Dans la Bayadère de Natalia Makarova, on agite beaucoup les mains : le fakir (Kenta Kura, bondissant en diable mais grimé comme un acteur de la Guerre du feu), le grand brahmane (Gary Avis qui n’arrive pas à insuffler son habituelle sobriété dans ce rôle) ou encore Aya, la servante de Gamzatti (Genesia Rosato, à l’aise dans tout le répertoire mimé, même le plus incertain). Ce très discutable leitmotiv est la seule concession de cette version expurgée à l’exotisme de pacotille ; car la plupart des danses de caractère ont été coupées pour restaurer un bien inutile quatrième acte disparu depuis 1917. Il n’y a donc ni danse Manou, ni danse indienne. Les filles du corps de ballet dansent une version allégée de la danse aux perroquets avec des éventails (un autre passage expurgé chez Makarova) tandis que, pour faire bonne mesure, les garçons égrènent des pas tout droit sortis de la salle de classe.
La production, qui date de 1989, mériterait d’être changée. Ses qualités visuelles ne justifient pas sa reconduction saison après saison. Le premier acte, le plus acceptable, regarderait du côté de la peinture de Gustave Moreau mais le reste ressemble plutôt à un chromo aux couleurs vulgaires où Nikiya aussi aussi bien que Gamzatti arborent le rouge tonitruant et où les amies de la princesse portent de la dentelle rose fuchsia. Au début de l’acte III, Solor fume l’opium sur un canapé à figure de paons d’un goût que ne renierait pas un dictateur du Proche-Orient. Le quatrième acte, enfin, a lieu dans un temple affligé d’un Bouddha tout droit sorti d’une boule à neige pour boutique touristique. L’idole dorée – à la bombe – de Marcelino Sambé, presque affranchie des lois de la gravité, nous console cependant…
Car heureusement, les artistes de la matinée du 20 avril ont su, occasionnellement, nous faire oublier la production, la chorégraphie rabotée ou enfin l’orchestration boursouflée des pages de Minkus par John Lanchbery.
Federico Bonelli tire son épingle du jeu en dépit du fait que la conception du rôle par Natalia Makarova dessert cruellement ses qualités juvéniles. Car il faut une certaine mâle assurance dans cette Bayadère, pour rester crédible avec un Solor qui quitte la scène au bras de Gamzatti tandis que Nikiya gît morte du fait de la piqûre du serpent, ou qui, après la scène des Ombres, accepte de se marier avec la meurtrière de sa défunte bien-aimée qui vient juste de lui pardonner. Mais lorsqu’on danse sobre, clair et vrai, comme le fait Bonelli, on ne peut jamais totalement paraître ni parjure ni faible. Sa Nikiya, Roberta Marquez, toute en rondeurs, très cambrée dans les actes « indiens » sait également adopter la ligne et l’aplomb classique dans l’acte blanc tout en gardant un côté charnel. Elle offre un contraste saisissant avec la ligne acérée de Marianela Nuñez dont les jetés claquent, implacables comme des coups de cravache (souplesse de cuir et précision de l’impact).
Le Royal Ballet et cette distribution méritaient assurément mieux que cette production vue partout et dont l’unique raison d’être est de réduire l’échelle petersbourgeoise du ballet afin de permettre à des compagnies de second rang de l’inclure dans leur répertoire avec vingt-quatre ombres au lieu de trente-deux.
Epoustouflée par votre plume et votre humour grinçant! Quelles images!!!! Mais bien rire ne fait pas pour autant oublier les qualités de cette compagnie! décidément, ces articles sont du grand art!…..
Encore une fois merci Shana.
Cléopold (rouge comme la crête d’un coq) 😉