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A Londres : les nouveaux atours sans charme de Cinderella

img_3549Londres. Royal Opera House. Cinderella (Ashton / Prokofiev). Nouvelle production 2023 (Tom Pye Décors/ Alexandra Byrne Costumes/ David Finn Lumières / Finn Ross Video designer) Représentation du dimanche 16 avril 2023.

C’était à première vue un jour peu judicieux pour faire un aller-retour à Londres afin de découvrir la nouvelle production du Royal Ballet de la Cinderella de Frederick Ashton. À Paris, le ballet était en effet projeté au cinéma à l’heure même où commençait la matinée qu’on avait réservée de longue date. Pourtant, les Parisiens n’ont pas vu une captation en direct de la représentation du 16 avril mais la diffusion de la distribution de la première réunissant Marianela Nunez et Vadim Muntagirov.

Le Royal Ballet n’aurait-il qu’un seul couple à promouvoir ? À ce rythme, les charmes réels et indéniables de la douce Marianela seront bientôt aussi érodés pour le public que le sourire de la Joconde pour les visiteurs du Louvre.

La production du ballet d’Ashton est « nouvelle » sans pour autant être particulièrement fraîche. Elle utilise beaucoup les projections lumineuses, comme cet effet boule à facettes dans la salle sur l’ouverture ou encore les fleurs qui se surimposent au décor pendant le passage des saisons à l’acte un. Néanmoins, on a vu des réalisations de ce type beaucoup plus élaborées et abouties par le passé au Royal Ballet. L’esthétique du premier acte reste souvent traditionnelle et sans imagination. Mis à part le joli costume de mendiante pour la fée marraine avec ses ailes entre chauve-souris et nervures de feuilles décomposées, rien n’atteint la grâce de la Cendrillon de David Bintley avec son style roccoco revu au prisme de Jules Barbier. La fée marraine, une fois « révélée » en tant que danseuse, est par exemple affligée d’une baguette magique à étoile électrifiée que ne renierait pas le gifte shoppe d’un parc d’attraction Disney. L’acte deux, situé dans les jardins d’un palais à la Chantilly est plus heureux ; les membres féminins du corps de ballet ont des costumes 1830 à la fois uniformes et différenciés par le truchement d’un ruban ou d’un détail de coiffure, mais on n’évite cependant pas la faute de goût avec les quatre solistes des Saisons fourrées dans des tutus aux couleurs atrocement criardes.

La ballet est typique du style Ashton. Il a abondamment recours au dumb show dans la tradition des pantomimes de Noël chère au cœur des Anglais. Pour cette reprise, le rôle des vilaines sœurs a été indifféremment attribué à des duos d’hommes (une tradition largement installée dans ce ballet depuis qu’Ashton lui-même, accompagné de Robert Helpman, en a endossé le rôle) ou de femmes. Nos « ugly sisters » (une mention qui a disparu du programme) pour la matinée étaient masculines. Bennet Gartside était parfait en dominatrix meneuse de revue à plumes et James Hay en demoiselle flirty cucul-la-praline qui oublie ses pas et écrase la moumoute de son partenaire de bal comme s’il s’agissait d’une bête nuisible. Mais le rôle du père, lui aussi dans la tradition de la pantomime dansée, nous a paru mal dessiné. Kevin Emerton paraissait trop jeune sous sa perruque blanche.

Hors ces rôles de caractère, la chorégraphie classique d’Ashton est simple, voire simpliste pour les jambes mais pas sans charme. Dans la captation de 1968, Antoinette Sibley y fait merveilles aux bras d’Antony Dowell, notamment lors de son arrivée au bal en simples piétinés sur pointes. Le génie d’Ashton repose en effet plus sur des accentuations des pas d’école et sur les épaulements que sur l’originalité des combinaisons chorégraphiques.

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Liam Boswell : le bouffon

Et c’est sans doute là que le bât blessait lors de cette matinée londonienne à laquelle nous avons assisté. Itziar Mendizabal, qui interprétait la fée marraine, a toujours été efficace et sèche. Mais en cette matinée, elle ne faisait pas particulièrement preuve d’autorité. On se souviendra donc plus de l’incarnation mimée de la fée mendiante, interprétée par la fine et subtile Olga Sadadoch, que de la marraine entutufiée de la suite du ballet. Des quatre saisons, seule Isabella Gasparini en Automne réunit toutes les qualités requises (caractérisation et technique). Ashley Dean possède la vélocité du Printemps mais ses pointes nous ont semblé un peu émoussées. L’Été de Mariko Sasaki confond l’alanguissement des bras de l’Eté avec les battements d’ailes désespérés de la mouette prisonnière d’un océan mazouté. Enfin, Gina Storm-Jensen, avec ses bras sans subtilité et son attaque agressive du plateau, évoque plus la congère que le flocon en fée Hiver. À l’acte deux, on a pu apprécier cependant la pureté de ligne et le ballon de Liam Boswell dans le rôle aussi bondissant que fastidieux du bouffon.

La Cendrillon de cette matinée, raison de ma traversée du Channel, Sarah Lamb, tire son épingle du jeu dans ce premier acte lesté par la laideur de la production et le manque de subtilité de la plupart des interprètes des parties dansées du ballet. Elle fait rire la salle lorsqu’elle elle imite ses sœurs dansant et rayonne enfin dans son carrosse-citrouille au milieu des Heures, douze filles du corps de ballet qui interprètent une chorégraphie mécanique imitant le mouvement d’une montre.

Mais c’est à l’acte deux que l’on peut vraiment apprécier les qualités de Lamb. La ballerine, d’une grande fraîcheur, fait rayonner les ports de bras et l’arabesque ashtonienne, en dessous des lignes de l’épaule et du dos pour un effet très Moira Shearer (la créatrice du rôle en 1945). Il y a chez Sarah Lamb une forme de réserve et de rayonnement diaphane qui crée une distance sans froideur, un mystère intrigant chez son personnage de souillon transfigurée. Son prince, Steven McRae, même si ses pieds ne sont plus aussi réactifs qu’ils ont pu l’être jadis, se pose en parfait contraste avec cette mystérieuse Cendrillon. Il a toutes les qualités du leading man, cette commande de la scène et cette flamboyance qui lui sont propres. Avec ce couple, les eaux chaudes et les eaux froides se rencontrent. Et l’histoire, à laquelle on était resté très extérieur jusqu’ici prend chair et cœur dès qu’ils dansent ensemble.

Au troisième acte, très raccourci par la coupure des recherches du prince dans les pays étrangers, Lamb en haillons continue à rayonner comme si elle portait encore sa robe de bal. Elle est d’ores et déjà l’élue. Ce que l’intrigue perd en suspens, elle le gagne en sérénité et en plénitude, à l’image du pas de deux final qui réunit les deux héros.

Les deux amants ont triomphé de l’adversité comme les deux danseurs ont surmonté eux cette production prosaïque et sans grâce.

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Sarah Lamb et Steven McRae. Cendrillon et son prince.

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Giselle à Londres: volage, comme Albrecht

Giselle, Royal Ballet (janvier-mars 2018)

Le spectateur est une espèce inconstante. Un samedi de février, il m’a suffi de quelques secondes pour changer de toquade. Arrivé sur scène cape au vent, suivi d’un écuyer immanquablement affolé et impuissant, Matthew Ball campait un Albrecht à la pantomime aussi déliée qu’un discours. Son visage racontait l’histoire avec tellement de verve – il y a des danseurs qui ont un visage, et n’oublient pas qu’il fait partie du corps – qu’au moment où la porte de la cabane s’est ouverte, je me suis dit un instant : « mais qui est cette brune qui sautille ? ».

