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Manon à Londres : pertes de contrôle

Manon, chorégraphie de Kenneth MacMillan, musique de Jules Massenet, Royal Opera House, soirée du 3 octobre 2019

Le Royal Ballet fait sa rentrée avec l’indémodable Manon de MacMillan, reprise à Covent Garden au moins une saison sur deux. La compagnie maîtrise le ballet sur le bout des doigts : les scènes de groupe et de genre fourmillent de détails annexes qu’on prend plaisir à découvrir ou retrouver. Alors qu’à l’Opéra de Paris on s’esbaudit du fini très chic qu’apportent les danseurs de la Grande Boutique à la partition, à Londres on s’enchante de les voir raconter à chaque instant une histoire – par exemple lors du trio des gentilshommes de l’acte II, souvent impeccable à Paris, et plus bouillonnant à Londres.

La scène de l’auberge prend quelque temps pour démarrer vraiment. En Lescaut, Valentino Zucchetti danse avec ostentation, sans ravir de précision (il sera plus convaincant fin soûl), et on a déjà vu des mendiants – emmenés par Benjamin Ella – un rien plus vifs sous leurs guenilles. Beatrix Stix-Brunell, en revanche, a la grâce un rien chaloupée et l’épaulement traînant qui siéent à la maîtresse de Lescaut.

Lauren Cuthbertson n’est pas le genre de ballerine pour laquelle je vendrais un rein (comme y oblige parfois le prix des places au Royal Opera House) : malgré d’indéniables qualités techniques – notamment un joli ballon et une grâce primesautière, qui fait mouche dans Giselle –, elle ne m’a pas toujours convaincu du point de vue dramatique. Ainsi, elle m’a paru trop réservée en Juliette, et un peu trop upper class en Aurore. Sa Manon emporte pourtant rapidement l’adhésion, tant par sa fraîcheur que son engagement.

Est-ce parce qu’elle danse avec Matthew Ball, qui fait sa prise de rôle en Des Grieux ? Lorsqu’il a commencé à danser en soliste, le jeune Principal m’avait davantage frappé par ses qualités dramatiques (souvent en duo avec Yasmine Naghdi) que par sa maîtrise de l’adage. Mais son Albrecht presque idéal de 2018, comme sa puissante incarnation en Cygne masculin chez Matthew Bourne, également l’année dernière, ont achevé de me convaincre qu’il faudrait suivre tous ses débuts.

Lors de l’acte I, la parade d’approche du Chevalier en direction de Manon, qui fourmille en tours planés sur le contrôle, laisse le spectateur sur la réserve (pour atterrir immanquablement comme une fleur, il faut être de la trempe d’un Vadim Muntagirov ou d’un Friedemann Vogel), mais les accents et les intentions sont tous là ; et malgré un quasi-déséquilibre quelques secondes avant, on fond lors des derniers tours finis à genoux. Par la suite, Ball fait un sans-faute, se montrant notamment bouleversant dans le solo de la scène chez Madame, qu’il termine comme tout tremblant, ou dans le désespoir face à la mort de l’aimée.

La Manon de Lauren Cuthbertson est mutine plus que naïve, aussi maîtrisée dans son rapport au monde extérieur qu’emportée dans le cercle intime, qu’il s’agisse des embrassades sans façon avec Lescaut (Zucchetti et elle, qui ont tous deux le visage en arêtes, paraissent véritablement apparentés) ou – surtout – de la relation amoureuse. Son sourire extatique lors du fameux pas de deux de la chambre ne paraît pas chiqué, et elle a une façon toute particulière à la fois de coller et dégrader légèrement les trois derniers doigts de la main, qui font comme une feuille caressante. Sa sensualité à l’égard de Monsieur G.M. (le toujours impeccable Bennet Gartside) comme avec les gonzes perruqués de la scène de lupanar paraît au contraire toute de commande. Après les retrouvailles avec Des Grieux, Mlle Cuthbertson crée un subtil écho avec les Scènes de Ballet d’Ashton (pièce qu’elle a dansée lors de la saison 2010-2011), dont une des séquences consiste pour la ballerine à crâner avec ses bracelets. Je n’en jurerais pas, mais j’ai eu l’impression que vers le début du pas de deux final, ses bras étaient tellement saisis d’abandon qu’elle en a presque giflé son partenaire. Volontaire ou fortuit, le geste concourt à faire de la scène finale un poignant climax.

Photograph by Alice Pennefather, courtesy of ROH

Photograph by Alice Pennefather, courtesy of ROH

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Manon à l’ENB : Alina, « Comme un moineau ».

Manon, chorégraphie Kenneth MacMillan, musique Jules Massenet, production de l’ENB – Londres – 20 janvier 2019

Il est difficile d’évoquer une artiste d’exception sans tomber dans le superlatif béat. Après avoir fait, il y a quelques mois, l’aller-retour à Londres pour voir Alina Cojocaru dans Sleeping Beauty, j’avais renoncé à en parler, tant j’avais le sentiment que ma plume échouerait platement à retracer l’expérience de la scène. Mais – ne reculant devant aucune vilénie – l’administration des Balletonautes menace de ne pas rembourser ma suite au Savoy si je n’écris dare-dare au moins un feuillet. Je m’exécute donc du mieux que je peux, tout en réclamant votre indulgence (pas la peine d’envoyer des lettres d’insultes au rédac-chef, pour me dédommager, j’ai pillé le minibar).

Sans compter les vidéos, j’ai vu près d’une dizaine de distributions de la Manon de MacMillan, certaines remarquables, d’autres oubliables, certaines très pensées, d’autres plus viscérales. Aucune incarnation ne m’a paru aussi à fleur de peau que celle de la ballerine roumaine. À bientôt 38 ans, Alina Cojocaru déploie dans ses incarnations scéniques une intelligence dramatique hors de pair, tout en donnant l’impression sidérante d’une fraîcheur sans calcul, au point que la danseuse semble disparaître derrière le personnage. Son arrivée à l’auberge est un modèle de simplicité. On croirait un oiseau qui sort du nid, et découvre, intrigué mais un rien apeuré, le monde extérieur. Elle a dans le regard quelque chose de téméraire et fragile, et on est conquis d’emblée par ce « fonds inépuisable de charmes » qu’évoque le chevalier-narrateur du roman de Prévost.

À fleur de peau, ai-je dit ? N’en déduisez pas que le personnage est campé de manière superficielle. Au contraire. Mais il est à la fois très lisible dans ses élans et très opaque dans ses motivations. Durant le pas deux de la chambre, Cojocaru laisse flotter ses mains dans l’air, risque des torsions d’épaule charmantes, et n’oublie pas de glisser une tendre caresse sur la joue de son partenaire avant un porté acrobatique. À la fin d’une scène d’amour sur le fil du déséquilibre, le spectateur est aussi groggy que les protagonistes.

