Quand le rideau s’est levé, j’ai enfin vu…
La Sylphide.
Et, à mon plus grand étonnement, c’était Ludmila Pagliero qui l’interprétait.
D’une part tout était techniquement en place, ou presque : les petits battements sur la cheville si impitoyablement gommés par Dorothée Gilbert, les pliés profonds en fin de variation, les redescentes de la pointe sur la demi-pointe. D’autre part, elle collait davantage au canon de la Sylphide de Taglioni, une créature qui, à la différence de sa consœur danoise, celle de Bournonville, porte tout de même des colliers de perles au cou, aux bras et aux poignets. Il y avait donc de la grande dame Faubourg Saint-Honoré dans la Sylphide de Ludmila Pagliero ; une grande dame protégeant, d’un air attendri et assuré, un jeune amant un peu brut de décoffrage.
Je n’en dirai guère plus sur son interprétation si ce n’est que parce qu’elle était juste, le ballet de Pierre Lacotte est redevenu, le temps d’un soir, un tout cohérent et non plus l’addition de ses qualités. On a pu s’intéresser aux personnages et non aux danseurs qui interprétaient les pas.
Le James de Vincent Chaillet, avait la batterie ardente, et le jeté fiévreux. Il y a chez ce danseur une petite pointe de sécheresse qu’il sait utiliser pour donner du relief à ses rôles. James-Chaillet n’est pas un rêveur éveillé. Il est véritablement tiraillé entre son attirance pour la Sylphide et son amour terrestre sincère pour la jolie Effie. Dans ce rôle, Eve Grinsztajn, semblait avoir la prescience que quelque chose allait la séparer de l’élu de son cœur ; particulièrement quand la sorcière l’appelait impérieusement pour lui lire les lignes de la main.
Lorsque la sylphide lui vole l’anneau, James-Chaillet mime parfaitement l’agacement et la colère et ne quitte pas sa maison sans une dernière hésitation, un dernier regard au groupe qui entoure Effie. Au deuxième acte, il a également su donner, par ses courses de part et d’autres de la scène, cette impression d’impuissance face à l’inaccessibilité de sa sylphide et de ses compagnes, filles de l’air. Ses tergiversations dansées donnaient non seulement corps mais âme à son personnage.
L’ensemble était d’autant plus touchant qu’on sentait que la sylphide de Pagliero aurait bien voulu échapper à sa condition quasi-immatérielle pour être attrapée par son bouillant paysan en tartan. Sa mort n’en était que plus touchante. Ce n’était pas seulement James qui était puni pour avoir transgressé un interdit, c’était les deux amants. Madge – toujours magistralement interprétée par Stéphane Phavorin – devenait l’instrument du destin. Répondant à l’impérieux « pourquoi ? » de Chaillet, elle répondait : «parce que c’était écrit. D’ailleurs regarde… ». Au passage des noces d’Effie et de Gurn, James-Chaillet a été littéralement foudroyé… C’est un corps sans vie sur lequel le rideau s’est baissé.
Pour cette soirée inattendue l’ordre des choses était – oh, miracle ! – également bouleversé musicalement. Figurez-vous que l’orchestre de l’Opéra de Paris a, pour une fois, condescendu à ne pas ruiner les mélodies charmantes et naïves de Schneitzhoeffer par de tonitruants canards.
Tout est chamboulé, on vous dit !
Merci encore pour votre très beau billet, qui m’a encouragé à tenter une seconde fois ma chance avec cette distribution. Je n’ai pas regretté, j’ai trouvé V. Chaillet et L. Pagliero plus en forme encore que le mercredi 10. J’ai apprécié en particulier la précision des battus de Pagliero, et toujours ces bras, ces bras ! qui donnent tant de vaporeux au reste.
Quant à Vincent Chaillet, vous l’avez dit : la batterie est ardente, et quand il se lâche (il m’a semblé que c’était un peu davantage le cas ce samedi que mercredi), c’est jubilatoire.
Pour le pas de deux des écossais, ce n’était “malheureusement” pas Emmanuel Thibault et Muriel Zusspereguy — ce malheureusement n’est là que parce que j’aimerais bien voir le sieur Thibault un jour, je l’aime beaucoup dans le DVD de Paquita. Mais Laurène Levy m’a parue excellente, et son partenaire, Fabien Révillion, tout à fait à la hauteur des espérances.
Vraiment, j’ai passé une belle soirée et je vous le dois un peu.
Ravi que vous ayez passé une bonne soirée et enchanté que la petite baisse de régime du 10 (Fenella était dans la salle les deux soirs et elle m’en avait parlé) ait été corrigée.
Emmanuel Thibault a gagné le concours de l’Eurovision à 16 ans seulement en face de Johan Kobborg. Ils présentaient tous deux des variations de leur Sylphide (pour Thibault, c’était la variation et coda du 2ème acte). Sa non-promotion est l’un des trop nombreux tristes mystères de la maison Opéra.
Ah, merci ! Je suis content de ne pas être le seul à m’interroger sur la non-promotion d’Emmanuel Thibault. Cela dit, dans mon souvenir il n’est pas très grand, ce qui peut être un problème, non ?
Il est de taille moyenne. Pas plus petit que Belingard ou Pech.
Bonjour à tous
C’est mon premier commentaire sur votre site 🙂
Merci pour vos billets, Cléopold, dont je me régale régulièrement.
Moi aussi, j’ai été très agréablement surprise par Mademoiselle Pagliero, que j’ai trouvée véritablement exquise en Sylphide. Votre James avait l’air plus en forme que le mien (F. Magnenet). Je regrette vraiment de ne pas avoir vu M. Ganio…
Bel été à tous en tout cas!
Merci Yumi.
Florent Magnenet est assez inégal mais avec lui, il faut toujours tenter sa chance. Quand il se sent inspiré, il est un acteur intelligent et un vrai plaisir pour les yeux.
Bel été à vous aussi! Êtes-vous ou irez-vous aux Étés de la Danse? DQ s’y annonce très intéressant.
Je suis allée voir le programme mixte le 12, que j’ai trouvé vraiment intéressant. Et je vais au cours public jeudi. Ma mère est allée voir Don Quichotte avec une amie, elles sont revenues enchantées. Apparemment, elles avaient une danseuse japonaise pour le rôle de Kitri. Il semble qu’elle ait été une belle Kitri, mais qu’elle manquait de ce petit quelque chose qui continue le mouvement après le mouvement.
Mademoiselle Hashimoto est en effet une technicienne émérite mais elle manque un peu de projection. Elle a dansé tour à tour avec Robert Gabdulin et Davide Dato et re dansera avec Masayu Kimoto. Elle est très employée; c’est le moins qu’on puisse dire.