Archives de Tag: Suite en Blanc

Les Balletos-d’or 2019-2020

Avouons que nous avons hésité. Depuis quelques semaines, certains nous suggéraient de renoncer à décerner les Balletos d’Or 2019-2020. À quoi bon ?, disaient-ils, alors qu’il y a d’autres sujets plus pressants – au choix, le sort du ballet à la rentrée prochaine, la prise de muscle inconsidérée chez certains danseurs, ou comment assortir son masque et sa robe… Que nenni, avons-nous répondu ! Aujourd’hui comme hier, et en dépit d’une saison-croupion, la danse et nos prix sont essentiels au redressement spirituel de la nation.

Ministère de la Création franche

Prix Création « Fiat Lux » : Thierry Malandain (La Pastorale)

Prix Zen : William Forsythe (A Quiet Evening of Dance)

Prix Résurrection : Ninette de Valois (Coppelia)

 Prix Plouf ! : Body and Soul de Crystal Pite, un ballet sur la pente descendante.

 Prix Allo Maman Bobo : le sous-texte doloriste de « Degas-Danse » (Ballet de l’Opéra de Paris au musée d’Orsay)

Ministère de la Loge de Côté

Prix Narration: Gregory Dean (Blixen , Ballet royal du Danemark)

Prix Fusion : Natalia de Froberville, le meilleur de l’école russe et un zest d’école française dans Suite en Blanc de Lifar (Toulouse)

Prix Plénitude artistique : Marianela Nuñez (Sleeping Beauty, Swan Lake)

Prix les Doigts dans le Nez : le corps de ballet de l’Opéra dans la chorégraphie intriquée de Noureev (Raymonda)

Ministère de la Place sans visibilité

Par décret spécial, le ministère englobe cette année les performances en ligne.

Prix Minutes suspendues : Les 56 vidéos cinéphiliques d’Olivia Lindon pendant le confinement

Prix du montage minuté : Jérémy Leydier, la vidéo du 1er mai du Ballet du Capitole.

Prix La Liberté c’est dans ta tête : Nicolas Rombaut et ses aColocOlytes Emportés par l’hymne à l’Amour

Prix Willis 2.0 : Les filles de l’Australian Ballet assument leur Corps En Tine

Prix Le Spectacle au Quotidien : les danseurs du Mikhailovsky revisitent le grand répertoire dans leur cuisine, leur salle de bain, leur rond-point, etc.

Ministère de la Ménagerie de scène

Prix Lionne blessée : Amandine Albisson dans la Folie de Giselle

Prix Sirène en mal d’Amour : Ludmila Pagliero, mystérieuse danseuse du thème russe de Sérénade

Prix bête de scène : Adam Cooper, Lermontov à fleur de peau dans le Red Shoes de Matthew Bourne (New Adventures in Pictures, Saddler’s Wells)

Prix SyndicaCygne  : Le corps de Ballet féminin de l’opéra sur le parvis du théâtre pour une entrée des cygnes impeccable par temps de grève.

Prix Gerbilles altruistes : Philippe Solano et Tiphaine Prevost. Classes, variations, challenges ; ou comment tourner sa frustration du confinement en services à la personne. Un grand merci.

 

Ministère de la Natalité galopante

Prix Tendresse : Dorothée Gilbert et Mathieu Ganio (Giselle)

Prix Gender Fluid : Calvin Richardson (violoncelle objet-agissant dans The Cellist de Cathy Martson)

Prix Le Prince que nous adorons : Vadim Muntagirov (Swan Lake)

Prix L’Hilarion que nous choisissons : Audric Bezard

Prix Blondeur : Silas Henriksen et Grete Sofie N. Nybakken (Anna Karenina, Christian Spuck)

Prix Vamp : Caroline Osmont dans le 3e Thème des Quatre Tempéraments (soirée Balanchine)

Prix intensité : Julie Charlet et Davit Galstyan dans Les Mirages de Serge Lifar (Toulouse)

Prix un regard et ça repart : Hugo Marchand galvanise Dorothée Gilbert dans Raymonda

Prix Less is More : Stéphane Bullion dans Abderam (Raymonda)

 

Ministère de la Collation d’Entracte

Prix Disette : la prochaine saison d’Aurélie Dupont à l’Opéra de Paris

Prix Famine : la chorégraphie d’Alessio Silvestrin pour At The Hawk’s Well de  Hiroshi Sugimoto (Opéra de Paris)

Ministère de la Couture et de l’Accessoire

Prix Rubber Ducky : Les costumes et les concepts jouet de bain ridicules de At the Hawk’s Well (Rick Owens).

Prix Toupet : Marc-Emmanuel Zanoli, inénarrable barbier-perruquier dans Cendrillon (Ballet de Bordeaux)

Ministère de la Retraite qui sonne

Prix de l’Écarté : Pierre Lacotte (dont la création Le Rouge et le Noir est reportée aux calendes grecques)

Prix Y-a-t-il un pilote dans l’avion ? Vello Pähn perd l’orchestre de l’Opéra de Paris (Tchaïkovski / Bach) pendant la série Georges Balanchine.

Prix Essaye encore une fois : les Adieux d’Eleonora Abbagnato

Prix de l’éclipse : Hervé Moreau

Prix Disparue dans la Covid-Crisis : Aurélie Dupont

Prix À quoi sers-tu en fait ? : Aurélie Dupont

Publicité

Commentaires fermés sur Les Balletos-d’or 2019-2020

par | 4 août 2020 · 7 h 39 min

Lifar in Toulouse : synesthesia

Théâtre du Capitole – salle. Crédit : Patrice Nin

Despite Lifar’s own rather jejune pronouncements about the superiority of dance to music [understandable though, as even today too many musicians look down their noses at ballet] on October 26th and 27th both the ballet and the orchestra of Toulouse’s Capitole were up and ready to share the spotlight.
Philippe Béran sprang up to the podium and began to bring the flutes to life. About ten measures into the overture to Edouard Lalo’s Namouna, I was afloat.

« En dépit des déclarations un brin naïves de Lifar lui-même sur la supériorité de la danse sur la musique […] les 26 et 27 octobre, aussi bien le ballet que l’orchestre du Capitole de Toulouse étaient prêts à partager les feux de la rampe.

Philippe Béran se hissa au pupitre et commença à donner vie aux flûtes. À dix mesures du début de l’ouverture de la Namouna d’Edouard Lalo, j’étais déjà embarquée. »

Whatever you may think about Serge Lifar the man, his choreographies for Suite en Blanc and Les Mirages deserve to be danced as often as possible. They were designed to make each individual shine in the company of others. Suite folds all kinds of technical challenges into that big one of stylistic refinement, while Mirages asks the cast to soulfully embody – rather than simply act out – a most surreal storyline. Best of all, his works allow the dancers to be music. You can’t just stomp out his steps on the beat, you have to insinuate yourself into the melody and play within rhythms.