Alina Cojocaru and Joseph Caley
in Manon. Photography Laurent Liotardo courtesy of ENB

Puissamment sensuelle, la Manon de Cojocaru est aussi fondamentalement insaisissable. Certaines interprétations jouent la duplicité, montrent une courtisane contrôlant ses effets. Rien de cela avec Cojocaru, qui semble s’absenter d’elle-même dans la scène de la fin de l’acte I avec Monsieur G.M., comme durant la fête chez Madame. À ce stade, rien de ce qu’elle vit ne semble la marquer : à la fin de l’acte II, elle retrouve même les accents désinvoltes des premières scènes pour signifier à son amant qu’elle souhaite garder le bracelet offert par son protecteur. Tout change au début de l’acte III, où l’exilée descendant du bateau n’a presque plus d’énergie (généralement, les interprètes montrent que Manon ne tient plus sur ses pointes, là, la ballerine ne fait presque pas l’effort d’y monter). Je ne peux pas vous raconter la scène du geôlier ni celle de la mort, j’ai trop pleuré.

Joseph Caley, qui a rejoint l’English National Ballet en 2017, et danse depuis régulièrement avec Mlle Cojocaru, m’avait davantage convaincu en Désiré – où l’on pouvait admirer son très beau cou de pied – que cette fois-ci en Des Grieux, un rôle qui requiert des qualités – un tantinet contradictoires – d’élégance et d’exubérance. Mais il a le mérite de suivre sans faillir sa partenaire dans son imprudence technique.

Le décor de la production de l’English National Ballet est chichement stylisé mais pas gênant à défaut de marquant. En revanche, les costumes sont plutôt ratés, notamment à l’acte II, où les jupes des filles sont à la fois disgracieuses et vulgaires, et les garçons font figure de pantins poudrés. Et puis, la jeune fille en travesti a trop de formes et trop peu d’habit pour faire illusion.

Joseph Caley et Alina Cojocaru dans Manon. Photography Laurent Liotardo courtesy of ENB

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Manon dernière : Marchand de bonheur

P1050181L’histoire de Manon 20/05/2015.

Lorsque que Hugo Marchand entre dans la foule bigarrée imaginée de concert par MacMillan et Nicholas Georgiadis, grand, le visage régulier sans expression particulièrement définissable, absorbé dans son livre – qu’on suppose de messe, étranger aux deux courtisanes qui lui collent aux basques; l’une feint même de s’intéresser à sa pieuse lecture –, on ne sait pas trop à quoi s’attendre. Une certaine radiance, un peu pâle tout de même, pourrait être de bon augure. Mais on se dit que de toute façon une bonne part des attentes du spectacle sera honorée. François Alu fait feu des quatre fers (hélas toujours un peu en force) dans Lescaut. Sa pantomime bravache, aussi riche et remplie de couches qu’un millefeuille, son charme un peu brutal forment un joli contraste dynamique avec le charme naturel un peu bonasse de la maîtresse de Muriel Zusperreguy. Et puis surtout, Gilbert-Manon balaye tous les doutes qu’on a pu avoir sur cette danseuse depuis son retour sur les planches cette saison. Dès le moment où elle fend l’espace au sauté (comment dire autrement) de la malle-poste. On voit d’emblée que sa Manon sera ondoyante mais jamais serpentine ou fausse d’intention. Elle semble déjà pervertie, mais comme à son insu, par son sympathique diable de frère. La façon dont elle repousse les gestes déplacés de son vieux soupirant, à la fois ferme mais bienveillante, nous la fait apparaître comme le personnage éponyme du roman vue au travers des yeux de Des Grieux ; toujours immaculée même au milieu de la fange.

Puis vient le moment de la première rencontre. Et cela commence sur une petite frayeur. Hugo Marchand semble se concentrer sur la ligne, qu’il a très belle, plutôt que sur sa partenaire sagement assise sur sa chaise. Une ou deux fois seulement son regard se tourne directement vers sa Manon. Mais lorsqu’il le fait, le regard est ardent. Tout se résout lorsque débute le premier pas de deux. Dès que les deux danseurs se touchent, ils semblent se dire. « Ça alors, nos lignes s’accordent parfaitement ! Elle : mais c’est que c’est un partenaire de confiance ! Lui : qu’elle va être facile à porter, une vraie plume ». À partir de ce moment, on se retrouve littéralement happé dans le tourbillon de l’histoire. Marchand a réussi ce tour de force pour sa prise de rôle de donner à son Des Grieux les qualités de sa jeunesse, avec ces effondrements du corps d’un enfant à qui on a cassé son jouet, tout en gommant, par son travail en amont, les inconvénients qui viennent généralement avec les jeunes interprètes. Dans le second pas de deux où il pose sa danseuse un peu loin pour l’embrassade finale, il parvient à la tirer brusquement à lui, en musique, rajoutant ainsi une strate supplémentaire d’émotion. Doté d’une arabesque facile, éloquente, il en module l’usage en ne répétant jamais le même pas de la même manière. Un premier piqué arabesque sera suspendu – l’aspiration –, le deuxième précipité – l’exaltation… Tout cela est magnifié par des bras jamais stéréotypés.

Des Grieux-Marchand est donc un héros très proche de celui du roman. À la réflexion, sa première variation, presque extérieure, rappelait ce que dit le chevalier de sa parade de séduction envers Manon où il s’étonne lui-même des moyens qu’il a employés. À la fin de l’acte 1, après le départ de Manon, la confrontation avec Lescaut fait sens. Le frère maquignon n’est plus ce diable sorti de sa boîte que l’on voit trop souvent dans cette scène. Marchand l’accueille d’ailleurs avec chaleur. Lescaut, presque aussi naturellement, lui annonce le merveilleux plan qu’il a échafaudé. Marchand semble d’abord ne pas comprendre, puis se bouche les oreilles, écœuré. La tension monte. Lescaut-Alu s’agace de tant de chichis. Il ne jette à terre le jeune rêveur que lorsqu’il est à court d’arguments.

