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The Dante Project: McGregor en trois dimensions

IMG_20230522_073753Palais Garnier, représentations des 3 et 15 mai – Ballet de l’Opéra de Paris; Musique et direction d’orchestre : Thomas Adès, Chorégraphie : Wayne McGregor, Décor et costumes: Tacita Dean; Lumières; Lucy Carter, Simon Bennison; Dramaturgie: Uzma Hameed

The Dante Project a été créé à Londres à une époque où il fallait montrer patte blanche sanitaire à chaque poste-frontière. Je m’étais donc contenté, pour découvrir la création de Wayne McGregor, du streaming proposé sur le site de Covent-Garden. Mauvaise idée : l’œuvre ne prend pas sens sur écran plat. La partition de Thomas Adès et les créations de Tacita Dean, également monumentales, ont besoin d’espace pour se déployer. Mais surtout, le projet d’ensemble – de la dramaturgie aux lumières, de la chorégraphie aux décors, de la musique aux costumes – ne se laisse vraiment appréhender que dans sa globalité. Aussi vaut-il mieux, pour découvrir pleinement cette création, ne pas se placer trop près de la scène, et résister à la tentation des jumelles : dès qu’on se focalise trop sur un détail, on est sûr de rater quelque chose.

Nous voilà conviés à un voyage en trois temps (Inferno, Purgatorio, Paradiso), dans des ambiances radicalement distinctes. Le pèlerinage dans les cercles de l’Enfer est à la fois éprouvant et impressionnant ; on se sent comme écrasé par le décor – un dessin à la craie reflété par un miroir, qui selon l’éclairage, semble une forêt, une grotte, une montagne ou un immense glacier – sous le regard duquel évoluent des fantômes dont on peine parfois à reconnaître les visages. Cette partie, créée en premier par McGregor, est sans conteste la plus réussie, en tout cas la plus variée du point de vue des rythmes et des humeurs, tant musicales que chorégraphiques. On y rencontre des exilés, des passeurs, des voleurs, un Ulysse rampant et tout caoutchouteux (incarné par un remarquable danseur non identifié dans la feuille de distribution du 3 mai, puis par l’étonnant Loup Marcault-Derouard le 15 mai), des couples au destin tragique (Paolo et Francesca, Didon et Énée), quatre femmes en colère qui se donnent d’impressionnants coups de tête, des devins assez drolatiques, un chemin de croix qui donne lieu à de poignantes figures au sol, un Pape, un grand pas sur une musique de cirque qui donne lieu à une étonnante battle de fin de classe, et, bien sûr, Satan (qui prend la forme, selon les distributions, de Valentine Colasante ou Roxane Stojanov).

Le personnage de Dante, manifestement torturé, est à la fois acteur et spectateur, alternativement au bord du cercle tracé au sol, et puis dedans. Chaque séquence, dans une logique plus atmosphérique que narrative, donne à ressentir une douleur, une tension, une torsion des sens, de l’esprit et du corps. On reconnaît aisément la gestuelle de McGregor, faite d’excès, de profusion et de vitesse, mais contrairement à d’autres pièces du chorégraphe, où l’esbroufe m’a souvent semblé prendre le dessus, les évolutions des danseurs paraissent canalisées par le sens, et on écarquille les yeux pour mieux ressentir, si ce n’est comprendre. La musique d’Adès, qui ne craint ni le pastiche ni les ruptures de style, et se relève orchestralement très riche, contribue sans conteste à cette réussite : quand la partition fait boum-boum, McGregor sombre trop facilement dans le mécanique, alors que si l’on lui donne un ligne mélodique à étirer, il sait aller au-delà de ses tics chorégraphiques.

La création de McGregor est une coproduction asymétrique entre l’Opéra de Paris et le Royal Opera House (à part la confection des costumes, tout vient de Londres), et elle a été clairement réglée sur le corps des danseurs du Royal Ballet, avec notamment un rôle sur-mesure pour Edward Watson, qui a fait ses adieux à la scène dans le rôle de Dante. On n’était pas sûr que les danseurs parisiens pourraient soutenir la comparaison. Eh bien, ils s’en sortent plutôt bien : sans avoir la longiligne figure émaciée du créateur du rôle, Germain Louvet comme Paul Marque s’approprient le rôle avec une visible intensité dramatique (en cela, Louvet est sur la lancée de son très poignant Compagnon errant, tandis que Marque déploie une facette inédite de sa présence scénique).

Le seul élément qui ne fonctionne pas vraiment est le partenariat entre Dante et son prédécesseur en poésie Virgile, incarné à Londres par l’excellent Gary Avis : à Garnier, on a choisi d’apparier Louvet avec Irek Mukhamedov : la prestation de ce dernier, sans être embarrassante, est tout de même un poil pataude, ce qui nuit à la fluidité des pas de deux entre Dante et Virgile. De son côté, Paul Marque danse avec un Arthus Raveau qui, même vieilli par son collier de barbe, reste bien juvénile : du coup, le partenariat manque de densité.

En Inferno, tout est poussière et fumée (la craie qui recouvre certaines parties du corps des danseurs  se répand au sol au gré de leurs roulades). La séquence du Purgatorio nous transporte dans une ambiance lumineuse et méridionale, sous le regard d’un grand arbre aux feuilles vert tendre. À une mélopée d’inspiration orientale, correspond une gestuelle apaisée, enroulée et fluide. Ce monde est placé sous le signe de l’amour, Dante – dont le personnage se démultiplie – se remémorant ses trois rencontres avec Béatrice (enfant, jeune et adulte). À la première vision de l’œuvre, le souvenir des fureurs de la première partie m’avait fait trouver ces réminiscences bien pâles. L’impression est toute autre la deuxième fois, et sans doute Léonore Baulac y est-elle pour quelque chose : elle enlace le torse de Paul Marque de son bras avec une fougue qui nimbe de sensualité et de nostalgie toute la suite du pas de deux. La séduction opère et on oublie la technique (là où Hannah O’Neill, plus hiératique, ne fait pas oublier l’acrobatie qu’elle compose avec Germain Louvet).

Pour le Paradiso, Tacita Dean n’a pas réalisé un tableau, mais une vidéo de 30 minutes, diffusée sur un écran au-dessus de la scène. Et il faut faire l’effort de regarder l’ensemble : c’est la connexion entre la vidéo, la danse et la musique, toutes placées en ostinato sous le signe du cercle, qui fait la qualité hypnotique de cette dernière partie. Faisant écho à la musique, la vidéo et les lumières font une boucle qui se répercute sur les danseurs, dont les justaucorps en blanc satiné sont faits pour refléter la couleur. Si l’on ne regarde qu’en bas, ces changements de lumière paraissent très chromo. Mais si on voit l’ensemble, le motif d’ensemble séduit. Et on se rend compte aussi que les évolutions des « corps célestes », bien que dominées par la figure du tourbillon, sont bien plus variées qu’il n’y paraît. Il y a beaucoup à danser pour le corps de ballet dans ce Dante Project, qui est sans doute, à ce jour, la création la plus aboutie de Wayne McGregor et ses comparses.

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Balanchine in Paris.  “Alas…it’s a bore.”

Ballet Imperial/Who Cares? Paris Opera Ballet, February 10, 2023.

I had a great time during intermission, which bodes ill for what will follow.

This double-bill ballet evening supposedly counterpoints “masterpieces” from contrasting moments in time — 1941 and 1971. Yet the two pieces, new to the Paris repertoire, were danced almost interchangeably in terms of rhythm, attack, and, indeed, inventiveness. After an exhausting series of Swan Lakes during December and January, how on earth did the once perfect but a now obviously under-rehearsed corps manage to be consistently out of line almost throughout these two little “easy” American ballets? I did everything possible not to groan aloud.

« Look at all the captivating fascinating things there are to do”

“Name two”

“Look at all the pleasures

All the myriad of treasures we have got.”

“Like What?”*

Sometimes these days, Balanchine ballets can seem like dusted off museum pieces that refuse to come to life. But as Balanchine knew, anything can come alive if the music is right. Ah music. All music has an emotional (albeit not necessarily narrative) arc. Perhaps part of my “meh” reaction to this double-bill might be laid at the doorstep of the Orchestre de l’Opéra national de Paris under Mikhail Agrest’s restrained baton: schoolroom tidy for the Tchaikovsky piano concerto, then utterly lacking a drop of razzamatazz for the Gershwin.

Ballet Imperial, aka Tchaikovsky Piano Concerto #2 in the US

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Fred Astaire and Lucille Bremer. « This heart of mine ». Ziegfield Follies. 1946.

You can see every tree almost saying “Look at me!”

“What color are the trees? “ “Green!”

“What color were they last year?” “ “Green!”

“And next year?” “Green!”

“It’s a bore.”*

No concerto – even if you re-re-name it Number Two for NYCB after having gotten rid of the sets and costumes for that original thing first entitled “Ballet Imperial” – is ever about “I show up, play fancy, and then go home.” Alas, that was the feeling that dominated both in the pit and on stage on Friday night.

With the exception of the always just-right and delicious Marine Ganio  [who can lay claim to the title of most overworked and underrated dancer in the company], the other minor soloists proved cautious, self-conscious, or just plain stiff (special mention to Silvia Saint Martin).

Oh and yes, there she was. Ludmila Pagliero was all pulled up: a pliant partner, a soloist lit from within, with nowhere to go during so much of the dull and predictable choreography.

But Paul Marque came to the rescue and caressed his ballerina in masterful gently-landed lifts [even that super-awkward one in attitude front where she falls back and then hops on pointe with bended knee. It’s always been an ugly one]. Marque was marvellous in returning his partner to the ground as if she were as light as an autumn leaf. You could sense that he had his own narrative thing going on and bravo to him.Marque did his responsive best as the token male who represents one finger in the cat’s cradle/labyrinth of females-with-connected-hands movement. Just how many times did Balanchine do this “signature move” in his works?  I would have preferred that the Paris Opera Ballet offer “Theme and Variations,” which uses the same themes and patterns but which has a spine. That ballet would have given the blossoming Paul Marque more of a chance to shine.

This thing called Ballet Imperial went on and on and nowhere. Some fouettés were offered up at some point. Woo-hoo?

*

 *                                                     *

Who  Cares?

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Fred Astaire & Eleanor Powel « Begin the Beguine ». Broadway Melody of 1940.

“Don’t you marvel at the power of the mighty Eiffel Tower?”

“How many stories? “ “Ninety!”

“How many yesterday?” “Ninety!”

“How many tomorrow?” Ninety!”

“It’s a bore.”*

A backcloth with a vaguely New Yorker-style cover illustration of skyscrapers is now a dated cliché. But at least it was less hard on the eyes than that dull cyclorama, predictably blue and bland since early television recordings. (And which had been deemed sufficient for the previous ballet).

In 1971, this ballet claimed to pay homage to beloved Gershwin musicals of the past. And for a generation or two afterwards, often an audience member would hum along.

Clearly no youngster in this audience had ever heard of Gene Kelly or Fred Astaire [both still alive and venerated in 1971] or…George Gershwin. So did the under age fifty audience pay attention? Kinda.

OK there is nothing a conductor can ever do about the Balanchine’s beloved and somehow sublimely tacky orchestrator, Hershey Kay. Except maybe, give up and give in to that old “ba-da-boom” of Broadway melodies. Here George Gershwin’s jazzy swoop just bumbled along in the orchestra pit. If dancers have no air under their feet, they cannot fly.

The first part is a medley/mash up of relatable tunes, created to give kids in the corps about 15 seconds of fame. Their moments are totally fleeting, kind of as pointless as confetti. After the corps has sufficiently increased the running time  [which included some haplessly missed marks], Mr B. begins to unleash the mini-soloists. A loud “yes” goes out to the swoop and charm of Seohoo Yun and to the natural swing and flow of Roxane Stojanov .

Then all these other people show up. [Apparently, this has always been a ballet in two parts. To me it was always just shapeless].

“But think of girls!”

“It’s either yes or no

And if it’s no or if it’s yes

It simply couldn’t matter less.

It’s a bore.”*

 As to “the” Fred and Ginger/Gene and Cyd avatars… I preferred Léonore Baulac and Germain Louvet later, alone in their solos, rather than together. Don’t get me wrong, there is nothing wrong in what they do as a pair, lovely lines. They clearly like each other, dance to each other. But as far as a couple goes, you never sensed that shiver of desire. Alas this description applied to whomever the cheerful and charming Louvet ended up dancing with.  It’s weird, he’s a generous and well-meaning partner and fun to watch but here he just didn’t connect to anyone. Watching Louvet was like watching Eleanor Powell, an asteroid, a comet, doing her own marvellous things. Who remembers who her partners/satellites were? Who were Louvet’s? (F.Y.I. Baulac/Colasante/O’Neill).

