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Retours de soirées dansées ici ou là dans tout le pays.

From IN de Xie Xin : Nuit de Chine ; le corps plie mais ne rompt pas

From IN - Photos by HU Yifan (1)

From IN. Photgraphie HU Yifan

Théâtre Les gémeaux de Sceaux, vendredi 31 mars 2023.

Première chorégraphe chinoise à se produire à l’étranger avec sa compagnie depuis la levée du confinement à Shanghai, Xie Xin sera également avec Crystal Pite et Marion Motin une des invitées de la soirée contemporaine concoctée par Aurélie Dupont et programmée en ouverture de saison 23/24 de l’Opéra de Paris. Cette future création porte déjà le nom d’Horizon, une pièce pour douze danseurs, un nombre un peu décevant au regard du talent de Xie Xin à composer des ensembles saisissants. En regardant From IN, pièce pour dix danseurs et danseuses,  je m’étais laissé aller à imaginer et espérer l’allure et la force de ses ensembles potentiellement doublés à l’Opéra. Il n’en sera donc rien. Côté effectif, c’est naturellement Pite qui remporte la mise avec la reprise de son Seasons’ Canon, gros consommateur de chair…

Pour la petite histoire, Aurélie Dupont, grande fan déclarée de la chorégraphe,  eut vent de Xie Xin pour la première fois grâce aux Balletboyz avant de la découvrir, vingt-et-unième siècle oblige, sur Instagram.

Après une formation en danse traditionnelle chinoise, Xie Xin s’est produite à travers le monde avant de créer sa propre compagnie, XDT ( Xie Xin Dance Theater) en 2014. Elle a notamment collaboré avec Sidi larbi Cherkaoui et les Balletboyz pour une pièce intitulée Ripple (vaguelette), mot qui évoque à lui seul les ondulations subtiles ou spectaculaires du corps qui sont l’essence même de son style et dont From IN, créé en 2014 est l’incarnation première.

Xie Xin, figure incontournable de la danse contemporaine de son pays,  étant repartie en Chine pour une émission de télévision, je n’ai pas pu lui demander d’expliciter la signification du titre de sa pièce. Le programme indique néanmoins que la pièce s’appuie sur l’art de la calligraphie chinoise afin de mener une réflexion sur le thème de la rencontre, dans une société toujours plus individualiste.  Ce qui reste somme toute un peu flou. La pièce d’une heure dix apparaît avant tout comme la vitrine classieuse d’un style très particulier dont on me dit qu’elle en est en tant qu’interprète l’un des fleurons. On devine intuitivement en effet que ce style est l’émanation directe d’une gestuelle organique très personnelle, à l’instar de celles des Carlson, des Pina Bausch et des Keersmaeker de ce monde.

Photos by HU Yifan (7)

From IN. Photographie HU Yifan

From IN nous propulse dans un univers sombre, sans décor, ennuagé régulièrement de fumée épaisse, où se dessinent au sol une succession de bandes, de rectangles, de cercles et de carrés blancs. Elle se termine comme elle a commencé par un duo dans lequel l’homme debout derrière la danseuse la manipule comme un pantin désarticulé. On est ici en effet entre l’humain et la poupée de chiffon, la chimère et le samouraï. Les corps basculent lentement en arrière et se couchent aussi aisément qu’ils se relèvent, propulsés dans tous les sens par l’effondrement et le redressement spectaculaires du bassin. Les costumes légers et amples accentuent d’autant plus ces effets d’ondoiement quasi végétal. Les nuances de gris pales et la bande son planante assurent aussi quelques épisodes de l’ordre du spectral. C’est une danse éminemment physique pour les danseurs mais qui semble, à l’œil, désincarnée et l’on assiste à une danse qui frôle parfois le feu follet.

From IN - Photo By Wilson Tong (2)

From IN. Photographie Wilson Tong

Héritage peut-être des danses traditionnelles chinoises, les ensembles sont synchronisés au cordeau. On voudrait encore davantage les voir se disperser comme sous l’effet d’une bourrasque. From IN est indéniablement éblouissant de maîtrise corporelle mais apparaît à la longue comme un exercice de style dont on finit à certains moments par se détacher.

A voir, avec Horizon, où Xia Xin compte emmener les danseurs de l’Opéra et comment en à peine quatre semaines, ils réussiront à s’approprier et se plier dans tous les sens du terme à son style qui est en soi parfaitement envoûtant.

François Fargue.

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Toulouse : le Ballet du Capitole en « Noir et Blanc » … et en couleur

Voici donc le premier programme du Ballet du Capitole de Toulouse sans directeur après que Kader Belarbi a été officiellement débarqué en février dernier. C’est une série de représentations substantiellement différente de celle originalement prévue. Dans les plans de Belarbi, les trois œuvres programmées devaient évoquer les Arts plastiques. No more Play de Kylian regarde en effet vers Giacometti, la création de Michel Kelemenis se proposait d’évoquer les noirs de Pierre Soulage et Entrelacs, le ballet de l’ancien directeur, la calligraphie et les œuvres du peintre chinois Shi Tao. Cela n’a pas été. Entrelacs, qui avait été dansé à Toulouse au tout début du mandat de Belarbi, en février 2013, n’était plus connu de personne dans la compagnie et il est difficile de remonter une pièce quand son chorégraphe ne peut s’adresser directement ni aux danseurs ni même aux maîtres de ballet. Il a fallu trouver une solution. La relation qui suit aura, du coup, un petit côté chronique analytique que, j’espère, on me pardonnera.

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No More Play. Philippe Solano, Jérémy Leydier, Solène Monnereau, Tiphaine Prevost et Baptise Claudon. Photographie David Herrero.

No more Play est une œuvre de la grande période de Jiri Kylian. Créé en 1986, le ballet débute de manière quelque peu énigmatique avec deux façades de robes baroques posée de part et d’autre de la scène. Un duo de garçons  se place derrière celle qui se trouve à jardin. Puis, les deux robes disparaissent pour ne plus reparaître. Commence alors une sorte de marathon acrobatique pour cinq danseurs (trois garçons, deux filles) sur la musique d’Anton Webern. La gestuelle est anguleuse, les passes chorégraphiques nerveuses. Les filles s’enroulent et se déroulent comme des rubans sous l’action des danseurs. Elles semblent voleter au-dessus de leur dos. Les lignes sur-étirées, les déséquilibres donnent le vertige. Parfois, les danseurs se figent dans des positions statuaires impressionnantes comme dans ce pas de trois où une danseuse au sol est surplombée par un danseur penché au-dessus d’elle portant sur son dos la troisième danseuse. Tous bras et jambes écartés, les interprètes figurent un vol de cormorans. Avec Kylian, même l’immobilité semble bouger. Beaucoup d’enchaînements reposent, unifiés par le génie de Kylian, sur des emprunts à la barre au sol et à l’acrosport ; comme ce moment où un danseur, sur le dos, porte sa partenaire en planche à la force de ses jambes repliées. Par instants, les danseurs se servent de la fosse d’orchestre vide en s’y penchant comme sur le bord d’un précipice.

Cette hyper-technique porte désormais le sceau des années 90. Elle a même été galvaudée à force d’être reprise par moult épigones. Mais cela reste tellement beau quand c’est un original !

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No More Play. Jérémy Leydier et Solène Monnereau. Photographie David Herrero.

Deux distributions se succédaient dans ce chef-d’œuvre du maître de La Haye. Le 25 mars, les deux garçons initiateurs sont Philippe Solano et Jeremy Leydier. On ne peut imaginer deux danseurs au gabarit plus opposé. Derrière la robe, Solano parait tout petit, couvert qu’il est par les grands abatis de Leydier. Pourtant, dès qu’ils se mettent à danser, les deux interprètes déploient une énergie similaire. Il y a de la densité dans les tours-arabesque de Solano comme dans les élévations de Leydier. Les deux filles, Tiphaine Prevost et Solène Monnereau, ont quant à elles une sorte de qualité gémellaire qui fascine. Dans un pas de deux, la paire Leydier-Monnereau a une qualité à la fois fluide et anguleuse. Baptiste Claudon est parfait en partenaire des deux filles au début du ballet. Le 26, le rapport s’inverse. Le premier à avancer vers la robe est Minoru Kaneko, très ronde-bosse à l’Antique tandis que le partenaire qui l’enserre ensuite de ses bras est le très filiforme Simon Catonnet. Les deux filles sont elles aussi physiquement contrastées. Marie Varlet est plus athlétique et Kayo Nakasato plus délicate. Amaury Barreras Lapinet prête sa plastique parfaite au partenaire du pas de trois. Les deux distributions, pourtant si différentes, portent cependant le ballet d’une manière également convaincante. Le ballet du Capitole a « un style ».

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Instars. Kléber Rebello et Jessica Fyfe

Instars, l’une des deux pièces de remplacement du programme, a été chorégraphiée en 2018 par Erico Montes, un ancien premier artiste du Royal Ballet aujourd’hui maître de ballet à Toulouse, dans une veine qui doit beaucoup en un sens au style de technique poussé par Kylian dans les années 80-90. La première influence qui viendrait à l’esprit devrait bien sûr être celle de Christopher Wheeldon mais ce dernier doit sans beaucoup plus au néoclassicisme germanique qu’à l’école anglaise (où il a été formé) ou américaine (où il a dansé en tant que membre du NYCB). Tel qu’il se présente, ce pas de deux sur la musique en ostinato de John Adams est plaisant. Une fois passé la surprise de voir la ballerine porter un justaucorps arc en ciel dans un programme appelé « Noir et Blanc », on peut prendre plaisir au enroulements-déroulements et au perpetuum mobile qu’exécutent des deux protagonistes. Le 25, Jessica Fyfe se montre lyrique mais sans excès accompagnée du très attentif Kleber Rebello. Mademoiselle Fyfe a tout ce qu’il faut du côté des jambes mais ce sont ses ports de bras (très anglais, avec la ligne de la main un peu au-dessus de la ligne d’épaules) qui ravissent. La liberté de son haut du corps créé une suspension dans la chorégraphie qui manquera un tantinet le 26 avec Alexandra Sudoreeva, pourtant charmante, mais dont on remarque surtout les jambes aux côtés du très solaire Alexandre De Oliveira Ferreira. Au soir du 25, le chorégraphe est monté sur scène pour offrir un bouquet à Jessica Fyfe dont c’était, hélas, la dernière représentation sur la scène du Capitole. On regrettera cette artiste qui nous avait conquis l’an dernier dans Giselle lorsque, sur invitation de Kader Belarbi, elle était venue danser aux côtés de Philippe Solano.

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Jessica Fyfe et Erico Montes. Saluts. Adieux.