C’est cette cohérence dramatique de l’ensemble de la distribution des rôles principaux qui mettait en valeur le travail d’acteur foisonnant déployé autour d’eux. Dans la scène chez Madame, Dorothée Gilbert veut paraître en contrôle de la situation, mais son air de sphinge cache mal la terreur que lui inspire son protecteur G.M., surtout lorsque le désespoir naïvement démonstratif de Marchand-Des Grieux se donne libre cours. On remarque alors un détail de jeu qui nous avait échappé jusqu’ici. Avant la scène de jeu truqué, G.M. rentre au bras d’une des courtisanes qu’il malmène rudement. La fille semble terrorisée. On ne s’étonne donc pas lorsque ce sinistre personnage décharge son pistolet sur un Lescaut déjà bien amoché dans la scène finale de l’acte 2.

À l’acte 3, l’inversion des rôles dans le couple, amorcée pendant le pas de deux du bracelet, est consommée. Gilbert-Manon sort du bateau dans un état d’hébétude infantile. L’adulte, c’est désormais Des Grieux qui repousse le geôlier tant qu’il peut, le tue dans la deuxième scène et entraîne Manon dans une fuite en spirale jusqu’à la mort.

Le garçon qui pousse un cri muet sur le corps de sa maîtresse est devenu un homme.

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Manon multifacettes

 L’Histoire de P1010032Manon, représentations des 26, 28 et 30 avril 2015.

À Garnier, la nouveauté est femme. MM. Hoffalt, Magnenet et Ganio ont dansé le chevalier des Grieux en 2012, et durant la même saison, MM. Bullion, Carbone, Bezard campaient déjà Lescaut. La série est en revanche une prise de rôle pour Mlles Pagliero, Pujol, et Abbagnato, qui incarnent chacune une vision très personnelle – et très différente – de l’amorale Manon.

Par la grâce d’un délicat travail de pointes, Ludmila Pagliero incarne une jeune fille toute de fraîcheur (matinée du 26 avril). À l’acte I, on croirait presque à son ingénuité. La danse de séduction de Josua Hoffalt, qui doit replacer ses pieds trop souvent, sent plus l’exercice que l’assaut d’élégance vers la belle. Par la suite, Hoffalt se montre beaucoup plus à l’aise, aussi bien dans la fougue du partenariat que dans l’expression de la douleur – dans son solo désespéré chez Madame, il régale la salle d’une impeccable triple série de pirouettes. Ensemble, Pagliero et Hoffalt offrent de la belle danse, mais à l’acte II, la demoiselle ne trouve pas le ton : dans la danse de parade, elle fait trop grande dame (« c’est moi la princesse », semble-t-elle dire, au lieu de laisser percer sa solitude dorée), et elle ne varie pas suffisamment ses expressions ni sa danse entre cour et jardin : la mobilité des épaules et le tremblé des petits pas sur pointes sont les mêmes tout du long, qu’elle tombe nez à nez avec son amant délaissé ou qu’elle retourne vers son protecteur. En plus, elle casse la ligne de son chausson lors de ronds de jambe à terre censés aguicher tout le monde, et qui font dès lors penser à de laids exercices de barre. On retrouve avec bonheur un bas de jambe primesautier et des agaceries charmantes dans le bout des doigts lors du pas de deux de réconciliation (scène du bracelet). Au deuxième entracte, comme me soufflent deux spectatrices avisées, une impression de fadeur se dégage. La caractérisation dramatique du dernier acte, plus facile, est aussi plus réussie, et je pleure comme une madeleine dès la scène avec le geôlier (glaçant Yann Saïz) et jusqu’à la fin tragique.

Voilà, autour d’Eleonora Abbagnato, un quatuor de mecs qui savent ce qu’ils veulent (soirée du 30 avril). Florian Magnenet, faute de technique éblouissante, a une approche du partenariat très déterminée ; Audric Bezard a le développé conquérant qui sied à la gent militaire. Un Yann Saïz tout de morgue aristocratique montre bien clairement que Monsieur de G.M. n’a pas l’habitude qu’on lui résiste. Une impression que donne aussi, dans un autre style, le geôlier incarné par Aurélien Houette. Et la demoiselle dans tout ça ? Elle appuie trop la touche « sensualité » : Manon est un être d’instinct et d’instant, pas une rouée courtisane ; elle est peut-être une femme-trophée, mais ne s’en enorgueillit pas. Abbagnato fait entrer le personnage dans une case – la jolie fille qui sait son pouvoir sur les hommes –, et il n’en sort plus. Ce n’est pas désagréable à voir, mais ce n’est pas mon idée de Manon.

L’interprétation de Laëtitia Pujol, dont on a déjà parlé ici, est la plus marquante (soirée du 28 avril). Que dire qui n’ait été signalé ? Il y a l’éloquence des bras et des épaules, et un style délicieusement flexible : Pujol est elle-même avec des Grieux-Ganio, en représentation, ou comme absente avec les autres. Au cours de la vénéneuse séquence des portés avec les gentilshommes chez Madame, Manon est propulsée dans les airs; son bras droit pointé vers le ciel, collé au visage via une ondulation de l’épaule qui n’appartient qu’à elle, Laëtitia Pujol fait de Manon une allégorie. Ce n’est plus une femme, c’est un destin (Mlle Abbagnato pollue le passage par afféterie : elle ajuste le bras après avoir atterri, et ajoute un mouvement de poignet).

On croit entendre parler Pujol. Ainsi dans la poignante scène de ménage de la fin du 2e acte, quand des Grieux veut lui faire renoncer à son bracelet. Tout y passe : dénégation (« ah, ça ? mais je n’y pensais plus »), plaisanterie (« je l’ai plumé, on s’en fiche bien »), forfanterie (« mais c’est à moi »), coquetterie (« il me va si bien »), rébellion (« je l’ai gagné quand même »), nostalgie (« c’est tout ce qui me reste »), exaspération (ça va être ça, notre vie à deux? »), renoncement… Ce passage est le début de la fin : Manon franchit un pas de plus dans la déprise de soi dans la scène avec le geôlier (la ballerine laisse tomber les épaules, affaisse le sternum, laisse échouer sa tête entre les jambes de l’affreux jojo), avant la scène de la mangrove où ses membres prennent l’écorce du bois mort. Ce serait injuste de ne pas parler de Ganio, le seul qui fasse de l’adage du premier acte une vraie parade, dont tous les changements de direction font sens. Au dernier acte, même crasseux, il est classe.

