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Se replonger dans La Source

La Source lors de la reprise de 2014

Dans le cadre de sa grille de programmes en ligne, la Comédie Française diffuse ce soir, 14 mai, le ballet La Source, dans la production Jean-Guillaume Bart, tel que filmé en 2011 par François Roussillon. Attention, le programme ne sera disponible qu’en direct.

Avez-vous besoin d’une petite révision avant la soirée  ? N’oubliez pas de consulter le « plot summary » concocté par Fenella lors de la reprise de 2014.

Pour sa part, Cléopold compare l’argument d’origine, dû à Charles Nuitter, avec la réécriture effectuée par le sociétaire Clément Hervieu Léger, et à laquelle il trouve bien des défauts.

La production lui plaît davantage: « La Source de Bart-Lacroix-Ruf (sans oublier les grands parents tutélaires Delibes et Minkus) est une œuvre « sur le fil », un perpétuel va-et-vient entre les références à divers périodes chorégraphiques qui, loin de sentir la naphtaline ou pis, l’inexorable travail de décomposition (pourtant suggéré par les rideaux de scène décatis imaginés par Eric Ruf), vit et vibre sous nos yeux. », écrivait-il, relatant une expérience « à la fois bizarre, hybride et délicieuse ».

Certaines distributions ont aussi eu le don de l’émouvoir pleinement. Las ! C’est, comme souvent, une autre qui a été filmée. Elle réunit Ludmila Pagliero (Naïla), Karl Paquette (Djémil) et Isabelle Ciaravola (Nouredda).

En 2011, le site des Balletonautes n’existait pas encore, mais James, dont l’esprit caustique et terre à terre sévissait déjà, ne s’était pas déclaré convaincu par le trio : « Ludmila Pagliero a une technique solide, mais ce n’est pas une sirène. On peine à comprendre, vu comme il danse, que Naïla se sacrifie pour Karl Paquette. Le costume d’Isabelle Ciaravola masque le grand atout que sont ses longues jambes. Ses qualités dramatiques correspondent à une partie du rôle (la scène méditative de l’arrivée, la solitude après l’humiliation), mais la mayonnaise collective ne prend pas. On voit un type empoté préférant la fille riche à la première de la classe. Et franchement, on s’en tamponne. », écrivait-il cruellement.

La captation de François Roussillon compte tout de même un joyau en la personne de Mathias Heymann, « époustouflant en Zaël bondissant ». Et on aura plaisir à revoir les premiers danseurs Christophe Duquenne (Mozdock, le frère de Nouredda) et Nolwenn Daniel (Dadjé, la favorite du Khan), qui ont depuis fait leurs adieux à la scène.

À quand une nouvelle reprise avec les danseurs d’aujourd’hui?

La Source : les tentures décaties voulues par Eric Ruf

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Dances : de toutes les couleurs

P1010033Les Balletonautes n’ont pas boudé les représentations du programme Rr (ROBBINS-Ratmanski). Ils ont réussi à voir trois dates différentes entre le 23 juin et le 7 juillet (une quatrième a été annulée en raison de la journée de soutien aux intermittents). Voilà les résultats d’une conversation tenue sous un clair de lune entrecoupé d’averses, non loin de la grande Boutique….

Cléopold (à la barbe fleurie d’aise) : « Ma foi, comme lors de la dernière reprise, je n’aurai vu qu’une représentation mais c’était la bonne ! (se rembrunissant) Enfin, presque….. James ! Cessez de sautiller comme ça vous me donnez le mal de mer ! »

James : « tut ! tut ! Cléo. (se calmant enfin) Mais j’en conviens, la première distribution, celle du 23 juin, la distribution « 5 étoiles » était supérieure à celle « 5 premiers danseurs » que j’ai vue le 29.

Fenella : « James, seriez-vous devenu snob ? »

Cléopold : « Et puis ils n’étaient pas 5 ; ils étaient 6… »

James : « que nenni Fenella ! Cléopold, vous êtes psychorigide…. La différence principale entre la distribution « cinq étoiles » -j’insiste !- … du début de la série et la « 5 premiers danseurs » du 29 juin est que la première faisait confiance à la danse, alors que la seconde semblait vouloir montrer qu’elle avait compris l’histoire. »

Fenella : « J’ai tout de même trouvé le cast du 23 un peu jeune, comparé aux créateurs new yorkais et londonien des années 70… Par exemple, quelque chose manquait dans la première rencontre du danseur en vert et de la danseuse en jaune. Ce duo est un vrai challenge, (rougissant) syncopated, i would say… Excuse my french. Ce doit être du « attrape-moi si tu peux ! ». Eh bien Nolwenn Daniel envoyait les bons signaux mais Josua Hoffalt semblait un peu long à la détente. L’effet comique languissait un peu…

Cléopold : « Vraiment Fenella ? Mais j’ai beaucoup aimé le danseur vert d’Hoffalt… Il a le grand jeté…, comment dire (pause) … viril… Et Nolwenn Daniel… est à la fois incisive et déliée. »

James (approbateur) : «J’ai trouvé délicieux Hoffalt en vert. Dans le pas de deux avec la danseuse jaune de Nolwenn Daniel, ils avaient tous les deux des bras qui flottaient au vent – leurs agaceries étaient celles d’adultes qui badinent, avec une certaine distance au rôle. Muriel Zusperreguy et Pierre-Arthur Raveau, le 29, donnaient à voir des adolescents qui mettaient tout leur cœur dans l’enjeu.»

Fenella : «J’ai vu Raveau avec Eloïse Bourdon là-dedans. Elle était solaire et trompe-la-mort. Elle semblait avoir fait les quatre cent coups avec tous les gars du groupe depuis l’enfance.»

Et Hoffalt ! (s’arrêtant soudain)… « Comme c’est drôle, je me plaignais tout à l’heure d’avoir trouvé la 5 étoiles trop « jeune » et je me rends compte que j’ai adhéré à une plus jeune encore… (Reprenant) Hoffalt… Je pense qu’il a conquis le public dès sa première entrée en Brun avec sa lumière, sa précision et son approche très joueuse avec la musique. Pas un poète cherchant après sa Sylphide, juste un gars voulant passer du bon temps avec des amis chers. »

James : « Il ne m’a pas tant séduit en brun. Sans doute la poésie de Ganio me manque-t-elle. Le danseur à la mèche danse avec une élégance teintée de caractère. Chez Hoffalt, le dosage est dans l’autre sens. »

Cléopold : « J’adore les courses inspirées de Ganio. Quand il court, il a toujours l’air d’être dans le monde des idées ! Et ma foi, quel joli couple avec la danseuse rose de Pagliero ! »

James (très docte) : « Elle a pour elle la fluidité, la finesse des accents, et sait placer certaines inflexions cruciales comme si elle touchait elle-même le piano. »

Cléopold : « Vous avez raison, sa danse est un délice de moelleux (posant puis ajoutant) même si sa présence apaisante atténue une partie du drame sous-jacent entre le danseur mauve et le danseur brun. »

James : « Dans le partenariat rose/violet, on regarde surtout Pagliero et un peu Paquette ; en revanche le 27, on scrutait autant Albisson que Bézard, car ce dernier, qui danse toujours racé, est expressif même du dos »

Fenella : « Bézard ? Il m’a fait penser à Gregory Peck dans Spellbound et Roman Holidayhe may look the part but never turns out to be quite what you expect…Sa façon de marcher sinueusement autour de la vert amande comme Gros Minet autour de Titi m’a donné des frissons.»

