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Le Temps d’Aimer la Danse 2022 (2) : Martin Harriague, Starlight. Vues croisées.

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Martin Harriague. Starlight. Photographie ©Olivier Houeix

Nos deux Balletonautes, Cléopold et Fenella, étaient curieux de découvrir la pièce « one man show » du talentueux Martin Harriague : Starlight. Ils vous offrent leur vue croisée en français puis en anglais.

Samedi 10 septembre. Biarritz. Théâtre Le Colisée.

Martin Harriague : Starlight

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cléopold2Cléopold : Martin Harriague, l’homme orchestre…

On était très curieux du Starlight de Martin Harriague, un solo théatro-chorégraphico-musical (oui, rien que ça) dont il nous avait bien semblé avoir un premier embryon lors du concours chorégraphique tenu mi-juillet dernier à la Gare de midi. Martin Harriague, bourré des talents les plus divers, a parfois tendance à créer des pièces où se trouve la matière pour 3 spectacles. Mais au concours chorégraphique, le foutraque contrôlé de la « fausse impro » allait quelque part.

« Starlight » tient son titre de la première mouture de ce qui deviendra en 1982 le tube planétaire de Michael Jackson, Thriller, une explosion musicale et un des clips les plus chers et les plus outranciers de sa génération. Le point de départ devrait donc être le rapport entretenu entre le chorégraphe et ce titre emblématique créé avant sa naissance mais que des générations de danseurs-chorégraphes ont posé comme la pierre angulaire de leur parcours chorégraphique (Lil’ Buck, né en 1988, cite aussi la gestuelle de Michael Jackson comme inspiration ultime de sa propre geste).

Mais comme aux remises des prix du concours chorégraphiques où les lenteurs supposées du jury obligeaient Martin Harriague à meubler, dans Starlight, ce dernier est aux prises avec un technicien anglo-saxon fantasque, Josh, qui s’ingénie à retarder la diffusion du fameux clip de Michael Jackson sur un vieux téléviseur à tube et balance des « dossiers » sur le petit Martin.

Le dispositif scénique est très simple, voire aride (comme souvent au théâtre du Colisée). La scène reste à nu. Au centre, le téléviseur à tube est en mode écran neige. À jardin au fond, un portant avec des affaires sur cintres. À cour, une station musicale avec clavier et égalisateur. C’est là qu’apparaît pour la première fois Martin Harriague, au clavier.

Le chorégraphe évoque sa naissance en 1986, 15 minutes après l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl, une piste écologique qu’il n’explorera pas vraiment par la suite. Car la pièce prend une toute autre direction, celle d’un parcours de danseur.

Au gré des « humeurs fantasques » de « Josh le machiniste », le chorégraphe-interprète  doit se justifier sur sa toute première improvisation, captée par un caméscope où le minot n’a rien trouvé de mieux que d’enfiler un slip vert par-dessus son survêt. On rit quand Martin Harriague mentionne les commentaires parentaux sur ses premières prouesses chorégraphiques : « t’as encore rayé le parquet ! ».

Harriague en vient à évoquer ses premières tentatives d’imitation du King of Pop. La première, sur Billie Jean, devant une baie vitrée évoquée à l’oral et très bien suggérée par le danseur, est subtilement maladroite et hachée. L’ado Martin s’essaye de manière hilarante à l’emblématique « peenie action » de Jackson. Durant toute la pièce, on pourra assister aux essais toujours plus réussis de l’imitateur. Ce sera le penché à 45° de Smooth Criminal et enfin le légendaire « moonwalk ».

Entre une scène jouée désopilante où il imite une professeure en psychologie analysant le clip de Thriller sous l’angle totémique, une petite leçon de musique années 80, avec décorticage en règle de l’orchestration de thriller (oui, Martin Harriague est aussi homme-orchestre) et, enfin!, l’interprétation de la chorégraphie des morts vivants, avec le clip jouant sur la vieille télé, on assiste, au gré des changements de costumes, plus gentiment improbables les uns que les autres, à la naissance du danseur et chorégraphe.

Mais grâce aux bons soins de Josh, on aborde d’autres aspects de la formation du danseur-chorégraphe. Un passage par les goûts musicaux maternels (jolie séquence à la télé avec une conversation où la mère évoque ses goûts et un extrait d’une pièce de Beethoven interprétée par Wilhelm Kempff) permet par exemple de voir Martin « faire sa barre ». Le danseur, de formation néoclassique, développe un mouvement délié et plein (un peu à la Paul Taylor), noble (même affublé d’une combinaison à paillettes), saupoudré de la grâce féminine du cygne.

