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Les Balletos d’or 2018-2019

Gravure extraite des « Petits mystères de l’Opéra ». 1844

La publication des Balletos d’or 2018-2019 est plus tardive que les années précédentes. Veuillez nous excuser de ce retard, bien indépendant de notre volonté. Ce n’est pas par cruauté que nous avons laissé la planète ballet toute entière haleter d’impatience une semaine de plus que d’habitude. C’est parce qu’il nous a quasiment fallu faire œuvre d’archéologie ! Chacun sait que, telle une fleur de tournesol suivant son astre, notre rédaction gravite autour du ballet de l’Opéra de Paris. Bien sûr, nous avons pléthore d’amours extra-parisiennes (notre coterie est aussi obsessionnelle que volage), mais quand il s’est agi de trouver un consensus sur les les points forts de Garnier et Bastille, salles en quasi-jachère depuis au moins trois mois, il y a eu besoin de mobiliser des souvenirs déjà un peu lointains, et un des membres du jury (on ne dira pas qui) a une mémoire de poisson rouge.

 

Ministère de la Création franche

Prix Création : Christian Spuck (Winterreise, Ballet de Zurich)

Prix Tour de force : Thierry Malandain parvient à créer un ballet intime sur le sujet planche savonnée de Marie Antoinette (Malandain Ballet Biarritz)

Prix Inattendu : John Cranko pour les péripéties incessantes du Concerto pour flûte et harpe (ballet de Stuttgart)

Prix Toujours d’Actualité : Kurt Jooss pour la reprise de La Table Verte par le Ballet national du Rhin

Prix Querelle de genre : Les deux versions (féminine/masculine) de Faun de David Dawson (une commande de Kader Belarbi pour le Ballet du Capitole)

Prix musical: Goat, de Ben Duke (Rambert Company)

Prix Inspiration troublante : « Aimai-je un rêve », le Faune de Debussy par Jeroen Verbruggen (Ballets de Monte Carlo, TCE).

Ministère de la Loge de Côté

Prix Narration : François Alu dans Suites of dances (Robbins)

Prix dramatique : Hugo Marchand et Dorothée Gilbert (Deux oiseaux esseulés dans le Lac)

Prix Versatilité : Ludmila Pagliero (épileptique chez Goecke, oiseau chez Ek, Cendrillon chrysalide chez Noureev)

Pri(ze) de risque : Alina Cojocaru et Joseph Caley pour leur partenariat sans prudence (Manon, ENB)

Prix La Lettre et l’Esprit : Álvaro Rodriguez Piñera pour son accentuation du style de Roland Petit (Quasimodo, Notre Dame de Paris. Ballet de Bordeaux)

Prix Limpidité : Claire Lonchampt et son aura de ballerine dans Marie-Antoinette (Malandain Ballet Biarritz).

Ministère de la Place sans visibilité

Prix Singulier-Pluriels : Pablo Legasa pour l’ensemble de sa saison

Prix Je suis encore là : Le corps de Ballet de l’Opéra, toujours aussi précis et inspiré bien que sous-utilisé (Cendrillon, Le lac des Cygnes de Noureev)

Prix Quadrille, ça brille : Ambre Chiarcosso, seulement visible hors les murs (Donizetti-Legris/Delibes Suite-Martinez. « De New York à Paris »).

Prix Batterie : Andréa Sarri (La Sylphide de Bournonville. « De New York à Paris »)

Prix Tambour battant : Philippe Solano, prince Buonaparte dans le pas de deux de la Belle au Bois dormant (« Dans les pas de Noureev », Ballet du Capitole).

Prix Le Corps de ballet a du Talent : Jérémy Leydier pour A.U.R.A  de Jacopo Godani et Kiki la Rose de Michel Kelemenis (Ballet du Capitole de Toulouse)

Prix Seconde éternelle : Muriel Zusperreguy, Prudence (La Dame aux camélias de Neumeier) et M (Carmen de Mats Ek).

Prix Anonyme : les danseurs de Dog Sleep, qu’on n’identifie qu’aux saluts (Goecke).

Ministère de la Ménagerie de scène

Prix Cygne noir : Matthew Ball (Swan Lake de Matthew Bourne, Sadler’s Wells)

Prix Cygne blanc : Antonio Conforti dans le pas de deux de l’acte 4 du Lac de Noureev (Programme de New York à Paris, Les Italiens de l’Opéra de Paris et les Stars of American Ballet).

Prix Gerbille sournoise (Nuts’N Roses) : Eléonore Guérineau en princesse Pirlipat accro du cerneau (Casse-Noisette de Christian Spuck, Ballet Zurich).

Prix Chien et Chat : Valentine Colasante et Myriam Ould-Braham, sœurs querelleuses et sadiques de Cendrillon (Noureev)

Prix Bête de vie : Oleg Rogachev, Quasimodo tendre et brisé (Notre Dame de Paris de Roland Petit, Ballet de Bordeaux)

Prix gratouille : Marco Goecke pour l’ensemble de son œuvre (au TCE et à Garnier)

Ministère de la Natalité galopante

Prix Syndrome de Stockholm : Davide Dato, ravisseur de Sylvia (Wiener Staatsballett)

Prix Entente Cordiale : Alessio Carbone. Deux écoles se rencontrent sur scène et font un beau bébé (Programme « De New York à Paris », Ballet de l’Opéra de Paris/NYCB)

Prix Soft power : Alice Leloup et Oleg Rogachev dans Blanche Neige de Preljocaj (Ballet de Bordeaux)

Prix Mari sublime : Mickaël Conte, maladroit, touchant et noble Louis XVI (Marie-Antoinette, Malandain Ballet Biarritz)

Prix moiteur : Myriam Ould-Braham et Audric Bezard dans Afternoon of a Faun de Robbins (Hommage à J. Robbins, Ballet de l’Opéra de Paris)

Prix Les amants magnifiques : Amandine Albisson et Audric Bezard dans La Dame aux camélias (Opéra de Paris)

Ministère de la Collation d’Entracte

Prix Brioche : Marion Barbeau (L’Été, Cendrillon)

Prix Cracotte : Emilie Cozette (L’Été, Cendrillon)

Prix Slim Fast : les 53 minutes de la soirée Lightfoot-Leon-van Manen

Prix Pantagruélique : Le World Ballet Festival, Tokyo

Prix indigeste : les surtitres imposés par Laurent Brunner au Marie-Antoinette de Thierry Malandain à l’Opéra royal de Versailles

Prix Huile de foie de morue : les pneus dorés (Garnier) et la couronne de princesse Disney (Bastille) pour fêter les 350 ans de l’Opéra de Paris. Quand ça sera parti, on trouvera les 2 salles encore plus belles … Merci Stéphane !

Prix Disette : la deuxième saison d’Aurélie Dupont à l’Opéra de Paris

Prix Pique-Assiette : Aurélie Dupont qui retire le pain de la bouche des étoiles en activité pour se mettre en scène (Soirées Graham et Ek)

Ministère de la Couture et de l’Accessoire

Prix Supersize Me : les toujours impressionnants costumes de Montserrat Casanova pour Eden et Grossland de Maguy Marin (Ballet du Capitole de Toulouse)

Prix Cœur du sujet : Johan Inger, toujours en prise avec ses scénographies (Petrouchka, Ballets de Monte Carlo / Carmen, Etés de la Danse)

Prix à côté de la plaque : les costumes transparents des bidasses dans The Unknown Soldier (Royal Ballet)

Prix du costume économique : Simon Mayer (SunbengSitting)

Prix Patchwork : Paul Marque et ses interprétations en devenir (Fancy Free, Siegfried)

Prix Même pas Peur : Natalia de Froberville triomphe d’une tiare hors sujet pour la claque de Raymonda (Programme Dans les pas de Noureev, Ballet du Capitole)

Ministère de la Retraite qui sonne

Prix Laisse pas traîner tes bijoux n’importe où, Papi : William Forsythe (tournée du Boston Ballet)

Prix(se) beaucoup trop tôt : la retraite – mauvaise – surprise de Josua Hoffalt

Prix Sans rancune : Karl Paquette. Allez Karl, on ne t’a pas toujours aimé, mais tu vas quand même nous manquer !

Prix Noooooooon ! : Caroline Bance, dite « Mademoiselle Danse ». La fraicheur incarnée prend sa retraite

Prix Non mais VRAIMENT ! : Julien Meyzindi, au pic de sa progression artistique, qui part aussi (vers de nouvelles aventures ?)

Louis Frémolle par Gavarni. « Les petits mystères de l’Opéra ».

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Sylvia à Vienne: les sortilèges du ballet d’action

© Wiener Staatsballett / Ashley Taylor

© Wiener Staatsballett / Ashley Taylor

Sylvia, chorégraphie Manuel Legris d’après Louis Mérante et alia, musique de Léo Delibes. Wiener Staatsballett – Représentation du 26 janvier 2019

La direction des Balletonautes est en roue libre. Non contente de plafonner les notes de frais de ses chroniqueurs (le concierge de l’hôtel Sacher, habitué et admirateur de ma munificence, ne me reconnaît plus), elle les choisit n’importe comment. En effet, pourquoi m’envoyer à Vienne afin de vous donner la relation de la Sylvia de Manuel Legris, alors que, contrairement à Cléopold, je n’étais pas né lors de la création de Louis Mérante ?

Malgré un vague souvenir de la version Darsonval, présentée par le Ballet national de Chine en tournée à Paris il y a quelques années, j’ai comme eu l’impression d’une redécouverte. La variété des humeurs et des couleurs du premier acte capte d’emblée l’attention. Outre la richesse mélodique de la partition de Leo Delibes (bien servie, malgré des tuttis sans excès de subtilité, par l’orchestre du Staatsoper dirigé par Kevin Rhodes), un des agréments de la production Legris est qu’elle joue le jeu du grand divertissement, avec une remarquable profusion de motifs chorégraphiques et un joli enchaînement de contraires.

Par exemple dans la succession entre les faunes, les dryades et les naïades, puis dans leur cohabitation scénique. Les parties pour le corps de ballet – par exemple le cortège rustique – sont toujours subtiles et ambitieuses, et cela contribue fortement à l’intérêt constamment renouvelé de l’amateur (a contrario, dans les productions récentes du Royal Ballet, les ensembles sont géométriquement pauvres).