*

Suite en blanc. Final. Photographie David Herrero

Suite en Blanc begins with a tableau vivant of the cast that slowly breaks apart as various groups glamorously stalk off the stage, leaving a trio of ballerinas to embark on a kind of gentle chorale. At both performances, I was drawn to the manner in which Juliette Thélin gave a natural flow to the peculiarities of Lifar’s neo-classical style. Lifar’s vision involves an elegant Art Deco feeling, two-dimensional yet in three, with elbows bent just so, the nape of the neck bent just so, the décalé – a kind of languid stretching out/exaggeration of a movement’s impulse that makes time stop for a micro-second — and frequent use of 6th positions. This is not to say that on both nights the trio didn’t feel like a trio, but there was just “that soupçon of a quelque chose that Parisian girls have” (to quote Gary Cooper) more about the way Thélin moved. The next day, she would endow her incarnation of the melancholy Moon in Les Mirages with the same stylish glow.

« Aux deux représentations, j’étais attirée pas la façon avec laquelle Juliette Thélin donnait un débit naturel aux étrangetés du style néoclassique de Lifar […] un élégant aspect Art Déco, du bidimentionnel en 3D […] Le jour suivant, [Thélin] conférerait à son incarnation de la mélancolique lune des Mirages cette même aura stylée »

On the 26th, the Thême varié that follows — another trio, but this time for a girl and two boys – blew me out of the water. In any group, usually your eye catches one dancer no matter how hard you are trying to be fair. But here, Thiphaine Prévost, Philippe Solano, the promising Matteo Manzoni…sheesh, I wanted them to re-dance the damn thing three times. It was like staring into a gorgeous box of chocolates and trying to decide. Maybe Solano? He made the classic Lifar déhanchement super-elegant. This pose involves a stretchy and arched swerve of the hips and arms that both breaks and confirms the classical line. Preparations (and this goes for the whole company) were tossed off, subordinated to the movement. Not once did someone squat down into “now as I am about to do my big pirouette, just wait one more sec while I settle in” mode.

[Thème Varié] « Tiphaine Prevost, Philippe Solano et le prometteur Matteo Manzoni… Mazette ! J’aurais voulu les voir trois fois redanser leur bon sang de truc [Thème Varié]. C’était comme être devant une boîte de chocolats et essayer de se décider. Solano, peut-être ? Il rendait le caractéristique déhanché lifarien super élégant. […] Ses préparations (mais cela est aussi valable pour l’ensemble de la compagnie) étaient escamotées, subordonnées au mouvement. Pas une seule fois quelqu’un ne s’est campé dans le sol pour un « Et maintenant, je vais vous montrer ma multiple pirouette. Juste une petite seconde, que je me mette sur le bon mode »

On the 26th, Julie Charlet owned the La Cigarette variation with easeful and stylish phrasing, as if a foot caressing the floor and an hand teasing the geometries of the air just above her shoulder were the norm. She played with the music, seeming to wrap her body around the orchestra’s phrasing. On the Sunday matinee, Natalia de Froberville made invisible lift-offs from a lovely variety of pliés another norm. Later, in the pas de deux, de Froberville’s effortlessly unshowy balances floated along with the strings.

Le 26, Julie Charlet faisait sienne la variation de la Cigarette avec son phrasé à la fois facile et élégant ; comme si caresser le sol du pied et taquiner de la main les géométries de l’espace au-dessus de ses épaules était la norme. Elle jouait avec la musique, semblant se draper dans le phrasé de l’orchestre. [Dans la même variation] Natalia de Froberville quant à elle fit des envols partis d’une jolie variété de pliés une autre norme. Plus tard, dans le pas de deux, ses équilibres faciles et sans affectation flottaient parmi le son des cordes de l’orchestre.

Suite en blanc. Natalia de Froberville dans « La Cigarette ». Photographie David Herrero

Alas, while blessed with a smooth and solid technique, Alexandra Surodeeva needs to work on style. She substituted Princess Aurora arms in place of Lifarian épaulement whatever the role: Thême varié, Grand Adage, the “La Flûte” solo, or “La Femme” in Les Mirages. Whenever a combination of steps was repeated, the energy and phrasing were carbon copied. This must be fixed.

«Hélas, bien que douée d’une technique à la fois solide et fine, Alexandra Sudoreeva aurait besoin de travailler sur le style. Elle a substitué aux épaulements lifariens les bras de la Belle au bois dormant, quel que soit le rôle […]»

On the other hand, whether part of the female trio at the first performance, as a soloist the next day, or as the ballerina of one’s desire in Les Mirages, the unaffectedly feminine Florencia Chinellato made us breathe to the music. Her responsiveness to the pan pipe nuances of the orchestra’s flutist in La Flûte – including deliciously hovering décalés — gave you the feeling that the two of them could see each other. I know this sounds absurd, but musician and dancer seemed to be having a flirtatious conversation..

[La flûte] «La féminité sans affectation de Florencia Chinellato nous a fait respirer sur la musique. Sa réactivité aux accents de flûte de pan du flutiste […] donnait l’impression que les deux se voyaient. […] et menaient une conversation intime.»

Even if it comes before the adagio, I’ve left the Mazurka for last. It’s the best: an emulsion of steps and style and danciness, of chic and cool. (Even though it does proffer the temptation to ham it up). On the 26th, Davit Galstyan used his arching arabesques and organic sense of rhythmic variation. He gave his solo polish, sweep, and jazz, and made you want to run out and sign up for mazurka class. Perhaps because the Sunday matinée unexpectedly turned out to be his only shot at it, Solano’s beautifully-executed demonstration of the solo lacked the release he had had the night before. If the performance for the 29th hadn’t been cancelled, I am certain Solano would have let loose and grooved.

« [Mazurka] Davit Galstyan utilisait son arabesque cambrée et son sens organique de la variation rythmique. Il donnait à son solo à la fois un caractère polonais, du parcours et du jazz […] Peut-être parce que le dimanche matinée était sa chance unique, la démonstration parfaitement exécutée du solo par Solano manquait de ce relâché qu’il possédait lors de la représentation de la veille [dans le Thème varié]. »

*

Les Mirages. Davit Galstyan (le jeune homme) et Julie Charlet (l’Ombre). Photographie David Herrero.

