La Dame de Neumeier requiert des interprètes ayant l’art du drame. Au soir du 29 septembre, la distribution a tout l’air d’une quine. Même les personnages secondaires servent remarquablement l’intrigue. Ainsi de Samuel Murez (le Duc), qui tend le bras à Marguerite non en galant homme, mais en aristocrate attendant que s’y accroche son accessoire de luxe. Il se trouve que le bijou, Isabelle Ciaravola, vivait son dernier rendez-vous parisien avec le rôle de La Dame. Par bonheur, je ne m’en suis rendu compte qu’après-coup (et il y avait, dans ma loge, un esclave pour m’éventer), car ce surcroît d’émotion, couplé à la chaleur, m’aurait certainement fait défaillir.
Face à la Marguerite littéraire d’Agnès Letestu (un océan d’émotions intérieures qui affleurent à la surface), Isabelle Ciaravola est un Camélia tout théâtral. Au meilleur sens du terme. La plus neumeiero-hambourgeoise des ballerines parisiennes ne se contente pas de présenter le plus joli cou de pied qu’on puisse imaginer ; elle investit la chorégraphie avec une vigueur peu commune, et il faudrait être aveugle pour ne pas comprendre ce qui se passe en elle. Elle est la dame du monde, la courtisane bientôt usée, l’amoureuse blessée, l’esseulée fardée, la madone qui pardonne. On suit le mouvement d’autant plus intensément que son Armand a le physique du rôle (regardez bien la courbe, joliment fuyante, presque fluette, entre le creux du genou et le mollet), et qu’il en a aussi l’engagement. Karl Paquette aborde les pas de deux avec une assurance telle que l’émotion a toute la place pour se déployer.
La fluidité et la musicalité au service du drame, on la trouve aussi chez Myriam Ould-Braham. Lors de la première, elle était une Olympia aussi délicieuse qu’une source d’eau fraîche. Elle est une Manon charmeuse, irréelle (quand elle rappelle Marguerite à son destin de courtisane, elle a le battement coupant). Elle est la seule à savoir faire quelque chose de sa nouvelle apparition onirique, après le pas de deux au noir, dramatiquement redondante, mais où s’exprime sa lassitude face à un nouveau chapelet d’amants. Et elle meurt d’une manière bouleversante (scrutez bien l’abandon du buste, le regard hagard, avec pourtant un moulinet encore perlé de la main tombant à terre), dans les bras d’un Fabien Révillion à l’unisson (c’est la soirée des blonds). Il y a aussi Andreï Klemm, père d’Armand initialement raide comme la justice, dont la confrontation avec son impossible belle-fille arrache des applaudissements au public.