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Libra est une autre addition d’urgence au répertoire de la compagnie. Le chorégraphe anglais George Williamson a créé ce duo pour l’occasion. Encore sur une musique en ostinato, cette fois-ci de Peter Gregson, deux danseuses aux justaucorps très maillot de plage, un noir, un bleu, entrent sur scène en déboulés. S’ensuit tout un jeu d’imbrication des corps rapides et bien réglé qui, au soir du 25 mars, finit par lasser. La musique nous parait tomber dans l’orchestration sirupeuse de même que la chorégraphie. Pourtant, les deux interprètes sont nos deux Kitri de décembre, Nancy Osbaldeston (en bleu) et Natalia de Froberville (en noir). On avait apprécié, lors de deux soirées séparées, le contraste entre la perfection classique teintée d’une pointe d’humour de Froberville, qui en faisait une authentique Kitri-Dulcinée de l’acte 2, et l’efficacité terrienne et premier degré d’Osbaldeston qui faisait merveille sur la place de Séville à l’acte 1. Mais présentés ensemble, les styles des deux danseuses ne communiquent pas. Aucun jeu ne naît de leur apposition.

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Libra. Nancy Osbaldeston et Natalia de Froberville. Photographie David Herrero.

L’impression est diamétralement opposée le 26. Là aussi les deux danseuses ne se ressemblent pas. Sofia Caminiti (en bleu) est une gracieuse liane et Marlen Fuerte (en noir) une belle statue. Mais ici, leurs différences introduisent une forme de dialectique dans leurs évolutions au fur et à mesure qu’avance le ballet. Caminiti est l’élément végétal tandis que Fuerte est l’animal. Et le jeu d’imbrications prend du corps.

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Libra. Sofia Caminiti et Marlen Fuerte. Photographie David Herrero.

La pièce reste certes d’occasion mais elle peut donc offrir un plaisant moment de danse.

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Loin Tain de Michel Kelemenis était la seule création de la soirée initialement prévue par Kader Belarbi. Sur le concerto pour violoncelle et orchestre d’Henri Dutilleux, « Tout un Monde lointain », le chorégraphe se proposait d’évoquer les noirs profonds de la peinture de Pierre Soulages, récemment disparu. La scénographie de Bruno de Lavenère, constituée de deux couches de rideaux de chaînettes qui montent et descendent dans les cintres sur un fond noir, n’est pas loin de donner l’impression des coups de brosse de l’artiste sur ses monochromes. Les garçons, habillés en blanc, portent des tee-shirts qui évoquent le bleu électrique qui incendie parfois les noirs du peintre. Leur lèvres sont carminées.

La pièce commence par une scène charmante, dans le silence, où Amaury Barreras Lapinet traverse la scène de cour à jardin avec une gestuelle cartoonesque : petits sauts avec jambes qui gigotent en l’air, prestes voltes-faces. Le danseur semble appelé-attiré par le bout de sa main puis par la danseuse Kayo Nakazato, parfaite tentatrice entrée à jardin. Le charmant Puck de Barreras sera l’acmé de la pièce.

Car avec l’introduction de la musique de Dutilleux, l’ambiance change du tout au tout et devient sombre et absconse.  Kayo Nakasato, la ligne acérée, fait une sorte de variation reprise à l’identique derrière le rideau de chaînes par une autre fille. L’effet de miroir et de transparence n’est pas abouti. Les éclairages de Rémi Colas auraient gagné à être plus tranchés et plus translucides. Puis Nakasato est lancée en toute droite en l’air par 4 garçons et pousse de petits cris. La salle rit une fois puis devient atone à la répétition de cette facétie.

La gestuelle de Kelemenis est « contemporaine ». Chacun reste enfermé dans sa kinésphère ; les sauts, initiés par des jambes en parallèle, sont ancrés dans le sol. Les portés, à l’inverse de ceux d’un Kylian, focalisent l’attention du spectateur sur les points de contacts entre les corps. La gestuelle est anguleuse comme lors de ces marches en parallèle où les bras très tendus font un va-et-vient avec des poignets cassés à l’inverse. Kelemenis connaît son affaire.

Mais Kayo Nakasato a beau prendre la position couchée de dos sensuelle d’une déesse de Bourdelle, on peine à voir émerger une quelconque intimité entre ces dix-sept corps qui se croisent et se touchent pourtant de près. L’interaction entre la danseuse et Minoru Kaneko est avortée et ce n’est pas comme si celle avec Simon Catonnet, pourtant listé comme interprète soliste, était plus aboutie. Au fond, Kayo Nakasato n’aura jamais autant communiqué qu’avec son premier partenaire, Barreras Lapinet, qui termine le ballet dans la pose de la déesse de Bourdelle.

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Loin Tain. Kayo Nakazato et Amaury Barreras Lapinet

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C’est la deuxième fois cette saison qu’Amaury Barreras Lapinet, longtemps discret au sein du corps de ballet, révèle son talent facétieux (déjà perceptible une première fois dans son duo de petits chevaux avec Philippe Solano dans Les Saltimbanques en 2021). C’est ce que j’ai aimé toutes ces années dans le ballet du Capitole de Toulouse : voir éclore des personnalités au sein d’un groupe cohérent dans sa diversité.

Espérons qu’il y aura encore beaucoup de jolies surprises comme celle-ci à l’avenir. Mais cela ne se fera assurément pas en l’absence d’une direction et d’un répertoire original, propre à la compagnie …

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« Petites Pièces » de Fabio Crestale : pièces courtes et cheveux longs

Barentin, Seine-Maritime. Le centre ville est un mouchoir de poche où détonne le théâtre Montdory et son vaste foyer vitré.  Au mur, une fresque gigantesque peinte sur miroir provenant du transatlantique Liberté. Au plafond, le lustre spectaculaire façon Murano provient du même paquebot. Etonnant.

La salle est comble. Des séniors, des plus jeunes et pas mal d’ados. Au programme, Petites Pièces de Fabio Crestale. Un italien à Paris. Pour dire, un parisien italien.

Petites Pièces évoque par leur nom celles, Montées, de Découflé. Certaines du Signor Crestale en ont résolument la saveur ludique et poétique. D’autres sont résolument plus sombres.

Sur une quinzaine de ‘petites pièces’ à son répertoire, Fabio C en a sélectionné pour cette soirée onze d’une durée n’excédant pas les dix minutes.  Un format agréable qui ménage les surprises et rend compte de son style et  son esprit à la fois léger et inquiet qui lui fait mettre en scène, avec humour ou âpreté, toutes sortes de frictions entre les êtres et notamment celle entre le classique et le contemporain. Une idiosyncrasie d’ailleurs qui fait de lui une façon de Pierrot lunaire sur la scène de la chorégraphie actuelle. Formé aux ballets de Toscane à Florence, Fabio Crestale est passé en autres par le Alvin Ailey Dance Center à New York et a dansé dans de nombreuses compagnies avant de fonder sa compagnie IFunamboli en 2011.

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« Vino, Corpus ». « Petites pièces » de Fabio Crestale. Photographie courtesy of Cie IFunamboli.

Sur la sonate n° 20 de Schubert jouée par Andrea Turra au piano, Vino, Corpus débute la soirée sur fond de vidéo qui nous promène au milieu des vignes. Scène jonchée de grappes de raisins où deux danseurs roulent comme sous la proverbiale table. Quand ils ne sont pas à terre, Steven Bruneau et Gaétan Vermeulen repoussent déjà les limites du style virtuose de Crestale où les torses ploient à l’infini. Bel artiste aux longs cheveux noirs et bouclés, Vermeulen irradie par sa présence tout au long de cette soirée. Tout comme Bruneau, superbe artiste également aux longs cheveux blonds et d’allure androgyne qu’on retrouve un peu plus tard dans une robe de soie très bauschienne et des solos d’une sauvagerie parfaitement maitrisée.

S’ensuit Talk, un dialogue entre le pianiste et le danseur, celui ci étant interprété pour l’occasion par le sujet de l’Opéra, Jack Gasztowtt à la plastique renversante et qui se joue avec délice d’une chorégraphie à la fois espiègle et sensuelle agrémentée de quelques ornements classiques exécutés avec brio. On le retrouve plus tard en fanfaron de charme dans Opposé face à Seohoo Yun, très belle quadrille de l’Opéra, qui finit par le mater.

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« Opposé ». « Petites pièces » de Fabio Crestale. Photographie courtesy of Cie Ifunamboli.

Yun brille aussi dans capriccio en somptueuse ballerine mutine face à Coline Fayolle, parfaite en sauvageonne ‘contemporaine’. La confrontation est un rien cliché mais efficacement réalisée. S’enchaînent les autres pièces, diversement teintées de malice ou de drame. Les corps toujours à un doigt du déséquilibre. Jusqu’à la dernière : Le plaisir des Trois sur Work it, un Soulwax remix techno. Sur pointes, Coralie Murgia y est d’une précision fulgurante, entourée du splendide Vermeulen et de Pedro Lozano Gomez qui roule des hanches avec nonchalance et transpire la sensualité. Un trio minutieusement syncopé, un rien sex, un rien racoleur pour un final inattendu et décapant.

Un tourbillon de danse et de musique a soufflé sur Barentin. Crestale et ses fabuleux interprètes ont conquis le public. Le charme éclectique de ces Petites Pièces, en parfaits amuse-bouches, invite à voir se déployer la danse vibrante et échevelée de Fabio C dans ses œuvres de plus grande ampleur.

François Fargue.

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A Toulouse. Paysages intérieurs (Malandain/Carlson) et un Temps du Bilan inattendu

Le programme Paysage intérieurs, présenté pour trois petites dates par le Ballet du Capitole dans le cadre du festival de danse « Ici & Là » réunissait deux chorégraphes étiquetés « néoclassiques », l’Américaine Carolyn Carlson, qui fut jadis étoile contemporaine de l’Opéra de Paris, et Thierry Malandain, le directeur du CCN de Biarritz. Ce programme avait été conçu pour la saison 2020-2021 et n’avait en conséquence pas été présenté au public même s’il avait été répété par les danseurs.

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Voir Nocturnes de Thierry Malandain, c’est donc découvrir à rebours un ballet qui était destiné à familiariser la compagnie toulousaine au travail du chorégraphe avant la création de Daphnis et Chloé, spécialement conçu par le chorégraphe pour le ballet du Capitole en juillet dernier.

Kader Belarbi est sans conteste un programmateur judicieux. Il a évité l’écueil sur lequel s’était abimé le ballet de l’Opéra en 2011 en commandant directement une création à Thierry Malandain, L’Envol d’Icare, sans avoir vraiment donné aux danseurs le temps d’assimiler son style.

J’ai déjà commenté deux fois Nocturnes, cette très belle pièce de Malandain qui parvient à évoquer le romantisme propre aux nocturnes de Chopin sans avoir recours au pas de deux romantique (magistralement exploré par Jerome Robbins) et la mort sans instiller de pathos. Nocturnes, avec son lino rectangulaire de cour à jardin, se présente comme une grande frise chorégraphique où les individus se suivent, se croisent, s’imbriquent et se séparent, comme on le fait dans la vie où l’intimité des destins ne dure qu’un temps.

