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A Londres : les nouveaux atours sans charme de Cinderella

img_3549Londres. Royal Opera House. Cinderella (Ashton / Prokofiev). Nouvelle production 2023 (Tom Pye Décors/ Alexandra Byrne Costumes/ David Finn Lumières / Finn Ross Video designer) Représentation du dimanche 16 avril 2023.

C’était à première vue un jour peu judicieux pour faire un aller-retour à Londres afin de découvrir la nouvelle production du Royal Ballet de la Cinderella de Frederick Ashton. À Paris, le ballet était en effet projeté au cinéma à l’heure même où commençait la matinée qu’on avait réservée de longue date. Pourtant, les Parisiens n’ont pas vu une captation en direct de la représentation du 16 avril mais la diffusion de la distribution de la première réunissant Marianela Nunez et Vadim Muntagirov.

Le Royal Ballet n’aurait-il qu’un seul couple à promouvoir ? À ce rythme, les charmes réels et indéniables de la douce Marianela seront bientôt aussi érodés pour le public que le sourire de la Joconde pour les visiteurs du Louvre.

La production du ballet d’Ashton est « nouvelle » sans pour autant être particulièrement fraîche. Elle utilise beaucoup les projections lumineuses, comme cet effet boule à facettes dans la salle sur l’ouverture ou encore les fleurs qui se surimposent au décor pendant le passage des saisons à l’acte un. Néanmoins, on a vu des réalisations de ce type beaucoup plus élaborées et abouties par le passé au Royal Ballet. L’esthétique du premier acte reste souvent traditionnelle et sans imagination. Mis à part le joli costume de mendiante pour la fée marraine avec ses ailes entre chauve-souris et nervures de feuilles décomposées, rien n’atteint la grâce de la Cendrillon de David Bintley avec son style roccoco revu au prisme de Jules Barbier. La fée marraine, une fois « révélée » en tant que danseuse, est par exemple affligée d’une baguette magique à étoile électrifiée que ne renierait pas le gifte shoppe d’un parc d’attraction Disney. L’acte deux, situé dans les jardins d’un palais à la Chantilly est plus heureux ; les membres féminins du corps de ballet ont des costumes 1830 à la fois uniformes et différenciés par le truchement d’un ruban ou d’un détail de coiffure, mais on n’évite cependant pas la faute de goût avec les quatre solistes des Saisons fourrées dans des tutus aux couleurs atrocement criardes.

La ballet est typique du style Ashton. Il a abondamment recours au dumb show dans la tradition des pantomimes de Noël chère au cœur des Anglais. Pour cette reprise, le rôle des vilaines sœurs a été indifféremment attribué à des duos d’hommes (une tradition largement installée dans ce ballet depuis qu’Ashton lui-même, accompagné de Robert Helpman, en a endossé le rôle) ou de femmes. Nos « ugly sisters » (une mention qui a disparu du programme) pour la matinée étaient masculines. Bennet Gartside était parfait en dominatrix meneuse de revue à plumes et James Hay en demoiselle flirty cucul-la-praline qui oublie ses pas et écrase la moumoute de son partenaire de bal comme s’il s’agissait d’une bête nuisible. Mais le rôle du père, lui aussi dans la tradition de la pantomime dansée, nous a paru mal dessiné. Kevin Emerton paraissait trop jeune sous sa perruque blanche.

Hors ces rôles de caractère, la chorégraphie classique d’Ashton est simple, voire simpliste pour les jambes mais pas sans charme. Dans la captation de 1968, Antoinette Sibley y fait merveilles aux bras d’Antony Dowell, notamment lors de son arrivée au bal en simples piétinés sur pointes. Le génie d’Ashton repose en effet plus sur des accentuations des pas d’école et sur les épaulements que sur l’originalité des combinaisons chorégraphiques.