Pour apprécier pleinement Sylvia, faut-il relire Le Tasse, réviser sa mythologie et les poètes arcadiens ? Cela peut aider, par exemple pour saisir tout de suite que le prologue met Diane (Ketevan Papava) aux prises avec Endymion (James Stephens), ou ne pas s’étonner que la statue d’Eros au string doré prenne vie, ni qu’il joue un rôle décisif dans la destinée des humains.

Mais on peut sans doute aussi se laisser transporter dans un univers bucolique finalement assez familier – les décors de Luisa Spinatelli empruntent clairement à la peinture du XVIIe siècle – et porter par une histoire dont le rocambolesque est prétexte à des tas de pirouettes (Aminta en pince pour la chaste chasseresse Sylvia, cette dernière se fait enlever par Orion, s’échappe avec l’aide d’Eros qui démêle tout le sac de nœuds et obtient même le pardon de la patronne).

Dans le rôle de Sylvia, la nouvelle première soliste Nikisha Fogo (elle a été promue l’année dernière) se montre très incisive dans la séquence des chasseresses (grands jetés passés attitude devant presque en parallèle). Son style altier s’amollit avec un petit temps de retard lors de la transition dans la valse lente (pendant lequel, au niveau musical, elle est un peu en avance sur le temps). Par la suite, elle gère plus sûrement les changements de style notamment quand, à l’acte II, voulant échapper à son ravisseur Orion, elle feint de se prendre au jeu des sensuelles libations. Durant le feu d’artifice de l’acte III, elle enchaîne les déboulés à une vitesse hallucinante.

© Wiener Staatsballett / Ashley Taylor

Nikisha Fogo © Wiener Staatsballett / Ashley Taylor

Le contraste entre les trois personnages masculins est très réussi, avec un Aminta joli comme un accessoire, un Orion plus dangereux, et un petit Eros râblé. Dans ses premières apparitions, Jakob Feyferlik (c’est l’accessoire) a dans la petite batterie des élans qui font un peu chien fou. La fougue de Davide Dato, ravisseur de Sylvia, fait beaucoup dans la frénésie bacchanale qui s’empare du deuxième acte. En Eros, Mihail Sosnovshi – qui enfile une jupette quand il lui incombe d’arrêter la pantomime et d’enfin beaucoup danser – n’est pas en reste, notamment lors des divertissements de l’acte III.

On prend un plaisir sans mélange à la production de Manuel Legris : les ficelles du ballet narratif sont bien là, les ingrédients du grand spectacle aussi, et tout s’équilibre. Sur un mode plus léger que d’autres grands ballets, Sylvia est jubilatoire parce que l’exubérance chorégraphique y a un sens dramatique. En recréant ce ballet, le directeur du Wiener Staatsballet voudrait-il nous convaincre de l’actualité des sortilèges du ballet d’action ?

Davide Dato © Wiener Staatsballett / Ashley Taylor

Davide Dato © Wiener Staatsballett / Ashley Taylor

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Lettre de Vienne : Raymonda de Noureev ou le faste retrouvé

Opéra-national-de-Vienne-c-Wiener-Staatsballett-Michael-PöhnPremière du 22 décembre 2016 par le Wiener Staatsballett, ballet en trois actes, livret de Lydia Pachkova et Marius Petipa, chorégraphie de Rudolf Noureev d’après Marius Petitpa remontée par Manuel Legris et Jean Guizerix, musique d’Alexandre Glazounov sous la direction de Kevin Rhodes,  décors et costumes de Nicholas Georgiadis
Avec Nina Poláková (Raymonda), Jakob Feyferlik (Jean de Brienne), Davide Dato (Abderam), Nina Tonoli (Clémence), Natascha Mair (Henriette), Masayu Kimoto (Bernard), Richard Szabó (Béranger), Oxana Kiyanenko (Comtesse Sybille), Zsolt Török (Roi de Hongrie), Anita Manolova, Francesco Costa (Duo des sarrasins), Ionna Avraam, Alexandru Tcacenco (Danse espagnole)

 

En 1983, Rudolf Noureev monte pour l’Opéra de Paris sa version définitive de Raymonda. En transformant le rôle mimé du sarrasin Abderam en celui d’un séduisant guerrier qui éveille Raymonda à la sensualité, il donne des lettres de noblesse à un ballet dramatiquement peu consistant. Les sompteux décors et costumes de Nicolas Georgiadis font le reste du succès de la production.

Nina Poláková (Raymonda), Jakob Feyferlik (Jean de Brienne) - © Wiener Staatsoper GmbH / Ashley Taylor

Nina Poláková (Raymonda), Jakob Feyferlik (Jean de Brienne) – © Wiener Staatsoper GmbH / Ashley Taylor

Deux ans plus tard, Rudolf Noureev (autrichien depuis 1982) offre au public viennois la soeur jumelle de sa Raymonda parisienne. Le ballet est remonté quelques fois puis quitte le répertoire en 1999. La reprise de 2016 par Manuel Legris sonne comme une évidence : le ballet lui colle à la peau (Béranger et Jean de Brienne à Paris 1983, Béranger et Jean de Brienne à Vienne 1985, nommé étoile au MET en 1986 sur Jean de Brienne, Jean de Brienne à Paris en 1988, Jean de Brienne à Vienne en 1989, Jean de Brienne à Paris en 1997, sans parler des galas) et lui permet d’offrir du nouveau à sa compagnie et son public tout en respectant la tradition viennoise.

Nina Poláková (Raymonda), Natascha Mair (Henriette), Nina Tonoli (Clémence), Masayu Kimoto (Bernard), Richard Szabó (Béranger) - © Wiener Staatsoper GmbH / Ashley Taylor

Nina Poláková (Raymonda), Natascha Mair (Henriette), Nina Tonoli (Clémence), Masayu Kimoto (Bernard), Richard Szabó (Béranger) – © Wiener Staatsoper GmbH / Ashley Taylor

Grâce au soin apporté à cette reprise menée par Manuel Legris et Jean Guizerix (Abderam de la création), le résultat éclate comme un feu d’artifice de la Saint Sylveste avant l’heure. On regrette d’autant plus que le retrait du ballet du répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris en 2009. La production était à refaire paraît-il. Pourtant les costumes présentés à Vienne la semaine dernière ont été presque tous prêtés par l’Opéra de Paris. Seuls certains costumes de solistes, par exemple le tutu champagne de Raymonda de l’acte 3 ou l’ensemble brun moiré d’Abderam, n’étaient sans doute pas disponibles à moins que Manuel Legris ait préféré utiliser des costumes viennois restants.

Les danseurs viennois dansent très régulièrement des classiques en trois actes et s’y sentent au fil des saisons de plus en plus à l’aise et souverains. Nul besoin de quelques représentations d’ajustement avant d’obtenir un résultat satisfaisant dans les rangs du corps de ballet. Guerriers, apparitions de la Valse Fantastiques, hongrois, espagnols et sarrasins : tous dansent grand, avec facilité et à l’unisson, sans raideur aucune. Avant l’ère Legris, on avait déjà à Vienne des solistes offrant toute satisfaction, désormais il faut compter sur des ensembles de grande qualité qui captent sans relâche l’attention du spectateur.

 

Jakob Feyferlik (Jean de Brienne) - © Wiener Staatsoper GmbH / Ashley Taylor

Jakob Feyferlik (Jean de Brienne) – © Wiener Staatsoper GmbH / Ashley Taylor

Le jeune Jakob Feyferlik (20 ans) avait la redoutable tâche de donner un peu de consistance au rôle de Jean de Brienne. Un oeil charbonneux à la Noureev, une assurance crâne, une galanterie tranquille, une technique assurée et raffinée, le pari est remporté. C’est un concurrent à la hauteur d’Abderam, un Davide Dato aussi bondissant et sensuel qu’à son habitude, mais curieusement un peu en retrait : Raymonda semble plus un enjeu de pouvoir qu’un trophée galant.

Nina Poláková, la Raymonda de la première, ne semble s’intéresser d’ailleurs à aucun de ses deux  prétendants, trop concentrée sur les enjeux techniques de son rôle. La danseuse a de jolies lignes, des bras gracieux et une technique solide mais trop mal assumée : chaque difficulté est précédée et suivie d’un tic de bouche déstabilisant. Ce déficit de confiance semble malheureusement depuis plusieurs saisons empêcher la danseuse d’évoluer artistiquement aussi rapidement qu’elle le devrait.

Natascha Mair (Henriette) - - © Wiener Staatsoper GmbH / Ashley Taylor

Natascha Mair (Henriette) – – © Wiener Staatsoper GmbH / Ashley Taylor

Le contraste avec les duo d’amies Nina Tonoli (Clémence) et Natascha Mair (Henriette) est saisissant. La première, longue et gracile, marque par sa musicalité et sa précision. La deuxième, tonique et menue, impressionne un peu plus à chaque représentation : elle a effacé de sa virtuosité les quelques traces de vulgarité du début de sa carrière et y a ajouté des équilibres et tour planés qui font merveille ce soir-là. Le duo Béranger-Bernard (Masayu Kimoto et Richard Szabó), sans être explosif, était très synchronisé et a eu également l’occasion de s’exprimer lors de la coda de l’acte 2 (supprimée à Paris sans raisons) dans laquelle ils accompagnent le triomphe de Jean de Brienne.

Oxana Kiyanenko, une comtesse de Doris étonnamment jeune et grande, fait penser aux danseuses du Bolchoï ou du Marinsky spécialisées dans les rôles de caractère. Le duo des Espagnols (Ionna Avraam, Alexandru Tcacenco) rappelle les joutes d’Espada et de la danseuse des rues de Don Quichotte. Pour finir, signalons la bonne tenue de la fosse d’orchestre emmenée par Kevin Rhodes : souvent, les musiciens viennois ne font pas dans la dentelle quand ils accompagnent des ballets, mais ici la partition de Glazunov scintille légèrement et à l’acte 3, on découvre avec ravissement des sonorités hongroises inédites.

À la liste des regrets de cette soirée, l’absence de la prima ballerina Liudmila Konovalova qui débutera dans le rôle quelques jours plus tard et l’indifférence relative du public à la flamboyance du spectacle. Peut-être un effet du placement dans la salle, mais l’ambiance est restée polie pendant le spectacle. La déploiement de la tente n’a pas été applaudi (moins fastueuse il est vrai qu’à Paris) et la variation de la claque n’a pas surpris. Seul Davide Dato a réussi à réchauffer l’atmosphère aux saluts (un seul rappel devant le rideau).

