de la pièce de théâtre, est, comme d’autres personnages secondaires, absent d’un livret qui recentre l’action sur les principaux protagonistes. Mais il en reste assez pour donner de jolis rôles à six principals du Royal Ballet. Léonte, roi de Sicile (Edward Watson), accueille son ami d’enfance Polixène, roi de Bohème (Federico Bonelli), et se persuade au fil du temps que son épouse Hermione (Lauren Cuthbertson) l’a trompé avec son invité. Certain que l’enfant qu’elle porte n’est pas de lui, il l’accuse violemment, provoquant apparemment sa mort et celle de son fils aîné Mamillus ; le bébé qu’il ne veut pas reconnaître est abandonné au loin. Seize ans après, elle est une jolie bergère de Bohème – prénommée Perdita – et amoureuse d’un prince déguisé (Florizel, fils de Polixenes, à qui la mésalliance déplaît). Les amoureux s’enfuient en Sicile, Perdita (Sarah Lamb) retrouve son père, les amis se réconcilient, et Hermione cachée tout ce temps par la fidèle Pauline (Zenaida Yanowsky) réapparaît comme par miracle. La fille et la mère se découvrent. Seul Mamillus reste définitivement mort.

La production joue de l’opposition entre deux pôles – la tragédie, grisâtre et lunaire (Sicile) et la comédie, fluorescente et solaire (Bohème) – dont le troisième acte assure la réunion. Pour peu qu’on ait rapidement parcouru le synopsis, le fil narratif se suit aisément ; grâce à une combinaison astucieuse entre décor, musique, mouvement et lumières, on entre ainsi aisément dans la tête d’un jaloux qui imagine le pire. Il faut dire que la chorégraphie met en valeur la faculté d’acuité douloureuse d’un Edward Watson aux jambes-ciseaux, aux doigts écartelés et aux yeux hallucinés. Les autres rôles aussi taillés sur mesure pour l’innocence laiteuse et la légèreté de Lauren Cuthbertson, le charme irrésistible de Bonelli, l’infaillibilité de Zenaida Yanowsky, la fraîcheur presque enfantine de Sarah Lamb, comme pour la grisante juvénilité saltatoire de Steven McRae (Florizel).

Tout n’est pas réussi aux actes I et III : la mort de Mamillus et l’évanouissement d’Hermione tombent un peu platement, et lors du touchant moment où la statue d’Hermione prend vie, le climax musical est franchement trop badaboum. Mais on se souviendra longtemps des deux séries de tours arabesque d’Hermione, qui disent l’innocence lors de la scène du procès, et se teintent d’un soupçon de reproche au moment des retrouvailles avec Léonte.

Au cœur de l’œuvre, l’acte bohémien est d’une gaieté à donner le tournis. Le spectateur y est éclaboussé d’une incroyable débauche de couleurs étalées sur les robes pastel des filles et les jupes asymétriques des garçons, dont chaque pirouette, dévoilant une doublure à motif inattendu, est une surprise pour l’œil. La fête du mois de mai est parsemée de motifs subtils et de petites inventions (les petits ronds de jambe vers l’arrière, en parallèle cuisse contre cuisse) dont Sarah Lamb s’empare avec la gourmandise d’une collégienne. Les mouvements d’ensemble épatent, mais les échanges entre Perdita/Florizel restent simplement décoratifs (alors que dans Alice, les pas de deux avec le valet de cœur étaient pétris d’émotion). Nous sommes en féérie et ce Conte d’hiver aux curieux accents orientalisants – par la couleur, la musique ou le mouvement – fait facilement prendre le large.

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Sur les ailes de la danse : avec ou sans accessoires?

P1000939Raven Girl (conte de Audrey Niffenegger, adapté et chorégraphié par Wayne McGregor, musique de Gabriel Yared, décors de Vicki Mortimer, lumières de Lucy Carter). Symphony in C (Balanchine/Bizet, costumes d’Anthony Dowell, lumières de John B. Read). Orchestre du Royal Opera House dirigé par Koen Kessels. Matinée du 29 mai 2013.

La commande du chorégraphe Wayne McGregor à la romancière Audrey Niffenegger était claire (un « conte de fées moderne ») et elle s’en est acquittée de jolie manière. Un facteur recueille une petite corbeau tombée du nid. Les deux tourtereaux tombent amoureux et font un œuf ensemble. Le poussin devient une fille à la crinière de jais. La fille-corbeau, oiseau prisonnier d’un corps humain, piaille et s’essaie à voler. À l’université, son professeur de biotechnologie lui apprend l’existence des chimères, ces hybrides mythologiques. Elle convainc sans peine le savant fou de lui greffer des ailes. Un étudiant, secrètement amoureux d’elle, tente en vain de s’opposer à l’opération, qui réussit. La belle prend son envol et trouve l’amour auprès d’un prince corbeau.