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Liam Boswell : le bouffon

Et c’est sans doute là que le bât blessait lors de cette matinée londonienne à laquelle nous avons assisté. Itziar Mendizabal, qui interprétait la fée marraine, a toujours été efficace et sèche. Mais en cette matinée, elle ne faisait pas particulièrement preuve d’autorité. On se souviendra donc plus de l’incarnation mimée de la fée mendiante, interprétée par la fine et subtile Olga Sadadoch, que de la marraine entutufiée de la suite du ballet. Des quatre saisons, seule Isabella Gasparini en Automne réunit toutes les qualités requises (caractérisation et technique). Ashley Dean possède la vélocité du Printemps mais ses pointes nous ont semblé un peu émoussées. L’Été de Mariko Sasaki confond l’alanguissement des bras de l’Eté avec les battements d’ailes désespérés de la mouette prisonnière d’un océan mazouté. Enfin, Gina Storm-Jensen, avec ses bras sans subtilité et son attaque agressive du plateau, évoque plus la congère que le flocon en fée Hiver. À l’acte deux, on a pu apprécier cependant la pureté de ligne et le ballon de Liam Boswell dans le rôle aussi bondissant que fastidieux du bouffon.

La Cendrillon de cette matinée, raison de ma traversée du Channel, Sarah Lamb, tire son épingle du jeu dans ce premier acte lesté par la laideur de la production et le manque de subtilité de la plupart des interprètes des parties dansées du ballet. Elle fait rire la salle lorsqu’elle elle imite ses sœurs dansant et rayonne enfin dans son carrosse-citrouille au milieu des Heures, douze filles du corps de ballet qui interprètent une chorégraphie mécanique imitant le mouvement d’une montre.

Mais c’est à l’acte deux que l’on peut vraiment apprécier les qualités de Lamb. La ballerine, d’une grande fraîcheur, fait rayonner les ports de bras et l’arabesque ashtonienne, en dessous des lignes de l’épaule et du dos pour un effet très Moira Shearer (la créatrice du rôle en 1945). Il y a chez Sarah Lamb une forme de réserve et de rayonnement diaphane qui crée une distance sans froideur, un mystère intrigant chez son personnage de souillon transfigurée. Son prince, Steven McRae, même si ses pieds ne sont plus aussi réactifs qu’ils ont pu l’être jadis, se pose en parfait contraste avec cette mystérieuse Cendrillon. Il a toutes les qualités du leading man, cette commande de la scène et cette flamboyance qui lui sont propres. Avec ce couple, les eaux chaudes et les eaux froides se rencontrent. Et l’histoire, à laquelle on était resté très extérieur jusqu’ici prend chair et cœur dès qu’ils dansent ensemble.

Au troisième acte, très raccourci par la coupure des recherches du prince dans les pays étrangers, Lamb en haillons continue à rayonner comme si elle portait encore sa robe de bal. Elle est d’ores et déjà l’élue. Ce que l’intrigue perd en suspens, elle le gagne en sérénité et en plénitude, à l’image du pas de deux final qui réunit les deux héros.

Les deux amants ont triomphé de l’adversité comme les deux danseurs ont surmonté eux cette production prosaïque et sans grâce.

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Sarah Lamb et Steven McRae. Cendrillon et son prince.

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Cendrillon à Bordeaux : belles de nuit

Cendrillon. Musique Prokofiev, chorégraphie David Bintley (2010). Décors et costumes, John Macfarlane. Lumières David A. Finn. Ballet de Bordeaux. Samedi 28 décembre. Matinée et soirée.

Au Ballet de Bordeaux, le Directeur de la Danse Eric Quilleré continue l’intelligente politique de partenariat qu’il a entreprise depuis le début de sa direction. Après la compagnie Preljocaj et le ballet de l’Opéra de Paris, c’est avec le Birmingham Royal Ballet que le compagnie bordelaise s’associe en empruntant la Cendrillon de David Bintley, une des sensations de la saison 2010 outre-Manche.