Davide Dato (Abderam) - © Wiener Staatsoper GmbH / Ashley Taylor

Davide Dato (Abderam) – © Wiener Staatsoper GmbH / Ashley Taylor

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Don Quichotte à Vienne : Le profil de l’emploi

Opéra-national-de-Vienne-c-Wiener-Staatsballett-Michael-PöhnDon Quichotte : avec Marianela Nuñez (Royal Ballet), Semyon Chudin (Ballet du Bolchoï).

Wiener Staatsballett.

Représentations du 5 juin 2016

Le Ballet national de Vienne a terminé sa dernière série de Don Quichotte sur une distribution d’invités prestigieux. Sauf erreur de notre part, la piquante Marianela Nuñez de Londres et le noble Semyon Chudin de Moscou inauguraient à cette occasion un nouveau partenariat. La danseuse argentine présentait un de ses rôles de prédilection au contraire du danseur russe plus habitué aux rôles de prince. L’alchimie du couple principal semblait bancale sur le papier. Sur scène cette crainte s’est confirmée. Notre correspondante viennoise a quand même passé une soirée réjouissante.

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Semyon Chudin (Basilio) et Marianela Nuñez (Kitri). Wiener Staatsballett. Copyright: Wiener Staatsballett/Ashley Taylor

Avec sa petite taille, son ballon exceptionnel, son sang latin et son caractère bien affirmé, Marianela Nuñez semble être née pour danser Kitri. Effectivement, si elle n’est pas la fille d’aubergiste la plus virtuose qu’il nous ait été donné de voir, le personnage lui colle à la peau. On est emporté par son naturel, sa générosité et son plaisir d’être en scène. Explosive aux actes un et trois, elle est en Dulcinée d’une délicatesse que l’on ne soupçonnait pas. Ses bras ondulants et sa façon inédite de présenter ses jambes avant de les développer marquent les esprits. Enfin sa façon de jouer avec l’orchestre et le corps de ballet montrent qu’elle a su s’intégrer en peu de temps aux artistes viennois.

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Semyon Chudin. Un invité qui cherche sa place… Copyright: Wiener Staatsballett/Ashley Taylor

Semyon Chudin n’a pas su lui donner une réplique du même niveau. Il semblait mal à l’aise, son partenariat était hésitant malgré l’empathie de sa partenaire. Sa technique ciselée était un peu hésitante au début du ballet (doubles assemblés hasardeux) et décalée à l’acte 3 : trop de coup de pied, trop d’élégance, trop de noblesse. Si Semyon Chudin est le Désiré idéal, Basilio n’est vraiment pas fait pour lui !

Manuel Legris semble donc avoir invité la mauvaise personne et cet impair nous est difficile à expliquer. Quand on est directeur de compagnie, il peut y avoir différentes bonnes raisons de lancer des invitations :

– combler le niveau de ses solistes (l’invitation Scala)

– faire bonne figure quand toutes ses étoiles sont blessées (l’invitation Opéra de Paris)

– se donner une coloration internationale et/ou rendre l’ascenseur (l’invitation Marinsky)

– offrir à son public un couple vedette ou un grand interprète d’un rôle (l’invitation traditionnelle)

– offrir une star à un de ses solistes (l’invitation Brigitte Lefèvre – on se rappelle de Zakharova, Lunkina, Tsiskaridzé, Vishneva, Guillem etc. invités seuls)

À notre humble avis, les invitations les plus réussies sont les deux dernières : celles où un couple fétiche est invité et surtout celles où un danseur international est associé à un danseur maison. Les autres invitations brillent généralement moins bien sur scène et ne se justifient pas. Cette représentation de Don Quichotte n’a pas échappé à cette règle balletonautesque. Dans l’idéal, nous aurions préféré voir Marianela Nuñez associée au virtuose viennois Denys Cherevychko. Et voir en décembre prochain Semyon Chudin et la prima ballerina viennoise Olga Esina dans Raymonda.

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Olga Esina dans l’un de ses meilleurs rôles : la Reine des Dryades. Copyright: Wiener Staatsballett/Ashley Taylor

L’altière Olga Esina, justement, dansait ce soir-là la Reine des dryades, un de ses meilleurs rôles. Avec elle, tout n’est que poésie et alanguissement dans cette variation qui peut facilement virer au programme court de patinage artistique. Les autres solistes du Wiener Staatsballett se sont tout autant illustrés. La jeune Nikisha Fogo, déjà très remarquée il y a quelques mois dans « Tarentella » de George Balanchine, donne un Cupidon frais mais pas niais, musical et stupéfiant de précision (piétinés d’une vitesse fulgurante). Alice Firenze et Kirill Kourlaev ont su donner du relief aux personnages d’Espada et de la danseuse des rues. Le danseur franco-autrichien, dans un de ses derniers rôles avant sa retraite, a rendu un torero racé avec des doubles assemblés propres et nerveux. La danseuse italienne faisait penser à Carmen, surtout dans le Fandango de l’acte 3 dramatisé à souhait par les magnifique costumes pourpres et jais de Nicholas Georgiadis. Davide Dato, récemment nommé étoile, se taille un succès personnel dans le court rôle du gitan. Dans le corps de ballet, la nouvelle génération (Manuel Legris est à Vienne depuis déjà six ans) s’empare avec bonheur du classique de Noureev.

Don Quichotte, ballet en trois actes
Chorégraphie : Rudolf Noureev (remontée par Manuel Legris)
Musique : Ludwig Minkus (arrangée par JohnLanchbery)
Décors et costumes : Nicholas Georgiadis
Chef d’orchestre : Paul Connely
Kitri : Marianela Nuñez
Basilio : Semyon Chudin
Espada : Kirill Kourlaev
La danseuse des rues : Alice Firenze
La reine des dryades : Olga Esina
Cupidon : Nikisha Fogo
Un gitan : Davide Dato
La première demoiselle d’honneur : Nina Tonoli
Les deux amies de Kitri : Eszter Ledan, Anita Manolova

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« Le Corsaire » à Vienne : un régal des yeux sans le supplément d’âme

12743986_10206631428678342_9109982565825600505_nNotre charmante correspondante viennoise a assisté à deux représentations du « Corsaire », cette grande machine orientalisante qui n’est pas encore au répertoire du ballet de l’Opéra de Paris. En 1992, interrogé sur le sujet au moment de la création de « La Bayadère », Rudolf Noureev, qui avait commencé sa carrière de chorégraphe à Vienne, n’avait pas dit non à l’idée exprimée par un journaliste de remonter ce ballet pour la compagnie parisienne. Vingt-quatre ans plus tard, le disciple Legris s’est-il montré digne du maître sur les lieux de ses premiers succès scénographiques? La réponse avant la diffusion samedi 2 avril de l’intégralité du ballet sur Arte Concert.

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Représentations du 20 mars (création) et du 23 mars (3ème représentation)

En 1964, l’Opéra de Vienne accueille les débuts de Rudolf Noureev chorégraphe : il monte sa version du « Lac des cygnes ». Il utilise le langage classique, garde les plus beaux morceaux de Petipa et renforce le rôle du danseur masculin. Il remporte un grand succès.

En 2016, l’histoire se répète avec Manuel Legris et « Le Corsaire ». Néanmoins, le contexte est différent. Son fougueux mentor s’était fait chorégraphe par réaction à ce qu’on lui faisait danser et pour se mettre en valeur. Lui, choisit d’adapter une œuvre qu’il n’a jamais interprétée et pour faire briller ses propres danseurs.

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Denys Cherevychko (Conrad), Copyright: Wiener Staatsballett/Ashley Taylor

Du point de vue chorégraphique, ce premier essai de Manuel Legris est une vraie réussite. Comme Noureev, il a étoffé les rôles masculins donnant au moins une variation à chaque rôle secondaire. Au contraire de son mentor, la partition classique est sans fioritures. Elle met particulièrement en valeur la qualité du saut des danseurs viennois. Les danses de caractère ne sont pas très originales mais sont courtes et agréables. Toute la troupe fait honneur à son directeur-chorégraphe. Les solistes sont de vrais joyaux, on le verra et, on ne peut que louer l’excellence du corps de ballet, la finesse et l’unisson des dames est particulièrement remarquable.

Mais du point de vue dramatique, le résultat est décevant. Sauver le livret original est une gageure à laquelle Manuel Legris semblait attaché. En effet, l’intrigue a été rendue lisible mais plus le ballet avance, plus elle patine et sert de prétexte aux scènes de danse.

Au premier acte, Medora et Gulnare fraîchement kidnappées, sont vendues au Pacha par Lanquedem. Le Corsaire nommé Conrad enlève Medora qu’il avait failli acheter avant l’arrivée du Pacha. Duo virtuose des héroines sur la plage, Pas d’Esclave où Gulnare telle Manon est sublimée par les sbires de Lanquedem, variations, danses de caractère : action et danse s’emmêlent plaisamment. La toile de fond et les costumes (ocre des jupes, voiles des esclaves) rendent parfaitement l’ambiance à la Ingres souhaitée par Luisa Spinatelli.

Au deuxième acte, Conrad amène Medora dans son antre et à sa demande libère les autres esclaves. Les corsaires menés par Birbanto se vengent en permettant à Lanquedem de récupérer Médora. Le célèbre pas de deux entre Medora et Le Corsaire tranche avec la gouaille des forbans, rendue par des danses de caractère efficaces quoiqu’un peu convenues.

Au troisième acte, le Pacha récompense Lanquedem et rêve de femmes en fleur. A son réveil, Conrad déguisé en pélerin récupère Medora. Les amants survivent au naufrage de leur navire. L’action cède la place aux danses (variations de Gulnare et de Lanquedem, pas des odalisques, jardin animé) et reprend seulement sur la fin du ballet. Le jardin animé pourtant édulcoré (pas de jardinières au sol !) est particulièrement incongru, même les tutus sucrés et les guirlandes de fleurs n’ont rien d’orientalisant. Le pas de trois des odalisques entièrement composé par Manuel Legris sur une nouvelle partition d’Adam est charmant, très école française, mais également détaché de l’argument. Les toiles de fond, écrin des danses, manquent singulièrement de perspective. Le naufrage est heureusement une réussite : la proue du bateau s’agite sur des vérins et une toile simulant les vagues en furie l’engloutit. La machinerie est simple mais l’effet est saisissant de réalisme.