J’avais impromptu adopté le point de vue d’Albrecht : celui d’un aristo en goguette tombé sous le charme d’une jeune fille dont il connaît l’adresse mais n’est pas bien certain du nom. En quelques mimiques, Matthew Ball avait posé l’équation du drame : la morgue et la sincérité, l’appétit et la légèreté, l’engagement et l’inconséquence.

Contrairement à la plupart des Giselle, Yasmine Naghdi – la ballerine pour qui j’avais fait le voyage à Londres – danse le premier acte cheveux dénoués. Outre qu’il épargne à sa mère Berthe la corvée de destruction de chignon à l’orée de la scène de la folie (moment périlleux, où l’épingle en trop menace de ruiner l’émotion), le détail dit quelque chose de l’interprétation : voilà une jeune fille qui charme moins par sa beauté que par sa vivacité, et dont la danse émeut plus par son caractère primesautier que par sa perfection. On aurait aimé plus d’aisance dans la variation du premier acte, mais l’interprète attrape le spectateur aux tripes avec une scène de la folie totalement investie. L’acte blanc me remet sur les rails de la versatilité, car c’est à nouveau Albrecht qui retient l’essentiel de mon attention. Plusieurs fois, dans d’autres rôles, Matthew Ball m’avait donné l’impression de finir tout solo d’un rictus qui clamait « Maman, j’ai fini ma variation ! ». Il a apparemment dépassé ce stade infantile du soliste, dansant la partition d’Albrecht tout à la fois avec panache et comme au bord de l’effondrement. Et puis, dans les dernières secondes, quand ne reste de sa Giselle que la trace éphémère d’une fleur coupée, il a la bonne idée – quand d’autres interprètes se concentrent sur leur peine – de pointer le regard et le bras vers le ciel, en un dernier signe vers la défunte qui l’a sauvé. À cet instant, Ball est devenu le premier Albrecht qui m’ait fait pleurer (matinée du 10 février).

Pour être honnête, ma surprise en voyant surgir une brunette de la cabane de Giselle a quelque lien avec le souvenir encore frais laissé par la blonde Sarah Lamb. La danseuse aux lignes idéales et au teint de porcelaine compose un personnage immédiatement attachant, naïf et fragile. Ryoichi Hirano incarne un Albrecht plutôt doux, à la drague très patte de velours, en tout cas moins agressive que celle de Ball. Cela confère au partenariat un aspect feutré et ouaté. La donzelle n’en donne pas moins son cœur sans réserve : quand elle prend conscience de la duperie, la Giselle de Sarah Lamb affronte son sort avec une éloquence très particulière dans le haut du corps, laissant sa tête et les épaules s’abandonner vers l’arrière, dans un déséquilibre qui annonce la fin. Au second acte, elle se métamorphose en madone protectrice, avec une qualité de danse yeux mi-clos qui laisse une impression durable (matinée du 20 janvier).

La troisième Giselle de ma saison londonienne, Natalia Osipova, est une jeune fille au caractère bien affirmé. Face à un David Hallberg à l’allure si pure et juvénile, elle semble par moments prendre la direction des opérations. Tout se passe si un Albrecht timide et introverti avait trouvé qui le déniaiserait. Cette impression tient aussi au contraste stylistique entre les deux interprètes : Osipova mange la scène, quand Hallberg est tout d’élégance. Le degré d’appropriation du rôle par la ballerine russe est unique : la diagonale de sautillés sur pointes s’enrichit d’un passage en tournant, et se finit par un manège à un rythme endiablé. Elle effectue aussi de jeux de mains très personnels – avec par moments des moulinets trop sophistiqués à mon goût à l’acte I. On reste bouche bée sans être vraiment ému : il faudrait pour cela que le personnage projette une fragilité que la maestria à toute berzingue de la danseuse dément. On ne saura jamais ce qu’aurait donné le partenariat d’Hallberg avec la Giselle d’outre-monde, car le danseur américain, blessé au mollet durant le premier acte, est remplacé au pied levé par… Matthew Ball, mon Albrecht préféré. Natalia Osipova entame l’acte blanc avec une énergie inentamée, un étonnant ballon, et des bras qui flottent comme des algues. Cette Giselle survitaminée reste la folle danseuse du premier acte, moins animée du souci du beau que de l’urgence du rebond. Elle ralentit aussi à plaisir les promenades tête en bas de l’adage de l’acte blanc, allongeant le chant du violon jusqu’à l’irréel (soirée du 1er mars).

Dans les seconds rôles, on remarque forcément l’Hilarion très expressif de Tomas Mock. Danse-t-il tous les soirs ? Je l’ai en tout cas vu mourir trois fois, et à chaque fois il semble dire à ses tourmenteuses : « mais qu’ai-je fait pour mériter cela ? ». Dans la catégorie des Willis en chef,  la palme revient à Itziar Mendizabal, Myrtha pleine d’autorité, mais sans sécheresse (20 janvier). On note aussi la grâce d’Elizabeth Harrod en Moyna (vue sur les trois dates), qui officie aussi dans le pas de six des paysans du 1er mars, le plus satisfaisant de la série, même si Yuhui Choe y manque d’un chouïa de langueur dans les poses de l’adage (avec James Hay). Dans la coda, Elizabeth Harrod et Meaghan Grace Hinkis sont joliment à l’unisson, tout comme les garçons Calvin Richardson et Joseph Sissens, dansant en harmonie – pour une fois – leur chorégraphie en canon. Enfin, il faut citer les prodiges de pantomime qu’accomplit Gary Avis en duc de Courlande. On croit presque l’entendre dire: « bon d’accord, cette table en bois est bien moche, mais la bibine est moins mauvaise que prévu » (10 février et 1er mars).

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Ashton narratif ou abstrait: l’économie du geste

The Dream, Symphonic Variations, Marguerite et Armand, Royal Opera House, 2 et 3 juin 2017.

Un jour, j’en suis certain, le Royal Ballet abandonnera l’horrible coutume consistant à affubler de la même perruque blonde à frisotis toutes les ballerines incarnant Titania. Le décalage entre la chevelure et la complexion dessert autant une Akane Takada au teint de porcelaine que la brunette Francesca Hayward, qui toutes deux paraissent piètrement attifées pour carnaval. À part cette faute de goût, The Dream (1964) constitue une agréable entrée en matière du programme Ashton, qui clôture ces jours-ci la saison de ballet à Covent Garden. Sous la baguette d’Emmanuel Plasson, l’orchestre du Royal Opera House donne à Mendelssohn des accents frémissants et le London Oratory Junior Choir fait de la berceuse un moment d’irréelle suspension. À l’inverse de Balanchine, dont le Songe a récemment fait une dispensable entrée au répertoire de l’Opéra de Paris, Frederick Ashton a un sens aigu de la narration : les péripéties de la pièce de Shakespeare sont brossées à traits vifs ; en particulier, les mésaventures du quatuor formé par Helena (drolatique Itziar Mendizabal), Demetrius, Hermia et Lysander, sont rendues en quelques trouvailles hilarantes, et la séquence sur pointes de Bottom est d’une poétique drôlerie, et Bennet Gartside – soirée du 2 juin – y fait preuve d’une inénarrable décontraction.

Le soir de la première, un Steven McRae toujours précis et pyrotechnique, partage la vedette avec Akane Takada. Techniquement très sûre, la danseuse en fait un peu trop dans le style girly, notamment durant la séquence du chœur des elfes, où sa cour la prépare au sommeil. À cet instant, Titania doit avoir – à mon avis – la fraîcheur d’une Diane au bain ; Francesca Hayward (matinée du 3 juin), plus proche de ma conception, donne l’idée d’un délassement sans souci de séduction. Marcelino Sambé – qui n’est encore que soliste – incarne un Oberon impérieux et lascar. Ces deux danseurs, techniquement moins solides que McRae/Takada dans les variations solistes, intéressent davantage dans le pas de deux final, en investissant plus leur partenariat d’un enjeu émotionnel. Le tout jeune David Yudes incarne un Puck délicieusement bondissant (matinée du 3) : voilà un personnage qui donne l’air de ne pas savoir ce qu’il fait, mais le fait diablement bien.