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Martin Harriague. Starlight. Photographie ©Olivier Houeix

La section sur l’audition à la Batsheva où le jeune danseur s’entend dire, « you are too cooked » avait déjà été essayée lors du concours chorégraphique mais est toujours aussi efficace (le danseur reste coincé en pont, la tête en bas). Elle s’enchaîne avec le récit un peu doux-amer de l’intégration de la Kibbutz dance company (Martin pense qu’il a un ticket avec une amie danseuse et se prend un râteau ; la déclaration attendue de l’amie est en fait « Tu dois auditionner à la Kibbutz ! »). L’évocation des années israéliennes est l’occasion d’une très belle session où Harriague donne un corps aux nuits de Tel Aviv et leur musique très scandée : oscillations des bras et du bassin. On reste fasciné.

Strates successives des apprentissages, chemins de traverses. Martin Harriague dépeint à merveille dans Starlight l’itinéraire de l’artiste qu’il est en ce moment. Original, riche de talents, d’expériences diverses, encore en devenir. Il n’est souvent encore que la somme de ses immenses qualités. Quand tous ces éléments se synthétiseront en un tout, et c’est pour bientôt, on espère être là pour voir le résultat.

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FenellaFenella : Be Careful What You Do 

Tiny screen downstage, a clothes rack upstage, a console with keyboard to the right. Uh oh.

We start with the tiny screen tuned to archival footage of the Chernobyl catastrophe. But we will never return to this explosive theme. I guess that was to “date” all the rest of this piece? [N.B. It turns out he was born on that day]. In the meantime, some random guy started fiddling at the console upstage was murmuring about what it feels to be alive. That random guy turned out to be not part of the band but the choreographer Martin Harriague himself.

Harriague, indeed, was IT. A one-man band: dancer, choreographer, narrator, keyboardist, dramaturg, musicologist, and mimic, filling up the stage with ferocious energy and a plethora of voices heard.

I have to admit from the get-go that I did not understand all the French in this one-man show that involved a LOT of spoken explanatory text. But I will also admit that there was enough in there that I could relate to and understand.  And whenever I didn’t understand some key words in a monologue, the choreographer Martin Harriague’s volcanic stage presence took care of the rest.

This performance turned out to be in homage to his childhood dance hero – the boy-man who gave him the desire to dance in the first place — Michael Jackson. (In naive innocence, the rumors go unmentioned I think). This piece is not a “we are smarter in hindsight” manifesto of any social or political kind. Yet it is a manifesto. First and foremost a manifesto in honor of those parents who came home from a night out and found their  boy prancing around the living room wearing some of mom’s clothes…and then reacted with mild disinterest.

Michael Jackson! I spent some time at first mulling over how Harriague would manage to get around the copyrights. He’s a brilliant editor, knew just how to cut and paste the little clips on the tiny TV (mostly the spoken part of Thriller, for example) and then he’d play and explain variations on the musical themes live himself.

Most of all, his love of that man’s dapper moves became infectious, and for an hour or so, I was allowed to let go of my feelings about the person and get back into the groove of the idiosyncratic whirlwind who had once astonished me, too.

Harriague’s clear love of dancing whenever and wherever he can  — from the living room to Israel, where a venerable company director called his dance “too cooked” – proved exhilarating. This guy is not holding anything back and this audience looooved it).

I think the thing that works most is how “relatable” Harriague manages to be, even as he demonstrates movements few of us could ever master. At the moment you shivered in shamefaced recognition when he nailed “I am going to learn from the VHS  how to dance Billie Jean.” You could swear he was you looking in that hallway mirror as he broke it all down, tried and tried to get it. From how to tip a hat to the swivels to the moonwalk to where to place a finger, we identified with that sheepish and hopeful look we’ve all had on our faces when dancing in front of the mirror at some point in our lives.

In contrast to François Alu’s recent weakly-structured, repetitive, and bombastic one-man show (he should have entitled it “I am Ego, Hear Me Roar”), Harriague slipped into the skin of his alter-egos with irony, not off-putting condescension. This finely structured memoir  — as it advanced from his baby steps with Billie Jean, arched over the narrative of Thriller, spun back over Beethoven on the black and white TV, slithered into Donna Summer, then Aretha, and then back to Jackson as baby prodigy – remained utterly unpredictable and intriguing.

An example of the way he surprises you:  his very amusing parody of a TV psychoanalytic talking head that came out of the blue, brilliantly written. The timing of the thing was perfect: he needed to sit down for a few minutes (even if he only hovered over an invisible chair) and we needed a break from watching all that action.