DHF_9606 - Nocturnes - crédit D. Herrero

Nocturnes.Thierry Malandain. Philippe Solano – Photographie David Herrero

Les danseurs du Capitole, sans pouvoir être en symbiose avec le style du chorégraphe comme le sont les danseurs du Malandain Ballet Biarritz embrassent néanmoins vaillamment l’esthétique du chorégraphe.

S’ils négocient un peu les sauts réceptionnés en tailleur dans le duo d’ouverture, celui des « doubles galipettes », Jeremy Leydier et Alexandre de Oliveira Ferreira entretiennent néanmoins une vraie tension dans leurs interactions. Ils convainquent… Dans le deuxième pas de deux Minoru Kaneko et Tiphaine Prevost ont le mouvement plus délibéré, moins coulé que chez les danseurs de Malandain mais dégagent un beau lyrisme sans excès. Kayo Nakasato et Saki Isonaga font la partie « des Sylphides » illustrée à Biarritz par Claire Lonchampt et Irma Hoffren. Là aussi, le jeu des références est compris. On voit bien des sylphides (déhanchées, main sur la bouche) mais occasionnellement aussi des Willis ou encore des piétinés de cygnes.

Malandain dégenre souvent les références visuelles de la Danse. Dans un pas de trois, les garçons font des sauts qui évoquent ceux de Giselle à l’acte 2.

Dans le rôle mystérieux créé par Arnaud Mahouy, Philippe Solano développe une énergie plus tendue et nerveuse que son prédécesseur et modèle mais évoque tout à fait la Parque qui met fin au ballet en coupant le fil de la vie. Alexandra Sudoreeva et son partenaire Simon Catonnet mettent en valeur le seul moment du ballet où Thierry Malandain regarde vers le pas de deux romantique. Les deux danseurs s’éloignent et se rapprochent presque contre leur gré. Ils sont comme soumis à une loi d’attraction-répulsion. Le final avec les filles en attitude décalée et la grande chaîne « des chandelles »  au passage de la mort (Solano) est fort réussi. L’œuvre de Thierry Malandain apparaît clairement transposée sur d’autres corps mais la proposition des danseurs du ballet du Capitole est fructueuse.

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Autre personnalité du néoclassique moderne, Carolyn Carlson était honorée à travers deux pièces créées au XXIe siècle, Wind Women (2018) et If to leave is to Remember (2006). Je précise « du XXIe siècle » car la danseuse chorégraphe crée depuis les années 70 des œuvres qui ont été célébrées et ont marqué des générations de danseurs, notamment à l’Opéra de Paris où Carlson, interprète charismatique, a été étoile-chorégraphe entre 1974 et 1980. Kader Belarbi (entré dans le corps de ballet en 1980, l’année même du départ de Carlson), qui a eu toujours une fibre moderne, était de ceux-là. En 1997, aux côtés de Marie-Claude Pietragalla, il a d’ailleurs créé Signes qui sera repris en fin de saison à Paris. De mon côté, arrivé dans la balletomanie à un moment ou l’influence de Carlson s’estompait, je n’ai jamais encore été conquis par les œuvres de la chorégraphe américaine. Pendant longtemps, Carlson c’était pour moi le solo féminin de Density 21.5 (1972) présenté en variation libre par les danseuses au concours du corps de ballet. Signes, même avec le duo Pietra-Belarbi m’a laissé complètement sur le bord de la route. En 2015, j’ai lâchement laissé l’ami James en faire la revue. Pas plus conquis que moi, il a pondu un article vachard titré « 10 raisons d’aller voir Signes ». En 2017, je n’ai pas été emporté non plus par « Pneuma », présenté à Chaillot par le Ballet de Bordeaux. Si je notais en frontispice « il y a de bien jolies images dans Pneuma », je trouvai  aussi que la machine tournait à vide et se résumait souvent à une scénographie précieuse.

Alors, les danseurs du Capitole allaient-ils me convertir à Carlson ?

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Wind Women. Carolyn Carlson. Ensemble. Photographie David Herrero

Pour Pneuma, j’avais perçu le style de Carlson comme une chorégraphie de facture « contemporaine traditionnelle », le classique l’emportant sur le contemporain. Avec Wind Women, sur une bande son planante et somme toute un peu convenue de Nicolas de Zorzi faite de tintements de clochettes, de halètements et flux et reflux de vagues, on se dirigerait plutôt vers une esthétique bauschienne saupoudrée de Trisha Brown. Marlen Fuerte, intense interprète, commence la pièce dans le silence, les cheveux lâchés, vêtue d’une grande tunique blanche. Son corps se lance dans des spirales entraînées par le mouvement des bras, souvent saccadé. La danseuse se retrouve parfois en position de deuil, le haut du dos et le cou recourbé, les cheveux recouvrant le visage. Elle est bientôt rejointe par tout un groupe de douze filles (parmi elles les deux Kitri de décembre dernier, Natalia de Froberville et Nancy Olbadeston) qui danse avec une gestuelle similaire (Jessica Fyfe, notre Giselle de la saison dernière s’y montre très à l’aise), en canon, créant une sorte de vague figurant bien l’action du vent sur les corps solides ; feuilles ou herbes folles.

C’est joli. Mais où cela va-t-il ?

DHF_0489 - If To Leave Is To Remember - crédit D. Herrero

If To Leave Is To Remember. Carolyn Carlson. – Photographie David Herrero

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« If to Leave Is to Remember » est réglé sur un quatuor de Philip Glass, un choix qui en 2006, était déjà un poncif musical, et dans une mise en scène très minimaliste-chic (rais de néons descendant des cintres sur plateau noir, là encore costumes épurés). Le ballet commence avec un groupe de dix garçons dans une chorégraphie très véloce usant beaucoup de la saltation sur jambes pliées, de pirouettes et d’occasionnelles reptations sur les mains. L’apparition d’une grande fenêtre à meneaux rouge sur le devant de scène à jardin signale l’entrée en scène de l’élément féminin. On apporte une table sur laquelle Marlen Fuerte gît en sous-vêtements, étendue comme un cadavre à la morgue. Les autres filles en robes noires et talons (encore une référence très Pina) entrent à cour. Jeremy Leydier, présence intense, rejoint la table. Est-il un amant éploré? Non, semble-t-il. Il commence à manipuler sa partenaire, ou plutôt à l’actionner comme une marionnette tandis qu’un autre couple danse une sorte de tango argentin à l’opposé du plateau. Assiste-t-on à la même histoire vue sous un angle plus « social » ?

Lorsqu’on apporte une autre table en fond de scène, cette fois-ci avec un corps masculin, le gars ne sera pas manipulé, lui. Les pas de deux et trios se succèdent ensuite. Minoru Kaneko retire et jette violemment les talons de Solène Monnereau avant de danser avec elle. Kayo Nakasato est une belle présence solitaire. Trois couples se métamorphosent en trios (2 garçons et une fille). Ils sortent à reculons, un couple debout, le troisième larron roulant entre leurs jambes ; une jolie image.

On remarque aussi un autre trio, dynamique, constitué de Philippe Solano, Minoru Kaneko et Kleber Rebello mais on note aussi une forme de poncif dans l’utilisation de la musique de Philip Glass ; cette danse en accéléré sur l’ostinato des cordes tandis qu’un autre groupe de danseurs se meut au ralenti pour souligner la répétition obsessionnelle des phrases musicales. Twila Tharp faisait déjà cela dans les années 80 dans In the Upper Room sur une partition directement commandée au compositeur.

La pièce, qui continue sans qu’on se sente en prise avec un quelconque sous-texte, s’achève avec une voix récitant un texte en anglais où il est question de pluie sur des carreaux de fenêtre (celle de la scénographie disparaît dans les cintres), de choix faits ou à faire… Les derniers mots « If to leave is to remember » clôturent la pièce tout en lui donnant son titre. Les danseurs finissent de dos en fond de scène. Deux néons descendent des cintres. Voilà…

Les danseurs du ballet du Capitole ne m’ont donc pas converti à Carlson, mais ils ont, encore une fois, su me captiver par moments individuellement ou en groupe.

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Triste épilogue

Les danseurs du Capitole…

J’ai été cueilli par la nouvelle tandis que j’attendais mon train de retour vers Paris… Faisant suite à une plainte d’un ancien danseur de la compagnie pour harcèlement et d’un audit interne, le Capitole met fin aux fonctions de Kader Belarbi.

Comme beaucoup, je m’étais inquiété du gros « turnover » dans la compagnie, qui s’était accéléré ces deux dernières années. Mais à chaque saison, la troupe du Capitole, même renouvelée, montrait toujours cette cohésion forte qui me rassurait. Je n’ai jamais senti ce genre d’automatisme presque mécanique qu’on sent chez les danseurs dans les compagnies classiques où la direction dysfonctionne. Qu’est-ce qui a pu conduire à cette annonce brutale qui ne peut qu’être dommageable pour la suite de la carrière de Kader Belarbi en tant que leader de compagnie?

Car il y a un bilan artistique Belarbi… Les Balletonautes ont suivi son Capitole depuis avril 2013 où nous étions allés découvrir le programme Bournonville/Cramér au Casino Barrière de Toulouse. Pendant cette fructueuse décennie, on a vu un public se construire. Les salles n’étaient pas toujours pleines au début, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Loin s’en faut. Il y a eu aussi la construction d’un répertoire original à la fois soucieux d’éduquer le public à la danse française (Kader Belarbi a par exemple exprimé ses doutes sur le génie chorégraphique de Serge Lifar mais a néanmoins fait entrer Suite en Blanc et Mirages au répertoire), de le familiariser avec la création classique-néoclassique et contemporaine à travers des entrées au répertoire et des créations. La programmation de Kader Belarbi n’a jamais été par exemple une réminiscence de sa carrière à l’Opéra comme ce que fait Manuel Legris (jadis à Vienne, aujourd’hui à Milan). Il y a surtout le fantastique travail du chorégraphe, particulièrement dans sa relecture des grands classiques (Corsaire, Giselle, Don Quichotte, Casse-Noisette) …

Et la question est, que va-t-il advenir de ce splendide répertoire après son départ ?

La mairie de Toulouse affiche sa sérénité. Dans un article de La Dépêche du 13 février, elle affirme : « Le Ballet du Capitole reste hautement désirable et attirera les meilleures candidatures.. ». Sauf que cet appel à candidature ne semble pas avoir de calendrier, alors que la dernière audition de monsieur Belarbi aurait eu lieu le 7 novembre dernier. La mairie se montre bien naïve (l’euphémisme est assumé) lorsqu’elle déclare : « La continuité de l’activité sera assurée », indique-t-on à la Mairie de Toulouse, qui « entend poursuivre l’ambition artistique de cette compagnie reconnue au niveau national et international. Les projets de tournée et la programmation sont maintenus tels que programmés […] La saison 2023-2024 du Ballet du Capitole étant déjà largement ébauchée, il n’y a pas d’urgence à recruter un remplaçant à Kader Belarbi. »

Qui peut penser qu’on pourra maintenir « l’ambition artistique » d’une compagnie « au niveau national et international » sans quelqu’un à sa tête pendant une saison et demie ? Les maisons d’Opéra sont en général des lieux où l’orchestre, le lyrique et le ballet cherchent à tirer la couverture à soi en termes de budget ; ce dernier sortant rarement vainqueur du combat… Alors avec personne à sa tête ?