Hannah O’Neill, on her own in “I’ll Build a Stairway to Paradise,” rode on whatever inflections she could glean from the lackluster conducting with poise and discretion.  Léonore Baulac’s solo “Fascinatin’ Rhythm” had snap but could have been bigger, in the sense of more openness out of the hip. Valentine Colasante’s “My One and Only” was luscious and beautifully outlined, but read as oddly unmusical, so unusual for her. (N.B.: leaden orchestra’s fault).  In his solo then, Germain Louvet, finally liberated from the females [and I am sure he doesn’t think about it this way, but is he just better when he dances unhindered?] proved very smooth, silkily, and jaunty. Nevertheless, he lacked that mysterious “something else” a Gene Kelly, or a Georges Guétary, or a Louis Jourdan, brought to their musicals back in the day.

I did not even try to score a ticket for another cast. Worse than that, I had come home from the theatre, written the above, printed it out, and put it in a drawer. Who’d care?

“Look at Paris in the spring when each solitary thing is more beautiful than ever before.”

“It’s a bore.”*

Quotes from *Lerner and Loewe, “Gigi.” Look up either the Broadway version from 1951 or the MGM version by Vincente Minelli from 1958.

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Balanchine à l’Opéra: sous la triste bannière étoilée

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Nomination. Le couple étoilé de Ballet impérial. Hannah O’Neill et Marc Moreau. 2 mars 2023

Commençons, une fois n’est pas coutume, par l’épilogue. Ma dernière soirée Balanchine de cette saison s’est achevée par une double nomination d’étoile. De manière assez inusitée, Alexander Neef et José Martinez sont montés sur scène à la mi-temps du programme. Le premier a annoncé d’abord la nomination étoile d’Hannah O’Neill puis, celle de Marc Moreau, les interprètes des deux rôles solistes principaux de Ballet impérial. Si la nomination de Mlle O’Neill était attendue depuis quelques temps et arrive presque tardivement, celle de Marc Moreau était une surprise. Le danseur est un vétéran de la compagnie qui a assez longtemps stagné dans la classe des quadrilles puis des sujets avant de passer premier danseur en 2019. Il y avait quelque chose d’émouvant à voir l’incrédulité puis l’effondrement joyeux du danseur à cette annonce. J’en ai presque oublié que je n’ai pas été tendre avec Moreau ces deux dernières saisons que ce soit dans Rhapsody d’Ashton, dans le Lac ou très récemment dans le soliste à la Mazurka d’Etudes. Marc Moreau est un excellent danseur mais, ces derniers temps, j’ai trouvé qu’il mettait beaucoup de pression et de contrainte dans sa danse dès qu’on lui confiait un rôle purement classique. C’est le syndrome, très Opéra de Paris, des danseurs qu’on laisse trop attendre et qui deviennent leur propre et impitoyable censeur. Cette nomination est donc à double tranchant. Soit elle libère enfin l’artiste (qui a montré l’année dernière ses qualités dans Obéron du Songe de Balanchine), soit elle finit de le contraindre. Et Marc Moreau n’a pas énormément de temps d’étoilat avant la date fatidique de la retraite à l’Opéra. On lui souhaite le meilleur.

*

 *                                     *

Cette double nomination aura mis quelques étoiles dans un programme bien peu étincelant par ailleurs.

Il présentait pourtant deux entrées au répertoire et donc deux nouvelles productions de ballet par le maître incontesté de la danse néoclassique au XXe siècle. Mais on peut se demander si ces additions étaient absolument indispensables…

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Ballet impérial. Pose finale. 16 février 2023.

Ballet impérial est un Balanchine de la première heure américaine. Il a été créé en 1941 pour l’American Ballet, alors toute jeune compagnie. Mais pour être un « early Balanchine », Ballet impérial est-il pour autant un chef-d’œuvre ? Disons plutôt qu’il a un intérêt historique. À l’époque de sa création, il fut ressenti comme très moderne. Le ballet symphonique, dont Léonide Massine était alors le grand représentant, avait le vent en poupe. Mais à la différence de Massine qui était tenté par l’illustration des programmes d’intention des compositeurs (comme dans la Symphonie fantastique de Berlioz), Balanchine proposait un ballet presque sans argument qui réagissait uniquement à la musique. De plus, en dépit de l’utilisation des oripeaux traditionnels du ballet (tutus-diadèmes pour les filles et casaques militaires-collants pour les garçons), le chorégraphe a truffé son ballet de petites incongruités qui marquent la rétine. Ainsi, la ballerine principale, placée en face de son partenaire qui avance, recule en sautillés sur pointe arabesque. À un moment, elle fait de petits temps levés en attitude croisée face à la salle qu’elle répète en remontant la pente de scène et dos au public. La deuxième soliste féminine, pendant un pas de trois avec deux garçons, est entrainée par ces derniers dans une promenade sur pointe en dehors. Les danseurs font alternativement des grands jetés tout en continuant à la faire tourner sur son axe.

*                                       *

Alors pourquoi ce ballet n’entraine-t-il pas mon adhésion ? C’est qu’en dépit de ses qualités additionnées, Ballet impérial souffre d’un cruel défaut de structure, un peu à l’image du concerto n°2 pour Piano de Tchaïkovski sur lequel il est réglé. Le long premier mouvement, Allegro Brillante, commence d’une manière tonitruante et dévoile d’emblée toute la masse orchestrale avant de s’apaiser et d’additionner les thèmes. De même, Balanchine montre d’emblée l’ensemble de la compagnie. Au lever du rideau, huit garçons et huit filles placés en diagonale se font face. Après une révérence, huit autres danseuses entrent sur scène. Moins de trois minutes se sont écoulées et on a vu tout ce qu’il y avait à voir. Les ballabiles, habituellement point d’orgue dans les grands classiques et néoclassiques, se succèdent de manière monotone. À la fin de l’Allegro Brillante, la pose finale laisse penser que le ballet est teminé. Or il reste encore deux mouvements à venir. Ballet impérial est une œuvre sans montée d’intensité. Au bout d’un moment, l’attention s’effiloche. On se prend à faire la liste des inventions visuelles que Balanchine a réutilisées plus tard dans ses vrais chefs-d’œuvres.

Un autre problème vient aggraver encore ce manque de structure : la production. En effet, de 1941 à 1973, ballet impérial évoquait la Russie de Catherine II. Dans certaines productions, la Ballerine principale portait même une écharpe de soie censée être très régalienne, et lui donnant occasionnellement un petit côté « miss ». Il y avait un décor représentant les bords de la Neva à Saint Petersbourg. Mais en 73, Balanchine décida d’effacer toute référence nostalgique. Les tutus à plateaux et les uniformes masculins disparurent au profit de robes mi-longues de couleur rosée pour les filles et de simples pourpoints pour les garçons. Le ballet fut rebaptisé Tchaikovsky concerto n°2 et c’est ainsi qu’il est dansé dans la plupart des compagnies américaines aujourd’hui. Néanmoins, Ballet impérial, qui avait été donnée à d’autres compagnies (notamment le Sadler’s Wells, futur Royal Ballet) demeure avec tutus, diadèmes et casaques. Mais Balanchine, sans doute pour inciter à terme les compagnies à adopter la version 73, a exigé la suppression des décors. Et il faut reconnaitre que l’effet n’est pas des plus flatteurs. Sur une scène seulement habillée de pendrillons noirs et d’un cyclo bleu, pas même deux ou trois lustres pendus comme c’est le cas dans Thème et Variations pour suggérer un palais, les costumes de Xavier Ronze  pour la production de l’Opéra paraissent fort déplacés. Les garçons particulièrement semblent porter des pourpoints d’un autre temps et on se prend à remarquer combien ils sont en sous-nombre par rapport aux filles, marque d’une époque où, aux États-Unis, on comptait trop peu de danseurs suffisamment formés pour remplir un plateau. Ballet impérial, qui fut jadis un manifeste de modernité, apparaît ici comme une vieillerie.

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« Ballet impérial ». Corps de ballet. Saluts.

Qu’est-ce qui a poussé le ballet de l’Opéra à opter pour Ballet impérial plutôt que Concerto n°2 ? Dans ce dernier, les problèmes de structure de l’œuvre demeurent mais l’ensemble parait plus organique. Lorsque c’est bien dansé, avec une compagnie qui l’a dans les jambes, on peut même y prendre du plaisir. Ce fut le cas en 2011 lorsque le Miami City Ballet fut invité aux Étés de la Danse. On se souvient encore du trio formé par les sœurs Delgado et Renato Penteado.

 *                                       *

Or le ballet de l’Opéra, célébré encore universellement aujourd’hui comme un des meilleurs corps de ballet du monde, est loin de se montrer à la hauteur. Au soir de ma première, le 10 février, les lignes très géométriques voulues par Balanchine, alternant les carrés et les formations en étoiles qui s’entrecroisent, confinent au sinusoïdal. Ni les garçons ni les filles ne parviennent à l’unisson. L’une d’entre elles ne sait clairement pas où la prochaine mesure doit la porter. Cela s’est arrangé par la suite (15 février) sans jamais atteindre la perfection immaculée. Au soir de la représentation étoilée (2 mars), une danseuse rentre quand même dans une autre au moment d’un croisement de diagonale. Faut-il en imputer la faute aux répétiteurs ou la programmation ? Répéter en même temps Ballet impérial, Études (soirée Dupond) et Giselle pour la tournée en Corée du Sud peut s’avérer délicat même pour une compagnie de la taille du ballet de l’Opéra. Les jeunes quadrilles et surnuméraires, souvent « remplaçants de remplaçants » doivent apprendre tous les rôles et toutes les places afin, si besoin, de rentrer au pied levé. Dans un ensemble, les recours multipliés à ces jeunes artistes finissent par se voir nonobstant le talent et la bonne volonté que ces derniers déploient.

Au niveau des « principaux », le compte n’y est pas non plus le 10 février. En deuxième soliste, Silvia Saint-Martin, une autre de ces artistes talentueuses qui a beaucoup attendu et s’est mise à avoir une présence à éclipse, ne passe pas la rampe. Elle ne se distingue pas assez physiquement de la première soliste, Ludmila Pagliero, qui d’ailleurs ne semble pas au mieux de sa forme. Cette dernière rate par exemple à répétition une des incongruités balanchiniennes typique de Ballet impérial : les doubles tours seconde sur quart de pointe, jambe pliée, terminés en arabesque. Il est troublant de voir Pagliero, habituellement si sûre techniquement, achopper sur une difficulté technique. Plus dommageable encore, sa connexion avec le protagoniste masculin, Paul Marque, pourtant irréprochable, est quasi-inexistante. C’est regrettable. L’andante est le moment Belle au bois dormant acte 2 de Ballet impérial. Il préfigure aussi l’adage de Diamants (1967) : les danseurs s’approchent et se jaugent en marchant de côté chacun dans sa diagonale. Il y a même une once de drame dans l’air. La ballerine se refuse et le danseur doit faire sa demande plusieurs fois. Ici, rien ne se dégage de ce croisement chorégraphique.

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Ballet impérial. Ludmila Pagliero et Paul Marque.

L’impression est toute différente le 15 février. Hannah O’Neill est une deuxième soliste primesautière qui s’amuse avec ses deux compagnons masculins dans le fameux passage de la promenade-grand jetés. Cette posture joueuse contraste bien avec la sérénité élégante et la maîtrise régalienne du plateau déployées par Héloïse Bourdon en première soliste. En face d’elle, Audric Bezard sait créer le drame avec presque rien. Il y a une vibration dans l’air lorsque les deux danseurs s’approchent et se touchent. Bezard, plus imposant que Marque et de surcroît mieux accompagné d’un corps de ballet féminin plus à son affaire, met en valeur le passage où le danseur actionne comme un ruban deux groupes de cinq danseuses. Au soir du 10, le pauvre Paul Marque semblait s’adonner à un concours de force basque. Ce leitmotiv balanchinien, utilisé dans Apollon dès 1928, puis dans Sérénade (1934) ou enfin dans Concerto Barocco (1941) prend avec Bezard une dimension poétique. Le cavalier semble aux prises avec les fantômes de ses amours passées. Les deux « têtes de ruban », Caroline Robert et Bianca Scudamore s’imbriquent avec beaucoup de grâce en arabesque penchée sur son dos.