L’histoire est délicieusement gothique, mais la réalisation scénique fait l’effet d’une becquée de plein hiver. Ambiance, décor, habits et crinières sont placés sous le signe du noir. McGregor dit ne pas avoir voulu faire du ballet narratif, mais du théâtre visuel. Il fait pourtant un recours massif, et presque scolaire, à la pantomime : le facteur, incarné par un Edward Watson chorégraphiquement sous-employé, trie ses lettres une par une, et aucune étape de sa tournée de distribution à bicyclette ne nous est épargnée. Parallèlement, des solutions technologiques – projections animées sur écran transparent sur le devant de la scène, c’est un peu déjà-vu comme disent les Anglais – font avancer l’intrigue.

C’est à se demander à quoi sert la danse. Après Genus (dont McGregor reprend les images de vols d’oiseau décomposés à la Jules Etienne Marey), on s’attendait à une chorégraphie exploitant la mobilité du cou, à des bras sidérants de mobilité et à des tas de torsions du tronc. Mais, peut-être par souci de renouvellement, il ne reprend pas les mouvements d’oiseau sur échasses de ses précédentes créations. Sa composition, notamment pour le peuple des corbeaux, est d’un surprenant classicisme. Est-ce parce que la musique cinématographique de Gabriel Yared coule dans l’oreille comme un sirop de soupe ? On a le sentiment en tout cas que le chorégraphe a trop misé sur la vidéo et les accessoires (les masques, les ailes-prothèses), et pas assez sur le pouvoir expressif du mouvement.

À certains moments, la greffe prend, et la fusion entre la danse et le dispositif visuel crée du sens. Attirée par la grimpette, la Raven Girl construit et gravit un emboîtement de chaises (elles-mêmes perchées sur une table, on a grand peur pour Sarah Lamb). Plus tard, elle sera juchée, telle une acrobate, sur un cerceau suspendu au plafond. Mais le plus souvent, on est plus frappé par la beauté plastique – froide, monochrome – des images qu’emporté par l’histoire, d’autant que l’énervant écran transparent qui sépare le spectateur des danseurs n’est jamais levé. Les personnages du facteur (Watson), de la mère-corbeau (Olivia Cowley), du savant fou (Thiago Soares) sont des utilités. Seul l’admirateur timide de la fille-corbeau (Paul Kay) a un touchant solo d’amoureux maladroit. Il finit par disparaître – seconde glaçante – dans une des anfractuosités de la roche. Survient alors le pas de deux entre la fille et le prince (Eric Underwood, dont le personnage surgit du néant), où McGregor a donné au mouvement de son héroïne une qualité flottante, et au partenariat une sensualité liquide qui tranchent avec tout ce qui a précédé. Et tout ça – mais c’est un peu tard – sans accessoire.

Changement d’ambiance avec Symphony in C, le ballet jubilatoire de Balanchine sur la musique de Bizet, qui requiert un corps de ballet tip-top, et dont on attend avec impatience la version d’origine à Paris la saison prochaine (Le Palais de cristal, avec, notamment, des parties semi-solistes plus raffinées, si du moins l’Opéra de Paris daigne les conserver). Au côté d’un pâlot Ryoichi Hirano, Zenaida Yanowsky – qui toise toujours la salle avec gourmandise – fait du premier mouvement une démonstration de technique trop carrée. Dans l’adage, Marianela Nuñez a, comme souvent et comme il sied, l’air de danser en rêve : voilà un cygne aux lignes souples et pourtant infinies, qui semble in fine s’évanouir de confiance dans les bras de Thiago Soares, prince-consort attentionné. À l’applaudimètre, ce sont pourtant les solistes du troisième mouvement, Yuhui Choe et Steven McRae, qui emportent le morceau. Dans ce mouvement rapide, le plus technique et le plus équilibré (l’homme et la femme y ont quasiment la même partition), ils font preuve d’une précision électrisante. Chacune de leurs réceptions est un nouveau miracle de synchronie et de légèreté. Dans le dernier mouvement, également Allegro vivace, Laura Morera emballe son monde en très peu de temps (avec Ricardo Cervera pour partenaire), avant un grand finale réunissant toute la distribution (soit les 8 solistes, les 16 semi-solistes – d’où se dégagent celles du 2e mouvement, Tara-Brigitte Bhavnani et Olivia Cowley – et les 28 filles, pas toutes convaincantes, du corps de ballet). Le crescendo orchestral et chorégraphique donne, entre autres, l’occasion de comparer quatre incarnations et quatre styles de ballerine : l’assurance (Yanowsky), la douceur (Nuñez), l’agilité (Choe, candidate évidente à un prochain étoilat) et le charme (Morera).

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Mayerling : Rudolf, les femmes et l’Histoire

P1000939Tout est déliquescent au royaume de Franz Josef. L’héritier du trône a la syphilis, il est morphinomane et obsédé par les armes à feu. Il est entouré par un quatuor de femmes qui pourraient incarner chacune un  vice dans une bolge de l’enfer de Dante : Égocentrisme (L’impératrice Élisabeth), Avidité (Marie Larisch, ancienne maîtresse devenue entremetteuse), Impudeur (l’actrice Mitzi Caspar, maitresse en cour) et Jalousie (sa femme, la médiocre princesse Stéphanie). Comme si cela ne suffisait pas, une cinquième femme va rentrer en lice. Elle est d’apparence plus ingénue mais est sans doute la pire de toutes les hydres qui entourent un prince affligé, par surcroît, de soucis politiques.