Henri Sauguet believed so deeply that his haunting score for Les Mirages only came alive – only existed — when danced out that he refused to allow the music to be recorded. This ballet is a fable about a young man who, shadowed by his conscience, insists upon chasing after glittering illusions at his own peril.
In a reversal of the usual, here the female lead, L’Ombre [His Shadow], often finds herself behind her partner and even on his back as she tries to point the way to the path he should be taking.

Les Mirages. Ramiro Gomez-Samon (le jeune homme) et Kayo Nakazato (la Chimère). Photographie David Herrero.

Like Romeo, the Young Man proves a role to which few young actors are actually suited. On the 26th, Ramiro Gómez Samón gave the character a naïve grace, purity of line and movement, great energy. He chased after the bird-woman, the ballerina, the pot of gold, with the gleeful joy of a little boy in a roomful of toys. No hint of growing disillusionment came through though, so the character gradually became static. Within a few years, this talented dancer will have had the experience to develop his interpretation into that of a man, certainly still young, but one with desires and regrets.

« Ramiro Gómez Samón a donné au personnage [du jeune homme] une grâce naïve, une pureté de ligne et de mouvement et une grande énergie […] Mais aucun soupçon d’une désillusion grandissante ne sourdait, en conséquence, son personnage est graduellement devenu statique. »

Les Mirages : Natalia de Froberville (l’Ombre) et Ramiro Gomez-Samon (le jeune homme). Photographie : David Herrero

Thus, as his shadow, Natalia de Froberville had less to work with than she deserved. Her partner was dancing to the beat of a different drummer.  If you hadn’t read the program notes, you would have been confused. Is she this immature boy’s disappointed ex-girlfriend? His governess? This is a pity, for her interpretation had integrity, sculpted and extending lines, and paid thoughtful attention to every unshowy detail down to the way she slowly swept the back of her palm across her eyes, trying to wipe away what she’s seeing in the boy’s future.

« Du coup, en tant que son Ombre, Natalia de Froberville avait moins à se mettre sous la dent qu’elle ne le méritait. Son partenaire dansait sur une toute autre partition. Si vous n’aviez pas lu l’argument dans le programme, vous auriez pu vous méprendre. Était-elle l’ex-petite amie déçue du jeune homme immature, sa gouvernante ? C’est dommage, car son interprétation était intègre, pleine de lignes sculptées et allongées, et prêtait attention à tous les petits détails cachés comme cette façon de lentement placer le dos de sa main sur ses yeux pour essayer de chasser l’image de ce qu’elle était en train de lire dans la destinée du jeune homme.»

On the 27th, Davit Galstyan’s Young Man – like Albrecht, like James – entered with that slow stop-and-start run around the stage, his arm loosely raised to track the will-o’-the-wisps flying just beyond his reach. He radiated the hope that if he chased them hard enough his dreams would come true, thus setting up his path to disappointment. Julie Charlet’s wide-eyed Shadow came across as softer and more protective. Less despairing, as if the pair had already travelled a long way together and she knew they were almost “there.” Here their relationship felt symbiotic, conjoined, even as Galstyan kept trying to squirm out of it. At one moment, after she reminded him of how the clock is ticking, the tender way she wrapped her arms around thin air said this: “You try to ignore that your existence is bound by chains even as you try to fly. Trust me, for I am the only one who cares about you.” By the end, as the two of them turned their backs on the mirages of the night and raised their faces towards the rising sun, you knew that this young man had finally found the light at the end of the tunnel.

« Le 27, le jeune homme de Davit Galstyan […] irradiait de l’espoir que s’il pourchassait très fort ses rêves ils deviendraient réalité, créant ainsi le terreau de la désillusion. Julie Charlet, Ombre aux yeux immenses nous est apparue plus douce et protectrice. Moins désespérée aussi, comme si le couple avait déjà accompli un long voyage et qu’elle savait qu’ils étaient presque arrivés à bon port. […] Ici, leur relation était en symbiose, conjointe, même lorsque Galstyan essayait de s’en extirper. […] À la fin, quand tous les deux ont tourné le dos aux mirages de la nuit et ont présenté leur visage au soleil naissant, vous compreniez que le jeune homme avait finalement vu la lumière au bout du tunnel »

3 Commentaires

Classé dans Blog-trotters (Ailleurs), France Soirs

Ballet du Capitole : joyau français

Photo Patrice Nin / Théâtre du Capitole

Photo Patrice Nin / Théâtre du Capitole

Joyaux français. Ballet du Capitole de Toulouse. Suite en blanc (Lifar / Lalo) et Les Mirages (Lifar / Sauguet). Représentations des 26 et 27 octobre 2019.

Réunis sous le titre un peu sibyllin de « Joyaux français », le ballet du Capitole de Toulouse proposait un programme Serge Lifar avec la reprise des Mirages (1944-47), au répertoire depuis 2014 et l’entrée du redoutablement difficile Suite en Blanc (1943). Il y a quelques années encore, je n’aurais pas imaginé que Kader Belarbi prendrait la peine de défendre ce répertoire.

En tant que danseur Kader Belarbi a dit de Serge Lifar qu’il « appartient à l’histoire de l’Opéra [même si] le temps estompe un peu son influence » mais pointe aussi son « narcissisme excessif, plus en relation avec la sensibilité contemporaine » [Cette déclaration extraite de Serge Lifar à l’Opéra date de 2006 a déjà aujourd’hui, à l’ère du selfie et de l’instagramisation du quotidien, un petit côté « historique »]. En tant que chorégraphe, Belarbi disait, toujours en 2006, que l’héritage lifarien lui était en grande partie étranger : « Je suis dans un choix chorégraphique qui ne recherche pas spécialement un style ni une ligne classique pure », « en tant que danseur, je sais que Lifar est là, même si en tant que chorégraphe, j’en suis moins sûr ».

Heureusement, Kader Belarbi, le directeur artistique du Ballet du Capitole de Toulouse, programmateur intelligent, sait ce que l’étude et l’intégration d’un style peut apporter à une compagnie de jeunes danseurs de 14 nationalités différentes et d’au moins autant d’écoles de ballet, pratiquement tous nés après la mort de Serge Lifar en 1986.