(rires)

«Pour ce qui est d’Albisson, personnellement, Je l’ai trouvée un peu verte dans la mauve…»

(Cléopold lève un sourcil et se tripote la barbe)

Fenella : « Je veux dire… un peu jeune… (en aparté) Damn ! »

Cléopold : « Moi, Je l’ai trouvée très juste. Lorsqu’elle s’agenouille devant le danseur vert, elle sait installer son petit mystère. Elle a ce qu’il faut de réserve romantique… Et c’est curieux comme ses lignes s’accordent mieux avec Hoffalt lorsqu’elle ne porte pas de tutu »

Fenella : « Eh bien moi, j’ai préféré la mauve de Laura Hecquet : un peu sèche mais sans raideur. On aurait dit la fille qui a juste un an de plus que les autres et qui a quelques préoccupations qui leur sont encore étrangères…»

James (recommençant à gesticuler) : « Albisson en mauve est incomparable par rapport à Colasante, qui manque de grâce et d’abandon. »

Fenella (taquine) : « calmez-vous, James… sinon que ferez-vous si je vous dis que j’ai beaucoup aimé la danseuse en rose d’Albisson que vous goûtez moins ; Son habituel mélange de mouvement mené à fond et de relaxation, de crémeux sans excès…

(Changeant de sujet) … Mais au fond, ce qui était beau dans mes deux soirées, et surtout dans la dernière sur 7 juillet, c’était l’accord entre les danseurs… Au-delà de l’âge ou du rang hiérarchique. »

James : « Exactement, voyez Giezendanner. Eh bien dans le trio avec Pagliero et Albisson, les trois donzelles créaient une émotion profonde quand elles virevoltent de concert. J’ai peut être été moins chanceux sur ma deuxième distribution. Le trio Albisson-rose, Colasante, Granier, était bien moins touchant. De même pour le danseur brique, Emmanuel Thibault … ».

Cléopold (l’interrompant; exalté) : « Un miracle de juvénilité bouclée ! »

James (aggacé) : Vous m’interrompez encore… « Juvénilité bouclée »… Prenez garde, Cléopold, vous allez bientôt vous mettre à parler de (ton affecté) la joie de danser des danseurs… Je reprends. Emmanuel Thibault coule ses agaceries dans le flux du mouvement  avec Mlle Daniel là où François Alu joue la poursuite de la danseuse jaune de façon plus ostentatoire  – et il accentue aussi trop ses épaulements.

 (Changeant de sujet) Mais je pense que nous allons tomber d’accord sur la danseuse en vert amande.

Cléopold et Fenella (de concert) : « agrrh ! »

Cléopold (véhément) : « Là ou jadis Claude de Vulpian marquait joliment sa première variation -une Taglioni des temps modernes !- Aurélie Dupont surligne et démontre. Et dans la deuxième entrée avec les membres masculins de la distribution c’est encore pire ; Elle ne badine pas, elle babille. Pire! Elle caquette ! J’avais envie de crier Chut !… »

James : « Vous n’aimez pas Dupont en vert ? Mais Sabrina Mallem ne convainc pas entièrement non plus. Elle ne manque pas d’intéresser lors de sa première apparition, en dansant entre les notes, et par le côté lunaire que lui donnent ses grandes articulations caoutchouc. Mais par la suite –  faisons abstraction d’une petite chute –, sa parade est plus rentre-dedans que chic, et elle termine – comme chez Dupont – par un haussement d’épaules trop appuyé. Peut-être sont-ce les maîtres de ballet qui coachent avec du Stabilo. »

Cléopold : « pour la seule danseuse en vert amande ? A ce stade de sa carrière, future maîtresse de ballet, la demoiselle devrait avoir dépassé le stade du copié-collé d’interprétation….»

Fenella: c’est un soupir, pas un haussement d’épaules! Je dois le dire en Anglais …  The point is to raise the shoulders only slightly but then really exhale from your core and let the shoulders drop with your breath.  Your little hands and wrists, the only part of your upper body that are still « up » at that instant, then will express « oh well » rather than « so what.« 

Cléopold (reprenant) : Quant à Mallem, elle est sans doute un peu « jeune » –entendez pas assez distribuée le reste du temps– pour un tel rôle, non? Je l’aurais plutôt vue dans la mauve et en tout cas, la bleue… »

James : « Pour moi, la bleue, c’est Charline Giezendanner, la petite sujette à la danse perlée… »

Cléopold : « … perlée, fuitée, et au joli son de flûte à bec… Et Duquenne ! Ses portés dans le sextuor sur la grande valse brillante ! La gradation d’intensité avec laquelle il rattrapait et faisait tournoyer la danseuse mauve, la rose puis enfin la jaune a fait s’exclamer la salle le soir où j’y étais…

Fenella : « Le soir de ses adieux, c’était exactement le même, (se reprenant) sorry, pareil. Quel rattrapeur, ce Duquenne! Cela me rappelle cette série de Roméo et Juliette où il était Benvolio presque tous les soirs et où il rattrapait tous ces Roméo de tailles et corpulences diverses qui se jetaient dans ses bras à la renverse. Il a le timing d’un grand joueur de baseball qui n’a pas l’air d’y être, ni de s’attendre à quoi que ce soit mais qui soudain a des aimants sur les mains…. »

Cléopold : « Et en tant que danseur, il était tellement plus que cela… Son Roméo ! »

 Fenella (reprenant) : « A la fin du ballet, lorsque les danseurs se préparaient à sortir de scène, les hommes s’inclinent devant les femmes. Déjà isolé sur le devant de scène, côté jardin, il a été le seul à placer sa main sur son cœur, comme s’il disait adieu.»

[un ange passe et s’en va]

Cléopold : « Bon… je m’agenouillerais bien pour toucher le sol… mais nous ne sommes pas dans un parc bucolique mais bien sur l’asphalte parisien… »

James : « Vous avez raison, il est temps de se séparer »

Fenella (citant Ruskin et Keats de mémoire) :

« The purest and most / Thoughtful minds are / Those which love colour / The most. »

*

*                  *

« Heard melodies are sweet / But those unheard are / Sweeter »

[La lune se cache et le ciel vomit des torrents d’eau]

Soirée du 23 juin : Mathieu Ganio (brun), Nolwenn Daniel (jaune), Josua Hoffalt (vert), Ludmila Pagliero (rose), Karl Paquette (violet), Charline Giezendanner (bleu), Christophe Duquenne (bleu), Amandine Albisson (mauve), Aurélie Dupont (vert), Emmanuel Thibault (rouge brique).
Soirée du 29 juin : Josua Hoffalt (brun), Muriel Zussperreguy (jaune), Pierre-Arthur Raveau (vert), Amandine Albisson (rose), Audric Bezard (violet), Christelle Granier (bleu), Nicolas Paul (bleu), Valentine Colasante (mauve), Sabrina Mallem (vert), François Alu (rouge brique).
Soirée du 7 juillet : Josua Hoffalt (brun), Héloïse Bourdon (jaune), Pierre-Arthur Raveau (vert), Amandine Albisson (rose), Audric Bezard (violet), Laurène Lévy (bleu), Christophe Duquenne (bleu), Laura Hecquet (mauve), Aurélie Dupont (vert), Daniel Stokes (rouge brique).

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Aux marches du Palais

P1020329Soirée Balanchine-Millepied. Soirée du jeudi 29 mai et du samedi 31 mai 2014.

Après une première expérience douloureuse, c’est d’un pied hésitant et circonspect que j’ai passé les portes de l’Opéra Bastille et franchi les quelques marches qui me séparaient de ma place de premier balcon. Mais si la représentation du 15 du Palais de Cristal avait tout d’une exécution (aux deux sens du terme), celle du 29 tendait vers l’interprétation. Le corps de ballet s’y est montré en place, avec une rigueur de ligne retrouvée et les demi-solistes dansaient enfin à l’unisson. Le tout manquait néanmoins de style, sans doute faute d’un groupe de couples solistes homogène. Amandine Albisson dansait pourtant cette fois son mouvement «rubis» sans accroc. Mais c’était également sans brio particulier. Agnès Letestu faisait une représentation d’artiste invitée « oubliable » avec des équilibres incertains et des poignets mous aux bras de Vincent Chaillet, très professionnel en la circonstance dans le grand adage. Valentine Colasante avait migré du troisième au quatrième mouvement sans aucune plus-value artistique. Son partenaire, Emmanuel Thibault, semblait quant à lui en méforme physique. Le seul moment vraiment enthousiasmant fut donc le couple des « émeraudes » incarné par Héloïse Bourdon et Audric Bezard. Souffle sous les pieds, pirouettes en petite seconde bien négociées et surtout, un abattage de bon aloi réveillaient le ballet tout entier. Leur final était brillant, un brin aguicheur et parfaitement roboratif pour le spectateur.

