Prince of the Pagodas : Cuisse de nymphe émue et gratte-cul

The Prince of the Pagodas. Ballet en trois actes. Chorégraphie de Kenneth MacMillan, musique de Benjamin Britten, décors de Nicholas Georgiadis, livret de Colin Thubron d’après John Cranko, lumières de John B. Read. Représentation du 30 juin, avec Sarah Lamb (Rose), Frederico Bonelli (le Prince), Itziar Mendizabal (Épine), Gary Avis (l’Empereur), Valentino Zucchetti (le Fou), MM. Uspenski, Stepanek, Watkins et Maloney (les quatre Rois). Orchestre du Royal Opera House dirigé par Barry Wordsworth.

Dans le Prince des Pagodes, l’héroïne porte un nom tout simple ; elle est la princesse Rose. Telle la fleur du même nom, elle est la cadette et la préférée de tous, au grand dam de son aînée, l’églantine, plus connue sous le nom de gratte-cul en raison de ses nombreuses épines (le prénom de la méchante sœur dans le ballet de Benjamin Britten). Le père de ces deux donzelles, en jardinier avisé mais fatigué, partage très peu équitablement son royaume entre ses deux filles à l’avantage de Rose. Pour se venger, Épine, qui n’est pas gratte-cul pour rien, transforme le fiancé de sa demi-sœur en un repoussant lézard, arpenteur infatigable des terres desséchées et apporte enfin le chaos dans le jardin bien ordonné de son papa (les courtisans sont transformés en babouins). Aidé d’un fou du roi, un peu abeille mellifère, Rose devra apprendre à braver les quatre vents (des prétendants venus des quatre points cardinaux avec leurs quelques attraits et leurs nombreux défauts) avant de dompter son aversion pour son reptile d’amoureux et repousser, comme il se doit, la mauvaise herbe qu’est sa sœur loin du bosquet impérial ordonné.

L’autre soir, la princesse Rose était interprétée par Sarah Lamb, une danseuse tout indiquée pour donner une substance et un parfum de rose à une héroïne de ballet. Son interprétation m’a parue tellement évocatrice que j’ai même trouvé le nom et le parfum du rosier qui lui convenait le mieux : elle est un « Cuisse de nymphe émue », un rosier arbustif ancien connu avant 1789. Il a des tiges assez longues et souples et nécessite un tuteurage. Ainsi, au premier acte, La Rose de Sarah Lamb paraît-elle bien faible face aux virulents assauts de sa sœur Épine (Itziar Mendizabal, très à l’aise dans une chorégraphie volontairement redondante à base de jetés déclinés à toutes les sauces). Son vocabulaire personnel, à base de piqués arabesque, d’équilibres et de ports de bras variés dégage une grande délicatesse mais aussi un certain manque d’affirmation. Sarah Lamb a un beau et long pied cambré qui évoque la fragilité tant il semble alors supporter son corps de manière instable. Certes, ni le corps ni le pied ne tremblent, mais c’est comme si on voyait le point de greffe entre les deux. On est donc rassuré de voir ce fragile et précieux végétal tuteuré pour son épreuve initiatique du second acte par un Valentino Zuchetti en bouffon, la fraise au vent, sautant et tournant tous azimuts avec sa perruque élisabéthaine rouge et crépue. Même si le tout manque un peu de profondeur, c’est roboratif.