Qu’on nous entende bien, nous ne minimisons pas la souffrance des danseurs, qui arrivent tout minots et souvent désarmés dans une profession où il faut exister vite avant de disparaître trop tôt. Dans un récent post sur les réseaux sociaux, le danseur de Bordeaux Guillaume Début, relayé par son collègue Marc-Emmanuel Zanoli, rappelait que « seuls les danseurs de l’Opéra peuvent toucher une partie de leur retraite à quarante-deux ans et demi. Les danseurs du reste de la France sont obligés d’être licenciés pour insuffisance professionnelle ou de faire une rupture conventionnelle et de se reconvertir ». À Toulouse, on trouve inacceptable « de[s] comportements […] de la part d’un responsable artistique détenteur d’une autorité sur des danseurs et danseuses souvent très jeunes et totalement soumis à ses décisions en matière de renouvellement de leurs contrats ». Ne serait-il pas temps donc de mettre fin au système de ces contrats « sièges éjectables » qu’on trouve dans la plupart des maisons d’Opéra et qui ne sont assurément pas une invention de Kader Belarbi ? On attend avec impatience les propositions de la mairie de Toulouse.

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Photo officielle du Ballet du Capitole. Photographie David Herrero

Commentaires fermés sur A Toulouse. Paysages intérieurs (Malandain/Carlson) et un Temps du Bilan inattendu

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Mehdi Kerkouche, « Portrait » : chaîne de vie

Théâtre national de Chaillot. Portrait. Mehdi Kerkouche (chorégraphie), Lucie Antunes (musique). Représentation du samedi 21 janvier 2023.

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« Portrait », Mehdi Kerkouche, CCN de Créteil et du Val-de-Marne. Photographie Julien Benhamou.

Lors de la reprise avortée de la saison 2020, une soirée de chorégraphes contemporains à l’Opéra de Paris avait été diffusée en streaming, les théâtres ayant déjà été contraints de refermer leurs portes pour des raisons sanitaires. Elle nous avait permis de découvrir le travail de Mehdi Kerkouche. Ce fut sans doute l’un des rares moments où il nous a semblé que la directrice Aurélie Dupont avait fait preuve de nez. Elle avait remarqué le jeune chorégraphe, qui n’avait pas alors 35 ans, grâce à ses « danses confinées » sur écran partagé.

J’étais donc curieux de retrouver à Chaillot ce chorégraphe, pour moi « du virtuel », aux manettes cette fois de sa propre compagnie, l’EMKA fondée en 2017, très récemment devenue le CCN de Créteil et du Val-de-Marne, depuis que le chorégraphe a succédé, en janvier, à Mourad Merzouki.

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Dans un espace nu au lino blanc barré d’une sorte de piste rectangle noire, les neuf danseurs aux physiques très individualisés apparaissent en formation d’étoile. Une danseuse plus âgée, aux cheveux argentés, semble tenir lieu de pivot à cette formation, préfigurant le rôle qu’elle tiendra pendant toute la pièce ; une figure tutélaire et maternelle qui apparaît et disparaît subrepticement, s’insère dans les groupes, interagit avec lui tout en restant un peu à part, presque transcendante.

C’est que « Portrait », c’est le nom de la pièce, interroge la notion d’individu au sein du groupe. Y a-t-il d’ailleurs d’individu possible sans le groupe ?

Non, semble répondre Mehdi Kerkouche. Dans sa chorégraphie sous le signe de la courbe et de l’ellipse, où les corps se contorsionnent et jouent avec le vecteur de la gravité, les danseurs s’échappent souvent dans des soli très individuels (de gestuelle rap, souvent mais aussi au tout début du voguing pour un grand gars à chignon qui, plus tard, s’avérera être en possession d’un bel organe vocal) mais ils sont systématiquement rattrapés par l’ensemble ou alors cherchent à s’y réintégrer.

Au service de cette idée, est, comme dans la pièce pour l’Opéra, cet art chez Mehdi Kerkouche de la gestion du groupe. Celui-ci est toujours rendu vibrant grâce à l’utilisation de subtils contrepoints chorégraphiques ménageant des surprises pour faire voyager l’œil du spectateur d’un danseur ou d’un groupe de danseurs à un autre, toujours de manière inattendue.

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Les corps se frôlent et s’enroulent en jolis entrelacs. Les danseurs évoquent parfois une frise ou un fronton lors d’occasionnels moments d’immobilité. Les mains se joignent pour former une chaine humaine qui s’enroule sur elle-même et se délie inopinément. Les rencontres sont subreptices, avortées ou alors carrément charnelles.

Il y a des moments émouvants ou poignants comme ce très beau passage où l’un des danseurs, un moment illuminé par un spot rasant à cour, seul d’abord, est étreint par un autre puis est passé de bras en bras comme un Christ de descente de croix. Il est recueilli enfin par la figure tutélaire en blanc. Un autre fait un exercice de derviche tourneur tandis que l’ensemble des danseurs tourne autour de lui. Il est ensuite soutenu par le groupe, tandis qu’étourdi, il ondoie, pantelant, tel une marionnette désarticulée.

La dernière partie de la pièce, jusqu’ici abstraite, évolue vers la biographie. La femme en blanc nous raconte l’immigration de sa famille aux USA et détaille son arbre généalogique. Le rectangle en lino noir figure désormais une table autour de laquelle on s’assoit, discute, s’isole ou se déchire avant de se réconcilier.

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Le final, en tenue 70’s termine la pièce en un désopilant et loufoque portrait de famille auquel ne manque même pas la photo encadrée du greffier. Dans la transe finale, on se sent inclus et comme emporté dans une grande ronde de la vie.

Mehdi Kerkouche est parvenu à dresser l’air de rien, en une heure, sans remplissage inutile et sans grandiloquence, un portrait de famille dans lequel chacun et chacune peut se reconnaître. Du grand art, en somme…

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« Portrait », Mehdi Kerkouche, CCN de Créteil et du Val-de-Marne. Photographie Julien Benhamou.

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Giselle de Martin Chaix: symphonie pour femme seule

Giselle, Martin Chaix – BOnR © Agathe Poupeney

Giselle, Martin Chaix – BOnR © Agathe Poupeney

Opéra national du Rhin, Strasbourg, soirée du 20 janvier 2023. Orchestre symphonique de Mulhouse dirigé par Sora Elisabeth Lee

Nous sommes dans ce qui ressemble à un local municipal reconverti, pour un soir, en salle des fêtes. Les publicités défraichies pour le vin situent l’action dans un passé indéfini, mais proche. De même pour les costumes, avec des hommes qui se cravatent encore pour sortir (c’était donc il y a au moins 30 ans) et des femmes en robe cocktail. Mais n’anticipons pas : pour l’instant, la scène n’est occupée que par une jeune femme en robe de dentelle blanche, grande et plantureuse (Audrey Becker), qui danse seule sous les néons, un rien rêveuse, comme en attente. On comprend qu’il s’agit de Giselle.

Mais c’est à d’autres donzelles que le coq du coin, en qui on reconnaît aisément Albrecht (Ryo Shimizu, très convaincant en égoïste narcissique), consacre son attention : il y a Moyna, qui lui fait du gringue, mais qu’il rejette (Noemi Coin), et Zulma, qu’il drague de manière très agressive (Christina Cecchini).

La relecture de Giselle par Martin Chaix rebat toutes les cartes : la musique d’Adolphe Adam cède la première place à des extraits symphoniques de Louise Farrenc, les personnages féminins sont loin de tout archétype romantique, Hilarion est un rôle androgyne, et Bathilde danse vraiment (elle est aussi bien plus chic que les autres, ceci ne change pas).

Giselle, Martin Chaix – BOnR © Agathe Poupeney

Giselle, Martin Chaix – BOnR © Agathe Poupeney

Le premier acte, sous-titré « La foule », pourrait s’appeler aussi « Le bal ». Les danses de couple du corps de ballet, qui s’enchaînent à un rythme ébouriffant, nous parlent clairement de séduction, et les premiers pas de deux dansés par Albrecht charrient une tension qui, nonobstant le style résolument néoclassique du chorégraphe, n’est pas sans rappeler le petit théâtre du désir et des rapports de force de Kontakthof. Mais rien ne pèse : les 40 mn de la première partie sont d’une virtuosité tirée au cordeau.

Il y a, outre le plaisir de la découverte de Louise Farrenc, celui de l’audace gagnante de Martin Chaix dans l’utilisation des passages d’Adam : ce n’est jamais comme on l’attend (la musique de la variation de Giselle au premier acte est dansée par Albrecht, c’est Myrtha qui danse sur celle d’Albrecht au second, etc.), mais chaque proposition marche, aussi bien du point de vue chorégraphique (on entend d’autres accents) que dramatique (on voit d’autres histoires possibles).

Les parties dansées par le corps de ballet et celles des solistes s’entrelacent ; Martin Chaix joue de la répétition de certains motifs, et, en écho à la construction de la 1e symphonie de Farrenc, fait constamment monter la pression, du flirt Giselle-Albrecht à la confrontation finale – où Albrecht voit son double-jeu confondu –, en passant par les interventions d’une Bathilde altière (Susie Buisson) et quelques quiproquos vestimentaires.

L’ensemble est impressionnant, bien servi par une compagnie en pleine forme : les mecs ont des pieds superbes et réussissent tous leurs double-tours en l’air dans un unisson qu’on n’a pas vu tous les soirs à Paris dans le Lac. Leur danse acérée fait penser à celle de Vincent Chaillet (qui participe à la production). Les filles font preuve d’un joli travail de pointes (c’est le jour et la nuit par rapport à ce qu’on a pu voir du temps d’Ivan Cavallari), et maîtrisent avec aisance une partition assez risquée. Bruno Bouché, à la tête du Ballet de l’Opéra national du Rhin depuis 2017, a manifestement fait du beau boulot, et le résultat donne bien envie d’aller plus souvent suivre les créations strasbourgeoises.

Giselle, Martin Chaix – BOnR © Agathe Poupeney

Giselle, Martin Chaix – BOnR © Agathe Poupeney

La seconde partie nous fait découvrir « la bande à Myrtha », qui promène sa révolte sur un parking en lisière de forêt, éclairé par une lumière blafarde. Dans cette assemblée mixte, à la fois bigarrée et sombrement vêtue (c’est l’acte noir), la longiligne Myrtha (Deia Cabalé) fait figure d’icône punk. Une spectatrice derrière moi murmure une explication à son voisin : « c’est la déesse».