Ce ne fut donc qu’une demi-déception lorsque j’ai découvert sur la distribution, le samedi 31, qu’Alice Renavand, qui devait danser le mouvement vert avec Bezard était remplacée par Melle Bourdon. Mais contrairement au 29, ce couple d’émeraudes de la plus belle eau n’était pas isolé. Car, à une exception près (il semble qu’on ne puisse éviter Melle Colasante), le groupe des solistes dansait sur un pied d’égalité.

Nolwenn Daniel, qui nous avait déjà impressionné dans « les perles » s’emparait avec chic et flair des «Rubis». Si le piqué arabesque n’est pas plus haut que celui de sa cadette Albisson, la demoiselle sait rendre l’enchaînement excitant en mettant l’accent sur le raccourci-équilibre qui suit. Ses bras, ce qui ne gâche rien, étaient toujours beaux et déliés jusque dans l’opposition des directions. Josua Hoffalt, déjà plus en forme le 29, s’accordait mieux aux proportions de sa nouvelle partenaire et paraissait plus à l’aise sur l’ensemble du mouvement. On pouvait alors savourer sans arrières pensées ses sissonnes et ses ronds de jambes sautés aériens du final. Dans ce même passage, Christophe Duquenne donnait une magistrale leçon de style. L’heure de la retraite a-t-elle sonné ? Vraiment ?

Mais la plus forte émotion (l’effet de surprise du couple Bourdon-Bezard étant moindre) nous fut offerte par Ludmila Pagliero dans «les diamants noirs». À la fois sûre et sereine, elle rendait pleinement justice aux subtils enroulements déroulements créés jadis par Balanchine pour la très divine Tamara Toumanova. À regarder Melle Pagliero ondoyer aux bras experts de Karl Paquette, on s’est senti un moment transporté aux temps du crépuscule scintillant des ballets russes dont la créatrice du rôle était l’une des dernières étoiles.

Les hasards de l’achat des places m’avaient de surcroît contraint à grimper une volée d’escalier supplémentaire, vers le fond du deuxième balcon. J’ai pu ainsi y vérifier mon intuition de la soirée du 15. De ces hauteurs, le cyclorama bleu était réduit à un petit rectangle et ne venait jamais interférer avec la splendeur des costumes de Christian Lacroix. Autour des scintillements de gemmes des solistes, le corps de ballet jouait alors parfaitement son rôle d’écrin iridescent. L’ensemble était parfait sans froideur, les lignes tirées au cordeau mais sans raideur, les déplacements étaient silencieux et les bras ondoyants.

On y percevait enfin la spécificité du Palais de Cristal, un ballet par Balanchine plutôt qu’un ballet de Balanchine. Confronté à l’école française (et à sa qualité de plié), Mr B. a créé des mouvements plus dans le rubato que dans le staccato qui sera sa marque américaine (et celle de Symphony in C). Lorsqu’ils le maîtrisent, les danseurs s’amusent avec la mesure et donnent toujours l’impression « d’avoir le temps ». C’est ce à quoi on a assisté -enfin!- lors de la soirée du 31 mai.

Cela valait bien quelques marches !

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Onéguine : le temps du bilan

P1060935Les Balletonautes n’auront pas boudé cette reprise 2014 d’Onéguine puisque en neuf représentations ils ont réussi à voir l’ensemble des distributions d’étoiles. La série aura été riche en émotions et autres rebondissements plus ou moins prévisibles.

SAME OLD, SAME OLD…

Commençons par le plus tristement prévisible : le jeu de chaises musicales dans les distributions. Il n’y avait guère besoin d’être devin pour deviner qu’avec trois distributions maison (et pas de remplaçants) pour assurer treize représentations, la série se trouverait peu ou prou chamboulée. C’est effectivement ce qui s’est passé. Myriam Ould-Braham n’a pas dansé Olga, qu’elle avait créée en 2009. Mathieu Ganio s’est blessé et Laëtitia Pujol n’a pas pu -ou n’a pas voulu- incarner Tatiana sur la scène de l’Opéra. Hervé Moreau a dû abandonner deux représentations en début de série et Ludmila Pagliero, enfin, a créé la surprise en se blessant. On la croyait indestructible.

Face à cette situation, la direction de l’Opéra a catapulté un Lenski dans le rôle titre (Josua Hoffalt) et a fait appel à des invités de Stuttgart.

LE TACT FRANÇAIS

Tel un chat de gouttière aguerri, l’Opéra s’est sorti de cette situation délicate en retombant sur ses pattes. Pour l’élégance, en revanche, on repassera. Evan McKie, étoile du ballet de Stuttgart, avait déjà sauvé des représentations en 2011 en dansant aux côtés d’Aurélie Dupont. Enthousiasmant, en dépit de sa glaciale partenaire, il aurait mérité cette saison une invitation en bonne et due forme. En lieu de cela, il  a été, une fois encore traité en roue de secours et seuls les chanceux, dont Cléopold faisait partie (le 4/02), ont eu la chance de voir son Onéguine à la fois délicieusement affecté et prédateur.

Plus tard dans la série, c’est Alicia Amatriain, elle aussi de Stuttgart, qui vint suppléer l’absence de Ludmila Pagliero (les 25 et 4 mars). Heureux Karl Paquette ! Partenaire attentif mais un peu éteint avec sa Tatiana d’origine, Ludmila Pagliero (projetant peu également), il s’est trouvé comme transfiguré lorsqu’il était aux prises avec la belle espagnole de Stuttgart (le 25/02), un compromis entre la ligne étirée d’une Marianela Nuñez et l’engagement dans le partenariat d’une Cojocaru si l’on en croit Cléopold (4 mars). La demoiselle se laissait porter sur la vague de ses inflexions à la fois assurées et passionnées. James, chatouilleux sur la question des droits individuels et collectifs, a fait remarquer que l’Opéra avait moins communiqué sur la venue du beau monsieur que sur celle de la jolie madame de Stuttgart. Si près de la journée de la femme, nous pensions qu’il fallait le mentionner.

LE ROI EST MORT. VIVE LE ROI ET TOUT LE TRALALA…

L’un des pics émotionnels de la série d’Onéguine aura été la soirée d’adieu d’Isabelle Ciaravola.

Les Balletonautes ne se sont pas privés de boire à la source de la toute première Tatiana nationale, nommée sur ce rôle bien tardivement. Cléopold s’est extasié sur sa capacité à rentrer dans la peau d’une adolescente malgré son physique de diva (le 4/02), James a savouré sa représentation du 16 mars et Fenella celle du 25 avant de tous se retrouver à la grand messe des adieux le 28 février. C’est James qui a célébré

« Son pied à l’affolante courbure, ou bien la demi-pointe si finement marquée qu’on jurerait que le chausson est un gant, ou encore l’immense – que dis-je ? – l’infini des jambes. Mais il y a aussi le regard d’aigle, profond, perçant, la chevelure de jais, et puis les doigts et les bras qui disent tant. »

Son  partenaire, Hervé Moreau, a bâti un personnage dont la froideur avait la pesanteur marmoréenne du tombeau. Les Balletonautes ont admiré son parcours silencieux, son aura mystérieuse et son déchirement final, si tragique parce que venu trop soudainement et trop tard.

Chacun s’est néanmoins félicité d’avoir pu admirer l’astre Ciaravola  un autre soir que celui où elle a disparu sous une pluie d’or de paillettes étoilées. Ce genre de soirée est paradoxalement peu propice à l’émotion habituellement distillé par une représentation. Tout le monde, sans s’en rendre compte, semble se réserver pour la suite…

Dans le genre « grand messe », il y a aussi la nomination.

C’est censé être inattendu. On vous dit que cela couronne une représentation exceptionnelle mais dans le même temps, il faut déplacer le directeur de la danse et le directeur de l’Opéra sur scène qui se sont concertés afin de prendre une décision somme toute administrative.  Un nomination n’est donc jamais une « surprise » pour le principal intéressé et sa représentation s’en trouve nécessairement altérée. Il y a donc peu de chance pour que le spectateur assiste à un moment d’exception.

