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Giselle au miroir de Kader Belarbi

P1110100Toulouse, Ballet du Capitole. 24 décembre 2015.

Les cheveux noirs de jais s’accordant à merveille avec ceux de sa partenaire, arborant une certaine ressemblance avec un jeune Serge Lifar, voilà comment m’apparut la première fois l’Albrecht de Kader Belarbi. C’était à Colombes lors d’une mini-tournée du ballet de l’Opéra de Paris en banlieue dans la production bretonne de Loïc Le Groumellec voulue par Patrick Dupond, alors directeur de la danse. Elisabeth Platel n’était pas alors et ne fut d’ailleurs jamais une partenaire associée à Belarbi, mais jamais peut-être je n’ai revu cette danseuse associée dans ce rôle à un danseur qui mettait aussi bien en valeur, par contraste, ses qualités physiques et stylistiques. L’approche très directe du premier acte par Kader Belarbi, un prince sans intention d’être parjure, d’une grande chaleur, convenait à l’interprétation intériorisée de Platel, en aucun cas une jeune fille naïve. A l’acte 2, sa science du pas de deux et ses belles lignes très nobles faisaient briller cette danseuse, pour qui l’interprétation devait sortir de la technique. Je regarde souvent avec émotion cette désormais vieille photographie, fixant ces amants d’un soir dans l’instant suspendu d’une arabesque décalée très lifarienne. Lormeau, Jude, Le Riche et même Legris, jamais je ne revis Platel aussi bien servie dans Giselle. Son partenaire « de banlieue » a continué à briller dans Albrecht aux côtés d’une autre Elisabeth -Maurin-,  très terrienne et romantique à la fois.

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Giselle, acte 2. Kader Belarbi et Elisabeth Platel. Un soir de 1992.

Giselle aura sans doute été le seul ballet du répertoire classique que Kader Belarbi a dansé sans arrière-pensée ; car même Siegried ne semblait pas toujours être sa tasse de thé. Encore aujourd’hui, dans son langage plus que direct, il dit : « Franchement, Albrecht, c’est le prince le moins con du répertoire ». Je l’ai vu danser dans deux productions différentes à l’Opéra de Paris qui avaientt chacune leurs qualités et leurs défauts. L’actuel directeur de la danse de Toulouse a engagé le décorateur Thierry Bosquet qui avait conçu la première production dans laquelle il est apparu à l’Opéra. Sans trop tirer le fil des parallèles, il est intéressant de voir combien l’ancien interprète a su tirer parti de ses différentes expériences. Car cette relecture de Giselle surprend tout d’abord par son aspect familier. Le décor de toiles peintes translucides de Thierry Bosquet est une belle réinvention de la mythique production Benois de 1909 ;  le village de Giselle n’est pas aux abords d’un château mais du cimetière. On apprécie le côté sépia de ses tonalités au premier acte qui a le parfum des paysages abstraits de la production Le Groumellec à Paris. Les costumes aux coupes caractérisées (les jupes retroussées de certaines filles, les pourpoints aux formes diverses et variées des garçons surplombant des pantalons serrés plutôt que des collants) et aux couleurs audacieusement  tranchées d’Olivier Bériot, inspirées de Bruegel l’Ancien, titillent l’œil comme jadis les costumes de la production bretonne de l’Opéra de Paris. A l’acte 2, les tutus des Willis ont des corolles juste légères et vaporeuses aux antipodes des juponnés exagérés de la production « Benois 1949 » de l’Opéra de Paris. Kader Belarbi sait assurément faire des choix en termes de mise en scène, ayant lui-même un certain don pour les images frappantes : de sa première chorégraphie, qui est aussi sa première réflexion sur « Giselle », une pièce foutraque mélangeant Rossini et Billie Holliday à la musique d’Adam, « Giselle et Willy », je me souviens uniquement d’une superbe idée scénographique : des centaines de paires de pointe suspendues à des fils de nylon descendaient des cintres pour servir d’environnement mental à la scène de la folie de Fanny Gaïda.

Giselle, acte 1. Maria Gutierrez (Giselle) crédit David Herrero

Giselle, acte 1. Maria Gutierrez (Giselle) apparaît avant même la mythique sortie de la petite maison.  crédit David Herrero