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Robert Gabdulin (Conrad) Maria Yakovleva (Médora), Copyright: Wiener Staatsballett/Ashley Taylor

La distribution de la première a involontairement renforcé les faiblesses dramatiques que l’on vient de relever. Maria Yakovleva (Medora) et Liudmila Konovalova (Gulnare) sont si excellentes et éclatantes que leur gracieux Conrad (Robert Gabdulin), sans démériter, passe au second plan et l’histoire de pirates avec lui. Ce sont elles que l’on attend et peu importe l’action, pourvu qu’on ait le régal des yeux ! On aimerait voir l’impétueux et bondissant Davide Dato (Birbanto) dans le rôle-titre.

Le ballet prend une toute autre tournure avec Denys Cherevychko (Conrad) aux commandes. Il n’a rien du prince, c’est un forban au caractère impétueux. Médora reste un objet de désir et de conquête. Il donne à sa virtuosité exponentielle un caractère viril et sauvage. Medora (Kiyoka Hashimoto, nommée étoile ce soir-là) et Gulnare (Nina Toloni) sont des esclaves vulnérables, réduites à de jolis objets. Les deux danseuses sont un peu moins virtuoses que leurs collègues de la première mais leurs équilibres et ports de bras plus travaillés.

Ces réserves sur le livret n’empêchent pas de passer une excellente soirée. Du reste, quand on vient voir ce ballet de pirates, on s’attend plus à en avoir plein les yeux qu’à être touché au fond de son âme : « Le Corsaire » ne sera jamais « Le Lac des Cygnes » !

Le Corsaire, ballet en trois actes
Chorégraphie : Manuel Legris d’après Marius Petipa et autres
Livret : Manuel Legris et Jean-François Vazelle d’après Lord Byron, Jules-Henri de Saint-Georges et Jospeh Mazilier
Musique : Adolphe Adam, Riccardo Drigo, Léo Delibes, Cesare Pugni, Pierre d’Oldenbourg et autres, choisie par Manuel Legris et assemblées par Igor Zapravdin
Décors et costumes : Luisa Spinatelli
Chef d’orchestre : Valery Ovsianikov
Conrad : Robert Gabdulin (20/03), Denys Chereveychko (23/03)
Médora : Maria Yakovleva (20/03), Kiyoka Hashimoto (23/03)
Gulnare : Liudmila Konovalova (20/03), Nina Tonoli(23/03)
Lanquedem : Kirill Kourlaev(20/03), Francesco Costa (23/03)
Birbanto : Davide Dato (20/03), Masayu Kimoto (23/03)
Zulméa : Alice Firenze ((20/03 et 23/03)
Seyd Pacha : Mihail Sosnovschi (20/03), Jaimy Van Overeem (23/03)
Trois odalisques : Natascha Mair, Nina Tonoli, Prisca Zeisel (20/03) Eszter Ledàn, Natascha Mair, Anita Manolova (23/03)

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« The Four Seasons » de Jerome Robbins : l’humour en plus

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Hans Makart : Allégorie des quatre saisons

Au travers de deux programmes présentés par les deux compagnies qui dépendent de lui (Le Wiener Staatsballett et les danseurs du Volksoper) Manuel Legris a proposé au public viennois à la fin de l’automne quatre chorégraphes néoclassiques, entendons ici des auteurs de ballets modernes parlant la technique classique. Le vétéran Jerome Robbins a obtenu les faveurs du public viennois et de notre correspondante.

Le public viennois est traditionnel et bon enfant. « The Four Seasons » de Robbins était donc fait pour lui plaire, Manuel Legris ne s’y est pas trompé en reprenant ce titre qu’il a lui-même dansé à Paris en 1996. C’est une pochade sur les saisons, prétexte à des ensembles comiques, des parodies et des variations légères. Ce pourrait être un ballet rétrograde sans la finesse de Robbins. Pour l’Hiver, il taquine les ballerines en tutus, frissonantes et sautillantes. Au Printemps, il joue sur la musique et conclut systématiquement là où on ne l’attend pas. L’Été fait chalouper les danseurs et transpirer le public. L’Automne semble un clin d’œil au ballet soviétique et sa Nuit de Walpurgis : grosse technique, danseuses sexys et faune à cornes factices. On a envie de sourire à chaque instant et grâce à l’excellence des danseurs viennois, on jubile carrément. Tous les danseurs assurent techniquement et savent apporter un petit côté décalé à leurs prestations. Le trio de l’Automne de la première semble même insurpassable. On gardera longtemps en tête le flegme et la virtuosité ébouriffante de Liudmila Konovalova. Cette danseuse a en plus cette pesanteur insaisissable qui la rend languissante à souhait.

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Liudmila Konovalova et Denys Cherevychko, The Four Seasons Crédit : (c) Wiener Staatsoper / Michael Pöhn

Les autres œuvres présentées lors de ces soirées n’étaient pas dénuées de qualités mais loin de transporter le public dans les mêmes sphères de plaisir. Quatre ballets d’avantage réfléchis et conceptualisés, mais où le sourire et la distanciation n’étaient pas convoqués.

« Le secret de Barbe bleue » de Stephen Thoss est un ballet d’une soirée créé à Wiesbaden et repris en 2012 par le Wiener Staatsballet. Manuel Legris a choisi cette année de présenter la deuxième partie de cette œuvre par trop bavarde. L’argument tient en peu de mots : Barbe Bleue, un homme au passé chargé, lutte contre sa mère pour imposer une nouvelle fiancée qui semble l’accepter tel qu’il est. L’occasion d’un cheminement de 50 minutes entre portes et anciennes conquêtes, glissages et portés à la Mats Ek, aussi monotone que la partition de Philip Glass qui l’accompagne. La deuxième distribution sauve le ballet de l’ennui avec un Barbe Bleue torturé (Eno Peci) et une fiancée battante (Eszter Ledán).

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Don Juan – Crédit : Bild: (c) APA/Wiener Staatsballett/Ashley Taylor

Autre ballet narratif : « Don Juan » de Thierry Malandain, qui lui, foisonne d’idées et de trouvailles. C’est une pièce pour une vingtaine de danseurs et autant de tables qui sont à la fois des décors et des partenaires. Les danseurs ont plusieurs rôles et Don Juan est interprété par trois danseurs, ce qui permet de multiplier les entrées dans la psychologie du personnage. Malgré l’intelligence du propos, le ballet n’évite pas quelques longueurs et redites. Malandain n’a sans doute pas voulu couper la sublime partition de Gluck. Il est pardonné par la chute finale de Don Juan, flamboyant au propre comme au figuré.

Avec « Mozart à deux » Thierry Malandain prouve qu’il est aussi à l’aise dans le ballet sans argument. Sur une scène dénudée, il convoque cinq couples sur cinq adages de concertos pour piano de Mozart. Ces couples s’aiment, c’est évident, mais ils doivent composer avec les failles du caractère et les obstacles de la vie. Le thème est rebattu certes, mais le langage innovant et sans fioriture du chorégraphe biterrois rend ces tranches de vie attachantes et émouvantes.

La recherche du joli semble au contraire l’obsession de Christopher Wheeldon dans « Fool’s Paradise » On voit une succession de poses esthétisantes sans réel fil conducteur. Certains passages flirtent avec un kitsch sans doute involontaire renforcé par une partition sirupeuse et de la pluie dorée en guise de décor. Aussitôt vu, aussitôt oublié. On se demande dans ces conditions l’intérêt de créer des ballets néoclassiques au XXIème siècle.

Artists of The Royal Ballet in Fool's Paradise. Photo Andrej Uspenski courtesy of ROH.

Artists of The Royal Ballet in Fool’s Paradise. Photo Andrej Uspenski courtesy of ROH.

Opéra-national-de-Vienne-c-Wiener-Staatsballett-Michael-PöhnTHOSS/WHEELDON/ROBBINS, première du 29 octobre 2015 et représentation du 6 novembre 2015
Blaubart Geheimnis (extrait) (2011)  – mise en scène, chorégraphie et costumes de Stephan Thoss,  musique de Philip Glass, Kirill Kourlaev / Eno Peci (Barbe Bleue), Alice Firenze / Eszter Ledán (Judith), Rebecca Horner / Gala Jovanovic (la mère de Barbe bleue), Andrey Kaydanovskiy / Davide Dato (l’alter égo de Barbe bleue)
Fool’s Paradise (2007)  chorégraphie de Chistopher Wheeldon, musique de John Talbot, Olga Esina, Eno Peci, Davide Dato et autres (29/10)/ Liudmilla Konovalova, Maria Yakovleva, Roman Lazik, Denys Cherevychko et autres (6/11)
The Four Seasons (1979) – chorégraphie de Jerome Robbins, musique de Giuseppe Verdi, décors et costumes d’après Santo Loquasto, lumières de Jennifer Tipton, Ionna Avraam (L’Hiver) Maria Yakovleva, Mihail Sosnovschi / Kiyoka Hashimoto, Masayu Kimoto (Le Printemps) Ketevan Papava, Robert Gabdulin / Irina Tsymbal, Roman Lazik (L’Été) Liudmilla Konovalova , Denys Cherevychko / Liudmilla Konovalova, Vladimir Shishov (L’Automne) Davide Dato / Richard Szabó (Le Faune)
P1030606MOZART À DEUX / DON JUAN, représentation du 2 novembre 2015
Mozart à deux (1997) – chorégraphie de Thierry Malandain, musique de Wolfgang Amadeus Mozart, costumes de Jorge Gallardo, lumières de Jean-Claude Asquié, Ionna Avraam, Greig Matthews (1er Pas de Deux) Céline Janou Weder, Dumitru Taran (2ème Pas de Deux), Eszter Ledán, Alexandru Tcacenco (3ème Pas de Deux) Anna Shepelyeva, Géraud Wielick (4ème Pas de Deux), Andrea Némethová, András Lukács (5ème Pas de Deux)
Don Juan (2006) – chorégraphie de Thierry Malandain, musique de Christoph Willibald Gluck, Décors et costumes, Jorge Gallardo, lumières de Jean-Claude Asquié, Alexander Kaden (Don Juan I) Martin Winter (Don Juan II) Felipe Vieira (Don Juan III) Samuel Colombet (Le Commandeur) Andrés Garcia-Torres (La Mort) Corps de Ballet du Volksoper (Elvira, maîtresses et furies).

