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À Stuttgart: Cranko, blanc de blancs

Konzert für Flöte und Harfe - courtesy of Stuttgarter Ballet

Konzert für Flöte und Harfe – courtesy of Stuttgarter Ballet

Le programme Shades of White (en anglais dans le texte) du ballet de Stuttgart débute par un ballet blanc à corps de ballet masculin, le Concerto pour flûte et harpe (1966) de Cranko. Lors du World Ballet Day, Tamas Detrich, qui dirige à présent la compagnie, expliquait, en faisant répéter l’adage, qu’obtenir l’unisson de la part des hommes était un défi dans les années 60, et le restait aujourd’hui. On s’attendait donc à une configuration plutôt classique : des morceaux de bravoure pour les deux couples solistes pendant que dix bonshommes feraient tapisserie au fond ou sur les côtés.

Mais Cranko s’est manifestement amusé à déjouer les attentes trop convenues. Lors du premier mouvement, les lignes du corps de ballet sont, assez souvent, rompues par une petite intervention en solo d’un des gars, comme inopinément jailli du décor. Et à l’inverse, on peut reconnaître, caché dans les ensembles, un soliste (Friedemann Vogel), qui alternera sans cesse entre singularité et unité.

Quand une des filles apparaît, on se dit qu’elle va concentrer l’action et aimanter le regard au centre. Fausse piste : non seulement elle n’établit pas de partenariat avec le type que la distribution lui assigne, préférant papillonner avec un ou plusieurs autres, mais en plus, un des « vrais » solistes masculins fait le malin de l’autre côté. Il faudrait loucher pour tout voir. Le premier mouvement, assez jubilatoire, donne l’impression d’une profusion – « c’est presque surpeuplé », relis-je sur mes notes griffonnées dans le noir – en réponse à l’invention mélodique mozartienne. Cranko a concocté pour ses danseurs une partition fluide, cumulant tricotage du bas de jambe, temps de saut souvent voyagés (la configuration spatiale est souvent complexe), et tours sur le contrôle.

Lors de la cadence – moment intime où flûte et harpe dialoguent de manière virtuose, en interpolant les thèmes de l’allegro – la ballerine entame un pas de deux avec un des membres du corps de ballet. On retrouvera cette configuration inattendue dans les deux mouvements suivants (on regrette d’ailleurs de n’être pas en mesure d’identifier formellement chacun des trois zigues).

L’andantino débute avec une impeccable arabesque penchée – clin d’œil à Giselle ? – de Friedemann Vogel, qui parle le Cranko 1e langue. Tout du long – il est présent les trois-quarts du temps – le danseur se montre délicieusement précis : on se souviendra longtemps de ses pirouettes au jarret finies en développé devant ou arabesque, comme de ses grands jetés sans élan. À l’image de la chorégraphie, Vogel sait être délicat sans mièvrerie, brillant sans ostentation. Également familière du style Cranko, sa partenaire Alicia Amatriain prolonge cette impression de facilité. Le deuxième couple – Ami Morita et David Moore – ne démérite pas, mais on aurait grand tort de ne parler que des rôles principaux. Au niveau du corps de ballet, de simples ports de bras, subtilement agencés, diffusent une atmosphère de sereine méditation. Chaque porté central du mouvement lent – la ballerine est hissée par quatre à cinq danseurs, tandis que les autres l’entourent en penché – est aussi délicat qu’une porcelaine.

Konzert für Flöte und Harfe - Courtesy of Stuttgarter Ballet

Konzert für Flöte und Harfe – Courtesy of Stuttgarter Ballet

En deuxième partie de soirée, l’acte des Ombres de la Bayadère est présenté dans la version Makarova, qui fait pour l’occasion son entrée au répertoire de Stuttgart. La toile de fond montagneuse évoque un sommet himalayen éclairé de lumière bleutée. Durant leur descente, les vingt-quatre ombres ont un plié très retenu, ni moelleux ni vaporeux, mais la magie opère progressivement. Elisa Badenes compose une Nikiya lyrique, aux très jolis bras, quoiqu’un peu fébrile dans les tours planés. Adhonay Soares da Silva déploie la partie de Solor avec bravoure, avec un sourire et des bras un peu conventionnels (on en jugerait peut-être autrement sur une soirée entière).

La soirée s’achève avec le Symphony in C de Balanchine, où l’on apprécie le sens de l’attaque du corps de ballet féminin, et le peps’ de Miriam Kacerova. L’adage est pris par l’orchestre un poil trop vite pour que les danseurs – Elisa Badenes et Jason Reilly – puissent nous étourdir de langueur. L’ensemble est honorable, et – Bizet aidant – on ressent toujours le frisson du quatrième mouvement, quand progressivement tous les danseurs reviennent faire leur tour sur scène; mais on ne voit pas dans Balanchine et chez tous les solistes actuels de Stuttgart l’aisance naturelle qui fait tellement merveille dans Cranko.

Sinfonie in C - Courtesy of Stuttgarter Ballet

Sinfonie in C – Courtesy of Stuttgarter Ballet

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Les Balletos d’or 2017-2018

Les Balletos d’Or sont en crise. Pour la saison 2017-2018, les organisateurs avaient promis de se renouveler, sortir du cercle étroit de leurs chouchous, et attribuer leurs prix si convoités à de nouvelles recrues. Mais certains s’accrochent à leurs amours anciennes comme une arapède à son rocher. Et puis, la dernière saison a-t-elle été si riche que cela en coups de foudres nouveaux ? On pouvait en débattre. Bref, il a fallu composer. Voici notre liste chabada : un vieux collage, une nouvelle toquade, un vieux collage.

 

 

 

Ministère de la Création franche

Prix Création : Yugen de Wayne McGregor  (réglé sur les Chichester Psalms de Bernstein)

Prix Réécriture chorégraphique : Casse Noisette de Kader Belarbi (Ballet du Capitole)

Prix Inspiration N de Thierry Malandain (Malandain Ballet Biarritz)

Prix Va chercher la baballe : Alexander Ekman (Play)

Prix musical : Kevin O’Hare pour le programme Hommage à Bernstein (Royal Ballet)

  

Ministère de la Loge de Côté

Prix Communion : Amandine Albisson et Hugo Marchand (Diamants)

Prix Versatilité : Alexis Renaud, mâle prince Grémine (Onéguine) et Mère Simone meneuse de revue (La Fille mal gardée).

Prix dramatique : Yasmine Naghdi et Federico Bonelli (Swan Lake, Londres)

Prix fraîcheur : Myriam Ould-Braham et Mathias Heymann dans La Fille mal gardée d’Ashton (toujours renouvelée)

Prix saveur : Joaquin De Luz, danseur en brun de Dances At A Gathering (Etés de la Danse 2018)

Prix Jouvence : Simon Valastro fait ses débuts dans mère Simone (La Fille mal gardée)

 

Ministère de la Place sans visibilité

Prix poétique : David Moore (Brouillards de Cranko, Stuttgart)

Prix orphique : Renan Cerdeiro du Miami City Ballet dans Other Dances de Robbins (Etés de la Danse 2018)

Prix marlou : François Alu dans Rubis (Balanchine)

Prix dramatique : Julie Charlet et Ramiro Gómez Samón dans L’Arlésienne de Petit (Ballet du Capitole)

Prix fatum : Audric Bezard, Onéguine très tchaikovskien (Onéguine, Cranko)

 

Ministère de la Ménagerie de scène

Prix Canasson : Sara Mearns, danseuse mauve monolithique dans Dances At A Gathering (Etés de la Danse 2018)

Prix Tendre Bébête : Mickaël Conte, La Belle et la Bête de Thierry Malandain

Prix Derviche-Tourneur : Philippe Solano (Casse-Noisette, Toulouse)

Prix Fondation Brigitte Bardot : Michaël Grünecker, Puck maltraité du Songe de Jean Christophe Maillot