Depuis cet essai de 1991, l’homme de spectacle a heureusement gagné en clarté de propos. La nouvelle Giselle du Capitole se distingue d’ailleurs par un découpage narratif clarifié qui gomme les passages de pur divertissement sans pour autant en éluder la chorégraphie. A l’acte un la première rencontre de Giselle et d’Albrecht-Loys est écourtée du traditionnel passage avec les paysannes. On s’achemine donc très vite vers la variation de la diagonale sur pointes et le pas de deux (ici pas de quatre) des vendangeurs semble du coup moins ralentir l’action. Mais ce passage coupé n’est pas supprimé pour autant. Le badinage devant la maison est placé à la toute fin de l’acte : avec une partie chorégraphique un peu augmentée pour Albrecht, il figure alors une véritable déclaration d’amour à Giselle. Ceci rend la rupture d’atmosphère par Hilarion découvrant l’imposture encore plus dramatique.  La Giselle de Belarbi se distingue également par une volonté d’épaississement des rôles secondaires. Bathilde, la fiancée légitime du prince écope d’un charmant duo avec l’héroïne lorsqu’elle lui donne le médaillon. Elle tente également de consoler la jeune fille pendant la scène de la folie (sur une interpolation musicale très « noble » qui dure juste assez longtemps pour ne pas être gênante). A la fin de l’acte deux, Belarbi ayant opté pour un rétablissement du « retour à la réalité », on voterait presque pour la réapparition de cette autre fiancée trahie comme c’était le cas à l’origine, en 1841. Hilarion quant à lui apparaît clairement réhabilité. C’est un bougre sympathique, doté d’un vrai charisme, qui est celui avec qui Giselle aurait pu vraiment être heureuse dans le monde réel.

Cette vision d’un Hilarion touchant n’est pas sans convoquer le souvenir de l’autre Giselle que Belarbi-le danseur a incarné avec force à l’Opéra aux côtés de Monique Loudières puis de Céline Talon : la relecture du ballet par Mats Ek. Pour sa réécriture de l’acte un, que Belarbi-le chorégraphe voulait « plus proche de la terre », avec des « vendangeurs » qui deviennent des « vignerons », on craignait que le créateur de « Giselle et Willy », ne cède à l’envie de faire éclater au beau milieu d’un ballet romantique les accents flamboyants d’une gestuelle par trop expressionniste. Mais si elles ont bien un petit parfum « Cullberg-tien » avec quelques frotti-frotta entre garçons et filles, on doit reconnaître qu’elles gardent suffisamment un air de famille avec les danses d’origine pour ne pas perturber l’œil. Elles ont de surcroît l’avantage de fournir au corps de ballet masculin quelques occasions de briller techniquement (avec notamment l’ajout d’une « danse des ivrognes » pour deux d’entre eux).

Longtemps catalogué dans la catégorie des « modernes » à l’Opéra, aux côtés de Marie-Claude Pietragalla ou de Wilfrid Romoli (tous des interprète de la Giselle de Ek), Belarbi montre ici combien son ouverture d’esprit d’alors lui permet maintenant de soutenir la tradition devant un public d’aujourd’hui.

En soi, on l’aura compris, la nouvelle production de Giselle vaut bien plus qu’un détour par Toulouse. Pour ce qui est de l’interprétation, la Giselle de Maria Gutierrez valait assurément le voyage. La danseuse, l’arabesque facile et le piqué incisif au premier acte, semble ne pas jouer tant tout paraît naturel et sans afféterie. Sa scène de la folie est l’une des plus forte auxquelles il m’a jamais été donné d’assister. Absolument pas folle mais vraiment brisée,  elle se cogne contre les membres de la cour, contre sa rivale et contre les paysans comme un oiseau affolé contre les vitres d’une serre où il se serait emprisonné. Elle s’effondre sur le médaillon de Bathilde, la tête vers le public, la main tendue vers la fosse d’orchestre. A l’acte deux, très silencieuse, comme privée de poids, elle garde pourtant un  lien avec la petite paysanne virevoltante du 1er acte par le travail incisif du bas de jambe ; une véritable ombre aimante.

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Son partenaire, Takafumi Watanabe convainc moins en Albrecht. Doté d’une très jolie technique, soucieux du style et de l’interprétation, il parait cependant bien vert et n’échappe pas toujours aux poses pantomimes stéréotypées. Le choix de la reine des Willis laisse d’ailleurs beaucoup plus circonspect : Ilana Werner a le jeté lourd et le bras hyperactif au milieu d’un corps de ballet de Willis au travail de pied délicat et silencieux.

Mais les sujets de satisfaction ne manquent pas. En tout premier lieu, l’Hilarion très franc et très mâle de Demian Vargas qui s’effondre en pleurs sur l’épée d’Albrect à la fin du premier acte et meurt avec panache (et élévation) sous les coups des Willis, ou encore la Bathilde empathique de Juliette Thélin (qui sera également une très mousseuse deuxième Wili en remplacement de Lauren Kennedy). Dans le pas de quatre des paysans, on est ravi par le duo des garçons qui transcendent leur différence de style -Matthew Astley (poli et pur) et Philipe Solano (athlétique et bravache)- par un complet unisson dans leur musicalité. Une musicalité magnifiée par l’orchestre du Capitole de Toulouse qui, sous la baguette experte de Philippe Béran fait fièrement résonner la belle partition d’Adam.