Nous sommes pourtant loin de l’univers fantastique de Théophile Gaultier : le projet de Martin Chaix et de sa dramaturge Ulrike Wörner von Fassmann consiste à imaginer comment réagiraient, à la tromperie d’Albrecht, les Giselle et Bathilde d’aujourd’hui. Sans surprise, elles sont moins promptes au pardon. L’ennui est que, sans mort à la fin du premier acte, le drame manque singulièrement de tranchant.

Dans la seconde partie, parsemée à tous vents de citations de Coralli et Perrot, entre tricotage d’entrechats de volée et traversées de scène des Willis, la narration s’éparpille : Myrtha a le mal de vivre, Giselle est furibarde, Bathilde veut se venger, Hilarion (Marin Delavaud) tente de voler un baiser à Giselle, on se fait de grands « hugs » collectifs, et l’unanimité se forge contre le méchant du moment.

Le passage où Albrecht se fait presque lyncher par la foule est assez malaisant. Cela rend plus sensible la douceur du pas de deux de la réconciliation entre Giselle et Albrecht, qui ne débouche cependant pas sur le remariage : les deux protagonistes s’embrouillent et se séparent. Les dernières évolutions sur scène de la demoiselle sonnent comme une célébration de la liberté dans le célibat. En cela, cette Giselle est bien de son temps.

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Don Quichotte à Toulouse : Une cure de soleil en plein hiver

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Don Quichotte de Kader Belarbi, Ballet du Capitole. Photographie David Herrero.

Les couleurs des décors et des costumes éclatent comme celles d’un étal de fruits sur un marché du sud-ouest. Dans le corps de ballet, Sofia Caminiti, l’œil et le cheveu très noirs arbore crânement une robe d’un jaune pétant.

Le ballet du Capitole reprend le Don Quichotte de Kader Belarbi, une production gorgée de soleil qui vous met du baume au coeur.  Les murailles de cette ville d’Espagne ont pris les tons rosés et chauds des rues de Toulouse. La production elle-même (décors d’Emilio Carcano, costumes  de Joop Stokvis et lumières de Vinicio Cheli) n’est pourtant pas due à Kader Belarbi qui, dans un louable souci d’économie a repris l’ancienne production de la direction Glushak, ne demandant des nouveaux décors que pour la scène des dryades (ici des naïades) située dans une mystérieuse mangrove vert arsenic.

Et puis il y a la musique. Sous la baguette alerte et enjouée de Fayçal Karoui, l’orchestre de l’Opéra national du Capitole fait scintiller la partition de Minkus. L’ouverture de l’acte 3, avec ses castagnettes qui crépitent provoque un petit frisson dans le dos. Un don du ciel après quatre Lacs des cygnes à l’Opéra où le terne le disputait à la dissonance.

Enfin le découpage intelligent de l’action par Belarbi, condensant les personnages (Basilio et le Toréador, la Danseuse de rue et la Reine des gitans, Don Quichotte et Gamache) et allant droit au but, est magnifié par l’énergie sans cesse renouvelée de la compagnie. Elle embrasse avec panache les danses de caractère classiques, proches de celles de la version Noureev mais recentrées depuis 2019 sur l’authenticité des impulsions par l’intervention du chorégraphe Antonio Najarro.

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Au soir du 28 décembre, la scène d’introduction, noyée dans la pénombre dans la production de l’Opéra de Paris, est au contraire lisible et palpitante. Ruslan Savdenov sait être un Don à la fois ridicule et touchant, sorte de pantin fantasque. Il s’effondre avec gusto sur son séant, les bras ballants. Dans les scènes suivantes, il sait être ridicule en vieux soupirant tout en gardant son côté hidalgo. Son Sancho Panza, Amaury Barreras Lapinet, méconnaissable, est truculent à souhait. Ce danseur, très beau mais habituellement très réservé révèle ici un vrai talent comique.

Sur la place de Séville, la pantomime est aussi énergique que les danses de caractère. Tiphaine Prévost et Kayo  Nakasato sont deux amies de Kitri avec du feu sous les pointes et la danseuse de rue-gitane de Marlen Fuerte est capiteuse à souhait.

Nancy Osbaldeston, une nouvelle venue dans la compagnie, interprète le rôle de Kitri. La jolie danseuse a un gabarit et une énergie à la Eléonore Guérineau. Elle danse avec une assurance bravache et possède un impressionnant temps de saut (notamment dans sa variation aux castagnettes). Elle reste toujours dans son rôle même hors des parties dansées. Minoru Kaneko, dont c’est décidément la saison, embrasse crânement le rôle du toréador Basilio. Il met de la puissance dans ses sauts et peaufine son partenariat.

Les deux danseurs dansent dans un bel unisson. À l’acte 2, leur pas de deux, sur des pages de Minkus peu souvent utilisées, est sensuel. Kitri-Osbaldeston fait des piétinés « tu m’attires-je te résiste » très convaincants.

Dans ce tableau gitan, Alexandre De Oliveira Ferreira est un roi dont la danse claque comme son fouet. Marlen Fuerte est à son affaire dans un pas de deux drolatique où sa danse de séduction à l’encontre de Don Quichotte, fortement accentuée, effraye le brave homme de la Mancha.

On sourit face aux bosquets mouvants sur pattes, croquignolets et poétiques, ainsi qu’à la carriole-moulin et aux masques de la scène du cauchemar qui précèdent la scène des naïades.

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Don Quichotte, Ballet du Capitole. Alexandre De Oliveira Ferreira. Photographie David Herrero

Dans la Mangrove, Jessica Fyfe, qui nous avait déjà séduit en Giselle aux cotés de Philippe Solano, incarne une Reine des naïades aux longues et belles lignes. L’arabesque est haute et les jetés aériens. Nancy Osbaldeston est peut-être moins convaincante dans le registre éthéré mais son côté charnel reste pertinent. Dulcinée n’est après tout que Kitri, la fille du tavernier promue vision dans l’esprit perturbé du chevalier à la triste figure. Conduites par Tiphaine Prévost et Kayo Nakasato, les naïades installent une atmosphère aquatique apaisante. Pour l’épilogue, Don Q et Sancho partent pour de nouvelles aventures ; un retour à la réalité dans la veine du ballet romantique.

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Don Quichotte, Ballet du Capitole. Jessica Fyfe (la reine des naïades). Photographie David Herrero.

Tout l’acte 3 a lieu sur la grande place de la ville. La chorégraphie reste pourtant conforme à la scène de taverne des versions traditionnelles. Mercedes et Esteban se voient néanmoins attribuer un pas de deux capiteux.

Minoru Kaneko fait une variation aux gobelets spectaculaires et bravache à souhait. Sa scène du suicide est délicieusement loufoque. Tous les danseurs d’ailleurs s’en donnent à cœur joie, Jeremy Leydier, en père du Kitri, dans le genre bouffe, est à mettre en tête.

Le Fandango qui ouvre la scène du mariage à proprement parler a beaucoup de caractère. Il s’agit de celle de Noureev mais elle a été rendue plus terrienne et anguleuse par les bons soins d’Antonio Najarro. Le ballet se termine dans un crescendo de virtuosité. Le grand pas de deux est dominé par Kaneko et Osbaldeston. Le partenariat réglé au cordeau reste néanmoins vivant. Basilio-Kaneko se montre très à l’aise dans les doubles assemblés en l’air et dans sa diagonale de cabrioles. Kitri-Osbaldeston est très enjouée dans sa variation où elle met l’accent sur la tenue des équilibres.

C’était une bien belle soirée. On en redemande et on y retourne avec entrain le lendemain.

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Don Quichotte, Ballet du Capitole. Nancy Osbaldeston (Kitri) et Minoru Kaneko (Basilio). Photographie David Herrero.

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Les hasards de ma présence toulousaine ont fait que j’ai vu la distribution 1 après la distribution 2. Au soir, du 29 décembre, c’est Simon Catonnet qui chausse les bottes orthopédiques de Don Quichotte. Déjà grand, il paraît désormais immense et titube de toute sa hauteur. Cette instabilité gravitatoire semble refléter sa fragilité psychique. Avec sa grande houppette qu’il agite avec esprit aux moments opportuns, il ressemble à un croisement entre Tintin et le professeur Tournesol. Sans atteindre la folie douce d’Amaury Barreras Lapinet, Lorenzo Misuri est un Sancho Pansa rempli d’humour.

Natalia de Froberville, que nous avions découverte dans ce rôle en 2017 quand elle n’était encore que soliste, tire Kitri du côté de la ballerine classique. C’est très poétique durant le prologue. À l’acte 1, ce n’est pas nécessairement capiteux mais c’est assurément léger et primesautier. La technique est suprêmement maîtrisée.

Philippe Solano continue à s’affirmer comme une des valeurs les plus sûres de la compagnie. Déjà Albrecht en tournée la saison dernière, il a également interprété le rôle-titre de Toulouse Lautrec. Arrivé en tant qu’artiste du corps de ballet, il a gravi tous les échelons. À ce stade de sa carrière et au vu de ses distributions, on commence à espérer pour lui une promotion au rang d’étoile. Quel beau signe de santé cela serait pour la compagnie !

À l’acte 1, Solano prend très au sérieux son rôle de toréador  et prend techniquement la commande du plateau. Son approche un tantinet mâle alpha gêne un peu la crédibilité du couple qu’il forme avec Froberville mais tout cela est vite oublié à l’acte 2, où dès le pas de deux de séduction avec Kitri, on retrouve son ouverture sans affectation, son charisme et sa chaleur naturelle.

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Don Quichotte, Ballet du Capitole. Solène Monnereau (Mercédès) et Lorenzo Misuri (Sancho), Photographie David Herrero.

L’ensemble des comparses est à l’unisson. Solène Monnereau est une Mercédès très second degré qui, dans son duo drolatique avec le Don, joue moins sur le registre sensuel que végétal (une préfiguration de la mangrove des naïades ?) ; Monnereau ressemble en effet à une liane strangulatoire qui s’enroule autour du vieil hidalgo. Au contact d’Esteban, le chef gitan, ces mêmes enroulements sont soudain tout infusés de séduction. Il faut dire que le rôle est interprété par Kleber Rebello, une des sensations de la visite du Miami City Ballet en 2011 lors des Étés de la Danse, devenu entre-temps principal dans cette compagnie. Impressionnant techniquement, avec ses sauts hauts et propres et ses multiples pirouettes arrêtées en équilibre sur la demi pointe, Rebello enflamme la salle.

Dans la scène des naïades, l’équilibre s’inverse par rapport à la soirée précédente. Marlen Fuerte est en effet plus régalienne que divine tandis que Froberville incarne une poétique et mousseuse vision.

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Don Quichotte, Ballet du Capitole. Scène des Naïades. Natalia de Froberville et Rouslan Savdenov (Kitri-Dulcinée et le Don), Marlen Fuerte (Reine des naïades). Photographie David Herrero.