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Ballet impérial. Héloïse Bourdon et Audric Bezard

Le 2 mars, c’est d’ailleurs la damoiselle Scudamore qui endosse le rôle de la deuxième soliste. Elle le fait avec la légèreté et la facilité qui lui sont coutumières. Sa série de pirouettes sur pointe à droite et à gauche, reflétée par le reste du corps de ballet féminin est exemplaire. Hannah O’Neill, sans effacer chez moi le souvenir de Bourdon, sait se montrer déliée et musicale. C’est d’ailleurs elle qui maîtrise le mieux les redoutables tours sur quart de pointe. Nomination méritée donc. Marc Moreau, quant à lui, accomplit une représentation au parfait techniquement. Il est sans doute un peu petit pour sa partenaire mais gère plutôt bien cette difficulté notamment dans le passage aux reculés sur pointe. S’il a abandonné les gestes saccadés et coups de menton soviétiques qui nous ont tant agacé dans Études, il respire encore un peu trop la concentration pour emporter totalement mon adhésion. Avait-il eu vent d’une potentielle nomination ? En tous cas, c’est dans Who Cares ?, juste après avoir été nommé, qu’il a surtout montré son potentiel d’étoile de l’Opéra.

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Bianca Scudamore, Thomas Docquir et Florent Melac. La deuxième soliste et ses cavaliers

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Who Cares ?, justement. La deuxième entrée au répertoire de ce programme et sans doute la plus déplacée… George Balanchine était un homme malin. Arrivé dans un pays quasiment vierge en termes de ballet classique (même Michel Fokine s’y est cassé les dents quand il y a tenté sa chance), il savait à l’occasion caresser le public américain dans le sens du poil pour obtenir son soutien. Dans Square Dance, il présentait des danseurs sur des musiques de Corelli et Vivaldi dans des formations qui auraient pu être celles d’une danse de cour mais en les accompagnant des commentaires scandés d’un « square dance caller », il resituait tout le ballet sous une grange du midwest un soir de moisson. Dans Casse-Noisette, il faisait référence  à la danse arabe, dansée par une soliste féminine en tenue très légère, comme le passage « for the daddies » : il présentait aux maris et pères de familles accompagnateurs, morts d’ennui, l’évocation presque sans détour d’un spectacle de « burlesque » (un numéro d’effeuillage). Stars & Stripes, « le petit régiment » est un autre de ces ballets « américains » où la vulgarité assumée des costumes et de la musique suscite un enthousiasme facile. Who Cares ?, créé en 1970, est de cette veine. La musique de George Gershwin, avec qui Balanchine a travaillé brièvement à Broadway, est d’ailleurs augmentée et alourdie par l’orchestration sucrée d’Hershy Kay comme la musique de Souza pour Stars & Stripes. À la création, une critique toute à la dévotion du dieu vivant qu’était Balanchine (notamment Arlene Croce), a voulu y voir un chef-d’œuvre qui citait non seulement Raymonda (4 garçons en ligne font des doubles tours en l’air. Soit…), Apollon (car l’unique soliste masculin danserait avec trois danseuses solistes. Mais contrairement à Apollon, il n’en choisit aucune et elles ne dansent pas vraiment de concert) et Fred Astaire… Arlene Croce refusait cependant d’y voir un exercice de nostalgie du « Good Old Broadway » mais bien un ballet classique contemporain.

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« Who Cares? ». Saluts le 10 février.

C’est pourtant bien ce qu’est devenu Who Cares ?, un des numéros quasi-obligatoires de toute tournée d’une compagnie américaine à l’étranger. Dansé par le San Francisco Ballet, le Miami ou bien sûr le New York City Ballet, la pièce a un petit côté bonbon acidulé qui montre l’énergie et l’enthousiasme des danseurs américains ; leur « joie de danser » diront certains. Mais ces danseurs états-uniens, quoiqu’à un moindre degré aujourd’hui, sont baignés depuis l’enfance dans ce répertoire, qu’ils ont forcément rencontré à l’occasion d’un high school musical. Ils peuvent sans doute fredonner les paroles (lyrics) des chansons comme des Français le feraient pour La vie en rose de Piaf. Lorsqu’ils dansent, il y a un sous-texte. Le soir de ma première, dans le grand escalier à la fin du spectacle, une jeune femme disait à son amie : « je suis sûre d’avoir reconnu la musique de West Side Story ».

Les danseurs de l’Opéra pouvaient-il apporter autre chose que du mimétisme à Who Cares ? Non. Ils font de leur mieux mais soit cela tombe à plat (le 10 février) soit cela parait plaisant mais globalement insipide (le 2 mars). Comme pour Ballet Imperial, le Who Cares ? lasse par sa succession de tableaux à n’en plus finir. Il se termine néanmoins par une danse d’ensemble digne d’un final sur I Got Rythm.

*                                       *

Entre deux moments de flottement, on peut trouver quelques éléments de satisfaction. Léonore Baulac (le 11 et le 15 février), dont c’est la rentrée cette saison, est fine, enjouée et déliée en soliste rose. Elle manque un peu de capiteux dans The man I love mais parvient à évoquer (le 15) une jeune Ginger Rogers aux côtés d’un Germain Louvet qui danse avec précision et légèreté mais ne varie pas d’un iota sa posture, quelle que soit sa partenaire. Les deux premiers soirs par exemple, il danse avec Valentine Colasante en soliste en parme pourtant aux antipodes de Baulac. Statuesque, sûre d’elle, femme puissante, elle se laisse voler un baiser avec délectation (Embraceable You). La soliste en rouge est tour à tour interprétée par Hannah O’Neill, un peu lourde le 10 et par Célia Drouy le 16 qui insuffle à son Stairway to Paradise une vibration jubilatoire communicative. Ceci n’empêche pas damoiseau Louvet de servir exactement la même – délectable – soupe à ces deux incarnations contrastées du même rôle.

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C’est sans doute le 2 mars que Who Cares ? a été au plus près de nous satisfaire. La salle et la scène étaient, dès le départ, comme électrisées par la nomination des deux danseurs étoiles. Le tableau des filles en violet dégageait une tension nerveuse assez roborative et le passage des petits duos des demi-solistes (filles en rose et garçons en violet) était sans doute le plus homogène des mes trois soirées. Jusque-là, on avait surtout remarqué Roxane Stojanov, la seule à avoir la dégaine requise, notamment pour son duo « Tu m’aimes, je te fuis. Tu pars, je t’aguiche » avec Gregory Dominiak. Le 2 mars, Camille de Bellefon et Chun-Wing Lam ont du feu sous les pieds dans S’Wonderful, Ambre Chiarcosso et Antonio Conforti sont adorables dans That Certain Feeling de même que Pauline Verdusen et Manuel Garrido.

Surtout, Marine Ganio est une superbe soliste rose. Son plié relâché est souverain et sensuel. Elle donne l’occasion à la nouvelle étoile Marc Moreau de montrer toutes ses qualités de leading man, sa réactivité à ses partenaires. Leur The Man I Love diffuse un sentiment d’intimité palpable même aux rangs reculés de l’amphithéâtre. Silvia Saint-Martin n’est peut-être pas aussi captivante dans Embraceable You que ne l’était Colasante, mais Moreau parvient à faire du baiser final un moment de complicité avec la salle. Héloïse Bourdon, le sourire accroché au visage comme un héros de guerre arbore sa médaille (on a encore étoilé une autre avant elle), est une danseuse rouge à la fois capiteuse et lointaine. Marc Moreau, le soliste au cœur d’artichaut, semble tournoyer autour d’elle comme une phalène attirée par un lampion. Il se dégage de leurs interactions un authentique charme un tantinet décalé…

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Mais une soirée réussie suffit-elle à justifier un tel programme ? L’Opéra annonce fièrement sur ses différentes pages qu’avec Imperial et Who Cares?, elle possède désormais 36 ballets de Balanchine. Mais que fait-elle de ce répertoire ? Depuis la brève direction Millepied, les Balanchine importés sont tous des œuvres secondaires du chorégraphe : Brahms Schoenberg Quartet, Mozartiana ou Le Songe d’une nuit d’été sont tous des ballets mineurs dans la production du maître, dépourvus de tension ou mal bigornés. Toute une jeune génération de balletomanes à l’Opéra n’aura connu de Balanchine que des œuvres mi-cuites. Pour eux, c’est une vieille perruque… Apollon musagète, Sérénade et Les Quatre tempéraments auraient dû être présentés en octobre 2020 mais 10 des 11 représentations ont été annulées en raison de la crise sanitaire. Or cela faisait déjà à l’époque une dizaine d’années que ces ballets n’avaient pas été dansés sur la scène de l’Opéra.
Un des – nombreux – chantiers de la direction Martinez sera de présenter à nouveau des œuvres dignes de l’authentique génie qu’était Balanchine ; des œuvres capables de porter les étoiles, actuelles, nouvelles et à venir vers de nouveaux cieux artistiques.

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Roxane Stojanov. Who Cares?. Saluts le 15 février.

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Hommage à Patrick Dupond : une grand messe en mal de desservants

Voici donc qu’a eu lieu le très attendu hommage à Patrick Dupond : trois soirées dont une de gala hors de prix (j’ai passé mon tour), une plaquette hagiographique truffée de jolies photographies qui élude complètement la question des rapports difficiles qu’a entretenus le danseur avec « sa » maison (son renvoi se réduit à « 1997 : un conflit avec l’Opéra entraîne son départ ») mais un programme somme toute bien construit.

Le fait est à relever et à saluer. Les hommages ne sont pas, loin s’en faut, la spécialité de la Grande boutique.

Ici, s’adjoignaient en effet à un très joli film d’introduction par Vincent Cordier et au Grand défilé de la troupe trois ballets intimement liés au souvenir du flamboyant météore que fut Patrick Dupond dans le firmament chorégraphique : Vaslaw, créé en 1979 pour le tout jeune danseur par John Neumeier, Le Chant du compagnon errant, évoquant le fort lien personnel et artistique que Dupond entretint avec Maurice Béjart et enfin Études d’Harald Lander, le rôle du soliste à la Mazurka ayant été un des grands rôles du bouillant et facétieux interprète.

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Grand défilé du corps de ballet. Mercredi 22 février.

Cela étant dit, cette soirée d’hommage, dès le défilé, montrait les failles actuelles de la compagnie. C’est en effet une cruelle ironie du sort qu’alors qu’on célèbre le danseur même qui a révélé au monde, par sa médaille d’or et son grand prix au concours international de Varna en 1976, qu’il y avait d’excellents danseurs à Paris, que les rangs des étoiles masculines aient été si décimés. Quatre étoiles à mettre sur scène, c’est bien peu pour une compagnie de 154 danseurs.

Et la suite du programme n’a fait que confirmer cette impression.

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Vaslaw. Mercredi 22 février 2023. Saluts

Pour Vaslaw, par exemple, la compagnie a dû faire appel à Alexandr Trusch, un vétéran de Hambourg, pour interpréter le soliste blanc créé par Dupond.

Vaslaw est un ballet un peu à part dans la somme des ballets que John Neumeier a créés autour de la personnalité de son idole, Nijinsky, dont il collectionne les memorabilia et artefacts depuis de nombreuses années. Au fur et à mesure, ces différentes pièces sont devenues de plus en plus biographiques et narratives. Ici, le lien avec l’immense icône de la danse est plus ténu. Il n’y a pas d’argument. Sur des pièces de Bach qu’aurait voulu chorégraphier Nijinsky, mais qu’il n’a jamais touchées, quatre couples et un soliste en vert égrènent un art du pas de deux néoclassique. Le personnage principal n’est finalement pas celui qu’on croit car Vaslaw (en blanc) est très statique. Il reste posé au sol dans des positions de gymnaste, avec beaucoup d’écarts, ou fait des poses plastiques (une référence au spectre de la Rose et quelques poignets cassés à la Faune) lorsqu’il est debout. Les fulgurances chorégraphiques sont très subreptices. John Neumeier, plutôt que de paresseusement se reposer sur la technique explosive du jeune Dupond, a intelligemment voulu  montrer son incroyable charisme.

Les pas de deux réagissent à la musique. Le premier, très calme, met l’accent sur les lignes. Roxane Stojanov et Florent Melac s’y montrent très à l’aise et installent un climat de plénitude. Le deuxième, très dynamique, avec des sauts en l’air pour la fille, va bien à Hohyun Kang et Andrea Sarri. Le couple est vraiment charmant. Si le troisième pas deux dans la même veine badine que le précédent (Hannah O’Neill et Daniel Stokes) marque moins, le quatrième qui se mue en pas de trois avec Vaslaw, défendu par Arthus Raveau (en belle forme) et Naïs Duboscq (charmante de fraîcheur), séduit.

