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Ballet du Capitole : joyau français

Photo Patrice Nin / Théâtre du Capitole

Photo Patrice Nin / Théâtre du Capitole

Joyaux français. Ballet du Capitole de Toulouse. Suite en blanc (Lifar / Lalo) et Les Mirages (Lifar / Sauguet). Représentations des 26 et 27 octobre 2019.

Réunis sous le titre un peu sibyllin de « Joyaux français », le ballet du Capitole de Toulouse proposait un programme Serge Lifar avec la reprise des Mirages (1944-47), au répertoire depuis 2014 et l’entrée du redoutablement difficile Suite en Blanc (1943). Il y a quelques années encore, je n’aurais pas imaginé que Kader Belarbi prendrait la peine de défendre ce répertoire.

En tant que danseur Kader Belarbi a dit de Serge Lifar qu’il « appartient à l’histoire de l’Opéra [même si] le temps estompe un peu son influence » mais pointe aussi son « narcissisme excessif, plus en relation avec la sensibilité contemporaine » [Cette déclaration extraite de Serge Lifar à l’Opéra date de 2006 a déjà aujourd’hui, à l’ère du selfie et de l’instagramisation du quotidien, un petit côté « historique »]. En tant que chorégraphe, Belarbi disait, toujours en 2006, que l’héritage lifarien lui était en grande partie étranger : « Je suis dans un choix chorégraphique qui ne recherche pas spécialement un style ni une ligne classique pure », « en tant que danseur, je sais que Lifar est là, même si en tant que chorégraphe, j’en suis moins sûr ».

Heureusement, Kader Belarbi, le directeur artistique du Ballet du Capitole de Toulouse, programmateur intelligent, sait ce que l’étude et l’intégration d’un style peut apporter à une compagnie de jeunes danseurs de 14 nationalités différentes et d’au moins autant d’écoles de ballet, pratiquement tous nés après la mort de Serge Lifar en 1986.

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Et ce style n’est pas aisé à animer. C’est qu’il y a en lui une base « statuaire », très années 30-40, tel ce lever de rideau sur Suite en Blanc où les danseurs sont groupés comme des divinités antiques sur un fronton. Les poses lifariennes, avec leurs ports de bras en anse hyper-stylisées, les contrapposto des danseurs masculins en 6e position auraient vite fait de paraître empesés si les interprètes ne maîtrisaient pas une « nouveauté» dont Lifar n’est peut-être pas exactement l’inventeur mais qu’il a utilisée de manière toute personnelle : les décalés. Ces positions qui allongent la ligne d’une arabesque ou d’un dégagé chez Lifar, contrairement à d’autres chorégraphes, ne sont pas conçues comme un déséquilibre mais bien comme une respiration. Dans Suite en blanc, la démonstration la plus emblématique de ce décalé est peut-être dans le court solo féminin de La Flûte, à la fin du ballet, où une soliste féminine alterne des positions parfaitement centrées et académiques (des assemblés sur des 5e très fermées suivis de relevés en attitude devant sur pointe) avec une série de développés devant décalés associés à un léger cambré du dos. Ce mouvement, exagéré, conduirait à un déséquilibre et à une forme de claudication. Respiré, il ressemble à une marche badine, très naturelle. Cet art de la mesure dans le cambré, essentiellement « français » [Selon Attilio Labis, Lifar disait : « vous les Français, vous avez quelque chose qui est rare et que personne d’autre n’a, c’est le sens de la mesure. Vous savez faire le geste juste, sans exagération » ], est un peu le test imparable qui montre si le style est acquis ou pas.

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Suite en blanc. Julie Charlet. Photographie David Herrero.

Et c’est une grande part de l’exploit en quoi a consisté l’entrée au répertoire de Suite en Blanc au ballet du Capitole,  dont les danseurs n’ont, pour la plupart, jamais été confrontés ni à ce style ni à cet exercice de mesure dans la démesure. Les garçons de Toulouse se lancent par exemple avec beaucoup d’énergie dans les curieuses courses en 6e avec les bras en poignées d’amphores. Ils animent le bas-relief avec une bravoure très crane. La plupart des solistes rentrent également, à des degrés divers, dans le jeu avec, pour les danseuses, la difficulté supplémentaire d’avoir à endosser plusieurs variations attribuées à l’Opéra de Paris à des solistes différentes. En deuxième distribution, vue le 26/10, Julie Charlet interprétait ainsi avec chic La Sérénade avec ses redoutables petites cloches sur une jambe de terre pliée sur pointe, La Cigarette , exercice de maîtrise (avec un délié du haut du corps, des ralentissements et des accélérations à donner le frisson et de petites révérences primesautières), et finissait par les fouettés de la Coda. En 1ere distribution, vue le 27, Natalia de Froberville interprétait aussi La Cigarette, d’une manière tout à fait personnelle (un parti-pris entre la chaleur de l’école russe et l’élégance de l’école française, beaucoup d’humour dans les œillades à la salle et de féminité dans les ports de bras), elle continuait avec le Grand adage, interprété de manière très sereine aux côtés de Ruslan Savdenov, partenaire très sûr, et finissait sur les fouettés. La comparaison des deux étoiles féminines de la troupe toulousaine donnait un peu le pouls de la compagnie sur ce difficile ballet. Elles déployaient toutes deux, chacune à leur manière, un abattage de bon aloi, fait de cabotinage contrôlé, d’émulation avec les autres ballerines, le tout dans une volonté de présenter l’excellence technique de la troupe. Et, à l’exception notoire d’Alexandra Sudoreeva qui danse toujours velouté mais sert la même sauce à chaque repas (L’adage, le Thème varié et la Flûte de Lifar cette année ou la Cendrillon de Noureev l’an dernier), les autres solistes de la troupe se sont mises au diapason de leurs têtes d’affiche.

Suite en Blanc. Adage. Natalia de Froberville et Rouslan Savdenov. Photographie David Herrero

Dans La Flûte (le 27/10), dont nous avons parlé plus haut, Florencia Chinellato (déjà charmante le 26 dans le trio aux beaux épaulements de La Sieste) fait montre d’une grande maîtrise de la musicalité. Elle sait danser entre les tempi musicaux et ménager de jolies surprises. Ses équilibres attitude sont un rêve de balletomane. Kayo Nakazato, seule titulaire du Pas de 5 (elle est entourée de 4 marlous battants, bondissants et tournoyants) montre un joli ballon sur les sissonnes et à de beaux piqués en attitude ouverte (surtout le 27 où elle se montre plus détendue). Dans le Thème varié, Tiphaine Prevost est d’une clarté technique cristalline. Son regard parfois dirigé vers la salle est très « français », très second degré. Elle intègre les ports de bras « pin-up baigneuse » de sa partition avec un naturel désarmant. Elle est accompagnée de Philippe Solano qui époustoufle par le ciselé de sa danse : ses réceptions arabesques sur les assemblés, d’une totale propreté, avec en prime, une extension de la ligne d’arabesque, sont mémorables. Son collègue, Matteo Manzoni, s’il n’a pas encore le même fini, danse avec la même bravura. On savoure d’avance les duos masculins qu’ils pourront former tous deux sur le pas de six de Giselle ou dans Raymonda. Ajoutez à cela la musique héroïque de Lalo et on avait le sentiment de voir deux mousquetaires faisant la cour à une Constance Bonacieux délicieusement accorte.

Philippe Solano écopait également pour une seule date (le 27/10) de la célèbre Mazurka, cheval de bataille récurrent des concours masculins du corps de ballet à l’Opéra. Le jeune danseur y fait preuve d’une énergie roborative. Ses positions sont littéralement facettées. Tout cela brille de mille feux. On espère que le danseur aura de plus nombreuses occasions de danser ce solo, de s’y détendre un peu et d’y introduire l’abandon « danse de caractère » propre à une mazurka. C’est ce mélange d’abandon dans la force dont faisait preuve le plus chevronné Davit Galstyan (le 26) pour le plus grand bonheur de la salle.

Tous les soirs, on se laisse emporter par l’énergie du grand finale interprété par les 32 danseurs de la troupe toulousaine. La gageure est relevée. Lifar ne paraît en aucun cas amidonné.

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4 - Les Mirages - Solène Monnereau (La Lune) - crédit David Herrero

Les Mirages. Solène Monnereau (La Lune), Mohamed Sayed et Jeremy Leydier (les bergers). Photographie David Herrero

La compagnie toulousaine retrouvait à l’occasion de ce programme Les Mirages, entré au répertoire dans le cadre d’une programme Henri Sauguet avec Les Forains de Roland Petit. Pour cette mouture 2019, les éclairages ont été fort à propos révisés . En 2014, la réduction du volume de la cage de scène écrasait un peu le surréaliste palais de la Lune imaginé par Cassandre et certains beaux costumes, très « École de Paris », étaient rendus presque outranciers par le manque d’éloignement. Ici, lorsque le rideau se lève sur le scintillement mystérieux de l’ouverture de Sauguet, on retrouve la belle pénombre ésotérique qui prépare à l’enchantement des Mirages. Messieurs Leydier et Sayed peuvent survivre sans trop de mal à leur costume de pâtre à perruque blonde bouclée et conduire les évolutions de la lune déshabillée d’un très osé académique blanc intégral à dos nu. Le 26, Solène Monnereau rayonnait de l’éclat laiteux de l’astre tandis que le 27, Juliette Thélin évoquait plutôt la Diane chasseresse.

Les Mirages. Florencia Chinellato (la femme). Photographie David Herrero

On retrouve dans Mirages de nombreuses particularités techniques exposées dans Suite en Blanc. L’adage du jeune homme avec la Femme (qui porte l’un des plus jolis tutus du répertoire classique, tous ballets et productions confondus), par exemple, voit reparaître des portés de l’Adage, les pointés sur pliés sur pointe du Thème varié ou les décalés dynamiques de la Sérénade. Mais contrairement à Suite en blanc où il s’agit de jouer le ressort de l’émulation, l’atmosphère qu’installe le couple principal est primordiale pour obtenir l’adhésion du public. Les deux couples qui se partageaient Mirages n’étaient pas sur ce point à égalité. Alors qu’en première distribution Julie Charlet et Davit Galstyan avaient déjà travaillé leur rôle en 2014, Natalia de Froberville et Ramiro Gomez Samon le découvraient. La seconde distribution s’en tire avec les honneurs stylistiques. Natalia de Froberville a compris le style lifarien, sa dynamique et l’esthétique de ses poses plastiques mais elle reste peut-être trop « ombre » pendant tout le ballet. Car le rôle de l’Ombre est ambivalent. Il faut trouver le juste milieu entre l’être allégorique et l’être de chair qui incarne les rêves très humains du jeune homme. En 2014, Maria Gutierrez était presque trop humaine. Elle dépeignait une sorte de Mater Dolorosa inquiète pour son rejeton récalcitrant. Cette approche avait l’avantage d’offrir un final poignant. Natalia de Froberville, en revanche, joue la carte de l’implacable œil de la conscience et s’enferme par là-même dans le rôle de gâte-sauce. À aucun moment le jeune homme de Ramiro Gomez Samon ne semble faire corps avec elle. Le danseur est touchant dans ses interactions enfantines avec les différentes protagonistes féminines (la chimère très papillonnante et insaisissable de Kayo Nagasako ou la femme suprêmement élégante et sensuelle de Florencia Chinellato) mais il ne semble jamais quitter le monde de l’adolescence. Du coup, sa variation en hommage à la femme, bien calée techniquement, manque de mâle autorité. De son côté Natalia de Froberville semble interpréter la fameuse variation de Chauviré comme une introspection personnelle. À la fin, dans le paysage aride, le jeune homme semble bien boudeur et désolé d’être encore et toujours persécuté par cette austère matrone en gris.