L’acte 3 est enfin un bonheur pour les yeux et les oreilles. Durant la première scène, on remarque une sorte de gémellité entre Solano-Basilio et Rebello-Esteban lorsqu’ils dansent ensemble. Et s’ils étaient frères ? Cela expliquerait pourquoi Lorenzo -Leydier, le paternel de Kitri, ne verse du vin dans les gobelets de Basilio-Solano qu’à contrecœur contrairement à ce qu’il faisait la veille pour Basilio-Kaneko. Pensez ! Marier sa fille à un gitan !

Qu’on me pardonne cette interpolation. Il en est ainsi des représentations où tout fonctionne. Le public, tenu en alerte, s’invente sa propre histoire et étend les décors et le temps au-delà des limites étroites de la scène. Et ici tout coule de source. La drôlerie de la  scène du suicide de Solano, le grand pas de deux roboratif avec une émulation entre les deux partenaires qui dévorent leur partition avec gourmandise, tout concourt à vous porter vers le dénouement de l’intrigue dans l’allégresse. La salle enthousiaste réserve un triomphe aux deux héros et à toute la compagnie… C’est mérité.

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Don Quichotte, Ballet du Capitole. Philippe Solano (Basilio), Natalia de Froberville (Kitri). Photographie David Herrero.

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Décidément ce Don Quichotte est un authentique bijou qui mériterait d’être  montré en France et à l’étranger. Avis aux programmateurs curieux et avisés : vous avez ici de l’or en barre !

Parisiens et Franciliens, le ballet du Capitole sera :
à l’Opéra de Massy pour présenter son programme « Picasso et la Danse : Toiles-Etoiles » avec notamment une pièce d’Antonio Najarro les 21 et 22 janvier 2023 .
 au TCE pour présenter le Toulouse-Lautrec de Kader Belarbi du 13 au 15 avril 2023.

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Roméo et Juliette de Jean-Christophe Maillot au ballet du Capitole: Tragédie à Grande Vitesse

La saison 2022-2023 du ballet du Capitole a brillamment débuté avec l’entrée au répertoire, pour hélas seulement 5 petites dates, d’un monument du ballet d’action, Roméo et Juliette de Prokofiev, dans la très belle et très épurée version de Jean-Christophe Maillot. À la tête du ballet du Capitole, Kader Belarbi parvient encore à innover puisque c’est apparemment la première fois qu’une œuvre du célèbre chorégraphe français, à la tête du célébré ballet de Monte Carlo, est adoptée par une compagnie française. Ce Roméo et Juliette n’est pas une nouveauté – créé il y a déjà 25 ans, on avait pu le voir peu après sa création au théâtre des Champs Élysées – mais il garde pourtant à ce jour toute sa modernité.

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Roméo et Juliette (Jean Christophe Maillot). Ballet du Capitole. Photographie David Herrero

La production tout d’abord n’a pas pris une ride. Exit les boursouflures dorées des décors et les kilomètres de velours des productions classiques. Le décor mouvant minimaliste d’Ernest Pignon-Ernest, fait de quatre grandes parois planes ou courbes, suffisent à suggérer une place écrasée de soleil ou la chambre d’un palais. Une grande chaussée en forme de virgule sera alternativement chemin de repli pour Roméo ou balcon toboggan pour Juliette. Les costumes médiévalisants de Jérôme Kaplan, réduits à l’épure, proposent une variation sur le noir et le blanc : blanc des Montaigu, allant du blanc cassé au crème,  noir des Capulet allant du gris taupe au noir solide (Tybalt) en passant par l’argent terni pour Rosaline. Juliette quant à elle porte une tunique dorée pour le bal. Le seul à porter ces deux non couleurs de manière tranchée est Frère Laurent qui essaye vainement d’agir et de s’interposer entre les deux familles ennemies. Les accessoires sont réduits au strict minimum. Il n’y a pas de duel à l’épée. Tybalt tue Mercutio à coup de masse et Roméo l’étrangle avec le drap ensanglanté de Mercutio. À la fin du ballet, il s’empale sur le lit catafalque triangulaire de Juliette. Cette dernière serre autour de son cou un foulard pourpre pour à son tour mettre fin à ses jours.

La chorégraphie de Jean-Christophe Maillot joue sur les oppositions de masse plutôt que sur le nombre de danseurs. Lors de la scène de rivalité qui ouvre le ballet, on a moins d’une dizaine de Capulets ou de Montaigus, pourtant le plateau semble submergé par le bruit et la fureur. Le bal des Capulets se recentre sur les interactions entre les différents protagonistes, l’assemblée des invités ne faisant que des traversées subreptices de la scène. À l’acte 2, les baladins sont remplacés par un facétieux jeu de guignol qui raconte l’histoire des héros, de leur rencontre au bal jusqu’au dénouement tragique. Ce format presque « de chambre » convient bien à la taille de la compagnie et on peut compter sur les danseurs du Capitole pour, comme toujours et bien que le corps de ballet ait été sérieusement renouvelé, enflammer le plateau.

La gestuelle de Maillot est fiévreuse. Les danseurs effectuent des mouvements sémaphoriques voire télégraphiques des bras qui semblent exprimer la vitalité débordante mais aussi la violence de ces sociétés où plus de la moitié de la population a moins de 15 ans. Les danseurs, bien que sur la musique, semblent toujours être dans « l’accéléré ». On glisse, on tombe parfois sur le postérieur.

Pendant la scène du balcon, Roméo s’élance vers Juliette, plonge et glisse sous ses jambes, se retrouvant au moins un mètre derrière elle. Les maladresses touchantes sont en effet inscrites dans la chorégraphie. Pendant la scène du bal, Juliette agite les mains comme une jeune fille un peu écervelée. Elle semble dire des riens à Roméo avant de lui voler un baiser (en effet, dans cette version, Roméo ne décide de pas grand chose). Mais dans une rencontre amoureuse, les propos n’ont-ils pas en général que peu d’importance? Ce qui se dit est souvent anodin, voire trivial. C’est finalement le sentiment de la connexion impalpable qui restera dans la mémoires des deux amants.

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Roméo et Juliette (Jean Christophe Maillot). Ballet du Capitole. Ramiro Gomez Samon (Mercutio), Alexandre de Oliveira Ferreira (Tybalt), Philippe Solano (Benvolio). Photographie David Herrero

Plus qu’expressionniste la chorégraphie est cartoonesque. Les protagonistes ressemblent à des personnages de dessin animé, soulignant leur grande jeunesse. Même dans le pas de deux du balcon, la gravité et le lyrisme ne s’introduisent qu’à la fin, comme par surprise.

En revanche, Jean-Christophe Maillot sait changer de rythme lorsque cela est nécessaire. La scène du double meurtre de l’acte 2 est ainsi traitée comme un ralenti cinématographique. Il utilise également les poses statuaires dans son traitement du personnage de frère Laurent qui observe l’histoire se dérouler comme a posteriori.

Ce personnage à la gestuelle particulièrement expressionniste (il apparaît dès le début de ballet, additionnant les poses de Pietà en compagnie de ses deux acolytes en blanc) prend une place de plus en plus prégnante dans le ballet au point de devenir presque encombrant à l’acte 3 lorsqu’il assiste au double suicide de Roméo et Juliette et semble converser avec l’héroïne.

Dans ce rôle, créé pour Gaëtan Morlotti, Ruslan Savdenov fait montre d’une grande puissance expressive. L’ensemble de la distribution ne lui cède en rien dans l’engagement. Ramiro Gomez Samon et Philippe Solano respectivement en Mercutio et Benvolio forment un tandem roboratif. Leurs étourdissantes pirouettes et leurs facéties saltatoires nous ont enthousiasmé. Leur connexion parait évidente. Dans le rôle du très noir Tybalt, Alexandre Ferreira séduit par son ballon et par le côté acéré de ses lignes. Néanmoins il n’efface pas le souvenir de Francesco Nappa que j’ai vu il y a bien longtemps dans ce même rôle. En effet, sa connexion avec ses lady Capulet en alternance n’a pas ce côté charnel et quasi incestueux qui m’avait frappé alors. Dans ce second rôle féminin, Alexandra Sudoreeva (le 28) cisèle en première distribution sa jolie ligne pour portraiturer une matriarche pleine de séduction, de morgue mais fort peu aimante. Pour l’amour, il faut regarder du côté de la nourrice (Nancy Osbaldeston, qui réussit à danser « adipeux » sans renoncer à la vivacité et au charme. Son désespoir à la mort de Juliette est d’une belle expressivité). Marlen Fuerte, en seconde distribution (le 30), tire sa lady Capulet du côté de la vamp’ au détriment de celui de la cheffe de famille. En revanche, son désespoir de lionne blessée à la mort de Tybalt est impressionnant. En première distribution, la danseuse interprète une très séductrice Rosaline que se disputent, à l’acte 1, Roméo et Tybalt. En seconde distribution, Juliette Itou, plus réservée, séduit par sa ligne réminiscente de celle de Bernice Coppieters, muse de Maillot, créatrice de Juliette et aujourd’hui répétitrice pour cette entrée du ballet au répertoire du Capitole.

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Roméo et Juliette (Jean Christophe Maillot). Ballet du Capitole. Alexandra Sudoreeva (Lady Capulet) et Natalia de Froberville (Juliette). Photographie David Herrero

Natalia de Froberville qui interprète Juliette est fort différente de Coppieters. Plus petite mais surtout moins androgyne, elle se coule néanmoins avec son habituelle efficience dans les pas de Juliette. Plus à l’aise le soir de la première dans l’exaltation juvénile que dans la passion ou le paroxysme du désespoir, elle progresse nettement dans ces derniers registres lors de la troisième représentation. On goûte alors particulièrement ce moment où, après s’être laissé glisser le long du balcon toboggan, elle s’assoit sur son bord, figurant une hirondelle sur un fil électrique. Minoru Kaneko, plus en retrait en Roméo le soir de la première, connaît aussi une belle progression lors de la troisième représentation du 30 octobre. Il portraiture merveilleusement le chien fou au moment de son entrée dans l’église lors de la scène du mariage, sous l’orbe textile actionnée par les deux acolytes de frère Laurent. Dans le duo qui ouvre l’acte, moment où le chorégraphe autorise enfin le lyrisme et l’abandon à ses interprètes, Kaneko et Froberville (laquelle danse tout l’acte pieds nus) parviennent à créer un moment de suspension et de plénitude amoureuse.

Souhaitons donc une très prochaine reprise de ce ballet qui va déjà si bien au Ballet du Capitole en dépit du peu de représentations qui lui ont été imparties.