Las, avant ce pas de deux à trois, Guillaume Diop a saccagé la variation la plus célèbre du ballet (choisie jadis moult fois lors des concours de promotion), celle au poing dans le sol. Neumeier a en effet dissocié le corps et la psyché de Vaslaw. Si le soliste en blanc, sans être prostré comme plus tard Nijinsky, semble être déjà rentré en lui-même, le ou la soliste en vert (la variation est en effet dégenrée) exprime les affres et aspirations du plus mythique des danseurs-chorégraphes. Guillaume Diop passe malheureusement complètement à côté de sa partition, rendant mignarde et narcissique l’ensemble de la variation. Il faudrait veiller à ce que le plus étoilable des garçons de la compagnie ne verse pas dans une insipidité de joli garçon content de lui. Certes Guillaume Diop est jeune mais Patrick Dupond était plus jeune encore quand Neumeier a créé ce ballet sur lui.

C’est d’autant plus dommage que ce trou d’expression à un moment crucial du ballet m’a empêché de vraiment adhérer à la proposition de l’invité hambourgeois, dont on voit bien pourtant qu’il maîtrise les clés du vocabulaire du maître de Hambourg. Trusch paraissait curieusement parachuté au milieu des danseurs parisiens.

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Le Chant du compagnon errant. Audric Bezard et Mathieu Ganio.

J’ai toujours associé Le Chant du Compagnon errant à Patrick Dupond. En 1985, lors de l’émission du Grand échiquier de Jacques Chancel qui lui était consacrée, il avait dansé la section finale avec son ami de toujours, Jean-Marie Didière. Il interprétait le soliste principal en bleu et Didière le soliste en bordeaux. En 1990, à l’occasion de la Carte Blanche à Jean Guizerix (un autre trait de la générosité d’intentions de la direction Dupond que cette soirée consacrée à une étoile sortante, tellement plus parlante que les ovations à pétales qui sont devenues la tradition aujourd’hui), Patrick Dupond avait endossé le rôle du second soliste face à Rudolf Noureev. Le directeur entrant rendait ainsi une forme d’hommage au sortant. Dans le petit film de Vincent Cordier, un extrait des saluts à la suite de cette représentation montre Noureev faisant un geste en direction de Dupond. Celui-ci recule d’abord et Rudy répète ce geste comme pour dire avec humour, « viens, idiot ! Je ne vais pas te manger ! » C’était absolument émouvant. Le Ballet est enfin rentré au répertoire en 2003. En 2007, il fut repris à l’occasion d’une très forte soirée d’adieux pour Laurent Hilaire. C’est Manuel Legris, son binôme-rival-parèdre de toujours dans la compagnie, qui l’entrainait vers les ténèbres du fond de scène.

« Compagnon errant » est un résumé du travail béjartien. Sur la partition du même nom de Gustav Mahler, Béjart, comme tous les grands réformateurs du ballet – Balanchine avant lui et Fosythe après – égrène des enchaînements somme toute très classiques, presque extraits de la classe, arabesques, ports de bras, souvent en position croisée, changements de direction, mais mis dans une lumière nouvelle. Ainsi, des développés-seconde se terminent en grands plié sur un pied en demi-pointe. Les développés-quatrième se font en miroir inversé (l’un des partenaires faisant des arabesques dans la même diagonale).

Le soliste principal en académique bleu commence le ballet seul sous le regard du soliste rouge. Puis les deux danseurs dansent en parallèle ou en canon. Ils interagissent enfin dans des parades de séduction, puis dans des duos conflictuels. Rien d’explicitement homo-érotique ici. Le Chant du compagnon errant est tout centré autour de l’acceptation d’une compagne crainte par-dessus tout : la Mort. D’abord ignorée, puis courtisée, puis enfin combattue avant d’être enfin acceptée comme une nécessaire et ultime partenaire. Dans le rôle du soliste bleu, Mathieu Ganio a cette qualité solaire et éternellement juvénile qui rend ce dialogue avec la mort poignant. Audric Bezard est parfait dans le rôle de la Mort. Il a au début ce côté impavide qui inspire l’admiration et la crainte. Il est séduisant et dangereux à la fois. Ses talents de partenaire le rendent également doux et attentionné. Personnellement, j’ai été interpellé par ce duo.

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Etudes. Héloïse Bourdon

Études est également un rôle qui a marqué la carrière de Patrick Dupond. La variation de la Mazurka faisait notamment partie de son programme de deuxième tour à la compétition de Varna en 76. Il y fit, selon ses dires, « le gadin le plus brillant de toute l’histoire de la danse ». Obligée de se retirer dans un gymnase au sol glissant en raison des conditions météo, la compétition avait vu une hécatombe de chutes conduisant certains compétiteurs à se blesser irrémédiablement. Invité à recommencer le jour suivant dans le cadre habituel du théâtre de verdure, Dupond avait reçu entre temps les conseils (pas forcement utiles selon lui) du créateur du rôle en 1948, John Gilpin.

Pour cette soirée d’hommage, la première question qui se posait était de savoir si le corps de ballet de l’Opéra, qu’on a trouvé un peu à la peine sur Ballet impérial lors des premières représentations du programme Balanchine, allait être à la hauteur de mes souvenirs. Le soulagement est venu très vite. Le ballet de Lander, au répertoire depuis 1952 (Lander était alors maître de ballet à l’Opéra), est toujours dans les jambes de la compagnie, surtout chez les filles. Dans la section de « la barre des tutus noirs », la série des ronds de jambes et des petits frappés est tirée au cordeau. Les séries de pirouettes des tutus blancs passent bien ainsi que toute la batterie, filles et garçons confondus. Le final aux diagonales de grand jetés, d’emboités et de coupés jetés (hormis pour un garçon qui semble avoir commencé du mauvais pied en coulisse) a l’élan et le brio nécessaire.

Dans le trio d’étoiles, Héloïse Bourdon est parfaitement à son aise. Elle irradie une sérénité et une détente dans sa danse, même dans les passages les plus techniques, qui provoque immanquablement l’adhésion. Dans le passage de « La Sylphide » (un épisode historique rajouté par Lander pour l’entrée au répertoire de l’Opéra), la danseuse ébauche même une narration.

Hélas, elle est seule. Les interactions avec ses partenaires ne passent pas la rampe. Jeremy-Loup Quer a une jolie ligne et passe tolérablement les difficultés techniques mais il lui manque une pointe de brio dans ce ballet où tout doit être pyrotechnique. Marc Moreau confirme l’impression qu’il nous avait donnée dans le Lac des cygnes en décembre dernier. Dès qu’il y a un enjeu technique, il se met en mode hyper-contrôle. Il croit rattraper le manque de moelleux qui en découle en jouant au matamore qui se prendrait pour un chef d’orchestre. Avec ses mains et ses ports de tête, il souligne les tutti d’orchestres d’une manière un peu ridicule surtout dans la Mazurka, jadis cheval de bataille du danseur qu’il est censé célébrer. Voilà une curieuse manière d’évoquer la mémoire du grand danseur à la souplesse de chat que fut Dupond.

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Le nouveau directeur de la danse, lui-même étoile hors pair, a décidément une première mission à accomplir : redonner confiance et force aux excellents danseurs masculins de l’Opéra visiblement en perte de repères.

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Patrick Dupond dans « Boléro » de Maurice Béjart. Photographie Mickaël Lemoine

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Le Lac des cygnes 2022 : un temps du bilan

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Pourpoint de Rudolf Noureev pour Siegfried (1989)

Lac d’indifférence

Le saviez-vous? L’opéra de Paris rend hommage à Rudolf Noureev. En effet, le 6 janvier dernier précisément, cela a fait 30 ans que le mythique danseur, chorégraphe directeur nous a quitté.

L’Opéra de Paris restant l’Opéra de Paris, c’est bien entendu un hommage en pente descendante. Les 10 ans de la disparition de Noureev avaient été l’occasion d’une prestigieuse soirée de gala ; les 20 ans d’une soirée que Les balletotos avaient qualifiée « d’enterrement de seconde classe ».

Pour cette nouvelle décennie qui s’achève, tandis que la bibliothèque de l’Opéra célébrait les comédies (beaucoup)-ballets (trop peu) de Molière, les vitrines des espaces publics exposent depuis quelques semaines des costumes des grandes productions Noureev de ballets. La plupart d’entre eux sont des avatars récents disponibles au central costumes, souvent moins fouillés et luxueux que leurs ancêtres de la création des productions. Raymonda acte 3, à qui on a maladroitement voulu donner la position iconique de « la claque » et qui a plutôt l’air de se gratter la caboche, n’est finalement qu’une pâle copie du costume de la production de 1983, qui ressemblait de près à une carapace en or repoussé.

Mis à part deux costumes de Washington Square, le seul artefact « d’époque », est le pourpoint de Rudolf Noureev dans son Lac des cygnes, porté, selon l’affichette, en 1989, l’année de son départ de la direction de la danse.

Le Lac des cygnes… justement le seul ballet de Noureev présenté pour cette saison 2022-2023 qui marque les 30 ans de sa disparition. Le seul ballet d’ailleurs qu’on peut qualifier de « grand classique » qui sera au programme tout court. C’est Kenneth MacMillan, lui aussi disparu il y a trois décennies, qui semble donc à l’honneur avec deux ballets dont une entrée au répertoire. Ceci est certes dû au hasard des reprogrammations post-Covid, mais avouons que l’effet est assez fâcheux.

« L’ardoise magique-Opéra » face à son répertoire chorégraphique serait-elle en marche? Selon la blogosphère, José Martinez aurait déclaré juste après sa nomination, « il n’y a pas qu’une version du Lac des cygnes ». Des dires non vérifiés. Dans une intervention plus récente sur France Musique, l’étoile-directeur se montre d’ailleurs plus attaché que cela à l’héritage Noureev ouvrant même la perspective d’une reprise de Casse-noisette ; mais sait-on jamais ?

Autant dire que nos Balletotos se sont jetés sur la série de Lacs programmée en décembre comme de pauvres affamés. Ils ont assisté à sept représentations et ont en conséquence pu voir chacune des cinq distributions officielles proposées par la maison. Tout le monde n’a pas commenté sur toutes les distributions. Nous rétablissons donc ici une certaine diversité des points de vue.

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Duos lacustres

Cette reprise a été marquée par la verdeur des Siegfried, la compagnie étant cruellement en défaut d’étoiles masculines disponibles.

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Le seul duo étoilé aura finalement été celui de la première, réunissant Valentine Colasante et Paul Marque, qui avaient chacun dansé les rôles principaux lors de la mouture 2019. James, féru des premières, a donc ouvert le bal le 10 décembre et a salué un couple « crédible dans l’incarnation,  émouvant dans le partenariat ». De son côté, le 22 décembre, Cléopold a aimé le cygne « animal et charnel » de Valentine Colasante, « moins oiseau que femme, se mouvant avec la douceur d’un duvet de plumes ». Fenella a également été séduite par le cygne de Colasante. Elle note que, dans le prologue, « les bras de la ballerine, battent devant et derrière en un mouvement  circulaire qui lui donne un air d’affiche Art nouveau peinte par Mucha ». À l’acte 2, elle rejoint Cléopold dans sa vision très terrienne du cygne : « très difficile d’expliquer combien Colasante est à la fois ancrée et légère », son oiseau « est pris dans l’entre deux, comme s’il était en train de se noyer ». L’Odette de Colasante serait une « reine de douleur », aux plumes coupées, qui a déjà perdu tout espoir de s’envoler ».

Tous nos rédacteurs s’accordent pour célébrer la maturité artistique et scénique acquise par Paul Marque depuis la dernière reprise du Lac. « Il n’a désormais plus besoin de (très bien) danser pour être remarqué. Il insuffle aussi bien dans sa danse que dans sa pantomime de la respiration ». Fenella apprécie la façon dont il utilise tout son corps avec « une énergie pleine et ouverte à l’image de ses arabesques, cambrées, prises de la hanche, qui expriment une forme d’attente douloureuse ou de prescience».

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Pablo Legasa (Rothbart), Dorothée Gilbert (Odette-Odile) et Guillaume Diop (Siegfried)

La deuxième distribution, quant à elle, réunissait Dorothée Gilbert, ballerine déjà confirmée dans le rôle et le très jeune et très en vue Guillaume Diop. James, le 14 décembre et Cléopold le 23 apprécient tous deux la distribution à des titres différents. Le premier célèbre surtout la ballerine, trouvant le danseur un tantinet trop « jouvenceau » dans le rôle, tandis que le second passe au-dessus de ce déséquilibre de maturité grâce au Rothbart éminemment freudien de Pablo Legasa.

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Jack Gasztowtt, Myriam Ould-Braham et Marc Moreau. Saluts.