La maîtresse de Lescaut la plus attachante est Muriel Zusperreguy : elle a dans le bas de jambe la minutie requise, et un discret charme sans façons. Elle supporte d’un air amusé et compréhensif les étourderies de son cavalier saoul (Alessio Carbone, matinée du 26 avril). Ce pas de deux d’une drôlerie irrésistible est bien enlevé par Alice Renavand et Stéphane Bullion (28 avril), mais c’est le duo formé par Audric Bezard et Valentine Colasante qui emporte la palme (30 avril) : plutôt que de multiplier les grimaces, Bezard s’invente un regard figé, vitreux, et les deux danseurs parviennent à donner une impression de brouillonne improvisation. Bezard est, plus globalement, le Lescaut le plus acéré, même si, dans sa variation du premier acte, il ne ferme pas bien son pied droit dans les sauts en double retiré. Mais il danse grand, ce qui, vu sa taille, donne une impression bluffante. Dans la partie des trois gentilshommes, MM. Révillion, Bittencourt et Marchand font un grisant unisson : même style, même stature (26 avril). Le trio est moins assorti quand Allister Madin remplace Bittencourt au pied levé (28 avril). Et le 30 avril, entre Madin, Ibot et Marchand, le dernier est trop grand.

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Manon : un subreptice instant de pureté

P1010033« L’Histoire de Manon », Kenneth MacMillan. Opéra de Paris. Représentation du 20 avril 2015

Revoilà donc Manon et ses fastes rougeoyants et déliquescents. Et voilà qu’encore on voudrait résister aux références picturales pour être original. Mais il n’y a rien à faire, Laëtitia Pujol  est décidément un Nattier, à la danse bleutée, qui débarque dans les carnations sucrées d’un Boucher. Son premier pas de deux avec Des Grieux-Ganio est tout frisson. Les bras de la demoiselle ne cessent d’ondoyer comme des ramures de saule sous l’effet d’une tiède brise d’été.  Comme ce couple est d’emblée bien assorti ! Leur pureté technique reflète métaphoriquement leur innocence. À peine remarque-t-on, à la fin du pas de deux,  que la demoiselle s’enfuit avec la sacoche de son vieil admirateur. Après cette entrée en matière quasi-angélique,  le pas de deux de la chambre, où l’entente est toujours aussi bonne, manque parfois encore de lié. Ganio a la ligne éloquente mais ses pieds naviguent un peu trop dans les réceptions.

À l’acte 2, chez Madame (Viviane Descoutures, qui interprétait déjà ce rôle à la création parisienne en 1990), Pujol parvient à gommer le côté quelque peu schizophrène du personnage (il fut, rappelons le, chorégraphié sur deux danseuses très différentes). Mais cette ballerine sait entrer dans un rôle sans le raboter, en le « pinçant » sur ses propres qualités. Ainsi, sa variation de séduction est comme « heurtée ». Les bras sont aguicheurs en diable mais le reste du corps est juste efficace et absent à l’action. Pour le pas de six avec les garçons, même rechignant à rester dans ses bras, elle parait plus libérée quand Des Grieux la touche et perturbe son manège de séduction que lorsqu’elle reçoit l’hommage de ses partenaires ensorcelés.

Lorsque, dans la salle de bal désertée, les deux amants se font face, Manon, le dos à la chaise, froisse nerveusement la veste blanche de son ancien-futur amant. Après la fuite de chez Madame, Ganio sait comme personne se figer à chaque fois que son regard rencontre le bracelet que sa compagne voudrait garder en souvenir de sa vie de luxe… C’est parfois, dans ces silences chorégraphiques que le couple Ganio-Pujol fonctionne le mieux ; leur immobilité tourbillonne et donne le vertige.

P1090588À l’acte 3 Pujol-Manon, brisée, exprime tout son amour et toute sa confiance par la nuque, délicatement infléchie  pendant une promenade arabesque. Ganio est alors rentré en pleine possession de ses moyens (sa variation du port, devant le geôlier).

Dans le Bayou, les deux amants sont misérables et magnifiques.

Pujol, émaciée, épuisée, ressemble à un papillon qui dans ses derniers battements d’aile diffuse dans l’air une dernière trainée de pollen doré. Trop rare Läetitia Pujol.

Dans les rôles secondaires, Alice Renavand dessine une parfaite courtisane frigide. C’est sec sans sécheresse et aguichant sans être sensuel. Stéphane Bullion en Lescaut  est plus intéressant saoul que sobre. Il cochonne la plupart de ses variations du premier acte.

Lydie Vareilhes était une prostituée en travesti délicieusement gironde et le trio des gentilshommes avait fière allure incarné par messieurs Révillion, Bittencourt et Marchand. Les mendiants ont encore un peu de pain sur la planche. Allister Madin était bondissant mais un peu mou de la pirouette-attitude. Certains de ses comparses étaient aussi désordonnés que leurs perruques. C’est tout dire.

Surprise de cette reprise, Benjamin Pech a fait également une apparition sur scène… dans le rôle de GM. Ainsi, sans doute, honorera-t-il une part de ses dix-sept représentations annuelles. On aimerait simplement qu’il y ait une quelconque plus-value dans la tenue par une étoile d’un rôle de mime. Franchement, je n’ai pas vu la différence.

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Girl, misunderstood: a plot summary for “L’Histoire de Manon” coming soon to the Palais Garnier.

Pauline Montessu dans Manon, 1830

Pauline Montessu dans Manon, 1830

Like other 18th century French classics such as Les Noces de Figaro and Les Liaisons dangereuses, this tale highlights issues of gender and class during the ancien régime.
God, that sounds boring. To restate: this ballet about all kinds of social and sexual relationships will be danced out by extraordinarily limber people wearing really spiffy period costumes. And that’s never boring at all…
L’Abbé Prévost’s 1731 novel continues to perplex readers. Is his rags-to riches-to rags heroine immoral or amoral? A vicious man-eater who merely pretends to be innocent or a clueless innocent corrupted by men and drawn into vice? Or does the pro-active Manon now represent the anti-Cinderella outlook for many enlightened girls?

If there is such a thing as “woman’s nature,” men — from randy politicians to religious zealots — continue trying to figure that one out.
You might know of the more famous adaptations of this tale into operas by Jules Massenet [1885] and Giacomo Puccini [1894]. Sir Kenneth MacMillan certainly did in 1974. In love with the story, working on a deadline for England’s Royal Ballet, he felt hamstrung by two gorgeous scores. How could he avoid making dancers mime to well-known arias? Here’s how: use music by Massenet…lots of juicy bits of it, but not one note from the opera!