Les Mirages : Davit Galstyan (le jeune homme) et Tiphaine Prévost (la-chimère) Photo : David Herrero

L’approche de Julie Charlet est beaucoup plus fructueuse. Elle joue une Ombre dure certes mais pas implacable car toujours charnelle. Son rapport avec Davit Galstyan, pour être antagoniste, laisse cependant la place à une évolution. Dans sa variation, l’ombre semble vraiment danser les tergiversations du jeune homme. Galstyan, quant à lui dépeint un jeune homme tourmenté à la recherche d’une échappatoire. Mais chacune de ses rencontres avec un personnage féminin exprime une forme de maturation de l’homme. Avec la chimère terrestre et aguicheuse de Tiphaine Prevost, il est dans les amours adolescentes. Avec les deux courtisanes-sucre d’orge aux cous serpentins (mesdemoiselles Sofia Camininti et Solène Monnereau qui succèdent aux non moins charmantes Louise Coquillard et Yuki Ogasawara) dans la scène du Marchand-berlingo (Rouslan Savdenov, retors là où Minoro Kaneko, le 26, jouait sur le registre comique du baryton d’opérette), il se lance tête baissée dans la bacchanale, tel un fils prodigue. Avec la femme (Sudoreeva), il succombe à sa première passion d’homme. Toute sa variation semble dirigée vers sa partenaire (même le départs de pirouette de face sont précédés d’un regard intense jeté côté jardin).

Lorsque déçu par tous les mirages le jeune homme renvoie dans les airs la boite de Pandore du palais lunaire, le pas de deux final avec l’ombre est très touchant. Un amour se révèle. Le jeune homme accepte son ombre non plus comme un censeur mais comme une muse. Dans le paysage désolé, le jeune homme comprend les directions que sa tutrice lui indiquait depuis le début. Les ports de bras vers la terre, vers le ciel et à l’horizon sont porteurs d’espoirs. Ébloui par le soleil naissant, le jeune homme devenu adulte est prêt à commencer sa route.

Les Mirages. Davit Galstyan (le jeune homme) et Julie Charlet (l’ombre). Photographie David Herrero

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Sorti de cette soirée, regardant l’affiche à l’entrée du théâtre du Capitole, on se dit que oui, le titre de ce programme n’était finalement pas mal choisi. Car au-delà de ces deux chefs-d’oeuvre de Serge Lifar, c’est bien le ballet du Capitole qui est un joyau français.

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Les Balletos d’or 2016-2017

Louis Frémolle par Gavarni. « Les petits mystères de l’Opéra ».

Les Balletos d’Or de la saison 2016-2017 vivent une période de transition. On voudrait appliquer de nouvelles règles (limitation à trois du nombre des prix consécutifs, strict respect de la parité dans chaque section, mentions de rattrapage pour éviter de faire de la peine à quiconque, etc.), mais tout en nous regimbe contre cette pente-là. Alors le jury a décidé – au moins une dernière fois avant la grande réforme – d’être comme il aime : horriblement partial, méchant et emporté.

 

Ministère de la Création franche

Prix Réécriture chorégraphique : Kader Belarbi (Don Quichote)

Prix Création : Nicolas Paul (Sept mètres et demi au-dessus des montagnes)

Prix Toujours neuf (ou « Barbant comme au premier jour », c’est selon): Merce Cunningham (Walkaround Time)

Prix Mauvais goût : Benjamin Millepied pour toutes les dernières entrées au répertoire de pièces mineures de Balanchine

Prix Cosi-Couça : la chorégraphie dispensable et fastidieuse d’ATK sur le chef d’œuvre de Mozart.

Prix Plastique : Olafur Eliasson (conception visuelle de Tree of Codes)

 Prix Taxidermie : Alexei Ratmansky (La Belle « reconstituée » pour l’ABT)

Prix Naphtaline : Anastasia (Kenneth MacMillan, Royal Ballet)

 

Ministère de la Loge de Côté

Prix couple de scène : Maria Gutiérrez et Davit Galstyan (DQ, Toulouse)

Prix Aurore : Yasmine Naghdi (Sleeping BeautySleeping Beauty, Royal Ballet)

Prix Versatilité : Eléonore Guérineau (Trio de Forsythe et pas de deux des Écossais de la Sylphide)

Prix Liquide : Yuhui Choe (Crystal Fountain Fairy dans Sleeping Beauty & Symphonic Variations)

Prix Jouvence (et on s’en fiche de se répéter) : Emmanuel Thibault

 

Ministère de la Place sans visibilité

Prix « Croce e delizia » : Alessandra Ferri (Marguerite et Armand, Royal Ballet)

Prix « Farfallette amorose e agonizzanti » : Simon Valastro et Vincent Chaillet (Lysandre et Démetrius, Le Songe de Balanchine)

Prix Ave Regina Caelorum : Marion Barbeau (Titania et le pas de deux du 2nd acte, nous sauve de l’ennui éternel durant Le Songe d’une nuit d’été de Balanchine).

 

Ministère de la Ménagerie de scène

Prix Chat Botté : Alexandre Gasse (Brahms-Schönberg Quartet)

Prix Joli Zozio : Myriam-Ould Braham (La Sylphide)

Prix Adopte un bourricot (ex-aequo) : Francesco Vantaggio et Pierre Rétif (Bottom dans le Songe de Balanchine)

Prix de la Ligue de protection des ballerines : Marie-Agnès Gillot, vaillante outragée par McGregor (Tree of Codes) et Valastro (The Little Match Girl Passion)

 

Ministère de la Natalité galopante

Prix Pas de deux : Fabien Révillion et Hannah O’Neill (Le Lac)

Prix Innocence : Sarah Lamb (Mayerling)

Prix Découverte : David Yudes (Puck, The Dream, Royal Ballet)

 

Ministère de la Collation d’Entracte

Prix Fraîcheur : Grettel Morejón et Rafael Quenedit (tournée de Cuba à Paris)

Prix Saveur : Alvaro Rodriguez Piñera pour son très lifarien Tybalt dans le Roméo et Juliette de Charles Jude (Bordeaux)

Prix Gourmand : Alexander Riabko (Drosselmeier, Nussknacker de Neumeier)

Prix Carême: Aurélie Dupont (soirée en hommage à Yvette Chauviré)

 

Ministère de la Couture et de l’Accessoire

Prix Fashion Faux Pas : la Maison Balmain pour le total look emperlousé de Renaissance (Sébastien Bertaud)

Prix Jupette jaune : Hugo Marchand (Herman Schmerman)

Prix Fête du Slip : MC 14/22 par les épatants danseurs du ballet du Capitole de Toulouse

Prix Chapka : Christian Lacroix se coince la Karinska dans Le Songe

Prix Sang-froid : Reece Clarke quand son costume se défait sur scène (Symphonic Variations, Royal Ballet)

 

Ministère de la Retraite qui sonne

Prix Abandon de poste : Benjamin Millepied (il avait pourtant promis de maintenir ses deux créations de la saison 2016-2017…)

Prix Cafouillage : La mise à la retraite douloureuse de Charles Jude à Bordeaux.

Prix Émotion : les chaleureux adieux à Emmanuel Thibault et Mélanie Hurel.

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“Can we ever have too much of a good thing?” The Ballet du Capitole’s Don Q

Théâtre du Capitole – salle. Crédit : Patrice Nin

Way down south in a place called Toulouse you will find a Don Q that – as rethought by Kader Belarbi – avoids cliché and vulgarity both in story telling and in movement. The dancing bullfighters, the gypsy maidens, and even the “locals” inhabit their personae with force and finesse, with not an ounce of self-conscious irony, and never look like they feel silly. Liberated from the usual “olé-olé” tourist trinket aesthetic of what “Spanish” Petipa has become, the ballet became authentically engaging. By the end, I yearned to go back to that time when I struggled to learn how to do a proper Hota.

Production:

The key to Belarbi’s compact and coherent rethinking of this old chestnut is that he gave himself license to get rid of redundant characters thus giving those remaining more to do. Who needs a third suitor for Kitri’s hand – Gamache – when you can build up a more explicit rivalry just between the Don and Basilio? Who needs a “gypsy queen” in Act II, when Kitri’s girlfriend Mercedes could step in and gain a hot boyfriend on the way? Why not just get rid of the generic toreador and give his steps and profession to Basilio?

This version is not “streamlined” in the sense of starved: this smallish company looked big because all tore into new meat. Even the radiant individuals in the corps convinced me that each one of them thought of themselves as not “second row, third from left” but as “Frasquita” or “Antonio.” Their eyes were always on.

Economy and invention

The biggest shock is the transformation of the role of Don Quixote into a truly physical part. The role is traditionally reduced to such minimal mime you sometimes wonder why not get rid of him entirely? Yet the ballet IS called “Don Quichotte,” after all. Here the titular lead is given to someone who could actually dance Basilio himself, rather than to a beloved but now creaky veteran. This Don is given a ton to act upon including rough pratfalls and serious, repeated, partnering duties…while wearing Frankenstein boots, no less. (Don’t try this at home unless your ankles are really in shape.)

Taking it dead-seriously from the outset, Jackson Carroll’s tendril fingers and broken wrists could have gone camp but the very fit dancer hiding under those crusty layers of Gustave Doré #5 pancake foundation infused his clearly strong arms with equal measures of grace and nuance. His every pantomimed gesture seemed to float on top of the sound – even when trilling harshly through the pages of a tome — as if he were de facto conducting the orchestra. Carroll’s determined tilt of the head and firm jut of chin invited us to join him on his chivalric adventure. His minuet with Kitri, redesigned as an octet with the main characters, shook off the creepy and listless aspect it usually has.