Le troisième couple, vu le 16 décembre, est celui qui a peut-être le moins séduit. Myriam Ould-Braham dansait avec le premier danseur Marc Moreau en remplacement de son partenaire de prédilection, Mathias Heymann, initialement prévu. Cléopold n’a pas adhéré au sage et minéral prince de Moreau et a tonné contre le cygne noir sans charme ni abatage de sa danseuse favorite. Il réalise à l’occasion qu’il ne peut pas vraiment croire au cygne blanc s’il n’y a pas de cygne noir. Fenella rejoint plus ou moins notre intransigeant barbon. Selon elle, « Siegfried-Moreau n’aspire pas à la vie. En clair, Freud dirait qu’il est refoulé ». À l’acte 2, « il réagit néanmoins d’une manière quasi viscérale au moment où Odette Ould-Braham pose ses mains sur son avant-bras ». À l’acte 3, « il essaye d’enflammer la salle, mais se retrouve face à un cygne noir qui a éteint la lumière […] Plus de délicieuses œillades comme lors de la dernière série de Lac, juste … la mire ». Moins sévère, James écrit : « Même en méforme, Myriam Ould-Braham émeut par l’éloquence de ses bras, la douceur de ses regards et la délicatesse de son partenariat avec Marc Moreau ».

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Thomas Docquir (Rothbart), Héloïse Bourdon (Odette-Odile) et Pablo Legasa (Siegfried).

Le duo le plus attendu de la série, entouré de folles (et sommes toutes irréalistes) rumeurs de nomination, réunissait pour une unique date, le 26 décembre, deux premiers danseurs initialement non prévus sur les rôles principaux. Héloïse Bourdon, peu vue ces dernières saisons, retrouvait un rôle qui lui avait déjà été donné lorsqu’elle n’avait que 19 ans. Elle dansait aux côtés de Pablo Legasa dont c’était la prise de rôle.

Cléopold a été conquis par l’intensité dramatique du couple, par la maîtrise sereine de la ballerine ; un peu moins par les petits arrangements que le danseur  s’est ménagé dans la chorégraphie aux deux premiers actes. James de son côté dit : « c’est la ballerine qui m’impressionne le plus : outre le physique, si éthéré qu’il en devient idéel en cygne blanc, il y a le mélange de grâce et de force (technique) qui vous tient en haleine. En Siegfried Legasa, on voit pleinement les promesses, mais l’interprète m’a  donné parfois la déroutante impression de ne pas aller au bout de ses effets ». De son côté, Fenella écrit, « dès le prologue,  Bourdon rend extrêmement clair qu’elle a été atteinte par un tir de flèche ». À l’acte 2, « le corps de la ballerine est confus de la meilleure manière qui soit, à la fois cherchant à aller vers son prince mais s’en trouvant toujours éloigné par l’appel du magicien ». Notre rédactrice se montre fascinée par « le phrasé, les sauts silencieux, les élégantes lignes et l’intelligence dramatique » de Pablo Legasa. « Le solo méditatif de l’acte un ? Vous auriez pu entendre une épingle tomber ».

À l’acte 3, le cygne noir d’Héloïse Bourdon est décrit par Fenella comme « félin, contrôlé, très aguicheur et enjoué tandis que Legasa bondit de joie ».

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Amandine Albisson et Jeremy-Loup Quer

Enfin, les Balletotos ont commencé l’année en finissant la série du Lac. C’était avec la dernière distribution réunissant Amandine Albisson et Jeremy-Loup Quer.

James, qui a écrit sur ce couple, se montre plus réceptif au cygne d’Albisson qu’il a pu l’être dans le passé même celui-ci n’est toujours pas « son cygne de prédilection » car il lui trouve « trop d’épaules ». Un peu échaudée par cette formulation, Fenella écrit « L’Odette d’Albisson est plus qu’une nageuse. Elle brasse frénétiquement l’eau en arrière lorsqu’elle rencontre le prince. Et comme quelqu’un en hyper-oxygénation, son cygne ensuite ralentit le mouvement comme pour essayer de suspendre le moment où le prince lui jure son éternel amour ». Fenella apprécie également la fibre presque « maternelle » que déploie la danseuse, « qui fait tinter la lecture freudienne de Noureev ».

Comme James, Fenella reconnaît la maîtrise technique de Jeremy-Loup Quer mais trouve son Siegfried « passif, presque masochiste ». Cléopold, de son côté, apprécie chez Quer « sa batterie très ciselée et ses lignes très Opéra ». Le danseur le laisse néanmoins froid durant les deux premiers actes et une grande partie du troisième où il n’a d’yeux que pour l’Odile « chic et charme » d’Amandine Albisson. Néanmoins le désespoir de Siegfried-Jeremy, « quand il pose ses mains sur sa tête puis mime à sa mère ‘J’ai juré !’ avant de s’effondrer comme une masse » entraîne notre exigeant rédacteur dans le quatrième acte. À l’instar de ses collègues, Cléopold est très ému par le dénouement du ballet, lorsque Odette est retournée sur l’escalier de fond de scène : « pendant la dernière confrontation entre Siegfried et Rothbart, Albisson n’est pas debout en train de faire des piétinés. Elle se tient agenouillée dans la position de la mort du cygne et on ne peut détacher son regard d’elle. Seule la dernière passe entre Quer et le Rothbart de Thomas Docquir, très violente, nous arrache à sa contemplation ».

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Pablo Legasa : Rothbart

La version Noureev du Lac des cygnes se caractérise notamment par un développement du rôle du magicien Rothbart qui a été fondu avec le précepteur Wolfgang de l’acte 1. À l’acte 3, quittant une sa grande cape, le magicien s’immisce dans le pas de deux et il est gratifié d’une variation rapide brillante truffée de pas de batterie et de tours en l’air enchaînés. Le rôle de Rothbart ne se limite néanmoins pas à cette brève explosion de technique. Le danseur qui l’incarne doit installer le doute dans l’esprit du spectateur dès l’acte 1.

Autant dire qu’il faut distribuer des danseurs avec une certaine envergure. Jadis créé par Patrice Bart, Rothbart a été endossé par Noureev lui-même. Par la suite, Wilfried Romoli l’avait fait sien. Dans la période la plus récente, François Alu l’a dansé avec succès. Il était d’ailleurs prévu sur cette reprise avant sa démission – pas si – surprise.

À l’instar du casting des Siegfried, le double rôle du magicien aura été interprété par pas mal de nouveaux venus. Jeremy-Loup Quer, notre Siegfried  du 1er janvier faisait presque figure de vétéran du rôle de Rothbart pour cette mouture 2022. Le danseur, « plein d’autorité sereine en précepteur et menant très bien sa variation avec une pointe d’acidité » selon Cléopold, « cornaque Siegfried-Marque » selon James. « Jeremy-Loup Quer [à la fin de l’acte 1] passe sa main autour du col de son élève, juste à la lisière entre le tissu et la peau, comme s’il lui posait un collier. L’effet est glaçant ».

Voilà un effet qui n’a pas particulièrement attiré l’attention de Cléopold qui a vu Quer un autre soir. Il remarque cependant un geste similaire accompli par le Rothbart de Pablo Legasa qui selon lui, fut le magicien le plus abouti de cette reprise.

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Jack Gasztowtt : Rothbart le 16 décembre

Jack Gasztowtt, qui officiait aux côtés de Myriam Ould Braham et de Marc Moreau (16 décembre) atteint les prérequis techniques du rôle mais ne convainc pas forcément dramatiquement. Cléopold le trouve inexistant à l’acte 1 et regrette le manque de connexion du trio à l’acte 3. Plus réceptive, Fenella le compare à un « calme et malsain accessoiriste » à l’acte 1, et trouve qu’à l’acte 4 « il essaye de ressembler à la chauve-souris de la Nuit sur le Mont Chauve de Fantasia. C’était mignon » … Praise indeed !

Thomas Docquir était notre Rothbart pour deux distributions : Bourdon-Legasa et Albisson-Quer. Encore sous l’émotion du Rothbart de Legasa, Cléopold trouve les contours dramatiques du Rothbart de Docquir imprécis le 26 mais se montre plus convaincu le 1er janvier notamment lors du combat final de l’acte 4. Fenella trouve également que le jeune danseur a grandi dans son rôle le 1er janvier : « Dès le prologue, son Rothbart glisse au sol comme un danseur géorgien et ses battements d’ailes ont gagné en autorité. Lorsqu’il apporte l’arbalète à la fin de l’acte 1, c’est plus comme s’il donnait au prince le mode d’emploi pour mettre fin à ses jours. Un vrai coup de poignard au cœur ».

De son côté, selon James, « seul Thomas Docquir n’a presque pas flanché sur une des réceptions de la redoutable série de double-tours en l’air de l’acte noir ».

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Thomas Docquir : Rothbart les 26 décembre et 1er janvier.

Accessits, confirmations, admiration : cette saison de Rothbart est globalement une bonne cuvée qui murira bien.

Peut-on dire la même chose des…

Pas de trois de l’acte 1

Il semblerait que nos trois rédacteurs n’aient jamais vraiment trouvé leur combinaison idéale. James écrit : « Dans le pas de trois, Roxane Stojanov manque de charme, mais Axel Maglioano impressionne par ses entrelacés et son manège, tandis qu’Hannah O’Neill livre sa variation avec style (10 décembre). Quelques jours plus tard, le trio formé par Aubane Philbert (en avance sur la musique), Silvia Saint-Martin (essoufflée sur les temps levés de la coda) et Antoine Kirscher (qui finit une réception en sixième) se montre techniquement à la peine le 14 décembre. Ce sera mieux un autre soir (le 26) ».

Cléopold s’est montré aussi peu conquis. Le 16, il ne l’est pas par le trio Sarri-Scudamore-Duboscq et l’a écrit. Fenella, qui ne partage pas son avis, les a trouvé « légers comme des plumes ; Scudamore avec du souffle sous les pieds, et Sarri et Duboscq se répondaient l’un l’autre ». Le 22 est le soir où Cléopold se montre le plus satisfait : « Sarri est plus posé que le 16, Stojanov a une danse enjouée et musicale. Enfin O’Neill est très féminine et primesautière ». Pour les trois dernières dates cléopoldiennes, Antoine Kirsvher dansait « le rôle du monsieur », toujours trop tendu et sec pour séduire.

Fenella aura également beaucoup vu le nouveau premier danseur et le moins qu’on puisse dire, c’est que le charme n’opère pas. Le 1er janvier, elle nous dit « Kirscher veut trop vendre sa soupe. Ç’en est laid. Mains tendues et écartées, réceptions bruyantes, amusicalité occasionnelle et lignes approximatives». N’en jetez plus ! Dommage, car pour cette matinée ultime, notre rédactrice a un coup de cœur pour les demoiselles : « Inès McIntosh est un trésor ; féminine avec de longues lignes, une haute arabesque et des temps de sauts joyeux aux réceptions silencieuses. On pourrait en dire de même de la trop rare Marine Ganio ».

On est un tantinet inquiet de la pénurie de danseurs masculins sur ce pas de trois. On pourrait s’interroger sur la présence d’Audric Bezard, premier danseur, dans la danse espagnole pratiquement un soir sur deux. Lorsqu’on regarde la distribution de Kontakthof qui jouait en même temps à Garnier, on reconnaît un certain nombre de danseurs qui se sont déjà illustrés dans le pas de 3, voire dans le rôle de Siegfried : Axel Ibot, Florimond Lorieux, Daniel Stokes. Il n’était peut-être pas judicieux de programmer une pièce avec une distribution fixe pour une longue série quand le Lac se jouait à Bastille…

« Grands », « Petits » et Caractères

On retrouve de ces incongruités dans les distributions des rôles demi-solistes. Que faisait Bleuen Battistoni dans la Czardas (qu’elle dansait élégamment) quand, à l’instar d’Antoine Kirscher, elle est montée première danseuse au dernier concours de promotion ? On pourrait se poser la même question face à la présence de Roxane Stojanov ou Héloïse Bourdon dans les 4 grands cygnes. Les quatuors de petits cygnes en alternance ont fait leur effet. Cléopold a un petit faible pour celui réunissant Marine Ganio, Aubane Philbert, Caroline Robert et Clara Mousseigne le 1er janvier.

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Dans les danses de caractère, la Czardas était dansée par le corps de ballet avec le bon poids au sol comme d’ailleurs la Mazurka. Les solistes ont eu des fortunes diverses. Dans les messieurs, Antoine Kirscher est à la peine le 16. Axel Magliano et Jack Gasztowtt sont beaucoup plus à leur affaire respectivement aux côtés d’Aubane Philbert (le 22) et de Caroline Robert (le 23), cette dernière donnant sa représentation la plus enjouée le 1er janvier aux cotés de Kirscher.

