Biarritz, Gare du Midi.
Hessisches Staatballett Wiesbaden – Darmstadt : I’m Afraid to Forget your Smile / Boléro. Samedi 16 septembre. Andrés Marín & Jon Maya : Yarin. Dimanche 17 septembre.
À la Gare du Midi, la salle de spectacle principale de Biarritz en termes de jauge, le festival Le Temps d’Aimer accueillait pour son dernier week-end deux spectacles aux tonalités sombres.
Le samedi, la Hessisches Staatsballett Wiesbaden – Darmstadt, une compagnie d’expression néoclassique qui, comme la Beaver Dam Company, présentait plusieurs programmes au festival (celui de la veille comportait d’ailleurs une pièce de Martin Harriague, le précédent artiste associé du Malandain Ballet Biarritz), présentait un double bill.
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La première pièce, I’m Afraid to Forget your Smile, une création de 2022 par Imre et Marne van Opstal, frère et sœur dans le civil, s’interrogeait sur la notion de perte et de deuil. Dans un espace monacal souligné par deux grands rectangles lumineux, l’un horizontal à jardin et l’autre vertical suspendu en l’air, et par un alignement de bancs à jardin et en fond de scène, des danseurs apparaissent d’abord couchés sur le dos, mimant à l’unisson une marche sonore. Toujours dans cette position, ils finissent par changer leur orientation par quarts de tour. Toujours au sol, ce sont bientôt les poitrines qui font sonner le plateau, puis les flancs. Ces reptations sautées sont d’une grande force et impriment aussi bien l’oreille que la rétine.
La compagnie s’appuie sur une troupe d’interprètes aux qualités saisissantes. Durant la deuxième section, un danseur au physique de liane musculeuse, agenouillé sur une demi-pointe, effectue en équilibre un développé 4e devant.
Cependant, il faut bien avouer qu’on reste un peu à l’extérieur d’I’m Afraid to Forget your Smile. Passé la première scène, on retombe dans la succession de soli et duos serpentins, dans les passes à noeuds coulants entre partenaires qui sont attendus désormais dans les chorégraphies post-classiques. Le duo de créateur a travaillé notamment au Nederland Dans Theater et leur travail n’est pas sans évoquer les pièces du duo Léon-Lightfoot. Les bras peuvent être hyperactifs puis en positions contemplatives. Ces poses statiques regardent directement vers la peinture religieuse. On reconnaît des corps de saints suppliciés et des pietà. Les jambes développent derrière l’oreille artistement placées en dedans avec des pieds positionnés de manière tout aussi affectée en serpette.
À l’instar de la bande-son (à la création, les bancs étaient occupés par le chœur) dont on peine à croire qu’elle a été écrite par plusieurs compositeurs, la chorégraphie, finement écrite pourtant, tombe dans la monotonie.
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Boléro, la deuxième œuvre présentée, nous a paru plus intrigante. On apprécie toujours qu’un chorégraphe relève la gageure de faire sienne une partition musicale moult fois illustrée par ses prédécesseurs. Le chorégraphe israélien Eyal Dadon, qui prenait un risque, relève cependant le gant avec les honneurs.
Il offre tout d’abord un Boléro « déstructuré ». La musique de Ravel – enregistrée – apparaît tout d’abord avec des mélodies tronquées. Le rythme passe parfois à l’avant. Certaines phrases musicales sont incomplètes. L’oreille, tellement habituée à ce morceau qu’elle se repose dessus, est perturbée. Sur scène, un grand gaillard, parfois immobile, parfois lancé dans une chorégraphie forsythienne très rapide avec oppositions des directions et épaulements très croisés, distille des éléments chorégraphiques discontinus : une sorte de fibrillation du buste, les bras en l’air poings fermés comme mimant la colère, des marches-sautillements en rectangle sur la scène, des sortes de petites menées reculant en parallèle. Sur la fin, il semble même adopter les oscillations béjartiennes. Le crescendo orchestral ne semble pas appeler une chorégraphie de groupe. Lorsque un deuxième danseur apparaît enfin, c’est sur le tutti d’orchestre sur lequel s’achève le Boléro. Le danseur, un sourire de chorus line aux lèvres, effectue une marche piétinante en parallèle qui n’est pas sans évoquer les Nijinsky ; la Bronislava de Noces (qui fut la première chorégraphe du Boléro en 1925), mais aussi le Sacre, le Faune et même le Petrouchka de Vaslaw.