Un sujet aussi complexe était fait pour exciter la muse de Kenneth MacMillan. Fort du  succès de Manon, gagné au forceps, le grand Kenneth décida de réitérer dans le domaine scabreux en réunissant, à peu de choses près, la même équipe.

Pour suggérer un monde étincelant mais vidé de substance, personne n’était en effet plus indiqué que Nicholas Georgiadis. Les ors chatoient donc dans cette production, à l’instar de cette monumentale tapisserie de brocard aux armes de la double monarchie pendue sur le devant de scène au début du ballet. Mais les tentures et les oripeaux emplumés cachent souvent des mannequins sans vie (les gardes impériaux des noces du prince Rudolf ou les robes de l’impératrice Élisabeth suspendues, fantomatiques, dans sa chambre).

John Lanchbery, le ré-orchestrateur des pages de Massenet pour Manon, a choisi, assez logiquement, des pages de l’austro-hongrois Ferencz Liszt pour évoquer l’empire des Habsbourg au tournant du siècle. Mais la logique ne crée pas nécessairement le miracle du chef-d’œuvre. La partition de Manon est certes contestable du point de vue de l’orchestration, mais elle a une identité propre. Celle de Mayerling est juste fonctionnelle.

Comme dans Manon, la chorégraphie de MacMillan est strictement narrative. Si John Neumeier s’était attaqué à ce sujet, il aurait certainement intercalé des moments de danse abstraite pour évoquer la psychologie des personnages ou donner du sens à leurs gestes. Avec MacMillan, les atermoiements des protagonistes du drame découlent des faits. Et dans ce marasme qui conduit au drame de Mayerling, des faits, il y en a beaucoup. Trop peut-être. Manon, adaptation d’une œuvre littéraire avait été retaillée spécialement pour le ballet. Dans Mayerling, aucun tenant ni aucun aboutissant n’est négligé. Du coup, la soirée dure plus de trois heures, au risque de nous perdre en chemin. Personnellement, la scène de tirage des cartes entre Maria Vetsera, sa mère et la comtesse Larisch, au milieu de l’acte II, m’a semblé superflue, surtout entrelardée entre une scène de taverne louche (dans la veine de la scène chez Madame de Manon) et un feu d’artifice impérial où le héros découvre que sa mère est adultère. Et quand arrive la première véritable rencontre entre Rudolf et Maria Vetsera – celle où la jeune fille menace l’héritier de la Couronne d’un revolver – notre attention est quelque peu érodée.

C’est dommage, car MacMillan n’est jamais autant à son affaire que dans les pas de deux. Et, vu la multiplication des personnages féminins, ceux-ci sont aussi divers que nombreux pour Edward Watson, le prince Rudolf profondément malade et tourmenté de ce soir de première. Longiligne, presque efflanqué dans ses uniformes de parade, Ed. Watson promène en effet son malaise (et également, pour notre plus franc bonheur, ses lignes étirées jusqu’à l’abstraction) de partenaire en partenaire, développant à chaque fois une variation sur le thème de « l’inadéquation » par le pas de deux. Avec la comtesse Larisch incarnée par Sarah Lamb, vipère au teint d’albâtre , c’est le refroidissement des passions. La trame des pas de deux pourrait être assez classique mais la partenaire est toujours tenue à distance. Les brefs rapprochements ne se font qu’en renâclant. Avec sa mère, l’impératrice Élisabeth (Zenaida Yanowsky, subtil mélange de hauteur et de fragilité), Ed-Rudolf courbe sa colonne vertébrale comme le ferait un chat à la recherche d’une caresse ; mais c’est pour buter sur un corps aussi dur et froid qu’une cuirasse. Avec Mitzi Caspar (Laura Morera, qui danse clair et cru) il est relégué au rang d’utilité – un commentaire sur son statut d’amant payant ou sur son impotence ? Les principaux partenaires de la donzelle sont les quatre nobles hongrois censés évoquer les soucis politiques du prince (le plus souvent ils ont plutôt l’air de polichinelles montés sur ressort qui font irruption de derrière des tentures). Ryoichi Hirano, Valeri Hristov, Johannes Stepanek et Andrej Uspenski démontrent-là leur science du partnering dans un pas de cinq qui n’est pas sans évoquer le jeu de la grande soliste et des quatre garçons dans Rubies de Balanchine.

