Le Temps d’Aimer la Danse 2021 : itinéraires basques

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Musée basque de Biarritz. Exposition Gauargi « La lanterne de la Nuit ». Détail d’un costume à miroirs.

Cette année, le festival Le temps d’Aimer aura fait une place toute particulière aux compagnies basques au moment même où le festival, répondant au désir de son directeur artistique Thierry Malandain, ne s’est plus montré uniquement biarrot mais a commencé à essaimer dans les communes alentour : Bayonne, Anglet ou encore à Saint-Pée-sur-Nivelle ou Mauléon. La cocasse grenouille sprinteuse qui a fait l’affiche de cette session « écoresponsable » 2021 a décidément du chemin à parcourir ; une vraie marathonienne.

Quand il évoque le Pays basque, le balletomane que je suis pense immanquablement à la danse et à ses déguisements colorés. Au XVIIIe siècle, déjà, Voltaire, dans ses Lettres Philosophiques, ne décrivait-il pas les Basques comme « les peuples qui demeurent ou plutôt qui sautent au pied des Pyrénées et qu’on appelle basques ou bascons ». Plus tôt encore, ne dit-on pas que Louis XIV, impressionné par les « Crascabillaires » (les danseurs à grelots) qui s’étaient produits à Saint-Jean-de-Luz pour les fêtes de son mariage, en aurait importé deux demi-douzaines pour fournir les rangs de sa jeune Académie royale de danse? On se gardera bien, n’étant pas spécialiste de cette époque du proto-Opéra de Paris, de valider à coup sûr cette affirmation trouvée dans un ouvrage généraliste sur la culture basque mais il faut bien reconnaître que, longtemps avant d’en avoir vu représentées en plein air, les images de Zamalzain rouge de la mascarade souletine (l’Homme-cheval) contemplées notamment au musée basque de Bayonne, avaient enflammé mon imagination. En effet, avec leurs énormes « basques » et leurs coiffes alambiqués, ces personnages de danses régionales évoquent beaucoup les costumes masculins roccoco dessinés par Boquet pour l’Académie royale de danse au XVIIIe.

Question d’opportunité, il m’a fallu attendre bien longtemps avant d’assister à une représentation des danses basques. C’était à Saint-Jean-de-Luz après une démonstration de pelote à destination des estivants. Et là, cette parenté de la danse basque et de la danse classique m’était apparue encore plus évidente : l’usage de la batterie et des tours en l’air tout particulièrement. La luxuriance des costumes n’était pas non plus sans évoquer les jeux de masques des ballets de cour dont sont sortis les ballets à entrées du ballet royal.

Une tradition ravalée au rang d’attraction pour touriste ? Mais il y avait une vraie noblesse dans les évolutions de ces danseurs amateurs battant – surtout les hommes – l’entrechat 6 en espadrilles. C’est déjà cela que notait Pierre Loti, en 1897, à Saint-Jean-de-Luz, lorsqu’il assistait et décrivait dans le détail deux de ces représentations données en plein air (des Souletins le matin et le soir des danseurs de Guipuzcoa). Il concluait «combien il est touchant, combien il est digne d’intérêt et de respect, l’effort de conservation, ou de religieux retour vers le passé, que ces fêtes représentent ! ».

Exalté par ma découverte, je me suis précipité dans la première librairie un peu importante de Saint-Jean-de-Luz pour demander s’il existait un ouvrage sur la danse basque. « La danse … basque ? » me répondit le libraire (avec le nom et son adjectif bien séparés par une pause comme pour marquer l’incongruité de ma requête). Il fallait se le tenir pour dit. Apparemment, pour l’édition en France, le mot danse n’est décidément pas porteur…

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Aussi étais-je très curieux de découvrir la Maritzuli Kompanaia qui, depuis 1996 – et basée à Biarritz depuis 1999 – s’attache à conserver, recréer et faire vivre la culture dansée basque, ses pas, sa musique et ses costumes.

Rendez-vous était donc pris au musée historique de Biarritz pour démarrer le cortège avec la compagnie non sans avoir visité l’exposition « Gauargi, La lanterne de la Nuit », présentant un très bel ensemble de costumes traditionnels modernes, créés tout spécialement pour les spectacles de la compagnie autour des fêtes dansées d’hiver : pas d’homme-cheval mais un ours (animal dont la sortie d’hibernation symbolise le retour du printemps), des coqs (symbole de jeunesse), un renard, autant de symboles rappelant qu’à la base, les fêtes dansées étaient liés aux cycles lunaires et au calendrier agricole même si des villes (Saint-Jean-de-Luz ou Biarritz, par exemple) ont fini par développer leur calendrier propre. Les costumes sont plein de fantaisies : les rubans, les couvre-chefs éclatent de couleur. Il y a des costumes de « marins » (Serait-ce les danses des pêcheurs de Biscaye où un danseur virtuose bat l’entrechat et fait des tours en l’air juché sur un coffre porté par ses camarades ?). Ces oripeaux sont d’autant plus chatoyants qu’ils sont portés au cœur de l’hiver. Certains d’entre eux sont couverts de petits miroirs pour réfracter une lumière devenue trop rare en cette saison. On remarque aussi des masques cocasses, un costume de « vieux » au double masque féminin et masculin ainsi qu’un drôle de costume de « mendiant » principalement constitué de cartouches de fusils.