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Roméo et Juliette (Jean Christophe Maillot). Ballet du Capitole. Minoru Kaneko (Roméo) et Natalia de Froberville (Juliette). Photographie David Herrero

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Le Temps d’Aimer la Danse 2022 (5) : « A Carnival of the Animals »

Le Temps d’aimer festival in Biarritz

Saturday-Sunday, September 10-11

When you will go to Biarritz’s fall dance festival next September, you will be trying to run from place to place as fast as a thoroughbred. Be prepared: You will spend your time running around the town and its ‘burbs like a headless chicken unless you hire a limo, and even with a blessed limo you can’t be in two places at the same time.

For an article in French by Cléopold on the same shows, click here.
LE TEMPS D'AIMER 2022 - COMPAGNIE DIFE KAKO - CERCLE EGAL DEMI-CERCLE AU CARRE

CERCLE EGAL DEMI-CERCLE AU CARRE par la COMPAGNIE DIFE KAKO, chorégraphe CHANTAL LOIAL, Photographie de Stéphane Bellocq.

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OXEN

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Proyecto Larrua. « Idi Begi »

Saturday, September 10

14h on the esplanade Théâtre du Casino Municipal

Proyecto Larrua: Idi Begi

The entire piece seems to be taking place in slowed-down motion inside your head. Have you ever milked a cow? Felt the warm, silent, yet titanic weight of that flank as you rested your head against it? Those ten minutes feel completely out of time, just as this piece did.

Idi Begi means “ox eye.” Idi probak” means “pull bull,” a competition between farmers. A lot of Basque games – and this is Basque country — seem to be about skilful shows of force. I’d have called this perfectly formed 15 minute piece, one of the winners of the Artepean choreographer’s competition: “Agon.”

To the thunderous and then plaintive sounds of what seem to be pots and pans or maybe cowbells, a bent over and already worn duo with heavy hanging heads trot slowly as they submit to a dominator with a long stick.

Yet the downtrodden mood doesn’t feel violent or frightening, but uncertain and volatile instead. A stylized power struggle, played out through the weight and push and pull these three dancers give to their movements. The dominated tread along and slowly and painfully, yet as bodies intertwine you start to lose the sense of who is on top. Images of paintings of powerful peasants and beasts, the heavy and symbiotic lives they led together, flashed through my mind.

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HORSES AND ROOSTERS AND BEES

LE TEMPS D'AIMER 2022 - COMPAGNIE DIFE KAKO - CERCLE EGAL DEMI-CERCLE AU CARRE

CERCLE EGAL DEMI-CERCLE AU CARRE. COMPAGNIE DIFE KAKO, chorégraphe CHANTAL LOIAL., Photographie de Stéphane Bellocq.

Saturday, September 10, 9 p.m.

Théâtre du Casino Municipal

Companie Difé Kako

“Cercle égal demi-cercle au carré” [A circle equals a semi-circle squared]

In this increasingly mean and ugly world – where we talk at and not to each other, particularly when the issues at stake include colonialism, racism, and ageism — civilized discourse, friendly interchange, has become as rare as hens’ teeth.  At this performance you witnessed the best kind of cross-pollination as a joyous swarm of colourful bees and dignified butterflies fluttered and stomped around each other in good and infectious cheer.

Welcome to Difé Kako [Things Will Get Hot] a joyously inclusive company of musician dancers of all colors (including pink) and all ages (from young adult to senior). And I mean inclusive: from the get-go the seated audience buzzed, tickled by the fact that after the performance they were invited to another venue where they could meet and dance with the entire company.

At first you are a bit bewildered by what is successively projected on the backdrop: squares (okay that’s part of the title), then ocean waves, then a tan rider galloping on a horse, then odd dated black and white footage of expressionless white men perfecting dressage. It all takes a while to sink in. But when a “caller” shouts out to her dancing “cavaliers” [one of the many words in Creole that you can easily figure out] you start to get it. Aha, not only ballet but the patterns of most old social dances took their inspiration from horses [the term “balletto” was originally coined during the Renaissance to describe intricate horseback parades]. To put it another way: in a past life you were probably either a slave or serf, but when you appropriate these European dances you, too, are as glorious as a knight in shining armor.

The dance varied back and forth in waves. The swooping and dignified quadrilles of the elders were mesmerizing. A quadrille with a caller…a square dance? Of course, that’s how it translates. Yet the first term evokes Marie-Antoinette while the second is Americanized. These church ladies’ casually dextrous use of their fans and the sloping angles of their necks took me straight back to the elegance of the ancien regime, too cool for barn-raisings. One particularly elegant man with jaunty tipped hat and a whisper of a smile wiggled in the lightest and the least emphatic of increments. You could see the energy reserved deep down below the surface, and that he was readied to dance all night. He stole my heart.

Alternatively –and even when the whole company fills the stage — the youth stomps and bops, play with every way to move from Ministry of Silly Walks stalks to hip swivels and wiggles, to two-steps or to gallops around the stage. They even tease each other by imitating the pecks only chickens use to check each other out.

Several members of the younger troupe of dancers meanwhile flowed back and forth from the dance floor to the bandstand house right where they’d join the percussionists and pick up a base, or a sailor’s concertina, or a wood/metal block or with maracas or fiddle. Song and words floated atop the air.

At one point, the ecstatic dance stops as the youths turn to stare at the screen and watch themselves dancing to the sound of a flute on a volcanic hillside in the Antilles.

Absolutely nothing matched, but everything in this patchwork (down to the chequered fabrics that somehow hung on to belts) seemed to be all the right ingredients you’d need for a savory stew. There are are words for “just throw it all it the pot and it will end up delicious” in every single language, after all.

It was marvellous to watch the audience stream out at the end, so much more buoyant than when it fussily trooped in. Now we were ready and willing to engage in conversation, and did. If you open your mind and heart to others you will live and learn. It’s never too late.

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SHEEP, DOGS, AND HOOMANS

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Kukai Dantza. « Eta orain zer? » Photographie ©stephane Bellocq

Sunday, September 11, 9 p.m.

Atabal (not exactly in the center of Biarritz)

Kukai Dantza  “Et oran zer?”

Atabal, like the other suburb of Anglet where I had found “Tumulus” the day before, is kind of in the middle of nowhere outside the resort town of Biarritz. These new venues are quasi-impossible to get to on public transportation on a Sunday. Indeed the space used for this performance seemed to be nothing more than an industrial zone hangar, despite the raised stage area.

You panic about arriving late, worried about the “open seating” plan, then realize that both audience and performers are upright and scattered all over the place. Where is the vantage point where you could sit semi-comfortably on the floor or even lean exhausted by the day you’d just had against a wall? Nowhere. [About an hour in, this turned out to be clearly painful for a valiant elderly gent with a cane who I couldn’t take my eyes off of to the point of worrying about him rather than the dancers. He was a real trooper and survived].

“Eta oran zer”/”And what comes next?” or even “Now what?” turns out to be a roiling group of ten dancers and a plethora of ambulating musicians and their conductor who all couldn’t care less where the stage happens to be traditionally located. You are supposedly part of the performance, swivelling around to follow one dancer or the other from one spot to a palm-held illuminated spot, then unwittingly get encircled and swept into the center like sheep, then pushed back out to the edges of the dance floor.

During the hour and more than a half of Et Oran Zer, these dancers/border collies –gently, but with pre-planned determination and startlingly cold hands —  forced the audience to be squared, circled, and divided.

You might catch and enjoy some energetic Basque references. A girl keeps repeating a Basque flurry of beaten jumps in whiplash fashion (the entrechat-six, among other steps, were integrated into Louis XIV’s new – the world’s first– vocabulary of ballet). Tours en l’air, also of Basque origin, proliferate. And then these hints of an ancient culture translated themselves into delicious hip-hops, crumps and slides. I was particularly taken by the scary intensity of the dancer who looks just like Keith Haring, sans the glasses.

Unlike last night with Difé Kako, however, tonight I didn’t feel included. Just getting pushed about, hither and yon, for no clear reason. And, alas, way too early into the thing we got pushed out of the centre and got to stand around in a circle and watch. Forty-five minutes of just standing around, clearly disinvited to the dance, became endless. Might as well provide seats, then, in the first place.

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Kukai Dantza. « Eta orain zer? » Photographie ©stephane Bellocq

At several turns during this festival, you could run into troupes of Basque dancers, sometimes already bouncing on the plaza as you walked out of a venue. Each time, amateurs young and old would join the professionals and demonstrate an ingrained mastery of complex steps and patterns and exchanges. Unlike so many places where “folk dance is like so yesterday,” — Hungary included — here in the southwest of France these peasant dances remain a strong vector of identity, a part of everyday life. I envy how hopping up to the plate in your espadrilles has never stopped being an easy and normal thing that anchors you to a sense of communal and intergenerational identity. Look up some Basque dances and try them out in front of your mirror: it takes a will of steel to learn these deliciously complex steps and patterns. You gotta be born into it.

As for the music, I was instantly amused as I walked into the performance space only to catch tiny threads of  “L’Arlesienne.” Bizet’s eponymous heroine is a mirage whom you will never see. And that seemed like a cool metaphor. But then the music moved on to a catchy melodic hodgepodge of folk-ish instruments like fiddle and flute and ambulating cello, a real score. Alas, the inventive live de-ambulating orchestra’s mesmerizing sound finally faded into in to the predictable beats of a recorded soundtrack about twenty minutes before the end.

Shatteringly loud house techno took over. I pulled back like a terrified mouse and crouched in a corner behind the amps, hoping to spare my ears. In any case, the audience had long been reduced to the usual status of immobile passive onlookers, gaping at dancers whirling in the centered spotlight. I peeked out and watched through the legs of the crowd of static onlookers. Not one amateur Basque dancer’s leg stepped out to join in.

When I walked out of that hangar, I was more panicked about finding the next bus back to town than hushed in reverie. After what I had just experienced, honestly, I felt as deflated and exhausted as a lab rat.

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Le Temps d’Aimer la Danse 2022 (4) : Traditions participatives

Cette édition 2022 du Temps d’Aimer la Danse se proposait d’apposer les traditions de la danse basque à celles de la culture caribéenne. Peut-on bâtir des ponts entre ces deux cultures, certes rattachées à la nation française mais à la spécificité culturelle très marquée et unique ? Lors du premier week-end du Temps d’Aimer, les 10 et 11 septembre, nous n’avons pas pu suivre en profondeur cette thématique mais quelques représentations nous ont tout de même donné à voir et à penser.

Pour un article en anglais de Fenella sur les mêmes spectacles, c’est ici.
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Kukai Dantza. « Eta orain zer? » Photographie ©stephane Bellocq

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Proyecto Larrua : « Idi begi »

Proyecto Larrua : « Idi Begi » (« œil de bœuf »). Samedi 10 septembre. Parvis du Casino municipal.

