La Dame aux Camélias : « Cheveux au vent »

P1010032La Dame aux Camélias – Neumeier/Chopin, représentation du 3 octobre

La coiffure d’Hervé Moreau fait casque. Un rien trop longue, comme il sied à un héros romantique ayant d’autres soucis que le coupe-tifs, elle lui colle au visage, mouillée de sueur, après chaque épisode critique. La mise en scène de Neumeier érotise la chevelure : libérée du Duc, Marguerite lâche son chignon (pas de deux en blanc à la campagne). Quand elle retrouve aux Champs Élysées l’amant qu’elle a quitté par devoir, et qu’il se penche à ses pieds pour ramasser son bouquet de fleurs, elle se retient de poser sa main sur ses cheveux, comme autrefois. Et plus tard, au théâtre, c’est croyant reconnaître la tignasse de l’être aimé qu’elle se jettera au hasard sur un chevelu qui passe. Olympia se fait rabrouer quand elle veut caresser la tête d’Armand pour le consoler de sa panne, et c’est à peine recoiffé de ce collage de substitution qu’il se lance dans le pas de deux au noir.

L’émouvante adéquation du danseur au rôle ne tient pas qu’au capillaire, mais le cheveu en bataille symbolise assez bien l’emportement, l’excès, l’exaltation qu’Hervé Moreau apporte à son personnage. Ses mains paraissent immenses tant elles vibrent. Les lignes semblent infinies mais il sait les casser, se pliant aux arêtes de la chorégraphie, jusqu’au furioso (le fameux passage du fin de l’acte deux, qui lui valut il y a quelques années de se bousiller le genou contre un projecteur, et qui laisse le spectateur groggy).

Voir Aurélie Dupont dans la Dame après Mlles Letestu et Ciaravola, c’est comme entendre Cheryl Studer en Violetta alors qu’on a encore Ileana Cotrubas et Maria Callas dans l’oreille. Il y a toutes les notes, mais l’émotion n’est pas là. Ce n’est pas que Mlle Dupont ne s’investisse pas, mais c’est que sa présence scénique reste trop standard.

Au premier acte, sa posture de Parisienne chic n’est pas gênante : c’est une option possible, et Moreau danse avec une exaltation propre à réchauffer toutes les banquises. Mais assez vite, on s’aperçoit que le jeu de Mlle Dupont manque de variété et d’à-propos. Cela se manifeste à quelques détails mineurs (le passage de la danse espagnole  – en robe rouge – dans la scène du bal de l’acte I, où il faudrait jouer un petit rôle avec les bras, est mené platement), et, de manière plus regrettable, à des moments cruciaux.

Le plus problématique, à mon sens, est que Mlle Dupont ne projette aucune parcelle de fragilité. Son monologue intérieur au théâtre des Variétés (en écho au ballet de Manon) ne laisse pas voir le sentiment du doute. Lors de la scène de campagne avec Monsieur Duval, sa véhémence est trop assurée (on ne dirait pas qu’elle dit : « laissez-le moi », mais plutôt : « il m’appartient »). Durant le bal du troisième acte, où Armand malmène son ancienne amante, trois couples dansent côte à côte, dans une différence de style qui résume toutes les tensions précédentes  : à gauche, Armand saoul badine avec une Olympia toute de sensualité, à droite, Gaston et Prudence font dans le rangé et l’inquiet. Au centre, Marguerite tente de faire bonne figure au bras du Duc (Laurent Novis, trop attentionné) : Mlle Dupont, à ce moment précis, danse petit, comme embarrassé, au lieu d’écroulé. C’est trop lisse, trop peu abandonné. Le personnage reste opaque, et ne lâche jamais les chiens. Il n’y a pas de détail personnel qui accroche et fait la ballerine unique, reconnaissable au premier coup d’œil, et inoubliable (par exemple, chez Letestu, les mille nuances de l’expression et le moussu du mouvement, ou chez Ciaravola, les gambettes qui s’affolent dans certains portés).

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1 commentaire

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Une réponse à “La Dame aux Camélias : « Cheveux au vent »

  1. Noor

    Cela m’inquiète un peu pour demain, mais puisque Agnès Letestu a pu sauver Signes à elle seule, peut-être Hervé Moreau sera-t-il l’occasion d’une rencontre dont on se souvient…