Imagine what the dashing Douglas Fairbanks could have brought to Gloria Swanson’s role in Sunset Boulevard. That’s Carroll’s Don Q. Next imagine Oliver Hardy officiating as the butler instead of von Stroheim, and you’ve got Nicolas Rombaut or Amaury Barreras Lapinet as Sancho Panza.

Kitri:

At my first performance (April 23rd, evening), Natalia de Froberville’s Kitri became a study in how to give steps different inflections and punch. I don’t know why, but I felt as if an ice cream stand had let me taste every flavor in the vats. The dancers Belarbi picks all seem to have a thing for nuance: they are in tune with their bodies they know how to repeat a phrase without resorting to the Xerox machine. So de Froberville could be sharp, she could be slinky, she could be a wisp o’ th’ wind, or a force of nature when releasing full-blown “ballon.” Widely wide échappés à la seconde during the “fanning” variation whirled into perfect and unpretentious passés, confirming her parallel mastery of force and speed.

The Sunday matinée on April 24th brought the farewell of María Gutiérrez, a charming local ballerina who has been breathing life with sweet discretion into every role I’ve seen in since discovering the company four years ago (that means I missed at least another twelve, damn). She’s leaving while she is still in that “sweet spot” where your technique can’t fail but your sense of stagecraft has matured to the point that everything you do just works. The body and the mind are still in such harmony that everything Gutiérrez does feels pure, distilled, opalescent. The elevation is still there, the light uplift of her lines, the strong and meltingly almost boneless footwork. Her quicksilver shoulders and arms remain equally alive to every kind of turn or twist. And all of this physicality serves to delineate a character that continued organically into the grand pas.

Typical of this company: during the fouettés, why do fancy-schmancy doubles while changing direction, flailing about, and wobbling downstage when you can just do a perfect extended set of whiplash singles in place? That’s what tricks are all about in the first place, aren’t they: to serve the character? Both these women remained in character, simply using the steps to say “I’m good, I’m still me, just having even more fun than you could ever imagine.”

Maria Gutiérrez reçoit la médaille de la ville de Toulouse des mains de Marie Déqué, Conseillère municipale déléguée en charge des Musiques et Déléguée métropolitaine en charge du Théâtre et de l’Orchestre national du Capitole.
Crédit photo : Ville de Toulouse

Basilio:

Maybe my only quibble with this re-thought scenario: in order to keep in the stage business of Kitri’s father objecting to her marrying a man with no money, Basilio – so the program says – is only a poor apprentice toreador. Given that Belarbi could well anticipate which dancers he was grooming for the role, this is odd. Um, no way could I tell that either the manly, assured, and richly costumed Norton Fantinel (April 22nd, evening) or equally manly etc. Davit Galstyan (April 23rd, matinée) were supposed to be baby bullfighters. From their very entrances, each clearly demonstrated the self-assurance of a star. Both ardent partners, amusingly and dismissively at ease with the ooh-wow Soviet-style one-handed lifts that dauntingly pepper the choreography, they not only put their partners at ease: they aided and abetted them, making partnership a kind of great heist that should get them both arrested.

Stalking about on velvet paws like a young lion ready to start his own pride, Davit Galstyan – he, too, still in that “sweet spot” — took his time to flesh out every big step clearly, paused before gliding into calm and lush endings to each just-so phrase. Galstyan’s dancing remains as polished and powerful as ever. In his bemused mimes of jealousy with Gutiérrez, he made it clear he could not possibly really need to be jealous of anyone else on the planet. Even in turns his face remains infused with alert warmth.

Norton Fantinel, like many trained in the Cuban style, can be eagerly uneven and just-this-side of mucho-macho. But he’s working hard on putting a polish on it, trying to stretch out the knees and the thighs and the torso without losing that bounce. His cabrioles to the front were almost too much: legs opening so wide between beats that a bird might be tempted to fly through, and then in a flash his thighs snapped shut like crocodile jaws. He played, like Galstyan, at pausing mid-air or mid-turn. But most of all, he played at being his own Basilio. The audience always applauds tricks, never perfectly timed mime. I hope both the couples heard my little involuntary hees-hees.

Mercedes

Best friend, free spirit, out there dancing away through all three acts. Finally, in Belarbi’s production, Mercedes becomes a character in her own right. Both of her incarnations proved very different indeed. I refuse to choose between Scilla Cattafesta’s warmly sensual, luxuriant – that pliant back! — and kittenish interpretation of the role and that of Lauren Kennedy, who gave a teasingly fierce touch straight out of Argentine tango to her temptress. Both approaches fit the spirit of the thing. As their Gypsy King, the chiseled pure and powerful lines of Philippe Solano and the rounded élan of Minoru Kaneko brought out the best in each girlfriend.

Belarbi’s eye for partnerships is as impressive as his eye for dancers alone: in the awfully difficult duets of the Second-Best-Friends – where you have to do the same steps at the same time side by side or in cannon – Ichika Maruyama and Tiphaine Prévost made it look easy and right. On the music together, arms in synch, even breathing in synch. There is probably nothing more excruciatingly difficult. So much harder than fouéttés!

Dryad/Nayad/Schmayad

Love the long skirts for the Dream Scene, the idea that Don Q’s Dulcinea fantasy takes place in a swamp rather than in the uptight forest of Sleeping Beauty. The main characters remain easily recognizable. Didn’t miss Little Miss Cupid at all. Did love Juliette Thélin’s take on the sissonne racourci developé à la seconde (sideways jump over an invisible obstacle, land on one foot on bended knee and then try to get back up on that foot and stick the other one out and up. A nightmare if you want to make it graceful). Thélin opted to just follow the rubato of the music: a smallish sissone, a soft plié, a gentle foot that lead to the controlled unrolling of her leg and I just said to myself: finally, it really looks elegant, not like a chore. Lauren Kennedy, in the same role the previous day, got underdone in the later fouéttés à l’italienne at the only time the conductor Koen Kessels wasn’t reactive. He played all her music way too slowly. Not that it was a disaster, no, but little things got harder to do. Lauren Kennedy is fleet of foot and temperament. The company is full of individuals who deserve to be spoiled by the music all the time, which they serve so well.

The Ballet du Capitole continues to surprise and delight me in its fifth year under Kader Belarbi direction. He has taken today’s typical ballet company melting pot of dancers – some are French, a few even born and trained in Toulouse, but more are not –and forged them into a luminously French-inflected troupe. The dancers reflect each other in highly-developed épaulement, tricks delivered with restrained and controlled finishes, a pliant use of relevé, a certain chic. I love it when a company gives off the vibe of being an extended family: distinct individuals who make it clear they belong to the same artistic clan.

The company never stopped projecting a joyful solidarity as it took on the serious fun of this new reading of an old classic. The Orchestre national du Capitole — with its rich woody sound and raucously crisp attack – aided and abetted the dancers’ unified approach to the music. In Toulouse, both the eye and the ear get pampered.

The title is, of course, taken from Miguel de Cervantes, Don Quixote, Part I, Book I, Chapter 6.

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A Toulouse : l’adieu à Dulcinée

Photo Patrice Nin / Théâtre du Capitole

Photo Patrice Nin / Théâtre du Capitole

Ballet du Capitole. Don Quichotte (nouvelle production et chorégraphie de Kader Belarbi). Samedi 22 avril (soirée) et matinée du dimanche 23 avril 2017.

Dans la version de Kader Belarbi, Don Quichotte s’éveille – péniblement – dans une chambre enfumée qui se révèle au fur et à mesure. On distingue d’abord une forêt de livres empilés, puis un papier peint en forme d’enluminure surdimensionnée et enfin la tête argentée d’une cavale. Cette tête-trophée de chasse incongrue, décollée de son socle par le héros lors d’une crise d’exaltation deviendra sa monture du chevalier improvisé. C’est une des plus jolies trouvailles visuelles de cette production qui en fourmille. Tout l’attirail dont s’affuble le vieux toqué avec l’aide de son acolyte paillard et aviné, Sancho, est peu ou prou une relique de sa chambre. Casque, bouclier, lance… Peut-être même Dulcinée n’est-elle que l’effet d’un courant d’air agitant les rideaux de l’alcôve du maître des lieux. Kader Belarbi sait décidément bien s’entourer. Les décors d’Emilio Carcano (avec mention spéciale pour ses bosquets mouvants de l’acte des marais), le lumières de Vinicio Cheli et les costumes de Joop Strokvis (acidulés pour la place de Barcelone, éteints et pour tout dire inquiétants dans la scène gitane) participent pleinement à l’enchantement visuel d’une version bien pensée.

Car comme toujours dans ses productions des grands classiques, Kader Belarbi a des idées et sait les rendre lisibles sans qu’elles soient trop pesantes.  Les options  dramatiques, les resserrements et coupures viennent servir le déroulement de l’action et la cohérence des personnages dans un ballet que, de toutes façons, Petipa ne reconnaîtrait pas lui-même dans les versions prétendument authentiques.

Basilio, qui n’est plus barbier mais apprenti torero (l’un des rares bémols de la production : le public voit sans doute un toréador dans son habit de lumière mais pas un apprenti), écope donc de l’entrée d’Espada et le ballet s’allège ainsi d’un personnage falot sans perte chorégraphique. Du coup, Mercedes, la danseuse de rue, privée de son traditionnel acolyte, devient la maîtresse du chef des gitans et suit les tribulations du couple principal d’un bout à l’autre du ballet au lieu de jouer la potiche après son entrée fracassante de l’acte un et sa danse des poignards (d’ailleurs non retenue ici) dans les versions traditionnelles.

Mais c’est la fusion des personnages de Don Quichotte et de Gamache qui est sans doute la plus pertinente et fructueuse trouvaille de Kader Belarbi. Elle permet au personnage éponyme du ballet de regagner toute sa place dans l’histoire. Son infatuation qui le pousse à croire qu’il peut épouser une très jeune fille le rend encore plus ridicule mais lorsqu’il est maltraité par le corps de ballet, qu’il est assommé par un thon, on se prend de compassion pour lui au lieu de se réjouir sans arrières pensées… Le rôle nécessite un danseur ; déjà pour triompher de ses bottes, mi-chaussures orthopédiques mi-sabots d’équidé qui gênent sa marche autant qu’elles la rendent poignante, et surtout pour mener à bien les différents pas de deux qui lui sont échus en plus des passages traditionnels. Durant l’acte deux, le Don est tenté par Mercedes la gitane-danseuse de rue (sur Sola a Gitana très peu souvent utilisée) et il danse (sur des passages empruntés à La Source) un pas de deux avec Kitri-Dulcinée qui le laisse tout ébaubi et désemparé. Jackson Carroll est parfait dans ce rôle sur le fil entre élégance presque élégiaque et fantaisie second degré. Ses deux partenaires successifs dans le rôle de Sancho Pansa, Amaury Barrerras Lapinet (le 22) et Nicolas Rombaut (le 23) virevoltent autour de lui avec une célérité qui met en exergue sa lenteur.