Cendrillon a connu de multiples avatars depuis sa création dans une URSS tout juste sortie de la Seconde Guerre mondiale, en 1945. Comme souvent avec les ballets de Prokofiev, et à la différence de ceux de Tchaïkovski avec Petipa, aucune chorégraphie « originale » ni aucun chorégraphe, ne se sont apposés définitivement aux côtés de la partition. Il existe à peu près autant de versions que de compagnies capables de monter le ballet. La version de David Bintley a cet avantage que par son sens de la magie, elle peut s’offrir comme une alternative possible au sempiternel Casse-Noisette des fêtes. En effet, la nature plus nostalgique de la musique est contrebalancée par la beauté d’une production entièrement située sous une nuit étoilée. Au prologue, la jeune Cendrillon apparaît devant la tombe de sa mère dans un paysage crépusculaire de lavis début XIXe (on pense à ceux de Victor Hugo). Au premier acte, la grande et noble cuisine XVIIIe où se déroule l’action, qui a eu de meilleurs jours, n’est jamais éclairée que par des reflets argentés et lunaires. Lorsque la fée apparaît en mendiante, un grand brasier illumine soudain la cheminée. C’est par cette même cheminée que commencera la transmutation du décor quotidien en une nuit brumeuse et étoilée. Les 16 astres du corps de ballet, rutilantes de strass, ne sont pas sans évoquer les flocons de Casse-Noisette et les remplacent avantageusement. Les costumes de John Macfarlane sont superbes. Ils situent l’action dans une fin XVIIIe siècle qui emprunte aussi bien à Hogarth (pour le sens de la caricature; les perruques sont ébouriffantes) qu’à Jules Barbier (pour la rutilance des tons et l’audace des harmonies colorées). Le quintette constitué de deux lézards, deux souris des champs et d’une grenouille pendant la scène des saisons est absolument poétique et délicieux. On s’émerveille de l’ingéniosité du costumier qui permet aux danseurs d’évoluer avec de grands appendices accrochés dans le dos ou une énorme tête de batracien. Ces costumes en particulier tirent également le ballet vers la pantomime de Noël dont le public anglais est friand.

Cendrillon. Ballet de Bordeaux. Photographie Yohan Terraza.

Dramatiquement parlant, le ballet de David Bintley est assurément très « anglais » dans l’attention portée aux détails de la dramaturgie. L’acte 1, le plus réussi des trois, fourmille de petits détails qui rendent l’action palpable et sensible. Dans la cuisine, Cendrillon est rudoyée par ses deux demi-sœurs, la maigre (Skinny) et la ronde (Dumpy). L’une repousse la nourriture avec dégoût tandis que l’autre lèche goulûment sa cuillère. La Belle-mère, sculpturale et impressionnante, descend l’escalier de l’étage noble telle un Nosferatu (Cécile Grenier en matinée et en soirée évoque la présence inquiétante de Françoise Rosay dans L’Auberge rouge). La scène où les trois harpies saccagent les quelques reliques des temps plus heureux de la souillon (un portrait d’ombre de sa mère défunte et une paire de chaussons pailletées) est poignante. La jeune fille avait auparavant inutilement tenté de le cacher au regard acéré de la marâtre. Ce même coffret et ses chaussons étoilés sont au centre de la scène de rencontre avec la fée-mendiante, très touchante. Cendrillon s’avise que la pauvre femme est, comme elle, nu-pieds (car la Cendrillon de Bintley fait toute une partie du ballet sans chaussons) et lui offre, la mort dans l’âme, les dernières reliques de sa mère conservées dans un vieux coffret de velours rouge. C’est par le truchement de ces savates cristallines que la fée transformée se révèle à l’héroïne pendant la scène des Saisons.

Cendrillon. Ballet de Bordeaux. Photographie Yohan Terraza.

L’épisode des essayages est l’une des grandes réussites comiques du ballet. Les fournisseurs sont inénarrables. Marc-Emmanuel Zanoli en costumier blasé-caustique est un répertoire de mimiques à lui tout seul (de combien de manières différentes peut-on tâter une perruque?). Le maître à danser frôle la déprime à la vision des prouesses des demi-sœurs surtout lorsqu’il est incarné par Guillaume Debut (le soir) qui allie moelleux des réceptions et un air d’ennui infini. Cécile Grenier fait des mimiques dignes du Concert de Robbins lorsqu’elle essaye des perruques puis lorsqu’elle reçoit les unes après les autres les notes salées des trois fournisseurs.

