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Châtelet : Parade bulle de savon

Parade, spectacle de réouverture – Théâtre du Châtelet – 14 septembre 2019

Sous un brûlant soleil, une parade festive a marqué la réouverture du Théâtre du Châtelet le weekend dernier. Tout commence avec les roulements de tambour et la danse des troublantes marionnettes géantes du Mozambique, qui, remontant l’avenue Victoria, déambulent du parvis de l’Hôtel de Ville jusqu’au Châtelet. À l’intérieur du théâtre, trois personnages perchés haranguent la foule qui se presse au rez-de-chaussée, tandis que deux étages au-dessus, un empilement de pianos fait du grand foyer un espace lacustre, convoquant Satie et ses Gymnopédies, chantées par un trio de naïades. Croyant semer le badaud – peine perdue, il y a déjà du monde partout –, on file au salon Nijinsky, repeint en blanc et noir à la dessin-de-Cocteau.

À droite, et d’une guitoune à l’enseigne du Chat noir, surgit par moments – mimée par une comédienne grimée en chaton – la voix d’Arletty dans La femme est faite pour l’homme. Sur la terrasse – où quatre statues allégoriques ont été réintégrées –, trône temporairement une roulotte de cirque, et s’agitent quelques clowns modérément tristes. Dans le salon Barbara, côté Seine, et dans un univers lui aussi noir et blanc, se concocte la cuisine des clowns.

À force de traîner mes guêtres au niveau de l’Amphi – comprenez-moi : j’y ai usé mes fonds de culotte étant jeune, et le salon comme la terrasse étaient si souvent fermés que c’en était rageant – j’ai manqué les petites scénettes jouées dans les petits salons attenant au grand foyer. Dans l’un d’entre eux, entends-je en laissant traîner l’oreille, trois personnages alités – dont Diaghilev et un danseur – se tiraient mutuellement dessus au pistolet. Est-ce en écho aux relations compliquées du mentor des Ballets russes avec les membres de sa troupe, ou à l’ambiance un brin tendue entre ses proches lors de la mort du pygmalion à Venise ?

Je ne le saurai pas, mais ce n’est pas bien grave au fond. Les clins d’œil à la création du ballet Parade de 1917, disséminés sur tout le parcours de la soirée, sont plus atmosphériques que discursifs. Au reste, la Parade de 2019, si elle convoque le surréalisme, lorgne aussi vers les fééries à grand spectacle, genre d’origine du Châtelet au XIXe siècle. On s’en persuade une fois dans la salle – bien plus lumineuse à présent depuis qu’on a décapé les vernis et dénoirci la coupole. On y retrouve quelques instants les tambours et marionnettes du Mozambique, avant que les acrobates de Boîte noire ébaubissent la salle par leurs prouesses teintées d’humour, aux barres russes, au fil de fer et au cerceau (la dernière séquence est annoncée par une épatante prestation hip-hop, dont on ne parvient malheureusement pas à identifier l’interprète). Après un intermède où l’on retrouve les comédiens du Monde de Satie s’invectivant (les clowns distribuent des patates crues aux spectateurs du premier balcon), les performeurs de Streb Extrême Action déjouent la pesanteur dans Pipe Dreams (des chaussures aimantées leur permettent d’innombrables révolutions, rétablissant comme par miracle tous les sauts dans le vide), dansent en coordination cubiste sur tapis de gym dans Small Rise, et, accrochés deux par deux à un filin, chacun faisant contrepoids à son partenaire, jouent à la balançoire aérienne dans Landscape. Autant de séquences réjouissantes, aussi ludiques qu’une bulle de savon.

Des liens discrets tissent les différentes séquences de Parade en un univers singulier dont la cohérence d’ensemble n’apparaît pleinement qu’à la vue du spectacle payant. Lequel n’aura pas vraiment fait le plein, sans doute pour cause de tarification peu familiale.

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León-Lightfoot / van Manen : vues croisées sur le vide

Les Balletotos ont tardé à publier sur le programme León-Lightfoot / van Manen car ils attendaient de l’avoir tous vu afin de vous faire connaître leur sentiment.

C’est Cléopold qui a ouvert le bal, lors de la première publique, le 18 avril dernier. Verdict? « C’était court, mais c’était long ».