Prix Sauvez la biodiversité : Le Ballet de l’Opéra de Paris pour son hémorragie de talents partis voir si l’herbe est plus verte ailleurs. (Trois exemplaires du trophée seront remis à Eléonore Guérineau, Vincent Chaillet et Yannick Bittencourt)

 

Ministère de la Natalité galopante

Prix Adultère : Ludmilla Pagliero et Mathias Heymann (Don Quichotte)

Prix Ciel Mon Mari ! : Myriam Ould-Braham et Karl Paquette (Don Quichotte)

Prix du Cou de Pied : Joseph Caley (English National Ballet, Sleeping Beauty)

Prix Sensualité : Alicia Amatriain (Lac des cygnes, Stuttgart)

Prix Maturité : Florian Magnenet (Prince Grémine, Onéguine)

Prix de l’Attaque : MM. Marchand, Louvet, Magnenet et Bezard (Agon, Balanchine)

 

Ministère de la Collation d’Entracte

Prix Gourmand : Non décerné (l’époque n’est décidément pas aux agapes)

Prix Pain sans levain : Le programme du Pacific Northwest Ballet aux Etés de la Danse 2018

Prix Carême: la première saison d’Aurélie Dupont à l’Opéra de Paris

Prix Pénitence : la prochaine saison d’Aurélie Dupont à l’Opéra de Paris

 

Ministère de la Couture et de l’Accessoire

Prix Fashion Victim: Aurélie Dupont (pour l’ensemble de son placard)

Prix Ceinture de Lumière : les costumes de Frôlons  (James Thierrée)

Prix Fatals tonnelets : les costumes de la danse espagnole du Lac de Cranko (Stuttgart)

 

Ministère de la Retraite qui sonne

Prix Les Pieds dans le tapis : Laëtitia Pujol, des adieux manqués dans Émeraudes par une bien belle danseuse.

Prix Très mal : Marie-Agnès Gillot qui ne comprend pas pourquoi la retraite à 42 ans ½, ce n’est pas que pour les autres.

Louis Frémolle par Gavarni. « Les petits mystères de l’Opéra ».

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Stuttgart : le Lac version Cranko, pieuse relique.

Ensemble in Swan Lake, © Stuttgart Ballet

Ensemble in Swan Lake, © Stuttgart Ballet

À regarder le Lac de John Cranko présenté par le ballet de Stuttgart, on ne peut qu’être ramené au sujet qui nous titille chez les Balletonautes depuis déjà quelques temps : la conservation du répertoire. Et sur ce point, la compagnie du Bade-Wurtemberg fait figure d’anti-Paris. En effet, le Lac de Cranko gonflerait aussi bien l’IBOC (Indice Balletonautes de l’Offre Classique) – il fait même partie des « Grands classiques » – que l’IBAC (Indice Balletonautes de l’Antiquité chorégraphique) – créé en 1962, il a dépassé l’âge canonique de 50 ans. Mais est-ce présentement une bonne idée ?

Cléopold : matinée du 10 mai 2018.

Depuis la mort prématurée du chorégraphe d’Onéguine, en 1973, le ballet de Stuttgart conserve pieusement ses chorégraphies originales ainsi que ses réinterprétations des ballets du passé.

Pourtant, plus encore peut-être que son Roméo et Juliette, qui pâtit de sa comparaison avec d’autres versions plus abouties, le Schwanensee du tandem John Cranko-Jürgen Rose, ne s’avère pas une version particulièrement mémorable.

La production, en tout premier lieu, porte le poids des ans : de l’acte 1, situé comme le veut la tradition dans une clairière, on ne retient qu’un gracieux arbre isolé qui prophétise les frondaisons transparentes d’Onéguine. Aux actes 2 et 4, l’esprit cartésien est offensé par une ruine improbable (a-t-on déjà vu un arc plein cintre rester intact quand la colonne est brisée en son milieu ?) d’où entre et sort un Rothbart-Zébulon avec cape et heaume surdimensionnés. À l’acte 3, les costumes – fraises portées autour de l’ovale du visage pour les femmes, couvre-chefs gonflés et perruques choucroutées – fleurent bon la production télévisée (qualité télévision publique) des années 60.

La dramaturgie n’est pas non plus des plus fluides. Cranko, qui voulait faire de son Siegfried un «être humain », a trop appuyé sur la jeunesse et pas assez sur l’élégance princière de son personnage. Usant et abusant de la tradition de la pantomime anglaise à caractère burlesque (on n’échappe pas à l’intendant soûlard querellé par sa bourgeoise), il fait entrer son prince travesti en diseuse de bonne aventure. Le jeune oison et l’assemblée des amis et villageois font un jeu de cache-cache assez trivial pour cacher la coupe de vin du prince à la reine venue troubler la fête sans même apporter d’arbalète en cadeau d’anniversaire. Planté par le reste de l’assemblée, Siegfried n’a plus qu’à partir à la chasse désarmé. À l’acte 2, cela nécessite une traversée des amis de Siegfried, armés, eux, de jardin à cour puis de cour à jardin, histoire d’ébouriffer un peu les volatiles.

À l’acte 3, Cranko a décidé, pour justifier les danses de caractère, de les faire interpréter par les prétendantes. Fausse bonne idée ; car la reine-mère a du coup l’air de vouloir, en désespoir de cause, refourguer son fils à des saltimbanques. On n’imagine pas une princesse, même espagnole, lancer des œillades incendiaires à toute la cour.

Plus gênantes encore, sont les options musicales choisies par Cranko. Pour faire avancer l’action plus vite, il a fait couper presque systématiquement les reprises de thème dans la partition. Il évacue la grande valse à l’acte 1 ainsi que le pas de trois mais c’est pour y introduire des extraits de l’acte 3 qui arrivent de manière incongrue (la danse des bouffons sert par exemple à l’entrée de Benno et des amis masculins. Un trait d’humour ?). Il préfère aussi utiliser une partie du pas de six de la partition de 1877 – de même que Bourmeister – et fait danser son prince avec cinq donzelles. Il n’est pas sûr que cela donne plus d’épaisseur à son Siegfried. L’utilisation de l’adage (4e variation du pas de 6) est même contre-intuitive. Ce passage, judicieusement déplacé par Bourmeister à l’acte 4, ce que fera aussi Noureev pour son propre Lac, a une teneur émotionnelle trop forte pour expliquer ce pas de deux anodin exécuté tout sourire par le prince et l’une des jeunes femmes.

La chorégraphie des actes « de cour » n’est, en général, guère inspirée. Elle est au mieux passe-partout à l’acte 1. Au 3, pour une jolie danse napolitaine menée avec énergie et chic par Timoor Afshar (déjà remarqué en Benno tournoyant à l’acte 1), il faut en passer par une danse russe à mouchoir qui s’essouffle (bien que défendue par la très jolie Fernanda De Souza Lopes, qui présente joliment les pieds) et, surtout, par une regrettable danse espagnole. Les quatre infortunés garçons qui accompagnent la prétendante, contraints et forcés par la chorégraphie, mâchent le travail aux ballets Trockadero. Avec leurs poignets cassés à l’extrême et leurs têtes enfoncées dans les épaules, ils évoquent l’entrée des crocodiles comploteurs dans le ballet d’hippopotames et d’autruches de Fantasia.

Cranko se montre bien plus à l’aise et plus inspiré dans les actes blancs. Il tire tout son parti d’un corps de ballet de 18 filles auxquelles s’ajoutent le traditionnel quatuor de petits cygnes (qui exécutent la chorégraphie d’Ivanov avec précision et élégance) et un duo de grands cygnes. Ici, le traditionnel, le familier et l’invention personnelle du chorégraphe se marient avec grâce.

La reine des cygnes, Anna Osadcenko, a de fort belles lignes et un joli moelleux des bras. On regrettera bien de-ci de-là des projections de l’arabesque un peu sèches, mais elle se montre une Odette plausible. Son partenaire, David Moore, est un partenaire fougueux ; un peu trop sans doute. Ses beaux élans de passion sortent trop souvent sa ballerine de son axe.