La danse espagnole a eu aussi ses hauts et ses bas. Audric Bezard avait le pied mou en début de série puis s’est bien rattrapé. Le 1er janvier, le quatuor Bezard-Legasa-Drouy-Fenwick avait même du peps.

La Napolitaine a été bien illustrée sur la plupart des représentations. Le 16, Cléopold et Fenella s’accordent sur les qualités de plié et sur l’énergie d’Hugo Vigliotti mais diffèrent quant à la demoiselle. Bianca Scudamore n’est décidémment pas la tasse de thé de Cléopold mais il se laisse néanmoins plus séduire lorsqu’elle danse aux côtés d’Andrea Sarri (le 22/12 où il remplace Vigliotti). Andrea Sarri forme un couple savoureux le 23 avec Marine Ganio. Mais c’est finalement la représentation du 1er janvier qui recueille tous les suffrages. Fenella célèbre le passage « rendu palpitant par Ambre Chiarcosso et Chun-Wing Lam à la fois espiègle et clair de ligne. Adorables ! ». Pour Cléopold, « Lam (que n’a-t-il été distribué dans le pas de trois !) est primesautier et a du feu sous les pieds. Chiarcosso est à l’unisson avec ses jolies lignes et sa musicalité innée. Une petite histoire se raconte. La fin est très brusque et flirt ».

Cygnes

Mais il faut dire que le moment de bonheur sans partage aura été, encore une fois, les tableaux des cygnes. Le corps de ballet féminin garde cette discipline sans raideur qui permet de se projeter dans cette histoire fantastique.

La(es) foss(oyeurs)e

L’ensemble de la troupe a par ailleurs du mérite car il lui fallait triompher de l’orchestre de l’Opéra. Il y avait en effet longtemps qu’on avait eu à endurer une telle médiocrité de la part de la fosse. Le pupitre de cuivres en particulier nous a infligé tous les soirs des flatulences musicales. En termes de volatile, on était plus près du canard que du cygne. La direction de Vello Pähn était languide et sans relief. L’adage Odette-Siegfried de l’acte 4 était joué bien trop lentement.

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Le bilan global est au final en demi-teinte, un peu à l’image des costumes des danses de caractère de l’acte 3, dont les vieux rose et parme paraissent aujourd’hui bien délavés ; certains dateraient-ils de la création ? En 2024, cela fera 40 ans que Noureev créait son Lac à l’Opéra. Peut-être serait-il temps d’offrir à cette version, systématiquement reprise à Bastille, des décors à l’échelle de la scène et de nouveaux habits … On peut toujours rêver !

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Commentaires fermés sur Le Lac des cygnes 2022 : un temps du bilan

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“Some enchanted evening/you may see …” (My spring season at the Paris Opera)

Just who wouldn’t want to be wandering about dressed in fluffy chiffon and suddenly encounter a gorgeous man in a forest glade under the moonlight? Um, today, that seems creepy. But not in the 19th century, when you would certainly meet a gentleman on one enchanted evening…« Who can explain it, who can tell you why? Fools give you reasons, wise men never try. »

Notes about the classics that were scheduled for this spring and summer season — La Bayadère, Midsummer Night’s Dream, Giselle — on call from April through July.

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After the confinement, filmed rehearsals, and then two live runs in succession, DOES ANYONE STILL WANT TO HEAR ABOUT LA BAYADERE? But maybe you are still Dreaming or Giselling, too?

Here are my notes.

Bayaderes

« Some enchanted evening, you may see a stranger across a crowded room. And somehow you know, you know even then, That somehow you’ll see her again and again. »

April 21

In La Bayadère, if Ould-Braham’s Nikiya was as soft and naïve and childlike as Giselle. Bleuenn Batistoni’s  Gamzatti proved as hard and sleek as a modern-day Bathilde: an oligarch’s brat. [Albeit most of those kinds of women do not lift up their core and fill out the music]. Their interactions were as clear and bright and graphic as in a silent movie (in the good sense).

OB’s mind is racing from the start, telling a story to herself and us, desperate to know how this chapter ends. Partnering with the ardent Francesco Mura was so effortless, so “there in the zone.” He’s one of those who can speak even when his back is turned to you and live when he is off to the side, out of the spotlight. Mura is aflame and in character all the time.

OB snake scene, iridescent, relives their story from a deep place  plays with the music and fills out the slow tempi. Only has eyes for Mura and keeps reaching, reaching, her arms outlining the shape of their dances at the temple (just like Giselle. She’s not Nikiya but a  Gikiya).

Indeed, Batistoni’s turn at Gamzatti in the second act became an even tougher bitch with a yacht, as cold-blooded as Bathilde can sometimes be:  a Bamzatti. There was no hope left for Ould-Braham and Francesco Mura in this cruel world of rich fat cats, and they both knew it.

April 3

Park  as Nikiya and later as Giselle will channel the same dynamic: sweet girl: finallly infusing some life into her arms in Act 1, then becoming stiff as a board when it gets to the White Act, where she exhibits control but not a drop of the former life of her character. I am a zombie now. Dry, clinical, and never builds up to any fortissimo in the music. A bit too brisk and crisp and efficient a person to incarnate someone once called Nikiya. Could the audience tell it was the same dancer when we got to Act 3?

Good at leaps into her partner’s arms, but then seems to be a dead weight in lifts. When will Park wake up?

Paul Marque broke through a wall this season and finds new freedom in acting through his body. In Act Three: febrile, as “nervosa” as an Italian racecar. Across the acts, he completes a fervent dramatic arc than is anchored in Act 1.

Bourdon’s Gamzatti very contained. The conducting was always too slow for her. Dancing dutifully. Where is her spark?

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Midsummer Night Dreams

« Some enchanted evening, someone may be laughing, You may hear her laughing across a crowded room. And night after night, as strange as it seems, The sound of her laughter will sing in your dreams. »

June 30

Very baroque-era vivid conducting.

Aurelien Gay as Puck: feather light.

Pagliero’s Titania is clearly a queen, calm and scary. But also a woman, pliant and delightful.

Jeremy Loup-Quer as Oberon has heft and presence. Dances nicely. Smooth, but his solos are kind of like watching class combinations. (Balanchine’s choreography for the role is just that, basically)

First Butterfly Sylvia Saint-Martin displayed no authority and did the steps dutifully.

Paris Opera Ballet School kiddie corps has bounce and go and delicate precision, bravo.

Bezard/Demetrius in a wig worthy of a Trocks parody. Whyyyy? Particularly off-putting in the last act wedding scene. Who would want to marry a guy disguised as Mireille Matthieu?

Bourdon/Hyppolita unmusical fouettés. I miss her warmth and panache. Gone.

Act 2 Divertissement Pas where the couple appears out of nowhere in the “story.” (see plot summary). The way Louvet extends out and gently grasps Ould-Braham’s hand feels as if he wants to hold on to the music. Both pay heed and homage to the courtly aspect of the Mendelssohn score. That delicacy that was prized by audiences after the end of the Ancien Régime can be timeless. Here the ballerina was really an abstract concept: a fully embodied idea, an ideal woman, a bit of perfect porcelain to be gently cupped into warm hands. I like Ould-Braham and Louvet’s new partnership.  They give to each other.

July 12

Laura Hequet as Helena gestures from without not from within, as is now usual the rare times she takes the stage. It’s painful to watch, as if her vision ends in the studio. Does she coach Park?

Those who catch your eye:

Hannah O’Neill as Hermia and Célia Drouy as Hyppolita. The first is radiant, the second  oh so plush! Hope Drouy will not spend her career typecast as Cupid in Don Q.

In the Act II  Divertissment, this time with Heloise Bourdon, Louvet is much less reverential and more into gallant and playful give and take. These two had complimentary energy. Here Louvet was more boyish than gentlemanly. I like how he really responds to his actresses these days.

Here the pas de deux had a 20th century energy: teenagers rather than allegories. Teenagers who just want to keep on dancing all night long.

NB Heloise Bourdon was surprisingly stiff at first, as if she hadn’t wanted to be elected prom queen, then slowly softened her way of moving. But this was never to be the legato unspooling that some dancers have naturally. I was counting along to the steps more than I like to. Bourdon is sometimes too direct in attack and maybe also simply a bit discouraged these days. She’s been  “always the bridesmaid but never the bride” — AKA not promoted to Etoile — for waaay too long now.  A promotion would let her break out and shine as she once used to.

My mind wandered. Why did the brilliant and over-venerated costume designer Karinska assign the same wreath/crown of flowers (specifically Polish in brightness) to both Bottom in Act I and then to the Act II  Female Allegory of Love? In order to cut costs by recycling a headdress ? Some kind of inside joke made for Mr. B? Or was this joke invented by Christian Lacroix?

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Giselles

« Some enchanted evening, when you find your true love, When you hear her call across a crowded room, Then fly to her side and make her your own, Or all through your life you may dream all alone.. »

 July 6

 Sae Eun Park/Paul Marque

 Sae Eun Park throws all the petals of the daisy already, does not lower the “he loves me” onto her skirt. There goes one of the main elements of the mad scene.

Her authoritative variations get explosions of applause due to obvious technical facility , plus that gentle smile and calm demeanor that are always on display.

What can Paul Marque’s Albrecht do when faced with all this insipid niciness? I’ve been a bad boy? He does try during the mad scene, shows real regret.

Ninon Raux’s Berthe:  gentle and dignified and not disdainful.

Park’s mad scene was admired by those around me at the top of the house. Many neophites. They admired from afar but not one of those I surveyed at the end of Act I said they had cried when her character died. Same thing at the end of the ballet while we reconnected and loitered around on the front steps of the Palais Garnier.  I asked again. No tears. Only admiration. That’s odd.

On the upside, the Paris Opera has a real thing with bourrées (piétinées), Each night, Myrtha and Giselle gave a plethora of what seemed almost like skateboard or surfing slides. They skimmed over a liquid ground with buttery feet whether forward, backward, or to the side. I think a new standard was set.

In her variations, Hannah O’Neill’s Myrtha gave us a will o’ the wisp of lightly churning jétés. She darted about like the elusive light of a firefly. Alas, where I was sitting behind a cornice meant a blocked view of downstage left, so I missed all of this Wili Queen’s acting for the rest of Act II.

Daniel Stokes’s Hilarion was not desperate enough.

Despite the soaring sweep of the cello, I don’t feel the music in Park-Marque’s Giselle-Albrecht’s pas de deux.  Not enough flow. Marque cared, but Park so careful. No abandon. No connection. The outline of precise steps.

July 11

 Alice Renavand/Mathieu Ganio

Act I

Battistoni/Magliono peasant pas: Turns into attitude, curve of the neck, BB swooshes and swirls into her attitudes and hops. As if this all weren’t deliberate or planned but something quite normal. AM’s dance felt earthbound.

Renavand fresh, plush, youthful, beautiful, and effortlessly mastering the technique (i.e. you felt the technique was all there,  but didn’t start to analyse it). I like to think that Carlotta Grisi exhaled this same kind of naturalness.

ACT II

The detail that may have been too much for Renavand’s body to stand five times in a row: instead of quick relevé passes they were breathtakingly high sissones/mini-gargoullades…as if she was trying to dance as hard as Albrecht in order to save him (Mathieu Ganio,, in top form and  manly and protective and smitten from start to stop with his Giselle. Just like all the rest of us)

Roxane Stojanov’s Myrtha? Powerful. Knows when a musical combination has its punch-line, knows how to be still yet attract the eye. She continues to be one to watch.

July 16

 Myriam Ould-Braham/Germain Louvet

Act I :

A gentle and sad and elegant Florent Melac/Hilarion, clearly in utter admiration of the local beauty. Just a nice guy without much of a back story with Giselle but a guy who dreams about what might have been.

Ould-Braham a bit rebellious in her interactions with mum. This strong-minded choice of Albrecht above all will carry into the Second Act. Myrtha will be a kind of hectoring female authority figure. A new kind of mother. So the stage is set.

Peasant pas had the same lightness as the lead couple. As if the village were filled with sprites and fairies.

Peasant pas: finally a guy with a charisma and clean tours en l’air:  who is this guy with the lovely deep plié? Axel Magliano from the 11th!  This just goes to show you, never give up on a dancer. Like all of us, we can have a day when we are either on or off. Only machines produce perfect copies at every performance.

Bluenn Battistoni light and balanced and effortless. She’s not a machine, just lively and fearless. That spark hasn’t been beaten out of her by management. yet.