D’une manière générale, la chorégraphie de Belarbi, qui fait référence juste ce qu’il faut aux passages chorégraphiques attendus (le troisième acte est très proche de la version Noureev présentée par la compagnie en 2013), fait d’ailleurs la place belle aux rondes tourbillonnantes lorsque le chevalier à la triste figure se trouve sur scène. Que ce soit par la jeunesse facétieuse de Barcelone ou par les naïades (Kader Belarbi a changé leur dénomination de dryade et son costumier les a parées de la vaporeuse tunique au plissé mouillé des ondines), le Don semble en permanence étourdi par l’agitation ambiante.

Les danses de caractère, comme dans sa Giselle de 2016, sont  très dans la terre ; tout  particulièrement le passage gitan de l’acte deux particulièrement bien servi dans ses deux distributions du 22 en soirée et du 23 en matinée. Le 22, Philippe Solano, pyrotechnique avec élégance, se montre survolté en gitan face à Scilla Cattafesta, la danse pleine, sensuelle en diable et pleine d’humour dans son rôle d’entremetteuse bienveillante. Le 23 dans le même rôle, Lauren Kennedy ressemble plus à une jeune Bette Davis déguisée en gitane pour une superproduction hollywoodienne en noir est blanc. Sa délicatesse classique ne nuit pourtant pas au charme du personnage d’autant que son partenaire Minoru Kaneko  fait également belle impression en chef des gitans. La veille, la jolie danseuse était une reine des naïades à la belle ligne un peu sinueuse comme dans un tableau maniériste et d’un grand moelleux. Elle semblait néanmoins avoir un peu de mal à s’accorder avec le chef d’orchestre Koen Kessels (sans cela au parfait sur les deux représentations). Le 23, Juliette Thélin donnait une vision plus minérale que liquide à la souveraine des marais. Elle séduisait néanmoins par l’élégance de sa belle coordination de mouvement.

Jackson Carroll (Don Quichotte), Juliette Thélin (la Naïade). Photographie David Herrero. Courtesy Théâtre du Capitole.

Au travers de ces prises de rôle, on retrouve un des points forts de la compagnie de Kader Belarbi. Les danseurs, qui viennent d’horizons fort divers et d’écoles très différentes gardent une personnalité marquée mais dansent avec une énergie commune.

Natalia de Froberville et Norton Fantinel. Photographie David Herrero. Courtesy of Théâtre du Capitole.

Les émotions suscitées par les deux couples principaux ne faisaient pas exception à la règle. Le 22 en soirée, Natalia de Forberville, nouvelle recrue issue de l’école de Perm, jolie danseuse blonde à l’ossature légère et au très impressionnant ballon surprend par la pléthore de ses registres expressifs. Incisive à l’acte 1, elle se montre tour à tour sensuelle dans la scène gitane puis virginale (avec de jolis équilibres suspendus) dans la scène des naïades de l’acte 2. Elle est très drôle dans la pantomime de supercherie de la taverne et efficace avec charme dans le grand pas de deux (ses fouettés menés tambour battant resteront longtemps imprimés dans ma rétine). On est curieux de voir ce que donnera cette belle danseuse quand elle parviendra à unifier ses multiples facettes scintillantes en un seul et même rayonnement intérieur. Son partenaire, Norton Fantinel,  séduit moins en Basilio. Il vient de l’école pyrotechnique sud-américaine mais la machine ne suit pas toujours. Il met un peu trop d’énergie dans ses tours en l’air au détriment du fini. C’est un diamant brut qui nécessite encore un gros travail de polissage. Il se montre cependant un partenaire attentif et un bon acteur.

Maria Gutiérrez. Kitri-Dulcinée. Photographie David Herrero. Courtesy Théâtre du Capitole de Toulouse.

Pour la matinée du 23, c’est sous le signe de la maturité et de la maîtrise. Cela commence par le partenariat. Maria Gutiérrez forme un couple d’exception avec Davit Galstyan. Dans l’interprétation de ces deux danseurs, Kitri et Basilio sont des amants mais aussi de vieilles connaissances. On les imagine bien enfants dans les rues de Barcelone en train de jouer des tours aux passants. Cette complicité brille tout particulièrement dans le pas de deux en ouverture de l’acte que Belarbi a, là encore, chorégraphié sur des pièces souvent mises de côté  de la partition de Minkus (une Carmencita extraite de l’acte de la taverne) : Gutiérrez se jette dans les bras de Galstyan sans la moindre once d’appréhension. L’atmosphère devient électrique. Basilio-Davit, maître du moelleux, les réceptions silencieuses, l’œillade facile et le port de bras élégant conduit  en effet sa partenaire le long d’une représentation à la résonance spéciale. Maria Gutiérrez faisait en effet ce jour même ses adieux à la compagnie et à sa carrière professionnelle dans toute la maîtrise de son talent. On se souviendra de sa stature frêle démentie par l’assurance de sa technique limpide, de la délicatesse de son travail de pieds (particulièrement déployé dans le prologue et dans la vision), de ses bras exquis (une couronne très haute et sans presque d’inflexion des coudes, des poignets un peu tombants prolongés par des mains toujours vivantes), de ses piqués attitudes suspendus. On se souviendra surtout de cette proximité très spéciale qu’elle savait instaurer avec ses collègues sur le plateau et avec le public dans la salle.

C’est si court, une carrière de danseur. Des fleurs, des paillettes qui tombent du grill, un discours, une médaille de la ville, une réception avec les collègues et en présence de la famille… Et puis voilà. C’est fini. Salut l’artiste.

Le seul reproche qu’on fera à Maria Gutiérrez – mais il est minime – c’est d’être partie avant que la compagnie ne visite pour la première fois de son histoire un théâtre parisien. Ce sera en juin au Théâtre des Champs Élysées dans Le Corsaire dont elle  avait créé le rôle principal féminin.

Adieux de Maria Gutiérrez – crédit Ville de Toulouse

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Toulouse : un programme en (rouge et) or

Toulouse, La Halle aux Grains

Toulouse, La Halle aux Grains

Ballet du Capitole de Toulouse, La Halle aux grains. Programme Paquita Grand pas (Vinogradov/Minkus et alia) / L’Oiseau de Feu (Béjart/Stravinsky). Représentations du samedi 11 juin et dimanche 12 juin (matinée).

Dans les rues de Toulouse, c’est l’effervescence en ce week-end d’ouverture de la coupe d’Europe de football. Les rues sont bigarrées de rouge et de jaune. Les supporters espagnols sont là en nombre pour un match qui oppose leur équipe à celle de la République tchèque. À l’entrée de la Halle aux Grains, les jeux de jambes dont parlent les  ouvreurs, même les plus stylés, ne sont pas ceux des danseurs du Capitole mais bien des dribbleurs de tout poil qui jouent ou joueront au stadium de Toulouse.

Pour nous, l’Espagne qui nous intéresse est celle, très factice et toute « théorique » du Grand Pas de Paquita, costumée élégamment de rose, de saumon et d’or (le nom du jaune en héraldique). Toute théorique en effet, cette Espagne, après le traitement de cheval qu’elle a reçu de Marius Petipa en 1896 lorsqu’il détacha le grand pas de deux du mariage du ballet éponyme, lui-même une addition de son cru, pour le transformer en pièce de gala à l’occasion du jubilé de Catherine II pour Mathilde Kreschinskaia, maîtresse d’un futur tsar et future femme d’un grand duc. À cette occasion, chaque ballerine invitée à se produire est venue avec sa variation extraite d’un autre ballet où elle avait particulièrement brillé. Nous voilà réintroduits dans un temps révolu du ballet où les œuvres « académiques » étaient sans cesse sujettes à modifications et où la cohérence musicale importait peu. La liste est restée ouverte pendant des années. On s’étonne encore aujourd’hui d’entendre, en plein milieu de pages de Minkus, les volutes cristallines du celesta réutilisées pour la première fois depuis Tchaïkovski par Tcherepnin dans le Pavillon d’Armide en 1909. Pour hétérogène qu’il soit, le programme musical donne néanmoins une unité à la démonstration qui est infiniment préférable au grand fourre-tout d’une soirée de pas de deux. L’entrada, le grand adage et la coda servent de cadre. La liste des numéros peut encore évoluer, non pas tant par addition que par soustraction. Dans la production toulousaine, la variation sur la valse de Pugni (avec les grands développés sur pointe et les sauts à la seconde) est par exemple omise.

Mais quoi qu’il en soit, autant dire que le caractère espagnol de la pièce est rejeté au loin.

En lieu et place, sous deux lustres en cristal (un peu chiches) on assiste à une démonstration de grâce délicieusement surannée ou de force bravache. Le corps de ballet se montre engagé dans les passages obligés du grand pas initial. On voit qu’on leur a demandé de mettre l’accent sur « le style » et sur les bras. Cela se traduit de manière un peu différemment selon les danseuses. Mais si l’on veut bien oublier l’homogénéité du corps de ballet de l’Opéra de Paris dans ce passage, on prendra plaisir à la diversité de la notion de style chez les interprètes toulousaines néanmoins très disciplinées.

Paquita (Grand Pas) - Scilla Cattafesta crédit David Herrero

Paquita (Grand Pas) –
Scilla Cattafesta crédit David Herrero

Lorsqu’elle danse dans les ensembles, on remarque immédiatement Lauren Kennedy, ses sauts dynamiques et ses lignes toujours plus étirées. Elle s’illustrera, dans les deux distributions, d’abord dans la traditionnelle variation aux grands jetés – celle utilisée par Lacotte – qu’elle illumine de son ballon et de son sens de l’œillade (le 11) puis, dans la variation dite « de l’étoile » (le 12), avec ses pas de basque et sa redoutable diagonale sur pointe, où elle démontre une jolie science du contrôle sans tout à fait nous faire oublier sa devancière, Melissa Abel, une grande fille blonde aux très jolis et très élégants bras ; ces bras dont on ressent toute l’importance dans de nombreuses variations féminines de Paquita. Loin d’être de simple chichis du temps passé, ils sont garants, en quelque sorte de la tenue du reste du corps. Dans la première variation, sur Tcherepnin, les petits piétinés et autres sautillés sur pointe s’achevant en arabesques suspendues ne sont véritablement possibles que pour une danseuse qui danse jusqu’au bout des doigts. C’est le cas de Solène Monnereau, qui semble caresser ses bras pour faire scintiller des bracelets en diamants imaginaires (le 12). Moins mis en avant, le placement des mains a aussi son importance dans la variation d’amour de Don Quichotte. Volontairement stéréotypé sans être raides, ils doivent attirer l’attention plutôt sur le travail de bas de jambe et sur la prestesse des sauts. Cela fait mouche avec la pétillante Scilla Cattafesta (le 11) ; un peu moins avec Kayo Nakazato qui ne démérite pourtant pas.