Les deux autres actes du ballet maintiennent l’intérêt en éveil sans pour autant passer un seuil supérieur. C’est dans la scène du bal qu’à titre personnel je regrette le plus la version de Rudolf Noureev et sa perception fine des accents sarcastiques de la musique de Prokofiev. La cour du prince exécute un peu sagement des menuets et des Polonaises, tandis qu’un quatuor masculin (des solistes talentueux de la troupe) entretiennent le feu technique en compagnie de 4 « fiancées » qui n’expriment aucune déception lorsque le prince jette son dévolu sur une autre. Les sœurs, c’est dommageable, ont moins d’interactions avec le prince lui-même. C’est que la chorégraphie de Bintley, très bien construite, musicale, à force de regarder vers les grands ballets de Petipa (notamment les jolies évolutions des étoiles faites de cercles concentriques, de précieux pointés détournés et de ports de bras élégants) manque un peu du saillant que la musique de Prokofiev aurait requis.

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Cendrillon. Sara Renda. L’arrivée au bal. Photographie Yohan Terraza.

Mais qu’importe. La production et les distributions aidant, on ne boude pas son plaisir.

En matinée, l’étoile Sara Renda incarnait une Cendrillon pleine de santé. On est face à un personnage fort et positif dès le début. Lorsqu’elle se rebiffe contre ses deux sœurs tortionnaires (le duo très contrasté physiquement entre Ana Guého, Skinny très longue qui danse le pied en serpette comme personne et Marina Guizien, irrésistible Dumpy la boulotte), on craint pour les deux chipies. À l’acte 2, pour la scène du bal, sa Cendrillon fait une entrée triomphante et déjà royale. Cette interprétation est étayée par une technique de fer dans un gant de velours damassé. Le mouvement est plein, il exsude la sérénité et le charme (notamment dans sa variation où elle exécute sans sourciller une série de tours piqués suivis de tours attitude en dehors évoluant en renversés). La Cendrillon de Sara Renda, on le sait, va triompher. Lorsque sonnent les douze coups de minuit, c’est presque en rage qu’elle négocie chaque seconde avec sa marraine (la très belle Nicole Muratov). Dans sa frustration, elle repousse son prince avec une brusquerie d’enfant déçue.

Ce dernier, une nouvelle recrue encore dans le corps de ballet, Riku Ota, a une jolie prestance et une belle vélocité dans toutes les difficultés techniques (notamment dans sa variation de l’acte 2 où il doit exécuter à un moment des détournés précédant des pirouettes en dedans). Sa présence scénique est hélas encore fort moyenne. À l’acte 3, il répète son geste princier, le torse bombé une main sur le cœur avec une déconcertante similitude.

Cendrillon. Vanessa Feuillate, Neven Ritmanic (Cendrillon et le Prince), Emilie Cerutti et Cécile Grenier (la fée-marraine et la marâtre)

En soirée, Vanessa Feuillate est une Cendrillon-victime très touchante. Sa révolte avec le balai contre ses demi-sœurs est celle des opprimés, agie par un trop-plein de désespoir. Ses humeurs sont comme un ciel nuageux avec ses éclaircies et ses passages plus couverts. Dans la scène du coffret avec la fée mendiante, Renda semblait d’abord douter de l’honnêteté de l’inconnue en haillons et retirer son « trésor » de la table pour le protéger d’un éventuel larcin ; puis, bonne fille, elle se ravise pour donner les deux précieux chaussons à la mendiante. Vanessa Feuillate, pour sa part, rend plus immédiatement explicite sa décision de donner lesdits chaussons et met l’accent sur le combat intérieur que se livre Cendrillon afin de parvenir à se séparer de ses souvenirs maternels tant aimés.