*

 *                                             *

Et ce style n’est pas aisé à animer. C’est qu’il y a en lui une base « statuaire », très années 30-40, tel ce lever de rideau sur Suite en Blanc où les danseurs sont groupés comme des divinités antiques sur un fronton. Les poses lifariennes, avec leurs ports de bras en anse hyper-stylisées, les contrapposto des danseurs masculins en 6e position auraient vite fait de paraître empesés si les interprètes ne maîtrisaient pas une « nouveauté» dont Lifar n’est peut-être pas exactement l’inventeur mais qu’il a utilisée de manière toute personnelle : les décalés. Ces positions qui allongent la ligne d’une arabesque ou d’un dégagé chez Lifar, contrairement à d’autres chorégraphes, ne sont pas conçues comme un déséquilibre mais bien comme une respiration. Dans Suite en blanc, la démonstration la plus emblématique de ce décalé est peut-être dans le court solo féminin de La Flûte, à la fin du ballet, où une soliste féminine alterne des positions parfaitement centrées et académiques (des assemblés sur des 5e très fermées suivis de relevés en attitude devant sur pointe) avec une série de développés devant décalés associés à un léger cambré du dos. Ce mouvement, exagéré, conduirait à un déséquilibre et à une forme de claudication. Respiré, il ressemble à une marche badine, très naturelle. Cet art de la mesure dans le cambré, essentiellement « français » [Selon Attilio Labis, Lifar disait : « vous les Français, vous avez quelque chose qui est rare et que personne d’autre n’a, c’est le sens de la mesure. Vous savez faire le geste juste, sans exagération » ], est un peu le test imparable qui montre si le style est acquis ou pas.

*

 *                                             *

Suite en blanc. Julie Charlet. Photographie David Herrero.

Et c’est une grande part de l’exploit en quoi a consisté l’entrée au répertoire de Suite en Blanc au ballet du Capitole,  dont les danseurs n’ont, pour la plupart, jamais été confrontés ni à ce style ni à cet exercice de mesure dans la démesure. Les garçons de Toulouse se lancent par exemple avec beaucoup d’énergie dans les curieuses courses en 6e avec les bras en poignées d’amphores. Ils animent le bas-relief avec une bravoure très crane. La plupart des solistes rentrent également, à des degrés divers, dans le jeu avec, pour les danseuses, la difficulté supplémentaire d’avoir à endosser plusieurs variations attribuées à l’Opéra de Paris à des solistes différentes. En deuxième distribution, vue le 26/10, Julie Charlet interprétait ainsi avec chic La Sérénade avec ses redoutables petites cloches sur une jambe de terre pliée sur pointe, La Cigarette , exercice de maîtrise (avec un délié du haut du corps, des ralentissements et des accélérations à donner le frisson et de petites révérences primesautières), et finissait par les fouettés de la Coda. En 1ere distribution, vue le 27, Natalia de Froberville interprétait aussi La Cigarette, d’une manière tout à fait personnelle (un parti-pris entre la chaleur de l’école russe et l’élégance de l’école française, beaucoup d’humour dans les œillades à la salle et de féminité dans les ports de bras), elle continuait avec le Grand adage, interprété de manière très sereine aux côtés de Ruslan Savdenov, partenaire très sûr, et finissait sur les fouettés. La comparaison des deux étoiles féminines de la troupe toulousaine donnait un peu le pouls de la compagnie sur ce difficile ballet. Elles déployaient toutes deux, chacune à leur manière, un abattage de bon aloi, fait de cabotinage contrôlé, d’émulation avec les autres ballerines, le tout dans une volonté de présenter l’excellence technique de la troupe. Et, à l’exception notoire d’Alexandra Sudoreeva qui danse toujours velouté mais sert la même sauce à chaque repas (L’adage, le Thème varié et la Flûte de Lifar cette année ou la Cendrillon de Noureev l’an dernier), les autres solistes de la troupe se sont mises au diapason de leurs têtes d’affiche.

Suite en Blanc. Adage. Natalia de Froberville et Rouslan Savdenov. Photographie David Herrero

Dans La Flûte (le 27/10), dont nous avons parlé plus haut, Florencia Chinellato (déjà charmante le 26 dans le trio aux beaux épaulements de La Sieste) fait montre d’une grande maîtrise de la musicalité. Elle sait danser entre les tempi musicaux et ménager de jolies surprises. Ses équilibres attitude sont un rêve de balletomane. Kayo Nakazato, seule titulaire du Pas de 5 (elle est entourée de 4 marlous battants, bondissants et tournoyants) montre un joli ballon sur les sissonnes et à de beaux piqués en attitude ouverte (surtout le 27 où elle se montre plus détendue). Dans le Thème varié, Tiphaine Prevost est d’une clarté technique cristalline. Son regard parfois dirigé vers la salle est très « français », très second degré. Elle intègre les ports de bras « pin-up baigneuse » de sa partition avec un naturel désarmant. Elle est accompagnée de Philippe Solano qui époustoufle par le ciselé de sa danse : ses réceptions arabesques sur les assemblés, d’une totale propreté, avec en prime, une extension de la ligne d’arabesque, sont mémorables. Son collègue, Matteo Manzoni, s’il n’a pas encore le même fini, danse avec la même bravura. On savoure d’avance les duos masculins qu’ils pourront former tous deux sur le pas de six de Giselle ou dans Raymonda. Ajoutez à cela la musique héroïque de Lalo et on avait le sentiment de voir deux mousquetaires faisant la cour à une Constance Bonacieux délicieusement accorte.

Philippe Solano écopait également pour une seule date (le 27/10) de la célèbre Mazurka, cheval de bataille récurrent des concours masculins du corps de ballet à l’Opéra. Le jeune danseur y fait preuve d’une énergie roborative. Ses positions sont littéralement facettées. Tout cela brille de mille feux. On espère que le danseur aura de plus nombreuses occasions de danser ce solo, de s’y détendre un peu et d’y introduire l’abandon « danse de caractère » propre à une mazurka. C’est ce mélange d’abandon dans la force dont faisait preuve le plus chevronné Davit Galstyan (le 26) pour le plus grand bonheur de la salle.

Tous les soirs, on se laisse emporter par l’énergie du grand finale interprété par les 32 danseurs de la troupe toulousaine. La gageure est relevée. Lifar ne paraît en aucun cas amidonné.