Dans le pas de trois, Thiphaine Prevost et Eukene Sagüés Abad (le 11 et le 12) illustrent le même théorème des bras. La première a tendance à les rendre trop démonstratifs, gênant par moment l’appréciation de la première variation, par ailleurs bien maîtrisée. La seconde sait les suspendre et les mouvoir avec grâce au dessus de sa corolle, ce qui lui permet de corriger un ballon un peu essoufflé le premier soir ou de célébrer comme il faut son retour lors de la matinée du 12. Dans le rôle du garçon se succèdent Mathew Astley et Philippe Solano. Comme lorsqu’ils dansaient côte à côte dans le pas paysan de Giselle en décembre, ils s’offrent en contraste tout en procurant un plaisir égal : Astley par son joli temps de saut, ses lignes pures et Solano par son énergie concentrée et explosive.

Et les principaux me direz-vous ? Les bras, toujours les bras, vous répondrai-je… Le 11, Julie Charlet passe tout plutôt bien mais dégage une certaine tension dans les mains qui se transfère à sa danse. Dans sa variation, elle désigne avec les ports de bras volubiles induits par la chorégraphie  son travail de bas de jambe ; mais c’est de manière trop délibérée. Son partenaire, Ramiro Samon, un Cubain arrivé en tant que soliste dans la compagnie, accomplit des prouesses saltatoires qui ne dépassent jamais le stade de l’acrobatie. Des bras figés et une tête littéralement vissée sur un cou peu mobile sont la cause de cette carence expressive. Le 12, on retrouve en revanche avec plaisir Maria Guttierez et Davit Galstyan. La première malgré son aspect frêle domine sa partition et trouve toujours un épaulement ou un port de bras qui surprend. Le second, lui aussi dans la veine des danseurs athlétiques, sait fermer une simple cinquième ou se réceptionner d’un double tour en l’air de manière musicale. Et il sait regarder sa partenaire, réintroduisant un peu d’argument et de chair dans cette succession de variations sorties de leur contexte.

Paquita (Grand Pas) - 1ère distribution Maria Gutierrez et Davit Galstyan crédit David Herrero

Paquita (Grand Pas) – 1ère distribution
Maria Gutierrez et Davit Galstyan crédit David Herrero

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Avec Oiseau de Feu, on change sans aucun doute d’atmosphère mais on reste dans le code couleur. Le rouge est à l’honneur.

On est toujours partagé à la revoyure de ce ballet. Il cumule tellement de poncifs d’une époque où il était de bon ton d’être maoïste et de rêver aux « lendemains qui chantent » et autres « grands bonds en avant », tout cela a été tellement parodié, qu’on sort de temps en temps du ballet. Pour ma part, c’est la lueur rouge des douches et du spot suiveur qui me font crisser des dents. Et pourtant, une émotion finit invariablement par naître de la radicale simplicité de la chorégraphie. Les rondes, les formations en étoile, les garçons qui, à un moment, plongent entre les jambes de leurs partenaires couchés au sol et se voient retenus par eux, le bassin suspendu en l’air en petite seconde, captivent.

L’Oiseau de feu - 1ère distribution crédit David Herrero

L’Oiseau de feu – 1ère distribution
crédit David Herrero

Parmi les ouvriers, Philippe Solano se fait remarquer par son énergie mâle, particulièrement pendant ces tours en l’air achevés en arabesque. C’est cette masculinité qui manque à l’oiseau de Takafumi Watanabe qui, comme trop souvent, danse tout à fond mais n’incarne rien. L’animalité, le contraste entre les mouvements presque tribaux (des secouements d’épaules) et les élans lyriques classiques (le danseur se relève en couronne) est gommée. Il faut attendre Jerémy Leydier en Phénix, qui souligne même – enfin – les réminiscences du folklore russe, pour se rappeler que dans ce ballet, l’oiseau doit avoir avant tout un caractère dionysiaque. Le 12, Dennis Cala Valdès, sans provoquer le même choc, séduit par sa belle plastique et sa juvénilité.

Retourné dans les rues de Toulouse, rendues bruyantes par une foule « vociférante » déguisée en rouge et jaune, on fait abstraction de tout, et la tête remplie des accents à la fois nostalgiques et triomphaux du final de la partition de Stravinsky, on ne peut s’empêcher de penser que la compagnie de Kader Belarbi, qui termine avec succès sa saison par ce riche programme pourpre et or, recèle bien des talents originaux et variés.

L’Oiseau de feu (2ème distribution) Jérémy Leydier (Le Phénix) crédit David Herrero

L’Oiseau de feu (2ème distribution)
Jérémy Leydier (Le Phénix) crédit David Herrero

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Giselle au miroir de Kader Belarbi

P1110100Toulouse, Ballet du Capitole. 24 décembre 2015.

Les cheveux noirs de jais s’accordant à merveille avec ceux de sa partenaire, arborant une certaine ressemblance avec un jeune Serge Lifar, voilà comment m’apparut la première fois l’Albrecht de Kader Belarbi. C’était à Colombes lors d’une mini-tournée du ballet de l’Opéra de Paris en banlieue dans la production bretonne de Loïc Le Groumellec voulue par Patrick Dupond, alors directeur de la danse. Elisabeth Platel n’était pas alors et ne fut d’ailleurs jamais une partenaire associée à Belarbi, mais jamais peut-être je n’ai revu cette danseuse associée dans ce rôle à un danseur qui mettait aussi bien en valeur, par contraste, ses qualités physiques et stylistiques. L’approche très directe du premier acte par Kader Belarbi, un prince sans intention d’être parjure, d’une grande chaleur, convenait à l’interprétation intériorisée de Platel, en aucun cas une jeune fille naïve. A l’acte 2, sa science du pas de deux et ses belles lignes très nobles faisaient briller cette danseuse, pour qui l’interprétation devait sortir de la technique. Je regarde souvent avec émotion cette désormais vieille photographie, fixant ces amants d’un soir dans l’instant suspendu d’une arabesque décalée très lifarienne. Lormeau, Jude, Le Riche et même Legris, jamais je ne revis Platel aussi bien servie dans Giselle. Son partenaire « de banlieue » a continué à briller dans Albrecht aux côtés d’une autre Elisabeth -Maurin-,  très terrienne et romantique à la fois.

P1110148

Giselle, acte 2. Kader Belarbi et Elisabeth Platel. Un soir de 1992.

Giselle aura sans doute été le seul ballet du répertoire classique que Kader Belarbi a dansé sans arrière-pensée ; car même Siegried ne semblait pas toujours être sa tasse de thé. Encore aujourd’hui, dans son langage plus que direct, il dit : « Franchement, Albrecht, c’est le prince le moins con du répertoire ». Je l’ai vu danser dans deux productions différentes à l’Opéra de Paris qui avaientt chacune leurs qualités et leurs défauts. L’actuel directeur de la danse de Toulouse a engagé le décorateur Thierry Bosquet qui avait conçu la première production dans laquelle il est apparu à l’Opéra. Sans trop tirer le fil des parallèles, il est intéressant de voir combien l’ancien interprète a su tirer parti de ses différentes expériences. Car cette relecture de Giselle surprend tout d’abord par son aspect familier. Le décor de toiles peintes translucides de Thierry Bosquet est une belle réinvention de la mythique production Benois de 1909 ;  le village de Giselle n’est pas aux abords d’un château mais du cimetière. On apprécie le côté sépia de ses tonalités au premier acte qui a le parfum des paysages abstraits de la production Le Groumellec à Paris. Les costumes aux coupes caractérisées (les jupes retroussées de certaines filles, les pourpoints aux formes diverses et variées des garçons surplombant des pantalons serrés plutôt que des collants) et aux couleurs audacieusement  tranchées d’Olivier Bériot, inspirées de Bruegel l’Ancien, titillent l’œil comme jadis les costumes de la production bretonne de l’Opéra de Paris. A l’acte 2, les tutus des Willis ont des corolles juste légères et vaporeuses aux antipodes des juponnés exagérés de la production « Benois 1949 » de l’Opéra de Paris. Kader Belarbi sait assurément faire des choix en termes de mise en scène, ayant lui-même un certain don pour les images frappantes : de sa première chorégraphie, qui est aussi sa première réflexion sur « Giselle », une pièce foutraque mélangeant Rossini et Billie Holliday à la musique d’Adam, « Giselle et Willy », je me souviens uniquement d’une superbe idée scénographique : des centaines de paires de pointe suspendues à des fils de nylon descendaient des cintres pour servir d’environnement mental à la scène de la folie de Fanny Gaïda.

Giselle, acte 1. Maria Gutierrez (Giselle) crédit David Herrero

Giselle, acte 1. Maria Gutierrez (Giselle) apparaît avant même la mythique sortie de la petite maison.  crédit David Herrero

Depuis cet essai de 1991, l’homme de spectacle a heureusement gagné en clarté de propos. La nouvelle Giselle du Capitole se distingue d’ailleurs par un découpage narratif clarifié qui gomme les passages de pur divertissement sans pour autant en éluder la chorégraphie. A l’acte un la première rencontre de Giselle et d’Albrecht-Loys est écourtée du traditionnel passage avec les paysannes. On s’achemine donc très vite vers la variation de la diagonale sur pointes et le pas de deux (ici pas de quatre) des vendangeurs semble du coup moins ralentir l’action. Mais ce passage coupé n’est pas supprimé pour autant. Le badinage devant la maison est placé à la toute fin de l’acte : avec une partie chorégraphique un peu augmentée pour Albrecht, il figure alors une véritable déclaration d’amour à Giselle. Ceci rend la rupture d’atmosphère par Hilarion découvrant l’imposture encore plus dramatique.  La Giselle de Belarbi se distingue également par une volonté d’épaississement des rôles secondaires. Bathilde, la fiancée légitime du prince écope d’un charmant duo avec l’héroïne lorsqu’elle lui donne le médaillon. Elle tente également de consoler la jeune fille pendant la scène de la folie (sur une interpolation musicale très « noble » qui dure juste assez longtemps pour ne pas être gênante). A la fin de l’acte deux, Belarbi ayant opté pour un rétablissement du « retour à la réalité », on voterait presque pour la réapparition de cette autre fiancée trahie comme c’était le cas à l’origine, en 1841. Hilarion quant à lui apparaît clairement réhabilité. C’est un bougre sympathique, doté d’un vrai charisme, qui est celui avec qui Giselle aurait pu vraiment être heureuse dans le monde réel.