C’est une expérience bien curieuse que cette soirée León, Lightfoot, van Manen : trois noms mais en réalité deux « chorégraphes » (Sol León et Paul Lightfoot sont un tandem) ; trois noms attachés au Nederlands Dans Theater, mais absence d’une œuvre de son chorégraphe de référence, Jiri Kylian, récemment devenu académicien chez nous. Enfin, c’est une toute petite heure de danse qui dégage un lancinant, un interminable ennui.

Les deux épaisses tranches de pain post-classique du  duo León-Lightfoot enserraient une maigre tranche de ballet néoclassique (huit petites minutes !) par Hans Van Manen, une personnalité de la danse très respectée en Europe du Nord. Le chorégraphe a fait une partie de sa carrière au NDT, précédant Kylian à la direction, avant de revenir, en fin de mandat de ce dernier, en tant que chorégraphe en résidence. Trois Gnossiennes, présenté déjà pour le gala d’ouverture de l’opéra de Paris en 2017, est pourtant une addition dispensable au répertoire-maison. La chorégraphie, néoclassique dans une veine post-balanchinienne, aspire à la modernité par l’usage des pieds flexes par la ballerine. Pendant une large portion de la troisième gnossienne, le danseur maintient le pied de sa partenaire dans cette position disgracieuse sans pour autant perturber l’harmonie fluide et convenue du partenariat. Pour le reste, la danseuse descend en grand écart soutenue par son partenaire (une option déjà utilisée par Balanchine pour Apollon Musagète en 1928). Les bustes sont tenus très droits, sans doute pour suggérer le côté hiératique des pièces de Satie. Les répétitions quasi mécaniques des thèmes du musicien correspondent à des répétitions à l’identique des combinaisons chorégraphiques -ainsi un grand plié à la seconde vu plusieurs fois alternativement de face puis de dos. Ludmila Pagliero et Hugo Marchand sont assurément très beaux à regarder et leur partenariat est somptueusement réglé. Mais il ne se dégage aucune intimité de leurs passes (…partout).

Paul Lightfoot et Sol León ont fait partie de la génération de danseurs des années 1990-2000 au Nederlands Dans Theater, un moment où la muse de Jiri Kylian avait pris une humeur plus sombre et versait un tantinet dans la préciosité. Les scénographies du maître, très élaborées (et s’inspirant d’une manière très personnelle des dispositifs utilisés par Forsythe pour ses propres ballets), très noires, renvoyaient à une vision à la fois sarcastique et désespérée du monde actuel. Le ballet de l’Opéra a fait entrer quelques opus à son répertoire (le dernier en date étant Tar and Feathers). Sleight Of Hand et Speak For Yourself correspondent très exactement à cette veine. Dans Sleight Of Hand (Tour de passe-passe en traduction), deux poupées de carnaval au buste perché à 5 mètre du sol, dans des costumes édouardiens que ne renierait pas Tim Burton (Hannah O’Neill, qui fera également une petite apparition seins nus – une référence bien gratuite à Bella Figura de Kylian ?- et Stéphane Bullion) font par moment des mouvements aussi emphatiques que sémaphoriques. Ils surplombent un danseur en blanc (Mickaël Lafont), un couple (Leonore Baulac et Germain Louvet) et un trio de garçons (Chung Wing Lam, Adrien Couvez et Pablo Legasa), qui se succèdent d’une manière linéaire absolument étrangère aux flux et reflux de la musique de Philip Glass. L’élément de vocabulaire chorégraphique le plus marquant – mais ce n’est que par sa récurrence – est un grand développé à la seconde soutenu de la main comme lors d’un pied dans la main. Ce tic est parfois décliné en une attitude croisée. Le thème du ballet est absolument illisible sans l’aide du programme. Les pas de deux entre Baulac et Louvet ne mènent nulle part. Seul Legasa parvient à rendre la gestuelle intéressante car il la rattache à des mouvements quotidiens qui seraient hypertrophiés.

Pour Speak For Yourself, une pièce de 1999, la scénographie est tout aussi élaborée. Elle s’ouvre par une variation enfumée exécutée par François Alu (à qui les pieds dans la main conviennent moins qu’à un Legasa). le danseur est rejoint sur scène par cinq de ses collègues qui évoluent dans un carré de lumière violemment blanche comparée à la sienne, plus tamisée, puis par trois danseuses. Là encore, on se lasse assez vite des moult ports de bras emphatiques et  des partenariats enchevêtrés qui ne créent jamais vraiment de lien entre les danseurs.

