Alice’s adventures in Wonderland : le bal des débutants.

Alice’s adventures in Wonderland (Christopher Wheeldon, Joby Talbot et alia) / Avec Beatriz Stix-Brunell, Nehemiah Kish, Ricardo Cervera, Laura Morera). Samedi 24 mars. Matinée.

Comment expliquer Alice’s Adventures in Wonderland sans le trahir ? Rendre compte, c’est souvent séparer les différents éléments d’un spectacle pour les analyser. Or, ici, chacun de ces éléments tire sa valeur de sa symbiose avec les autres. La prouesse ne réside pas tant dans la nouveauté des procédés utilisés que dans l’incroyable harmonie qui se dégage de cette œuvre qui multiplie les collaborateurs. Au compteur, pas moins d’un chorégraphe, un librettiste, un musicien, un décorateur et costumier, un éclairagiste, deux projectionnistes, un marionnettiste et … un magicien. Et tout ce petit monde déploie ses talents, utilisant souvent des procédés vus ailleurs avec une telle  subordination à son sujet que, spectateur, on va d’étonnement en émerveillement.

 On se prend à l’argument (Nicholas Wright) pimentée d’une histoire d’amour sur trois niveaux entre Alice et Jack-valet de cœur ; on s’émerveille des projections sur cyclo (Jon Driscoll ou Gemma Carrington) qui vous font tomber dans des abimes ou voyager sous les ondes, ou encore des trouvailles visuelles du costumier (Bob Crowley) -les valets de pieds poisson et grenouille, mi animaux, mi petits marquis poudrés font partie de mes favoris-. La scène de la partie de croquet est sans doute celle où la synthèse des arts est la plus achevés. Les marteaux-flamants roses, figurés par de longilignes danseuses portant un gant en forme de tête d’oiseau exécutent une chorégraphie sinueuse tandis que les participants au jeu royal actionnent, tout en dansant, ces mêmes volatiles, des peluches au cou articulé, de la manière la plus loufoque. La chorégraphie mélange dans le même temps les références balanchiniennes -les jardiniers-peintres de roses improvisés se transforment en muses d’Apollon musagètes au bord de la crise de nerfs – aux citations déjantées de Petipa. L’adage aux tartelettes pour la reine de cœur (impayable Laura Morera) est une superbe et hilarante variation sur le thème de la Belle au bois dormant, tant sur le plan chorégraphique (Wheeldon) que sur le plan musical (Joby Talbot). Pour la scène de la fuite, après que le corps de ballet de cartes aux amusants tutus découpés aux quatre couleurs se fut effondré comme une rangée de dominos, c’est le musicien (à grand renfort de percussions) et les projectionnistes (obsédant défilement des cartes) qui prennent le relais de la narration.

Même l’épilogue réserve son lot de surprises puisqu’on assiste à un double retour à la réalité. Alice n’était peut être qu’une jeune fille qui rêvait qu’elle était Alice. Son boyfriend en T-shirt délavé ressemble d’ailleurs étrangement à Jack-valet de cœur tandis que le touriste photographe aux lunettes de soleil roses pourrait bien être Lewis Caroll/Lapin blanc.

Pour cette matinée, Beatriz Stix-Brunell remplaçait Marianela Nuñez dans le rôle d’Alice. Elle est entrée dans le rôle avec l’insolente assurance que lui donnent ses dix huit printemps et sa technique d’acier -Elle a du parcours, du ballon et une belle amplitude de mouvement- On espère qu’elle saura polir les facettes encore un peu brutes de son art. À ses côtés, Nehemiah Kish – qui remplaçait Rupert Pennefather, blessé – s’est montré très touchant. Son rayonnement un peu pâle, son sourire doux et son aspect plus âgé que celui de sa partenaire en faisaient le type du grand frère un peu fragile qu’on rêve de protéger. Ricardo Cervera, à défaut d’être un Lewis Caroll vraiment convaincant (il avait l’air d’avoir l’âge de ses élèves), fut un irrésistible lapin blanc à la perruque de cour ébouriffée. Il exécutait avec une facilité déconcertante la chorégraphie intriquée créée sur Edward Watson. Alexander Campbell a fait résonner avec autorité les claquettes du chapelier fou et James Wilkie était une adorable souris des champs. Les trois jardiniers (Sander Blommaert, James Hay et Valentino Zucchetti) forment un trio irrésistible de même que les quatre partenaires terrorisés de la reine de cœur.

À la fin d’Alice, je me suis dit que j’avais sans doute compris l’esprit dans lequel avait été créé une Belle au bois dormant ou un Casse noisette. J’avais assisté à ce que les spectateurs du XIXe siècle appelaient un « ballet féérie ».

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3 Commentaires

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3 réponses à “Alice’s adventures in Wonderland : le bal des débutants.

  1. shana

    Merci pour ce délicieux compte rendu; à vous lire, on a l’impression que l’esprit de Lewis Caroll lui même a inspiré tous les créateurs de ce  » ballet féérie »!

    • Cléopold

      Une partie de l’esprit de Lewis Caroll. Dans les interviews du programme, Christopher Wheeldon imagine ce qu’aurait pu être un Alice par Ashton (aimable et bucolique fantaisie) ou MacMillan (psychologique et sexuel).
      Il y a également quelque chose de définitivement anglais dans cette production. Une scène dont je n’ai pas parlé, celle de la duchesse et la fabrique de saucisses nous fait basculer dans le grand-guignol. C’est Sweeney Todd croisé avec Jack l’éventreur, le tout joué par un homme en travesti (procédé qu’affectionnent les anglais). Un bébé hurleur y est métamorphosé en cochon avant de rencontrer son destin…
      A d’autres moments, on pense aux pantomimes de Noël…

  2. Effectivement, j’ai senti cet esprit anglais poindre dans votre article, mais j’en ai confirmation par votre réponse! Merci à vous!