This brilliant craftsman maybe could have just cut that Chernobyl thing at the start, however. OK, nothing could be scarier than nuclear anihilation, not even zombies…but, why put it out there, if you never plan to come full circle? Especially if you are “the One, who will dance on the floor in the round?”

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Martin Harriague. Starlight. Photographie ©Olivier Houeix

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A Biarritz, le Temps d’Aimer : la belle parenthèse [1]

 » La Pastorale  » Photographie Olivier Houeix

C’est un parfait week-end de l’été indien. Biarritz et son décor hétéroclite est écrasée de soleil. La mer bat allègrement les rochers et elle est tolérablement chaude. C’est pourtant l’ombre qu’on est venu chercher, celle des salles de spectacle. Les plaisirs qu’on n’ose plus espérer, on essaye de ne pas trop les envisager… Et pourtant, après une belle marche sur la corniche et un bon coup de soleil à l’arrière du col du tee-shirt, on se retrouve devant la façade sans prétention du Colisée, la salle accueillant les représentations de petit format au Temps d’Aimer la Danse qui fête cette année sa trentième édition.

Les consignes sanitaires sont assez strictes : masque et gel hydro-alcoolique sont de rigueur. Mais au moins, on a des voisins avec lesquels on sait que l’on partage l’excitation des retrouvailles.

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Jour 1 : Appropriations

Le festival du Temps d’Aimer ne prétend pas jouer sur les thématiques. À l’image de la ville, il se veut divers et éclectique. Mais, on ne se refait pas, je n’ai pu m’empêcher de créer la mienne. La Compagnie l’Octogonale, constituée de Jérôme Brabant et de Maud Pizon, deux danseurs-pédagogues, avec son A Taste of Ted, propose un spectacle à la fois drôle, tendre et érudit qui semble d’emblée se mettre en frontispice de la suite de la soirée, constituée d’œuvres de Thierry Malandain, un chorégraphe féru d’Histoire.

Le principe de A Taste of Ted est simple ; il s’agit de poser un regard sur un célèbre couple de l’avant-garde dansée du premier tiers du XXe siècle, réunissant Ruth Saint Denis et Ted Shawn, dans un dialogue entre des reconstitutions de fragments de leurs danses conservées sur des films et les souvenirs enregistrés en voix off des choréologues-danseurs reconstructeurs et interprètes contemporains de ces danses. La pièce débute par le récit cocasse de l’apprentissage d’une pièce méconnue de Ted Shawn. Les deux danseurs, dans l’incapacité d’emprunter ou de copier le vieux film sur lequel elle était conservée, ont dû l’apprendre et la répéter dans la salle de lecture de la New York Public Library for the Performing Arts sous les yeux médusés des autres étudiants-chercheurs. Dans leur récit, les deux acolytes ne s’interdisent aucune irrévérence sur leur sujet. Les questions qui font mal ne les effraient pas. Ruth Saint Denis et Ted Shawn étaient spécialistes des danses « primitives » leur permettant de porter les oripeaux de différentes époques ou de différentes nations. Leur démarche serait-elle possible aujourd’hui ? Sans doute subiraient-ils les foudres de la Cancel Culture pour crime d’appropriation culturelle. À un moment, Jérôme Brabant, malicieusement, dit en substance à sa partenaire, « je pense que, moi qui suis exotique parce que je suis né à la Réunion et du XXIe siècle, j’ai plus le droit de danser cette danse chinoise créée par des Américains au XXe siècle que toi, qui es de la métropole », ce à quoi Maud répond « Au fait, les kimonos qu’on porte, c’est pas plutôt japonais ? ». La pièce, captivante dans son va-et-vient entre souvenirs personnels et reconstitutions dansée nous interroge également sur la pérennité de l’avant-garde ; de toutes les avant-gardes.

Les reconstitutions dansées présentées ne sont pas toujours flatteuses pour les deux monuments de la danse pionnière américaine que sont Ted Shawn et Ruth Saint Denis. On soupçonne même les deux danseurs de discrètement forcer le trait. La nature même de Jérôme Brabant, subtilement dégingandée, contrastant avec l’allure plus statuesque de sa partenaire, favorise d’emblée des situations comiques. Le pianiste et créateur musical Aurélien Richard, qui les accompagne au piano à queue, se prête aussi, avec délectation, à ce jeu de la dérision tendre. On rit donc de cette première danse reconstituée à la New York Public Library, avec ses conventions de film muet ou encore de cette danse égyptienne où les danseurs épousent les conventions angulaires de la peinture antique. On s’esclaffe enfin lors de la danse « chinoise en kimono » où les deux interprètes, à force d’agiter leurs éventails, finissent par évoquer des dindons. Le destin de l’avant-garde n’est-il pas de devenir le ringard du lendemain ?