Cette vision d’un Hilarion touchant n’est pas sans convoquer le souvenir de l’autre Giselle que Belarbi-le danseur a incarné avec force à l’Opéra aux côtés de Monique Loudières puis de Céline Talon : la relecture du ballet par Mats Ek. Pour sa réécriture de l’acte un, que Belarbi-le chorégraphe voulait « plus proche de la terre », avec des « vendangeurs » qui deviennent des « vignerons », on craignait que le créateur de « Giselle et Willy », ne cède à l’envie de faire éclater au beau milieu d’un ballet romantique les accents flamboyants d’une gestuelle par trop expressionniste. Mais si elles ont bien un petit parfum « Cullberg-tien » avec quelques frotti-frotta entre garçons et filles, on doit reconnaître qu’elles gardent suffisamment un air de famille avec les danses d’origine pour ne pas perturber l’œil. Elles ont de surcroît l’avantage de fournir au corps de ballet masculin quelques occasions de briller techniquement (avec notamment l’ajout d’une « danse des ivrognes » pour deux d’entre eux).

Longtemps catalogué dans la catégorie des « modernes » à l’Opéra, aux côtés de Marie-Claude Pietragalla ou de Wilfrid Romoli (tous des interprète de la Giselle de Ek), Belarbi montre ici combien son ouverture d’esprit d’alors lui permet maintenant de soutenir la tradition devant un public d’aujourd’hui.

En soi, on l’aura compris, la nouvelle production de Giselle vaut bien plus qu’un détour par Toulouse. Pour ce qui est de l’interprétation, la Giselle de Maria Gutierrez valait assurément le voyage. La danseuse, l’arabesque facile et le piqué incisif au premier acte, semble ne pas jouer tant tout paraît naturel et sans afféterie. Sa scène de la folie est l’une des plus forte auxquelles il m’a jamais été donné d’assister. Absolument pas folle mais vraiment brisée,  elle se cogne contre les membres de la cour, contre sa rivale et contre les paysans comme un oiseau affolé contre les vitres d’une serre où il se serait emprisonné. Elle s’effondre sur le médaillon de Bathilde, la tête vers le public, la main tendue vers la fosse d’orchestre. A l’acte deux, très silencieuse, comme privée de poids, elle garde pourtant un  lien avec la petite paysanne virevoltante du 1er acte par le travail incisif du bas de jambe ; une véritable ombre aimante.

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Son partenaire, Takafumi Watanabe convainc moins en Albrecht. Doté d’une très jolie technique, soucieux du style et de l’interprétation, il parait cependant bien vert et n’échappe pas toujours aux poses pantomimes stéréotypées. Le choix de la reine des Willis laisse d’ailleurs beaucoup plus circonspect : Ilana Werner a le jeté lourd et le bras hyperactif au milieu d’un corps de ballet de Willis au travail de pied délicat et silencieux.

Mais les sujets de satisfaction ne manquent pas. En tout premier lieu, l’Hilarion très franc et très mâle de Demian Vargas qui s’effondre en pleurs sur l’épée d’Albrect à la fin du premier acte et meurt avec panache (et élévation) sous les coups des Willis, ou encore la Bathilde empathique de Juliette Thélin (qui sera également une très mousseuse deuxième Wili en remplacement de Lauren Kennedy). Dans le pas de quatre des paysans, on est ravi par le duo des garçons qui transcendent leur différence de style -Matthew Astley (poli et pur) et Philipe Solano (athlétique et bravache)- par un complet unisson dans leur musicalité. Une musicalité magnifiée par l’orchestre du Capitole de Toulouse qui, sous la baguette experte de Philippe Béran fait fièrement résonner la belle partition d’Adam.

La salle qui a applaudi avec beaucoup d’enthousiasme cette équipe d’artistes entourant son directeur de la danse coiffé d’un bonnet à pompons (Belarbi prend les choses au sérieux mais ne se prend jamais au sérieux) ne s’y est pas trompée. Toulouse a désormais « sa » Giselle et la compagnie pour la danser.

Giselle, acte 2 Maria Gutierrez (Giselle) et Takafumi Watanabe (Albrecht) crédit David Herrero

Giselle, acte 2
Maria Gutierrez (Giselle) et Takafumi Watanabe (Albrecht) crédit David Herrero

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Giselle in Toulouse: Let me count the ways

Théâtre du Capitole - salle. Crédit : Patrice Nin

Théâtre du Capitole – salle. Crédit : Patrice Nin

Toulouse, Ballet du Capitole. December 24th

On Christmas Eve, I’d rather partake in seduction, madness, death, zombie rituals, and on-stage wine making than submit to (year after year) forced good cheer, snowflakes, and “let us now bless the fruitcake.”

God I love France. For the holidays, ballet companies can still afford to program intelligent and saccharine-free entertainment for tired grown-ups. This December 24th not a Nutcrack was stirring and no kid played a mouse. In Paris, to chase the winter blues away you could have treated your family to either the glistening and tragic Nureyev-Petipa “La Bayadere” at the Opéra Bastille or Pina Bausch’s eviscerating version of “Le Sacre du printemps” at the Palais Garnier. On that same day in Toulouse, you would have been swept away into a new production of “Giselle,” as most thoughtfully revisited by its director, Kader Belarbi.

Because of the glories and pitfalls of ballet being part of an “oral tradition,” there has not been and will never be “the” authentic version of any ballet made before the ability to record live performances became ubiquitous. And even now, technique will continue to develop (the idea scares me a bit), coaches will always encourage their heirs to go that one step further, adding clutter when clutter is what needs to be cleared away.

Even if I’ve been a Giselle-ophile since as long as I can remember, I’ve always been perplexed by all the different versions proffered as “the one” by different companies and quite often wished that at least one of them would smooth out some of the anachronisms in the drama (which are frequently rendered less palpable by the sheer force of the dancing personas of a specific G or Albrecht…which can explain why it endures despite its oddities).

So here are some reasons to be thankful for this new Giselle in Toulouse:

#1: the set and costumes. Why shouldn’t we get rid of Alexander Benois’s nostalgist tsarist-inspired happy-serf aesthetic? And rightfully rediscover something closer to the original French point of view? This ballet was born in France just the “bourgeois monarch” Louis-Philippe ordered that Notre-Dame finally be landmarked and medieval revival style – as well as class conflict — was all the rage. Giselle is a poor peasant, right? What’s with the little cozy cabin and the perfectly wrought bench? Make the hut look like a hut, the bench a log, the peasants wear bright colors with white knickers [yeah, too clean and very 19th century, but let’s get not too historically correct. The overall feeling is). Have Wilfred hide Albrecht’s noble sword in a yet-to-be-filled wine barrel. More the pity then that, in Act 2, Giselle’s grave doesn’t look freshly dug but lists to the side as only very old markers do. If that is the case, does the obsessed Hilarion really need to be shown where it is?

Giselle, acte 1. crédit David Herrero

Giselle, act 1. crédit David Herrero

#2: peasants vs. nobles. Put peasants in soft slippers, make their dances squat and flexed-footy and sharpen class difference by making the noblewomen actually dance, and angularly – in an almost Art Deco way — on pointe with their cavaliers (much more fun to watch than reluctantly trotting borzois, as it turns out). The specificity of movement on each side not only clarifies the gulf separating these two worlds. Now it calls attention to how Giselle’s (Maria Gutierrez) gentle and airborne way of moving – the steps we are used to – determines that this unusual girl is caught in-between. Her steps partake of neither camp. Next, finally cast a Berthe who looks the right age to be the mother of a teenager, who acts as grounded and dignified as peasants really are, and entrust the role to Laura Fernandez’s strong spine and pithy mime. Adding two drunk male villagers might at first seem off-putting when you first open the program, but the high-flying travails of Minoru Kaneko and Nicolas Rombaut – partly to odd bits of Adam’s original score – made more sense than the usual frou-frou. That frou-frou also known as…

#3: ze Peasant pas de deux. Interpolated music, interpolated dance, why? Of course I know it was there from the start, a gift to a starlet in 1841, but the intrusion persists and never really ever satisfies. Good lord, I’ve seen duos, trios, sextets, octets, all set to this music, all of which stop dead the arc of a drama that is supposed to be building steam. Here Belarbi re-channeled the steps via a real quartet of villagers, clearly introduced by Giselle at an appropriate moment. Kayo Nakazato and Tiphaine Prévost, Matthew Astley and Philippe Solano exchanging, echoing, responding to each other’s steps, made it all fresh and rescued the flow. When Astley and Solano quit lightly competing and sank gracefully to the knee in perfectly relaxed synchronicity I thought, “this fits this imaginary world.” Usually this section seems to interrupt the narrative, like a hula dance devised for tourists. Here it almost felt too short.

#4: Hilarion. Demian Vargas may be the best one I’ve ever seen. Rough and rustic enough but only to the point that we understand that Giselle might find his passion a bit too intense. But she could never deem him creepy, as Gutierrez emphasized in her soft sad mime, knowing how her words would pain him. Little added bits of business – he goes to fetch water for Berthe as a hopeful future son-in-law would do; doesn’t have to go as far as breaking into a house in order to find the sword – made you root for him. For once not forced to do “lousy dance” when hunted in Act 2 (normally emphasized so that Albrecht looks better). Because of the set-up in Act 1, the fact that he danced to his death using the same kind of classic vocabulary that had isolated Giselle…made sense. This misunderstood Hilarion, too, had been trapped by birth in a village that could not fathom an equally honorable soul. Just one detail from many: in the mad scene, when this Giselle falls splat down in our direction, her hands with violently splayed fingers seem to be reaching out to us. During his dance of death, Belarbi makes Hilarion repeat this image. It’s subtle, you might not catch it, but it embodies how Hilarion has been haunted by Giselle’s fate, and is now submitting to his own.

Hilario : Demian Vargas (here with Juliette Thélin and Davit Galstyan. Crédit David Hererro

Hilarion : Demian Vargas (here with Julie Charlet and Davit Galstyan). Crédit David Hererro

# 5: Bathilde has a real dancing part! Juliette Thélin brings authority and style to whatever she does, and here she was given something do to other than look as peevish and elegant as a borzoi. I’ve always hated the way that this character talks about love to a naïve girl, seems so generous and warm, sits around and then just stalks off in a huff when things get messy. If you want to be correct about peasants, then be correct about the aristocratic concept of duty. Real aristocrats don’t ever lose their manners. Bathilde matures before our eyes and dances towards Giselle’s sorrow (to another inhabitual snippet of Adam’s score). The “mad scene” thus expands into a tragedy not only observed but felt by all. Albrecht’s behavior doesn’t just destroy Giselle’s life, but clearly Bathilde’s one chance at happiness too. Therefore here is the one case where I wish that Belarbi been much more daring and given us the original ending where Albrecht’s melancholy now-wife arrives and leads him back to the home where their hearts aren’t.