ACT ONE (43 minutes)
Scene one: at a stagecoach inn near Paris
The first person we see under the spotlight is Manon’s corrupt and venal brother, Lescaut. Equally at ease with riff-raff and raunchy aristocrats, he first tries to pass off his mistress to the rich Monsieur G.M. and then guffaws when his beggar friends make off with the pompous ass’s watch.
Into this decadent scene stumbles a shy and handsome student, so lost in reading a book he’s utterly oblivious to all the commotion. His name is Des Grieux.
The stagecoach finally arrives, with Manon in it. While still trying to fend off the old guy who was trying to pick her up during the voyage, she’s faced with her brother immediately trying to set her up with the lecherous monsieur G.M. No wonder her parents are sending her to a convent, men just can’t keep their hands off of her. Her fault?
To very delicate music, Manon tries to hold on to her liberty, her freedom to at least choose only one of these disgusting men whom her brother encourages. Lescaut’s mistress flashes lengths of perfect thigh. She wouldn’t mind being propositioned by any of the leftovers.
Then Manon’s eyes meet those of Des Grieux, the first and only man she will ever desire. After all those miming and stumbling old farts, here’s a man who really knows how to dance!
At the end of this scene, we are treated to the first of all the glorious pas de deux [duet]’s that all dance lovers associate with MacMillan: how can two bodies be taken to the limit of push-me-pull-you? The point of each of their duets in this ballet will be about how far you can go without breaking your ankle/wrist or fall down head-first while transmitting pure emotion. And each duet will end with the exquisite ways MacMillan will invent for the lovers to float back down off their high: literally ending up sweeping the floor — oh so deliciously — with their bodies.
The old guy returns only to discover that Manon has eloped with his purse and his carriage. Monsieur G.M. offers Lescaut even more money to find and bring him this tantalizingly frisky creature.

Scene two: in Des Grieux’s humble garret [at least it’s in Paris, not at some awful old dull country mansion].Des Grieux tries to write a letter to his father along the lines of “listen, this is a great girl, please send more money.” He’s from a good family, but doesn’t control his fortune yet.

In love, but bored by watching him write, Manon — to put it mildly — distracts him (see here Cléopold’s second by second analysis).

When he finally tears himself away in order to go mail the thing, Lescaut sneaks in with Monsieur G.M., who tantalizes her with all kinds of promises and jewels and even a fur-lined cape. What girl could resist? O.K., the guy seems to have some kind of foot fetish, but ballerinas have been all vaccinated against that old cliché since, like, forever.
Lescaut stays behind in order to rein in the understandable anguish of a horrified Des Grieux. And to try tempt him to listen to reason. “Why not let her suck that bloodsucker dry? We could all be rich!

INTERMISSION (20 minutes)

ACT TWO (46 minutes)
Scene one: an elegant evening chez a most shady lady
We saw her in the first scene, grandly sweeping along with Monsieur G.M. That was no lady.. .and not his wife either. “Madame” is actually what is known as a “Madam.” Those girls we saw with fans in the first scene were not ladies, but prostitutes.
Swords should be left at the door, but other metaphors may enter.
A very drunk Lescaut arrives, dragging along the reluctant and droopy Des Grieux. Lescaut’s ever-optimistic mistress gets caught – sideways – in the fun.
Manon enters, stunningly outfitted, and is carried aloft à la Marilyn Monroe by besotted customers to the creepy Monsieur G.M.’s proud delight.
Manon’s thoughtless vanity cannot at first be worn down by Des Grieux’s lovelorn glances. When he finally gets her alone, she makes it clear that she loves him, but not his poverty.
Manon tells him what to do: fleece G.M. by cheating at cards…Des Grieux may be cute, but he botches the job. Real swords are drawn. Taking advantage of the confusion, the lovers elope again.
Scene two: back at the garret
The lovers dance all over the bedroom as usual.
At one point, Manon realizes that she “forgot” to leave her jewelry behind…
Bad idea. G.M. knows where to find the love-nest and bursts in with a police escort, dragging along a bound and bleeding Lescaut. He threatens to have Manon arrested for theft and prositution. For the first time in her life, she must face the ugliness of the vengeful cruelty of which some men prove most inclined.

INTERMISSION (20 minutes)

ACT THREE (25 minutes)
Scene one: arrival in New Orleans
A shipload of unfortunate prostitutes have been deported to the New World. Des Grieux’s love knows no bounds: he got himself on the ship by pretending to be Manon’s husband and even seems oddly happy despite the circumstances.
Even broken in spirit and with a shorn head alas alas Manon, despite herself, still attracts unwonted attention.
Scene two: the jailor’s office
This one is gross. The jailor will give her privileges if she…and he forces her to do so. Des Grieux acts out the audience’s shock and kills this gloating perv.
Scene three: lost in the bayou
On the run with nowhere to go, the couple clings to hope in different ways. Haunted by her memories, Manon –not made for this kind of life — dies of swamp fever and exhaustion in the desperate Des Grieux’s arms, completely burned out by the force of other men’s great expectations.

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L’Histoire de Manon : le temps du bilan.

Les adieux de Clairemarie Osta ont marqué la fin des représentations de L’Histoire de Manon, ballet narratif de Kenneth MacMillan qu’on croirait fait pour Londres quand on l’y voit, et pour Paris quand on l’y admire. Le Royal Ballet y déploie son art de la pantomime, le ballet de l’Opéra de Paris lui insuffle un surcroît d’élégance. Et tous deux rendent justice au drame dansé, de l’émotion des premières étreintes à l’horreur du corps en loques.

Réminiscences et hallucinations

Les Balletonautes ont tenté de déclencher une ruée sur les librairies en revenant aux sources de l’histoire : le roman de l’abbé Prévost, qui a connu (et parfois subi) de nombreuses adaptations chorégraphiques  ou lyriques. James, qui a relu les aventures de Manon et des Grieux en pleurant, a aussi présenté les principaux personnages de l’intrigue, tandis que Cléopold a narré  la création du ballet d’Aumer en 1830. Notre intrépide ami y était-il déjà ? Il entretient le doute, et le sort le punit : une capricieuse machine à remonter le temps le projette de temps à autre dans un espace-temps indécis où, à l’ombre d’une loge à Garnier, il rencontre Poinsinet – le vrai fantôme de l’Opéra que nos lecteurs commencent à connaître. Ce dernier est imprévisible : il surgit au premier entracte de la première de la série, mais ne réapparaît qu’au second entracte de la dernière.

Pour se plonger dans un passé toujours actuel, il y a aussi  l’art du pas de deux chez MacMillan, décortiqué par Cléopold, et une vidéo de 1974, vénérable archive réunissant Antoinette Sibley et  David Wall.

Réjouissances et regrets  

Cinq couples étaient initialement programmés durant cette série ; au final, il n’y en a eu que trois et demi. Blessées, Agnès Letestu et Ludmila Pagliero n’ont pas dansé. Du coup, Isabelle Ciaravola a enchaîné les représentations, principalement avec Mathieu Ganio, et en fin de parcours avec Florian Magnenet.