*

 *                                             *

4 - Les Mirages - Solène Monnereau (La Lune) - crédit David Herrero

Les Mirages. Solène Monnereau (La Lune), Mohamed Sayed et Jeremy Leydier (les bergers). Photographie David Herrero

La compagnie toulousaine retrouvait à l’occasion de ce programme Les Mirages, entré au répertoire dans le cadre d’une programme Henri Sauguet avec Les Forains de Roland Petit. Pour cette mouture 2019, les éclairages ont été fort à propos révisés . En 2014, la réduction du volume de la cage de scène écrasait un peu le surréaliste palais de la Lune imaginé par Cassandre et certains beaux costumes, très « École de Paris », étaient rendus presque outranciers par le manque d’éloignement. Ici, lorsque le rideau se lève sur le scintillement mystérieux de l’ouverture de Sauguet, on retrouve la belle pénombre ésotérique qui prépare à l’enchantement des Mirages. Messieurs Leydier et Sayed peuvent survivre sans trop de mal à leur costume de pâtre à perruque blonde bouclée et conduire les évolutions de la lune déshabillée d’un très osé académique blanc intégral à dos nu. Le 26, Solène Monnereau rayonnait de l’éclat laiteux de l’astre tandis que le 27, Juliette Thélin évoquait plutôt la Diane chasseresse.

Les Mirages. Florencia Chinellato (la femme). Photographie David Herrero

On retrouve dans Mirages de nombreuses particularités techniques exposées dans Suite en Blanc. L’adage du jeune homme avec la Femme (qui porte l’un des plus jolis tutus du répertoire classique, tous ballets et productions confondus), par exemple, voit reparaître des portés de l’Adage, les pointés sur pliés sur pointe du Thème varié ou les décalés dynamiques de la Sérénade. Mais contrairement à Suite en blanc où il s’agit de jouer le ressort de l’émulation, l’atmosphère qu’installe le couple principal est primordiale pour obtenir l’adhésion du public. Les deux couples qui se partageaient Mirages n’étaient pas sur ce point à égalité. Alors qu’en première distribution Julie Charlet et Davit Galstyan avaient déjà travaillé leur rôle en 2014, Natalia de Froberville et Ramiro Gomez Samon le découvraient. La seconde distribution s’en tire avec les honneurs stylistiques. Natalia de Froberville a compris le style lifarien, sa dynamique et l’esthétique de ses poses plastiques mais elle reste peut-être trop « ombre » pendant tout le ballet. Car le rôle de l’Ombre est ambivalent. Il faut trouver le juste milieu entre l’être allégorique et l’être de chair qui incarne les rêves très humains du jeune homme. En 2014, Maria Gutierrez était presque trop humaine. Elle dépeignait une sorte de Mater Dolorosa inquiète pour son rejeton récalcitrant. Cette approche avait l’avantage d’offrir un final poignant. Natalia de Froberville, en revanche, joue la carte de l’implacable œil de la conscience et s’enferme par là-même dans le rôle de gâte-sauce. À aucun moment le jeune homme de Ramiro Gomez Samon ne semble faire corps avec elle. Le danseur est touchant dans ses interactions enfantines avec les différentes protagonistes féminines (la chimère très papillonnante et insaisissable de Kayo Nagasako ou la femme suprêmement élégante et sensuelle de Florencia Chinellato) mais il ne semble jamais quitter le monde de l’adolescence. Du coup, sa variation en hommage à la femme, bien calée techniquement, manque de mâle autorité. De son côté Natalia de Froberville semble interpréter la fameuse variation de Chauviré comme une introspection personnelle. À la fin, dans le paysage aride, le jeune homme semble bien boudeur et désolé d’être encore et toujours persécuté par cette austère matrone en gris.

Les Mirages : Davit Galstyan (le jeune homme) et Tiphaine Prévost (la-chimère) Photo : David Herrero

L’approche de Julie Charlet est beaucoup plus fructueuse. Elle joue une Ombre dure certes mais pas implacable car toujours charnelle. Son rapport avec Davit Galstyan, pour être antagoniste, laisse cependant la place à une évolution. Dans sa variation, l’ombre semble vraiment danser les tergiversations du jeune homme. Galstyan, quant à lui dépeint un jeune homme tourmenté à la recherche d’une échappatoire. Mais chacune de ses rencontres avec un personnage féminin exprime une forme de maturation de l’homme. Avec la chimère terrestre et aguicheuse de Tiphaine Prevost, il est dans les amours adolescentes. Avec les deux courtisanes-sucre d’orge aux cous serpentins (mesdemoiselles Sofia Camininti et Solène Monnereau qui succèdent aux non moins charmantes Louise Coquillard et Yuki Ogasawara) dans la scène du Marchand-berlingo (Rouslan Savdenov, retors là où Minoro Kaneko, le 26, jouait sur le registre comique du baryton d’opérette), il se lance tête baissée dans la bacchanale, tel un fils prodigue. Avec la femme (Sudoreeva), il succombe à sa première passion d’homme. Toute sa variation semble dirigée vers sa partenaire (même le départs de pirouette de face sont précédés d’un regard intense jeté côté jardin).

Lorsque déçu par tous les mirages le jeune homme renvoie dans les airs la boite de Pandore du palais lunaire, le pas de deux final avec l’ombre est très touchant. Un amour se révèle. Le jeune homme accepte son ombre non plus comme un censeur mais comme une muse. Dans le paysage désolé, le jeune homme comprend les directions que sa tutrice lui indiquait depuis le début. Les ports de bras vers la terre, vers le ciel et à l’horizon sont porteurs d’espoirs. Ébloui par le soleil naissant, le jeune homme devenu adulte est prêt à commencer sa route.

Les Mirages. Davit Galstyan (le jeune homme) et Julie Charlet (l’ombre). Photographie David Herrero

*

 *                                             *

Sorti de cette soirée, regardant l’affiche à l’entrée du théâtre du Capitole, on se dit que oui, le titre de ce programme n’était finalement pas mal choisi. Car au-delà de ces deux chefs-d’oeuvre de Serge Lifar, c’est bien le ballet du Capitole qui est un joyau français.

2 Commentaires

Classé dans Blog-trotters (Ailleurs), France Soirs

Bordeaux: Roses Bloom Beyond Paris (3/3)

DAY TWO: BORDEAUX (matinee, October 26th)

P1080799ICARE (Lifar/Honneger/Picasso)

“Men,” said the little prince, “set out on their way in express trains, but they do not know what they are looking for. Then they rush about, and get excited, and turn round and round […] “With a hint of sadness, he added: ‘Straight ahead of him, nobody can go very far…”

What a weird and startling experience. To all of the Dr.Who guys from the Nerd Bars in Brookyn: prick up your ears! Not going to ballet explains why you still haven’t found what you’re looking for. An ancient legend of just what happens when you try to fly too high in the sky with invented wings, merged with violent and multi-colored percussion, plus sets and costumes by Picasso in his most Jean Cocteau (as in, let’s do this in bold, iconic, yet ironic, strokes) phase, is what you need.

Most at this matinee audience were already atwitter about how Bordeaux’s director, Charles Jude, had already drunk from the fountain of both Lifar (therefore Diaghilev) and Nureyev (therefore everyone). We knew this matinee would serve up great goblets of more beautiful dancing.