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Etés de la Danse : Kitri(s) et Basilio(s)

40x60-vienne2013-jpegComme nous l’avions déjà plusieurs fois évoqué dans les articles de cette saison sur le Don Quichotte de Rudolf Noureev, une grande part de nos attentes pour cette série viennoise venait du fait que Manuel Legris a décidé de reprendre la production Georgiadis sottement jetée aux orties à Paris lors du transfert de ce ballet de Garnier à Bastille. La scène des Dryades de la production parisienne actuelle est l’une des plus piteuses qu’ait connues la maison ces dernières décennies. Ces considérations plâtre et chiffons peuvent paraître bien futiles, mais avouons qu’après l’expérience douloureuse que nous a infligé l’Opéra en décembre, revoir la chorégraphie de Don Quichotte ne faisait pas partie de nos rêves les plus fous. On se motive comme on peut.

C’est donc avec joie qu’on a donc pu retrouver sur les dryades les corsages lacés vert d’eau très XVIe siècle, les corolles légèrement tombantes ainsi que les coiffures très élaborées dans le genre des portraits renaissants. Dans cette production, infusée par la peinture de Goya, la seule référence à l’époque du roman de Cervantès se trouve là, comme pour marquer l’anachronisme des rêves du Don. Les retrouvailles n’ont pas pour autant été pleinement satisfaisantes. Le souvenir, certes, vient tout embellir mais certains détails ne trompent pas. Les Viennois n’ont vraisemblablement pas acheté tout le décor : les côtés manquent ainsi cruellement dans la scène du rêve et les ciels, vantés par James, découpent moins les décors de fond de scène qui, en passant, semblent plus légers. Les costumes n’ont pas toujours le tombé ni le fini de leurs parèdres parisiens –le tutu de Cupidon a d’ailleurs perdu sa résille dorée. Les éclairages enfin n’ont pas la transparence atmosphérique qui caractérisait ceux de l’Opéra. Mais le dessin inspiré de Georgiadis reste intact. L’ensemble a gardé un lustre et une élégance qui nous fait regretter d’avoir perdu ce bijou pour les fanfreluches attendues de décorateurs et costumiers peu inspirés.

P1030117De plus, la compagnie viennoise a su plus d’une fois faire rougeoyer, chez le balletomane désabusé que je suis en cette fin de saison, les braises de la passion que suscitait autrefois chez moi ce spectacle. Un corps de ballet homogène et vivant à défaut d’être toujours au dessus de la chorégraphie, des solistes et demi-solistes à l’identité bien marquée, voilà la recette de ce retour de flamme.

Don Quichotte, a fortiori revu par Rudolf Noureev, est l’un de ces rares ballets classiques où l’on est conduit à parler du rôle principal masculin (Basilio) avant sa partenaire féminine. En dépit de ses nombreux ensembles et variations, Kitri, fiancée contrariée, est un peu obligée d’adapter son jeu au type de flirt de son partenaire. Robert Gabdullin (vu les 18 et 24), le plus récent promu de la compagnie après seulement neuf mois passés dans ses rangs, a ainsi eu l’occasion d’incarner Basilio avec deux Kitri différentes. Imaginez la fougue d’un Noureev à ses débuts, cette faim de mouvement jusqu’à parfois perdre un peu le sens de la ligne (il faudra faire par exemple attention aux manèges de coupés jetés déparés par un vilain bras opposé, trop projeté en arrière; Manuel Legris donnera, on l’espère, un peu de poli à sa danse). En revanche, il est doté d’une excellente musicalité et d’un sens théâtral instinctif. Au premier acte, dans l’épisode du menuet, il joue avec humour l’incompréhension puis l’indifférence feinte à l’égard de sa Kitri. Dans la scène gitane, il fait claquer le fouet comme personne et sa scène de suicide est un petit délice de drôlerie : il replace consciencieusement sa cape du pied avant de s’étaler au sol. On a largement préféré sa deuxième prestation aux côtés de Nina Poláková (le 24) à la danse facile et au tempérament bien trempé. Ce couple semblait formé depuis déjà longtemps et ce n’était pas la première fois qu’il déjouait les projets matrimoniaux de Lorenzo. Mademoiselle Poláková ne fait pas d’œillades dans le vide et a un important registre du battu d’éventail. Elle nous gratifie également d’une très jolie scène des dryades : le buste tour à tour projeté en avant vers son Don Quichotte (Kamil Pavelka qui semble encore tout ébaubi de sa rencontre quand il rentre dans la taverne à l’acte suivant), ou lui échappant par de jolis tours attitude renversés. On ne pouvait hélas pas en dire autant de Kiyoka Hashimoto (la Kitri du 18). Tout est pourtant là, en principe : fine, longue, de jolis jetés (variation aux castagnettes), musicale. Mais l’ensemble de ses qualités ne projette pas très loin. On se prend parfois à penser à autre chose lorsqu’elle exécute – parfaitement – ses variations. Plus regrettable encore est le fait qu’elle danse exactement pareil quel que soit son partenaire : Basilio ou Don Quichotte au sein d’une même soirée mais également lorsqu’elle change de Basilio. Lors de la matinée du 20, elle a délivré exactement la même représentation aux côtés de Davide Dato.

C’est dommage, car Mr Dato, pour son unique date, aura été le plus homogène et satisfaisant Basilio de ma série. Tout d’abord, il a la technique de son petit gabarit : rapidité d’exécution, tourneur émérite et temps de saut impressionnant – ses temps levés dans la coda du troisième acte étaient époustouflants. Il a également une ligne ébouriffante – son arabesque au démarrage de la variation du troisième acte était tendue de la pointe du doigt à la pointe du pied en l’air comme le caoutchouc d’une fronde avant le tir. Mais surtout, il est doté d’une personnalité solaire. Son Basilio n’est pas tant un Figaro qu’un Cherubino monté en graine. On l’imagine en garnement avec un bon fond qui en aurait fait des vertes et des pas mûres pendant l’enfance. Sa capacité à être un partenaire est évidente même si Mlle Hashimoto nous interdit de nous prononcer sur sa capacité à former un couple avec sa danseuse.

Avec Vladimir Shishov (vu le 26), on était sur un tout autre registre. Son barbier facétieux était absolument un Figaro, un « Figaro de ces dames »,  sûr de son charme. Shishov est un danseur-acteur. Son interprétation était des plus drôles, truffée de détails attachants. Dans la première scène avec Lorenzo, le père atrabilaire, on peut le voir passer la tête entre les jupes des deux amies de Kitri pour voir comment sa bien-aimée s’en sort avec son paternel. Son badinage amoureux est irrésistible. Shishov regarde ses danseuses comme personne. Ce charisme est venu contrebalancer une technique pas toujours à la hauteur des – grandes – attentes de Noureev. Dans la variation du 3e acte, avec ses forts ingrats tours en l’air finis arabesque, on a bien cru le voir finir dans la fosse d’orchestre. Cela lui interdit-il d’être un excellent Basilio ? Non. Après avoir survécu de justesse à cette « noureevade », on l’a vu soulever la salle avec un impeccable manège de coupés jetés durant la coda. Shishov n’est pas un subtil technicien mais c’est assurément un artiste complet. De surcroît, on lui sait infiniment gré de nous avoir permis de découvrir – enfin ! – la Kitri de Maria Yakovleva. La demoiselle, débarrassée du survolté cabot Cherevyshko, a en effet délivré une incarnation convaincante de Kitri. Elle trépigne avec grâce, écrase les pieds des importuns avec gourmandise et cisèle le registre du feu sous la glace avec un certain humour; elle sait qu’elle est la seule à pouvoir contrôler son beau fiancé coureur de jupons. Sa Dulcinée a cette qualité minérale, un peu lointaine, chic pour tout dire, qui rappelle les beaux soirs de l’Opéra. Un seul être manque … et tout est transformé en somme.

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Le ballet était également servi par une myriade de rôles demi-solistes de grande qualité. Il est difficile de choisir entre les lignes infinies, la régalienne assurance d’Olga Esina dans le rôle de la reines des Dryades et la fraîcheur encore un peu verte de la très jeune Prisca Zeisel (17 ans !) dans le même rôle. Mademoiselle Zeisel n’a qu’à se reposer sur sa technique suprêmement bien menée pour séduire. En Cupidon, la blonde et mutine Natasha Mair (les 18 et 20) et la brune et tendre Maria Alati (Le 24 et le 26) font également mouche dans des registres pourtant très différents. Dans le chef gitan, Dato (le 18 et le 24), chic et précis, Alexander Szabo (le 20), élégant et racé ou Shoshnovski, jouant à fond le registre de l’âme slave (le 26) nous ont tous trois séduit. On doit par contre avouer un faible pour l’Espada ciselé de Kiril Kourlaev (le 24 et 26) comparé à ceux d’Eno Peci (très flamenco) et de Roman Lazik (trop empêtré dans sa cape pour avoir le temps de faire sortir un personnage). La Danseuse de rue était le plus souvent interprétée par Ketevan Papava, mais on préférera à son incarnation un peu bourgeoise de ce rôle l’ardente et incisive Alice Firenze (le 26), beaucoup plus à l’aise au milieu des poignards. Enfin, dans la demoiselle d’honneur, Nina Tonoli, grands jetés précis et pleins de souffle (le 18 et 20) ne le cède en rien à la très musicale Ioanna Avraam (le 24) et à la toujours adorable Prisca Zeisel (le 26).

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Il y a décidément de bien belles soirées à passer à Vienne… Une leçon à méditer pour la saison prochaine où Manuel Legris remonte le Lac des Cygne de Noureev, version 1964.

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Etés de la Danse : programme mixte, impressions mitigées

Photo IPHONELe 12 Juillet (Wienner Staatsballett, programme mixte : Dawson, Pickett, de Bana, Maillot).

Pour son second programme parisien, Manuel Legris – qui avait entamé les Étés de la Danse par un hommage à son mentor, dont il remonte une partie du répertoire parisien dans la capitale autrichienne – , a décidé de présenter des choix plus personnels avec des chorégraphes de la nouvelle génération qui ont, à une exception près, commencé à chorégraphier après la mort de Noureev. L’enjeu est plus risqué. L’ancien danseur étoile de l’Opéra a très vite été salué pour sa redynamisation de la troupe viennoise avec un répertoire bien connu des Parisiens amateurs de ballet dans les années 80 et 90. Mais quid de Manuel Legris programmateur sans l’aide directe de son Pygmalion ?…

Comme notre épistolière viennoise nous l’avait déjà dit, le résultat s’avère mitigé.