Mais les moments les plus forts sont ceux que Rudolf passe avec les deux opposés dans le spectre de ses relations féminines. Avec la princesse Stéphanie (Emma Maguire, qui laisse affleurer l’orgueil sous l’oie blanche diaphane), son épouse abhorrée, il semble former un monstre à plusieurs têtes. Edward Watson, les linéaments du visage déformés par la haine, écartèle la jeune épousée, la prend en charge comme un paquet de linge sale. Dans un effort surhumain pour se conformer à ce qui est attendu d’elle, la jeune mariée s’élance sur son époux mais elle atterrit lamentablement sur son dos puis entre ses jambes. C’est la puissante peinture d’une relation dévoyée. Avec Maria Vetsera, la parèdre de Rudolf dans la folie, les pas de deux mettent en harmonie les lignes sans pour autant dégager une impression de plénitude. Mara Galeazzi dépeint Maria Vetsera sous forme d’un petit animal pervers face à un Rudolf désormais hors de tout contrôle, dont elle ne mesure pas la dangerosité…

Resserré sur cette relation maladive de Rudolf avec les femmes, Mayerling eût pu être un chef-d’œuvre. Mais à trop vouloir montrer, le chorégraphe a un peu noyé les principaux protagonistes dans un océan de personnages secondaires. C’est ainsi qu’en dépit d’une partition dansée conséquente, Bratfisch, le cocher confident du prince, reste à l’état d’esquisse. Ricardo Cervera a beau mettre toute sa légèreté et son esprit dans les deux variations bravaches qui lui sont attribuées,  ouvrir et refermer le ballet, sa présence reste néanmoins accessoire à l’action.

 Tel qu’il se présente aujourd’hui, avec toutes ses notes de bas de page, Mayerling ressemble à un cousin boursouflé de Manon.

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Wheeldon : Alice! Oh Merveille!!

Alice : Sarah Lamb. Photographie Johan Persson. Courtesy of ROH

Alice : Sarah Lamb. Photographie Johan Persson. Courtesy of ROH

Alice’s Adventures in Wonderland

Reprise du Royal Ballet (Londres) du 15 mars au 13 avril.

Créé au printemps 2011, et repris depuis chaque saison, Alice’s Adventures in Wonderland fait encore un petit tour de piste au Royal Opera House à compter du 15 mars. La commande d’un ballet narratif était un gros pari pour la compagnie, dont la dernière création d’envergure similaire – le Prince des Pagodes – datait de 1989. Sa réussite tient à une collaboration exemplaire entre les différents pupitres créatifs : Christopher Wheeldon pour la chorégraphie, Joby Talbot pour la musique, Nicolas Wright pour le livret, Bob Crowley pour les décors, Natasha Katz pour les lumières, ainsi que John Driscoll et Gemma Carrington pour les projections vidéo.

Alice : Sarah Lamb & Federico Bonelli. Photographie Johan Persson. Courtesy of ROH

Alice : Sarah Lamb & Federico Bonelli. Photographie Johan Persson. Courtesy of ROH

Le récit des aventures d’Alice est doublement enchâssé : dans l’espace (Oxford et le pays des Merveilles), et dans le temps (le passé victorien et le présent en jeans). En trois actes (deux à l’origine, mais la structure a été retravaillée en 2012), nous passons d’une réception familiale collet-monté au centre de la terre via à la poursuite d’un lapin blanc, et accompagnons Alice dans toutes ses pérégrinations : les multiples transformations physiques, la rencontre avec de multiples personnages extravagants – dont le chat du Cheshire, un chapelier fou, une théière et une chenille –, la confrontation avec une Reine de cœur impayable et impitoyable, flanquée d’une cour de jeu de cartes… Les inventions visuelles foisonnent et – il fallait bien glisser du sentimental dans les pas de deux – Alice a une charmante aventure avec Jack le jardinier, qui deviendra, au pays des Merveilles, son Valet de cœur.   Wheeldon a fait de chaque échange entre Alice et Jack une exquise câlinerie chorégraphique – et il a même rajouté un pas de deux dans la version révisée.

Alice, photographie de Johan Persson. Courtesy of ROH

Alice, photographie de Johan Persson. Courtesy of ROH

Mais il n’y a pas que de l’amourette dans Alice : nous assistons à ce que les spectateurs du XIXe siècle appelaient un ballet-féérie, et semblons toucher du doigt l’esprit dans lequel avait été créé un Casse-Noisette. La synthèse entre les arts est portée à son comble dans la scène du jeu de croquet. Les flamands-roses font office de maillets : les volatiles sont figurés par de longilignes danseuses portant un gant en forme de tête d’oiseau, qui exécutent une chorégraphie sinueuse tandis que les participants au jeu royal actionnent, de la manière la plus loufoque, des peluches au cou articulé. La chorégraphie mélange dans le même temps les références balanchiniennes (les jardiniers commis à la peinture en blanc des roses rouges, qui se transforment en muses d’Apollon musagète au bord de la crise de nerfs) aux citations déjantées de Petipa. L’adage aux tartelettes pour la reine de cœur est une superbe et hilarante variation sur le thème de la Belle au bois dormant, à la fois sur le plan chorégraphique et musical. Pour la scène de la fuite, après que le corps de ballet de cartes aux amusants tutus découpés aux quatre couleurs s’est effondré comme une rangée de dominos, la musique (à grand renfort de percussions) et les projectionnistes (via un obsédant défilement des cartes) prennent le relais de la narration.