La salle qui a applaudi avec beaucoup d’enthousiasme cette équipe d’artistes entourant son directeur de la danse coiffé d’un bonnet à pompons (Belarbi prend les choses au sérieux mais ne se prend jamais au sérieux) ne s’y est pas trompée. Toulouse a désormais « sa » Giselle et la compagnie pour la danser.

Giselle, acte 2 Maria Gutierrez (Giselle) et Takafumi Watanabe (Albrecht) crédit David Herrero

Giselle, acte 2
Maria Gutierrez (Giselle) et Takafumi Watanabe (Albrecht) crédit David Herrero

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Giselle in Toulouse: Let me count the ways

Théâtre du Capitole - salle. Crédit : Patrice Nin

Théâtre du Capitole – salle. Crédit : Patrice Nin

Toulouse, Ballet du Capitole. December 24th

On Christmas Eve, I’d rather partake in seduction, madness, death, zombie rituals, and on-stage wine making than submit to (year after year) forced good cheer, snowflakes, and “let us now bless the fruitcake.”

God I love France. For the holidays, ballet companies can still afford to program intelligent and saccharine-free entertainment for tired grown-ups. This December 24th not a Nutcrack was stirring and no kid played a mouse. In Paris, to chase the winter blues away you could have treated your family to either the glistening and tragic Nureyev-Petipa “La Bayadere” at the Opéra Bastille or Pina Bausch’s eviscerating version of “Le Sacre du printemps” at the Palais Garnier. On that same day in Toulouse, you would have been swept away into a new production of “Giselle,” as most thoughtfully revisited by its director, Kader Belarbi.

Because of the glories and pitfalls of ballet being part of an “oral tradition,” there has not been and will never be “the” authentic version of any ballet made before the ability to record live performances became ubiquitous. And even now, technique will continue to develop (the idea scares me a bit), coaches will always encourage their heirs to go that one step further, adding clutter when clutter is what needs to be cleared away.

Even if I’ve been a Giselle-ophile since as long as I can remember, I’ve always been perplexed by all the different versions proffered as “the one” by different companies and quite often wished that at least one of them would smooth out some of the anachronisms in the drama (which are frequently rendered less palpable by the sheer force of the dancing personas of a specific G or Albrecht…which can explain why it endures despite its oddities).

So here are some reasons to be thankful for this new Giselle in Toulouse:

#1: the set and costumes. Why shouldn’t we get rid of Alexander Benois’s nostalgist tsarist-inspired happy-serf aesthetic? And rightfully rediscover something closer to the original French point of view? This ballet was born in France just the “bourgeois monarch” Louis-Philippe ordered that Notre-Dame finally be landmarked and medieval revival style – as well as class conflict — was all the rage. Giselle is a poor peasant, right? What’s with the little cozy cabin and the perfectly wrought bench? Make the hut look like a hut, the bench a log, the peasants wear bright colors with white knickers [yeah, too clean and very 19th century, but let’s get not too historically correct. The overall feeling is). Have Wilfred hide Albrecht’s noble sword in a yet-to-be-filled wine barrel. More the pity then that, in Act 2, Giselle’s grave doesn’t look freshly dug but lists to the side as only very old markers do. If that is the case, does the obsessed Hilarion really need to be shown where it is?

Giselle, acte 1. crédit David Herrero

Giselle, act 1. crédit David Herrero

#2: peasants vs. nobles. Put peasants in soft slippers, make their dances squat and flexed-footy and sharpen class difference by making the noblewomen actually dance, and angularly – in an almost Art Deco way — on pointe with their cavaliers (much more fun to watch than reluctantly trotting borzois, as it turns out). The specificity of movement on each side not only clarifies the gulf separating these two worlds. Now it calls attention to how Giselle’s (Maria Gutierrez) gentle and airborne way of moving – the steps we are used to – determines that this unusual girl is caught in-between. Her steps partake of neither camp. Next, finally cast a Berthe who looks the right age to be the mother of a teenager, who acts as grounded and dignified as peasants really are, and entrust the role to Laura Fernandez’s strong spine and pithy mime. Adding two drunk male villagers might at first seem off-putting when you first open the program, but the high-flying travails of Minoru Kaneko and Nicolas Rombaut – partly to odd bits of Adam’s original score – made more sense than the usual frou-frou. That frou-frou also known as…

#3: ze Peasant pas de deux. Interpolated music, interpolated dance, why? Of course I know it was there from the start, a gift to a starlet in 1841, but the intrusion persists and never really ever satisfies. Good lord, I’ve seen duos, trios, sextets, octets, all set to this music, all of which stop dead the arc of a drama that is supposed to be building steam. Here Belarbi re-channeled the steps via a real quartet of villagers, clearly introduced by Giselle at an appropriate moment. Kayo Nakazato and Tiphaine Prévost, Matthew Astley and Philippe Solano exchanging, echoing, responding to each other’s steps, made it all fresh and rescued the flow. When Astley and Solano quit lightly competing and sank gracefully to the knee in perfectly relaxed synchronicity I thought, “this fits this imaginary world.” Usually this section seems to interrupt the narrative, like a hula dance devised for tourists. Here it almost felt too short.