La fumée fait bientôt place à une pluie qui tombe des cintres. Les glissés sur l’eau font tout d’abord leur petit effet mais, à l’usage, ne construisent aucune tension. En dépit des perfections formelles du couple principal, encore Ludmila Pagliero et Hugo Marchand, de l’intensité plus sauvage de Valentine Colasante, et de l’excellence générale de la distribution, on n’attend qu’une chose, que Legasa se mette à bouger, mystérieux et singulier.

A la fin de la soirée, on se demande, attristé, ce qui nous a tant hérissé dans cette addition de perfections. Sol León et Paul Lightfoot connaissent pourtant leur travail et leur chorégraphie est ciselée. Mais il manque à ces faiseurs compétents le génie du théâtre : leur gestion des groupes est prévisible et le rapport que leurs chorégraphies entretiennent avec les scénographies élaborées qu’ils choisissent est trop ténu. Leurs ballets ne laissent pas au spectateur, comme ceux de Kylián, la possibilité de se créer sa propre histoire.

En attendant, Johan Inger, danseur et chorégraphe de la même génération du NDT que le duo León-Lighfoot, qui possède pleinement toutes ces qualités, n’a toujours pas fait son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris. Mais il y a longtemps qu’on a cessé d’espérer que la direction de l’Opéra fasse preuve d’un minimum de flair…

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James, qui avait perfidement refilé son ticket de première à Cléopold pour courir un lièvre plus appétissant (et juste ce qu’il faut éloigné de la Danse pour se permettre de n’en pas rendre compte) a vu la même distribution le  27 avril.

Que retenir de la soirée León & Lighfoot / van Manen, une fois leurs 53 minutes envolées ?  Sleight of Hand est un mystère de composition manquée : la dimension plastique est manifestement léchée, mais les différents ingrédients sont comme étrangers l’un à l’autre. Il ne faut pas s’attendre ici – comme dans les chorégraphies de Kylián, modèle évident de León et Lighfoot – à une correspondance sensuelle entre le mouvement dansé et le grain des instruments de musique. Ni même à une profonde compréhension rythmique de Glass, comme chez Keersmaeker. Non, ici la musique a juste une fonction décorative. Ne restent donc en mémoire que quelques détails superficiels : le sens de la grimace d’Adrien Couvez, la présence de Mickaël Laffont, le magnétisme de Pablo Legasa, la peur de voir Hannah O’Neill et Stéphane Bullion tomber de leur chaise d’arbitre de tennis.

Les Trois gnossiennes de Hans van Manen passent gentiment, dans une version très beauté des lignes. On est un peu loin de l’étrangeté expérimentale que peuvent donner à l’œuvre des danseurs du NDT (Caroline Iura et Lindsay Fischer en 1986), mais on sait gré à Hugo Marchand et Ludmila Pagliero d’éviter les afféteries d’une interprétation à la russe. 

Après l’entracte, Speak for Yourself emploie le même fond de sauce que la pièce d’ouverture, et suscite le même souvenir évanescent. Sauf que cette fois, on a peur que les danseurs se tordent la cheville sur le sol glissant.

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Fenella écopa, du coup, du ticket de Cléopold au prétexte qu’elle serait la seule à voir la seconde distribution. Depuis le 14 mai, les deux rédacteurs de la gent masculine rasent les murs…

The entire evening consisted of exactly fifty-three minutes of performance enlivened by a twenty-minute intermission. Marketed as if we were buying tickets to a real evening of dance.  Seriously?

But even by the time the lights came on for intermission, the audience was politely dead.  I looked around me and began with an “eh bien?” that was greeted by startled stares. Then I made a face and raised my eyebrows. The woman standing behind me sighed and said, “I am so glad you dared to say that.”

And this at only twenty-eight minutes into the fifty-three. Long minutes of fluid, lilting, hip-swaying squats in second position. Flexed feet. Grab a foot in your hand. A shoulder gets raised or hunched and then feet glide as if the stage were wet (León & Lightfoot’s Sleight of Hand) and then glide the same way when the stage really is wet (León & Lightfoot’s Speak For Yourself). Neither title explains the difference between the two pieces.