On ne saurait résolument recommander une distribution plutôt qu’une autre : toutes les Alice (Sarah Lamb, Yuhui Choe, Beatriz Stix-Brunell, Lauren Cuthbertson) et tous les Jack (Federico Bonelli, Nehemiah Kish, Rupert Pennefather) sont a priori charmants et adéquats au rôle. Et on ne sait pas trop qui, de Zenaida Yanowksy, Itziar Mendizabal ou Laura Morera, est la plus tordante en Reine de cœur.

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Hommage à Ashton : le théorème de la nappe

P1000939Royal Opera House, soirée du 23 février 2013

En hommage à Frederick Ashton, décédé il y a 25 ans, le Royal Ballet a présenté plusieurs de ses pièces courtes. La série de représentations est maintenant achevée, mais le programme sera diffusé au cinéma ainsi qu’en DVD au début de l’été. J’ai vu la distribution qui n’a pas été enregistrée, et comme chez les Balletonautes, on ne craint pas d’être inactuel, j’ai résolu de vous en parler.

Dans son poème chorégraphique La Valse (1920) – que Diaghilev jugea impropre à un ballet – Maurice Ravel fait entendre, après l’effondrement et les fureurs de la guerre, le souvenir de la folle insouciance de la Belle Époque. Dans la chorégraphie d’Ashton (1958), nous sommes aussi dans le monde d’après : le vaporeux début du bal est vu à travers un voile rétrospectif. Puis, tout s’emballe, les valseurs virevoltent sans discontinuer, se laissant gagner par l’hystérie de l’orchestre, et répétant sans cesse des portés d’un pied sur l’autre. Le tourbillon est glaçant, et tant pis si les trois couples principaux – Tara-Brigitte Bhavnani et Valeri Hristov, Kristen McNally et Kenta Kura, Laura McCulloch et Thomas Whitehead – ne sont pas toujours ensemble : qui donc le serait au bord d’un gouffre ?

Changement d’ambiance avec la Méditation de Thaïs (1971), pièce de gala créée pour Antoinette Sibley et Anthony Dowell (ce dernier a aussi réalisé les costumes orange-chargé). La sensualité tropicale est une fausse piste pour interpréter cette pièce (c’est celle qu’empruntent Thiago Soares et Laura Morera dans une captation de 2004, publiée en DVD courant 2011). Rupert Pennefather et Sarah Lamb dansent nocturne, éthéré, irréel. Quand le danseur attrape par la taille la ballerine voilée qui passe à sa portée, on dirait qu’il saisit une ombre. Voices of Spring (1977), créé dans le cadre d’une production de la Chauve-Souris de Johann Strauss, est un pas de deux champêtre et hors du temps. Léger et charmant, comme Yuhui Choe et Alexander Campbell.

Monotones (MM. Kish et Hirano; Mlle Nunez); photo Tristram Kenton, courtesy of ROH

Monotones (MM. Kish et Hirano; Mlle Nunez); photo Tristram Kenton, courtesy of ROH

Le plat de résistance – et la principale curiosité de ce programme – vient après le premier entracte : Monotones I et II (1965-1966, sur les trois Gnossiennes et les trois Gymnopédies d’Erik Satie). Monotones « en blanc », présenté en second mais créé en premier, a plutôt été présenté ces dernières années de manière exceptionnelle (par exemple lors d’une soirée de gala entre le Royal Ballet et le Bolchoï, ou à l’occasion du gala de l’Entente cordiale à Paris en 2004). À l’instar des jolies nappes qui, restant au placard trop longtemps, laissent irrémédiablement voir des traces de pli, les chorégraphies peuvent souffrir de leur inemploi. C’était le cas en 2003 à Moscou, où Zenaida Yanowsky, Iñaki Urlezaga et Edward Watson, n’ayant probablement pas beaucoup répété, laissaient voir toutes les coutures. Cette fois-ci, visiblement, la pièce a été sérieusement transmise. Christina Arestis (la plus liane des danseuses londoniennes), Ryoichi Hirano et Nehemiah Kish réussissent de jolis unissons suspendus : on s’émerveille de la simplicité et de la sérénité des enchaînements, jusqu’à être ému, plus encore que par les arabesques, par le moelleux d’un simple demi-plié. Monotones « en vert » (dansé par Yasmine Naghdi, Romany Padjak et Tristan Dyer), qui ouvre la marche, est plus terrien, rythmé, presque oriental par moments.