Réglées sur César Franck, les Symphonic Variations (1946) ont l’allure d’une conversation entre musique et danse. La chorégraphie, simple et pure, requiert des six interprètes, présents sur scène en permanence, une concentration olympienne. Dès le premier mouvement de leurs bras, l’unité de style entre Yuhui Choe, Marianela Nuñez et Yasmine Naghdi frappe et enchante. Vadim Muntagirov se montre apollinien : ce danseur – accompagné de James Hay et Tristan Dyer – a un mouvement tellement naturel qu’il en paraît presque désinvolte. Avec eux, tout semble couler de source (soirée du 2 juin). La distribution du 3 juin, réunissant Lauren Cuthbertson, Yasmine Naghdi et Leticia Stock (côté filles) ainsi que Reece Clarke, Benjamin Ella et Joseph Sissens (côté garçons) fait aussi preuve d’une jolie unité, mais la concentration est malheureusement perturbée en cours de route par un problème de costume qui se détache pour Clarke.

Dans Marguerite et Armand (1963), créé pour Margot Fonteyn et Rudolf Noureev, Ashton a condensé le drame d’Alexandre Dumas en cinq épisodes : un prologue, puis, en quatre stations rétrospectives, la rencontre, la vie à la campagne, l’insulte, et la mort de la Dame aux Camélias. Dans un décor kabuki dû à Cecil Beaton, l’économie narrative est maximale : deux gestes de la main suffisent au père d’Armand (Gary Avis) pour dire à Marguerite « ta beauté se fanera bientôt« , et un petit regard vers le collier qu’il lui a offert suffit au Duc (Alastair Marriott) pour dire à Marguerite qu’elle se doit à lui. À la fin de la scène de la campagne Marguerite se lance vers l’amant qu’elle a résolu de quitter, mais une fois dans ses bras, lui tourne le dos. Ce schéma se répète quasiment jusqu’à la fin : le regard des deux amants ne coïncide quasiment plus jamais. Elle l’aime et le quitte, il l’aime et l’humilie, il revient trop tard, la serre dans ses bras et elle n’est déjà plus là. La différence d’âge entre Alessandra Ferri et Federico Bonelli rappelle celle qui existait entre les deux créateurs du rôle, mais c’est surtout la fébrilité et l’intensité de leur partenariat qui emporte l’adhésion. Bonelli a un petit truc qui marche à tous les coups – un petit tremblement dans les doigts – pour communiquer l’émotion qui l’assaille, et rendre au mouvement sa vérité dramatique (lors du piqué arabesque de la scène de la rencontre, que les danseurs narcissiques transforment en « c’est moi ! », il dit plus justement : « je suis à toi »). L’interprétation d’Alessandra Ferri prend aux tripes : au-delà de la beauté des lignes, de la fragilité maîtrisée – l’impression que sa pointe ne tient qu’à un fil et son dos à un souffle – il y a un regard d’amoureuse mourante à fendre les pierres (matinée du 3 juin).

C’est injuste, mais certaines personnes sont bêtement jolies. Quand Roberto Bolle interprète Armand, il exécute tout ce que dit la chorégraphie, en omettant le sens : on voit des moulinets des bras et non de la fureur, des grimaces et non de la douleur. C’est dommage pour Zenaida Yanowsky, qui fait ses adieux à la scène londonienne sur le rôle de Marguerite, et met tout son talent à projeter une impression de consomption que la force de son physique contredit. La performance impressionne mais n’émeut pas aux larmes.

Symphonic Variations. Photo Tristram Kenton, courtesy of ROH

Symphonic Variations. Photo Tristram Kenton, courtesy of ROH

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Anna-Stasia: qui s’en soucie?

Anastasia, P1000939Royal Ballet – matinée du 12 novembre

Rien n’illustre mieux la différence d’état spirituel des nations française et britannique qu’une comparaison des répertoires de l’Opéra de Paris et du Royal Ballet. Au sud de la Manche, prédomine la suspicion sur les créations du passé : « tout cela n’est-il pas poussiéreux, le chorégraphe était-il bien net, ne vaut-il pas mieux enfin embrasser la modernité ? », répète-t-on à Paris depuis des lustres – certains disent depuis la création de l’Académie royale de danse en 1661. Au nord du Channel, et après moins d’un siècle d’existence, le Royal Ballet chérit son héritage au point de montrer régulièrement tous les joyaux de sa couronne, mais aussi de resservir par intermittence quelques pièces mineures qui, sous d’autres cieux, n’auraient pas passé le cap du temps : « c’est peut-être une croûte, mais c’est notre croûte ! », semble être le motto des fidèles programmateurs londoniens (en anglais – ou serait-ce du franpied ? –, on dit d’ailleurs : « Art or Crap, my Daub »).

C’est ainsi que malgré son intérêt principalement archéologique, The Invitation (1960) de Kenneth MacMillan a été remonté l’année dernière, et que cette saison, on a sorti Anastasia (1971) de placards déjà rouverts en grand en 1996, 1997 et 2004 (oui, Marie-Agnès, tu peux être jalouse).

Foin de moqueries : il existe des œuvres qui méritent une deuxième chance, comme The Prince of the Pagodas (1989), qui a connu avec succès une nouvelle production en 2012. Et puis, la familiarité avec un répertoire propre est ce qui fait le charme comme le style des compagnies de danse. Le revers de la médaille est qu’on ne saurait exhumer tous les jours des chefs-d’œuvre, espèce par nature rare (non Marie-Agnès, je ne parle pas de Sous apparence).

Comme on sait, Anastasia est une œuvre hybride, créée en deux temps : en 1967, MacMillan créa, pour le Deutsche Oper, un ballet en un acte centré sur le personnage d’Anna Anderson, patiente amnésique d’un hôpital psychiatrique berlinois, qui prétendit être la dernière des quatre filles du tsar Nicolas II. Revenu à Londres, il ajouta deux actes centrés sur la jeunesse d’Anastasia. Le doute sur l’identité de l’héroïne n’a pas survécu aux analyses ADN (on sait à présent qu’Anna Anderson n’était pas la dernière des Romanov), mais au début des années 1970, on pouvait imaginer qu’Anna-Anastasia, traumatisée par l’exécution de sa famille durant la révolution russe, revoyait son passé à travers la dentelle des songes (ou bien qu’une amnésique s’inventait des souvenirs par la grâce des films d’archives).

Le premier acte se déroule sur le yacht impérial, en août 1914, lors d’un pique-nique au cours duquel le tsar apprend la déclaration de guerre de l’Allemagne, tandis que le second nous transporte en 1917 à Petrograd, pour un bal de présentation à la cour de la dernière fille de Nicolas II, interrompu par la révolution russe. Pour ceux qui prennent les événements au sérieux, on notera que les grèves et manifestations du début de l’année n’ont rien du cliché bolchévique-incendiaire-à-drapeau-rouge que nous montre MacMillan (confondant manifestement février et  octobre). Qui dit Russie impériale dit Tchaïkovski (continuons vaillamment dans les associations automatiques), dont les première et troisième symphonies sont mobilisées pour les deux premiers actes, tandis que – marquant le gouffre entre l’avant et l’après 1917 – le troisième acte est réglé sur les Fantaisies symphoniques de Martinu.