À l’acte 3, dans un pas de deux du cygne noir mélangeant allégrement la musique de la version 1895 (entrée et adage ; variation du prince dévolue à Odile) et celle de la version moscovite (variation d’Odile), Ana Osadcenko maîtrise parfaitement le chaud-froid. Son Odile reste sur le fil, même dans sa curieuse variation avec un passage de relevés sur pointe, une jambe développée en 4e devant, avec changements de ports de bras très « meneuse de revue ». Dans sa variation, David Moore exécute avec une certaine sècheresse dans les réceptions déjà notée à l’acte 1, une combinaison de coupés ballonnés qui fait furieusement penser à la chorégraphie de Balanchine sur ce même passage musical. Les grands esprits se rencontrent…

À l’acte 4, les cercles et les lignes du corps de ballet avec les 4 petits cygnes en tête ou en queue qui font l’essentiel de la danse s’organisent autour des deux grands cygnes. Ces motifs s’avèrent un bien bel écrin pour la dernière rencontre d’Odette et Siegfried. Dans un adage d’adieux très réussi sur une musique extrapolée, la ballerine a tout le loisir pour montrer ses beaux bras élégiaques et le danseur l’occasion de déployer son fougueux désespoir.

Cet adage nous permet de quitter un peu ému la salle en dépit d’une tempête sur le lac un peu chiche et d’un désuet effondrement du palais de toile peinte.

Anna Osadcenko and David Moore in Swan Lake, © Stuttgart Ballet

Anna Osadcenko and David Moore in Swan Lake, © Stuttgart Ballet

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James- Matinée & Soirée

Voir deux fois le même ballet en une journée est une expérience curieuse. La première rencontre déconcerte ; à la seconde, on se trouve déjà en terrain familier. Cela n’irait pas jusqu’à une soudaine adhésion aux trivialités du premier acte (l’hôte aviné, le prince apparaissant déguisé en diseuse de bonne aventure), mais force est de constater que l’œil et l’oreille s’habituent vite à l’incongruité qu’est l’emploi, au cœur des festivités au village, de passages musicaux pensés pour d’autres actes. En matinée, ma mémoire me rappelait sans cesse ce que j’ai l’habitude de voir sur ces musiques ; en soirée, je savais à quoi m’attendre et pouvais réellement regarder plutôt que comparer. J’avais commencé à changer de référentiel…

Une œuvre ne devient pas meilleure quand on s’y est habitué – c’est comme la quinine, la deuxième pilule est moins dure à  avaler, mais elle est tout aussi amère –, mais le pas de six qui s’étire au milieu du premier acte passe beaucoup plus facilement. Les interprètes semi-solistes sont les mêmes. Seul Siegfried a changé. Et cela suffit. Friedemann Vogel est de ces danseurs qui, par une grâce peu commune, donnent l’impression d’une danse naturelle : il n’exécute pas des pas, il vit en dansant. Tout d’un coup, l’interaction du personnage avec les villageoises prend sens : voilà un prince rêveur qui se réfugie dans le badinage enfantin (lui et les jeunes filles sont tellement aux antipodes que tout flirt est inenvisageable).

Au deuxième acte, le contraste entre matinée et soirée tient également au changement de distribution : en quelques secondes, Alicia Amatriain déploie une narration juste, personnelle, poignante. Celle d’une prisonnière. Par moments, on croirait qu’elle manque d’air. Cette danseuse tragédienne dit tout ce qu’il faut voir : la peur et l’aplomb, l’emprise et l’envol. Le pas de deux de l’adage est un temps de rencontre qui s’attendrit peu à peu. Lors de sa variation, Amatriain a un mouvement interrogateur du bras vers le bas, comme si Odette vérifiait où elle est. Sur le sol ou dans l’eau ? La princesse ensorcelée semble écartelée entre les éléments, et c’est bouleversant. À la fois juste question chorégraphie (on voit bien un cygne) et pensé du point de vue dramatique (cet oiseau n’est pas heureux). Par moments on ne sait plus qui elle est : une princesse qui bat des ailes pour s’échapper, ou un cygne qui réagit viscéralement.

En Odile, la ballerine change résolument de style. La voilà carnassière et sensuelle. Ici aussi, le personnage dit plusieurs choses à la fois : un aparté moqueur avec Rotbart est aussi une œillade vers le prince. La vivacité de la ballerine rappelle l’exubérance de son incarnation du Poème de l’extase de Cranko (1970). Sa présence est tellement gourmande que la pose finale du pas de deux, sommet d’ostentation (Siegfried, couché au sol, retient la ballerine qui s’abandonne en cambré, la jambe droite en attitude quatrième), paraît naturelle avec elle.

La prestation éblouit plus par sa densité dramatique que par la maîtrise technique. Alicia Amatriain habite chaque moment. Avant de commencer ses fouettés (pas vraiment jolis), son Odile pense à faire sa cour à la reine, qui l’ignore superbement. Au dernier acte, Odette s’effondre littéralement lors des échanges avec Der Böse Zauberer Rotbart puis dans l’adage d’adieu avec Siegfried. On ne sait pas trop ce qui arrivera après la noyade du prince, mais son souffle vital est éteint.

Alicia Amatriain and Friedemann Vogel in Swan Lake, © Stuttgart Ballet

Alicia Amatriain et Friedemann Vogel dans le Lac des Cygnes  © Stuttgart Ballet

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« Cranko Pur » à Stuttgart : bijoux de famille

Programme « Cranko Pur » -Matinée du 26 novembre 2017 – Stuttgart

Le répertoire du ballet de Stuttgart est unique : nulle part ailleurs on n’y fait vivre autant les pièces de John Cranko, qui a dirigé la compagnie de 1961 à sa mort prématurée en 1973, et y a créé la plupart de ses œuvres (non, il n’y a pas qu’Onéguine, que le ballet de l’Opéra de Paris dansera pour la quatrième fois en 20 ans dans quelques semaines).

Le programme « Cranko Pur », pour lequel votre serviteur a affronté la froidure de la capitale du Bade-Wurtemberg, démarrait par une pièce de style. Je viens de vérifier que L’Estro Armonico (1963), réglé sur plusieurs concertos de Vivaldi, est la dixième création de Cranko pour le Stuttgart Ballet, mais en découvrant ce ballet, il m’a donné l’impression d’avoir été conçu comme une œuvre-vitrine pour la compagnie. Comme si le chorégraphe avait dit au public : « voyez ce qu’ils peuvent faire ; voyez ce que je peux faire ». Les danseurs – pour le premier mouvement : 2 garçons et 6 filles – présentent des figures classiques, qui se décalent sans crier gare  (hanche qui penche pied flexe pour les filles, changements de jambe inattendus pour les garçons), comme dans une démonstration scolaire qui dévierait vers une présentation plus personnelle. Certains passages de cette première partie – par exemple, des promenades sautillées en arabesque sur une distance incroyable pour Fabio Adorisio – étonnent par la vitesse d’exécution qu’ils commandent. La seconde partie, qui met en scène une ballerine – la semi-soliste Jessica Fyfe, qui faisait sa prise de rôle – et six bonshommes, réserve quelques portés audacieux, trop souvent rendus bizarres par une réalisation un peu heurtée et la disparité des physiques masculins (parmi les trois zigues portant la donzelle à l’horizontale, celui du milieu fait une tête de plus, et doit vraiment trop croiser ses bras…). Dans la troisième partie, le corps de ballet fait partiellement office de tableau vivant – selon des configurations joliment originales – en toile de fond d’un pas de trois réunissant Fyfe, Adorisio et son comparse du début, Adhonay Soares da Silva. Estro Armonico, pièce brillante, requiert sans doute des interprètes qui survolent les difficultés ; avec une distribution de matinée, appliquée plus qu’inspirée, ça passe, sans soulever le spectateur de sa chaise.