This ballet is sooo Ballet Russes that it seems all about the sets and costumes and lights and music and philosophy and …you. The dance seems to just grow out of all this: I’d never seen the ballet before, but cannot imagine it existing in another way.

P1030074It’s incredibly hard to describe the atmosphere it creates. A bit cubist (those Ikea wings that — as you would expect, screw on, sort of, but don’t hold fast and then inspire your angry dance across the room — became Igor Yebra/Icare’s), a bit Expressionist (a gesticulating lost father like Lifar’s in the original Prodigal Son, but also a Daedalus awakened, Ludovic Dussarps, a Faust-like enabler, utterly “on”) and a bit of something other: graceful choral groups, male and female, all Art Deco curves and profiled angles. And all along, the music forcing you to bounce along in one-two-three-four (and other) phrasing. Boom cha che whoosh!

FAUN (Lifar/Debussy/who the hell did the decor?)

“Little golden objects that set lazy men to idle dreaming.” […] “Ah, you mean the stars?”

Le Faune Barberini (Glyptothek Munich)

Le Faune Barberini (Glyptothek Munich)

This version, carried forward from Nijinsky to Nijinska to Lifar, turns out to be a solo. Be gone the nymphs, me here, yo. So it’s the After That Afternoon, where I – Alvaro Rodriguez Piniera — lie about in my primitivo-naif rain forest décor and um, revisit that experience without even needing actual nymphs. Because, and that is what astonished me, a great artist can concentrate your mind into actually seeing what he sees. A split second hit where I started to feel inarticulately overwhelmed by the intensity of the mood he created alone out there. I thought, OK, sit up and quickly look around in order to make sure you are not insane. I saw: an entire audience, leaning forward, all sitting with mouths hanging open. I swear, it was a glimpse at a cave of bats hanging upside down! What an actor!

I’d always wondered what was so special about Nijinsky. Maybe here I finally caught a glimpse. Concentration, conviction, release with utter control. Where all lines and the smallest gestures confirmed a deeply-felt inner logic. Rodriguez Piniera made a guy in a spotted costume and gilded horned wig swooping around an abandoned scarf seem like the only way to go. A ballet that would always be modern. For what is otherworldly, if brought to life, can turn into an evident truth.

SUITE EN BLANC (Lifar/Lalo/well, yes, obviously no decor and arty costumes here)

“This is only his box. The sheep you asked for is inside.”

Everyone loves “Etudes.” But not enough people know this other ballet about ballet that held the stage in Paris before Harald Lander imported his masterpiece from Copenhagen. The best difference between these two roller-coasters which have no other story-line other than letting the audience in on just how high you can ride on technique? In Etudes you have a massively functioning corps de ballet and three stars. Yet all seem to be equally committed to one task: demonstrating how the struggle against one’s recalcitrant body leads to a larger kind of, ah that word again, inner perfection. In Lifar’s Suite en Blanc you have smaller groups and, by giving each one of them so much to do, he crafted each section into a constellation of stars each shedding its own light.

Nathan Fifield conducted the overture with such force and delicacy you could hear the stars and planets begin to twinkle as blown into place by the winds.

In swooping long tutus, Emilie Cerruti, Marie-Lys Navarro and Aline Bellardi, set the stage in the opening “Siesta”: softly romantic, powerfully in control, well-coordinated as a trio yet each individual never felt faceless (alas, I don’t know these dancers by heart yet, so I fear attributing attributes to the wrong name!)

Then Vanessa Feuillate wholeheartedly led Samuele Ninci and Ashley Whittle in a grand trio. All three played to the audience in a good way, with confident flair, utterly committed to the steps and without irony: let’s just hit this “invitation to the dance.” The audience, kind of still reeling after the “Faun,” responded. Delicate and precise, Mika Yoneyama then soothed us with her smoothly poised balances in the “Serenade.”

According to legend, one of the “baby ballerinas” of the Ballets Russes de Monte Carlo – I think it was Tatiana Riabouchinska – used to take men’s class as well. I always am reminded of that when I see the relentless “Pas de cinq,” where one girl challenges four boys in echapés and cabrioles and sheer energy. And can do all the « girly » things, too. The score gets terribly bombastic here and can, if listlessly played as is wont in Paris, drag the poor dancers down. Here dance and music bounced merrily along together. Sara Renda, despite a tutu, definitely proved to be one of the boys. With her four impeccable partners, they even made this all look easy and fun, which is absurd. And enchanting.

All bourées and asymmetrically-timed-and-positioned passés and careful flutterings, “La Cigarette” (in the long-lost first stage version of this flute-filled music from 1866, Rita Sangalli waved one around) should create the impression that the soloist floats and never comes off pointe. I found the solo a bit too strongly danced by Oksana Kucheruk, the crowd-pleasing pirouettes almost harsh in execution (the “I’m now going to let my face go blank and nail this step” variety). Etude-y. This may have been one little moment when I actually missed the way Paris’s dancers can merge precision with sometimes too much chic and nonchalance. Later on, in “La Flûte,” I had the same impression: Kucheruk is an impressive technician with natural lines who can indeed do almost everything…except go a little easier on herself. A bit like the rose with four thorns. I kept wanting to tell her: « you’re fine! Don’t force it, don’t keep the mirror in your mind, just enjoy the steps, will you?! »

But, in the meantime, Roman Mikhalev had used the grand Mazurka to grant me a little wish: what if the Poet in “Les Sylphides” could have broken out of that droopy melancholy solo? He’s in a mosh pit of girls, for god’s sake! He’d think big and jeté and turn and leap all over the place, while never losing his dignity. Nice, bold, manly, tasty. In the Adage, Stéphanie Roublot and Oleg Rogachev at first seemed beautifully in-synch, yet then something went cold. That was a pity, because the great advantage Suite en Blanc has over Etudes is that it’s not about just getting it to work in an empty studio. It’s about negotiating dancing all together. Most of the choreography is given over to partnering and interacting and sharing the stage.

Yes, that’s the major difference between Etudes and Suite en Blanc: the first focuses on challenging the deep part that lurks in dancers’ minds – you facing the mirror, and that annoying person just in front of you at the barre, whose every perfection is pissing you off…the stuff audiences don’t really understand — the second on how the excellence of each rare idiosyncratic talent contributes to forming a real community. More than a challenge, this ballet remains an homage to every one on stage. You each face us sitting out there in the dark, but are not alone. Suite en Blanc recognizes that we are all in this together: you dancers, us in the audience, even the musicians in the pit (who actually cared to look back at the stage at the end and applaud…hello, Paris?)