À l’acte 2, Vanessa Feuillate fait une entrée au bal très poétique en jouant la carte de l’émerveillement. Elle commence par danser seule, comme elle le faisait dans la cuisine au premier acte, avant même d’avoir remarqué la présence du prince. Ledit prince, Neven Ritmanic, nous a, au début, paru un peu tendu. Il presse le mouvement et l’exécute un tantinet en force. En revanche il déploie très vite le charme et l’éducation qui font les princes (notamment dans sa galanterie sans affectation avec les purges de demi-sœurs). Mais c’est avec le pas de deux que tout se met en place. Il se déploie entre les deux danseurs une vraie fluidité dans l’échange. On voit vraiment un couple. La coda des 12 coups de minuit est à l’unisson, il se dégage de ce dernier passage un vrai sentiment d’urgence, puis de panique. La fée-marraine, Emilie Cerruti, très Pavlova, apporte un sens du regret et du tragique à ces adieux précipités. Revivrait-elle à travers les affres de Cendrillon, une déception personnelle passée? Globalement, c’est en soirée que les seconds rôles nous ont le plus convaincu, à commencer par le tandem Skinny-Dumpy formé d’Alice Leloup et de Marina Guizien. Moins marqué morphologiquement qu’en matinée (Anna Guého est bien plus grande qu’Alice Leloup), le dialogue comique entre les deux sœurs paraissait plus naturel et leur cruauté à l’égard de Cendrillon plus acérée. Si elle marque moins le côté anguleux de la sœur Skinny, mademoiselle Leloup y rajoute une dose de sensualité débridée qui fait merveille aussi bien dans sa variation de l’acte du bal (qui cite la variation de la fée aux doigts de la Belle au bois dormant) que dans le duo comique qu’elle forme avec le majordome d’Alvaro Rodriguez Piñera, qui tire tout le suc d’un petit rôle où il est clairement sous-employé. Moins grand que son prédécesseur en matinée (Kase Kraig), Rodriguez Piñera rend le costume de veste à pouf encore plus outré et le bâton de cérémonie encore plus surdimensionné. Alice Leloup, s’enroulant avec une grâce serpentine autour de ce dernier, semble citer parodiquement la grande bacchanale de Spartacus. Alvaro Rodriguez Piñera joue la dignité à tout prix même quand il est harcelé par les deux sœurs et principalement par son bourreau en titre, Alice-Skinny. En Dumpy, Marina Guizien est très drôle. Pendant sa variation aux cakes, qui commence comme La Sylphide mais échappe vite à son contrôle, la façon dont elle s’assied en position de cygne, puis rebondit sur les cuisses adipeuses que lui crée son costume rembourré, est irrésistible. On rit beaucoup aussi lors du bref quatuor bouffe qui réunit Rodriguez Piñera, Leloup, Guizien et Marin Jalut-Motte. Le timing des quatre danseurs est juste parfait.

Cendrillon. Ballet de Bordeaux. Alvaro Rodriguez Pinera et Alice Leloup (Majordome et Skinny). Photographie Yohan Terraza.

L’acte 3 de la version Bintley de Cendrillon, privé des trois danses de caractère, passe bien vite. Après un drôlatique prologue où le majordome, juché sur une pile de chaussures orphelines abandonnées par les prétendantes malheureuses à l’essayage du chausson pailleté, on retourne vite dans la triste cuisine de la souillon. La Cendrillon de Sara Renda semble vouloir repousser les murs de la pièce pour répéter le miracle de la nuit précédente. Celle de Vanessa Feuillate les touche en se demandant si elle n’a pas rêvé toute son aventure de la veille. Le Prince-Neven souffre et soupire durant les essayages infructueux. Arrivé chez Cendrillon, sa désillusion à la vue des trois harpies, son désir de fuite puis son soupir de résignation (rendu très perceptible par son soulèvement d’épaules) sont vraiment touchants. La brève variation qu’il accomplit alors est faite avec la détermination du désespoir. C’est le plongeon d’un désespéré depuis la margelle d’un puit. À l’essayage du Chausson, Cendrillon-Renda (en matinée) présente fièrement ses pieds à la cambrure rayonnante. Vanessa Feuillate les positionne presque en parallèle, comme si elle restait dubitative face à ce dénouement heureux.

Avec ces deux interprétations contrastées, le final du ballet ne prend pas le même sens. À la fin du pas de deux au milieu du corps de ballet féminin stellaire, le rideau de fond de scène s’élève lentement, faisant s’envoler les étoiles et apparaître une forme ronde. Avec le couple Renda-Ota, on a le sentiment de voir un soleil se lever (« il se marièrent et …). Avec le couple Feuillate-Ritmanic, c’est la lune qu’on contemple. Et c’est un peu comme si le jeune couple avait décidé d’aller y régner afin de continuer à tutoyer les étoiles.

Cendrillon. Ballet de Bordeaux. Photographie Yohan Terraza.

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