Federico Bonelli et Zenaida Yanowsky, Marguerite et Armand, photo Tristram Kenton, courtesy of ROH

Federico Bonelli et Zenaida Yanowsky, Marguerite et Armand, photo Tristram Kenton, courtesy of ROH

Marguerite et Armand (1963) n’avait été dansé que par Rudolf Noureev et Margot Fonteyn (jusqu’en 1977), jusqu’à ce que Sylvie Guillem et Nicolas Le Riche s’en emparent en l’an 2000 (après bien des hésitations pour Mlle Guillem). L’enjeu des reprises de 2011 et 2013 est, au fond, de libérer la pièce de ses mythes.

La première fois que j’ai vu la pièce d’Ashton, j’avais été séduit par l’économie narrative (il suffit de deux mouvements des doigts au père d’Armand – Christopher Saunders – pour expliquer à Marguerite que sa jeunesse va bientôt s’évanouir), agacé par l’hypertrophie musicale (l’orchestration de la sonate de Liszt), et ému par la densité entêtante des pas de deux.

Face à une Zenaida Yanowsky qui est plus grande dame que petite femme fragile, Federico Bonelli se présente non pas en conquérant mais en impétrant : il saute sur scène comme on se jette dans l’arène, mais ses doigts tremblent d’émotion ; on est d’emblée emporté par l’histoire. Sans être bouleversé par les interprètes, malgré leurs qualités : Bonelli fait trop jeune et Yanowsky est trop forte pour qu’on imagine que, dans un monde sans phtisie ni préjugés, leur couple aurait duré. Sans même parler de sa taille (elle est plus grande que lui en pointe), Mme Yanowsky reste solide même quand elle est éperdue, alors que dans le même rôle, Tamara Rojo était l’incarnation de la fragilité en larmes.

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Royal Ballet décembre 2012 : Du feu dans la nuit étoilée

P1000939Royal Opera House – Représentations du 29 décembre 2012. Firebird : Mendizabal, Gartside, Bhavnani, Avis (matinée) ; Galeazzi ,Watson, Arestis, Marriott (soirée) ; In the Night : Lamb/Bonelli, Kobayashi/Pennefather, Cojocaru/Kobborg (matinée) ; Maguire/Campbell, Yanowsky/Kish, Marquez/Acosta (soirée) ; Raymonda (Acte III) : Cojocaru/McRae (matinée) ; Yanowsky/Hirano (soirée) ; Orchestre dirigé par Barry Wordsworth ; piano solo : Robert Clark.

 

L’Oiseau de feu est un ballet qui plaît aux enfants – les trois petites filles qui étaient devant moi pendant la matinée n’ont pas moufté, alors qu’elles n’ont pas tenu tout In the night et ne sont pas revenues pour Raymonda –, mais pas forcément aux jeunes, qui ne veulent plus croire aux contes, et que la profusion des motifs déroute (j’ai vécu une expérience similaire la première fois que j’ai vu Petrouchka). Pour ma part, je ne sais pas ce que j’aime le plus dans ce ballet : la magnificence musicale, l’invention des costumes, la variété des ambiances et des styles, ou encore le majestueux hiératisme de la scène du couronnement, qui permet d’admirer, pendant quelques précieux instants, le rideau de scène créé par Natalya Goncharova en 1926. Itziar Mendizabal danse avec une fougue animale. On a parfois l’impression, à certains frémissements des bras, ou à l’abandon du haut du corps quand elle est rompue de fatigue, que ses ailes ont une vie propre. Mara Galeazzi, qui interprète le rôle de l’Oiseau en soirée, est plus humaine et contrôlée. Du coup, la confrontation avec Ivan Tsarevitch change de sens : nous ne voyons plus un oiseau et un rustaud (Bennet Gartside), mais une femme et un brutal (l’altier Edward Watson). La rencontre avec la belle Tsarevna, en revanche, est toujours la découverte d’un monde laiteux, tout en courbes – celles que dessinent les trajectoires des pommes, les mouvements alternativement convexes et concaves des bras des princesses enchantées, ou encore les enroulements autour des deux amoureux, qui leur donnent le temps de se rencontrer. Parmi les princesses enchantées, on remarque en matinée la douce et frêle Christina Arestis, qui sera en soirée une touchante Tsarevna. Changement d’ambiance avec l’apparition, puis la ronde folle, des Indiens, des femmes de Kotscheï, des jeunes, des Kikimoras, des Bolibotchki et des monstres virevoltant autour de l’immortel magicien (Gary Avis jouant au méchant, et Alastair Marriott au vieillard). À l’issue de la confrontation, l’impression du spectateur diverge à nouveau selon la distribution : Bennet Gartside fait penser au faux Dmitri dans Boris Godounov (je rejoins à cet égard les impressions de Cléopold), tandis que Watson sait manifestement être l’héritier légitime.

