« Dances » … en toute nostalgie.

J.Y Lormeau, L. Hilaire, W. Romoli, V.Doisneau, C. Arbo. Mazurka op.7 n°4. Photo Jacques Moati.

Pour rebondir sur les réminiscences de Fenella, à quelques jours de la première du programme Ek-Robbins, je me remémore les distributions de Dances at a gathering à son entrée au répertoire en 1991. Ce ballet a été depuis si longtemps négligé ici (il n’a pas été représenté depuis les soirées Chopin-Robbins de 1992) qu’il ne reste plus guère de danseurs qui l’ont dansé à l’époque dans les rangs de la compagnie et pourraient faire le lien avec la jeune génération [Est-ce la faute au ballet de l’Opéra, passé maître dans l’art des traditions interrompues ou du Robbins Trust et sa gestion erratique des droits des ballets du maître décédé en 1998 ?]. Cette saison, Agnès Letestu reprendra le rôle de la danseuse en vert amande qui lui avait déjà été confié à l’époque en troisième distribution et Nicolas Leriche retrouvera le danseur brun qui lui avait été donné alors qu’il n’était encore que sujet. Pour le reste ? Eh bien, vingt ans ont passé. Est-ce le moment le plus propice pour une reprise ?

Comme l’a très bien dit Fenella, cette subtile construction « choré-musicale » qu’est Dances at a gathering ne supporte pas l’approximation. En 1991, le groupe de danseurs choisi par Jérome Robbins était un ensemble de personnalités cohérent et très en vue, celui des danseurs de Noureev. Peu de frustrations venaient affleurer au sein de ce groupe à la différence des teams américains et britanniques de la création. Pas de dame Margot ni de Suzanne (Farell) à la présence trop prégnante. Sylvie (Guillem) était partie à Londres… Dans les « Dances » de l’Opéra, c’était une complicité de toujours qui traversait sous les différentes couleurs émotionnelles suggérées par les costumes, le ciel bleuté d’une après-midi d’été.

Bien sûr, on pouvait compter sur Robbins pour créer la tension nécessaire pour allumer le plateau. En ce mois de novembre 1991, les couloirs de la vénérable maison et la presse spécialisée retentissaient de l’affront fait à Elisabeth Platel, choisie pour la danseuse mauve et déprogrammée brutalement la veille de la première en faveur de Marie-Claude Pietragalla par le truchement d’une bouteille de champagne accompagnée d’un mot laconique du maître.

Le groupe choisi n’était pas interchangeable mais il y avait des variations dans les distributions des dix danseurs. Aussi, c’est une vision impressionniste que je délivre ici. Mon groupe idéal réunissait alors Manuel Legris (en brun), dont les sauts étaient de véritables aspirations de poète, et Monique Loudières, une danseuse rose primesautière qui s’abandonnait comme personne dans ses bras (sur l’étude op. 25 n°5) ; Laurent Hilaire était le danseur mauve qui convenait le mieux à Manuel Legris dans l’épisode de la ronde des rivalités sur la Mazurka op. 56 n°2. Une petite bribe de leur histoire de danseurs transparaissait ici : Manuel Legris semblait s’amuser de sa légère supériorité technique et Hilaire était un irrésistible colérique grâce à son tout petit supplément d’âme. Isabelle Guérin (en jaune) était l’observatrice amusée des va-et-vient de toute cette petite troupe. Sa danse précise et ses inflexions modulées étaient un formidable véhicule pour une interprétation très second degré. Trace ou séquelle du traumatisme de la première, Elisabeth Platel sut finalement faire sien le rôle de la danseuse mauve qui convenait si peu à M.-C. Pietragalla. Dès sa première entrée, sur la valse op. 69 n°2, lorsqu’elle s’agenouillait très humble devant le danseur vert (en alternance Jean-Yves Lormeau ou Lionel Delanoë), on sentait que Platel avait des attaches plus ténues au groupe. Elle était porteuse d’un mystère. Lequel ? Chacun pouvait y projeter ses propres suppositions… Jamais je n’oublierai la danseuse en vert amande, concentré d’humour et de chic, de Claude de Vulpian. Sa deuxième apparition, un babillage chorégraphique autour des membres masculins du groupe traversant la scène d’un air détaché, était du pur génie. Elle s’achevait par un piqué arabesque, le regard bien planté dans le public, accompagné d’un moulinet des poignets en guise de dénégation, qui faisait soupirer d’aise toute la salle. Patrick Dupond avait accepté le rôle assez secondaire du danseur brique et n’avait qu’une seule et unique date dans le danseur brun. Il se blessa à un moment et fut remplacé le plus souvent par le non moins bondissant Eric Quilleré. Les danseurs en bleu, rôles plus réduits mais néanmoins loin d’être anecdotiques étaient tenus par Véronique Doisneau, de qui émanait une touchante et fragile petite lueur, aux côtés de Wilfrid Romoli à la présence solide et apaisante.

Impressionniste, cette distribution… Il n’est pas sûr que j’aie exactement vu danser tous ces interprètes le même soir sur scène. Et j’ai vu d’autres artistes qui ont su me toucher : Arbo en rose, Maurin en jaune, Moussin en mauve, Belarbi en violet ou Letestu en vert amande. Tous les soirs, le groupe choisi était fonctionnel. Cela sera-t-il le cas pour la mouture 2012 ? Qu’importe après tout. La seule mention de ce ballet dans la programmation a fait revivre en moi un sentiment qui est au cœur de ce chef d’oeuvre : la nostalgie.

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2 Commentaires

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2 réponses à “« Dances » … en toute nostalgie.

  1. shana

    Que de souvenirs vous faites renaître
    mais le plus drôle, c’est que j’ai assisté à l’époque à ces  » dances » j’avais adoré l’ensemble sauf…. la danseuse en mauve!!!
    je ne savais pas pour Platel!
    je me demande ce que cela donnera demain!

  2. Cléopold

    Ma foi, je ne verrai pas cela avant samedi! Bienvenue, Shana!