Brouillards (1970) appartient à la veine plus narrative de Cranko, qui s’empare des préludes de Debussy pour créer un ballet à numéros, cousus ensemble par une atmosphère cotonneuse (qui doit aussi au toucher du pianiste Andrej Jussow, dont on a cru un instant qu’il se croyait sur un Sentier herbeux près de chez Janacek). Pièces mélancoliques et légères alternent. Dans La Puerta del Vino trois Ibères ostentatoires dragouillent une Zingara qu’ils finissent par laisser en plan. Les danseurs masculins du corps de ballet – en particulier Alexander Mc Gowan – font leur miel des assauts de fantaisie de Général Lavine Eccentric et Hommage à S. Pickewick Esq. Dans une veine plus émotionnelle, les Bruyères dansées par David Moore laissent une impression durable : un jeune homme danse son éveil à l’amour. Qu’importe que l’indifférente dorme sur un banc en arrière-plan, il nous livre l’équivalent masculin – quelque chose comme une naïveté primesautière, de l’ordre de celles qu’on n’a qu’une fois – de l’entrée de Giselle. Dans des Pas sur la neige, Alicia Amatriain hésite entre deux galants (Roman Novitzky , Adrian Oldenburger), tout en créant une ambiance de rêve.

Jeu de Cartes (1965), furieusement entraîné par les rythmes de Stravinsky, clôture le programme sur une note plus vive et des couleurs plus tranchées. Le premier round semble avoir anticipé les passages comiques de l’Alice au pays des merveilles de Christopher Wheeldon : une reine de cœur qui ne tient pas complètement sur ses pattes est soutenue par des petites cartes (une paire de sept et une paire de dix), tandis qu’un joker en justaucorps rose – Moacir de Oliveira, joliment bondissant – perturbe le jeu. Par la suite, cinq types qui découvrent avec joie qu’ils sont de la même couleur baguenaudent et plastronnent à qui mieux mieux, expulsant assez vertement le joker qui cherche toujours à taper l’incruste. Il réussit mieux au troisième jeu, qui figure une scène de cour réunie autour du roi de pique ; on a cru voir le joker y trouver une âme-sœur (le deux de carreau), mais le voilà qui revêt tout à coup une jupette blanche et virevolte comme sur pointes – évoquant un cygne noir, cependant que Stravinsky pastiche Beethoven – dans un moment follement camp et diablement Trocks. Cette pièce drôlissime coule comme un bonbon acidulé.

David Moore dans Brouillards - © Stuttgarter Ballett

David Moore dans Brouillards – © Stuttgarter Ballett

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Avé Cranko : Tous les chemins mènent à Stuttgart

P1090927Alles Cranko! Ballet de Stuttgart. Représentations du dimanche 14 juin, matinée et soirée.

A Stuttgart, on célèbre le chorégraphe-phare de la compagnie, John Cranko, décédé en 1973. Pour ce Alles Cranko, deux de nos Balletonautes ne partaient pas précisément du même point; non parce qu’ils n’écrivaient pas dans la même langue – cela a-t-il de l’importance? Ayant créé leur propre petite Pentecôte, ils rédigent dans le même esprit – mais parce que Cléopold cherchait la Terre promise tandis que Fenella était à la recherche d’un Paradis perdu. Que nous disent en deux langues – mais qui croit avec ferveur au ballet comprendra l’une et l’autre – nos pilgrims de Stuttgart?

Konzert für Flöte und Harfe Ch: John Cranko Tänzer/ dancers: Elisa Badenes, Alexander Jones, Friedemann Vogel, Alicia Amatriain, Ensemble

Konzert für Flöte und Harfe
danseurs: Elisa Badenes, Alexander Jones, Friedemann Vogel, Alicia Amatriain, et le corps de ballet. Photographie ©Stuttgart Ballet

 

Cléopold : Cranko, l’inconnu.

John Cranko est un célèbre inconnu chez nous. L’Opéra de Paris, comme n’importe quelle compagnie de ballet de la planète, possède son Onéguine depuis une dizaine d’années. Elle a eu, bien subrepticement, son Roméo et Juliette. Monté à grand frais en avril 1983, dix ans après la mort prématurée du chorégraphe, pour huit représentations (Marcia Haydée – créatrice de cette version – était venue danser le rôle de Juliette avec Charles Jude et Noëlla Pontois l’interprétait avec Mickaël Denard), il fut remplacé sans ménagement, dès 1984, car Rudolf Noureev voulait imposer sa propre vision. En 1955, John Cranko, alors chorégraphe au Sadler’s Wells, avait même créé sur Yvette Chauviré et Michel Renault « La Belle Hélène », musique d’Offenbach, charmants décors et costumes de Vertès. Le ballet avait, semble-t-il, été bien reçu et Chauviré y avait révélé des dons comiques insoupçonnés. Mais là encore, il n’y eut pas de reprise et la chorégraphie est certainement perdue.

Dans l’histoire récente, les Parisiens n’ont guère eu l’occasion d’associer Cranko à autre chose qu’au ballet d’action. En 1991, Marcia Haydée présentait Onegin sur la scène du Palais Garnier. En 2007, la compagnie, très remaniée sous la direction de Reid Anderson revint avec l’excellente « Mégère apprivoisée » (1969).

Deux œuvres de jeunesse de Cranko ont été récemment rééditées dans un DVD, « Pineapple Poll » (1951) et « The Lady and the Fool » avec l’exquise Beriosova (1954) ; là encore, des ballets narratifs.

En cela, le programme « Alles Cranko ! » était sous le signe de la découverte et de la nouveauté. Il n’est guère aisé de rendre compte de quelque chose d’inhabituel, surtout quand à la découverte de la chorégraphie s’ajoute celle d’une compagnie qui a nécessairement changé en huit ans. Tout se brouille en un fouillis d’émotions, d’atmosphères et de couleurs en partie crées par la danse et ses interprètes, en partie par les costumes. Alors quid de Cranko « l’abstrait » ?

Simplicité … Enfance de l’art… On aimerait pouvoir utiliser ces termes mais on en est dissuadé par l’extrême technicité des pièces présentées. Les solos d’hommes débutent souvent par des sortes de manifestes pyrotechniques avec doubles tours en l’air et multiples pirouettes avant de s’apaiser pour offrir aux interprètes l’occasion de développer leur lyrisme. C’est le cas pour le «Konzert Für Flöte und Harfe», un surprenant « ballet blanc pour hommes » où douze gaillards en pourpoint blanc s’offrent en écrin à deux danseuses solistes. Les garçons ont presque tous une chance de se détacher du groupe, soit à l’occasion d’un pas de deux avec les solistes féminines, Alicia Amatriain et Elisa Badenes – car si Friedemann Vogel et Alexander Jones sont leur partenaire en titre, les demoiselles folâtrent avec qui bon leur semble – soit dans une compétition amicale avec un membre du groupe. Arman Zazyan et Jesse Fraser endossent ainsi les parties de la harpe et de la flute, sorte de Moyna et Zuylma de cette Giselle masculine. Lorsqu’un garçon retourne dans le corps de ballet après un solo, il peut occasionnellement jouer des coudes pour se replacer dans la ligne. L’humour ou la tendresse ne sont jamais loin dans les pièces sans argument de Cranko. On regrette cependant un peu que le premier soit tellement distillé dans Für Flöte und Harfe.

Le registre de la tendresse est en revanche parfaitement équilibré dans «Aus Holbergs Zeit», chorégraphié sur le 1er, le 4ème et le 5ème mouvement de la suite de Grieg, un ballet-Pas de deux en forme de badinage chorégraphique. On retrouve dans ce pas de deux « abstrait » tout ce qui fait la force des duos d’Onegin : des portés acrobatiques, des poses inattendues (celle de la fin de l’adage ou la fille termine en cambré, posée sur l’épaule de son partenaire agenouillé), la présence en filigrane de la danse de caractère qui offre d’ailleurs au ballet sa conclusion en forme de charmant pied de nez. La pièce semble avoir été écrite pour Daniel Camargo et Elisa Badenes alors qu’en matinée, ils effectuaient tous deux leur début. Lui, a une plastique parfaite mais pas seulement. C’est un « grand » qui a la vélocité d’un petit gabarit ; et lorsqu’il est immobile, il dégage une sorte d’aura lyrique. Elle est une jeune et jolie ballerine avec un travail de pointe époustouflant qui lui donne l’apparence d’être montée sur coussins d’air.