A Million Kisses to My Skin de David Dawson appartient à la veine post-néo du ballet. Sur des pages de Bach rabâchées (pensez, le Concerto pour piano n°1 en ré mineur…), on assiste à un flot ininterrompu de joliesses techniques avec échappés nerveux sur pointe, grands jetés à tout va, hyper-extensions en tout genre et ports de bras affectés. Tout cela est censé évoquer « la joie de danser ». Ce n’est certes pas désagréable à regarder d’autant que la chorégraphie laisse effectivement ressortir les qualités des danseurs. Quand ils ne sont pas occupés à manipuler dans tous les sens les danseuses, les garçons expriment leur personnalité : Shishov, en danseur noble, attire l’attention sur son torse qu’il sait présenter comme personne, Masayu Kimoto séduit par sa plastique et sa technique impeccable et Denys Cherevychko semble retrouver ses qualités de moelleux si oubliées les soirs de Gala même s’il continue d’user et d’abuser du relevé de menton soviétique. Chez les filles, Olga Esina et Maria Yakovleva semblent incarner les deux faces de la compagnie : la blonde et la brune, la courbe et la ligne, le « à fleur de peau » et le « feu sous la glace ». Les autres filles ne déméritent pas. Elles mangent l’espace de manière gourmande. On vous l’a dit, c’est plaisant… Mais un « Star Vehicule » comme diraient les Anglo-saxons est il un ballet et a fortiori une œuvre d’art… Non.

Je n’ai pu m’empêcher de penser pendant la représentation que Jiri Kylian avait déjà tordu le cou à ce courant néo-balanchinien dans son délicieusement caustique Concerto en ré de 1981…

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Eventide (Helen Pickett). Roman Lazik et Nina Polakova. Wiener-Staatsballett. Photographie Michael Pöhn. Courtesy of Les Etés de la Danse.

Eventide, de la chorégraphe américaine Helen Pickett démontre un style plus personnel. Le principe pourrait être le même que pour le Dawson : mais cette succession de danses sans réel argument est magnifiée par une scénographie élégante et élaborée alternant les ambiances colorées et les effets de matière (la troisième section du ballet se déroule devant un carré lumineux qui ressemble tour à tour à une paroi d’albâtre puis d’onyx. L’ambiance « safranée » est appuyée par le choix musical : une collaboration entre Philip Glass et Ravi Shankar extraite de « Passage » pour les premier et troisième mouvements et une pièce de Jan Garbarek pour saxophone et tabla pour le deuxième. La chorégraphie, sur le fil du rasoir, évite de sombrer dans l’orientalisme de pacotille tout en dégageant l’atmosphère générale d’une moderne Shéherazade. C’est qu’à la différence d’A Million Kisses to My Skin, étonnamment peu sensuel, Eventide joue, pour le partenariat homme-femme, sur un registre moins acrobatique et plus charnel. Tous les danseurs se prêtent au jeu avec un plaisir évident. Ketevan Papava mène la danse avec une sensibilité de danseuse moderne, Andras Lukacs est vibrant d’énergie et Robert Gabdulin impose sa présence singulière : son corps a une densité musculaire impressionnante et pourtant, on le retrouve suspendu en l’air on ne sait trop comment. On s’étonne toujours de ses retombées silencieuses. Pourtant, l’œuvre n’est peut être tout à fait aboutie. Comme souvent, les chorégraphes qui utilisent la musique de Philip Glass sont amenés à faire des ballets à entrée (ainsi, Twyla Tharp dans  In The Upper Room). Helen Pickett n’échappe pas tout à fait à cette règle. On regrette enfin que le corps de ballet féminin qui entoure les huit solistes se trouve ravalé au rang de décor presque statique. Les filles ne sont même pas créditées sur la distribution.

Les faiblesses de goût sont souvent inexplicables. Celle de Manuel Legris programmateur est sans conteste son infatuation pour Patrick de Bana chorégraphe. Après un Marie Antoinette gesticulant à l’esthétique papier glacé pour magazine people (vu à Versailles la saison dernière), Windspiele se présente comme une resucée de la veine béjartienne la moins inspirée. Patrick de Bana a été un élégant danseur du Béjart Ballet Lausanne, malheureusement à une époque où le maître des grandes messes chorégraphiques tentait de masquer l’épuisement de sa muse en se citant lui-même ad nauseam. On retrouve dans Windspiele tout ce qui nous a éloigné de Béjart dans ces années là ; une esthétique « personnelle » impitoyablement plaquée sur n’importe quelle musique sous prétexte de modernité (ici, on se demande ce que viennent faire ces gars torse nu, en pantalon large, sur les volutes à la fois fières et plaintives du concerto pour violon en ré majeur de Tchaïkovsky) ; des gesticulations mimées avec parfois des appels directs à la salle ; le recours à la pyrotechnie classique la plus passe-partout pour combler l’absence d’inspiration chorégraphique (Kirill Kourlaev se taille un succès personnel mérité pour l’exécution impeccable de doubles assemblés écarts, mais à quoi bon…).

Comme pour Marie-Antoinette, c’est Agnès Letestu qui s’est chargée des costumes. Elle a sans conteste le génie du tutu et des matières floues (les corolles bleues nuit agitées par Ioanna Avraam et Alice Firenze auront été le seul moment plaisant du ballet). En revanche, voilà plusieurs fois qu’elle fagote les garçons dans des tenues peu seyantes : pour Marie-Antoinette, c’était l’alliance de veste de cour XVIIIe transparentes avec des shorts aux couleurs acidulées. Ici, les danseurs qui n’étaient pas affublés de l’attirail béjartien (les pantalons larges) se retrouvaient avec des collants maronnasses sur lesquels étaient appliqués des rubans pour sandale de pâtre grec. Même le sculptural et énergique Davide Dato ne pouvait porter cela à son avantage.

La soirée s’achevait heureusement sur un petit chef-d’œuvre. Dans Vers un pays sage, sur le Fearful Symmetries de John Adams, Jean-Christophe Maillot a créé un ballet néo-classique qui réussit à être personnel tout en rendant hommage à ses devanciers. Imaginez l’énergie d’un Interplay de Robbins combiné avec des pieds de nez du Concert (les garçons rentrent deux par deux avec une fille qu’ils traînent et disparaissent presque immédiatement dans la coulisse) et la poésie graphique de Symphony in Three Movements de Balanchine. Les pas de deux sont en revanche typiques de Maillot : Olga Esina (encore elle) se love comme une feuille agitée au ralenti par la brise dans les bras de Roman Lazik (dont chaque apparition pendant cette soirée a été empreinte de force et de charme). Le final, d’une manière assez inattendue, se fait sur le mode mineur. Le couple principal s’abstrait doucement derrière un écran transparent aux tons pastel.

En vingt neuf minutes qu’on n’a pas vu passer, Jean Christophe Maillot a réalisé tout ce que ses collègues n’avaient fait qu’ébaucher le reste de la soirée : « En étirant au maximum leurs membres, les danseurs font jaillir l’asymétrie […] on a l’impression qu’ils passent plus de temps en l’air que sur le sol » (Dawson), « de [leur] monde physique, alors peut naître une couleur divine » (Pickett). Nous, spectateurs, avons été « emmenés dans un espace multiple, où les niveaux se superposent » (de Bana).

Est-ce un hasard ? Dans le très beau programme des Étés de la Danse, le seul à ne pas s’exprimer directement sur sa pièce est Jean-Christophe Maillot.

L’ensemble de cette soirée qui nous aura laissé une impression mitigée du point de vue chorégraphique (mais est-ce la faute de Manuel Legris ? L’époque actuelle est un peu chiche en génies-créateurs) aura au moins eu l’avantage de nous faire apprécier les jolis solistes de la compagnie viennoise.

On est impatient maintenant de voir quelles seront les qualités du corps de ballet de Vienne dans l’ardu Don Quichotte de Rudolf Noureev.

Ça commence de 17 juillet avec la distribution des principaux vus à Paris (Yakovlela/Cherevychko). Dans un souci de service public (mais si, on y croit!), les Balletonautes avaient concocté quelques articles pour préparer les balletomanes à la version Noureev. Partant de la source (Petipa), s’interrogeant sur l’héritage du chorégraphe, sur les interventions du grand Rudi (dont, petits chanceux, vous verrez la vision dans son intégrité avec le grand retour de la production Georgiadis), ils vous avaient aussi fourni l’argument en deux langues avec le petit « twist », l’incomparable « tongue-in-cheek » de Fenella.
ENJOY!!!

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Etés de la Danse : Rudolf Noureev – la Lettre et l’Esprit

Photo IPHONEÉtés de la Danse. Wiener Staatsballet. Hommage à Rudolf Noureev. 5 juillet 2013

Les soirées d’hommage peuvent parfois être un bon compromis entre les programmes purement thématiques et les traditionnelles et insupportables soirées de Pas de Deux. Le Gala Noureev & Friends du Palais des Congrès, auquel nous n’avons pas assisté, semblait regarder plutôt du côté de ces dernières ; une formule que le grand Rudi n’aurait pas nécessairement rejetée puisqu’il avait la généreuse habitude de faire tourner ses amis et ses poulains avec lui dans des tournées internationales. C’était toujours mieux que le prétendu hommage à Noureev du ballet de l’Opéra de Paris qui mérite la Damnatio Memoriae pour avoir accompli l’exploit de faire un contresens sur son ancien directeur de la danse : c’était une soirée de demi-pas de deux avec (éventuellement) corps de ballet mais dépourvu de danse masculine.

Manuel Legris, pour les soirées d’ouverture des Étés de la Danse a vraisemblablement décidé de faire d’une pierre deux coups. D’une part rendre hommage à son directeur et pygmalion, et d’autre part présenter ses solistes et sa troupe au petit monde parisien de la danse.

Et il y réussit presque.

Au nombre des aspects positifs de cette soirée, on comptera la volonté de présenter, autant que faire se peut, des œuvres en rapport avec son sujet.

Noureev, directeur de compagnie avisé était convoqué au travers de certaines œuvres emblématiques qu’il avait fait rentrer au répertoire du ballet de l’Opéra de Paris pendant sa courte mais significative direction (1983-89).

« Before Nightfall », de Nils Christie, ses pas de deux lyriques, ses groupes éruptifs et sa musique il faut le dire un peu boursouflée (Double concerto de Martinu) n’a pas été vu à Paris depuis le départ de Noureev. Sans laisser un souvenir inoubliable, on sait gré à cette pièce sombre et fluide mais d’une veine maintenant un peu épuisée d’avoir mis en valeur les qualités des solistes de la troupe. Ketevan Papava, très brune, au corps singulier pour une danseuse classique, est une interprète intense qu’on avait déjà pu apprécier dans Tatiana d’Onéguine il y a trois ans. Elle déployait l’autre soir une large palette expressive aux côtés d’Eno Peci. Mihail Sosnovschi, dans le troisième couple était particulièrement remarquable. Il dansait « fiévreux ».