Mais voilà qu’achevé, le Boléro est repris, cette fois sans omission musicale. Le désormais duo de garçons est bientôt rejoint par tout un corps de ballet. Les propositions chorégraphiques des deux solistes sont reprises, notamment la marche Nijinsky. Le deuxième partie est donc plus « conventionnelle » (même si chacun des danseurs du groupe s’échappe en solo comme des instruments en liberté) mais pas sans puissance. Sur le tutti final, le corps de ballet s’en va. Le soliste, tremblant, reste seul dans le silence. Prêt à recommencer?
On sort donc de la Gare du Midi conquis par l’excellence du Hessisches Staatsballet et sa trentaine d’interprètes. La compagnie est bien représentative de la vitalité de la scène d’expression moderne-néoclassique en Allemagne et en Europe du Nord ; un exemple qu’on aimerait voir suivre en France.
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Notre deuxième soirée à la Gare du Midi était très différente en termes d’horizons chorégraphiques bien que tout aussi crépusculaire par son ambiance scénographique. Jon Maya, artiste associé au Malandain Ballet Biarritz depuis 2022, spécialiste de la danse traditionnelle basque et directeur-fondateur de la Kukai Dantza rencontrait une figure du Flamenco contemporain, Andrés Marín.
Yarin, la contraction de Maya et Marín, une oeuvre à trois mains (aux deux danseurs-chorégraphes s’ajoute Sharon Fridman), est censée mettre en scène la rencontre entre deux traditions marquées. Mais il se veut surtout une symphonie de noirs, un Soulages chorégraphique (scénographie de David Bernuès), dans l’atmosphère feutrée et japonisante à base de percussions et cordes crissées suggérée par la musique de Julen Achiary, lui aussi sur scène.
Dans de très belles lumières au scalpel, des bribes d’instruments de musique et de corps apparaissent d’abord. Puis les deux danseurs se font face : le chapeau à large bord d’Andrés Marín s’oppose au béret de Jon Maya. L’Andalou entoure le Basque de la grande ceinture traditionnelle, semblant ainsi l’adouber. Puis la sonorisation nous permet d’entendre les talons du danseur flamenco ainsi que le crissement du cuir de ses chaussures. Marín effectue un premier zapateado de jardin à cour aussi sonore que la danse basque en espadrilles de Maya restera silencieuse. Presque tout oppose en effet les deux techniques : Le flamenco est ancré dans le sol tandis que la danse basque est aérienne (petits sautés attitudes, grands temps de flèches et entrechats six). Même les claquements de doigts des deux interprètes s’opposent. Lors d’une sorte de dispute les claquements susurrés de Maya contrastent avec ceux crépités de Marín.
Si vous avez le sentiment de lire un catalogues d’images, c’est certainement parce que c’en est un.
Car si dans les déclarations d’intention de la brochure on peut lire que « Yarin est racine, Yarin est rencontre, Yarin est dialogue », on peine à trouver déceler une quelconque rencontre. Chacun des interprètes semble rester sur son quant à soi. On assiste plutôt à un jeu de chiens de faïence qui dure indéfiniment, sans développements ni résolution…
Et au bout d’un moment, à la mi-temps du spectacle, on se lasse de toute cette esthétique léchée et froide qui vous invite à rester à l’extérieur.
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Il est regrettable que le Temps d’Aimer la Danse se soit achevé sur ce spectacle, car le festival, caractérisé par un sens du partage, est exactement à l’opposé de cette démarche excluante.
Mais nous y reviendrons d’ailleurs dans un prochain article…