Bien que la date ait pu surprendre (moins d’une semaine après les adieux d’Isabelle Ciaravola et le jour initialement prévu pour ses adieux), les Balletonautes se réjouissent néanmoins de la nomination d’Amandine Albisson car ses représentations du 24 et du 26 février ont montré tout le potentiel de la demoiselle aux côtés d’un Josua Hoffalt à la colère juvénile. Pour reprendre la formule de Cléopold : « Tout cela est encore un peu vert, mais possède les charmes et les promesses du printemps. ». Comme lui, James a été touché par cette Tatiana « qui n’a pas craint d’exprimer le déchirement intérieur de Tatiana jusqu’à la laideur ». Dans le pas de deux final, pour l’un de ses effondrements dans les bras d’Onéguine, l’une de ses jambes en attitude « semblait une branche morte ».

Alors, nommée trop rapidement, Amandine Albisson ? A vingt-quatre ans, quand on est danseur, on n’est plus si jeune que cela. La génération Noureev a été souvent promue beaucoup plus jeune. Alors ne faisons pas la fine bouche et saluons le fait que, pour une fois, la directrice de la danse ne nous a pas offert une énième étoile carte vermeille. Une nomination cela n’est pas un bâton de maréchal mais bien un pari sur l’avenir. Amandine Albisson est nommée au bon moment dans la carrière d’un danseur, à elle maintenant de devenir une étoile. Elle en a les moyens mais surtout le temps.

RICHESSE ET DIVERSITE DES JEUX D’ACTEURS

En dépit de toutes ses péripéties, la série des Onéguine aura été globalement enrichissante pour les spectateurs assidus que nous sommes. Les Tatiana furent presque toutes personnelles et attachantes ainsi que l’a si bien dit Fenella.

« Si Ciaravola utilisait son corps pour transcrire de longues notes tenues d’Aria qui vous convainquent d’avoir entendu la brise chanter avec elle, Alicia Armatriain vous apportait des bourrasques et des micro climats étonnamment tempétueux tandis qu’Amandine Albisson incarnait un ciel lumineux s’assombrissant lentement avant l’averse.»

Chez les Onéguine, on a été frappé par la différence fondamentale entre l’approche « française » du rôle et celle de l’invité de Stuttgart. Dans la compagnie de Cranko, le personnage éponyme du ballet reste jusqu’au bout le produit de son éducation. L’approche d’Evan McKie, très prédatrice, est d’ailleurs assez proche de celle de Jason Reilly (un autre danseur-pompier de Stuttgart : il avait remplacé Johan Kobborg, blessé, aux côtés d’Alina Cojocaru à Londres l’an dernier). A Paris, les Onéguine sont plus « tragiques ». Les repentirs de messieurs Moreau, Paquette et Hoffalt sont sincères. Ils trahissent de fait Pouchkine mais recentrent un peu le ballet sur le personnage principal masculin. Lorsque Onéguine est trop détestable, on a envie d’appeler le ballet « Tatiana ».

Deux Lenski très différents ont dominé notre série. Mathias Heymann (le 4, 23 et 28/02), sa clarté naïve, et Fabien Révillion (les 24, 25, 26/02 et le 4/03), écorché et fataliste. Il était particulièrement agréable de remarquer la nouvelle maturité artistique du second. La scène où il repousse les deux sœurs éplorées venues le dissuader de se battre restera dans nos mémoires avec ses deux sissonnes modulées qui avaient l’éloquence d’un cri.

Tout n’a pas été aussi bien pour Marc Moreau (le 16), que James a trouvé trop vert pour le rôle ni surtout pour Florent Magnenet qui a délivré une interprétation brouillonne, aussi bien dramatiquement que techniquement, du poète malheureux.

Les Olga auront été techniquement d’un niveau plus homogène mais très individuelles dans leurs interprétations : Charline Giezendanner (les 4, 16, 23, 28/02), charmante tête folle ; Eve Grinztajn (les 10, 25/02 et le 403), élégante, d’ores et déjà une Tatiana en puissance, et enfin Marion Barbeau (les 24 et 26/02), jubilante, téméraire, et délicieusement terre à terre.

Les Balletonautes se sont rendu compte rétrospectivement qu’ils avaient été bien légers avec les Princes Grémine. Ce rôle de caractère a pourtant son importance dans le ballet puisqu’il vient donner une indication sur le genre de vie que Tatiana mène après la brève et dramatique expérience de son premier éveil à l’amour. Fenella et James ont bien parlé de Karl Paquette (les 4, 23 et 28/02), mari solide mais peu exaltant mais n’ont pas rendu suffisamment hommage à Christophe Duquenne (les 10 et 25/02), Grémine conscient de sa position de « second » dans le cœur de sa femme mais néanmoins aimant. On a profondément regretté d’avoir été privé de son Onéguine. Annoncé comme remplaçant pour la deuxième série consécutive, il n’a obtenu aucune date. Vincent Cordier (les 24, 26/02 et 4/03), enfin a fait dire à James qu’au bras de ce mari attentionné, on pouvait « s’accrocher les jours de grand vent ».

Dans cette peinture intimiste, à l’instar de l’Opéra, les chœurs dansés ont leur importance. Les grandes diagonales de jetés qui clôturent la première scène, les deux scènes de réceptions des acte deux et trois, la théorie (plus Chateaubriand que Pouchkine) des fantômes des femmes passées au bal des Grémine. Tous ces passages ont été ciselés par le corps de ballet. Les danses de caractère claquaient du talon avec une énergie revigorante. Dans les passages joués en revanche, et surtout pour l’anniversaire de Tatiana, on aurait aimé que les garçons et les filles mènent leurs pantomimes de séduction de manière plus naturelle. La peinture des invités plus âgés confinait quant à elle au carton-pâte. Cela nous avait paru mieux réglé à la dernière reprise.

Rien de suffisant en somme pour nous gâcher le plaisir, d’autant que la partition de Tchaïkovski rassemblée en 1965 par Kurt-Heinz Stolze brillait sous la baguette assurée de James Tuggle à la tête d’une formation de l’Opéra de Paris qu’on n’avait pas vu aussi disciplinée depuis longtemps.

Onéguine… Bientôt une reprise ? Nous votons « pour ».

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La Dame aux Camélias : le temps du bilan

P1000896Sevrés d’art chorégraphique depuis la fin du mois de juillet, les Balletonautes se sont jetés sur la Dame aux Camélias de John Neumeier avec l’avidité au plaisir d’une consomptive intimement persuadée qu’elle vit ses derniers moments de bombance. Par mimétisme romantique, Cléopold et Fenella ont commencé par se rendre au cimetière de Montmartre à la rencontre des deux principaux protagonistes du drame : Alphonsine Plessis, la vraie Marguerite Gautier, et… son réinventeur inspiré, Alexandre Dumas-Fils. Cette visite, avec un Poinsinet irascible pour cicerone, a été l’occasion de réfléchir sur les différents modèles de mise en scène de la Dame aux Camélias, de Dumas-Fils à Neumeier en passant par Verdi et Ashton.

CINQ COUPLES EN SIX SOIRÉES

Qui l’eût cru ? Des miracles ont lieu à l’Opéra… Alors que la troupe était amputée de moitié pour cause de tournée moscovite, les distributions de cette Dame sont restées à peu de choses près celles qui avaient été annoncées sur le site de l’Opéra. Et la question se pose ; inquiétante, paradoxale. « Les rôles du répertoire classique sont-ils plus dangereux pour le corps qu’un ballet néoclassique avec multiples pas de deux acrobatiques et variations aux positions contournées ? »

Mais les Balletonautes n’ont néanmoins pas boudé leur plaisir.

James a ouvert les festivités en assistant à la première de la saison (le 21/09) en compagnie d’Agnès Letestu, la plus lyrique, la plus Violeta Valéry des Marguerites de l’Opéra, malheureusement affublé d’un Armand sémaphorique en la personne de Stéphane Bullion.

Le 29, Isabelle Ciaravola s’est montrée moins lyrique qu’intensément dramatique aux côtés de Karl Paquette (qui trouve en Armand Duval son rôle le plus convaincant à l’Opéra). Cléopold, quand il n’était pas occupé à éventer cette chochotte de James, s’est extasié sur les carnations du couple principal et le registre étendu de poids au sol déployé par Melle Ciaravola.