La différence de style entre les deux premières parties et la dernière est voulue, mais le collage est bancal et la narration en est désarticulée. Y en a-t-il une, d’ailleurs ? Lors de la scène du pique-nique, on peine à prendre un intérêt pour les personnages. Quelque chose distingue-t-il les trois grandes sœurs d’Anastasia ? Que viennent faire les trois officiers enchaînant les sauts sans reprise d’appel (Reece Clarke, Matthew Ball et Valentino Zucchetti sont plaisants à voir dans ces démonstrations), qu’apportent leurs homologues en costume de bain? Lauren Cuthbertson campe joliment une jeune fille gracile, mais le personnage d’Anastasia n’est guère qu’une esquisse. Qui plus est, la chorégraphie peine à donner le sentiment d’une nécessité ou d’une connexion – dramatique ou simplement organique – avec la musique.

Cela ne s’arrange guère au deuxième acte, où l’on pense en permanence à Diamonds (avantage Balanchine). Qui plus est, la chorégraphie réglée pour le corps de ballet est d’une platitude lassante. On se demande aussi, alors que la famille impériale est vêtue à l’occidentale, pourquoi les invitées sont déguisées en babouchka emperlousées. De micro-événements – un accident du tsarévitch hémophile, soigné par Raspoutine ; la prestation de la ballerine Mathilde Kschessinska, ancienne maîtresse de Nicolas II – peinent à soutenir l’attention. Dans l’ingrat rôle de Raspoutine, Eric Underwood oublie d’avoir une présence. Sarah Lamb est toute de délicatesse dans son pas de deux imitation Petipa, aux côtés d’un Federico Bonelli pas à son meilleur (ce type de partition n’est pas pour lui).

Tout cela est décoratif et plat. Quand vient le troisième acte, chorégraphiquement plus intrigant (sur le mode expressionniste), et durant lequel Cuthbertson réussit à la fois à être expressive et sobre, on a déjà un peu décroché. D’accord, le passé et le présent se mélangent, soit, on revit le traumatisme du massacre de la famille à Ekaterinbourg, mais pourquoi le mari d’Anna a-t-il les traits du quatrième officier endimanché du premier acte (Thomas Whitehead) ? La danse avec fusil des soldats donne envie de revoir Le détachement féminin rouge, et on ne comprend pas ce que le frère de l’héroïne (Fernando Montaño) vient faire dans cette galère.

Jann Parry, la biographe de MacMillan explique dans le programme qu’il faut voir en Anastasia-Anna un des personnages réprouvés et torturés qu’affectionnait Sir Kenneth (le témoignage de Deborah MacMillan, qui signe cette production, et dont l’activisme fait beaucoup pour la reprise d’œuvres méconnues de son défunt époux, dit peu ou prou la même chose). Anastasia, un garçon manqué au premier acte, et une jeune fille en marge de la cour au second, comme Rudolf ? Ça ne saute en rien aux yeux, et c’est vraiment solliciter une œuvre qu’on peut voir, au mieux, comme un brouillon.

Anastasia - Lauren Cuthbertson - Photographed by Tristram Kenton, courtesy of ROH

Anastasia – Lauren Cuthbertson – Photographed by Tristram Kenton, courtesy of ROH

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Si tu ne m’aimes, prends garde aux tiens

P1000939Frankenstein, Royal Ballet. Chorégraphie de Liam Scarlett. Musique de Lowell Liebermann. Décors de John MacFarlane. Orchestre du Royal Opera House dirigé par Koen Kessels.

Ayant lu le roman de Mary Shelley quelques heures à peine avant d’en découvrir l’adaptation chorégraphique, je me demandais comment une intrigue assez tortueuse et, au fond, plus morale que fantastique, trouverait sa traduction scénique. À rebours du mythe cinématographique à gros boulons sur la boîte crânienne, Frankenstein (ou Le Prométhée moderne) donne en effet la part belle à l’intériorité des personnages, en particulier Victor Frankenstein le démiurge, mais aussi sa Créature malheureuse, dont les tourments ont autant de relief que les pérégrinations. Le monstre se forme en cachette – il a appris le langage des humains, lit Milton, Plutarque et Goethe ! – et sa sensibilité le porterait au bien si son créateur ne l’avait renié avec dégoût, et si tous ne se détournaient de lui avec horreur et mépris.

Alors que le roman abonde en acteurs secondaires et épisodes enchâssés, voyage en Écosse et frissonne aux abords du Pôle Nord, Liam Scarlett rapatrie tous les personnages au sein du cercle familial, et condense l’action sur deux lieux : la maison de la famille Frankenstein à Genève, et l’université d’Ingolstadt (Bavière), où Victor, profondément affecté par le décès récent de sa mère, et se jetant à corps perdu dans la physique et la chimie, se met en tête d’animer la matière morte (cela lui prend deux ans ; sur scène, heureusement, effets stroboscopiques et pyrotechniques plient l’affaire en dix minutes, vive l’électricité). Le synopsis, quoique touffu, est plutôt lisible ; par exemple, le passage de l’affection enfantine à l’amour entre Victor et Elizabeth Lavenza, petite orpheline recueillie par la famille, est joliment rendu. Il y a une exception, cependant : dans le roman, la Créature tue William, le petit frère de Victor, puis se débrouille pour faire accuser Justine Moritz, la nounou du gamin ; sur scène, ce passage est éludé, et de nombreux spectateurs se demandent comment le médaillon que portait William est passé des mains de la Créature aux poches de la jeune fille.

Mais c’est un détail : le chorégraphe concentre le propos sur l’humanité malheureuse du monstre, et transpose habilement certains passages. Dans le roman, la seule personne qui écoute la Créature sans la rejeter est un vieil aveugle ; ici, à la faveur d’un jeu de colin-maillard, le petit William danse avec lui, dans un poignant pas de deux tout de naïveté enfantine et de tendresse précaire (bien sûr, le gosse commet la bévue d’enlever son bandeau et de se mettre à hurler, scellant son sort). Autre bonne idée, au premier acte, une scène de taverne à Ingolstadt met en exergue la solitude studieuse de Frankenstein ; on se croit au premier abord dans une copie des scènes de beuverie à la MacMillan, mais le sens de la scène change quand étudiants, laborantines et filles en cheveux se mettent à harceler le seul ami de Victor, Henry Clerval, soudain victime d’une glaçante cruauté de meute.

À part cet épisode, les passages dévolus au corps de ballet sont un gros point faible de l’œuvre. Histoire de faire danser un peu la troupe, Scarlett dote la famille Frankenstein d’une nombreuse domesticité (acte I). Mais cette transposition est un contresens : le père Frankenstein est une figure de la ville de Genève, pas un aristocrate en son manoir. « Les institutions républicaines de notre pays ont engendré des coutumes plus simples et plus souples que celles prévalant dans les grandes monarchies voisines », lit-on dans le roman. Il est donc assez ballot de faire danser un menuet guindé aux invités de l’anniversaire de William (acte 2) et maladroit de faire du mariage entre Victor et Elizabeth (acte 3), l’occasion d’un grand bal décalqué de La Valse d’Ashton, avec invités en habits scintillants et froufroutants au pied d’un grand escalier ridiculement Broadway. Cette typification sociale paresseuse ne serait pas si grave –  je ne plaide pas la fidélité à l’œuvre de Mary Shelley – si elle ne recouvrait une lassante unicité d’inspiration. Or, le secret d’un ballet en trois actes réussi réside aussi dans la variété. Scarlett aurait dû inventer n’importe quoi – une gigue genevoise, un branle alpin, une farandole yodlée, que sais-je – plutôt que de faire danser tout le monde pareil tout le temps, en accumulant jusqu’à plus soif des formules chorégraphiques éculées.