Aus Holbergs Zeit Ch: John Cranko Tänzer/ dancers: Elisa Badenes, Daniel Camargo

Aus Holbergs Zeit
Elisa Badenes, Daniel Camargo Photographie ©Stuttgart Ballet

La qualité des solistes emporte en général l’adhésion même lorsqu’une pièce laisse plus perplexe. «Opus 1», sur la Passacaille pour orchestre, op.1 de Webern n’est pourtant pas une pièce faible, bien au contraire. Elle s’ouvre sur l’image saisissante de douze danseurs couchés au sol en formation d’étoile servant de piédestal à un soliste, presque nu, recroquevillé en position fœtale. Les six garçons le portent à bout de bras et le manipulent pour le mettre en état d’apesanteur. On ne sait pas trop ce qu’ils figurent. À un moment, ils forment une chaîne le long de laquelle chacun des nouveaux membres vient s’agréger en glissant le long de la ligne de ses camarades et se raccrochant à eux par une couronne en forme de maillon. On pense à des chaines moléculaires. Jason Reilly, le corps musculeux, presque trapu avant qu’il ne commence à danser allonge alors ses lignes et bondit parmi les vagues successives du corps de ballet. Au milieu de cet espace étrange et vaguement inquiétant, Reilly rencontre Alicia Amatriain, ses longues lignes et son travail de pointe moelleux propres à magnifier toutes les rencontres lyriques, qu’elles aient lieu dans un ballet d’action (on se souvient de sa Tatiana à Paris la saison dernière) ou ici dans un ballet abscons qui, curieusement, à l’air d’une partie détachée de son tout.

Opus 1 Ch: John Cranko Tänzer/ dancers: Alicia Amatriain, Jason Reilly

Opus 1
Alicia Amatriain, Jason Reilly Photographie ©Stuttgart Ballet

Mais de tous les ballets présentés, celui qui résiste le plus à la description est sans doute pour moi « Initialen R.B.M.E », créé par Cranko en 1972 pour son quatuor fétiche de danseurs, Richard (Cragun), Birgit (Keil), Marcia (Haydée) et Egon (Madsen) entourés d’une importante troupe de danseurs. Ce « ballet pour quatre amis » est de structure complexe. Cranko dédie un mouvement à chaque danseur mais les trois autres ne sont jamais loin, à l’image des scènes d’ouverture et de fermeture où le garçon du premier mouvement est entouré par les trois autres dédicataires. Le problème – mais en est-ce un, vraiment ? – c’est que ces amis ne sont pas encore les nôtres comme ce fut sans doute le cas avec les créateurs, immédiatement identifiables par leur public d’alors. Ici, on reconnaît aisément le talentueux et sculptural Daniel Camargo, qui bénéficie au premier mouvement d’une sortie spectaculaire, partant en vrille dans la coulisse côté jardin, ou encore Arman Zazyan, dans un mouvement à la batterie ciselée, car ils avaient déjà dansé précédemment. En revanche, dans le troisième mouvement, celui originellement créé pour Haydée, on découvre la brune et délicate Myriam Simon. Mais son partenaire n’est autre que Friedemann Vogel qui impressionne par la noblesse de ses ports de bras. L’équilibre du ballet n’en est-il pas bouleversé ? Même chose dans le deuxième mouvement. Notre attention est attirée par la danse moelleuse de Hyo-Jung Kang. C’est pourtant Anna Osadcenko qui est en charge de la partition de Birgit Keil. Mais pour perdu qu’on soit, on peut se laisser dériver au gré du concerto de Brahms et surtout des vagues successives et inattendues du corps de ballet masculin et féminin paré des mêmes couleurs que le rideau de scène « tachiste » imaginé par Jürgen Rose. À un moment, dans le premier mouvement, huit garçons évoluent en ellipse au centre de la scène, des lignes de filles traversent alors l’espace en lignes si droites qu’elles en paraissent coupantes. Ce jeu d’oppositions semble ainsi animer la peinture d’une vie propre, comme si un enfant s’était amusé à faire tomber des gouttes de gouache dans un verre d’eau et perturbait volontairement avec un pinceau l’expansion des cercles de couleur.

Quid de Cranko chorégraphe « abstrait » ? Disparu prématurément en 1973, le chorégraphe appartient certes à son époque – Konzert Für Flöte und Harfe, 1966, utilise des portés décalés presque lifariens et Opus 1 a un petit air de famille avec les grands messes de Béjart. Mais ses ballets ne sont pas datés. Le mouvement, la fantaisie et la musicalité ne se démodent jamais.

Un exemple qui est trop rarement suivi par les faiseurs de pas qui monopolisent actuellement les scènes du ballet mondialisé.

*

* *

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Fenella: Stuttgarter Ballett, Psalms to Life

“Lives of great men all remind us/We can make our lives sublime,/And, departing, leave behind us/Footprints on the sands of time.”

Your body is your instrument. You are a flute. When the sound fades, the sight of you is lost. You live in someone’s memory. But when everyone who has ever seen you dance that day is dead, what remains? That is every dancer’s tragedy. But if your shape, once carved into the air, gets inhabited by another, that’s way cool. Every Giselle makes Grisi rise up out of the grave, every James tickles either Mazilier’s toes or Bournonville himself, and every time you try to make those damn fouéttés come out perfect you must hear Legnani’s encouraging giggles rise up out of the floor.

“Let us, then, be up and doing/With a heart for any fate/ Still achieving, still pursuing/Learn to labor and to work.”

Too often, we mindlessly applaud the “abstract.” We kowtow to a dance-maker but not enough to the next dancers who must make it come alive. We increasingly consider ballet as a tarted-up floor-mat exercise or a version of figure skating with better music. Forget “six o’clock,” we have become blasé to “ten past six.” But is that what dancing should be about? All dancers have forever possessed astonishing plasticity, but god spare me yet another photo-shopped 10 out of 10 template as a definition of what dance is about.

Yet some abstract ballets live on and manage to both celebrate and tame these extravagant gymnastic abilities in order to achieve a greater goal: that of expression. John Cranko’s sort of abstract “Initals RBME,” I am glad to report, remains one of them.

P1090942There was something in the air in the late 60’s and early ‘70’s, when choreographers offered their dancers little gems, seemingly abstract, but so personal that each step seemed to have been chiseled by an adoring Pygmalion in response to a plethora of statues already able to breathe on their own. “Dances at a Gathering.” “Jewels.” I can’t see them without conjuring up the original casts. Yet these generous ballets allow new casts – none of who by this generation could have ever known their respective “Masters” – to give new gifts to those of us still sitting here, passionately, in the dark .

Bien sûr, I still believe that for “Dances” only Edward Villella could have forced Robbins to find that “Boy in Brown” who lived inside of both of them. But what allows me to continue to delight in “Dances at a Gathering” – almost too much so — is that I can easily convince myself to forget which dancers originally painted what colors and let new movers just wash over me. Pink? Blue? Who? Which year, what company? Even the gulls of the Trocks can make my day when they don their skirts of chiffon and Chopin it.

So there I was, in Stuttgart for the first time in my life, terrified. I was about to confront a ballet –twice in a row with a cast of dancers I didn’t know – which I had adored at every single one of its performances in New York by the original cast too long ago, then had lost track of for decades. Worse than that, I was about to rediscover a ballet where each letter of the title refused to let me forget “who was who way back then.”

