L’autre soir, au premier entracte de la première de L’Histoire de Manon, je sortis de ma baignoire encaissée, et m’approchai de la porte de l’orchestre côté jardin. Dans le corridor pourpre qui conduit à la salle. Je fus effrayé par un caverneux « BONSOIR ! »
Cléopold : « Ahhhhrg ! … Ah mais c’est toi, Poinsinet, tu m’as fait peur, mais d’où sors tu ? Pas de l’orchestre tout de même ? »
Poinsinet (renfrogné) : «Et pourquoi pas ! Il fut un temps où je donnais rendez-vous à mes amis à côté de la stalle 85. C’était dans un autre théâtre, il est vrai.»
C (interloqué) : «C’est que tu es d’une humeur maussade ce soir… tu n’aimes pas l’interprétation d’Osta ? Je la trouve idéale !»
P : «Moi aussi, bien sûr… Très émouvant le premier pas de deux… Mais ne change pas de sujet… Il va falloir se justifier.
C : «??»
P : «Alors comme ça, on décrit la Manon d’Aumer « comme si on y avait été » et on ne cite pas ses sources… Ça manque d’élégance. TU aurais pu parler de MOI, tout de même, l’impérissable auteur « d’Ermelinde », chuté par une injuste cabale en 1767 et encore plus injustement condamné après ma mort à errer dans les couloirs de l’Opéra jusqu’à ce que j’accepte de la renier. Un malheur auquel tu dois de savoir tout ce que tu sais aujourd’hui sur la période 1830 à l’Opéra ! MOI , j’y étais!!… encore … Et d’ailleurs j’y suis encore» … [Regard vaguement halluciné].
C (barbe hirsute…) : «Bon d’accord, je n’ai pas cité mes sources mais si je l’avais fait, ce n’est pas toi que j’aurais cité. C’est Ivor Guest et son « Romantic Ballet in Paris » qui m’ont donné la substance de mon article…»
P (encore plus renfrogné) : «Ivor Guest… Hum !!… Encore un à qui j’ai tout appris et qui ne cite pas ses sources… Les Écrivaillons, les Historiens, les Musiciens… Tous des gâte-sauces ! C’est comme cet Albéric Second qui m’a ridiculisé dans « les petits mystères de l’Opéra »…
C (cherchant désespérément à changer de sujet) : « Ça évoque ton monde, cette Manon, non ? »
P : « Si on veut. Manon, c’est une histoire qui a été écrite avant que je ne sois né et la période décrite par Prévost – un homme délicieux ! – est très circonscrite. Savais-tu par exemple qu’on peut dater très précisément l’action de Manon Lescaut entre 1717 et 1721 ? »
C : « Non. Et comment ça ? »
P (un sourire fat) : « La Louisiane, mon cher ! La Louisiane… Figure-toi que la déportation là-bas des demoiselles de petite vertu n’a été appliquée qu’entre 1720 et 1721 !
Le théâtre de l’époque aurait bien convenu à l’esthétique déliquescente de Nicholas Georgiadis. On disait que le seul avantage de cette première salle du Palais royal – où Molière a joué, quand même ! -, c’était qu’elle était tellement mal éclairée qu’on ne pouvait pas voir la saleté des tentures !
À l’époque à laquelle MacMillan et Georgiadis ont situé l’action, cette période pré-révolutionnaire, on avait changé de salle. Mais dans laquelle se trouvait-on? Tout dépend. Ils ont été moins précis que Prévost dans la chronologie. La nouvelle salle du Palais royal (luxueuse celle-là !) n’a duré que jusqu’en 1781. Elle a brûlé, comme l’autre d’ailleurs.
- La première salle du Palais royal (1673-avril 1763)
- Costume de Lecomte pour la Manon d’Aumer (1830). A l’Opéra (acte1 Sc.2)
- Incendie de la 1ere salle du Palais royal (6 avril 1763).
- Hubert Robert : Après l’Incendie de la seconde salle du Palais Royal (8 juin 1781)
Et puis, on avait aussi complètement changé de période chorégraphique. Noverre était passé par là. Plus de danseurs masqués et perruqués de noir ! Ce n’était presque plus Gaëtan (Vestris), c’était déjà Auguste (le fils !). C’était les débuts du ballet d’action, quoi. RIEN à voir avec ce qu’on voit ce soir, remarque… La Pantomime s’intercalait beaucoup plus avec les passages dansés. Même si les Français n’ont pas tout à fait succombé au dé – plo – rable goût des Italiens pour l’action mimée…
Tiens, cette scène chez « Madame » que nous allons voir à l’acte II, tu sais à qui elle me fait penser ?? »
C : « Euh non ? À qui ? »
DRRIIIIIIIING
P : « Plus tard mon cher, c’est la fin de l’entracte, il faut que je me faufile dans les coulisses… Rendez-vous au même endroit au deuxième ! »
To be continued…