Pas de deux de Rubis (Balanchine) M. Sosnovschi ici avec Maria Yakovleva. Photographie Michael Pöhn (Courtesy les Etés de la Danse)

Pas de deux de Rubis (Balanchine) M. Sosnovschi ici avec Maria Yakovleva. Photographie Michael Pöhn (Courtesy les Etés de la Danse)

Ses qualités techniques (rapidité, élasticité des sauts) et son charisme ont également été mis en valeur dans une autre évocation de Noureev directeur de la danse à Paris : « le pas de deux de Rubis » de Balanchine. À ses côtés, Nina Polakova, une danseuse liane déjà remarquée dans le Christie, séduisait par son flegme. Leur interprétation « chaud-froide » ne serait peut-être pas du goût de la critique américaine, plus adepte de la face acrobatique et bouffonne de ce monument du ballet balanchinien, mais elle avait de la personnalité et du chic.

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Bach Suite III (Neumeier) ici avec Kiyoka Hashimoto et Mihail Sosnovschi photographie Michael-Pöhn (courtesy of Les Etés de la Danse)

Enfin, sous le titre de « Bach Suite III », on retrouvait avec émotion une section du Magnificat de Neumeier, créé par le ballet de l’Opéra de Paris au festival d’Avignon 1987 et pas repris depuis l’ère Dupond. Un couple de solistes et quatre de demi-solistes vêtus dans des tons orangés alternent pureté classique et contorsions modernes, tantôt suivant la musique, tantôt résistant à sa pulsation. Cette section, sur la 3e suite de Bach, de même que la section Blanche sur la 2e (celle où Legris brillait jadis aux côtés d’Elisabeth Maurin ou de Sylvie Guillem) représentait les « prophéties ». La chorégraphie oscillait donc entre expectation et exaltation. Le pas de deux central sur l’Adage, où la danseuse se retrouve comme naturellement enroulée, tel un anneau d’or, autour de la taille de son partenaire ou encore placée en planche sur la cuisse de son partenaire agenouillé les pointes seules reposant au sol, représente le miracle de fluidité triomphant de l’acrobatie. Il exprime idéalement un autre miracle : celui de l’annonciation. Olga Esina (dans le rôle de Platel) prêtait à cette section sa présence lumineuse aux côtés de Kiril Kourlaev (dans le rôle de Jude). La flexibilité de cette danseuse à cette particularité de n’être jamais gymnastique. Il s’en dégage une sensualité qui pourrait être contradictoire avec le sens du pas de deux si son teint de Madone ne venait tout recentrer sur le propos initial.

Les autres œuvres présentées, n’étaient pas toutes aussi aisément raccordables à Rudolf Noureev. « The Vertiginous Thrill of Exactitude » a été créée après sa mort et si c’est la plus exportée, ce n’est peut-être pas la plus emblématique de ce chorégraphe. Mais sans doute fallait-il une pièce de ce chorégraphe promu par Noureev-découvreur de talents chorégraphiques. On y admire certes la technicité de Davide Dato, les jolies lignes et la fraîcheur de Prisca Zeisel (une des rares authentiques Autrichiennes de la compagnie) et l’efficacité de l’ensemble mais on chercherait vainement à reconnaître les départs de mouvements inattendus du maître de Francfort.

Duo Black Cake (Van Manen). E. Peci ici avec D. Kronberger. Photographie Michael-Pöhn (Courtesy of Les Etés de la Danse)

Duo Black Cake (Van Manen). E. Peci ici avec D. Kronberger. Photographie Michael-Pöhn (Courtesy of Les Etés de la Danse)

L’aimable « Black Cake-duo » de Hans Van Manen qui dynamite les codes machistes du tango argentin sur le Scherzo à la russe de Stravinsky rappelait le goût de Noureev pour ce chorégraphe auquel il avait commandé les Quatre Derniers Lieder de Strauss. On y apprécie l’élégance tintée d’humour d’Eno Peci même quand sa partenaire, la capiteuse Irina Tsymbal, sanglée dans sa robe noire à paillettes, joue au hand ball avec sa tête.

La présence du « pas de deux de la Chauve Souris » de Roland Petit dans ce programme nous est apparue plus mystérieuse. Mais on a pardonné aisément cette entorse sémantique parce que Bella n’était autre qu’Olga Esina et que son partenaire, Vladimir Shishov y a trouvé une occasion de montrer sa personnalité très attachante. Bon partenaire, il sait toujours raconter une histoire lorsqu’il interagit ou porte une partenaire.

Shishov n’a pas été aussi chanceux quand il s’est agi de se glisser dans les pas de Noureev chorégraphe (et danseur). On sait combien ce dernier était friand de petites complications destinées à sortir les danseurs de leur zone de confort. Le « pas de cinq » extrait de sa version viennoise du « Lac des Cygnes » n’échappe pas à la règle. Pour la variation du prince, rôle qu’il avait créé sur lui même, Noureev a introduit de cruels double-assemblés achevés par des passés arabesque. Ce qui convenait à un danseur de la complexion de son créateur devient fort périlleux pour interprète de haute stature comme monsieur Shishov. Il s’est sorti avec grâce des difficultés sans jamais réussir à atteindre le degré de fini qui rendrait ce genre de subtilités techniques payantes. Autour de lui, dans des costumes jaune pétaradant, Natasha Mair montrait sa jolie ligne élancée et Ioanna Avraam son impressionnant ballon. Les deux garçons, Alexandru Tcacenco et Dimitru Taran formait un bel ensemble.

Une qualité du programme concocté par Manuel Legris aurait pu être enfin l’évocation de Noureev danseur : sa danse et son impact sur la danse masculine durant les années 60 et 70. Les autres galas avaient en effet éludé la question. Le choix du « Pas de six de Laurencia », « plus soviétique tu meurs », dans lequel Noureev avait ébloui Paris lors de la fameuse tournée parisienne du Kirov qui vit sa défection en 1961, ainsi que le « pas de deux du Corsaire » qu’il révéla à l’Occident aux côtés de Margot Fonteyn étaient des entrées pertinentes dans le sujet. Mais tout a été ruiné par le choix de l’interprète. Denys Cherevychko, juste insipide dans Don Quichotte en décembre dernier à Paris, avait sans doute décidé de montrer à la capitale quel était son statut dans la compagnie viennoise. Mais ses deux « apparitions » étaient aux antipodes de la danse promue en son temps par Noureev : une danse où la bravura ne se faisait jamais au détriment de la fluidité du mouvement ni de la ligne. En lieu et place, on a eu droit à la caricature du pire style Bolchoï qui soit. La nuque cassée par des levés de menton supposés être bravaches, les épaules dans le cou, Denys Cherevischko a additionné des acrobaties plus dangereuses encore que périlleuses avec la rigidité sémaphorique d’un antique télégraphe. Face à lui, ses partenaires s’en sortaient comme elles pouvaient. Dans Laurencia, Kiyoka Hashimoto tirait son épingle du jeu grâce à sa danse souple et à son joli ballon, mais Maria Yakovleva (sa partenaire dans Don Quichotte cet hiver) payait un plus lourd tribut dans le Corsaire. On peinait à reconnaître dans cette poupée mécanique aux yeux d’émail la charmante et musicale Aurore du pas de deux de l’Acte III de La Belle au Bois Dormant lorsqu’elle dansait aux bras d’un ardent Robert Gabdullin.

Maria Yakovleva et Robert Gabdullin. Pas de deux de l'acte III de la Belle au Bois dormant

Maria Yakovleva et Robert Gabdullin. Pas de deux de l’acte III de la Belle au Bois dormant

Le plus récent « Premier soliste » de la compagnie, issu de l’école de Perm, n’est pas étranger à la pyrotechnie de l’école russe, mais lui semble avoir compris que, chez Noureev, la virtuosité n’est jamais censée transformer un pas de deux en une compétition de chiens savants.

Mais l’époque actuelle n’est plus friande de ce genre de philosophie de la danse dont Manuel Legris -le danseur- avait repris naturellement le flambeau dans les années 80 et 90. La salle s’est soulevée pour les révoltades obliques, style patrouille de France un jour de fête nationale de monsieur Cherevychko quitte, comme on a pu l’observer, à le singer en riant par des ports de bras et des ports de têtes plus proches de « Lord of the Dance » que du ballet classique à la sortie du Théâtre du Châtelet.

Rudi, relève-toi…. Etc. etc.

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Etés de la Danse : une lettre de Vienne

40x60-vienne2013-jpegLa session 2013 des Etés de la Danse débutera bientôt. Les Balletonautes, dans leur traditionnel souci de service public (mais si, on y croit !), ont voulu vous préparer aux charmes du Wiener Staatsballett. Malheureusement, même si la compagnie ne leur est pas tout à fait inconnue (Cléopold va parfois aérer sa barbe fleurie sur le très élégant Ring voulu par Franz Josef), les subtilités de l’atmosphère qui y règne actuellement leur échappent sans doute.

Cléopold (que ferait-on sans lui ?) a donc demandé à une amie balletomane avertie de lui en brosser un petit tableau et le résultat est au-delà de ses espérances (même James approuve, c’est vous dire !).

Donc la lettre de Vienne ….

Compagnie à fort potentiel cherche identité…

Opéra-national-de-Vienne. Photographie Michael-Pöhn

Opéra national de Vienne. Photographie Michael Pöhn

Manuel Legris présente aux Étés de la danse le Wiener Staatsballett (Ballet National de l’Opéra de Vienne) après trois saisons à sa tête. Voici les ballets et les danseurs à ne pas manquer, non sans interrogation préalable sur l’identité de la compagnie viennoise.

Le monde du ballet s’internationalise, les échanges entre danseurs et compagnies se font plus nombreux. Pourtant, surtout en Europe, de nombreuses maisons gardent l’empreinte plus ou moins lointaine d’un chorégraphe. Bournonville forcément à Copenhague, Neumeier évidemment à Hamburg, Cranko à Stuttgart, Van Manen à Amsterdam, Spöerli à Zürich, Ashton à Londres etc.