Deux distributions principales ont porté cette création (le duo Nuñez/Muntagirov a été retiré tardivement). Avec Sarah Lamb en Elizabeth et Tristan Dyer en Victor, tout est propre mais désincarné. Au début du pas de deux central, quand Frankenstein commence à être ravagé par la culpabilité et l’angoisse, Sarah Lamb avance, recule, avance à nouveau, c’est joli et tout lisse (soirée du 17 mai). Quand Laura Morera effectue le même pas, elle donne à voir l’hésitation de la fiancée aimante face à un homme qu’elle doit ré-apprivoiser. Le partenariat avec Federico Bonelli, moins fluide mais plus investi, fait ressortir les arêtes de la relation (soirée du 18 mai). Ce qui, avec le premier « cast », semblait sans nécessité profonde, intrigue et passionne avec le second. Par sa noirceur et son impétuosité, Bonelli parvient même à donner la chair de poule lors de la séquence où il redonne vie à un cadavre démantibulé (on voit clairement que l’expérience est conçue dans le fol espoir de faire revivre sa mère). Dans le rôle de l’ectoplasme à la fougue animale, Steven McRae déploie une étonnante palette d’expressions, passant en un clin d’œil de la douceur maladroite à la rage destructrice. Il suffirait d’une parcelle d’amour, que personne ne lui donnera jamais, pour faire de lui une simple mocheté moralement charmante.

Avec cette distribution, la séquence finale, qui voit le Chauve à cicatrices trucider Henry (Alexander Campbell) puis étrangler Elizabeth (pourtant, Morera crie grâce avec une éloquence à émouvoir les pierres), puis se battre avec Victor, est d’une rare intensité. La remarque vaut en fait pour l’ensemble du cast (avec une mention spéciale pour la Justine de Meaghan Grace Hinkis et l’incarnation de William par le petit Guillem Cabrera Espinach), qui porte le drame de manière beaucoup plus convaincante que l’équipe, conventionnellement jolie et lisse, accompagnant Lamb et Dyer.

Steven McRae et Federico Bonelli - © ROH 2016 - Photographie d'Andrej Uspenski

Steven McRae et Federico Bonelli – © ROH 2016 – Photographie d’Andrej Uspenski

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Royal Ballet : Acrobates, artistes, saltimbanques

P1000939Londres, Royal Opera House. Le 5 décembre 2015 (matinée et soirée).

Le Royal Ballet ne marque pas d’emblée par la cohérence thématique de ses programmes. Souvent, la structure des triple bills est « deux reprises – un Ever Green et une pièce moins connue – et une création ». Une pièce plus légère ou plus brillante est toujours là pour contrebalancer une œuvre plus sombre. La gestion des humeurs semble donc passer sur le devant là où, à Paris, on pouvait, surtout sous la précédente direction, être invité à rester dans le même état d’esprit (fut-il très sombre).

Pour cette soirée londonienne, le thème « Ashton/musique française » m’apparaissait encore une fois un peu artificiel. Monotones, sur la musique de Satie, incursion dans le répertoire abstrait d’un maître du ballet narratif était associé à la reprise d’une curiosité que je ne connaissais que par de vieilles photographies avec Lynn Seymour, Les deux pigeons, sur la pimpante partition d’André Messager. Plus tard dans la saison, ce ballet sera d’ailleurs repris avec un autre Ashton, Rhapsody.

Pourtant, on est surpris de la communauté d’âme de ces deux ballets à l’atmosphère si différente.

Le trio blanc : Watson, Nunez, Hristov et le trio vert : Maguire, Dyer et Naghdi

Le trio blanc : Watson, Nunez, Hristov et le trio vert : Maguire, Dyer et Naghdi

Dans Monotones I-II, deux trios se succèdent et égrènent une partition « d’école » subtilement pervertie. Dans le premier trio, vert – un garçon, deux filles -, sur les Gnossiennes, les poses  terriennes se succèdent avec une régularité « métronomique »; à première vue du moins. Car il émane de cette chorégraphie usant du développé sur plié avec torsion du buste une singulière atmosphère de concentration presque religieuse. Refusant tout pathos, la chorégraphie se colore aux accents (parfois un peu lourdement) orientalistes de la musique de Satie revue par John Lanchbery. Tristan Dyer, Yasmine Naghdi et Emma Maguire semblent absorbés dans l’écoute de leurs mouvements concertants. Est-ce l’effet des éclairages rendant presque fluorescents les costumes improbables aux cols et ceintures couverts de strass avec de petites calottes à boutons? Nos trois comparses ressemblent à des trapézistes ou à des danseurs de corde répétant posément leurs passes au sol afin d’éviter l’accident fatal lors du spectacle. En comparaison, le trio blanc – une fille, deux garçons – sur les Gymnopédies, pourrait évoquer des contorsionnistes (la première passe consiste pour les garçons à relever la fille d’un grand écart le buste penché sur la jambe de devant sur sa jambe arrière sans qu’elle altère sa positon) mais très vite, le lyrisme s’invite dans l’enchaînement. Les garçons (Edward Watson, qui a toujours une aura de poète et Valeri Hristov très élégant) font tourner leur partenaire (Marianela Nuñez) en faisant des ports de bras qui suggèrent qu’elle est comme une corde tendue. Au même moment, c’est la harpe qui joue dans la fosse d’orchestre. Dans les pirouettes, ils ajoutent de subtils décentrés de la tête. Mademoiselle Nuñez est un choix parfait pour ce mouvement. Elle en a déjà la ligne requise mais surtout cette douceur presque maternelle qui se dégage de sa danse et qui rend les mouvements les plus incisifs et techniques comme amicaux et bleutés. Ce trio blanc évoque plutôt la conversation muette de quelques astres ayant pris subrepticement la forme d’une colombine entourée de deux pierrots.

Ma voisine me glisse à l’oreille pendant les applaudissements « Picasso, périodes bleue et rose… » Comme elle a raison!

The Two Pigeons. Une vue plongeante sur le vieux Paris

The Two Pigeons. Une vue plongeante sur le vieux Paris

Avec The two pigeons, on quitte les acrobates  pour entrer dans la bohème parisienne qui flirte avec les saltimbanques. Ashton a balayé l’exotisme européen du ballet original (situé d’abord Thessalie en 1886 puis relocalisé en Hongrie en 1894) pour un tout autre : le Paris artiste des hauteurs de Montmartre à mi-chemin entre le second empire et la troisième République. Le premier acte s’ouvre sur un charmant décor d’atelier parisien avec une grande baie vitrée, laissant deviner une vue plongeante sur la ville lumière, s’ouvrant sur un petit balcon en fonte. Il n’y a plus de Gourouli, de Djali et autres Peppios mais une jeune fille, un jeune peintre, une gitane et ses comparses. Il n’est pas certain du tout que la transposition donne plus d’épaisseur à l’argument d’origine déjà pauvret; bien au contraire. Appelés depuis une fenêtre à quelque septième étage sans ascenseur au dessus de la chaussée, une troupe de gitans dépoitraillés fait son entrée dans l’appartement à peine 15 secondes plus tard sans une trace d’essoufflement. Le lieu a d’ailleurs déjà été envahi par une cohorte de jolies jeunes filles  aux coquettes robes assorties et par une dame plus âgée dont on a vite renoncé a déterminer le rôle. Dans ce Deux Pigeons, la jeune fille ne court pas à la poursuite de son amant volage pour le reconquérir mais reste sagement dans l’appartement à attendre qu’il aille se faire plumer sous d’autres cieux avant de revenir tout repentant au bercail.

Pourtant, on aurait tort de penser que le ballet ne fonctionne pas. Comme Monotones vous raconte une curieuse histoire déguisé en ballet abstrait, Pigeons vous focalise sur l’expressivité de la chorégraphie sous couvert d’un ballet d’action.