Dans la salle, on remarque alors que certains costumes présentés dans l’exposition, vestes boutonnées en plastron barrées de deux écharpes, curieuses jupes plissées couvertes de broderie, guêtres noires à grelots et espadrilles blanches lacées de rouge, chapeaux couverts de motifs végétaux argentés et dorés, sont portés par les danseurs présents : le porte-drapeau, les danseurs de bâtons. C’est que le défilé que s’apprête à présenter la Maritzuli Kompainia après une longue période d’interruption due à la situation sanitaire (les danseurs, excellents, ont néanmoins un statut d’amateur) est plutôt un rituel d’été.

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Voilà justement les danseurs qui quittent le musée en direction de la place du marché voisine. La place est rejointe en procession deux par deux, dans une marche dansée faite de petits sautillés, très souple sur le genou, permettant d’effectuer des demi-tours sur soi-même en cadence. Les clochettes des guêtres teintent, ajoutant au son des instruments populaires traditionnels : flûtes, accordéon, tambours et tambourins. La procession se mue en ronde sur la place avant que le doyen du groupe ne présente solennellement le lourd drapeau en le faisant tournoyer au centre de l’assemblée. Les formations et les dessins se succèdent: double lignes, quatuors, cercles fermés, chaînes et lignes. On apprécie particulièrement une « danse des poignards » (appellation personnelle) où 4 danseurs (2 garçons, 2 filles) compliquent le pas initial exécuté en cercle par de la grande batterie. Puis c’est une danse du mât et des rubans et une danse des bâtons ; et là, l’indécrottable balletomane se retrouve transporté d’un coup dans la Fille mal gardée d’Ashton. Une autre danse des bâtons – longs ceux-ci – voit deux danseurs harnachés d’une outre gonflée d’air être frappés par leur camarades. Dans les temps anciens, cette pratique était censée réveiller les vents et la terre nourricière. Après une danse des arceaux, le public est invité à se joindre à la ronde qui avait ouvert la représentation sur la place. Une partie du public répond à l’appel … Fin de partie.

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Le jour suivant, un récital de danse, certes d’une autre type mais pas tant éloigné du travail de Maritzuli avait lieu dans la crypte Sainte Elisabeth. La compagnie Christine Grimaldi, spécialisée dans la reconstruction et l’interprétation de danses anciennes, proposait un récital autour de pièces créées entre le XIe et le XVe siècle. La présence à part égale de la musique, du chant (l’excellent duo de pluri-instrumentistes et chanteurs Joglar) et de la danse apparentait clairement cette représentation à celle de la veille. Le dernier duo entre les deux danseurs Christine Grimaldi et Jean Charles Donay avait d’ailleurs une petite communauté d’esprit avec le pas sautillé des danseurs basques de samedi : des pas glissés, parfois chassés avec passage à la quart de pointe. Durant le spectacle, un tantinet trop long en l’absence d’explications, on se prend à faire des parallèles. On est là aussi marqué par les dessins de la chorégraphie, en ligne ou en cercle concentrique (les danseurs peuvent paraître s‘ignorer, se chercher ou enfin se lancer des œillades courtoises) et par la tenue des bustes, presque roide jusque dans les très basses génuflexions qu’exécutent les danseurs. Les bras, même relâchés le long du corps ne sont jamais ballants. Dans la danse des arceaux des Basques, on se souvient avoir été marqué par cette même posture très droite du buste lorsque les danseurs enjambaient leurs arceaux tenus l’arche en bas.

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Compagnie Christine Grimaldi. Crypte Sainte Elisabeth.

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Le festival n’avait cependant pas axé son approche de la danse basque que sur l’aspect historique ou ethnographique. D’autres artistes se présentaient dans des chorégraphies contemporaines plus ou moins reliées à des thématiques régionales.

Sur la place Bellevue, une grande esplanade dont le panorama sur l’océan est partiellement obstrué par une grande sculpture en acier, de courtes représentations gratuites sont données en après-midi.

La compagnie Node, deux danseuses en tuniques grises et sneakers accompagnées de deux hommes vocalistes, se propose de nous montrer une « photographie de la femme basque d’aujourd’hui à travers le mouvement ». La chorégraphie d’Ion Estala créée en collaboration avec les danseuses est constituée de marches exécutées d’abord en parallélisme étroit en décrivant des cercles et des lacets. Puis les deux femmes s’émancipent l’une de l’autre et tournent sur elles-mêmes. Les hommes susurrent des chants d’oiseaux. Les corps des s’animent s’animent du haut vers le bas du corps avant d’onduler.