Le milieu de série fut moins ébouriffant. Eleonora Abbagnato (vue le 1er octobre par Cléopold) dit son texte chorégraphique avec des accents véristes tout droit sortis d’un vieux manuel de théâtre. Elle peine à émouvoir et laisse son partenaire, Benjamin Pech, sur le carreau.

Quant à James, il retiendra du couple Dupont-Moreau (le 3/10) le lyrisme, échevelé jusque dans le capillaire, d’Hervé Moreau. Car comme à l’accoutumée, Melle Dupont égrène son texte avec une diction aussi impeccable qu’impersonnelle.

La fin de série est amplement venue racheter cette baisse de régime. Le 9 octobre, James a été conquis par le couple formé par Laëtitia Pujol et Mathieu Ganio. Melle Pujol excelle dans la peinture des natures mortes. L’ardent et naïf Armand de Mathieu Ganio virevoltait tel une phalène autour de cette lanterne funèbre. Cléopold a déclaré que lors de cette représentation, il avait assisté à la scène au cimetière du roman qu’il appelait de ses vœux pendant sa visite au cimetière de Montmartre.

Le 10, enfin, c’est à d’autres obsèques que Cléopold était convié. Les impitoyables ciseaux de la Parque administrative de l’Opéra emportaient irrémédiablement sa jeunesse dans la tombe le soir des adieux officiels de l’éternelle princesse juvénile de l’Opéra : Agnès Letestu.

HOMMAGE TARDIF AUX SECONDS RÔLES

Neumeier n’a pas choisi la voie de la concision pour son ballet. Son œuvre, à l’image du roman, fourmille de personnages secondaires. Tout concentrés qu’ils étaient sur les amants contrariés, les Balletonautes ont souvent laissé de côté la relation des prestations des autres solistes de la troupe dans ces rôles secondaires. Réparons ici l’injustice.

Les symboliques (appuyés ou non)

La question de la pertinence de l’introduction par John Neumeier du couple Manon-Des Grieux dans le récit chorégraphié des amours entre Marguerite Gautier et Armand Duval a bien failli provoquer un schisme au sein de l’équipe des Balletonautes. Heureusement, James et Cléopold se retrouvent sur le palmarès des Manon, préférant la beauté amorale, la danse coupante et allégorique de Myriam Ould-Braham dans ce rôle (plus proche de Prévost) à la manipulatrice et charnelle Eve Grinsztajn (bien qu’en plus grande adéquation avec la conception vériste de Neumeier). Dans des Grieux, Christophe Duquenne est une charmante porcelaine de Saxe aux mouvements de poignets délicats et Fabien Révillon semble transcender sa nature de bon garçon un peu falot aux côtés de Myriam Ould-Braham (le 29).

Cocotes et autres cocodès

Les comparses de la vie parisienne d’Armand et Marguerite, Prudence et Gaston Rieux, n’ont jamais atteint des sommets de sybaritisme. Dans Prudence, il nous a été donné de voir Valentine Colasante, solide et sans charme (le 3 octobre), Nolwenn Daniel (les 21, 29/09 et 10 octobre), correcte mais guère mémorable et Mélanie Hurel (le 1/10 et le 10 octobre), la plus juste de toutes. Mais elle n’a jamais trouvé, hélas, de Gaston qui sonne juste. Avec Christophe Duquenne, « précis et sexy » (James), elle forme un couple un peu bourgeois qui fait penser à Nichette et Gustave, les deux amis « moraux » dans la pièce de Dumas-fils (Cléopold). Avec Nicolas Paul, lui aussi précis mais affligé d’un cruel déficit d’expression (les 1er et 10 octobre), elle ne forme pas de couple du tout. Yann Saïz est également apparu bien fade à James.

Dans la catégorie « petite femme facile à aimer », James a eu du mal à choisir entre les Olympia de Melles Ould-Braham, Ranson et Baulac. Eve Grinsztajn, également distribuée sur ce rôle, était trop femme et pas assez fille.

L’infortuné comte de N reste l’apanage exclusif de Simon Valastro : il trébuche et échappe les cornets de bonbons comme personne et sait également se montrer touchant quand il le faut. Adrien Bodet reste trop jeune et joli garçon pour vraiment marquer dans ce rôle.

Vilains messieurs

Le Duc, synthèse des trois amants payants du roman, a été dominé par Samuel Murez (le 29/09 et le 1/10), caparaçonné dans son habit noir comme un chevalier dans son armure ; un chevalier qui ne ferait pas de différence entre la Dame et ses couleurs. Laurent Novis, plus Lion de la Monarchie de Juillet, manquait de cette froideur de l’homme du monde s’attachant une maîtresse comme on s’offre un bijou de prix.

Dans le père d’Armand, il était encore moins convaincant (le 1/10), trop jeune et trop élégant pour un bourgeois de province, tandis qu’à l’inverse, Michaël Denard paraissait trop mûr pour être le père d’un jeune homme inconséquent et d’une jeune fille à marier. C’est Andreï Klemm (les 29/09 et 9/10) qui trouvait le ton juste dans la capitale confrontation de Bougival : raide, un peu voûté du haut du dos, il passait de l’incarnation du devoir à celle du pardon en toute subtilité.

Le ballet de Neumeier trouvait ces soirs là sa vraie charnière, balayant les réserves Camélia-sceptiques de nos rédacteurs.

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La Dame aux Camélias : « Floraison d’automne »

P1010032C’est parti ! La saison parisienne débute sans le défilé du ballet (pour cause de déplacement au Bolchoï de la moitié de l’effectif), ce qui évite d’enchaîner Chopin après Berlioz, et permet de pleurnicher à son aise dès le début. C’est que cette reprise de La Dame aux Camélias est, pour bien des amateurs de danse classique, l’occasion d’un dernier rendez-vous avec Agnès Letestu. Au soir du 21 septembre, premier jalon vers Les Adieux, on sort déjà les mouchoirs, on enfile les superlatifs, sans souci aucun du ridicule  (« la reine Agnès »… Franchement les filles, n’avez-vous rien d’autre que des références Ancien régime pour magnifier l’art d’une interprète?), et, surtout, on écarquille les yeux. Pour mieux voir, et dans l’espoir de mieux se souvenir.

On peut comprendre et apprécier – j’imagine – La Dame aux Camélias sans rien savoir de ses sources, mais la lecture du ballet s’enrichit énormément des multiples références qu’il charrie avec lui. De ce point de vue, et pour ceux qui aiment empiler les strates d’émotion, l’incarnation d’Agnès Letestu est un vivier inépuisable : jeu et danse, coulés ensemble, disent les multiples inflexions du drame, et convoquent, au choix, au même moment ou successivement, le roman et l’opéra. On peut lire Dumas sur le visage de Mlle Letestu, comme à livre ouvert. On peut aussi, grâce à elle, ressentir Verdi (personnellement, je la vois danser « Un cor? sì, forse… » quand elle badine avec son soupirant, je la vois crier « Amami, Alfredo, quant’io t’amo » au moment où elle se sacrifie en le quittant, et j’entends aussi l’insondable solitude, au milieu de la foule du bal, du « Che fia? Morir mi sento! Pietà, gran Dio, di me! », au moment où ce crétin d’Armand la brutalise et l’humilie publiquement, et que, l’épaule tombante, le bras et les doigts semi-morts donnent l’impression d’une plante fanant sur pied).

C’est peu dire que Stéphane Bullion n’est pas aussi éloquent. À la fin de l’acte II, le désespoir du personnage, quand il apprend le départ de sa belle, est censé s’exprimer dans une variation désarticulée, presque laide de véhémence. Bullion aborde ce passage avec l’intensité d’humeur du type qui vient, au choix, de rater l’autobus ou de renverser sa tartine. L’énergie dans les sauts-ciseau ne suffit pas. Le déficit d’expression et d’autorité du personnage masculin affecte malheureusement les pas de deux : le premier (en mauve) fonctionne, car il exprime le déséquilibre – d’émotion, de maturité, d’aisance mondaine – entre les futurs amoureux ; mais le suivant (en blanc) ne reflète pas vraiment la plénitude de l’amour, et le dernier (en noir) est trop retenu.