“What is a rite?” asked the little prince. /”Those also are actions too often neglected, “ said the fox. “They are what make one day different from other days, one hour from other hours.”

I found these different days in Bordeaux and Toulouse. My eyes still hear golden peals of laughter.

[Just in case: all citations, and many bit of inspiration, came from Antoine de Saint-Exupéry’s « The Little Prince » from 1943, in its translation by Katherine Woods].

4 Commentaires

Classé dans Blog-trotters (Ailleurs), France Soirs

Bordeaux : Lifar dansé au présent

P1080799Bordeaux Icare… Hommage à Lifar. Ballet de l’Opéra de Bordeaux. Dimanche 26/10/2014

Avec le ballet de l’Opera de Bordeaux, le programme se concentre sur le Lifar choréauteur des années trente. Icare et la relecture du Faune datent tous deux de 1935.

Icare naquit  accompagné du fameux manifeste du chorégraphe où Lifar définissait sa conception de la création chorégraphique comme œuvre totale. On imagine sans peine le choc qu’a pu provoquer en 1935 cette pièce dansée uniquement sur un arrangement de percussions d’Arthur Honegger et de Karl Szyfer avec une chorégraphie à la fois minimaliste (à base de batterie en réponse à la percussion) et expressionniste (des mouvements amples évoquant le théâtre antique plus que la pantomime); Lifar réutilisera ce style « minoen » dans Phèdre en 1950. Le parallèle est d’ailleurs renforcé depuis que le ballet a été « rhabillé » par Picasso dans une palette aussi tonitruante que celle de Cocteau pour Phèdre. Cela sert-il réellement l’œuvre ? Pas sûr. Cette esthétique « faïence de Vallauris » incruste le ballet dans une période, les années De Gaulle- Malraux, qui n’est pourtant pas la sienne. Il est des associations décor-chorégraphie qu’on ne peut rompre sans faire perdre l’un ou l’autre. C’est le cas de Mirages. Mais pas ici. En fait, le ballet de Lifar souffre actuellement de sa production Picasso 62 comme l’Orphée de Balanchine de sa production Noguchi 1948. On rêve de voir ces ballets dansés en costumes de répétition.

Icare : Les amis dans le décor de Picasso. Photographie Sigrid Colomyès. Courtesy of Opera National de Bordeaux

Icare : Les amis dans le décor de Picasso. Photographie Sigrid Colomyès. Courtesy of Opera National de Bordeaux

Car il y a d’immenses qualités dans Icare. Les évolutions des amis (4 garçons et 4 filles) avec leurs savantes et brutes architectures mouvantes sont à la fois simples et directement expressives. On se prend à s’émerveiller devant de simples tours en l’air que le corps de ballet – très homogène – achève soit de face, soit de dos, nous transportant dans un tableau cubiste. On distingue aussi ce que la chorégraphie créée par Lifar sur lui-même avait de force, même si l’Icare de cette matinée, Igor Yebra, semblait ne jamais l’attaquer franchement du pied. Un rôle tel qu’Icare, avec ses lentes pirouettes s’achevant sur des poses plastiques, ne supporte ni l’approximation ni le timoré. Or, c’est ce qui semblait caractériser l’interprétation de l’étoile bordelaise. Du coup, ses rapports avec le reste des danseurs sur le plateau ne sortaient pas clairement: il n’était ni un chef pour les amis ni réellement un fils pour le Dédale de l’excellent Ludovic Dussarps.

Timoré, il ne faut pas non plus l’être quand on interprète le Prélude à l’après midi d’un faune que Lifar a remodelé pour en faire un solo.

L’expérience est fascinante. Dans un décor frontal qui rappelle plus le douanier Rousseau que Bakst, on observe une chorégraphie à la fois proche de celle de Nijinsky (elle recourt à des poses « aplaties » inspirées des vases à figures noires de la Grèce archaïque ou bien des bas-reliefs égyptiens) et, en même temps, complètement renouvelée. Ce n’est pas simplement parce qu’elle supprime les nymphes mais également parce qu’elle réalise une petite révolution copernicienne en donnant de la chair à l’esthétique de bas-relief du ballet original. Il ne s’agit plus d’un épisode de rencontre manquée mais bien d’autosuggestion. Tout en traduisant la passion de Lifar pour la forme plastique – tout particulièrement la sienne, on le concède–, l’absence des nymphes nous recentre sur la psyché du Faune. L’écharpe est bien là, abandonnée. Et comme sa propriétaire n’a pas pris forme physique, on voit la créature mi-animale renifler son parfum dans l’air. À la fin de la pièce, après l’orgasme imaginé par Nijinsky, le Faune se retourne et finit sur le dos, appuyé sur un coude ; comblé. Plus qu’à l’esthétique archaïque du ballet d’origine, c’est à la statuaire baroque que Lifar se réfère. Le chorégraphe n’hésite pas à briser la ligne de l’original pour, ne serait-ce que brièvement, y introduire la courbe et l’ellipse.

Dans le faune, Alvaro Rodriguez Piñera, tout en respectant la lettre de la chorégraphie et ses débordements expressifs, parvient à rester sur le fil : jamais cabotin, jamais complètement narcissique non plus. Tout en marchant de manière stylisée mais nerveuse, il agite ses pouces d’une manière explicite. Mais ce qui pourrait être obscène ne l’est pas avec lui. On a plutôt l’impression d’un insecte qui ferait une parade d’amour en agitant ses antennes pour une parèdre cachée quelque part dans la coulisse. La grande nymphe devient accessoire quand sa présence est suggérée de manière si suggestive.

Suite en Blanc : Ballet de l'Opéra de Bordeaux. Photographie Sigrid Colomyès. Courtesy of Opéra National de Bordeaux

Suite en Blanc : Ballet de l’Opéra de Bordeaux. Photographie Sigrid Colomyès. Courtesy of Opéra National de Bordeaux

Avec « Suite en Blanc », c’est un Lifar plus maître de son style que l’on rencontre. En 1943, l’interprète-choréauteur et le ballet de l’Opéra de Paris se sont en quelques sortes « acculturés ». Les bizarreries du  » barbare Lifar » semblent s’être bonifiées sous le vernis d’élégance de l’école française qui elle, a gagné en virtuosité. Force nous est de reconnaître que ce vernis était bien mieux défendu par le ballet de Bordeaux que par l’Opéra de Paris lui-même lors des dernières reprises de ce ballet.