During eight minutes of the fifty-three, Les Trois Gnossiennes, a 1982 Hans van Manen very on-the-beat duet set to Satie’s tender little piano reverie, gave us mostly supported splat splits that can be dated back to Balanchine’s 1928 Apollo: a woman splats down to the ground in a split while a man heaves her to and fro via his hands stuck under her armpits.

While inserting a pas de deux into any program can certainly enliven an evening by bringing the focus back onto individual talents and away from groovy lighting effects, van Manen’s duet came off as more of a supported solo. When partnered, Léonore Baulac greedily seeks her counterpart’s eyes, as if desperate for absolution or argument. Or both.  The way she launches herself into every combination remains as full-bodied as when she and François Alu had pushed and pulled against each others’ flesh and minds in Forsythe’s Blake Works.  Her partner here, Florian Magnenet, just didn’t (couldn’t? wouldn’t?) respond in kind. He was disengaged to the point that he reminded me of what male ballet partners used to be called in the 19th century: porteurs (porters, i.e. baggage lifters). He seemed to be present merely to get Baulac up out of her deadly-serious split-splats.

Aussi intéressant que puisse être un pas de deux pour ramener l’attention sur des individualités après une orgie d’effets de lumière atmosphérique, le duo de van Manen est plutôt ressorti comme un solo à porteur. Lorsqu’elle a un partenaire, Léonore Baulac recherche avidement les yeux de son comparse, comme si elle était désespérément en quête d’une confrontation ou d’une absolution. Voire les deux […] Mais ici, son partenaire d’occasion, Florian Magnenet, ne (pouvait? voulait?) répondre à l’unisson. Il était comme désengagé, au point que je me suis souvenu du terme employé au XIXe pour désigner les danseurs : porteurs (c’est à dire caristes à bagages). […]

Alu did pop up in the next ballet, where he served as a smoke machine (don’t ask) once his short solo was over. What a waste.

Alu a fait une apparition dans le ballet suivant, en tant que machine à enfumage (sans commentaire…) une fois son court solo terminé. Quel gâchis.

If you are going to program an evening of classic Dutch ballets then please at least include a Kylian, or van Manen’s masterpiece Adagio Hammerklavier [three couples instead of one, thirty minutes instead of eight]. That would have made for a real “triple-bill.”

A young artist who had scored a seat in another part of the house began musing about the whole thing. “Yoga-hold poses? Really? And that repeated high attitude á la seconde that you hold out and onto with your hand? That’s what you think is so cool when you are a nineteen-year-old dance student.  The smoke and the waterfall?  Yeah, like the fountain display at Disneyworld. But this is what really bothered me: all night long, the dancers were moving, but they were never transformed by the movement, not ever.”

My young friend then turned down an invitation to at least take the metro together. “We could talk a bit more,” I insisted. “No,” he said, “I need to walk this one off.”

 

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Hommage à Ashton : le théorème de la nappe

P1000939Royal Opera House, soirée du 23 février 2013

En hommage à Frederick Ashton, décédé il y a 25 ans, le Royal Ballet a présenté plusieurs de ses pièces courtes. La série de représentations est maintenant achevée, mais le programme sera diffusé au cinéma ainsi qu’en DVD au début de l’été. J’ai vu la distribution qui n’a pas été enregistrée, et comme chez les Balletonautes, on ne craint pas d’être inactuel, j’ai résolu de vous en parler.

Dans son poème chorégraphique La Valse (1920) – que Diaghilev jugea impropre à un ballet – Maurice Ravel fait entendre, après l’effondrement et les fureurs de la guerre, le souvenir de la folle insouciance de la Belle Époque. Dans la chorégraphie d’Ashton (1958), nous sommes aussi dans le monde d’après : le vaporeux début du bal est vu à travers un voile rétrospectif. Puis, tout s’emballe, les valseurs virevoltent sans discontinuer, se laissant gagner par l’hystérie de l’orchestre, et répétant sans cesse des portés d’un pied sur l’autre. Le tourbillon est glaçant, et tant pis si les trois couples principaux – Tara-Brigitte Bhavnani et Valeri Hristov, Kristen McNally et Kenta Kura, Laura McCulloch et Thomas Whitehead – ne sont pas toujours ensemble : qui donc le serait au bord d’un gouffre ?