Neumeier, qui se soucie peu de concision, joue du parallèle avec l’histoire de Manon Lescaut et du chevalier des Grieux pour donner à voir, à plusieurs moments cruciaux, l’état émotionnel de ses personnages. Certains trouvent le leitmotiv trop appuyé. Ce n’est pas mon cas, surtout si Christophe Duquenne campe le naïf chevalier (au passage, dans le moment où ils évoluent de concert, l’acuité de mouvement et d’expression de Duquenne rend manifeste combien Bullion danse mou), et qu’Ève Grinsztajn incarne l’amorale Manon.

Quand, par sens du devoir après sa confrontation avec Monsieur Duval (Michaël Denard, en déficit de présence scénique), Marguerite retourne à sa vie de courtisane, c’est Manon qui l’aiguillonne chorégraphiquement. À ce moment, le couple Letestu/Grinsztajn illustre finement le contraste entre romantisme XIXe et libertinage XVIIIe : alors que Letestu est grise de douleur, Mlle Grinsztajn, grimée-grimaçante, fait preuve d’un entêtant charme sinueux (on frémit en pensant qu’Émilie Cozette, blonde bonne comme le bon pain, avait été initialement distribuée dans ce rôle). Et puis, comment rester froid au dernier écho de la référence littéraire chez Neumeier ? On y voit Marguerite s’immiscer entre les deux amoureux lors de la mort de Manon, en une poignante tentative de ne pas mourir seule.

La Dame aux Camélias, chorégraphie et mise en scène John Neumeier d’après Dumas fils, musique de Frédéric Chopin. Orchestre de l’Opéra national de Paris dirigé par James Tuggle. Au piano: Emmanuel Strosser et Frédéric Vaysse-Knitter. Représentation du 21 septembre.

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3e Symphonie Neumeier : Ce qu’on ne verra pas à la télé

P1020329Troisième symphonie de Gustav Mahler, représentations des 13 et 30 avril.

Il faut parfois certaines conditions pour apprécier une œuvre à sa juste valeur. Les blocs de couleur de Rothko, par exemple, ne semblent flotter sur la toile que sous une lumière zénithale. Pour Troisième symphonie de Gustav Mahler, la soirée qui a fait l’objet d’une captation télévisée a failli me faire tomber de ma chaise. C’est donc d’un genou tout mou que je me rendis à un nouveau rendez-vous avec l’œuvre. Bingo ! À quelques exceptions près – notamment Mathias Heymann dans le personnage de la Guerre – la distribution-vedette, gravée pour l’éternité, n’est pas vraiment la bonne. Cherchez l’erreur…

Quel que soit le cast, il faut quand même s’appuyer une bonne dose de pensum. En particulier, le premier mouvement, entièrement masculin, me tape vraiment sur le tambour (je l’avais pourtant aimé en 2009 ; c’était avec Hervé Moreau). Plus que pendant tout le reste de l’œuvre, la chorégraphie y accumule les poses architecturées, les postures codées signifiantes et répétitives (grand plié à la seconde, bras écartés : « bientôt je m’envole » ; en équerre, tête penchée, doigts tendus derrière : « je suis une table de nuit design » ; grand porté bras tendus : « à deux, on fait compas »), et les mouvements d’ensemble sont souvent d’une grandiloquence d’où tout second degré semble avoir été exclu. Nous sommes pourtant dans l’univers du Knaben Wunderhorn, et les marches d’inspiration militaire sont utilisées de manière décalée, ironique ou douloureuse, par le compositeur. Après l’éprouvant « Hier », « Été » apporte quelque respiration (jolis couples formés par Nolwenn Daniel et Christophe Duquenne, ainsi qu’Alessio Carbone et Mélanie Hurel, le 13 avril), mais on retombe vite dans le gros symbolique à message avec « Automne » (dont le passage « post-horn », non exempt de canards à l’orchestre, est servi avec profondeur par Stéphanie Romberg le 30 avril).

Et puis, arrive la deuxième heure : Nuit, L’ange et Ce que me conte l’amour. On sait que le quatrième mouvement, qui débute dans un noir silence, a été créé en 1974 pour Marcia Haydée, Richard Cragun et Egon Madsen, et reflète leur peine et leur profond désarroi  après la mort de John Cranko, leur directeur au Ballet de Stuttgart. La ballerine qui déboule sur scène est un bloc de douleur cloué au sol, les deux garçons se débattent avec l’angoisse chacun dans leur coin, l’un d’eux veut même fuir. Tous finissent par se soutenir mutuellement (à l’initiative de la ballerine). On n’est pas obligé de connaître le sous-texte biographique du 4e mouvement, mais il faut qu’il irrigue l’interprétation : c’est le cas avec le trio formé par Agnès Letestu (dont la présence scénique donne une nouvelle fois le grand frisson), Florian Magnenet et Audric Bezard (sombres, intenses et éperdus). Avec eux, on voit clairement ce que veut dire Neumeier. À l’inverse, la distribution estampillée « vu à la télé » ne projette pas grand-chose : entre un Karl Paquette (L’Homme) concentré sur le mouvement et un Stéphane Bullion (L’Âme) qui peine à extérioriser un sentiment, Eleonora Abbagnato avait fort à faire pour émouvoir.

Isabelle Ciaravola, charmante d’espièglerie dans le mouvement de l’Ange, avait le même souci avec Karl Paquette dans le pas de deux de Ce que me conte l’amour, alors que Florian Magnenet accompagne Dorothée Gilbert – très à l’aise et joliment lyrique dans un registre où on ne l’attendait pas forcément – avec une attention remarquable. Le premier danseur n’a pas le magnétisme d’Hervé Moreau (même couché par terre, ce dernier aimantait les regards), mais il a le style et les intentions.

Voir Troisième symphonie servie comme il convient n’en fait pas pour autant mon Neumeier de prédilection. Il me faudrait avoir l’autorisation d’arriver une heure en retard et partir cinq minutes avant la fin pour voir la – probablement – intéressante distribution réunissant Mathieu Ganio, Laëtitia Pujol, Nolwenn Daniel et Vincent Chaillet dans les rôles principaux.

Chorégraphie, décors et lumières de John Neumeier ; Orchestre et chœur de l’Opéra national de Paris (direction Simon Hewett). Représentation du 13 avril : Mlles Abbagnato, Ciaravola, Daniel, Hurel, Hecquet, MM. Paquette, Bullion, Heymann, Carbone, Duquenne, Magnenet. Représentation du 30 avril : Mlles Letestu, Gilbert, Bourdon, Froustey, Romberg ; MM. Magnenet, Bezard, Carbone, Bittencourt, Mitilian.

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Soirée Roland Petit : Les hommes agis

P1010032Programme Roland Petit à Garnier

Chez Roland Petit, les femmes sont fortes. Sûres de leur pouvoir de séduction, elles font tout ce qu’elles veulent avec leurs gambettes, affolent la galerie, apportent amour et mort. Les hommes, toujours mus par leurs passions, leur font parfois office de pantin.

Pensez à la vamp dans le Rendez-vous : à bien regarder son pas de deux avec le garçon – au terme duquel elle lui tranche le cou – c’est clairement elle qui mène la danse, l’aimantant, l’éloignant, lui dictant tous ses mouvements : « attrape ma jambe à la seconde, fais-la passer devant, promène-la en attitude, sois à moi et tais-toi ». Isabelle Ciaravola (dansant avec Nicolas Le Riche) a la drague carnassière, et rit de sa proie. Avec Jérémie Bélingard – qui danse avec l’énergie d’un Babilée –, Alice Renavand a la froide impassibilité d’une envoyée des enfers faisant son office. Moins grisant, plus glaçant.