Hélas, au bout du compte, c’est la voix du ténor haute-contre qui suscite chez nous l’émotion. La voix dansée des femmes basques d’aujourd’hui serait-elle assujettie à celles chantée des hommes ?

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Cie Node. Transito. Place Bellevue. Photographie ©Stéphane Bellocq

Ce même jour, à 19 heures, au théâtre du Casino, une autre expérience basque contemporaine nous était proposée. Jon Maya Sein, natif de Gipuzkoa, directeur fondateur de la compagnie Kukai Danza, à sept occasions champion d’Aurresku du Pays basque (compétition de technique de danse basque), proposait d’ouvrir « ses carnets de nuit intimes ». On reste hélas au bord du chemin.

Ce spectacle autobiographique demeure en effet abscons. La scénographie est déprimante : côté cour, un jerricane suspendu goutte sur des feuilles (peaux de bêtes tannées?) qu’on retrouve montées en mur par le truchement de cordes et poulies qui seront montés au descendues comme des haubans au cours du spectacle. Selon l’éclairage, on y voit un espace industriel, soit des plaques d’albâtres translucides, soit encore un atelier d’équarrisseur. Côté jardin, trône une sorte de lit à baldaquin tendu d’une moustiquaire. Au centre, un grand canapé Chesterfield en cuir brun servira occasionnellement de perchoir au danseur interprète de sa propre pièce. Deux musiciens, un violoniste (puis guitariste électrique) et un chanteur à guitare classique seront la source essentielle de plaisir de ce spectacle.

Jon Maya Sein emploie une gestuelle expressionniste dans le genre affecté. On retrouve, lointaine citation, les genoux pliés et pas glissés de la danse basque. Il se tient en équilibre sur son canapé comme au bord du précipice ou se badigeonne le visage de blanc comme un danseur Buto et exécute des pantomimes sinistres et qui, nous semble-t-il, passent mal la rampe… Par instants il utilise la technique traditionnelle basque (la batterie par exemple dans une partie finale en espadrilles ou encore des temps de flèches ou des ronds de jambes impliquant le genou).

Il arbore trois costumes (sport boueux, costard blanc puis noir), pour une seule et même ambiance uniformément sombre. On reste étranger à ce parcours de vie diffracté somme toute excluant.

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Kukai Dantza. Gauekoak. Théâtre du Casino. Jon Maya Sein. Photographie ©CdeOtero

Le lendemain, de retour sur la place Bellevue, au sein du collectif Led Silhouette, ce sont deux jeunes artistes, Jon Lopez et Martxel Rodiguez (ce dernier membre de la Kukai Dantza de Jon Maya Sein) qui proposent un pas de deux contemporain sur des ambiances sonores percussives. Les deux danseurs, qui pensent à utiliser la sculpture contemporaine de la place Bellevue pour leur entrée, ne font pas directement référence à la technique traditionnelle de danse basque  même si leur costume, des combi-Pantacourt noirs chaussettes montantes et sneakers, ont l’air d’une épure de costume traditionnel. Leur marche avec balancement prononcé des bras, leurs basculements du buste à la renverse tout en gardant les pieds au sol regarderaient plutôt vers la technique hip hop tandis que certains effondrements ou poses de mégalithes effondrés tireraient plutôt vers la pure danse contemporaine. Au fur et à mesure, les danseurs se rapprochent. Le mouvement de l’un semble entraîner le mouvement de l’autre dans une gestuelle très « pendule de Foucault ». Ils finissent même par former une sorte d’hydre quand, emboîtés l’un dans l’autre, ils marchent en pont sur les mains. La pièce s’achève par une sorte de course centrifuge avec balancier mécanique des bras. Les deux interprètes, tels deux aimants pôle à pôle sortent de part et d’autre de l’espace scénique. On aura eu l’impression de visualiser des ronds dans l’eau laissés par les ricochets d’un galet aux multiples rebonds.

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Collectif Led Silhouette. « Errata Natural ». Place Bellevue. Jon Lopez et Marxtel Rodriguez.

 Ouvrages consultés:  Pierre Loti, « La danse des épées à Saint-Jean-de-Luz ». Article du Figaro du 30 août 1897. « Pierre Loti, Voyages (1872-1913) ». Bouquins Robert Laffont.
« Dictionnaire de culture et civilisation basques ». elkar [Arteaz]
Un livre est enfin paru sur la tradition des danses basques : « Variations basques« . Serge Gleize (texte) et Véronique Marti (photographie). Edition du Palais. 2019.
L’exposition Gauargi « La lanterne de la nuit » du musée historique de Biarritz se tient jusqu’au 23 octobre 2021.

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