Comme il l’avait fait l’année précédente pour sa Fille mal gardée, Frederick Ashton prend un détail de l’argument et le monte en épingle pour atteindre l’allégorie. Dans la Fille, c’était le ruban de Lise que Colas attache à son bâton. Dans Two Pigeons, ce sont les volatiles eux-mêmes, guère plus qu’une référence dans le ballet de Mérante-Aveline, qui prennent force de symbole. La jeune fille voit en effet un couple de pigeons passer par la fenêtre et compare ce couple au sien. Lorsque le peintre part à l’aventure, il est suivi par le mâle qui vole dans sa direction. À la fin de la première scène de l’acte 2, l’imprudent jeune homme, malmené et humilié, est rejoint par l’oiseau. Lorsqu’il passe de nouveau la porte de son galetas, il le porte sur l’épaule. Enfin, tandis que les amants renouent leur lien un temps brisé, le deuxième pigeon vient rejoindre son comparse sur le dos du fauteuil (enfin, quand les capricieux volatiles sont disposés à le faire ; ce qui ne semble pas un mince affaire).

Akane Takada et James Hay : une hirondelle et un oiseau bleu

Akane Takada et James Hay : une hirondelle et un oiseau bleu

Mais pour aller plus loin, Ashton a fait de ses danseurs eux-mêmes de charmants volatiles. Au lever de rideau, la jeune fille, censée poser pour son peintre, ne tient pas en place, elle ressemble à un oiseau à la recherche de grains à picorer. Dans les  pas de deux, un petit mouvement d’épaules coquet vers l’arrière avec les mains plantées sur les hanches simule à merveille l’ébrouement des ailes dans un bain d’oiseau. De petits relâchés du bas de jambe, pourtant montée très haut en 4e devant chez la fille, font froufrouter le tutu comme l’arrière-train emplumé d’un colombidé. En matinée, Akane Takada, le battement facile, est charmante dans la scène de pose mais dans le pas de deux « des pigeons », son côté incisif évoque plutôt une hirondelle affairée. Son partenaire, l’aérien James Hay, quant à lui, mime un peu trop l’Oiseau bleu.

En soirée, Yuhui Choe, la danse toute en rondeur, est une vraie tourterelle. Elle emporte dans son sillage son peintre, Alexander Campbell qui semblait seulement la singer au début, mais qui finit lui aussi par ressembler à une jolie colombe. Le timing de ce deuxième couple est assez irrésistible. Dans la première scène de rivalité avec la gitane, la façon dont Campbell escamote Choe, qui s’est lancée dans une joute chorégraphique (sur la variation de Djali de la version parisienne), est à la fois drôle et touchante. Il ne se débarrasse pas vraiment d’elle, il semble vouloir la faire échapper au ridicule.

On a d’ailleurs préféré la gitane de cette deuxième distribution. Le physique moins « capiteux » que sa devancière en matinée, Itziar Mendizabal est impayable lorsqu’elle agite les franges dorées de son corsage. Dans l’acte 2, celui du camp gitan, sa duplicité d’oiseau de mauvais augure est fort bien orchestrée dans pas de deux avec le chef bohémien (Tomas Mock). La scène coule alors de source là où, dans l’après midi, elle tirait un peu en longueur. Mais ces péripéties ne nous retiennent pas plus que cela. On attend de se retrouver dans l’atelier d’artiste ou on avait vu Choe littéralement fondre de douleur au pied d’un escalier. Son peintre la retrouve dans la position d’Odette éplorée et, comme tout prince de ballet à l’acte blanc, il danse avec elle son acte de contrition.

Quelle apothéose pour ce programme entre acrobates, artistes et bohémiens orchestrée par un chorégraphe grand prestidigitateur.

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Un Don Quixote efficace

P1000939Le Don Quixote que signe Carlos Acosta pour le Royal Ballet – et qu’on peut voir au cinéma en direct le 16 octobre – a le charme et le parfum d’une bourgade portuaire. On y prend le frais au balcon de petites maisons en carton-pâte (facétieux décors mouvants de Tim Hatley), les pêcheurs apportent au marché leur panier de crabes, les amies de Kitri se coincent l’éventail dans le corsage pour avoir les mains libres, le chef des Gitans joue au méchant avec un couteau à peler les pommes, et Basilio le barbier commet son faux suicide avec un vrai coupe-chou.

Acosta ne cherche pas à réinventer le ballet de Petipa, plutôt à l’ancrer dans le réalisme et à en huiler les ressorts comiques, avec un sens du détail qui fait mouche. Il en fait aussi ressortir la discrète poésie, à travers de jolies idées pour insérer le personnage de Don Quichotte dans le récit, notamment le dédoublement de l’hidalgo pendant la scène du rêve, et le port de bras d’hommage que lui rendent tous les danseurs au final. Le cheval Rossinante est fait de paille et il est monté sur roulettes. Les costumes sont pittoresques mais sans façons, sauf au moment de la noce, pour laquelle on a, comme de juste, cassé la tirelire.

L’arrangement orchestral, mitonné avec humour par Martin Yates, est un des plaisirs de la soirée. La chorégraphie estampillée Acosta se signale plus par son efficacité que par sa sophistication. Sur scène, on danse, y compris sur charrette ou sur table, on tape dans ses mains (pas trop) et on crie (un peu trop). Tout cela marche assez bien dans l’ensemble, à l’exception d’un poussif deuxième acte. L’intermède gitan manque de mordant, même quand Bennet Gartside mène la danse (et pourtant il sait mettre du piment là où il faut), et les jeunes filles qui s’essaient au roulé de poignet sur un air de guitare ont la sensualité d’un bol de mayonnaise.

Et surtout, la scène des dryades n’a pas le bon ton. On peut admettre les grosses fleurs roses et les teintes multiples des tutus : après tout, nous sommes dans l’hallucination, et rien n’indique que Don Q. doive rêver en noir et blanc. Mais alors qu’il faudrait un peu de temps suspendu, l’orchestre enlève les variations à la hussarde. Dulcinée semble avoir un train à prendre, ce qui nous vaut des ronds de jambe sautillés sur pointe en accéléré et des arabesques qui n’ont pas le temps de se poser en l’air. C’est du gâchis (quelle que soit la ballerine, mais surtout pour Sarah Lamb, qui a le don des adages yeux mi-clos). La reine des dryades saute avec précaution et s’empêtre dans ses fouettés à l’italienne (Yuhui Choe s’y montre étonnamment décevante – soirée du 5 octobre et matinée du 6  – et Hayley Forskitt y est un peu verte). Le rôle de l’Amour est mieux servi, que ce soit par Meaghan Grace Hinkis (matinées du 5 et 6) ou Anna Rose O’Sullivan (soirée du 5), mais on regrette le grand frisson qu’offrent les bras des donzelles se répondant en volutes dans la version parisienne.

Le couple Kitri-Basilio incarné par Iana Salenko (venue du ballet de Berlin) et Steven McRae (soirée du 5) déclenche l’enthousiasme. Le rôle leur va à tous deux comme un gant : elle est charmante, vive et sensuelle, et a des équilibres très sûrs ; il prend toujours le temps d’un accent badin au cœur des enchaînements les plus difficiles. L’alliance du pince-sans-rire et de la maîtrise technique (avec, entre autres, une impeccable série de double-tours en l’air alternés avec un tour en retiré les doigts dans le nez) donne presque envie de crier « olé » (mais je me retiens, à Londres, je fais semblant d’être British).

Justement, les Anglais n’ont pas « dans leur ADN » les exagérations de DQ, estime Roslyn Sulcas, qui a vu la soirée de gala du 30 septembre (avec la distribution star Nuñez/Acosta), et a trouvé le corps de ballet et les solistes un peu inhibés. Peut-être l’étaient-ils le soir de la première, mais je ne partage pas vraiment l’analyse de la critique du New York Times : incidemment, parce que le Royal Ballet a un recrutement très international, et fondamentalement, parce qu’à mon sens, dans DQ, la virtuosité doit primer sur l’excès.