#4: Hilarion. Demian Vargas may be the best one I’ve ever seen. Rough and rustic enough but only to the point that we understand that Giselle might find his passion a bit too intense. But she could never deem him creepy, as Gutierrez emphasized in her soft sad mime, knowing how her words would pain him. Little added bits of business – he goes to fetch water for Berthe as a hopeful future son-in-law would do; doesn’t have to go as far as breaking into a house in order to find the sword – made you root for him. For once not forced to do “lousy dance” when hunted in Act 2 (normally emphasized so that Albrecht looks better). Because of the set-up in Act 1, the fact that he danced to his death using the same kind of classic vocabulary that had isolated Giselle…made sense. This misunderstood Hilarion, too, had been trapped by birth in a village that could not fathom an equally honorable soul. Just one detail from many: in the mad scene, when this Giselle falls splat down in our direction, her hands with violently splayed fingers seem to be reaching out to us. During his dance of death, Belarbi makes Hilarion repeat this image. It’s subtle, you might not catch it, but it embodies how Hilarion has been haunted by Giselle’s fate, and is now submitting to his own.

Hilario : Demian Vargas (here with Juliette Thélin and Davit Galstyan. Crédit David Hererro

Hilarion : Demian Vargas (here with Julie Charlet and Davit Galstyan). Crédit David Hererro

# 5: Bathilde has a real dancing part! Juliette Thélin brings authority and style to whatever she does, and here she was given something do to other than look as peevish and elegant as a borzoi. I’ve always hated the way that this character talks about love to a naïve girl, seems so generous and warm, sits around and then just stalks off in a huff when things get messy. If you want to be correct about peasants, then be correct about the aristocratic concept of duty. Real aristocrats don’t ever lose their manners. Bathilde matures before our eyes and dances towards Giselle’s sorrow (to another inhabitual snippet of Adam’s score). The “mad scene” thus expands into a tragedy not only observed but felt by all. Albrecht’s behavior doesn’t just destroy Giselle’s life, but clearly Bathilde’s one chance at happiness too. Therefore here is the one case where I wish that Belarbi been much more daring and given us the original ending where Albrecht’s melancholy now-wife arrives and leads him back to the home where their hearts aren’t.

Bathilde (Juliette Thélin) et Giselle (Maria Gutierrez). Crédit David Hererro

Bathilde (Juliette Thélin) and Giselle (Maria Gutierrez). Crédit David Hererro

I would need about 6,000 words to convey every morsel of the sensitive directions in which Belarbi has taken this beloved warhorse. Instead, just find an excuse to fly to Toulouse to see the rest of what I have only started to talk about and judge for yourself. This theatrically coherent and beautifully danced Giselle will sate you more than any Nutcracker ever will.

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Trances in Toulouse

Toulouse, La Halle aux Grains

Toulouse, La Halle aux Grains

« Eh bien dansez, maintenant! ». Toulouse. Ballet du Capitole. Saturday, June 27th.

“The fever called ‘Living’/ Is conquered at last.”

As Johan Inger’s “Walking Mad” began, I suddenly recalled an old cartoon. A sage, replete with toga and sandals, points his staff at an X in the corner of the map of a university philosophy department. The caption asks: “why are you here?”

Demian Vargas, trench-coated and bowler-hatted, wandering near the front row, has clearly lost his map. This Magritte-like apparition soon clambers up on to the stage as Ravel’s unsettling “Bolero” begins. We — and a company of beings seemingly even more feverish  and seemingly more broken –will seek the answer together.

 Out of the dark depths of the stage, an evil and fleet-footed protean wall sneaks up on him. As does a vision in white, Solène Monnereau, who makes concentrating on scooping up the limp T- shirts littering the floor a Bauschian moment.  Briefly distracted by our hapless intruder, she lets herself be scooped up by the deft Valerio Mangianti.  The mere touch (and then real power) of Mangianti’s hovering arms cannot be resisted. Why is his persona wearing a house dress? I leave it you to figure out, but the dress does let you see how deeply his movements are rooted in the ground and spiral up from a sure place.