Dans Le Loup, la bohémienne est une sadique : elle jette à terre la bête de foire comme une serpillière et lui piétine la main de sa pointe comme on écrase une cigarette. Sabrina Mallem fait ça avec une acuité qui picote. Elle danse sa partie bien plus aigu que Valentine Colasante, que j’ai trouvé plus à son affaire dans le trio des brigands de Carmen. Le principal rôle féminin, celui de la Jeune fille, n’est – pour une fois – pas une femme fatale. Mais c’est elle l’actrice du drame : elle le reconnaît (regardez comme elle le démasque en lui tirant les cheveux), l’humanise en le choisissant, le défend et le suit dans la mort. Il y a, dans le pas de deux central dansé par Laëtitia Pujol et Benjamin Pech, un moment où ce dernier, gagné par la sensualité de sa partenaire, cesse de crocher ses doigts, et devient pour quelques portés, un vrai prince. C’est un des plus jolis moments de leur interprétation, dont on a déjà vanté les vertus ici. Le partenariat entre Émilie Cozette et Stéphane Bullion, quoique plus abouti qu’en septembre 2010, n’est pas aussi prenant : elle manque de suspension (même si le haut du corps a gagné en mobilité), il manque de tranchant. Encore ce défaut est-il moins rédhibitoire en loup (qui peut, à la limite, être une grosse bébête faiblarde car mal nourrie) qu’en Don José (un Navarrais qui joue du couteau ne peut pas danser émoussé).

Nicolas Le Riche et Eleonora Abbagnato ont déjà interprété Carmen en 2005, et il aurait été logique de les programmer pour la première représentation de la série. Qu’importe, c’est avec eux qu’on voit vraiment la chorégraphie de Roland Petit. Dans la danse de Melle Abbagnato, la sensualité n’est pas une volonté, elle est un état. La première danseuse allie le détachement à la précision, coulant le mouvement dans un continuum presque nonchalant (là où Ludmila Pagliero péchait par ostentation et décomposition du geste). Avec Nicolas Le Riche, elle fait du pas de deux de la chambre un crescendo cochon (solo désinvolte, jalousie de Don José, réconciliation sur le plancher). Le Riche a l’intelligence de danser le solo de la Habanera avec un panache teinté de grandiloquence. Nous sommes quand même dans une œuvre où les gitans exhibent leurs pouces et où l’on danse furieusement avec des chaises. Le trio des brigands composé par François Alu, Mathieu Botto et Valentine Colasante danse survolté, pour notre plus grand bonheur. L’Escamillo d’Audric Bezard est si joliment outré qu’il déclenche les éclats de rire. Dans la scène finale, et bien que trucidée, Carmen reste actrice de sa destinée. A contrario, Don José a l’air dépassé par les événements. En fond de scène, un décor de masques à la Ensor lui fait comme un pied de nez.

Matinée du 17 mars : Rendez-vous : Isabelle Ciaravola & Nicolas Le Riche ; Hugo Vigliotti (Bossu) ; Michaël Denard (Destin) ; Le Loup : Laëtitia Pujol & Benjamin Pech, Valentine Colasante (Bohémienne), Christophe Duquenne (Jeune homme) ; Carmen : Ludmila Pagliero & Stéphane Bullion; Caroline Bance, Allister Madin et Maxime Thomas (Brigands) ; Guillaume Charlot (Escamillo). Soirée du 18 mars : Rendez-vous : Jérémie Bélingard & Alice Renavand ; Vigliotti/Denard ; Le Loup : Émilie Cozette & Stéphane Bullion, Sabrina Mallem/ Duquenne  ; Carmen : Eleonora Abbagnato & Nicolas Le Riche; Valentine Colasante, François Alu et Mathieu Botto (Brigands) ; Audric Bezard (Escamillo).

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Petit (ou) Pas

P1010032La soirée Roland Petit est une belle illustration du théorème de la nappe inventé il y a peu par l’ami James un soir d’abus d’Opium, de glaces au gingembre ou encore de tartan outrancier. Qui sait? Ce théorème compare les pièces du répertoire à ces linges de table de grand-mère qui prennent des marques jaunâtres à la pliure lorsqu’elles sont restées trop longtemps dans l’armoire. Cette saison, la sortie des magasins de deux ballets présentés en 2011-2012, illustrait combien la familiarité avec un répertoire peut ajouter à la valeur d’une pièce.

Il y a deux ans, le Rendez-vous montrait toutes ces taches brunes qui viennent avec l’âge (et je ne parle pas seulement des costumes savamment rustiqués par les ateliers couture de l’Opéra pour faire croire à un après-guerre famélique de pacotille). Aujourd’hui, la proposition chorégraphique et le propos restent toujours aussi pauvres… Au moment de la recréation avec Kader Berlarbi et Marie-Claude Pietragalla, Roland Petit ne s’était pas caché du fait qu’il ne se souvenait que de très peu de choses de la chorégraphie originale. Le ballet se présente donc comme un collage des différents tics du chorégraphe : le corps de figurants ainsi que le rôle du bossu évoquent Notre Dame de Paris, le pas de deux entre La plus belle fille du Monde et le jeune homme est une réminiscence du pas de deux de la chambre de Carmen, l’argument – un jeune homme rencontre son destin qui menace de l’égorger; le destin semble se laisser attendrir lorsque celui-ci lui dit qu’il n’a jamais connu l’amour charnel, mais la fille qu’il rencontre ensuite lui tranche la gorge tout aussi bien après un torride pas de deux – rappelle furieusement Le Jeune homme et la mort. Mais l’autre soir, les interprètes, comme souvent dans les ballets de Roland Petit, ont gagné la partie ; ce qu’ils n’avaient pas fait il y a deux ans. Pour sa dernière saison complète avec la compagnie, Nicolas Le Riche semble avoir retrouvé une impulsion qui lui manquait depuis 2008. A la reprise de 2010, il n’était rien d’autre qu’un éternel adulescent sans beaucoup de consistance. Ici, il a su créer un authentique personnage en quelques secondes. Sa jeunesse, interprétée enfin au lieu d’être inutilement convoquée, sa technique saltatoire miraculeusement restaurée ont eu raison de la chorégraphie pauvrette. Dans la plus belle fille du monde, Isabelle Ciaravola a pu enfin donner toute sa mesure. Il y a deux ans, elle revenait de blessure et semblait mal à l’aise perchée sur les impossibles talons hauts dont elle est affublée. Ici, chaque geste était implacablement planifié. Une main roulant sur un poignet, un déhanché, de même que les acrobatiques poses de sirène dans le pas de deux lui conféraient l’hiératisme sidérant d’une mante religieuse.

Les seconds rôles, ce qui ne gâchait rien, étaient également magistralement portés par leurs interprètes : Stéphane Phavorin, clown triste effrayant de retenue et d’économie de mouvement ou encore Hugo Vigliotti (le bossu), aux sauts explosifs et à la sensibilité à fleur de peau.

Copie de P1030974En septembre 2010, dans les décors épineux de Carzou, avec ses harmonies colorées acides si chères aux années 50, le ballet de l’Opéra avait quelque peu émoussé, par manque de précision, les piquants de la chorégraphie acerbe de Petit. Rien de tout cela hier soir. On a retrouvé avec bonheur les poursuites en grand jeté et les temps de batterie des villageois dans leurs costumes de vitrail. Valentine Colasante, la gitane, à la danse qui cingle comme une cravache à défaut d’être encore une technicienne subtile. Elle maltraite le loup de Benjamin Pech avec une sorte d’excitation nerveuse. Ce dernier, est toujours aussi admirable dans ce rôle où il bondit avec une souplesse plus féline que canine. Son premier pas de deux avec la jeune fille est superbement mené. Il décline les différentes facettes de son personnage (qui va de la bestialité à la veine romantique du jeune premier) avec subtilité. En face de lui, Laëtitia Pujol, déjà fort belle il y a deux ans, a encore gagné en substance. Ses ports de bras variés, les suspendu de ses piqués suggèrent une jeune fille à la fois innocente et ouverte à la sensualité. Mais ce qui frappe surtout, c’est l’accord entre les deux partenaires. Dans le premier pas de deux dans les bois, celui de la réalisation, au moment ou Pech-Le Loup montre ses griffes à la jeune fille-Pujol, les deux danseurs ménagent un moment d’arrêt avant que la danseuse ne prennent finalement la patte de son partenaire comme pour lui dire : « j’ai choisi ».

