1) Pour faire plaisir à Brigitte : lors de la 3e représentation, le 5 juillet, il y avait déjà 400 fauteuils vides, et cela n’a pas dû s’arranger avec le temps. Un petit geste pour notre directrice de la danse préférée, ne laissez pas le taux de remplissage de sa saison s’effondrer en fin de parcours ;
2) Avec un peu de finesse, il est possible de faire croire à son entourage qu’on va voir un spectacle sur Barthes ;
3) C’est du facile-à-voir, les couleurs sont jolies et certains effets de lumière sont très réussis. Nul n’est besoin de savoir qu’Olivier Debré a conçu ses peintures et ses costumes autour de l’énigmatique sourire de Mona Lisa pour voir l’humour de la pièce ; et oublier de consulter les titres à visée poétique des différents tableaux n’empêche pas de se laisser bercer par leur succession. Laissant mon esprit baguenauder, j’ai cru assister aux aventures de la garde-robe d’un couple (après le prologue décoiffé, la période jaune canari, l’épisode bleu, l’acte noir et blanc). Chou, comment on se coordonne aujourd’hui? ;
4) Agnès danse ce soir (12 juillet) et vous aurez beaucoup plus aisément un billet que pour ses adieux à la rentrée. Comme certaines grandes actrices peuvent lire le Bottin sans lasser, Mlle Letestu donne de l’intérêt à ce tout ce qu’elle danse. Il y a chez elle une qualité rare de douceur, de maîtrise et de suspens du mouvement, dont il faut s’abreuver les yeux tant qu’on peut. Les mystères du regard étonnent, même de loin. Quant aux mains, leur expressivité fait ressurgir le souvenir de celles de Carolyn Carlson herself (vues de près par l’auteur de ces lignes un soir du précédent millénaire dans un solo nimbé de poudre de craie qui devait s’appeler Chalk-quelque-chose) ;
5) C’est fatigant de ne voir que des chefs-d’œuvre. Dans La Sylphide, la fille de l’air fait tant de petits trucs avec ses bouts de pied que tu n’as même pas le temps de bien voir, ni a fortiori de retenir car elle est déjà partie ailleurs. Et suivre son tartanpion n’est pas non plus de tout repos. Au moins, dans Signes, tu as le temps de comprendre tout ;
6) Stéphane Bullion y est moins-pas-convaincant qu’ailleurs. Le manque d’autorité, de tranchant, est toujours problématique (rappelez-vous Kader Belarbi), mais la veine comique – passage au chapeau à musique horlogère, qui requiert une coordination et une rapidité sans failles – est bien rendue. Les autres soirs, Hervé Moreau ou Vincent Cordier officient, et ils valent certainement le détour ;
7) Le corps de ballet sert l’œuvre avec une conviction et un chic inentamés. On trouve dans la distribution des danseurs attachants – il faudrait presque tous les citer –, à qui le style de la chorégraphie convient, et qui la mettent en valeur ;
8) Adrien Couvez. Une raison à lui tout seul : il est irrésistible de drôlerie dans le petit solo en fourreau style égyptien qui clôture l’amusant sixième tableau ;
9) Avec une bonne mémoire musicale vous pourrez chanter toute la partition sans vous tromper. René Aubry est notre minimaliste répétitif à nous, ça change d’Arvo Pärt ou Steve Reich et au moins les royalties restent en France (ceci est un message sponsorisé par le ministère du Redressement productif) ;
10) C’est court. À 21h00, ce sera fini, la fraîcheur vous tendra les bras et vous passerez gaiement à autre chose.
Vous êtes délicieusement mauvaise langue. J’y serai ce soir pour voir danser Agnès Letestu !
Vous aviez raison. Melle Letestu fut magnifique, même quand elle ne faisait pas grand chose ; elle m’a semblé mettre plus de légèreté et d’humour dans son rôle que ce que j’avais cru en comprendre d’après la captation ; elle m’a aussi semblé aider Stéphane Bullion à s’imposer après un début où je n’ai que pu avoir en tête votre appréciation. Ce fut une soirée très gaie, gracieuse telle une bulle de savon traversée par une étoile.