The wall keeps flapping around, rolling, falling, re-configuring itself, dextrously manipulated from behind. To be banged on, clung to, slipped around, grasped, almost scaled, resisting all attempts to breech it.

Sooner or later, you arrive at one certainty: being alive is not meant for the faint-hearted. It gives you fever. Our guy, now divested of his trench-coat – and many bowler hats will now flow through the hands of his new posse – has either found his way to insane people or to a world of his own feverish imagination. This condition is often surprisingly jolly Inger’s kinetic choreography keeps playing sly switches on your expectations of “what should come next.”

Indeed, this bitter-sweet ballet is full of fun surpises. Inger’s vocabulary clearly developed while devoting his own body to Kylian’s world. Lurch your mid and upper-body forward and a partner will grab you under the arms and swoop you around in grande seconde plié. He also makes deft use of Forsythe’s – “pick a card, any card” [i.e. any part of the body] free-style.  Push off of or onto any point of an opposing body, including your own, and see where you end up. But these moments come an go. Nothing here feels derivative or predicable or old hat.

Walking Mad. Julie Loria.Photographie David Herrero

Walking Mad. Julie Loria.Photographie David Herrero

The group dons pointy noses, and also nurse them atop their heads. More lost laundry and more fevered figures come and go, each finding a new way to be annoyed by the amorphous wall. Matthew Astley, both goofy and pure of line, attacks each step as if dance had been invented by Beckett.  Julie Loria – restless to her fingertips — in a red tremble, sets the guys atremble too. You want to both laugh and cry, then, when Loria slaps herself into the corner of the wall (now a pointy imploding wedge) and tries to pull her own shadows back into her orbit.

That wall means everything and nothing. We are all mad or being alive means being mad. You have choices to make. Will you accept life in the form of a madhouse or a funhouse?  Do you want to go it alone or dare to try to pull another into your body and mind?

But, alas, there’s more. And this has been bothering me. Boléro, especially as stopped and restarted here in very unexpected ways, can cover about 15 to even 25 perfect minutes. Inger, and the dancers of Toulouse, made this musical warhorse seem fresh and new and pure and precisely as weirdly logical and illogical as it should be. Why did he have to add an appendix?

 “All that we see or seem /Is but a dream within a dream.”

 For his finale — a so sad and sobering, utterly unfunny and intense duet of irresolution – Inger could have even used another overused stalwart: silence. Alas, no.

Instead, way back in 2001, he fell on one of Arvo Pärt’s throbbing and repetitive scores, which have rapidly become even more of a dance world cliché than Boléro.  At this point, someone needs to lock them up in a wall-safe.

Ravel’s Bolero repeats itself — and how! – but, especially as teased apart as in the soundscape for the first part of the ballet, it launched the dancers on a crazy journey. Pärt’s music just sits in place and goes nowhere. Given Inger’s intelligence in constructing the giddily vivid first part. I am sure he intended to sober us up, to make us feel as trapped as Juliette Thélin and Demian Vargas. This pas de deux further distills the desperate need to escape over that wall. These two worked their bodies into tender and somber places and chiseled away at each moment. Simply holding out a coat to the other, a tiny crick of the neck, epitomized how small gestures can be enormous. They sucked the audience down into their vortex of a dream within a dream. Despite my irritation with the music, I was gulled too. This expressive, expressionistic, parable of “alone-together” reminded me of Gertrude Stein’s purported last words: “What is the answer?” The room stared at her. Silence She picked up on that. “Then, what is the question?”

*

*                                              *

“Keeping time, time, time./In a sort of Runic rhyme,/To the tintinnabulation that so musically wells/from the bells, bells, bells.”

Cantata. Tabatha Rumeur, Julie Charlet, les musicienne du groupe ASSURD et ensemble. Photographie : David Herrero

Cantata. Tabatha Rumeur, Julie Charlet, les musicienne du groupe ASSURD et ensemble. Photographie : David Herrero

Maybe singing and dancing and banging on something are the answer after all, according to Mauro Bigonzetti’s Cantata.

Instead of a moving wall, here we had an ambulating wall of oaky and resonant sound provided by the powerful voices and bodies of the Southern Italian musical collective ASSURD. Weaving in and out amongst the dancers on stage, the singers’ voices and instruments cried, yelled, lullaby-ed, coaxed, spat, spangled. And, along with the dancers, managed indeed to help us understand why we needed to be here, in Toulouse.

At first, you kind of go: uh, oh. Chorale singing, an accordion being squeezed onstage by a small and loud barefoot woman, women dancers who twist alone and twitch if lifted. Back on the ground, they return to poses that make them look like arthritic trees that died from thirst. After a bunch of men dump them in a pile atop each other, the women continue to squirm, bite their hands, and put fingers in their mouths to pull at the skin of their faces. Ah, got it, Southern Italy. Tarantula bites. Means more madness, eh? But these gestures – just at the moment when I went “uh oh” yet one more time – continued down a Forsythian path, setting off major locomotion.