Bathilde (Juliette Thélin) et Giselle (Maria Gutierrez). Crédit David Hererro

Bathilde (Juliette Thélin) and Giselle (Maria Gutierrez). Crédit David Hererro

I would need about 6,000 words to convey every morsel of the sensitive directions in which Belarbi has taken this beloved warhorse. Instead, just find an excuse to fly to Toulouse to see the rest of what I have only started to talk about and judge for yourself. This theatrically coherent and beautifully danced Giselle will sate you more than any Nutcracker ever will.

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Trances in Toulouse

Toulouse, La Halle aux Grains

Toulouse, La Halle aux Grains

« Eh bien dansez, maintenant! ». Toulouse. Ballet du Capitole. Saturday, June 27th.

“The fever called ‘Living’/ Is conquered at last.”

As Johan Inger’s “Walking Mad” began, I suddenly recalled an old cartoon. A sage, replete with toga and sandals, points his staff at an X in the corner of the map of a university philosophy department. The caption asks: “why are you here?”

Demian Vargas, trench-coated and bowler-hatted, wandering near the front row, has clearly lost his map. This Magritte-like apparition soon clambers up on to the stage as Ravel’s unsettling “Bolero” begins. We — and a company of beings seemingly even more feverish  and seemingly more broken –will seek the answer together.

 Out of the dark depths of the stage, an evil and fleet-footed protean wall sneaks up on him. As does a vision in white, Solène Monnereau, who makes concentrating on scooping up the limp T- shirts littering the floor a Bauschian moment.  Briefly distracted by our hapless intruder, she lets herself be scooped up by the deft Valerio Mangianti.  The mere touch (and then real power) of Mangianti’s hovering arms cannot be resisted. Why is his persona wearing a house dress? I leave it you to figure out, but the dress does let you see how deeply his movements are rooted in the ground and spiral up from a sure place.

The wall keeps flapping around, rolling, falling, re-configuring itself, dextrously manipulated from behind. To be banged on, clung to, slipped around, grasped, almost scaled, resisting all attempts to breech it.

Sooner or later, you arrive at one certainty: being alive is not meant for the faint-hearted. It gives you fever. Our guy, now divested of his trench-coat – and many bowler hats will now flow through the hands of his new posse – has either found his way to insane people or to a world of his own feverish imagination. This condition is often surprisingly jolly Inger’s kinetic choreography keeps playing sly switches on your expectations of “what should come next.”

Indeed, this bitter-sweet ballet is full of fun surpises. Inger’s vocabulary clearly developed while devoting his own body to Kylian’s world. Lurch your mid and upper-body forward and a partner will grab you under the arms and swoop you around in grande seconde plié. He also makes deft use of Forsythe’s – “pick a card, any card” [i.e. any part of the body] free-style.  Push off of or onto any point of an opposing body, including your own, and see where you end up. But these moments come an go. Nothing here feels derivative or predicable or old hat.

Walking Mad. Julie Loria.Photographie David Herrero

Walking Mad. Julie Loria.Photographie David Herrero

The group dons pointy noses, and also nurse them atop their heads. More lost laundry and more fevered figures come and go, each finding a new way to be annoyed by the amorphous wall. Matthew Astley, both goofy and pure of line, attacks each step as if dance had been invented by Beckett.  Julie Loria – restless to her fingertips — in a red tremble, sets the guys atremble too. You want to both laugh and cry, then, when Loria slaps herself into the corner of the wall (now a pointy imploding wedge) and tries to pull her own shadows back into her orbit.

That wall means everything and nothing. We are all mad or being alive means being mad. You have choices to make. Will you accept life in the form of a madhouse or a funhouse?  Do you want to go it alone or dare to try to pull another into your body and mind?

But, alas, there’s more. And this has been bothering me. Boléro, especially as stopped and restarted here in very unexpected ways, can cover about 15 to even 25 perfect minutes. Inger, and the dancers of Toulouse, made this musical warhorse seem fresh and new and pure and precisely as weirdly logical and illogical as it should be. Why did he have to add an appendix?

 “All that we see or seem /Is but a dream within a dream.”

 For his finale — a so sad and sobering, utterly unfunny and intense duet of irresolution – Inger could have even used another overused stalwart: silence. Alas, no.

Instead, way back in 2001, he fell on one of Arvo Pärt’s throbbing and repetitive scores, which have rapidly become even more of a dance world cliché than Boléro.  At this point, someone needs to lock them up in a wall-safe.

Ravel’s Bolero repeats itself — and how! – but, especially as teased apart as in the soundscape for the first part of the ballet, it launched the dancers on a crazy journey. Pärt’s music just sits in place and goes nowhere. Given Inger’s intelligence in constructing the giddily vivid first part. I am sure he intended to sober us up, to make us feel as trapped as Juliette Thélin and Demian Vargas. This pas de deux further distills the desperate need to escape over that wall. These two worked their bodies into tender and somber places and chiseled away at each moment. Simply holding out a coat to the other, a tiny crick of the neck, epitomized how small gestures can be enormous. They sucked the audience down into their vortex of a dream within a dream. Despite my irritation with the music, I was gulled too. This expressive, expressionistic, parable of “alone-together” reminded me of Gertrude Stein’s purported last words: “What is the answer?” The room stared at her. Silence She picked up on that. “Then, what is the question?”

*

*                                              *

“Keeping time, time, time./In a sort of Runic rhyme,/To the tintinnabulation that so musically wells/from the bells, bells, bells.”

Cantata. Tabatha Rumeur, Julie Charlet, les musicienne du groupe ASSURD et ensemble. Photographie : David Herrero

Cantata. Tabatha Rumeur, Julie Charlet, les musicienne du groupe ASSURD et ensemble. Photographie : David Herrero

Maybe singing and dancing and banging on something are the answer after all, according to Mauro Bigonzetti’s Cantata.

Instead of a moving wall, here we had an ambulating wall of oaky and resonant sound provided by the powerful voices and bodies of the Southern Italian musical collective ASSURD. Weaving in and out amongst the dancers on stage, the singers’ voices and instruments cried, yelled, lullaby-ed, coaxed, spat, spangled. And, along with the dancers, managed indeed to help us understand why we needed to be here, in Toulouse.

At first, you kind of go: uh, oh. Chorale singing, an accordion being squeezed onstage by a small and loud barefoot woman, women dancers who twist alone and twitch if lifted. Back on the ground, they return to poses that make them look like arthritic trees that died from thirst. After a bunch of men dump them in a pile atop each other, the women continue to squirm, bite their hands, and put fingers in their mouths to pull at the skin of their faces. Ah, got it, Southern Italy. Tarantula bites. Means more madness, eh? But these gestures – just at the moment when I went “uh oh” yet one more time – continued down a Forsythian path, setting off major locomotion.

The tammurriata and tammorra, like Ariadne’s thread, will lead our dancers back to the world of the living. Honey, the tinkly “tambourine,” as we know it from Balanchine, Mère Simone, and Bob Dylan, has nothing to do with the Kodo-ish propulsion of these gigantic hand-held objects. The rhythms are strict, not shimmied or approximate, nor is the dance. And what a fun sound to try to use your body to interpret!  Do a conga line bent over on your knees: march forward with your elbows hitting the ground like feet, chin in hand, then slap the floor with your palms. Feel your weight. Now we’re going somewhere.

Cantata. Béatrice Carbone. Photographie : David Herrero

Cantata. Béatrice Carbone. Photographie : David Herrero

Here couples don’t yearn to scale any wall, they merely try to rise above any limits and then return to stamp at the soil of the earth. Women step all over men’s recumbent bodies, and evolve from being manipulated to being manipulators. Arms reject swanny elegance: chicken wings preferred. A black-widow sunflower, Beatrice Carbone, all curled arms and cupped fingers, distances herself from the crowd. A duet: hands hit together, or try to. Dancers repeatedly find calm by taking the hands of others and brushing them over their faces. Avetik Karapetyan continues to remind me of the explosive and expressive Gary Chryst of the Joffrey. Maria Gutierez shimmies and shines in a new way every time I see her.  The action transforms itself into a raucous and joyous frenzy.

At the very end, the company blows us a kiss. And you want to stay right here.

Why Toulouse? Kader Belarbi’s company of individuals, and the opportunities his keenly-chosen repertory gives them, provides the best answer of all.

Quotes are from Edgar Allan Poe. “For Annie;” “A Dream[…]”; “The Bells ».

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Toulouse : Fourmis et cigales

Toulouse, La Halle aux Grains

Toulouse, La Halle aux Grains

Ballet du Capitole de Toulouse : « Eh bien dansez, maintenant! » 27/06/2015

On savait bien que l’injonction de fourmi industrieuse qui regroupait sous son verbe les deux pièces présentées n’était qu’un prétexte. La saison dernière, à la même époque, le programme « Valsez ! » était en fait un hommage au tango. Mais il y en est ainsi du pouvoir des titres. Ils colorent imperceptiblement notre perception des œuvres.

Fourmis…

On se souvient encore de Johan Inger, le long et élégant danseur blond du Nederlands Dans Theater qui magnifiait de sa présence posée et paisible les pièces très élaborées et quelque peu dépressives de Jiri Kylian à l’aube des années 2000. Son ballet, Walking Mad (2001), doit ainsi beaucoup à l’influence de maître de La Haye et, par ricochet, aux expérimentations de Forsythe dans les années 90. Le principal dispositif scénique de la pièce, un mur mouvant à géométrie variable, se déclinant en une multitude de portes et se rétractant parfois pour former un plancher de danse supplémentaire, n’est pas sans évoquer l’iconique mur d’Enemy In the Figure. Les danseurs s’y accrochent souvent comme ces petit personnages gélatineux jetés contre des vitres proposés aux enfants dans les rues par des marchands à la sauvette. L’une des grandes qualités de la pièce est son absurdité assumée. Une absurdité tendre. Le point de départ est simple : un type en imper gris pluie et chapeau melon assorti (Damian Vargas) monte sur scène où une fille triste (Solène Monnereau) récolte des T-shirt de couleur. Elle refuse l’offrande de son imperméable. Les deux danseurs tapent contre le mur, ce qui les propulse dans un monde coloré. Deux autres filles (Julie Loria et Juliette Thélin) et une cohorte de mâles affolés, parfois de désir, et parfois agités tout court, entrent alors dans la danse. Tout ce petit monde ressemble à une colonie de fourmis industrieuses qui auraient consommé quelques substances illicites. Les passes de partnering, extrêmement techniques, créent un sentiment de perpétuel évitement. Les filles roulent, s’enroulent autour des garçons mais c’est pour toujours leur échapper. Cette ronde de séduction se pose avec beaucoup d’intelligence sur le Boléro de Ravel. Ce n’est pas la moindre qualité de cette pièce d’avoir abordé une œuvre musicale tellement liée au XXe siècle à la vision qu’en a donné Maurice Béjart. À l’occasion, on reconnaît même des petits clins d’œil à ce ballet mythique. Sur une partie du mur érigée en estrade de danse, Valerio Mangianti, sculptural et élégant, improvise une danse de séduction. Les autres garçons prennent aussi des poses de matador. Mais ils sont coiffés de chapeaux de fée et leur dignité ne fait pas le poids. On les retrouve bientôt tremblant des genoux tels de piteux élus du Sacre du printemps, version Nijinsky. Dans ces rôles de « mâle mis à mal », le jeune Matthew Astley est particulièrement irrésistible avec sa tignasse rousse et ses mimiques d’ahuri touchant.