De ce point de vue, je reste un peu sur ma faim : le corps de ballet et les semi-solistes sont à fond, mais n’ont pas énormément d’occasions de briller, surtout dans les rôles féminins (en particulier, Mercedes, la copine d’Espada, est un peu sacrifiée par la chorégraphie), les passages comiques sont trop peu dansés (le duel Gamache/Don est en pantomime), et la réalisation n’est pas toujours aussi tirée au cordeau qu’on voudrait (quand les amies de Kitri ne sont pas en phase, ça tombe vraiment à plat).

Sarah Lamb (Kitri inattendue de la matinée du 6 octobre) surprend par des mimiques hilarantes, enchante par de jolis double-tours planés en attitude (à défaut d’équilibres souverains), aux côtés d’un Federico Bonelli blagueur et juvénile, mais pas aussi propre techniquement que McRae (matinée du 6). La matinée du 5 réunissait Alexander Campbell (avec des sauts qui veulent trop prouver) et Roberta Marquez (jolie mobilité du buste, mais concentrée sur la technique et du coup complètement fermée à l’émotion en Dulcinée).

La scène des dryades. Décors de Tim Hatley. photo Johan Persson, Courtesy of ROH.

La scène des dryades. Décors de Tim Hatley. photo Johan Persson, Courtesy of ROH.

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Mayerling : Il n’y a plus de prince charmant

P1000939Mayerling au Royal Opera House – Matinée du 3 mai – chorégraphie de Kenneth MacMillan; musique de Franz Liszt (arrangements John Lanchbery); livret de Gillian Freeman; décors de Nicholas Georgiadis. Avec Rupert Pennefather, Melissa Hamilton, Elizabeth Harrod, Tara-Brigitte Bhavnani, Laura McCulloch (Mitzi Caspar), MM. Hirano, Stepanek, Underwook, Montano (les Officiers hongrois), Gary Avis (Bay), Alexander Campbell (Bratfisch). Orchestre du Royal Opera House dirigé par Martin Yates.

 

Les ballets classiques, surtout si leur histoire est inspirée d’un conte, racontent généralement l’apprentissage de l’âge adulte. Mayerling, inspiré de faits réels, montre ce qui arrive après, une fois que l’éducation du prince a été ratée.

On n’a donné à Rudolf,  héritier de l’empire austro-hongrois, aucun tuteur pour pousser droit. C’est le prince dangereux : séduisant, séditieux, syphilitique et suicidaire. Il a manqué de vrais amis ; les quatre officiers hongrois qui le rallient à leur cause ressemblent davantage à des tourmenteurs de cour de récré, à qui on cède par force, qu’à des camarades avec qui l’on s’accorderait. Bratfisch, son cocher et amuseur, lui est sans doute sincèrement attaché, mais il n’est son égal qu’en débauche.

Côté femmes, il a le choix entre le glaçon (son impératrice de mère), l’oie blanche (sa femme Stéphanie), l’ancien collage (Larisch, ex-maîtresse qui est aussi sa cousine), la professionnelle (Mitzi Caspar) et l’illuminée (Mary Vetsera, qui croit à un grand destin romantique avec lui, et révélera ses pulsions de destruction). Côté béquilles, il a l’alcool et les piquouzes.

La compréhension du ballet requiert une petite dose de préparation, ainsi qu’un bon coup d’œil pour repérer sans hésiter les personnages malgré les changements de costume. Si l’on a la chance d’être proche de la scène, le ciselé de la narration saute aux yeux. C’est parce que sa mère l’ignore que Rudolf courtise publiquement sa nouvelle belle-sœur. L’impératrice, si raide avec son fils, danse délié en privé avec ses suivantes, et paraît comme rajeunie en tête à tête avec son amant (Tara-Brigitte Bhavnani maîtrise très bien ces changements de registre). Dans la taverne louche où Rudolf a traîné son épouse Stéphanie, Bratfisch la traite bien légèrement, en lui confiant son chapeau le temps d’un tour de danse ; et c’est sans doute exprès que la parade des prostituées, qui finit par la faire fuir, est repoussante de platitude. Vers la fin, Bratfisch (dansé par Alexander Campbell) a le désespoir du chien fidèle quand il échoue à distraire ses maîtres.

Jan Parry, biographe de Kenneth MacMillan, dit que, toutes proportions gardées, le chorégraphe s’identifiait aux névroses de Rudolf. Sans doute – et c’est la force comme la limite de ce ballet – le spectateur réagit-il aussi en fonction de sa capacité d’empathie avec les personnages. Les scènes les plus touchantes, à mon sens, sont celles où l’accord ne se fait pas : le pas de deux où Rudolf échoue à susciter la tendresse de sa mère (acte 1, scène 2), l’adieu avec la comtesse Larisch (quelques moments à peine dansés à l’acte 3, où Itziar Mendizabal se révèle presque maternelle), et surtout, la violente nuit de noces avec Stéphanie, où les bras et les jambes de l’épouse tétanisée volent comme des baguettes de bois (Elizabeth Harrod s’y montre bouleversante).

A contrario, les pas de deux entre Mary Vetsera et Rudolf, techniquement impressionnants, sont plus frappants qu’émouvants : la première rencontre nocturne est une confrontation, durant laquelle la jeune fille s’impose à son partenaire par son audace sexuelle et son jeu avec les armes à feu (acte II, scène 5). Dans leur dernière scène, l’échange regorge de passion fusionnelle, mais – quoi qu’on pense de l’influence des psychotropes – le suicide final est une décision libre et, apparemment, commune. Rien à voir avec un coup du destin.

Rupert Pennefather, que certains spectateurs londoniens trouvent fade, joue finement du contraste entre ses lignes idéales et les névroses de son personnage. L’extérieur est poli, l’intérieur torturé (ce jeu à deux faces s’accorde très bien avec celui de Melissa Hamilton, très feu sous la glace). Quand il manque de tuer son père à la carabine (acte III, scène 1), on le croirait presque innocent.

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Soirée mixte à Londres : Avantage Balanchine

P1000939Royal Ballet – programme mixte Balanchine, Ratmansky, Wheeldon (Représentations des 22 et 23 février 2013).

Le Royal Ballet a accueilli ce week-end deux créations mondiales. Alexei Ratmansky ayant entendu sur internet une orchestration très dispensable, due à Jean Françaix, des 24 préludes de Chopin, il a décidé de les chorégraphier. Dégoulinades sonores, fond de ciels nuageux aux couleurs changeantes, costumes aux reflets argentés : bienvenue dans l’univers du chromo. Que le chorégraphe russe soit réclamé sur toute la planète est pour moi un des grands mystères du monde moderne. Son absence de musicalité, en particulier, me paraît criante. Chopin, ça chante comme du Bellini, il suffirait de le laisser respirer pour que les émotions affleurent. Mais il faut à Ratmansky caler sur ses huit danseurs le maximum de sauts et de tours en un minimum de temps. Ça veut faire riche et ce n’est qu’agité. En six secondes de mouvement lent, Sarah Lamb a déjà effectué deux échappés sur pointe et trois développés arabesque. C’est Stakhanov sur Tamise. Certains préludes étant très brefs, Ratmansky crée une ambiance en quelques gestes. Certains solos sont d’efficaces vignettes à clin d’œil final. Mais on reste dans le superficiel : Edward Watson part en ayant l’air de dire « passons à autre chose », Steven McRae sort sur « j’arrête tout ». Nous sommes loin de l’humour discret et vibrant de Dances at a Gathering (rappelez-vous le moulinet du « tant pis », si drôle et touchant de la danseuse en vert amande assumant crânement sa solitude…). Quant aux histoires de couple, elles peinent à intéresser au-delà de l’anecdote (douce romance, flirt à trois, quatuors réversibles, dispute de couple, etc.), et accumulent les difficultés gratuites plus qu’elles ne développent un propos (pensez à In the Night, pleurez et essayez d’oublier).

