Vingt après sa mort, l’Opéra de Paris enterre Noureev chorégraphe sous un médiocre hommage. Des choix de répertoire attendus, des pas de deux coupés à l’économie, le service minimum pour les décors et – malheureusement aussi – pour un bon nombre de danseurs.
Les chorégraphies de Noureev ont valorisé la danse masculine. Qu’en a-t-on vu ? Presque rien. Dans les pas de deux, les hommes n’ont guère brillé, et leurs variations ont été systématiquement omises. Sauf celle de Basilio (acte III) : on y programme Karl Paquette, qui la torchonne pis qu’il n’était prévisible.
Il faut avoir découvert Noureev dans Wikipédia pour se contenter de montrer le corps de ballet dans la descente des Ombres de la Bayadère : ce passage – très réussi par les 32 danseuses – est symboliquement attaché au souvenir du danseur, mais la chorégraphie est, pour l’essentiel, du Petipa. Que n’a-t-on choisi les géométries folles du premier acte du Lac des cygnes, ou la valse fantastique de Raymonda, pour faire briller filles et garçons dans les diaboliques mouvements fugués concoctés par le grand Rudy? Autrement dit, mettre en évidence, en même temps et à la fois, l’originalité et la beauté du répertoire que Noureev a légué au ballet de l’Opéra de Paris, et la capacité comme la volonté de la compagnie de faire vivre cet héritage ? Mais cela aurait demandé une vision et du travail.
En lieu et place, on enchaîne donc les numéros de gala. Las, au moins un danseur-étoile sur deux n’a pas une familiarité suffisante avec le répertoire qu’il est censé honorer.
Le seul moment ébouriffant aura été le solo de Manfred, dansé par un Mathias Heymann félin et explosif. Dans le pas de deux de Roméo et Juliette, Laëtitia Pujol, bras mousseux et travail de pieds aérien, est lyrique aux côtés d’un Nicolas Le Riche que son engagement dans la chorégraphie rend étonnamment juvénile. Et dans Cendrillon, Marie-Agnès Gillot surprend en bien, avec de jolies mains, de jolies jambes qui tricotent liquide, et une jolie impression d’éclore dans les bras de Florian Magnenet, l’un des rares danseurs de la soirée à avoir mis de l’intention dans son partenariat. Dorothée Gilbert incarne un vénéneux cygne noir. En Nikiya d’outre-tombe, Agnès Letestu prouve une fois encore qu’elle est un astre de la constellation Nouveev (on en oublie de regarder le transparent Stéphane Bullion).
Le reste ne vaut pas même d’être évoqué. Au fond, cette soirée pauvrement conçue et chichement réalisée ne mérite qu’un prompt oubli.
On vous sent amer. Je ne sais si cela peut être d’un quelconque réconfort, mais la qualité de vos textes me semble à elle seule un encouragement et une invitation à donner de soi sans compter. Peut-être l’atmosphère de fin de règne des temps qui courent explique-t-elle, sans justifier, un ensemble si décevant parce qu’il manque de souffle.
Ouh… on sent la grosse déception… La néophyte, ainsi que son népohyte de mari, sont sortis de cet hommage avec des étoiles plein les yeux. Le spectacle est allé crescendo avec deux pics sublimes (M. Heymann et le duo N. Le Riche/L. Pujol), sans oublier les Cygnes et la Bayadère. N’ayant pas eu la chance de voir auparavant la plupart de ces oeuvres, j’ai apprécié le spectacle, en me trouvant déjà très chanceuse de pouvoir y assister.
Même dans les périodes les plus obscures du ballet de l’Opéra, la qualité de l’école a préservé un haut niveau d’exécution. Mais lorsque cette exécution manque d’inspiration, elle devient simple correction même si cela ne va pas sans quelques fulgurances (mais une flamme timide ne jaillit-t-elle pas parfois des braises?).
L’héritage Noureev, c’était le panache un peu insolent, un peu altier mais toujours charnel. Ceci était totalement absent de la soirée d’hier. L’actuelle génération n’est pas la digne héritière de la précédente et ce n’est sans doute pas que de sa faute.
Et c’est quelque chose qu’il faut accepter quand on a une compagnie qui tire de ses rangs ses solistes. Ce qui est aujourd’hui une faiblesse redeviendra un jour une force. En mode mineur, le style de l’Opéra reste le style de l’Opéra… Peu de compagnies peuvent se targuer de cela de nos jours.