Pourtant, ce qui fait mouche dans A Taste of Ted, c’est que, finalement, la danse a le dernier mot. Pour l’ultime reconstitution, les deux danseurs revêtent des costumes indiens – bracelets de cheville à clochettes et autres colliers de cauris. Et soudain, les principes de François Delsarte suivis par Saint Denis et Shawn vous sautent à la figure au son des talons martelant la scène sous l’impulsion du piano à queue utilisé comme un tambour. On comprend tout à coup ce que l’héritage des pionniers a pu apporter à la danse d’hier mais aussi à celle d’aujourd’hui.

« A Taste of Ted ». Maud Pizon et Jérôme Brabant. Photographie © deOtero

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Plus tard dans la soirée, à la Gare du Midi, on en voyait la concrétisation et l’aboutissement dans Beethoven 6, une réduction de la superbe Pastorale de Thierry Malandain, créée l’an dernier. Resserrée autour de la 6e symphonie du compositeur, sans décor, le ballet, avec son Perpetuum mobile de cercles, de rondes et enroulements, avec son écheveau de corps sans cesse miraculeusement démêlé, ses lacets de nymphes évoquant le faune de Nijinsky, lui-même suiveur de François Delsarte, montrait à quel point la modern dance a pu infuser et revivifier la danse classique puis néoclassique. Le panthéisme de la pièce convoquait aussi l’ombre tutélaire de la mère de tous les modernismes chorégraphiques occidentaux, Isadora Duncan. On peut toujours compter sur Thierry Malandain pour, avec du vieux, faire de l’intemporel.

En première partie de soirée, il présentait justement une pièce « historique », puisqu’elle n’avait plus été dansée depuis 1997, l’année où Malandain avait démarré le Centre Chorégraphique National à Biarritz. Le ballet, Mozart à 2, pourrait se présenter comme le In The Night du chorégraphe puisque, sur des pièces pour piano et orchestre de Mozart, ses six pas de deux déclinent les rapports de couple dans un lent crescendo vers l’harmonie.

Le danseur qui ouvre le ballet par une chorégraphie athlétique et nerveuse (Arnaud Mahouy), n’est ainsi pas sur la même page que sa douce et mutine partenaire, Clémence Chevillote. Raphaël Canet, séduisante brute, gifle la sienne qui lui rend sans plus attendre la monnaie de sa pièce (Nuria Lopez Cortés, aussi forte dans ses interactions avec son partenaire qu’elle est délicate dans ses solos). Dans le duo interprété par Mickaël Conte (le premier, car il remplace un de ses camarades au pied levé), l’homme semble encore dans son monde ; ses solos sont élégiaques (monsieur Conte fait de ses tours attitudes décentrés se terminant en écart des moments de poésie intériorisée). Cependant la petite musique des sentiments commence à se faire entendre entre lui et sa très belle partenaire, Irma Hoffren. L’alchimie se fait plus évidente et joyeuse entre Giuditta Banchetti et Michael Garcia. Leur duo pourrait s’appeler « La Découverte ». Caresses au sol, remontée glissée du garçon en seconde position au sol… On s’émerveille toujours de la fantaisie de Malandain dans ce genre de passage à terre. À un moment, la jeune fille s’accroche dans un angle géométrique à son compagnon placé en position de pont. Le couple semble alors faire un jeu de Tetris ; comme pour vérifier une dernière fois sa compatibilité. Avec le duo entre Joshua Costa et Patricia Velasquez, on approche de la plénitude du couple. La simplicité de dessin de la chorégraphie, l’abandon et la confiance dans les portés, inscrits dans la chorégraphie mais magnifiés par les deux danseurs en dépit de leur différence de taille, parle d’harmonie et de partage.

Mais l’acmé, on la trouve dans le dernier pas de deux entre Mickaël Conte et Claire Lonchampt (qui fait son retour sur scène après une longue absence). À un moment, perchée sur la cuisse de son partenaire pendant une sorte de promenade, la belle danseuse ressemble littéralement à une déesse tutélaire de l’amour partagé.

On est groggy. Les lumières du plateau scintillent, les danseurs sont dans une forme époustouflante, la salle est pleine et les applaudissements crépitent. On avait douté que cela puisse exister encore

Mozart à 2. Claire Lonchampt et Mickaël Conte. Photographie Olivier Houeix

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