Mais qui à Vienne, la patrie de la valse ? Il y a une quinzaine d’années, le chorégraphe Renato Zanella y avait construit tout un répertoire et une identité. Mais ses œuvres disparaissent avec l’arrivée de son successeur Gyula Harangozó.

Ce discret Hongrois embauche d’excellents solistes venus de l’Est (toujours visibles aujourd’hui) et les distribue dans un patchwork de grands classiques déjà au répertoire, d’entrées au répertoire judicieuses (Onéguine / Mayerling), d’œuvres populaires (Queen / Max und Moritz) et de quelques soirées plus modernes. Pas d’identité claire certes, mais la compagnie propose des soirées de haute tenue. En multipliant les guests, Gyula Harangozó n’a sans doute pas su faire assez confiance à ses solistes mais il rend la compagnie à Manuel Legris dans un excellent état.

Dès son arrivée, le Français exhume la période autrichienne de Rudolf Noureev pour tenter d’apporter cette fameuse identité qui fait défaut à Vienne. Mieux placé que personne pour défendre l’héritage de son mentor, il monte son Don Quichotte, lui consacre un gala annuel et copie-colle son répertoire parisien (Le pas de six de Napoli, In the Night, Violin Concerto, Le jeune homme et la mort, Before Nightfall, Vier letze Lieder, Bach Suite III). Il importe également des ballets dans lesquels il s’est lui-même illustré à Paris (Le Concours, l’Arlésienne) et pioche dans certains ballets du répertoire viennois (Onéguine, Giselle, La Belle au bois dormant, Glow Stop, La chauve-souris, Max und Moritz). Il galvanise les troupes, propulse des talents, passe plus de temps au studio que dans les bureaux, et un souffle nouveau irrigue la compagnie. Les journalistes crient vite au miracle et égratignent sans mesure son prédécesseur.

Vienne, second fief de Noureev ? Alors qu’à Paris la page semble se tourner doucement faute de répétiteurs appropriés, Manuel Legris consacre toute son énergie à diffuser la flamme originelle des chorégraphies tarabiscotées de son ancien directeur. La compagnie aurait-t-elle trouvé sa marque depuis le départ de Renato Zanella ? Le temps passe et les choses ne sont pas si simples. Manuel Legris se heurte à quelques difficultés : il nomme des étoiles mais n’a pas assez de représentations pour toutes les distribuer, il ne sait trop comment gérer les danseurs polyvalents du Volksoper (danseurs de la deuxième maison d’opéra, qui dansent dans les divertissements lyriques des deux maisons et aussi dans certaines pièces chorégraphiques propres), il peine parfois à construire un répertoire moderne convaincant (par exemple en imposant le chorégraphe Patrick de Bana), doit multiplier les reprises car Vienne est une compagnie de répertoire (les ballets ne sont pas donnés par série comme à Paris), voit vraisemblablement ses ambitions freinées par le système viennois (budget, machinistes etc.).  La troupe a assurément gagné en dynamisme, les ensembles sont plus rigoureux mais Vienne n’est pas encore devenu une capitale du ballet. Un chantier de longue haleine qui nécessiterait assurément un second mandat. Pour preuve, on a parlé un temps d’une annulation de la tournée parisienne du ballet de l’Opéra de Vienne : en l’occurrence les danseurs viennois ont failli refuser de venir car on leur supprimait leurs vacances… Si Noureev avait eu vent de cela, quelques bouteilles thermos auraient volé en salle de répétition ! Mais les tournées sont une bonne occasion de resserrer les rangs et les danseurs viennois ne vont pas manquer de prouver leur excellence et, sait-on jamais, leur identité au public parisien.

La programmation des Etés de la Danse

Pour l’heure, le Wienerstaatsballet investit le théâtre du Châtelet avec un gala Noureev gargantuesque comme les Viennois ont le plaisir d’en savourer à chaque fin de saison.

Côté répertoire de l’Opéra de Paris on y retrouvera le pompeux Before Nightfall (Nils Christie)le survolté The Vertiginous Thrill of Exactitude, dans lequel on ne pourra manquer le bondissant Davide Dato passé par le hip hop qui a tout compris à la décontraction virtuose de William Forsythe, le pas de deux de Rubies (Balanchine) et le lumineux Bach Suite III (Neumeier) une partie du ballet Magnificat qui fit jadis les beaux jours du Palais Garnier.

Côté répertoire du Ballet de Vienne avant Manuel Legris, un pas de deux de la kitsch Chauve-Souris (celui de la prison ?) de Roland Petit, le pas de deux comique de Black Cake (Hans van Manen) et le pas de cinq de l’acte I du Lac des cygnes viennois de Noureev qui sera remplacé en 1984 à Paris par l’habituel pas de trois.

Le Lac des cygnes (1964) sera remonté l’an prochain avec une nouvelle scénographie de Luisa Spinatelli mais pour qui connaît la version parisienne, la version viennoise a un intérêt surtout archéologique en ce que la psychologie du prince n’est pas encore aboutie. C’est La Belle au bois dormant de Sir Peter Wright qui est au répertoire à Vienne mais le pas de deux de l’acte III sera très vraisemblablement présenté dans la version de Noureev.

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Pas de six de Laurencia. Ioanna Avraam. Photographie Michael Pöhn. Courtesy of Les Etés de la Danse.

Côté pièces de la carrière russe de Noureev, le public français va découvrir l’enthousiasmant pas de six de Laurencia (Vakhtang Chabukiani) dans lequel Denys Cherevychko sait jouer de sa technique et de son physique hors du commun. Le Corsaire enfin avec le même Denys Cherevychko et la très solide Maria Yakovleva déjà vus à Paris pour leur invitation surprise à l’Opéra Bastille dans Don Quichotte.

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Don Quichotte (Petipa / Noureev). Denys Cherevychko et Maria Yakovleva. Wiener-Staatsballett. Photographie Domo Dimov. Courtesy of Les Etés de la Danse

Manuel Legris leur a tout naturellement confié la première de ce ballet, version Noureev donc, dans l’indispensable scénographie de Nicholas Georgiadis. Qui ne connaît que la production montrée à l’Opéra de Paris depuis 2005 (Alexandre Beliaev et Elena Rivkina) risque d’avoir un sérieux choc en découvrant une Espagne « goyesque » et baroque jusque dans les tutus de l’acte II. La reine des dryades d’Olga Esina, ancienne soliste du Marinsky, vaut à elle seule le déplacement. Elle alterne avec l’excellente Prisca Zeisel, danseuse viennoise pur jus, engagée par Manuel Legris à 16 ans, lignes et charisme conquérants qui tient également d’autres soirs la partie de la danseuse des rues.

On conseillera ensuite tout particulièrement la Kitri de Liudmila Konovalova, une ballerine engagée par Manuel Legris après avoir stagné à Berlin qui a fait d’énormes progrès artistiques depuis son arrivée. Sa précision, ses fouettés et équilibres font mouche en fille d’aubergiste. Son partenaire Vladimir Shishov est trop grand et approximatif pour faire le Basilio idéal.

Troisième distribution Nina Poláková sera sans doute moins assurée techniquement mais peut-être plus piquante. Elle sera dans les bras de Masayu Kimoto, un brillant ancien du CNSM de Paris, ou de Robert Gabdullin qui, 9 mois après son engagement, a été nommé étoile sur sa prise de rôle de Basilio il y a quelques jours.

Enfin, il faudra courir voir le Basilio du jeune Davide Dato déjà cité ! Il a le physique et la gouaille du rôle, une technique virtuose et personnelle. Sa partenaire la japonaise Kiyoka Hashimoto est une technicienne émérite malheureusement souvent trop scolaire.

En ce qui concerne les rôles secondaires féminins, les noms de Prisca Zeisel, de Natascha Mair (une autre viennoise pur jus de 18 ans, petite  bombe d’assurance et de brio), d’Alice Firenze (qui s’est déjà fait remarquer à Versailles dans Marie-Antoinette de Patrick de Bana), de Gala Jovanovic (promue récemment du Volksoper à la troupe principale) sont à garder en mémoire. Chez les hommes Roman Lazik devrait offrir un Espada soigné de la veine de Jean-Guillaume Bart en son temps.

Sans oublier tous les membres du corps de ballet qui présentent généralement une scène des dryades et un fandango tracés au cordeau.

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« Vers un Pays Sage (Maillot) Olga Esina et Roman Lazik. Wienerstaatsballett-Photographie Michael-Pöhn. Courtesy of Les Etés de la Danse.

Entre le gala et Don Quichotte, Manuel Legris propose la soirée contemporaine « Tanzperspektiven » (« Perspectives de la danse »). S’il s’agit du programme mixte le plus récent de la troupe, il s’agit malheureusement à nos yeux du plus faible depuis le changement de direction. Pourquoi ne pas avoir présenté Glass Pieces (Jerome Robbins), Glow-stop (Jorma Elo), Skew-whiff (Paul Lightfoot, Sol León), Variations sur un thème de Haydn (Twyla Tharp) ou même Bella Figura (Jiri Kylian) autant de petits chefs-d’œuvre de notre temps qui mettent parfaitement en valeur la troupe viennoise ?

On verra à la place A Million Kisses to My Skin (David Dawson), un ballet sur pointes très aseptisé qui valorise les prouesses de manière mécanique et répétitive. Helen Pickett propose dans Eventide un univers onirique orientalisant très séduisant mais pas tout à fait abouti. Windspiele, dans des costumes d’Agnès Letestu, confirme la limite des talents de chorégraphe de Patrick de Bana : il plaque sans la moindre relation des gesticulations d’un soliste homme sur le premier mouvement du Concerto pour violon de Tchaikovsky. Il faut espérer que le violoniste solo de l’Orchestre Prométhée qui accompagne toutes les soirées sera de haut niveau pour faire passer un bon moment au public… À Vienne, ce ballet a été présenté maladroitement en bout de soirée mais à Paris il a été fort opportunément interverti avec Vers un pays sage de Jean-Christophe Maillot, la seule proposition de la soirée qui présente une relecture vraiment constructive du langage classique. Imaginez un univers pastel, poétique, musical et sans cesse renouvelé. Pas forcément accessible d’entrée mais du grand art.

 Eh bien, nous voilà tous prêts grâce à cette lettre de Vienne! Les Étés de la Danse, c’est du 4 au 27 juillet : Gala Noureev (du 4 au 6); le Programme mixte (du 9 au 13) et Don Quichotte (du 17 au 27).

 Bons spectacles à tous!

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