"Walking Mad". Shizen Kazama et Julie Loria. Photo : David Herrero

« Walking Mad ». Shizen Kazama et Julie Loria. Photo : David Herrero

Cette lecture à la fois loufoque et poétique de la « chanson scie » de Ravel aurait suffi à notre bonheur. Dans sa dernière section, celle du – nécessaire ? – retour à la réalité et à la grisaille, sur le Für Alina d’Arvo Pärt, une pièce abondamment chorégraphiée dans les années 2000, Johan Inger surprend moins avec une gestuelle proche de l’esthétique de Mats Ek.

Cigales…

Avec Cantata, de Mauro Bigonzetti, on commence par un chant de voix blanches, des voix de danseurs rangés tout serrés dans un carre de lumière, bientôt relayé par les accents rauques des chanteuses du groupe Assurd. Dans ce ballet, les hommes et les femmes apparaissent d’abord dans des rôles très clivés. Serrées les unes contre les autres, encadrées d’un demi-cercle d’hommes menaçants et prédateurs, les femmes se contorsionnent la bouche ouverte. Les mâles se meuvent lentement ou se figent, tels des statues implacables. On pense cette fois au Sacre de Pina Bausch, impression renforcée par les robes-chasuble mi-longues qu’elles portent. Sont-elles oppressées, opprimées, ou en prise à ces fièvres par piqûre d’araignées pour lesquelles chaque région d’Italie du Sud a inventé sa tarentelle spécifique?

"Cantata". Maksat Sydykov et Maria Gutierrez. Photographie : David Herrero

« Cantata ». Maksat Sydykov et Maria Gutierrez. Photographie : David Herrero

Mais les clivages sont bientôt questionnés. Maria Gutierrez, ancrant les pieds dans le sol comme personne, change d’homme en cours de pas de deux. Commençant avec un partenaire à la virilité agressive (le puissant Avetik Katapetyan, un colosse dont on s’étonne toujours de voir la suspension aérienne des sauts), elle termine sur une note de partage avec Maksat Sydykov qui prend sa suite. Avec l’apparition de la tammorra, cet énorme tambourin tendu d’une peau de chèvre, aux cymbales d’étain, les femmes prennent lentement la main. Le solo puissant d’une fille en robe noire et aux cheveux lâchés (Béatrice Carbone) semble le signe de cette révolution. Puis, dans un double duo, les filles piétinent allègrement la poitrine des garçons étendus au sol qui les ont soulevées sur leur dos, telles des vierges de procession, tout en faisant des pompes (Jeremy Leydier est particulièrement remarquable dans ce passage par sa puissance d’interprétation). Par la suite, un garçon hésite timidement entre deux filles et pose la main sur le ventre de l’une d’entre elles. Il n’est pas sélectionné.

Plus on avance, plus la pièce estompe les clivages de genre pour laisser place à la transe de la fête.

C’est ainsi qu’au travers de 10 « danses chantées », on brise la glace avec tout un petit monde, un peu comme un voyageur tour à tour effrayé, abasourdi, interpellé (un épisode assez drôle de dialogue de sourds entre un Italien et un Français) et … entraîné dans la danse. On découvre un coin d’Italie du sud sans avoir vu un pas d’une authentique danse napolitaine. Mais cette réalité reconstruite vaut bien le détour.

Vaut le détour… Une appellation on le concède un peu touristique mais qui définit bien ce qu’on pense de la compagnie façonnée depuis trois saisons par Kader Belarbi. Ses danseurs passent avec succès du répertoire baroque (La Fille d’Ivo Cramer) au formalisme intriqué d’un Noureev en passant par le lyrisme d’un Lifar ou l’expressionisme des chorégraphies contemporaines.

Spectateurs curieux, spectateurs blasés… Allez à Toulouse !

Ballet du Capitole de TOulouse. Photographie : David Herrero

Ballet du Capitole de TOulouse. Photographie : David Herrero

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Toulouse: Roses Bloom Beyond Paris (2/3)

DAY ONE: THE BALLET DU CAPITOLE, TOULOUSE (evening of October 25)

Photo Patrice Nin / Théâtre du Capitole

Photo Patrice Nin / Théâtre du Capitole

LES MIRAGES (Lifar/Sauguet/Cassandre)

“Then you shall judge yourself,” the king answered. “That is the most difficult thing of all. […] If you succeed in judging yourself rightly, then you are indeed a man of true wisdom.”

Everyone who teaches a class on Existentialism should simply force the students to watch these two ballets – Les Mirages and Les Forains — and then tell them to hide all those hundreds of pages by Sartre under their beds along with their ripe underwear. Next assignment: go sit in a café and watch those passing by over a glass of the cheapest wine on the menu. Just what are all these people on the sidewalks running after? Love? Money? The moon and the stars? What do they think they will find in the end?

The story of Les Mirages is very much as if, say, a rather more ripe little prince had landed in a never-never-land filled with women, should have known better, and realized – a bit too late — that there’s no place like home. The fresh intensity of the Toulouse company’s interpretation kept me wondering – even if of course I knew – what would happen next.

In a smaller house, on a smaller stage, almost everything seemed magnified, larger than life: the music, the set, the costumes, the dancers.

The men of Toulouse are brawnier than those in Paris, and that physique brings us back to the 1940’s in a very positive way. More Jean Marais than Gérard Philipe, Avetik Karapetyan’s “Jeune Homme,” a faultless technician and obviously reassuring partner (five very distinct women at least, plus the random passerby!) brought that indefinable charisma that makes one of those “god I’m on the stage almost for the entire 45 minutes and I am playing a jerk and always turn to the right” roles seem like one of the best kinds of roles you could hope for. He gave an archetype a soul.

Les Mirages. Maria Gutierrez (l'ombre). Photographie Francette Levieux

Les Mirages. Maria Gutierrez (l’Ombre). Photographie Francette Levieux

Maria Gutierrez’s sharply-distilled, yet unsettlingly tender, L’Ombre – the clueless young man’s shadow, his shade, his subconscious, the truth about himself that he doesn’t want to face –was likened by Cléopold to a guardian angel. We both noticed the subtle way that she and Karapetyan seemed a microsecond off of the polished synchronization you get at the Paris Opera. And that opened our eyes. Suddenly the point of l’Ombre, to me, evoked Echo and her frustrations with a beloved Narcissus. She is unable to speak first yet ever condemned to always have the last word. More than saddened by her charge’s repeated follies – his chasing after Caroline Betancourt’s shifty bird of paradise, who moved so fast she blurred, or seeming to learn to breathe again while clasping Beatrice Carbone’s graciously swirling Art Deco curves to what he thinks is his heart – Gutierrez’s frustrated stabs at the ground with her toes, her wind-milling arms, her sudden still balances, all conspired to break my heart. I’ve never seen an Ombre so saddened by human folly. And the only way to do this is to turn off the Parisienne’s chic, to let go of irony. To despair, as one might have, in 1944.

*

*         *

LES FORAINS (R.Petit/Sauguet/Bérard)

“It is such a secret place, the land of tears.”

I have a soft spot for Les Forains [The Carneys]. That’s when I first spotted –evening after evening – Myriam Ould-Braham seeming to glow as one of the Siamese twins in Paris. Here I couldn’t focus my eyes exclusively on anyone, for the passion of everyone on stage, including that of the “spectators,” became overwhelming. Did you know that Piaf needed to record a new song based on the mood and music after seeing this very ballet?

I wonder what more Piaf would have given that song if Philippe Béran had been conducting and she had seen this company.

The Toulouse dancers, even when “just watching” with little to do, redefined the phrase “I belong to a company.” That group feeling became completely electrifying and amplified the impact of this terrible story about the loss of hope: a starving family circus troupe along with some minor talents it has adopted, put on a show and then try to pass around the hat. Day after day after day. Roland Petit’s ballet, which premiered in March 1945, recounts just one of those hungry and hopeless days. It makes you feel like an overfed voyeur content to look through a spyglass at human misery, and who brushes it off while looking for a taxi.  Alas, this is one story that will never go out of date.

Les Forains.  Artyom Maksakov (le prestidigitateur) et Beatrice Carbone (la belle endormie). Photographie Francette Levieux.

Les Forains. Artyom Maksakov (le Prestidigitateur) et Beatrice Carbone (la Belle endormie). Photographie Francette Levieux.

Yet the ballet, like hope, can be delicious if danced by the likes of Artyom Maksakov (a generous and unusually youthful and hopeful Magician, heartbreaking in the subtle way he declined how his illusions of patriarchal strength was been chipped at and then shattered by an axe-like blow near the end – what an actor!); Alexander Akulov (not only a Clown blessed with ballon and élan but…what an actor! He almost convinced me that his character was called “The Narrator”); Beatrice Carbone (fearless as The Beauty Asleep, she seemed to galvanize the onstage onlookers with energy forged by many Kitris); and Virginie Baïet-Dartigalongue (as Loïe Fulller—who remembers Loie Fuller? — who literally set the stage the moment the weary beauty of her persona walked out on to it).

A rapt audience seemed to float out of the theater, their heads in the clouds still. Yet feet dragged, for this meant leaving Sauguet’s music and Toulouse’s dancers behind and returning to this mundane earth.  I yearned to doff my hat but, alas, it proved to be only a « boa constrictor from the outside » and needed time to digest these delicious treats.

[All citations are from Antoine de Saint-Exupéry’s « The Little Prince » from 1943, in its translation by Katherine Woods].

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