The tammurriata and tammorra, like Ariadne’s thread, will lead our dancers back to the world of the living. Honey, the tinkly “tambourine,” as we know it from Balanchine, Mère Simone, and Bob Dylan, has nothing to do with the Kodo-ish propulsion of these gigantic hand-held objects. The rhythms are strict, not shimmied or approximate, nor is the dance. And what a fun sound to try to use your body to interpret!  Do a conga line bent over on your knees: march forward with your elbows hitting the ground like feet, chin in hand, then slap the floor with your palms. Feel your weight. Now we’re going somewhere.

Cantata. Béatrice Carbone. Photographie : David Herrero

Cantata. Béatrice Carbone. Photographie : David Herrero

Here couples don’t yearn to scale any wall, they merely try to rise above any limits and then return to stamp at the soil of the earth. Women step all over men’s recumbent bodies, and evolve from being manipulated to being manipulators. Arms reject swanny elegance: chicken wings preferred. A black-widow sunflower, Beatrice Carbone, all curled arms and cupped fingers, distances herself from the crowd. A duet: hands hit together, or try to. Dancers repeatedly find calm by taking the hands of others and brushing them over their faces. Avetik Karapetyan continues to remind me of the explosive and expressive Gary Chryst of the Joffrey. Maria Gutierez shimmies and shines in a new way every time I see her.  The action transforms itself into a raucous and joyous frenzy.

At the very end, the company blows us a kiss. And you want to stay right here.

Why Toulouse? Kader Belarbi’s company of individuals, and the opportunities his keenly-chosen repertory gives them, provides the best answer of all.

Quotes are from Edgar Allan Poe. “For Annie;” “A Dream[…]”; “The Bells ».

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Toulouse : Fourmis et cigales

Toulouse, La Halle aux Grains

Toulouse, La Halle aux Grains

Ballet du Capitole de Toulouse : « Eh bien dansez, maintenant! » 27/06/2015

On savait bien que l’injonction de fourmi industrieuse qui regroupait sous son verbe les deux pièces présentées n’était qu’un prétexte. La saison dernière, à la même époque, le programme « Valsez ! » était en fait un hommage au tango. Mais il y en est ainsi du pouvoir des titres. Ils colorent imperceptiblement notre perception des œuvres.

Fourmis…

On se souvient encore de Johan Inger, le long et élégant danseur blond du Nederlands Dans Theater qui magnifiait de sa présence posée et paisible les pièces très élaborées et quelque peu dépressives de Jiri Kylian à l’aube des années 2000. Son ballet, Walking Mad (2001), doit ainsi beaucoup à l’influence de maître de La Haye et, par ricochet, aux expérimentations de Forsythe dans les années 90. Le principal dispositif scénique de la pièce, un mur mouvant à géométrie variable, se déclinant en une multitude de portes et se rétractant parfois pour former un plancher de danse supplémentaire, n’est pas sans évoquer l’iconique mur d’Enemy In the Figure. Les danseurs s’y accrochent souvent comme ces petit personnages gélatineux jetés contre des vitres proposés aux enfants dans les rues par des marchands à la sauvette. L’une des grandes qualités de la pièce est son absurdité assumée. Une absurdité tendre. Le point de départ est simple : un type en imper gris pluie et chapeau melon assorti (Damian Vargas) monte sur scène où une fille triste (Solène Monnereau) récolte des T-shirt de couleur. Elle refuse l’offrande de son imperméable. Les deux danseurs tapent contre le mur, ce qui les propulse dans un monde coloré. Deux autres filles (Julie Loria et Juliette Thélin) et une cohorte de mâles affolés, parfois de désir, et parfois agités tout court, entrent alors dans la danse. Tout ce petit monde ressemble à une colonie de fourmis industrieuses qui auraient consommé quelques substances illicites. Les passes de partnering, extrêmement techniques, créent un sentiment de perpétuel évitement. Les filles roulent, s’enroulent autour des garçons mais c’est pour toujours leur échapper. Cette ronde de séduction se pose avec beaucoup d’intelligence sur le Boléro de Ravel. Ce n’est pas la moindre qualité de cette pièce d’avoir abordé une œuvre musicale tellement liée au XXe siècle à la vision qu’en a donné Maurice Béjart. À l’occasion, on reconnaît même des petits clins d’œil à ce ballet mythique. Sur une partie du mur érigée en estrade de danse, Valerio Mangianti, sculptural et élégant, improvise une danse de séduction. Les autres garçons prennent aussi des poses de matador. Mais ils sont coiffés de chapeaux de fée et leur dignité ne fait pas le poids. On les retrouve bientôt tremblant des genoux tels de piteux élus du Sacre du printemps, version Nijinsky. Dans ces rôles de « mâle mis à mal », le jeune Matthew Astley est particulièrement irrésistible avec sa tignasse rousse et ses mimiques d’ahuri touchant.

