Le Songe d’une nuit d’été de Balanchine (Ballet de l’Opéra de Paris, soirée du vendredi 24 mars 2017).
Avec une œuvre mi-cuite comme le Songe d’une nuit d’été de Balanchine, le plaisir de la revoyure repose principalement sur les changements de distribution. Tel passage qui vous avait paru faible lors d’une soirée peut soudain se parer d’un relief tout particulier tandis qu’un autre, qui avait attiré votre attention, est ravalé à l’anodin. Heureusement pour ce dernier, vous savez déjà quel est son potentiel. Finalement, je comprendrais presque les Américains, qui ont fini par penser que cette jolie œuvrette est la version chorégraphique idéale d’après l’œuvre de Shakespeare.
En cette soirée du 24 mars, Marion Barbeau, la délicieuse soliste du Pas de deux du deuxième acte lors de ma première soirée, était Titania. Par le respiré de ses équilibres, ses tendus-relâchés dans les marches en relevé ou dans les cambrés du buste pour les portés décalés, elle m’a fait passer la pilule douceâtre de la scène avec « monsieur Personne » (Stéphane Bullion, très élégant). Le saut signature de Titania (entre saut à l’italienne de profil, et saut de biche) prenait un allure dionysiaque tant l’impulsion en était naturelle et la réception silencieuse. Mademoiselle Barbeau sait également créer une tension dramatique dans ses soli et duos. La toute jeune fille du pas de deux (le 17) s’est ainsi muée en une déesse aussi féminine que dotée d’une autorité régalienne.
Dans Oberon, Paul Marque, ne montre pas encore une telle maîtrise. Le damoiseau peaufine sa danse (sa batterie, ses ports de bras et sa musicalité) mais ne crée pas de personnage fort par la pantomime. Si Obéron arrive un peu tôt dans la carrière de ce jeune danseur, le rôle de Puck arrive sans doute bien tard dans la carrière d’Emmanuel Thibault. Et pourtant, le danseur s’amuse et nous touche. Il semble plus régner sur les elfes qu’Obéron lui même. Sa diction du texte chorégraphique est claire et musicale.
Le quatuor des amoureux perdait un peu de son relief comique en dépit des qualités de Fabien Révillion dans Lysandre, très fleur bleue mais avec un bon sens comique dans la scène de confrontation avec Demetrius (Axel Ibot qui n’efface pas le souvenir de Valastro). Mélanie Hurel quant à elle se montre touchante dans sa scène de désespoir. Dans Héléna, Sae Eun Park est … Sae Eun Park. Que dire de plus ?
Au deuxième acte, par un effet de vase communicant, c’était le pas de deux qui était en retrait. Dorothée Gilbert en était pourtant la soliste. Las, la danseuse, qui possède la maîtrise technique et le moelleux pour danser ce rôle, ne se défait pas de sa fâcheuse conception erronée des chorégraphies de Balanchine. En effet, à chaque fois qu’elle se présente dans les ballets de Mr B., Dorothée Gilbert semble croire qu’elle doit danser comme une dame chic, le regard perdu, avec un sourire énigmatique qui la fait paraître guindée. Dans ce pas de deux allégorique, c’est Carbone (partant avec le handicap de remplacer le très attendu Hugo Marchand) qui émeut. L’aisance naturelle de la danse et la souplesse des réceptions, les inclinaisons de la tête sur un cou mobile comme une invite constante à sa partenaire, tout était là. Peine perdue…
En sortant du théâtre, je me suis fait la réflexion qu’il est regrettable que, dans ce ballet si fourmillant de personnages qu’est le Songe, il faille une distribution parfaite pour soutenir la cohérence de l’ensemble. Cette configuration a-t-elle jamais été réunie le même soir sur un même plateau, même pour un public américain énamouré ?
Merci pour cette crème servie dès le matin! Je revois ce Songe ce soir même! ( Juste la première partie, je pars ensuite…) Précisément pour ces interprètes qui m’ont enchantée… au delà de la danse, ils ont laissé flotter en moi depuis 15 jours, un saveur pleine de cette sève que possède la jeunesse, une joie de vivre aussi verte que les feuilles qui naissent aux arbres en ce moment, et une ineffable poésie qui m’enveloppe à chaque heure du jour depuis le 12 mars… jamais encore, je n’avais été enveloppée de la sorte, comme si Titania avait posé ses fleurs sur moi et malgré tous les petits reproches que l’on peut faire à cette oeuvre,je trouve incroyable qu’elle puisse ainsi changer notre état, notre mental, nos respirations à ce point! Elle m’a réconciliée avec Mr. B!
ps : j’adore votre photo en bas, elle résume ce que je ressens.
Bon spectacle, Valérie. Je regrette que vous n’ayez pas vu Marion Barbeau dans le pas de 2 du deuxième acte.
C’est bien dans le pas de deux que je l’ai vue avec F. Magnenet et je l’ai trouvée absolument sublime, j’en suis restée bouche bée! Mais je n’ai pas trouvé de photo du pas de deux aussi belle que celle que j’ai postée d’elle, dans le rôle de Titania; je ne l’ai malheureusement pas vue dans ce rôle qu’elle doit incarner avec sa grâce unique; ce soir je reverrai Hannah O’Neill dont j’aime la fraîcheur et la féminité toute en discrétion.
Donc, j’inverse mes regrets… Toute la chorégraphie de Titania m’a passionné lorsque Marion Barbeau l’a dansée…
Après avoir lu ce que vous avez écrit sur Gilbert dans le pas de Deux, je ne suis pas restée ce soir pour le divertissement…. ce » chic » m’avait aussi profondément agacée dans sa Juliette! Juliette est tout sauf » chic »!….
Pas de distribution idéale ce soir non plus, mais quelle souffle poétique dans cette oeuvre! Je le ramène à la maison avec moi et il va flotter longtemps dans l’air que je respire, je le sens… c’est toute la magie de l’art…