Clairemarie Osta et Nicolas Le Riche, dont le partenariat est éprouvé, ont entamé et fermé la marche. La fraîcheur quasi métaphysique de la ballerine a enchanté James le soir de la première. Cléopold l’a vue moins innocente lors de la matinée des adieux.

Les prestations d’Isabelle Ciaravola et Mathieu Ganio convoquent le souvenir des créateurs du rôle – Antoinette Sibley et Anthony Dowell – et Fenella en profite pour philosopher sur les sortilèges de la beauté. Mlle Ciaravola adapte son jeu à son partenaire et épate aussi Cléopold quand elle danse avec un Florian Magnenet qui s’abandonne aux violences de la passion.

Nous n’avons pas eu l’occasion de voir Aurélie Dupont, Josua Hoffalt et Jérémie Bélingard. Mais les représentations auxquelles nous avons assisté nous ont convaincu, s’il en était encore besoin, de l’importance des seconds rôles. Fenella nous livre à ce propos de piquantes réflexions autour d’Audric Bézard, Stéphane Bullion, Aurélia Bellet et Alice Renavand.

Sans prétendre dresser un palmarès complet, quelques notations cursives. Alessio Carbone s’est montré un brillant Lescaut, aussi pervers que solaire. Nolwenn Daniel tire son épingle du jeu en maîtresse du frère corrupteur. Dans la série des G.M., Stéphane Phavorin – au premier chef – mais aussi Arnaud Dreyfus comme Éric Monin, rivalisent de morgue, de lascivité et d’expressivité. On a adoré haïr Aurélien Houette en geôlier. Tous les chefs des mendiants que l’on a vus – MM. Madin, Vigliotti, Alu – étaient grisants de légèreté.

N’oublions pas, enfin, que le sort a été bien cruel pour Christophe Duquenne. Nullement blessé, mais faute de partenaire, il a dû céder sa place en des Grieux. Ce rendez-vous manqué est sans doute un crève-cœur pour lui, et une déception pour ses admirateurs. Espérons qu’on donnera vite à ce danseur délié, enchanteur dans le Roméo de Noureev, de belles occasions de nous emballer.

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Manon: Afterthoughts about Second Bananas

L’Histoire de Manon

In French, the supporting role is called a spare knife – second couteau – and the dancers in these roles can sharpen the focus of the leading couple or even completely change the dramatic flow.  That’s why galas, where a relentless series of pas de deux take place in an emotional vacuum, bore me.  Spare knives carve out a much richer imaginary universe.  Bananas smell good.

Furthermore, what in opera often ends up as a simple tenor/baritone soprano/mezzo dichotomy can get nicely messed up in dance. You need years of retraining to move from Amneris’s shoes into Aida’s.  But nothing unsurmountingly physical prevents you from embodying Gamzatti one night and Nikiya the next.  Slap on costume and go out on stage.  Every second banana could be the next étoile.

Yet MacMillan’s Manon troubles the waters of this ideal.

By decreeing that Antony Dowell and David Wall alternate playing lover or brother, the troubling MacMillan surely added incestuous undertones to the sibling relationship.  [At least in La Bayadère Gamzatti does not turn out to be Solor’s sister].  Manon, torn between the two, must make us wonder whom she loves most deeply.

Mathieu Ganio’s perfect symbiosis with Ciaravola occasionally made me think of the word “twin.”         But then the pairing of Florian Magnenet/des Grieux and Audric Bezard/Lescaut brought twins to mind too, creating a different dynamic to which Ciaravola responded.  Not just because they are tall, dark and handsome (the Paris company harbors quite a few dishy men), but because both possess a similar stage presence.  They radiated youthful power and passion in equal measure, yet in a more down-to-earth manner.  A bit rough at the edges. The characters they embodied will never write their memoirs.  Ganio’s poet will.  These two belonged too much to this world, both too impulsive and inclined to live in the moment.

Audric Bézard’s Lescaut proved to be a really charmingly self-assured rascal.  You could root for him.  The way he grinned and ruffled the hair of Alistair Madin’s thieving Beggar King sent three messages out our way:  1)  cool how you’ve dunned Monsieur G.M.  2) I loved your variation that came after mine but we both know even your whirling dervishness can’t upstage me.  3) Hah, good for you!

Enter Ciaravola.  With a brother like this, could she pretend to be as other-wordly as on May 3rd?  No, only hopeful.  This brother made one imagine they’d already been orphaned for years and lived only for each other. He provided a substitute father and an appealing, if warped, mirror.  You could understand how he had used his charm and wits in order to insinuate himself into G.M.’s circle and why G.M. kind of trusted him.  Audric Bezard was everyone’s brother, loved and tolerated by all and sundry, despite his obvious desperation for easy money.

If Bezard wasn’t Prévost’s pimp, Stéphane Bullion, reacting to Ciaravola’s persona and forcing her to react to his, seemed to be one at the first performance I saw.  After the first act on May 3, quite a few people thought that Lescaut might be Manon’s domineering former lover. (I wander around evesdropping and chatting during intermissions).  They deemed Bullion’s characterization as that fierce:  possessively and jealously protective even as he sold her to the money-bags. Yet on May 13, facing Clairemarie Osta, a fraternal quality emerged in his Lescaut.

The contrasts became sharp in how Manon reacted when G.M. shot Lescaut.  In Bezard, Ciaravola lost a soul-mate; with Bullion, she only saw blood and real violence for the first time.  Osta keened over losing her brother, and used her fists the way he must have once taught her to do.

Not only do leads need second bananas, supporting actors need leads. And need each other. So now that Lescaut is dead, I’d like go back in time to talk about The Mistress, who could be Manon in the future or everything Manon is not.

Aurelia Bellet’s earthy and airy Mistress stood up to (and tried to make stand up) her giddy Bézard as we howled with laughter during the drunken pas in Act II.. These two made this off-balance parody of a MacMillan pas de deux seem just as death-defying as those of the heroes.  Cléopold referenced that early review where “if you are Antony Dowell, I must be Antoinette Sibley”…well, here we got:  “if we’ve landed up in Kenneth MacMillan, then we must be out of our minds.  You mean, we are supposed to do that? But upside down or just where, huh?”

Bellet’s Mistress could best be described as a “sweetie.”  Deeply even more unworldly and less clever then Manon, but infinitely more cheerful.  In it for having a good time, a hapless baby sister

Such momentary pleasures didn’t interest the character crafted  to the same steps by Alice Renavand.  Ice-cold when faced with Ciaravola yet firey-hot when trying to counter Osta, her Mistress reacted to one as rival and the other as potential sister-in-law.  At both performances, I enjoyed the majestically-timed accelerations and decelerations as she swept her legs up and around with elegantly-controlled aplomb.  That forceful swirling use of legs defined her character:  self-controlled, self-contained, self-sufficient.