Oh ! Sacrilège ? Je m’explique. L’interprétation de « Suite en Blanc » par La première troupe nationale ressemble trop souvent à un coffre à bijoux où des pierres précieuses voisineraient en vrac avec de la pacotille. Deux ou trois apparitions fulgurantes réveillent par intermittence un ballet dansé par des interprètes plantons qui ânonnent leur chorégraphie comme on dit un Pater et trois Ave. À Bordeaux, on ne présente pas nécessairement toujours des diamants de la plus belle eau (l’étoile maison, Oksana Kucheruk ne convainc pas vraiment dans « la cigarette » à force de vouloir faire preuve d’autorité et Roman Mikhalev est plus précis qu’enthousiasmant dans la Mazurka), mais le tout est enchâssé dans une vraie monture dynamique. Les numéros s’enchaînent avec naturel et la partition – par ailleurs très bien défendue par l’orchestre sous la direction de Nathan Fifield – scintille encore davantage. Les danseurs de Bordeaux servent avec brio cette chorégraphie quand les parisiens se trouvent bien assez bons de la ressortir de temps en temps de la naphtaline. À regarder l’élégante « Sieste » (Melles Cerruti, Navarro et Bellardi), le « Thème varié » plein de chic teinté d’humour (Vanessa Feuillate, Samuele Ninci et Ashley Whittle), le « Presto » enflammé par Sara Renda entourée d’un quatuor de gaillards à la fois énergiques et moelleux puis enfin tout le corps de ballet rendant justice à ces charmantes ponctuations en forme de rideau qui s’ouvre et puis se ferme sur les solistes, on n’était pas loin de ressentir l’émotion qui s’était saisie de nous lorsque le Miami City Ballet d’Edward Villella nous avait montré comment Balanchine pouvait être mieux dansé qu’au New York City Ballet.

Tout chorégraphe appartient à son époque. Lifar a embrassé la sienne avec démesure et gourmandise. Faut-il pour autant l’enfermer dans le passé? Non. Son œuvre n’est pas en soi vieillie même si elle est d’une époque. Car quand elles sont prises à bras le corps comme cela a été le cas à Bordeaux, ses chorégraphies appartiennent à notre présent.

2 Commentaires

Classé dans Blog-trotters (Ailleurs), France Soirs, Retours de la Grande boutique

Ballet de l’Opéra à New York. « Programme français » : Warming Up

Wednesday night saw the opening of the Paris Opera’s stint in New York on their US tour. They haven’t been in New York for sixteen years, and I don’t think the audience knew quite what to expect. The program was called « French Masters of the 20th Century » and included Suite en Blanc (Lifar) L’Arlésienne (Petit) and Boléro (Béjart). Initially, this was the night I was least excited about. I’ve wanted to see Suite en Blanc for a long time (and how nice to finally see some Lifar in New York, in Balanchine’s theater no less!) but I didn’t really know that much about L’Arlésienne, and I’ve never liked the music for Boléro, so I must admit to having been less than psyched about seeing Bejart’s version. In a happy turn of events, I cannot imagine a better opening night; it was a triumph (with some very minor complaints).

Suite en Blanc was incredible. From the opening pose to the last one, time didn’t seem to exist; I just sat there and loved it. Now to details! « La Sieste », for me, seemed to be more about the choreography than the dancers. Aurelia Bellet, Marie-Solene Boulet, and Laura Hecquet were nice, but none of them made me go ‘wow!’ Seen as a whole though, it did feel very dreamy. « Thème Varié » united Cozette, Paquette and Bullion, and it went about as well as expected given that particular line up. But let’s move on. Nolwenn Daniel gave a light and bubbly quality to her « Sérénade » (which turns out to be possibly my favorite part choreography-wise). She didn’t turn the fouettés into a trick, they were just another step for her and she made them blend in. The audience didn’t know quite what to do here; we’re so used to clapping at the least provocation that by the time everyone realized that ‘Hey! Fouettés!’ she had moved on.  The « Pas de Cinq » I loved as well. Alice Revanand is definitely a dancer I want to get to know more. She reminded me a bit of a fairy, as if the steps were so natural for her that she could just sort of play and be flirty and enjoy herself. Gillot replaced Letestu in « La Cigarette ». Of course her technique is flawless, but I didn’t love her in the role. It just didn’t work with the rest of the ballet. I think I feel the same about her as I do about Sara Mearns at NYCB.  I really would have loved to see Letestu do this. Thank goodness for YouTube! Does anyone know why Letestu was replaced? Is she injured? Ganio did the Mazurka which I thoroughly enjoyed; everything was big without being too heavy, which is no small feat considering the music! Dupont and Pech did the Adage which was lovely. My problem with Dupont is lack of expression (which is weird since she “loves to act”) but here it works; she can just be pretty, that’s fine. No acting required. What was really fun to see though, is that she and Pech clicked. There were moments on stage where they looked at each other and grinned a bit; I think they were having fun, which is wonderful because I really found it wonderful too! OK, last was La Flute with Gilbert, which couldn’t have been better. When little girls say they want to be a ballerina princess when they grow up, this is what they mean. By the finale I was ecstatic; this is why I love ballet.

L’Arlesienne I loved a bit less. Ciaravola was a great Vivette; very pretty and did a convincing job of comforting poor, desperate, Belingard’s Frédéri…but he sometimes forgot to act. Don’t get me wrong, technically there are no complaints or anything but his expressions kind of went in and out. I will say that his suicide scene was masterful. People around me gasped, which is always a good sign!

Finally, Bolero. I cannot be an impartial judge here; I really -really- dislike the music so there was a snowflake’s chance in Hell that this one would become one of my favorites. I will say that I loved Nicolas Le Riche who was, in a word, intense. His movements were so powerful that it almost seemed like he was trying to hold himself back during the rocking movements and suddenly he would escape and burst out of control. This might be because of the red table and the spotlight, but he made me think of a solar storm. In any case the audience loved it.

I think I understand what the Paris Opera was trying to do with this program: Show the US that they can do everything: classical, contemporary, you name it, they’re masters both in choreography and performing. That’s going to be hammered in with Giselle and Orpheus and Eurydice, but this was their introduction and it was big. I think once the audience kind of got a feel for the company they loved it. Applause for Suite en Blanc was OK, more than polite but less than enthusiastic; for L’Arlesienne it was warm; and after Bolero there was a standing ovation. As far as introductions go, this was perfect. I think New York is more than excited to see what else they’ve brought. Oh, this is exactly the way I wanted to end my ballet season! More please!

Commentaires fermés sur Ballet de l’Opéra à New York. « Programme français » : Warming Up

Classé dans Retours de la Grande boutique, Voices of America