Changement d’ambiance avec la Méditation de Thaïs (1971), pièce de gala créée pour Antoinette Sibley et Anthony Dowell (ce dernier a aussi réalisé les costumes orange-chargé). La sensualité tropicale est une fausse piste pour interpréter cette pièce (c’est celle qu’empruntent Thiago Soares et Laura Morera dans une captation de 2004, publiée en DVD courant 2011). Rupert Pennefather et Sarah Lamb dansent nocturne, éthéré, irréel. Quand le danseur attrape par la taille la ballerine voilée qui passe à sa portée, on dirait qu’il saisit une ombre. Voices of Spring (1977), créé dans le cadre d’une production de la Chauve-Souris de Johann Strauss, est un pas de deux champêtre et hors du temps. Léger et charmant, comme Yuhui Choe et Alexander Campbell.

Monotones (MM. Kish et Hirano; Mlle Nunez); photo Tristram Kenton, courtesy of ROH

Monotones (MM. Kish et Hirano; Mlle Nunez); photo Tristram Kenton, courtesy of ROH

Le plat de résistance – et la principale curiosité de ce programme – vient après le premier entracte : Monotones I et II (1965-1966, sur les trois Gnossiennes et les trois Gymnopédies d’Erik Satie). Monotones « en blanc », présenté en second mais créé en premier, a plutôt été présenté ces dernières années de manière exceptionnelle (par exemple lors d’une soirée de gala entre le Royal Ballet et le Bolchoï, ou à l’occasion du gala de l’Entente cordiale à Paris en 2004). À l’instar des jolies nappes qui, restant au placard trop longtemps, laissent irrémédiablement voir des traces de pli, les chorégraphies peuvent souffrir de leur inemploi. C’était le cas en 2003 à Moscou, où Zenaida Yanowsky, Iñaki Urlezaga et Edward Watson, n’ayant probablement pas beaucoup répété, laissaient voir toutes les coutures. Cette fois-ci, visiblement, la pièce a été sérieusement transmise. Christina Arestis (la plus liane des danseuses londoniennes), Ryoichi Hirano et Nehemiah Kish réussissent de jolis unissons suspendus : on s’émerveille de la simplicité et de la sérénité des enchaînements, jusqu’à être ému, plus encore que par les arabesques, par le moelleux d’un simple demi-plié. Monotones « en vert » (dansé par Yasmine Naghdi, Romany Padjak et Tristan Dyer), qui ouvre la marche, est plus terrien, rythmé, presque oriental par moments.

Federico Bonelli et Zenaida Yanowsky, Marguerite et Armand, photo Tristram Kenton, courtesy of ROH

Federico Bonelli et Zenaida Yanowsky, Marguerite et Armand, photo Tristram Kenton, courtesy of ROH

Marguerite et Armand (1963) n’avait été dansé que par Rudolf Noureev et Margot Fonteyn (jusqu’en 1977), jusqu’à ce que Sylvie Guillem et Nicolas Le Riche s’en emparent en l’an 2000 (après bien des hésitations pour Mlle Guillem). L’enjeu des reprises de 2011 et 2013 est, au fond, de libérer la pièce de ses mythes.

La première fois que j’ai vu la pièce d’Ashton, j’avais été séduit par l’économie narrative (il suffit de deux mouvements des doigts au père d’Armand – Christopher Saunders – pour expliquer à Marguerite que sa jeunesse va bientôt s’évanouir), agacé par l’hypertrophie musicale (l’orchestration de la sonate de Liszt), et ému par la densité entêtante des pas de deux.

Face à une Zenaida Yanowsky qui est plus grande dame que petite femme fragile, Federico Bonelli se présente non pas en conquérant mais en impétrant : il saute sur scène comme on se jette dans l’arène, mais ses doigts tremblent d’émotion ; on est d’emblée emporté par l’histoire. Sans être bouleversé par les interprètes, malgré leurs qualités : Bonelli fait trop jeune et Yanowsky est trop forte pour qu’on imagine que, dans un monde sans phtisie ni préjugés, leur couple aurait duré. Sans même parler de sa taille (elle est plus grande que lui en pointe), Mme Yanowsky reste solide même quand elle est éperdue, alors que dans le même rôle, Tamara Rojo était l’incarnation de la fragilité en larmes.

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