Manon and Des Grieux collapse from exhaustion in Act III.  Each night while walking home I began to imagine an Act IV.  Renavand’s Mistress will certainly launch a putsch to take over Madame’s bordello at the Hôtel de Translyvanie and make Monsieur G.M suffer. Aurelia Bellet’s Mistress will shed hot tears over Lescaut for a long time but will end up living happily ever after with Monsieur G.M.

If second bananas can make you wonder about their fates, then they done good.

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Retrouvailles aux adieux. (Nouvelle hallucination de Cléopold)

L’Histoire de Manon, matinée du 13 mai 2012 : Clairemarie Osta (adieux à la scène), Nicolas Le Riche, Stéphane Bullion, Alice Renavand.

Opéra Garnier, couloir des saisons vers la rotonde du glacier. Deuxième entracte…

[ ?] : « Je disais donc »

Cléopold : « AAAAAAGhhhhhhrrrr ! (suée froide). Poin – Poinsinet ! Mais d’où sortez-vous encore ? Ça ne va pas de surgir justement là, ce pauvre couloir des saisons et du zodiaque, abandonné par les bars depuis 20 ans. Même en plein jour il a l’air lugubre ! »

Poinsinet : « J’arrive par où je peux… Vous avez vu cette porte sur votre droite… Il y a ici un petit escalier …. »

Cl. (cachant son intérêt sous une apparente sévérité) : « C’est bon, c’est bon. Au fait, merci pour le lapin… Je vous ai attendu la dernière fois au deuxième entracte ! Les gens me regardaient de travers poireauter dans le couloir d’orchestre côté jardin ! »

P. (l’air matois) : « Ne sommes-nous pas au second entracte ? N’est-ce pas Clairemarie Osta et Nicolas Le Riche qui dansent ? Où est le problème ? »

Cl. (frisant nerveusement sa barbe blanche) : « Vous vous moquez de moi. C’était le 21 avril à la première, nous sommes le 13 mai, c’est la dernière et les adieux de Clairemarie Osta ! ».

P. : « Comme le temps passe vite ! Avouez quand même que c’est quelque chose, cette représentation ! Vous avez-vu, au premier acte ? Dans le chef des mendiants, le petit Alu dansait aussi bien qu’il avait l’air sale, c’est tout dire ! Quelle musicalité, quel sens de la scène !! C’est pour dire, même Bullion n’a pas cochonné sa première variation. Bon, on ne peut pas dire qu’il soit très à l’aise dans le maquignonnage… L’expressivité, ça n’est pas donné à tout le monde… But still, comme disent les Anglais. Et puis notre Phavorin, de toute façon, il en fait pour deux, voire pour trois dans GM. Vous avez vu ça, dans la scène de la chambre, ce « dirty old man », ces regards lascifs, ces mains avides. Brrrr ! Dire qu’au temps de sa splendeur technique il aurait pu être le plus ˝soupir˝ des Des Grieux ».

Cl. (succombant une fois encore au babillage spectral) : « Oui, oui… Exactement… Et puis cet acte chez Madame ! Avez-vous remarqué ? Clairemarie est moins « pure » que le soir de la première. Dans sa variation, elle ne refermait plus tant les épaules à la vue de Nicolas Le Riche, elle le charme discrètement. Le 21, on avait presque le sentiment que les deux ne s’étaient pas parlé depuis le départ de Manon pour la couche de GM. Ici, on sentait vraiment que des Grieux était l’amant de cœur caché dans le placard. Ça rendait encore plus noble son désespoir. Et puis pas mal du tout Bullion dans la scène de soulographie… Ça avait du chien. Pour le coup c’est Renavand que j’ai trouvé un peu à côté de la plaque… C’était enlevé mais…

Mais au fait… La scène chez Madame ! Vous m’aviez laissé sur ma faim la dernière fois. Alors à QUI vous fait-elle penser ? »

J.H. Fragonard, « Portrait de Melle Guimard », circa 1770, Musée du Louvre.

P. (riant) : « Vous avez de la mémoire…. Oui, bien… Où en étais-je …. Mais allons, Cléopold, vous n’avez même pas une petite idée ?? Mais à La Guimard bien sûr ! Saviez-vous que la place de l’Opéra est sise sur une partie des jardins de son somptueux hôtel particulier de la rue de la Chaussée d’Antin ? D’ailleurs, le bâtiment lui-même a été déboulonné pour construire la rue Meyerbeer. Tout un symbole (petit rire fat). Donc, figurez-vous qu’au temps de sa splendeur, lorsqu’elle était la maîtresse du maréchal de Soubise, elle s’est fait construire un petit chef-d’œuvre de maison par Ledoux. La façade était constituée d’une immense aula à caisson barrée d’un portique ionique. Le dessus du portique recevait une statue de Terpsichore. À l’intérieur ? Des peintures d’un très jeune David, mais surtout, un théâtre de 500 places ! La célèbre danseuse, l’une des premières à avoir viré du genre noble au demi-caractère, recevait trois fois par semaine : il y avait le jour pour la haute noblesse, le jour pour les artistes, les littérateurs et le jour … pour les plus grandes courtisanes de la capitale. Ces soirées-là se terminaient toujours en orgie. On dit qu’on y représentait pour l’occasion des pièces d’un osé… »

Hôtel de la Guimard, rue de la Chaussée d’Antin. Architecte Ledoux, 1781

Cl. (s’esclaffant) : « Il est clair que je ne verrai plus jamais de la même manière le lourd rideau rouge par lequel entrent et sortent les invités de Madame. Je comprends mieux le désespoir de des Grieux dans son solo si tout ce petit monde était en train de se rendre au théâtre de la Guimard.

D’ailleurs, c’était plutôt bien ce soir, en termes de jeu. Vous avez vu, Poincinet, comme mesdemoiselles Bellet et Mallem se crêpaient allégrement le chignon pour le sourire ravageur et les lignes souveraines d’Audric Bézard ? Et la petite Guérineau en prostituée travestie ; ce joli mélange entre un plié moelleux et une arabesque tendue comme un arc ?»