Dans In the Night, Alina Cojocaru et Johan Kobborg donnent à voir une scène de la vie conjugale d’une intensité rare. Elle est un tourbillon émotionnel, et danse sans prudence, à charge pour son partenaire de suivre. C’est passionnant, mais si volcanique que les épisodes précédents – les commencements avec Sarah Lamb et Federico Bonelli, la maturité un peu plan-plan avec Rupert Pennefather et Hikaru Kobayashi – paraissent bien trop linéaires. Même si moins explosif, le cast de la soirée présente une narration dans l’ensemble plus équilibrée : les jeunes amoureux campés par Emma Maguire et Alexander Campbell ont le partenariat joueur, Zenaida Yanowsky et Nehemiah Kish font penser au feu sous la glace, et Roberta Marquez joue la passion latine avec Carlos Acosta et une pointe d’humour.

L’acte III de Raymonda réunit en matinée Alina Cojocaru (épousée rêveuse, qui interprète la variation de la claque comme pour elle-même) et Steven McRae (danseur noble, rapide et précis). On ne peut pas imaginer plus grand contraste avec la distribution du soir : Zenaida Yanowski n’a pas la douceur de Cojocaru, dont la danse semble toujours couler de source ; elle a d’autres qualités : la sûreté technique, et un sens aigu de sa capacité de séduction. Voilà une ballerine qui mange les spectateurs du regard.  Son partenaire Ryoichi Hirano n’essaie pas d’approcher les complications de la chorégraphie de Noureev (alors que Steven McRae en insère méticuleusement les subtilités dans sa variation; Ricardo Cervera, qui interprète la danse hongroise midi et soir, réussit aussi l’alliance grisante entre classicisme et caractère). Les idiosyncrasies hungarisantes de la chorégraphie sont d’ailleurs bien mieux servies par le corps de ballet et les demi-solistes en matinée qu’en soirée – notamment avec un pas de quatre des garçons au cours duquel James Hay se distingue, tant pour les tours en l’air que les entrechats.

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Les fêtes au Royal Ballet (1/2) : triple bill Fokine-Robbins-Noureev

P1000939ROH, Triple bill Fokine, Robbins, Petipa-Nureyev: Matinée du 22 décembre 2012.

Annonçant à une amie balletomane de longue date ma petite expédition londonienne, je la vis imperceptiblement ciller à l’énumération des trois ballets composants le triple-bill présenté par le Royal ballet. « Oiseau de feu, In the Night, Raymonda acte III ? Quel curieux programme ! ».

Tout à ma joie d’aller sous d’autres cieux chorégraphiques, je n’ y avais pas pensé mais, à partir de ce moment, et pour le reste de la semaine, la question m’a taraudé : Quel pouvait bien être le lien secret qui liait ces trois œuvres aux couleurs, aux ambiances et aux principes chorégraphiques si différents. A la matinée du 22, la question est restée entière.

P1030278Firebird, avec son décor inspiré des icônes byzantines, sa musique subtilement étrange, ses monstres, ses sortilèges, et sa chorégraphie oscillant entre la danse de caractère (la cour de Kostcheï) et le tableau vivant (la simplicité des cercles de princesses enchantées qui séparent Ivan de la belle Tsarevna) fut certes un enchantement. Itziar Mendizabal, toujours très à l’aise dans l’allegro, le parcours et le saut, donnait une présence charnelle et animale à son oiseau de feu. À aucun moment on ne la sentait se soumettre totalement à Ivan Tsarevitch : vaincue certes, mais seulement momentanément, elle rachète sa liberté avec une fierté un peu altière. L’oiseau ne sera jamais apprivoisé. Dans le rôle du prince, essentiellement mimé, Benett Gartside développe intelligemment son personnage. Très peu prince au départ, voire mauvais garçon, il semble naïvement découvrir les rudiments de la politesse formelle lorsqu’il salue la princesse et ses sœurs dans le jardin enchanté. Dans son combat contre le magicien Kostcheï (un truculent Gary Avis, à la fois effrayant lorsqu’il remue ses doigts démesurés et drôle lorsqu’il se dandine d’aise à la vue de la bacchanale réglée au millimètre et avec ce qu’il faut de maestria), il fait preuve d’une inconscience toute juvénile. Triomphant finalement grâce à l’oiseau, revêtu de la pourpre devant le somptueux rideau de fond de Gontcharova, il lève lentement le bras vers le ciel. Mais ce geste martial est comme empreint de doute. Avant d’élever sa main au dessus de la couronne, on se demande si Ivan ne cherche pas à la toucher pour s’assurer que son destin n’est pas un songe.