I dreaded the moment when memories must crash. But they didn’t. I’m rather pleased that I now have new faces to go with that grand old concerto by Brahms that has never stopped rattling around my brain since Cranko made me discover it along with this, his valentine to dancers.

“Trust no Future, howe’er pleasant/Let the dead Past bury its dead!/ Act, – act in the living Present! Heart within, and God o’erhead.”

Initialen R.B.M.E. Arman Zazyan, Myriam Simon, Daniel Camargo, Anna Osadcenko Photographie

Initialen R.B.M.E.
Arman Zazyan, Myriam Simon, Daniel Camargo, Anna Osadcenko. Photographie ©Stuttgart Ballet

“Initialen RBME”

“R,” vaguely dressed in brown himself, has too long lived in my memory as a specific dancer and a persona: “Ricky.” Cragun, that is.

This new to me “R,” Daniel Camargo, attacked all those steps designed around Cragun’s easy whiplash toss-about spins and turns, but also gave me the feeling that he wanted us to realize how carefully he was paying homage to our memories of the nonchalantly calm and poised way Cragun used to always finish a gesture, raw muscle and emotions reined back in. The choreography encourages the dancer to embrace character in the momentum engendered by each step, not the gymnastics of any specific one. Intent trumps the specifically remembered height of a jump. Willful head-tilts in pirouette (as many as the dancer is wont to do), a nod to his two female satellites (play as you will), why not a simple set of rond-de-jambes front-side-and-back: the choreography somehow anchored this generation to the pull of the pas. Polished and manly, Camargo both reminded me of Cragun’s curly headstrong vividness and allowed me to finally finish mourning that I could never see him dance live again. I grinned, happy that the past had met the future.

Cranko developed the “B” (Birgit Keil) movement around a “homegrown” ballerina and perfect flower along the lines of England’s Jennifer Penny and France’s Isabelle Ciaravola. All of these women shared those feet, that short bust that made their arms and legs seem as long as Taglioni’s, that heart-shaped face and supple neck. But most of all, they shared a fierce determination to make you forget all that: to harness their physical beauty to characters, not contact sheets. Alas, this section satisfied me the least. I was more convinced – as was Cléopold – by the demi-soloists, particularly the creamy and spooling Hyo-Jun Kang, than by the “Birgit.” Kang, as most of us despairingly live with, does not have the above-mentioned ridiculously ideal body, but she makes hers vibrantly alive. She let herself catch the mood embodied in the steps and in those rhythms as offered by Brahms’s piano and orchestra. She understood the way Keil never took her perfect body as the be-all–and-end-all. Both Keil and Kang knew/know that an audience should be treated not as a cold mirror rather but as a friendly face. Please, this movement’s creators still gently urge us – if we would do nothing else ever again in our lives – please try to listen to the dance.

“M for Marcia”(Haydée) must terrify the new dancers even more. How can you step into the shoes of Cranko’s muse? (Just think of the Suzanne Farrell effect, generations later). Haydée had danced like a glorious she-wolf — keen-eyed, strong-shouldered, power springing deep from paw and hind leg. She made you think she was made of rich fur on supple bones, ever ready to pounce. Well, Myriam Simon –who hopefully didn’t even imagine these metaphors – took on the same damned impossible steps with a lighter heart. And, magically, they conspired to let her turn this lady into a fox. So not the same, no, Cheerier and slinkier. It worked for her, and for me.

Ah, “E” for Egon (Madsen). An Antony Dowell of the high, unblocked, and almost backless arabesque; a worthy descendant of Bournonville in his buttery light batterie. Plus a humorous sense of timing Robbins would have loved. No one parses tragedy better (he inspired Cranko’s Lensky of the endlessly supple backbends) than a born comedian (Madsen will always remain my beloved fabulously stiff and absurd arioso-prone Gremio, too). Arman Zayan caught this dichotomy and teased the steps into playing along with him. He got Cranko’s sense of Madsen’s sense of the funny sigh, of his fleetness of foot, of his pliant grasp of reining in and letting go.

The little to and fro gestures and inside jokes Cranko once embedded in the steps of this ballet make each soloist reach out and react to a corps that-as alive now as then – completely loses anonymity and never merely serves as a decorative frame.The other two thirds of this program, rich and juicy and full of opportunities for corps members to step out and shine, have been well-described by Cléopold.

If old Cranko, revived, can make me feel that what was old is new again, then this is a company — if you haven’t seen it then or now — you must go visit Stuttgart and see and judge for yourself.

“The heights by great men reached and kept/Were not attained by sudden flight, But they, while their companions slept/Were toiling upward in the night.”

Quotes are from Henry Wadsworth Longfellow’s “A Psalm of Life” and “The Ladder of St. Augustine.”

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Onéguine : le temps du bilan

P1060935Les Balletonautes n’auront pas boudé cette reprise 2014 d’Onéguine puisque en neuf représentations ils ont réussi à voir l’ensemble des distributions d’étoiles. La série aura été riche en émotions et autres rebondissements plus ou moins prévisibles.

SAME OLD, SAME OLD…

Commençons par le plus tristement prévisible : le jeu de chaises musicales dans les distributions. Il n’y avait guère besoin d’être devin pour deviner qu’avec trois distributions maison (et pas de remplaçants) pour assurer treize représentations, la série se trouverait peu ou prou chamboulée. C’est effectivement ce qui s’est passé. Myriam Ould-Braham n’a pas dansé Olga, qu’elle avait créée en 2009. Mathieu Ganio s’est blessé et Laëtitia Pujol n’a pas pu -ou n’a pas voulu- incarner Tatiana sur la scène de l’Opéra. Hervé Moreau a dû abandonner deux représentations en début de série et Ludmila Pagliero, enfin, a créé la surprise en se blessant. On la croyait indestructible.

Face à cette situation, la direction de l’Opéra a catapulté un Lenski dans le rôle titre (Josua Hoffalt) et a fait appel à des invités de Stuttgart.

LE TACT FRANÇAIS

Tel un chat de gouttière aguerri, l’Opéra s’est sorti de cette situation délicate en retombant sur ses pattes. Pour l’élégance, en revanche, on repassera. Evan McKie, étoile du ballet de Stuttgart, avait déjà sauvé des représentations en 2011 en dansant aux côtés d’Aurélie Dupont. Enthousiasmant, en dépit de sa glaciale partenaire, il aurait mérité cette saison une invitation en bonne et due forme. En lieu de cela, il  a été, une fois encore traité en roue de secours et seuls les chanceux, dont Cléopold faisait partie (le 4/02), ont eu la chance de voir son Onéguine à la fois délicieusement affecté et prédateur.

Plus tard dans la série, c’est Alicia Amatriain, elle aussi de Stuttgart, qui vint suppléer l’absence de Ludmila Pagliero (les 25 et 4 mars). Heureux Karl Paquette ! Partenaire attentif mais un peu éteint avec sa Tatiana d’origine, Ludmila Pagliero (projetant peu également), il s’est trouvé comme transfiguré lorsqu’il était aux prises avec la belle espagnole de Stuttgart (le 25/02), un compromis entre la ligne étirée d’une Marianela Nuñez et l’engagement dans le partenariat d’une Cojocaru si l’on en croit Cléopold (4 mars). La demoiselle se laissait porter sur la vague de ses inflexions à la fois assurées et passionnées. James, chatouilleux sur la question des droits individuels et collectifs, a fait remarquer que l’Opéra avait moins communiqué sur la venue du beau monsieur que sur celle de la jolie madame de Stuttgart. Si près de la journée de la femme, nous pensions qu’il fallait le mentionner.

LE ROI EST MORT. VIVE LE ROI ET TOUT LE TRALALA…

L’un des pics émotionnels de la série d’Onéguine aura été la soirée d’adieu d’Isabelle Ciaravola.