"Walking Mad". Shizen Kazama et Julie Loria. Photo : David Herrero

« Walking Mad ». Shizen Kazama et Julie Loria. Photo : David Herrero

Cette lecture à la fois loufoque et poétique de la « chanson scie » de Ravel aurait suffi à notre bonheur. Dans sa dernière section, celle du – nécessaire ? – retour à la réalité et à la grisaille, sur le Für Alina d’Arvo Pärt, une pièce abondamment chorégraphiée dans les années 2000, Johan Inger surprend moins avec une gestuelle proche de l’esthétique de Mats Ek.

Cigales…

Avec Cantata, de Mauro Bigonzetti, on commence par un chant de voix blanches, des voix de danseurs rangés tout serrés dans un carre de lumière, bientôt relayé par les accents rauques des chanteuses du groupe Assurd. Dans ce ballet, les hommes et les femmes apparaissent d’abord dans des rôles très clivés. Serrées les unes contre les autres, encadrées d’un demi-cercle d’hommes menaçants et prédateurs, les femmes se contorsionnent la bouche ouverte. Les mâles se meuvent lentement ou se figent, tels des statues implacables. On pense cette fois au Sacre de Pina Bausch, impression renforcée par les robes-chasuble mi-longues qu’elles portent. Sont-elles oppressées, opprimées, ou en prise à ces fièvres par piqûre d’araignées pour lesquelles chaque région d’Italie du Sud a inventé sa tarentelle spécifique?

"Cantata". Maksat Sydykov et Maria Gutierrez. Photographie : David Herrero

« Cantata ». Maksat Sydykov et Maria Gutierrez. Photographie : David Herrero

Mais les clivages sont bientôt questionnés. Maria Gutierrez, ancrant les pieds dans le sol comme personne, change d’homme en cours de pas de deux. Commençant avec un partenaire à la virilité agressive (le puissant Avetik Katapetyan, un colosse dont on s’étonne toujours de voir la suspension aérienne des sauts), elle termine sur une note de partage avec Maksat Sydykov qui prend sa suite. Avec l’apparition de la tammorra, cet énorme tambourin tendu d’une peau de chèvre, aux cymbales d’étain, les femmes prennent lentement la main. Le solo puissant d’une fille en robe noire et aux cheveux lâchés (Béatrice Carbone) semble le signe de cette révolution. Puis, dans un double duo, les filles piétinent allègrement la poitrine des garçons étendus au sol qui les ont soulevées sur leur dos, telles des vierges de procession, tout en faisant des pompes (Jeremy Leydier est particulièrement remarquable dans ce passage par sa puissance d’interprétation). Par la suite, un garçon hésite timidement entre deux filles et pose la main sur le ventre de l’une d’entre elles. Il n’est pas sélectionné.

Plus on avance, plus la pièce estompe les clivages de genre pour laisser place à la transe de la fête.

C’est ainsi qu’au travers de 10 « danses chantées », on brise la glace avec tout un petit monde, un peu comme un voyageur tour à tour effrayé, abasourdi, interpellé (un épisode assez drôle de dialogue de sourds entre un Italien et un Français) et … entraîné dans la danse. On découvre un coin d’Italie du sud sans avoir vu un pas d’une authentique danse napolitaine. Mais cette réalité reconstruite vaut bien le détour.

Vaut le détour… Une appellation on le concède un peu touristique mais qui définit bien ce qu’on pense de la compagnie façonnée depuis trois saisons par Kader Belarbi. Ses danseurs passent avec succès du répertoire baroque (La Fille d’Ivo Cramer) au formalisme intriqué d’un Noureev en passant par le lyrisme d’un Lifar ou l’expressionisme des chorégraphies contemporaines.

Spectateurs curieux, spectateurs blasés… Allez à Toulouse !

Ballet du Capitole de TOulouse. Photographie : David Herrero

Ballet du Capitole de TOulouse. Photographie : David Herrero

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Surprise d’automne / Hommage tardif

Toulouse Massy Noureev

A l’entrée de l’Opéra de Massy, sur l’affiche : Julie Charlet et Takafumi Watanabe dans Don Quichotte

C’est un peu au fin fond de la banlieue qu’en cette mi-décembre 2013, on a pu assister au premier vrai hommage à Rudolf Noureev à l’occasion des vingt ans de sa disparition. Et c’est le ballet de Toulouse qui l’a délivré.