P1030286Passer de cette rutilante iconostase au simple ciel étoilé d’In The Night n’est pas nécessairement très aisé. Il ne s’agit pas que d’une question de décor ; la proposition chorégraphique est diamétralement opposée. Dans In the Night, la pantomime se fond tellement dans la chorégraphie qu’on oublie parfois qu’elle existe. Et dans l’interprétation du Royal, elle est parfois tellement gommée que l’habitué des représentations parisiennes que je suis a été d’autant plus troublé. Dans le premier couple, celui des illusions de la jeunesse, Sarah Lamb et Federico Bonelli ont fait une belle démonstration de partnering, dès la première entrée, les deux danseurs sont bien les « night creatures » voulues par Robbins. Mais cette atmosphère créée, elle reste la même durant tout le pas de deux. Dans le passage du doute, on cherche en vain un quelconque affrontement, même lorsque les danseurs se retrouvent tête contre tête dans la position de béliers au combat. Reste tout de même le plaisir de voir la mousseuse Sarah Lamb, ses attaches délicates et l’animation constante de sa physionomie ainsi que son partenaire, Bonelli, essayant de dompter sa bouillonnante nature dans l’élégant carcan créé par Robbins. Dans le second pas de deux, Zenaida Yanowsky et Nehemiah Kish font preuve à la fois des mêmes qualités mais aussi des mêmes défauts que Lamb-Bonelli. Leur couple a l’élégance et le poids requis, mais les petites bizarreries chorégraphiques propres à Robbins sont par trop adoucies. Lorsque la femme mûre s’appuie le dos sur le poitrail de son partenaire, on aimerait voir sa quatrième devant tourner plus dans la hanche car à ce moment, la compagne soupire par la jambe. L’emblématique porté la tête en bas est également négocié d’une manière trop coulée. On en oublierait presque que le couple vient d’avoir un furtif mais tumultueux désaccord au milieu de son océan de certitudes.

Du coup, le troisième pas de deux, incarné par le couple Cojocaru-Kobborg, apparait comme véritable O.V.N.I. Le drame fait irruption sur scène, tel un soudain coup de tonnerre. Alina Cojocaru est un curieux animal dansant ; surtout lorsqu’elle est aux bras de Kobborg. Elle se jette dans le mouvement sans sembler se soucier où il va l’emporter. Son partenaire semble résigné à son sort : il gère cette pénultième crise mais souffre autant que si c’était la première. Il est rare que je ne sois pas gêné par la prosternation finale de la danseuse devant son partenaire. Ici, elle résonnait comme un dû à sa patience.

P1030294Après ce pic émotionnel, Raymonda, Acte III demande de nouveau un sévère effort d’ajustement. D’une part parce que les fastes petersbourgeois et académiques du ballet paraissent là encore aux antipodes de l’impressionnisme sensible de Robbins mais aussi parce qu’il faut oublier les harmonies cramoisies et or de la version parisienne pour le crème de cette production datant (un peu trop visiblement) des années soixante. Quelques idées seraient cependant à emprunter par Paris à cette présentation : le montage qui réunit dans cet acte III toutes les variations dévolues à Henriette et Clémence sur les trois actes et l’usage d’un décor (quoique moins outrancier que ce délire romano-byzantin pâtissier que possède le Royal). En revanche, si la reprise londonienne de Raymonda Acte III se voulait un hommage à Noureev, le but ne semble pas atteint. Le corps de ballet, aussi bien dans la Czardas que dans le grand pas classique hongrois émoussait par trop la chorégraphie polie par Noureev d’après l’original de Petipa. On se serait plutôt cru devant une version « russe » que devant une interprétation « occidentalisée » de ce classique.

Les variations offraient néanmoins quelques satisfactions. Hikaru Kobayashi, dans la variation au célesta (Acte 1, scène du rêve), a trouvé depuis quelques temps un moelleux que je ne lui connaissais pas jusqu’ici ; une qualité nécessaire dans ce pas à base de relevé sur pointe. Yuhui Choe faisait une démonstration de charme dans la bondissante variation n°2 ; ce mélange de rapidité et d’arrêts sur plié lui convient à ravir. Helen Crawford héritait de la variation hongroise aux sauts de l’acte III et la menait tambour battant. Je suis plus réservé sur la variation 3 (Henriette, Acte 2) par Itziar Mendizabal – encore une fois, cette danseuse se montre moins inspirée dans l’adage que dans l’allegro – ou sur le pas de trois (Emma Maguire, Fumi Kaneko, Yasmine Nagdhi). Le pas de quatre des garçons (avec sa série de double tours en l’air) manquait de brio et Dawid Trzensimiech n’était pas dans un bon jour. Il faut dire que les pauvres ne sont pas aidés par le petit chapeau de page dont ils ont été affublés. Ils avaient l’air de transfuges des Ballets Trockadéro…

Zenaida Yanowsky était Raymonda aux côtés de Nehemia Kish. Si ce dernier ne semblait pas tout à fait à l’aise avec la chorégraphie, sa partenaire l’a incarnée avec autorité et charme. L’angularité de sa silhouette sert bien les ports de bras stylisés voulus par Noureev et le moelleux de sa danse vient ajouter un parfum d’épanouissement serein (Dans l’acte III seul, il n’est pas question, comme à Paris, de raconter une histoire ni de laisser poindre le doute -le souvenir d’Adberam).

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Ces quelques réserves mises à part, on ressort finalement satisfait de ce triple programme londonien. Les trois ballets -et c’est peut-être le seul lien entre eux- distillent une forme d’enchantement qui convient bien aux fêtes. Une alternative aux sempiternels Nutcrakers de la tradition anglo-saxonne.

Mais puisqu’on parle de Nutcracker … (à suivre).

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