Royal Ballet – programme mixte Balanchine, Ratmansky, Wheeldon (Représentations des 22 et 23 février 2013).
Le Royal Ballet a accueilli ce week-end deux créations mondiales. Alexei Ratmansky ayant entendu sur internet une orchestration très dispensable, due à Jean Françaix, des 24 préludes de Chopin, il a décidé de les chorégraphier. Dégoulinades sonores, fond de ciels nuageux aux couleurs changeantes, costumes aux reflets argentés : bienvenue dans l’univers du chromo. Que le chorégraphe russe soit réclamé sur toute la planète est pour moi un des grands mystères du monde moderne. Son absence de musicalité, en particulier, me paraît criante. Chopin, ça chante comme du Bellini, il suffirait de le laisser respirer pour que les émotions affleurent. Mais il faut à Ratmansky caler sur ses huit danseurs le maximum de sauts et de tours en un minimum de temps. Ça veut faire riche et ce n’est qu’agité. En six secondes de mouvement lent, Sarah Lamb a déjà effectué deux échappés sur pointe et trois développés arabesque. C’est Stakhanov sur Tamise. Certains préludes étant très brefs, Ratmansky crée une ambiance en quelques gestes. Certains solos sont d’efficaces vignettes à clin d’œil final. Mais on reste dans le superficiel : Edward Watson part en ayant l’air de dire « passons à autre chose », Steven McRae sort sur « j’arrête tout ». Nous sommes loin de l’humour discret et vibrant de Dances at a Gathering (rappelez-vous le moulinet du « tant pis », si drôle et touchant de la danseuse en vert amande assumant crânement sa solitude…). Quant aux histoires de couple, elles peinent à intéresser au-delà de l’anecdote (douce romance, flirt à trois, quatuors réversibles, dispute de couple, etc.), et accumulent les difficultés gratuites plus qu’elles ne développent un propos (pensez à In the Night, pleurez et essayez d’oublier).
Aeternum, de Christopher Wheeldon, est réglé sur la Sinfonia da Requiem (1941) de Benjamin Britten, dont on fête cette année le centenaire. Le choix d’une telle pièce musicale fait écho au geste de MacMillan chorégraphiant Fauré, Mahler et Poulenc. On songe à son Requiem (1973), pour l’initiale ambiance funéraire, et, pour le consolant duo final, à son Gloria (1980). Mais Wheeldon a son style et ses idées, qui laissent place à l’imaginaire du spectateur. Au début, un mouvement boiteux anime les danseurs : les danseurs, alternativement pliés en deux et couchés, avancent sur une seule jambe ; elle lâche soudainement, et l’autre prend le relais. Tout se passe comme s’ils ne pouvaient utiliser les deux à la fois. Au centre de la scène – Marianela Nuñez dans la distribution de la première, Claire Calvert dans celle du lendemain – la ballerine saisit sa jambe au plus près de son buste, et pointe son pied vers la scène comme s’il était le canon d’une mitraillette. Le Lacrymosa fait place à un furieux second mouvement, électrisé par l’ombre projetée d’un magma d’épluchures de bois (design de Jean-Marc Puissant). Wheeldon, qui a souvent tendance à trop architecturer ses pas de deux ou ses mouvements d’ensemble, livre ici une création plus fluide, moins soucieuse de pose photogénique que d’énergie (Dies Irae) et de sens (Requiem Aeternam).
La pièce la plus réussie du programme n’en reste pas moins l’Apollo de Balanchine, qui est dansé à Londres avec la scène de la naissance (Christina Arestis y est superbe en Leto enfantant). Carlos Acosta est un Apollon joueur, plus charmant qu’autoritaire. Federico Bonelli fait d’emblée demi-dieu : la maladresse des premiers pas, le grand n’importe quoi de l’adolescence, sont gommés. Les trios de muses sont bien assortis (avec Acosta : Nuñez-Terpsichore moelleuse et musicale, Cowley-Calliope expressive, Mendizabal-Polhymnie incisive ; avec Bonelli, et dans le même ordre : Hamilton, Kobayashi et Choe).
Le contraste est trop cruel : Balanchine a le bénéfice d’une musique faite pour le ballet, et en 1928, il devait déjà savoir que la beauté n’est pas dans la plate addition de virtuosités démonstratives.