Kader Belarbi, son directeur,  est sans doute le premier des « enfants de Noureev » à avoir offert au public un panorama ni tronçonné (l’Opéra de Paris) ni boursouflé en fonction des « stars » invitées à l’affiche (Manuel Legris au Palais des Congrès) de l’héritage de son mentor.

L’acte des ombres de La Bayadère, qui ouvrait le programme, était accompagné de l’entrée de Solor et de la danse aux lampes des fakirs (la seule vraie contribution chorégraphique de Noureev à cet acte, voire au ballet entier). Et, à l’inverse de l’Opéra en mars dernier, les variations des trois ombres n’avaient pas été coupées. De même, dans la partie centrale de ce spectacle, intelligemment dévolue aux pas de deux, le cygne noir n’était pas réduit à la simple entrée pour une danseuse et deux porteurs. Les trois variations et la coda étaient là pour soutenir l’attention du public. Pour terminer, l’acte du mariage de Don Quichotte était présenté avec ses décors, laissant les spectateurs sur une note chaude et colorée.

Ce beau programme, à la fois humble et ambitieux, était sans doute un test pour la compagnie. Et le gant a été relevé plus qu’honorablement. Les arabesques du corps de ballets descendant le praticable étaient bien un peu timides au début mais, même réduite à dix-huit danseuses, la magie hypnotique des ombres a fini par faire son effet. La réduction d’effectif ne nuisait pas non plus au Fandango de Don Quichotte Acte III. Bien réglée, la chorégraphie de Noureev garde son dessin assuré et sa force.

Les parties soli permettaient également de donner une réponse à ceux qui vous affirment que les ballets de Noureev sont trop tarabiscotés pour laisser les danseurs s’exprimer. À Toulouse, les solistes ont un métier certain mais ils ne sont pas nécessairement d’une école et ils ne font pas claquer la cinquième position comme des militaires leur garde-à-vous. Mais les pas de Noureev ne les empêchent pas de briller. Dans Bayadère, Tatiana Ten, déjà remarquée la saison dernière dans Napoli, développait sereinement une danse mousseuse à l’éclat un peu lunaire et dans les ombres, Caroline Betancourt se détachait tout particulièrement dans la variation allegro. Et si le Solor de Kazbek Akhmedyarov avait un peu plus de mal avec sa partition (surtout les fouettés en quatrième et arabesque du solo d’entrée), il n’en restait pas moins intéressant à regarder.

Maria Gutierrez, Juliette. photo David Herrero, courtesy of Ballet du Capitole

Maria Gutierrez, Juliette. photo David Herrero, courtesy of Ballet du Capitole

Le cas le plus exemplaire de la soirée aura sans doute été le Roméo et Juliette de Davit Galstyan et de Maria Gutierrez. Vraisemblablement, monsieur Galstyan n’avait pas encore totalement intégré les pas du redoutable solo d’entrée ainsi que les multiples pirouettes attitude en dehors dans les passages exaltés du pas de deux. Et pourtant, l’intention de Noureev, qui jouait sur l’épuisement des danseurs pour en tirer des émotions venues aussi bien du cœur que des tripes, était complètement réalisée. Maria Gutierrez était enfin une Juliette selon les vœux de Noureev, très féminine mais aussi forte comme un garçon.

La soirée donnait à d’autres l’occasion de faire de belles démonstrations de style. Lauren Kennedy, qui fut la saison dernière une charmante Lise de La Fille d’Ivo Cramer, avait le verni d’une porcelaine et le moelleux d’une pâte d’amande dans le pas de deux de la Belle. Son prince, Matthew Astley, qui gagnerait certes à allonger sa ligne, était en revanche extrêmement assuré, élégant et surtout parfaitement silencieux dans ses retombées. Julie Charlet, quant à elle, se taillait la part du lion en interprétant le cygne noir et Kitri avec charme et aplomb. Flanqué d’un prince plutôt falot dans le pas de trois, elle s’est complètement révélée dans l’acte III de Don Quichotte aux côtés du charmant technicien Takafumi Katanabe (son Rothbart du Lac) qu’on était heureux de voir dans un emploi qui lui convenait pleinement (sa prestation en Bête dans le ballet de Belarbi nous ayant un peu laissé froid).

Lauren Kennedy et Matthew Astley. La Belle au bois dormant. Photo David Herrero. Courtesy of Ballet du Capitole.

Lauren Kennedy et Matthew Astley. La Belle au bois dormant. Photo David Herrero. Courtesy of Ballet du Capitole.

Vous l’avez compris, on est ressorti fort satisfait de l’Opéra de Massy et impatients de prendre de nouveaux rendez-vous avec les « Toulousains » de Kader Belarbi.

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