Aeternum, de Christopher Wheeldon, est réglé sur la Sinfonia da Requiem (1941) de Benjamin Britten, dont on fête cette année le centenaire. Le choix d’une telle pièce musicale fait écho au geste de MacMillan chorégraphiant Fauré, Mahler et Poulenc. On songe à son Requiem (1973), pour l’initiale ambiance funéraire, et, pour le consolant duo final, à son Gloria (1980). Mais Wheeldon a son style et ses idées, qui laissent place à l’imaginaire du spectateur. Au début, un mouvement boiteux anime les danseurs : les danseurs, alternativement pliés en deux et couchés, avancent sur une seule jambe ; elle lâche soudainement, et l’autre prend le relais. Tout se passe comme s’ils ne pouvaient utiliser les deux à la fois. Au centre de la scène –  Marianela Nuñez dans la distribution de la première, Claire Calvert dans celle du lendemain – la ballerine saisit sa jambe au plus près de son buste, et pointe son pied vers la scène comme s’il était le canon d’une mitraillette. Le Lacrymosa fait place à un furieux second mouvement, électrisé par l’ombre projetée d’un magma d’épluchures de bois (design de Jean-Marc Puissant). Wheeldon, qui a souvent tendance à trop architecturer ses pas de deux ou ses mouvements d’ensemble, livre ici une création plus fluide, moins soucieuse de pose photogénique que d’énergie (Dies Irae) et de sens (Requiem Aeternam).

La pièce la plus réussie du programme n’en reste pas moins l’Apollo de Balanchine, qui est dansé à Londres avec la scène de la naissance (Christina Arestis y est superbe en Leto enfantant). Carlos Acosta est un Apollon joueur, plus charmant qu’autoritaire. Federico Bonelli fait d’emblée demi-dieu : la maladresse des premiers pas, le grand n’importe quoi de l’adolescence, sont gommés. Les trios de muses sont bien assortis (avec Acosta : Nuñez-Terpsichore moelleuse et musicale, Cowley-Calliope expressive, Mendizabal-Polhymnie incisive ; avec Bonelli, et dans le même ordre : Hamilton, Kobayashi et Choe).

Le contraste est trop cruel : Balanchine a le bénéfice d’une musique faite pour le ballet, et en 1928, il devait déjà savoir que la beauté n’est pas dans la plate addition de virtuosités démonstratives.

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Royal Ballet décembre 2012 : Du feu dans la nuit étoilée

P1000939Royal Opera House – Représentations du 29 décembre 2012. Firebird : Mendizabal, Gartside, Bhavnani, Avis (matinée) ; Galeazzi ,Watson, Arestis, Marriott (soirée) ; In the Night : Lamb/Bonelli, Kobayashi/Pennefather, Cojocaru/Kobborg (matinée) ; Maguire/Campbell, Yanowsky/Kish, Marquez/Acosta (soirée) ; Raymonda (Acte III) : Cojocaru/McRae (matinée) ; Yanowsky/Hirano (soirée) ; Orchestre dirigé par Barry Wordsworth ; piano solo : Robert Clark.

 

L’Oiseau de feu est un ballet qui plaît aux enfants – les trois petites filles qui étaient devant moi pendant la matinée n’ont pas moufté, alors qu’elles n’ont pas tenu tout In the night et ne sont pas revenues pour Raymonda –, mais pas forcément aux jeunes, qui ne veulent plus croire aux contes, et que la profusion des motifs déroute (j’ai vécu une expérience similaire la première fois que j’ai vu Petrouchka). Pour ma part, je ne sais pas ce que j’aime le plus dans ce ballet : la magnificence musicale, l’invention des costumes, la variété des ambiances et des styles, ou encore le majestueux hiératisme de la scène du couronnement, qui permet d’admirer, pendant quelques précieux instants, le rideau de scène créé par Natalya Goncharova en 1926. Itziar Mendizabal danse avec une fougue animale. On a parfois l’impression, à certains frémissements des bras, ou à l’abandon du haut du corps quand elle est rompue de fatigue, que ses ailes ont une vie propre. Mara Galeazzi, qui interprète le rôle de l’Oiseau en soirée, est plus humaine et contrôlée. Du coup, la confrontation avec Ivan Tsarevitch change de sens : nous ne voyons plus un oiseau et un rustaud (Bennet Gartside), mais une femme et un brutal (l’altier Edward Watson). La rencontre avec la belle Tsarevna, en revanche, est toujours la découverte d’un monde laiteux, tout en courbes – celles que dessinent les trajectoires des pommes, les mouvements alternativement convexes et concaves des bras des princesses enchantées, ou encore les enroulements autour des deux amoureux, qui leur donnent le temps de se rencontrer. Parmi les princesses enchantées, on remarque en matinée la douce et frêle Christina Arestis, qui sera en soirée une touchante Tsarevna. Changement d’ambiance avec l’apparition, puis la ronde folle, des Indiens, des femmes de Kotscheï, des jeunes, des Kikimoras, des Bolibotchki et des monstres virevoltant autour de l’immortel magicien (Gary Avis jouant au méchant, et Alastair Marriott au vieillard). À l’issue de la confrontation, l’impression du spectateur diverge à nouveau selon la distribution : Bennet Gartside fait penser au faux Dmitri dans Boris Godounov (je rejoins à cet égard les impressions de Cléopold), tandis que Watson sait manifestement être l’héritier légitime.

Dans In the Night, Alina Cojocaru et Johan Kobborg donnent à voir une scène de la vie conjugale d’une intensité rare. Elle est un tourbillon émotionnel, et danse sans prudence, à charge pour son partenaire de suivre. C’est passionnant, mais si volcanique que les épisodes précédents – les commencements avec Sarah Lamb et Federico Bonelli, la maturité un peu plan-plan avec Rupert Pennefather et Hikaru Kobayashi – paraissent bien trop linéaires. Même si moins explosif, le cast de la soirée présente une narration dans l’ensemble plus équilibrée : les jeunes amoureux campés par Emma Maguire et Alexander Campbell ont le partenariat joueur, Zenaida Yanowsky et Nehemiah Kish font penser au feu sous la glace, et Roberta Marquez joue la passion latine avec Carlos Acosta et une pointe d’humour.

L’acte III de Raymonda réunit en matinée Alina Cojocaru (épousée rêveuse, qui interprète la variation de la claque comme pour elle-même) et Steven McRae (danseur noble, rapide et précis). On ne peut pas imaginer plus grand contraste avec la distribution du soir : Zenaida Yanowski n’a pas la douceur de Cojocaru, dont la danse semble toujours couler de source ; elle a d’autres qualités : la sûreté technique, et un sens aigu de sa capacité de séduction. Voilà une ballerine qui mange les spectateurs du regard.  Son partenaire Ryoichi Hirano n’essaie pas d’approcher les complications de la chorégraphie de Noureev (alors que Steven McRae en insère méticuleusement les subtilités dans sa variation; Ricardo Cervera, qui interprète la danse hongroise midi et soir, réussit aussi l’alliance grisante entre classicisme et caractère). Les idiosyncrasies hungarisantes de la chorégraphie sont d’ailleurs bien mieux servies par le corps de ballet et les demi-solistes en matinée qu’en soirée – notamment avec un pas de quatre des garçons au cours duquel James Hay se distingue, tant pour les tours en l’air que les entrechats.

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