Les Balletonautes ne se sont pas privés de boire à la source de la toute première Tatiana nationale, nommée sur ce rôle bien tardivement. Cléopold s’est extasié sur sa capacité à rentrer dans la peau d’une adolescente malgré son physique de diva (le 4/02), James a savouré sa représentation du 16 mars et Fenella celle du 25 avant de tous se retrouver à la grand messe des adieux le 28 février. C’est James qui a célébré

« Son pied à l’affolante courbure, ou bien la demi-pointe si finement marquée qu’on jurerait que le chausson est un gant, ou encore l’immense – que dis-je ? – l’infini des jambes. Mais il y a aussi le regard d’aigle, profond, perçant, la chevelure de jais, et puis les doigts et les bras qui disent tant. »

Son  partenaire, Hervé Moreau, a bâti un personnage dont la froideur avait la pesanteur marmoréenne du tombeau. Les Balletonautes ont admiré son parcours silencieux, son aura mystérieuse et son déchirement final, si tragique parce que venu trop soudainement et trop tard.

Chacun s’est néanmoins félicité d’avoir pu admirer l’astre Ciaravola  un autre soir que celui où elle a disparu sous une pluie d’or de paillettes étoilées. Ce genre de soirée est paradoxalement peu propice à l’émotion habituellement distillé par une représentation. Tout le monde, sans s’en rendre compte, semble se réserver pour la suite…

Dans le genre « grand messe », il y a aussi la nomination.

C’est censé être inattendu. On vous dit que cela couronne une représentation exceptionnelle mais dans le même temps, il faut déplacer le directeur de la danse et le directeur de l’Opéra sur scène qui se sont concertés afin de prendre une décision somme toute administrative.  Un nomination n’est donc jamais une « surprise » pour le principal intéressé et sa représentation s’en trouve nécessairement altérée. Il y a donc peu de chance pour que le spectateur assiste à un moment d’exception.

Bien que la date ait pu surprendre (moins d’une semaine après les adieux d’Isabelle Ciaravola et le jour initialement prévu pour ses adieux), les Balletonautes se réjouissent néanmoins de la nomination d’Amandine Albisson car ses représentations du 24 et du 26 février ont montré tout le potentiel de la demoiselle aux côtés d’un Josua Hoffalt à la colère juvénile. Pour reprendre la formule de Cléopold : « Tout cela est encore un peu vert, mais possède les charmes et les promesses du printemps. ». Comme lui, James a été touché par cette Tatiana « qui n’a pas craint d’exprimer le déchirement intérieur de Tatiana jusqu’à la laideur ». Dans le pas de deux final, pour l’un de ses effondrements dans les bras d’Onéguine, l’une de ses jambes en attitude « semblait une branche morte ».

Alors, nommée trop rapidement, Amandine Albisson ? A vingt-quatre ans, quand on est danseur, on n’est plus si jeune que cela. La génération Noureev a été souvent promue beaucoup plus jeune. Alors ne faisons pas la fine bouche et saluons le fait que, pour une fois, la directrice de la danse ne nous a pas offert une énième étoile carte vermeille. Une nomination cela n’est pas un bâton de maréchal mais bien un pari sur l’avenir. Amandine Albisson est nommée au bon moment dans la carrière d’un danseur, à elle maintenant de devenir une étoile. Elle en a les moyens mais surtout le temps.

RICHESSE ET DIVERSITE DES JEUX D’ACTEURS

En dépit de toutes ses péripéties, la série des Onéguine aura été globalement enrichissante pour les spectateurs assidus que nous sommes. Les Tatiana furent presque toutes personnelles et attachantes ainsi que l’a si bien dit Fenella.

« Si Ciaravola utilisait son corps pour transcrire de longues notes tenues d’Aria qui vous convainquent d’avoir entendu la brise chanter avec elle, Alicia Armatriain vous apportait des bourrasques et des micro climats étonnamment tempétueux tandis qu’Amandine Albisson incarnait un ciel lumineux s’assombrissant lentement avant l’averse.»

Chez les Onéguine, on a été frappé par la différence fondamentale entre l’approche « française » du rôle et celle de l’invité de Stuttgart. Dans la compagnie de Cranko, le personnage éponyme du ballet reste jusqu’au bout le produit de son éducation. L’approche d’Evan McKie, très prédatrice, est d’ailleurs assez proche de celle de Jason Reilly (un autre danseur-pompier de Stuttgart : il avait remplacé Johan Kobborg, blessé, aux côtés d’Alina Cojocaru à Londres l’an dernier). A Paris, les Onéguine sont plus « tragiques ». Les repentirs de messieurs Moreau, Paquette et Hoffalt sont sincères. Ils trahissent de fait Pouchkine mais recentrent un peu le ballet sur le personnage principal masculin. Lorsque Onéguine est trop détestable, on a envie d’appeler le ballet « Tatiana ».

Deux Lenski très différents ont dominé notre série. Mathias Heymann (le 4, 23 et 28/02), sa clarté naïve, et Fabien Révillion (les 24, 25, 26/02 et le 4/03), écorché et fataliste. Il était particulièrement agréable de remarquer la nouvelle maturité artistique du second. La scène où il repousse les deux sœurs éplorées venues le dissuader de se battre restera dans nos mémoires avec ses deux sissonnes modulées qui avaient l’éloquence d’un cri.

Tout n’a pas été aussi bien pour Marc Moreau (le 16), que James a trouvé trop vert pour le rôle ni surtout pour Florent Magnenet qui a délivré une interprétation brouillonne, aussi bien dramatiquement que techniquement, du poète malheureux.

Les Olga auront été techniquement d’un niveau plus homogène mais très individuelles dans leurs interprétations : Charline Giezendanner (les 4, 16, 23, 28/02), charmante tête folle ; Eve Grinztajn (les 10, 25/02 et le 403), élégante, d’ores et déjà une Tatiana en puissance, et enfin Marion Barbeau (les 24 et 26/02), jubilante, téméraire, et délicieusement terre à terre.

Les Balletonautes se sont rendu compte rétrospectivement qu’ils avaient été bien légers avec les Princes Grémine. Ce rôle de caractère a pourtant son importance dans le ballet puisqu’il vient donner une indication sur le genre de vie que Tatiana mène après la brève et dramatique expérience de son premier éveil à l’amour. Fenella et James ont bien parlé de Karl Paquette (les 4, 23 et 28/02), mari solide mais peu exaltant mais n’ont pas rendu suffisamment hommage à Christophe Duquenne (les 10 et 25/02), Grémine conscient de sa position de « second » dans le cœur de sa femme mais néanmoins aimant. On a profondément regretté d’avoir été privé de son Onéguine. Annoncé comme remplaçant pour la deuxième série consécutive, il n’a obtenu aucune date. Vincent Cordier (les 24, 26/02 et 4/03), enfin a fait dire à James qu’au bras de ce mari attentionné, on pouvait « s’accrocher les jours de grand vent ».

Dans cette peinture intimiste, à l’instar de l’Opéra, les chœurs dansés ont leur importance. Les grandes diagonales de jetés qui clôturent la première scène, les deux scènes de réceptions des acte deux et trois, la théorie (plus Chateaubriand que Pouchkine) des fantômes des femmes passées au bal des Grémine. Tous ces passages ont été ciselés par le corps de ballet. Les danses de caractère claquaient du talon avec une énergie revigorante. Dans les passages joués en revanche, et surtout pour l’anniversaire de Tatiana, on aurait aimé que les garçons et les filles mènent leurs pantomimes de séduction de manière plus naturelle. La peinture des invités plus âgés confinait quant à elle au carton-pâte. Cela nous avait paru mieux réglé à la dernière reprise.

Rien de suffisant en somme pour nous gâcher le plaisir, d’autant que la partition de Tchaïkovski rassemblée en 1965 par Kurt-Heinz Stolze brillait sous la baguette assurée de James Tuggle à la tête d’une formation de l’Opéra de Paris qu’on n’avait pas vu aussi disciplinée depuis longtemps.

Onéguine… Bientôt une reprise ? Nous votons « pour ».