O-B’s mad scene: she’s angry-sad, not abstracted, not mad. She challenges Albrecht with continued eye contact.

Both their hearts are broken.

Act II:

This Hilarion, Florent Melac, weighs his steps and thoughts to the rhythm of the church bells. Never really listened to a Hilarion’s mind  before.

Valentine Colasante is one powerful woman. And her Myrtha’s impatience with men kind of inspires me.

O-B and Germain Louvet both so very human. O-B’s “tears” mime so limpid and clear.

GL: all he wants is to catch and hold her one more time. And she also yearns to be caught and cherished.  All of their dance is about trying to hold on to their deep connection. This is no zombie Giselle. When the church bells sang the song of dawn, both of their eyes widened in awe and wonder and yearning at the same time. Both of their eyes arms reached out in perfect harmony and together traced the outline of that horizon to the east where the sun began to rise. It was the end, and they clearly both wanted to go back to the beginning of their story.

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What would you do, if you could change the past?

« Once you have found her, never let her go. Once you have found her, never let her go. »

The quotations are from the Rogers and Hammerstein Broadway musical called
« South Pacific » from 1949.

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A l’Opéra : trois essences de Giselle

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Sans doute reçoit-on la preuve qu’un chef d’œuvre est absolu et intemporel lorsqu’il nous est donné d’admirer, au travers de trois soirées, trois ballerines mettre en lumière des aspects et des couleurs foncièrement différents d’un même rôle tout en dégageant l’essence intrinsèque du ballet. L’histoire même du ballet Giselle a commencé ainsi. Créé par la blonde et solaire italienne Carlotta Grisi, dans un costume pourpre et bouton d’or, il a été dramatiquement « augmenté » de l’interprétation d’une autre beauté blonde solaire mais autrichienne, Fanny Elssler, qui a donné à la scène de la folie qui clôt l’acte 1 une signifiance particulière. Après une longue éclipse en France (le ballet a été pour la dernière fois dansé en 1867 avant de ne revenir sur scène qu’en 1909, rapporté par les Russes de Serge de Diaghilev), le standard d’interprétation a été comme fixé dans le marbre par une russe aux cheveux de geai, Olga Spessivtseva, qui dans une petite robe bleue dessinée par Alexandre Benois, a tracé le portrait d’une jeune fille fragile et cardiaque. Dès lors, chacun a son avis mais il n’est pas rare d’entendre qu’unetelle ne peut danser Giselle parce qu’elle « est blonde », ou qu’elle « est grande », ou qu’elle « a l’air en trop bonne santé » : « Je ne la vois pas dans le rôle » est une tarte à la crème des discussions de Balletomanes et hélas parfois aussi, des directeurs de compagnie mal inspirés.

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P1180443Ma première Giselle (le 3 juillet en matinée) possédait à peu près toutes les qualités qu’on attend à priori d’une Giselle. Dorothée Gilbert est une brune point trop grande avec une vivacité de bon aloi au premier acte mais aussi des pommettes légèrement creusées qui peuvent être compatible avec le modèle consomptif de l’héroïne. La délicatesse des lignes et des attaches convient parfaitement au deuxième acte. L’ami James a déjà rendu compte de cette distribution, aussi ne m’étendrai-je pas sur tous les aspects de la représentation. Ce qui m’a frappé et ému dans cette matinée, c’est l’originalité du quintet matrimonial à l’acte 1. En effet, les cinq protagonistes semblaient réellement amoureux, qu’ils soient payés ou non de retour. Durant la première scène de confrontation, on avait le sentiment qu’il y avait eu un attachement amoureux entre Hilarion (Fabien Révillion, extrêmement émouvant) et Giselle. On sortait donc du schéma du lourdaud favorisé par la maternelle de l’héroïne et cela donnait un supplément d’âme et de drame à l’ensemble. De même, la Bathilde d’Aurélia Bellet semblait sincèrement attachée à son fiancé et, loin de l’habituelle distance hautaine qu’on nous sert souvent durant la scène de la folie, elle paraissait à la fois effondrée d’avoir été trahie tout en étant bouleversée par le destin de la jeune paysanne qui tombait en morceaux sous ses yeux. Hugo Marchand, dépeignait un prince totalement sincère, allant où son cœur le porte et ne réalisant sa faute qu’au moment où la mère de Giselle (Laurène Lévy) lui retire le poignet de sa fille morte sur lequel il versait des larmes.

Avec un tel acte 1, il ne restait qu’à se laisser porter durant l’acte 2. Hilarion-Révillion est mort avec le panache d’un héros romantique sous les coups de Myrtha (une Hannah O’Neill parfaite visuellement et techniquement mais à l’autorité un peu en berne) et Hugo Marchand, fidèle à son premier acte, fut un prince éploré n’ayant cure de sa cape et repartant avec une seule marguerite dans la main comme trésor lorsque Giselle (une Dorothée Gilbert aux équilibres flottés) l’aura laissé seul face à son destin.

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P1180470Le 4 juillet, avait lieu une prise de rôle bien tardive dans le rôle-titre. Alice Renavand, dont les adieux étaient programmés le 13 du même mois, est sans doute l’exemple même de tout le mal que peut faire le typecasting dans la trop courte carrière d’une artiste chorégraphique. Plutôt grande et respirant la santé, cataloguée contemporaine parce qu’après quelques années difficiles dans le corps de ballet elle a été choisie par Pina Bausch elle-même pour danser son Sacre, Alice Renavand a été peu vue dans des purs classiques. Elle a dansé Kitri en 2012 avec un très jeune François Alu. Elle a été Lise en 2018. Mais je ne souviens pas l’avoir vu distribuée en Odette-Odile ni en Aurore durant sa carrière. Elle a fait un très beau pas de deux du tabouret de Cendrillon lors des soirées de reprise post-premier-confinement en 2020. Sa prise de rôle-adieux dans Giselle pouvait paraître sur le papier un choix curieux. Et au final, il nous a fait amèrement regretter que l’Opéra se soit réveillé si tard pour donner sa chance à cette Giselle. Alice Renavand, dès sa sortie de la petite maison, respire à la fois la fraîcheur et le feu. On a peine à imaginer qu’il s’agit là d’une prise de rôle tant tout est inspiré et en place, aussi bien dramatiquement – elle dépeint une jeune fille légère, enjouée et insouciante – que techniquement (elle nous gratifie notamment d’une très belle diagonale sur pointe). Son prince parjure, Mathieu Ganio, un habitué du rôle, émerveille aussi par de petits détails d’interprétation comme lorsqu’il fait mine, au moment de toquer à la porte, de regarder par la fenêtre de la chaumière de toile peinte. Giselle-Renavand n’est pas en reste pour les petits détails subtils d’interprétation. La scène où Giselle touche la fourrure de la traine de Bathilde est absolument touchante. La jeune fille ne fait que l’effleurer avec déférence.

Sa scène de la folie, comme amplifiée par la réalisation de la trahison, est en revanche extrêmement puissante, notamment lorsqu’elle se jette dans la foule et percute Bathilde épouvantée (de nouveau Aurelia Bellet, ici dans une approche plus traditionnelle de son rôle). L’épisode de l’épée, entrecoupé de rires hystériques, est effrayant. On ne sait pas bien si cette Giselle va attenter à sa vie ou s’en prendre à quelqu’un. Albrecht-Ganio, comme prostré, se tient la tête entre les mains. Lorsque Giselle reprend brièvement ses esprits, elle se catapulte littéralement dans ses bras avant de s’effondrer comme une masse. On est sonné…

A l’acte 2, Renavand est moelleuse à souhait. Son visage aux yeux baissés n’est jamais fermé. Il y a une légèreté et un suspendu dans cette Giselle dès son premier tourbillon d’entrée. On s’émerveillera aussi dans le courant de l’acte de sa série d’entrechats voyagés. Quel ballon ! La rencontre avec Abrecht-Ganio est très émouvante. Renavand cisèle son lâcher de fleurs et Ganio mime à la perfection les tentatives manquée de saisir son doux spectre. Il y a un bel accord de lignes entre les deux partenaires. La pose finale de l’adage est quasi allégorique. Mathieu Ganio élude certes les entrechats six pour des sauts de basque mais sait les moduler pour demander toujours de manière plus véhémente sa grâce à Myrtha (une Roxane Stojanov en devenir, avec certes de jolies lignes et du ballon qui en feront une belle reine des Willis mais pour l’heure un manque d’autorité flagrant ; son dos n’exprimant rien). Lors de leur première confrontation, il offrait encore son poitrail à la reine mais c’est qu’il croyait qu’il rejoindrait Giselle dans la mort. Entre temps, le doux fantôme l’avait persuadé qu’il fallait tenir le reste de la nuit afin de les sauver tout deux ; on s’émeut notamment de la pantomime de la marguerite faite au dessus du corps effondré d’Albrecht. C’est l’Hilarion d’Axel Ibot qui a connu ce sort que, lui aussi, il appelait de tous ses vœux (sa pantomime au début de l’acte, pourtant noyé de fumigènes, est l’une des plus claires qu’il m’ait été donné de voir).

La représentation s’achève sur cette même note fervente et émouvante quand Ganio soulève une Alice Renavand sans poids puis effleure son tutu avant qu’elle ne disparaisse définitivement dans la tombe, sauvée par la preuve d’amour du fiancé qui a su racheter son parjure.

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img_2046Pour deux petites représentations dont une matinée, Myriam Ould-Braham clôturait la saison de Giselle le 16 juillet. Les voies du seigneur sont impénétrable et on se gardera bien de chercher les raisons qui ont fait qu’une danseuse émérite, qui a déjà brillé dans le rôle, s’est retrouvée seule dépouillée de ses dates afin d’en offrir 5 (ou plutôt 4 1/2) à Alice Renavand. Mais peut-être « ne la voyait-on pas dans le rôle » ? Il est vrai que Myriam Ould-Braham « est une charmante fille [blonde] aux yeux bleus, au sourire fin et naïf, à la démarche alerte […] », bien loin donc de la brune qui a le palpitant qui déraille. Mais tiens ? Ne viens-je pas de citer Théophile Gautier décrivant Carlotta Grisi, la danseuse pour laquelle il a inventé le ballet tout entier ?

Car c’est Carlotta Grisi que Myriam Ould-Braham évoque. Au premier acte, elle dépeint une Giselle à peine sortie de l’enfance. Lorsqu’elle sort de la chaumière, elle illumine la scène de sa présence rayonnante et de sa joie de vivre. On s’identifie à Albrecht (Germain Louvet, qui exprime parfaitement sa fascination face à la jeune fille. A l’Opéra de Paris, les princes sont légers mais sincères). La scène du banc est un charmant badinage amoureux où chacun rend coup pour coup. Albrecht donne un petit coup d’épaule mais Giselle s’esquive gracieusement et laisse le séducteur un peu pantois. Il y a de la « fille mal gardée » dans cette ouverture. Lorsque la marguerite dit « non », Myriam-Giselle la fait glisser discrètement au sol et semble s’en vouloir d’avoir joué à ce jeu idiot. Germain-Loys-Albrecht, en arrachant un pétale semble moins la berner que lui dire « allez, n’y pense plus ! ». Les nuages s’amoncellent ; Hilarion se plaint et menace (Florent Mélac, poignant amoureux transi), un malaise la prend, Berthe tonne et met en garde mais Giselle est heureuse et prête à tout quand il s’agit de son amoureux (la rentrée forcée à la maison est là encore très « Lise »). Elle reçoit le cadeau de Bathilde (Marion Gautier de Charnacé, très bonne, très noble) avec grâce et danse une variation de la diagonale impeccable (notamment pour ses équilibres tenus sans être « plantés » dans le sol).