À l’acte II (The Other Land), partie la plus éditée pour cette reprise, puisqu’une quinzaine de minutes de l’œuvre originale ont été coupées, Rose rencontre à nouveau les prétendants qui l’avaient courtisée, aussi bien que sa sœur, au premier acte : Le prince du Nord, son costume de pirate, ses gants rouges et son incroyable rudesse (Andrej Uspenski, plus à l’aise dans cette partie que dans les rapides enchaînements saltatoires de sa variation du premier acte), le narcissique prince de l’Est, sa chemise de soie multicolores et ses miroirs (Johannes Stepanek qui possède un art du plié dans le fouetté arabesque à en faire pâlir plus d’un), le prince de l’Ouest, sorte de parodie du duc d’Alençon venu demander la main de la reine vierge (Jonathan Watkins, irrésistible dans sa variation pastiche des danses de cours élisabéthaines puis assez glaçant, grimé en joker) et le aussi sensuel que cruel Prince du Sud (Brian Maloney, qui tire plus la chorégraphie vers le tribal là où son devancier et créateur du rôle, Ashley Page, mettait l’accent sur les décentrés contemporains de la chorégraphie). Dans cette dernière rencontre, où le cauchemar atteint son comble puisque le Prince bat Rose dans un ralenti cinématographique, Sarah Lamb commence à montrer une autre facette de son personnage. Dans son pas de deux avec son tortionnaire, ses lignes se tendent comme la corde d’un arc au point de sembler s’étirer au-delà des lignes physiques du corps de la danseuse. Elle poursuit cette transformation au second tableau par des cambrés qui sont comme des frémissements lorsque son fiancé la touche alors qu’elle a les yeux bandés. Le fragile arbuste prend de l’assurance. N’est-ce pas souvent dans les terres les plus improbables que les rosiers prospèrent finalement?

L’objet principal du voyage initiatique de la princesse Rose, c’est le sauvetage de son fiancé, « Le » Prince (c’est le seul nom qu’on lui connaît). Federico Bonelli s’est lancé dans ce rôle avec passion et fougue. Son Lézard, avec une chorégraphie qui alterne les enchaînements au sol et des jetés développés athlétiques, est très réussi. Il parvient même, malgré un casque qui lui couvre les deux-tiers du visage, à nous faire comprendre son désespoir par la courbure crispée de son dos. C’est également un partenaire précis qui laisse de l’espace à sa ballerine pour s’exprimer. Dans le grand pas de deux du troisième acte, Sarah Lamb peut alors déployer sa danse dans toute sa plénitude. Telle le « cuisse de nymphe » qui arbore un soupçon de rouge à l’extrémité de son bourgeon puis devient d’un rose presque blanc, elle émane une lumière nacrée dans son nouveau costume pailleté. Sa chorégraphie n’est pas sans évoquer la variation du troisième acte de La Belle au bois dormant. Ses pieds semblent désormais entrer dans le mouvement d’une manière beaucoup plus harmonieuse avec le reste du corps, et quelle variété des ports de bras! De son côté, Bonelli semble avoir décidé de tout donner pour son grand pas. Il donne donc généreusement et peut-être même un peu trop. La fougue ne triomphe pas toujours quand elle marche sur les plates-bandes de la correction du travail.

The Prince of the Pagodas - Photo Bill Cooper - Courtesy of ROH

The Prince of the Pagodas – Photo Bill Cooper – Courtesy of ROH

On passe somme toute un excellent moment avec ce Prince of the Pagodas. La musique de Britten et son alternance de pastiches des musiques de cour du XVIe siècle et d’accents exotiques du gamelan comporte plus d’une jolie page. Les coupures ont judicieusement allégé l’acte du rêve même si on regrette que la princesse Épine en soit désormais bannie.

Le sauvetage du ballet est-il néanmoins assuré ? On ne peut encore le dire avec une totale certitude. Comme dans La Belle au Bois dormant, les personnages du Prince des Pagodes sont plus des symboles que des individualités. On suit l’histoire sans déplaisir, on apprécie les qualités de la chorégraphie et la façon dont les danseurs l’interprètent mais on ne se laisse pas nécessairement émouvoir. De plus, la plupart des ballets d’action de MacMillan nécessitent un temps d’assimilation avant qu’ils ne s’infusent dans les danseurs. La chorégraphie a été très bien répétée par le Royal Ballet, mais il faudra sans doute au moins deux reprises avant que la compagnie semble tout à fait à son aise dans la riche scénographie de Georgiadis. Telle la princesse Rose au début du ballet, l’œuvre a encore un petit air transplanté. La greffe prendra-t-elle ? Selon Dame Monica, c’était un peu l’opération de la dernière chance. On peut nourrir quelques espoirs.

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