Placé en plein soleil, à 14 heures (midi au soleil) un jour de canicule sur le Parvis du Casino municipal, on n’est pas loin de se demander si le festival ne s’est pas lancé dans un grand concours d’insolation sur public. Pourtant, la courte représentation finie – elle dure une petite quinzaine de minutes – on trouve que le lieu et l’heure avaient finalement un sens. S’inspirant des Probaks, ces concours entre paysans utilisant des bêtes de la ferme, source de fierté, les chorégraphes Jordi Vilaseca et Artiz Lopez ont créé une chorégraphie à la fois mystérieuse et captivante.

Au son d’une cloche puis de l’Agnus Dei de la Messe en Si de Bach, deux danseurs masculins avancent lentement comme liés par un joug invisible. On comprend qu’ils figurent une paire de bœufs. Une danseuse incarne le paysan. La chorégraphie, lente et mesurée, évoquant un travail pénible, l’effet du soleil, à moins que ce ne soit les deux à la fois, alterne les passages au sol et des mouvements initiés par impulsion d’un des partenaires. La danseuse s’assied sur le dos d’un des garçons et le traîne à elle. Un des garçons, quittant son rôle de bovin, fait tournoyer le bâton du vacher. Les bruits de cloches alternent désormais avec des pièces pour viole de gambe. Puis c’est au tour de la fille d’agiter le bâton. Assiste-t-on bien à une révolte de la paire de bœufs ? La pièce se termine quand les deux garçons sont affublés d’une corde, évocation des épreuves de tirage de pierre ou peut-être d’un retour paisible à l’étable après une dure journée de labeur.

En quittant le parvis du Casino, un temps transformé en probaleku, on pense aux racines des danses paysannes et festives, toujours un peu teintées de défis, qui ont infusé le vocabulaire même du ballet.

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LE TEMPS D'AIMER 2022 - COMPAGNIE DIFE KAKO - CERCLE EGAL DEMI-CERCLE AU CARRE

CERCLE EGAL DEMI-CERCLE AU CARRE. COMPAGNIE DIFE KAKO, chorégraphe CHANTAL LOIAL., Photographie de Stéphane Bellocq.

Difé Kako : « Cercle égal demi-cercle au carré ». Samedi 10 septembre. Théâtre du Casino municipal.

Le samedi soir, cette fois-ci à l’intérieur du théâtre du Casino municipal, on était invité à un autre rituel festif certes venu d’une toute autre aire culturelle mais néanmoins fortement ancré dans l’univers de la fête de village et du monde animal. La compagnie de danse Difé Kako proposait  Cercle égal demi-cercle au carré, une chorégraphie de Chantal Loïal. Une troupe de danseurs de tous âges, présente les différents métissages qui ont accouché de la danse créole. En fond de scène, une sorte de dispositif de toiles qui vont devenir écrans de cinéma : cela commence par des vagues mais, très vite, apparaissent à l’écran des chevaux qui exécutent un quadrille. Une danseuse sonorisée nous rappelle que les premiers ballets étaient équestres. Les danseurs (une petite dizaine) rentrent à jardin, en ligne. De l’autre côté, se tiennent les musiciens. Illustrant le propos de la narratrice, un des danseurs caracole seul comme un équidé. Le monde agricole ne sera d’ailleurs jamais loin. Les chevaux (1er quadrille) bien sûr, mais aussi la basse-cour. Ça caquète allègrement et ça chaloupe entraînant la salle dans son sillage.

Toute la pièce tourne autour des métissages multiples des danses caribéennes. La troupe elle-même rassemble des danseurs de trois continents (américain, africain et de métropole). À un moment, entrent des danseurs plus âgés en costumes traditionnels. Ils exécutent leur version la danse devant un film de quadrille « européen », beaucoup plus guindé. On en reconnaît le dessin mais le chaloupé s’y rajoute et rend la danse beaucoup plus inflammable.

Les jeunes, hommes et femmes, portent des costumes blancs, très simples, où seulement des pans de tissus traditionnels à carreau apparaissent de-ci de-là : un le porte en ceinture, l’autre sur une jambe de pantalon, l’autre en tee shirt.

Les garçons s’affublent de la coiffe nouée féminine et expliquent la signification du nombre de coins (du « je suis pris » à « je suis à prendre » en passant par « pris, mais… »).

Les danseurs et danseuses dansent aussi sur de la musique percussive électronique qui dénote l’influence des danses afro-étasuniennes, pas si éloignées. D’ailleurs, les quadrilles, même dansés par les aînés, ne sont pas sans rappeler les square-dances américains, avec sa commentatrice qui s’adresse en rythme aux participants.

À la sortie du spectacle, un groupe de danseurs basques et de musiciens de la compagnie Oinak Arin nous propose ses propres danses de groupe. Si le chaloupé est remplacé par des bustes droits et le traditionnel travail des pieds incluant de la batterie pour les garçons, on reconnaît, là encore, la structure du quadrille. À la fin de cette représentation sur le parvis, le public est convié à se joindre à ces danses. On s’émerveille toujours, même si on y a déjà assisté, de voir combien de personnes entrent dans la danse sans appréhension car ils connaissent les pas et le dessin de ces danses de village.

Pendant ce temps, les danseurs de la compagnie Difé Kako se préparent à emmener le public pour continuer la fête à la Plaza Berri où, entre deux danses, ils proposeront aux néophytes d’apprendre quelques rudiments pour participer à la bombance.

LE TEMPS D'AIMER 2022 - COMPAGNIE DIFE KAKO - CERCLE EGAL DEMI-CERCLE AU CARRE

CERCLE EGAL DEMI-CERCLE AU CARRE. COMPAGNIE DIFE KAKO, chorégraphe CHANTAL LOIAL., Photographie de Stéphane Bellocq.

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Barre des Etoiles. Marie-Claude Pietragalla. Dimanche 11 septembre. Promenoir de la Grande plage.

Le dimanche, mis dans l’état d’esprit participatif, on observe la « barre des étoiles » menée par la danseuse et chorégraphe Marie-Claude Pietragalla qui présentera plus tard dans la semaine au festival La femme qui danse, d’un œil presque biaisé. Là aussi, les non-danseurs sont invités à s’accrocher à la giga-barre dressée sur la grande plage. Le nom de la flamboyante étoile de l’Opéra et chorégraphe, qui dispense une classe étonnamment sage, très « école française », a attiré encore plus de monde que d’habitude. Les amateurs font même les exercices sur le bord du parapet…

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Gigabarre des Etoiles. Marie-Claude Pietragalla. Photographie Olivier Houeix

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Kukai Dantza : « Eta orain zer ? » Dimanche 11 septembre. Atabal.

C’est pourtant le soir du dimanche qu’on pense boucler la boucle. À la salle de concert Atabal, la compagnie basque Kukai Dantza présentait « Eta orain zer ? » (« Et maintenant ? »), un opus de son chorégraphe fondateur Jon Maya Sein. J’étais curieux. L’an dernier, le solo chorégraphique autobiographique de Jon Maya Sein, jadis multiple champion d’Aurresku (concours de danse basque) m’avait paru déprimant et excluant. Qu’en serait-il d’une œuvre avec l’ensemble de sa compagnie ?

Dans la  salle de concert sans sièges, avec une scène en hauteur, 6 réverbères (4 dans la salle, 2 sur scène) de part et d’autre, dessinent un espace qui pourrait être un parking de supermarché la nuit. Le public est invité à entrer et même à monter sur scène si cela lui chante. Les attroupements se forment donc par affinité. Les plus aventureux montent sur scène, peut-être titillés par la perspective d’être intégrés à la chorégraphie. Des musiciens se joignent au public, faisant des petites vocalises personnelles en une curieuse cacophonie. Dans ce chaos sonore, les danseurs apparaissent subrepticement, d’abord sur scène. Ils allument des lampes portatives et les braquent sur le public, depuis la scène puis dans la salle. Les musiciens, éparpillés un peu partout, servent d’abord de pivots aux danseurs pour leurs évolutions. Pour moi, ce sera le violoncelliste.

Car on comprend que, en ce début de spectacle, il est illusoire de vouloir tout voir. Sous mes yeux, un solo puis un duo dynamique, une sorte de battle avec les battus spécifiques du répertoire de la danse basque, ont lieu tandis que sur la scène un pas de deux semble se dérouler au ralenti. C’est l’orchestre et les corps en liberté.

Le public quant à lui reste étonnamment statique. Je décide de me déplacer alors même que les danseurs décrochent de longs bâtons couverts de leds et, tels des bergers, regroupent l’essentiel du public sur une étroite section centrale de l’espace salle-scène. Sur une estrade, le chef d’orchestre apparaît et commence à diriger ses musiciens. Des lumières laser ferment l’espace et séparent le public des danseurs. Ceux-ci, derrière ces belles frontières lumineuses, semblent devenir des hologrammes. De chaque côté du couloir, des garçons portent une fille en l’air.

Le couloir holographique se dissout enfin. Mais on ne retourne pas pour autant au schéma initial. Les danseurs vous repoussent d’autorité au-delà de l’espace délimité par les réverbères.

On assiste alors à la ronde dynamique des très beaux danseurs de la Kukai Dantza qui évoque, tout en la réactualisant, les traditions de la fête populaire basque. La chaîne se mêle et se démêle. Chacun à son tour, un danseur ou une danseuse fait un solo d’Auressku. Les danseurs masculins notamment font des tours en l’air suivis de grand battements jusqu’au visage. Mais il y a aussi des références au vocabulaire contemporain, avec des passages au sol.

À un moment, une des rondes est stoppée net par un danseur qui crie une sorte de stop d’épuisement. Le public y voit le signal de la fin et applaudit. Pourtant la pièce reprend. Ce n’est jamais bon signe quand le public se méprend ainsi. La dernière partie paraît du coup un peu longue même si le crescendo des soli (notamment le dernier, carrément hip hop sur de la musique percussive) séduit. À la fin, après les applaudissements, la musique reprend. Le public met du temps à comprendre qu’on lui demande aimablement de quitter la salle…

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Kukai Dantza. « Eta orain zer? » Photographie ©stephane Bellocq

On a été captivé. On ne s’est pas ennuyé. Pourtant quelque chose chiffonne. On réalise qu’en dépit du brouillage de l’espace salle-scène (l’essentiel de la deuxième partie du spectacle se déroulant dans la salle), la classique césure public-interprètes n’a jamais été rompue. On a sans cesse été renvoyé à sa condition de spectateur.

Il y a près de deux décennies, sous la grande halle de la Villette, on avait déjà foulé le sol de danse en compagnie de danseurs. C’était avec la Forsythe Company. On était invité à circuler au milieu des interprètes. Il n’y avait pas de lumières laser mais des cloisons mouvantes qui vous enfermaient avec certains danseurs et vous en occultaient d’autres. À la fin de la pièce, on avait été à notre insu rassemblé en cercle autour de la troupe qui avait achevé la soirée par une sorte de transe anxiogène. On était ressorti avec le sentiment d’avoir été « chorégraphiés ».

Au fond, cette expérience avec Forsythe était plus proche de l’esprit des danses festives basques que ce très bel objet chorégraphique de la Kukai Dantza…

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