On a pu donc retrouver tout notre capacité d’émerveillement face à un conte dont on déroule les images à l’esthétique gothique. Mais ce conte, comme tous les contes n’est pas vraiment pour les enfants. Il parle de la cruauté des hommes et de leur haine de la différence. Et rien ne nous est épargné. Si le loup figure ses oreilles par un geste naïf proche du pied de nez enfantin, c’est pour vibrer à l’approche de ses bourreaux.
Le Loup est d’une époque, certes. Mais si sa présentation appartient incontestablement aux années 50, son message et sa chorégraphie ne sont pas datés. Et quel merveilleux exemple de symbiose entre chorégraphe, musicien et décorateur : un précieux bourgeon tardif des ballets russes grandi au soleil lifarien.

Copie de P1030975Carmen est également un ballet qui a gardé la même esthétique depuis sa création en 1949. Dans les décors et costumes délicieusement stylisés d’Antoni Clavé, l’histoire se déploie d’autant mieux qu’elle est réduite à l’essentiel. Les choix de découpage musical fait par Petit, qui n’avait jamais vu l’Opéra comique de Bizet et Halévy, tant décriés par les pudibonds du répertoire à le mérite de l’efficacité. Don José danse certes sur la Habanera chantée par Carmen dans l’opéra comique, mais cette bluette transcendée par Bizet n’est rien d’autre que l’équivalent d’une chanson à boire. La retrouver dansée dans une taverne par un mâle bien naïf tandis que les clients interlopes en ânonnent le refrain la remet en perspective. En fait, Carmen de Roland Petit, c’est la démonstration de la ductilité du langage classique : pas nécessairement quelque chose de nouveau mais un éclairage différent ; Des chaises multicolores qu’on fait tourner par quart de tour et qui servent de tremplin à une fille pour faire un grand jeté, quelques passages suggestifs de l’en dehors à l’en dedans, des talons qui martèlent le sol ou encore des cris intempestifs, et un langage vieux de plus de trois siècle retrouve son miraculeux printemps. Une leçon et un espoir en ces temps de ressassement et de grisaille chorégraphique.

Las, pour la première, le chef d’œuvre de Petit souffrait du théorème de la nappe. Le corps de ballet était bien réglé mais manquait un peu de mordant et Allister Madin était un chef brigand en mode mineur. On pourrait discuter aussi le fait d’avoir donné à une « débutante » le rôle-titre. Ludmilla Pagliero s’est lancée dans le ballet avec l’enthousiasme casse-cou qu’on lui connait mais également avec son traditionnel déficit de style. Sa Carmen, au lieu d’être solidement ancrée dans le sol et de resserrer les positions avec des adducteurs d’acier (emboités, passages en dedans, en dehors) comme le faisait Zizi Jeanmaire, semblait toujours prête à décoller du sol. Ajoutez à cela un physique un peu anguleux et vous aurez une Carmen-chat écorché sans grande sensualité. Stéphane Bullion, quant à lui, restait aussi boutonné dans Don José que le col de sa chemise dans le pas de deux de la chambre. Ce danseur sans aucune tension intérieure était des plus déplacé dans un rôle incarné jadis par Petit lui-même, Baryshnikov et, plus proche de nous, Belarbi ou Hilaire. Pour voir ce que peut-être la Carmen de Petit, il fallait regarder du côté du second brigand truculent et cinglant de Maxime Thomas ou de l’Escamillo outrageusement grimé de Guillaume Charlot, distendant presque indéfiniment son cou comme un dindon au milieu d’une basse cour.

Le ballet de l’Opéra, avec une bonne série de représentations et une reprise rapide (mais avec l’Opéra qui évacue si aisément ses morts glorieux, sait-on jamais?) devrait bientôt porter de nouveau au firmament le chef-d’œuvre de Petit.

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The Nureyev “Gala” in Paris: I was there, but Nureyev definitely wasn’t.

P1010033What a stunningly lukewarm tribute to a glorious past. If, quite often, some piece turned out to be cleverly — even beautifully — danced, what the evening consistently denied the audience was a sense of how Nureyev had touched the lives of the dancers in this company.

The evening began with a 4-minute slide-show of photos set to Swan Lake’s polonaise. And then, as they say in Italy, è basta. No films of rehearsals, no other reminders during the evening, no tributes at the end, no nothing.

Craning my neck around from my seat even before the evening started, I had been delighted to spot many who once served to inspire Nureyev’s obsessively revisited stagings of remembered worlds of choreography during his tenure in Paris. All of these retired but far-from-dead dancers continue to speak eloquently and openly at other venues about how Nureyev’s passion for dancing inspired their own. Yet not a single one had been drafted to pass along to us this night what they knew of Nureyev, to say a few words, (even on video) before each piece. How I wish that at least they had all been invited onstage at the very end to take a group révérence.

Nureyev’s inventiveness as a choreographer remained equally unacknowledged due to the choice of excerpts.

Why present so many warhorse standards that only shed dim light on what Nureyev had once wrought? We just went through 24 “Don Quichotte’s” two months ago: so did we really have to revisit the entire pas de deux which is the least “Nureyev-y” part of the production, to then only be offered a taste — the entrada and adagio — of the Black Swan pas de deux which he’d idiosyncratically expanded into a pas de trois with that unusual solo for Rothbart/himself?

After Raymonda’s “clapping variation” my mind drifted to how many dancers in the audience had been directly involved in the enormous adventure of “Raymonda.” Nureyev had filled out the life of this ballet by bringing each character to the fore. He transformed the small mime-y roles of Henriette and Clémence, of Bernard and Béranger, into fully and deftly danced ones. Where was the pas de six? Where was the great big waltz for a full corps of boys and girls? And where did they hide that beautiful and exotic and manly creation, Abderahm, with his – for its time — devastating synthesis of classic and modern impulses?

Most of all, I wondered what had happened to the male corps de ballet which Nureyev was purported to have re-energized? It must have been dancing outside the house during those first four minutes of slides when the orchestra had attacked the polonaise and then gone home. Our one moment with more than a four men at a time — Don Q’s fandango — while certainly inventive and stylish, doesn’t really bring any of the technical and expressive abilities of the male corps to the forefront.

An “homage” to Nureyev where men hardly dance at all? Is that possible? In peevish response, I will not mention a single ballerina in this summary.

Almost all of the leading men got stuck being wallpaper. We caught glimpses of: Hervé Moreau, Benjamin Pech, Mathieu Ganio, Stéphane Phavorin, Audric Bézard, Vincent Chaillet, Yann Saiz : all relegated to supporting females  in pirouettes or penchées, The men got to do their moves as if the pre-Nureyev, no, the pre–Nijinsky ukaze against male dancers daring to be other than moving-men was still in force. As in: we do our best, but nobody wants to look at us anyway.

Duquenne tried, stretching out the energy of his arabesques as Nureyev would have liked in the Nutcracker Snow Scene. Magnenet brought energy and delight to “Cendrillon.” Le Riche shrugged off this atmosphere  and charmed his way into Juliet’s heart during the balcony scene from « Roméo ». Each time: a female partner. What about Nureyev’s  many duets and trios for guys?

The only masculine solo saved the evening for me. Nureyev would have relished the way Matthias Heymann returned to the stage after a major injury. Nureyev had always loved beautiful movement full-out, had loved honesty in the moment, had used his eye to pick out those dancers who come fully alive on stage, who need and want to have us out there in the dark. Heymann’s ecstatic resurrection as Byron’s/Nureyev’s ill-begotten “Manfred” provided a rare moment of grace.  Perhaps the only true homage all night.

The evening ended with bits of the last act of “La Bayadère,” including the languorous descent of 32 ballerinas, lovely, albeit no longer an unusual feat for most companies. Why not the devilishly complex fugue for the boys and girls from the first act of his “Swan Lake?” Or the many other moments from Nureyev’s “Bayadère” when male dancers do take part? Or, or… (As Solor, Stéphane Bullion mostly provided wallpaper too).

Perhaps that is why none of Nureyev’s dancers took to the stage at the end of the evening. This provincial gala had had nothing to do with what Nureyev had taught them – and us – about ballet.

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