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Onegin: “Leave the ashes, what survives is gold.” *

P1050181ONEGUINE by John Cranko at the Palais Garnier in Paris
Tuesday, February 25: Amatriain, Paquette, Grinsztajn, Révillion
Wednesday, February 26: Albisson, Hoffalt, Barbeau, Révillion

This past week, anticipation of Isabelle Ciarvola’s farewell performance kind of sucked up the energy of many of us devoted spectators. But…

“The high that proved too high, the heroic for earth too hard,
The passion that left the ground to lose itself in the sky,
Are music sent up to God by the lover and the bard;
Enough that he heard it once: we shall hear it by-and-by.” [Robert Browning, Abt Vogler]

Other voices need to be heard too. And these two casts gave new music to us who live far beneath the sky, and new alchemies that spun distinct varieties of gold.

If Ciaravola used her body to transcribe long arcs of arias where you suddenly are convinced you hear the breeze sing along with her, then Alicia Armatriain (stepping in from Stuttgart for the injured Ludmila Pagliero) provided flickering and unexpectedly thunderous microclimates while Amandine Albisson embodied a luminous sky slowly darkening toward heavy rain. Each Tatiana, then, created her own kind of weather.

“Ah, but a man’s reach should exceed his grasp,
Or what’s a heaven for?” [Andrea del Sarto]

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Alicia Amatriain and Karl Paquette as seen by Cléopold on the 4th of March

Armatriain belongs to the reckless tribe of Alina Cojocaru and Marcia Haydée, each only interested in sucking out the emotional nectar deep inside the combination of steps and shapes demanded by their choreographer. Even at the risk of awkwardness, they trust us in the audience be their camera, their mirror, their oxygen, their adrenaline. Our guest Tatiana can do beyond 6 o’clock, but when she does 190 degrees sideways – almost flattening Lensky – the intent, the urgency of why she has pounced upon him, has everything to do with entering into the emotional pitch of the moment.

Armatriain dances and acts her role as if she were a thoroughbred filly, tense and hyper-reactive. So changeable that two bad movies about Van Gogh came to mind: scenes of where the genius slaps blobs of color onto canvas seemingly arbitrarily but then suddenly we see the sky fill with stars. But a superb horse, like a superb painter, is always slightly unhinged: will he fly across the steppes or smack into a wall? That’s how scary and unpredictable her jumps into and out of Onegin’s arms – the reckless way she pushed up off of his hands! — could feel.

Find the scene in Nils Tavernier’s film “Etoiles” where, just before a performance of Doux Mensonges, Wilfried Romoli tries to rein in Celine Talon’s “ick-eek-eek!” response to one of those trickily calibrated lifts where Jiri Kylian seems to slyly honor to his mentor, John Cranko. Somehow last Thursday the opposite happened, and thus Paquette could concentrate on carving out his own Onegin. Armatriain’s abandon visibly freed him up to react to, not anticipate, all she threw at him: “Well, if she’s not afraid I’ll drop her then I’m gonna have fun here too!”

Here alchemy happened and Karl Paquette finally got a chance to stop being stereotyped as “Mr. Nice Guy Reliable Partner” and let fly. His Onegin grew in confidence and became lithe and loose and even greedy. Do you remember the enormous grin that crossed your face when you leapt onto the upper saddle of a see-saw, hoping to knock the other grinning kid sitting down at the ground way up in the air? That’s what their partnering kept feeling like (I mean the word “felt”: I caught myself twitch in response, and realized the person in front of me did as well).

The Letter/Dream scene took on a special flavor, as if this were partly Onegin’s dream too. As if it illustrated an epiphany. I sensed perhaps I was simultaneously witnessing Onegin’s first reaction to reading her letter. A bright electric flash of joy – “could this be something I could feel?” I could imagine his pulse thickening at soon as he started perusing her missive, briefly alive, until the moment he folded it up again and sighed “what might have been.” This duet, conceived to illustrate an interior monologue, became a dialogue.

Joy and release within reach, the “Spring Waters” Soviet-style crotch lift – and other lifts – that Cranko so tenderly re- appropriated  here seemed to really come out of nowhere and everywhere. James Tuggle, a most sensitive conductor who actually watches the stage throughout, sometimes gently stretches out the musical line to give his couples time to get into lift-off position. This night he didn’t have to, and accelerated.

Less chilly, Paquette’s Onegin had an eye for the women from the start. He reminded me that Pushkin makes Onegin tease Lensky: “if I were a poet, I’d have picked this one instead.” A slightly avuncular tinge also signaled the patronizing (and so cruel in its own way) speech with which he will return Tatiana’s letter in the original text. So, when haunted by the ghosts of women past, you could understand what he had thought he had seen in each will o’ the wisp that passed through his arms. And all the regrets of so many lives not lived to the full.

“Escape me?
Never – Beloved!
While I am I, and you are you,
So long as the world contains us both,
Me the loving and you the loth,
While the one eludes, must the other pursue.” [Life in a Love]

If, in my opinion, Hervé Moreau’s Onegin of the 23rd surely headed out to drown in the Neva, Paquette’s of the 25th will probably drink himself to death while savoring every single morsel of his memories. Josua Hoffalt’s Onegin of the 26th, on the contrary, will just shut himself away in darkened rooms and slowly – and most determinately — let himself starve and fade away, staring angrily at his own reflection.

“Best be yourself, imperial, plain and true!” [Bishop Blougram’s Apology]

The conductor James Tuggle, Albisson, Hoffalt, Barbeau and Révillion on February 26, 2014

The conductor James Tuggle, Albisson, Hoffalt, Barbeau and Révillion on February 26, 2014

For last Wednesday Hoffalt’s Tatiana, Amadine Albisson, seemed as milky and addictive as curds and whey. Here all the lines were pure and cleanly shaped, all the steps full out, but never wild. She’s too young to channel Rachel or Callas the way Ciaravola now knows, but she’s mature enough to trust herself. Thus, her simple – but not simplistic – approach to the role reminded me more of Romy Schneider’s hope-filled (but in no way saccharine) Sissi than the still and sad-eyed Elisabeth she would later learn to evoke for Visconti. Men have told me their eyes were somehow drawn to the nape of Schneider’s neck, as I was to the way Albisson arched hers.

She was up against some partner: Hoffalt, irritable and nervy as if he were fleeing more than boring St. Petersburg society. As if he had already killed someone and needed time – and not more annoyances – to figure it out why he still needed to be alive. His pure and plucked-taught lines grew out of the energy of the music (and one day he will learn to bring this same commitment to those Petipa princes) and meshed with Albisson’s.

“My sun sets to rise again” [At the ‘Mermaid’]

On both nights Fabien Révillion’s varied and apt attack, his rhythmic and assured punctuation of perfectly executed and extenuated steps all free of hops and bobbles, made me wonder where this youth-filled poet had been all my life. Steps are only, after all, metaphors for words. Perhaps Lensky has delved too deeply into the German Romantics, but this one filled out his steps and let us watch him grow from a boy into a man overnight. A goofy grin and fleet-footed gayety gave way to a wrenching solo on the eve of the duel where he too let go of the expected. This Lensky punched at the air with all the force in his body, tried to slap at the sky, and seemed to want to yell at his younger self for bringing on the fate bearing down on his body. Where Heymann begged succor from the moon, Révillion’s outstretched arms cursed it. Arching backwards, he seemed to understand how foolish he had been to only smile for so many wasted years before daring to kiss either Eve Grinsztajn’s bewitching or Marion Barbeau’s touchingly forthright and sunny Olga. Révillion’s and Barbeau’s lines, sense of weight, and complementary look bode for an adorable partnership. I hope to see them paired again in a ballet with a happy ending.

“Lo, life again knocked laughing at the door!
The world goes on, goes ever, in and through,
And out again o’ the cloud.” [Balaustion’s Adventure]

*“Leave the ashes, what survives is gold.”  is taken from Robert Browning’s  « Rabbi ben Ezra. »

 

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