P. : « Et ça n’a pas toujours été le cas… Figurez-vous qu’il y a … ma fois presque 15 ans déjà, lors de la dernière reprise, je faisais semblant de manger à la cafétéria de l’Opéra… Feu la salle fumeur ! Quand je vois débouler plateau à la main… »

Cl. (avide de potins) : « QUI ? »

P. (raide comme la justice) : « Ah ne m’interrompez pas ou je m’en vais sur le champ ! »

Cl. : « Je me tais »

P. : « …Sylvie Guillem, elle-même ! Elle avise un groupe de garçons, ceux-là mêmes que j’avais vu la veille avec une autre danseuse dans le fameux passage des portés. Elle s’invite à leur table et leur dit en substance : – Bon les garçons, j’ai vu ce que vous faites. Il n’y a pas à dire vous êtes tous beaux, vous dansez tous bien … Personne ne contestera ça… Mais alors le jeu ! Mais vous n’êtes pas censés être beaux. Toi, tu es plutôt fétichiste, toi tu es narcissique. Racontez-vous une histoire les gars !

Comme c’était dit directement ! Le soir, à la représentation les gars étaient dé-chaî-nés. J’ai beaucoup ri… Melle Guillem, elle… Eh bien juste ce soir là elle était un peu trop cérébrale… Difficile d’être répétiteur et interprète dans la même journée. Ce n’est pas comme dans cette vidéo que vous avez certainement vue sur Youtube… »

Cl. (ébahi) : « Vous utilisez Youtube ? »

P. (haussant les épaules) : « Le temps n’a plus de prise sur moi, ça ne veut pas dire que je ne vis pas avec votre temps.

Bon, là, les porteurs de la Scala, ne brillent pas nécessairement par la personnalité… Mais elle ! Pensez qu’elle a sur cette vidéo… Mais non, je me tais. Sûr en tous cas qu’elle n’aurait pas excité la cruelle verve des caricaturistes anglais comme La Guimard lors de sa tournée d’adieux en 1789… Et pourtant, celle là, on la disait éternellement jeune grâce à son art du maquillage. Mais ce n’est pas tant le visage que la technique qui parle chez Melle Guillem… Et puis, ses partenaires de 1998… Je crois que la plupart d’entre eux ont atteint les rangs les plus convoités de la hiérarchie de la maison… »

C. : « Qui ? Qui ??? »

Poinsinet : « Tiens, Cléopold, voilà votre compère James qui s’approche. »

Cléopold : « Où ça ? »

Et quand je me suis retourné… Il était parti. James s’est encore moqué de moi, le bougre…

La Guimard en 1789. Caricature anglaise.

Restait le 3e acte… Mademoiselle Osta s’y est montrée encore une fois poignante. Bête fragile et effrayée sur le port de la nouvelle Orléans et enfin, dans la scène des marais, semblant tourner autour de Le Riche-des Grieux comme un papillon autour d’une lanterne, elle s’est brisée soudainement à son contact…

Quand le rideau s’est relevé, que la nuée de paillettes dorée est tombée des hauts du théâtre… Il m’a semblé que c’était des larmes de regret… Quitter la scène quand on est en pleine possession de ses moyens et qu’on a pour soi le merveilleux don de la juvénilité… Quel gâchis ! Au moins, Clairemarie n’aura-t-elle pas eu des adieux « à la Guimard ».

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Ah! Perfide Manon!

L’Histoire de Manon, Représentation du 11/05 : Isabelle Ciaravola, Florian Magnenet, Alessio Carbone, Nolwenn Daniel.

À quoi reconnaît-on un artiste ? À sa capacité à répondre chaque soir différemment à la proposition de son texte, qu’il soit littéraire, musical ou corporel, mais aussi aux différences de tempérament de ses partenaires. Par le hasard des – encore une fois trop – nombreuses blessures, Isabelle Ciaravola a dû passer l’épreuve du feu plus souvent qu’à son tour. Et le résultat, il me semble, a dépassé toutes les attentes. L’autre soir, elle devait interagir avec un des Grieux et un Lescaut différents. Des Grieux était incarné par Florian Magnenet, un danseur qui semble présenter des similarités physiques avec Mathieu Ganio (son partenaire du 4 mai) mais qui s’avère radicalement différent dans son registre de mouvement et d’interprétation. Des Grieux-Magnenet n’est sûrement pas un poète, c’est un homme d’action. Il n’est jamais aussi à l’aise que dans la véhémence. Dans ces moments-là, il est servi par ses très belles arabesques et ses ports de bras de danseur noble. Il ne danse pas, il porte ses arguments. Dans la scène chez Madame, après que Manon lui eut montré ses diamants pendus au cou, aux oreilles, attachés aux poignets ainsi que sa belle robe diaprée et lui eut posé la question « et toi, que peux-tu m’offrir ? », il semblait se briser d’un coup ; et toute sa belle architecture de s’affaisser aux genoux de sa cruelle maîtresse. Manon-Ciaravola, jusqu’alors parfaite courtisane froide, peut-être même attirée par son riche amant (Arnaud Dreyfus, un GM au regard de porcelaine qui évoque la douceur des portraits de Nattier avant de révéler brusquement sa cruauté profonde), se rend alors sans condition.

Car face à Florian Magnenet, la Manon d’Isabelle Ciaravola n’est pas une amoureuse inconditionnelle. Elle est toute en revirements et en retours de flamme. Elle subit la mauvaise influence de son frère Lescaut  – enfin dansé avec la maîtrise technique nécessaire par Alessio Carbone. Dès le premier tableau, on a le sentiment que ces deux-là ont déjà roulé dans la farine plus d’un vieux galant. Dans la scène de la chambre avec GM, tandis que le soupirant émoustillé s’oublie presque dans la contemplation de pieds divins (et nous avec, avouons-le), Manon et Lescaut semblent jouer une partition bien réglée. Lescaut-Carbone est une sorte de Mercutio perverti. On est triste de le voir assassiné froidement à la fin du 2e acte.

Tout cela rend le dernier acte encore plus poignant. La scène du viol par le geôlier (Aurélien Houette) atteint une intensité quasi-insoutenable. C’est le moment où on réalise que Manon a changé. L’acte sexuel imposé la révulse et plus encore sa rémunération, un bracelet très semblable à celui que des Grieux avait eu tant de mal à lui arracher à l’acte précédent. Dans la scène des marais, même les petites imperfections viennent créer du sens. Le partenariat un peu « brut de décoffrage » de Magnenet, ainsi que sa tendance à prendre trop d’énergie dans les tours créent un sentiment d’urgence. Manon ne s’éteint pas comme le 4 mai, elle décède brusquement à la réception d’une pirouette en l’air… L’instant d’avant, le corps était encore vibrant et soudain, il ne restait plus que les extrémités ballantes d’une marionnette martyrisée…

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