Toute cette légèreté de ton préserve la surprise du dénouement tragique. La scène de la folie de Myriam Ould-Braham est saisissante. Debout au centre de la scène, pliée en deux et la tête dans les bras, elle regarde l’assemblée par le dessous. Sa pantomime est simplifiée à l’extrême. Elle fixe ses mains présentées en supination puis se tourne vers Albrecht, interrogatrice. Sa folie est plutôt une rage intérieure où les rires déréglés se mêlent aux sanglots. Pour la première attaque cardiaque, où Giselle reprend son pas avec Albrecht de manière désarticulée, Myriam Ould-Braham résiste à la musique et reste presque immobile puis précipite violemment le mouvement avant de s’effondrer. Tant de violence après tant de douceur. On a les larmes aux yeux…

A l’acte 2, la magie blanche coutumière de Myriam Ould-Braham opère comme toujours. Elle fait une très belle entrée avec son tourbillon aérien et des coupés-jetés parcourus jusqu’à l’envol. Tous ses équilibres sont suspendus. De très jolis petits ronds de jambes ébouriffent la corolle de son tutu qui semble alors la libérer de l’apesanteur. Son mouvement continu, jamais fixé dans une pose, renforce l’impression fantomatique. Ce doux spectre convient bien à la nature introspective et lyrique de Germain Louvet dans le rôle d’Albrecht. Il n’est jamais aussi bien qu’en partenaire même si on reste ébaubi de ses jetés aériens et de sa batterie cristalline. Son Albrecht semble accepter le sort que lui réserve Myrtha (Valentine Colasante, qui allie puissance du parcours et légèreté du ballon, implacabilité et qualité éthérée.). Giselle-Myriam semble transférer sa volonté de survie à ce prince d’abord résigné : Ould Braham est une Giselle qui retourne à la tombe un léger sourire sur les lèvres. Germain-Louvet n’emporte aucune fleur. Il touche la Croix de la tombe de sa bien-aimée comme pour y insuffler un peu de sa chaleur et de son amour… Un bel adieu inattendu.

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Voilà bien des raisons d’être satisfait. Trois Giselle, trois visions personnelles et pertinentes du même ballet, sans cesse repris, jamais usé, sans cesse renouvelé.

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La Bayadère à l’Opéra : le Feu sans le Sacré

P1180305Opéra Bastille, représentation du 27 avril 2022

La distribution Colasante-Quer, vue au lendemain du cast Ould-Braham-Mura, pâtit-elle de la comparaison ? Pas vraiment, contrairement à ce qu’on pouvait craindre. Pour deux raisons. D’abord, Valentine Colasante place son interprétation sur un autre plan que sa collègue : moins abstraite, moins sacrale, elle est d’emblée une femme amoureuse. Ensuite, alors que la taille de Francesco Mura lui était un désavantage dans le partenariat, la stature de Jérémy-Loup Quer confère aux pas de deux amoureux une impression de fluidité qu’ils n’avaient pas la veille.

Nous sommes donc dans un autre univers, et je laisse rapidement tomber le jeu des comparaisons entre ballerines : la Nikiya de Mlle Colasante n’est pas une danseuse sacrée qui tombe amoureuse par accident ; au contraire, sa fonction à l’intérieur du temple hindou semble accessoire et son amour une nécessité. C’est une option défendable : après tout, pour être bayadère, on n’en est pas moins femme, et tout le monde n’a pas la vocation monastique de Thérèse de Lisieux.

En tout cas, Valentine Colasante a suffisamment d’atouts – expressivité, équilibres très sûrs, endurance technique – pour emporter le morceau en trois actes. Elle est même celle des trois ballerines vues sur cette série qui négocie le mieux la difficile musicalité des tours enchaînés du pas de deux au ruban du 3e acte.

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Valentine Colasante (Nikiya) et Jeremy Lou Quer (Solor)

Jérémy-Loup Quer maîtrise sa partition – à l’exception de quelques double-tours en l’air dévalués de 25% – mais que peut-on dire de plus de sa prestation ? J’ai toujours trouvé l’interprète scolaire, et l’impression se confirme ; le 12 avril, son Idole dorée était si précautionneuse et téléphonée que, pour la première fois sur ce passage, j’ai remarqué les jeux de lumière bleutée qui palpitent sur la coupole du décor ; en Solor, sa pantomime est adéquate, mais son incarnation absente : par moments, on croirait l’entendre réciter la choré. Du coup – par exemple –, son pas de deux méditatif au début de l’acte III peine à raconter quoi que ce soit.

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Roxane Stojanov (Gamzatti)

La Gamzatti de Roxane Stojanov ne semblait pas dans un bon jour – avec notamment une diagonale de tours attitude un peu précaire – alors que sa prestation en 3e ombre quelques jours auparavant m’avait paru très sûre. À ce propos, Camille Bon, Clara Mousseigne et Katherine Higgins composent le trio des ombres le plus homogène de la série, car elles ont toutes trois les mains pareillement et délicatement travaillées.

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La Bayadère à l’Opéra : une première en « demi-teinte »

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La Bayadère. 3 avril 2022. Saluts.

Difficile de croire qu’il y aura 30 ans en octobre que la production de La Bayadère a vu le jour… Comme le temps passe ! Cette reprise a d’autant plus un goût de nostalgie que l’un des grands protagonistes de l’enchantement visuel qui se produit à chaque reprise nous a récemment quitté. Ezio Frigerio, le concepteur de l’impressionnant Taj Mahal qui sert de décor unique à cette version du ballet de Petipa revu par Noureev, s’est éteint le 2 février dernier à l’âge de 91 ans. Sa disparition aura été très discrète. C’est bien peu de chose un artiste… Le collaborateur de Giorgio Strehler, notamment sur la production légendaire des Noces de Figaro, le récipiendaire d’un César pour le Cyrano de Jean-Paul Rappeneau, le collaborateur de Noureev pour Roméo et Juliette, le Lac des Cygnes et cette Bayadère (il fut également le concepteur de son tombeau à Sainte-Geneviève-des-Bois) n’a pas eu les honneurs de l’édition papier du Monde

L’Opéra de Paris, quant à lui, se sera paresseusement contenté de rajouter sa date de décès en bas de sa biographie et, pour faire bonne mesure, d’abîmer visuellement l’impression d’ensemble de sa Bayadère.

En effet, depuis la dernière reprise sur scène, au moment de la révélation du grand décor du Taj Mahal, lentement effeuillé au 1er acte et révélé dans toute sa splendeur à l’acte des fiançailles, la cohorte de 12 danseuses aux éventails et de 12 danseuses aux perroquets a été réduite à deux fois 8. L’effet est désastreux, d’autant plus sur la grande scène de Bastille. Le décor de Frigerio semble surdimensionné, comme « posé » sur scène, et le « défilé » (une des fiertés de Noureev qui avait voulu qu’il soit restauré comme dans l’original de Petipa) parait carrément chiche. À l’origine, lorsque les filles au Perroquet faisaient leurs relevés sur pointe en attitude-développé quatrième puis leur promenade sautillée en arabesque, elles occupaient toute la largeur du plateau et étaient suffisamment rapprochées les unes des autres pour donner le frisson. Aujourd’hui, elles parviennent péniblement à être de la largeur du décor en se tenant espacées. L’effet est tout aussi piteux pendant la grande coda de Gamzatti qui fouette entourée du corps de ballet en arc de cercle. L’Opéra a pourtant bien encore 150 danseurs auxquels s’ajoutent une cohorte de surnuméraires et ce ne serait pas la première fois qu’un autre programme joue en même temps que Bayadère. Alors ?

Deuxième accroc à l’esthétique générale du ballet, la disparition, dans le sillage du rapport sur la diversité à l’Opéra, des teintures de peau. Depuis 2015, les « Négrillons » (une appellation fort stupide) étaient déjà devenus les « Enfants » mais pour cette reprise, les fakirs et autres indiens ont joué « au naturel ». Pourquoi pas dans le principe? Mais encore aurait-il fallu ne pas se contenter de reprendre tout le reste de la production à l’identique. Certains costumes et surtout des éclairages auraient dû être revus. La teinte bleutée des lumières de Vinicio Celli rend désormais verdâtres et spectraux les torses nus des garçons dans la scène du feu sacré. La scène de l’Opium, au début de l’acte 3 perd toute sa qualité crépusculaire ; les fakirs aux lampes y brillent comme en plein soleil.

À traiter les questions nécessaires par des réponses à l’emporte-pièce (et on peut inclure dans ce geste le rapport sur la Diversité), l’Opéra crispe au lieu de rallier. Y avait-il besoin de présenter une Bayadère dont on aurait effacé les glacis à grand renfort de térébenthine ?

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Mais qu’en était-il de la représentation du 3 avril ?

La distribution réunissait les deux plus récentes étoiles nommées dans les rôles principaux, Sae Eun Park et Paul Marque. Aucun de ces danseurs n’avait réussi à m’enthousiasmer jusqu’à maintenant.

Du côté des bonnes surprises, Paul Marque semble avoir bénéficié de « l’effet nomination ». Jusqu’ici, sa danse m’avait parue correcte mais appliquée, technique mais sans relief. Ici, dès son entrée en grand jeté, il installe un personnage. Son élévation et son parcours sont devenus impressionnants non pas tant parce qu’ils se sont améliorés (ce qui est peut-être aussi le cas) mais parce qu’ils sont devenus signifiants. Paul Marque, avec sa toute nouvelle autorité d’étoile, dépeint un Solor mâle et ardent. Sa pantomime est claire même si sa projection subit encore de ci-de-là des éclipses. Son guerrier ksatriya s’avère très peu parjure. Il ne fait aucun doute qu’il ne s’intéresse absolument pas à la princesse Gamzatti et que son acceptation des fiançailles imposées par le Rajah (un Artus Raveau en manque d’autorité, presque mangé par son imposant costume) n’est que calcul pour gagner du temps.

De son côté, Sae Eun Park fait une entrée sans grand charisme et déroule un échange pantomime avec le Grand Brahmane (Florimond Lorieux, très sincèrement amoureux mais bien peu « brahmane » ) quelque peu téléphoné. Nikiya semble attendre la musique pour parler. Il faut néanmoins reconnaître à la nouvelle étoile un travail du dos et des bras dans le sens de l’expressivité. C’est une nouveauté qu’il faut noter et saluer.

La première rencontre entre Solor et Nikiya reste néanmoins très « apprise » du côté de la danseuse même si elle commence par un vertigineux saut latéral dans les bras de Solor. Espérons qu’au cours de la série les deux danseurs parviendront à mettre l’ensemble de leur premier pas de deux à la hauteur de cette entrée spectaculaire. Peut-être les portés verticaux siéent-ils encore peu à Sae Eun Park, créant des baisses de tensions dans les duos. Ses partenaires semblent parfois devoir s’ajuster pour la porter (même Audric Bezard, pourtant porteur émérite, dans « le pas de l’esclave » de la scène 2).

Dans cette scène, celle du palais du Rajah, peuplée de guerriers Ksatriyas bien disciplinés à défaut d’être toujours dans le style Noureev et de danseuses Djampo pleines de charme et de rebond, on note une incohérence dans la narration lorsque se noue le triangle amoureux. Au moment où le Brahmane révèle l’idylle au Rajhah, Solor et Gamzatti se cognent presque derrière la claustra du palais. La princesse envoie chercher la Bayadère avant même que le Brahmane ne prenne le voile oublié qui la dénonce. Dans la scène de rivalité, où Park, sans être passionnante mime cette fois en mesure, Valentine Colasante joue plus l’amoureuse outragée que la princesse qui réclame son dû. Pourquoi pas…

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La Bayadère. Sae Eun Park (Nikiya), Paul Marque (Solor), Héloïse Bourdon (1ere ombre).

À l’acte 2 (les fiançailles), le palais déserté par une partie de ses invitées (voir plus haut), est néanmoins réveillé par l’enflammée danse indienne de Sébastien Bertaud et d’Aubane Philbert sous la férule de Francesco Mura et de ses comparses fakirs, beaucoup plus crédibles en pantalons irisés que dans les couches-culottes terreuses de l’acte 1 (voir plus haut bis). Marc Moreau, qui a fait son entrée d’Idole dorée à genoux sur son palanquin plutôt qu’assis en tailleur (un changement peu convaincant), cisèle sa courte et pyrotechnique partition. Son énergie plutôt minérale fonctionne parfaitement ici même entouré qu’il est par des gamins en académiques beigeasses.

Dans le pas d’action, Paul Marque fait dans sa variation des grands jetés curieusement ouverts mais accomplit un manège final à gauche véritablement enthousiasmant. Valentine Colasante joue bien l’autorité dans l’entrada et l’adage mais manque un peu d’extension dans sa variation (les grands jetés ainsi que la diagonale-sur-pointe – arabesque penchée). En revanche, elle s’impose dans les fouettés de la coda. Les comparses des deux danseurs principaux, les 4 « petites » violettes et les 4 « grandes » vertes sont bien assorties et dansent dans un bel unisson.

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La Bayadère. Valentine Colasante (Gamzatti).

Sae Eun Park fait une scène « en robe orange » encore un peu… verte. Elle a cependant de jolis ports de bras très ciselés et des cambrés dignes de l’école russe. Mais elle joue un peu trop top sur la prestesse d’exécution pour vraiment laisser passer le parfum élégiaque qu’il faudrait dans ce moment dramatique. La variation de la corbeille lui convient donc beaucoup mieux. Elle est de l’école des danseuses qui sourient dans ce passage. Une option tout à fait acceptable.

De la mort de la Bayadère, on retiendra surtout la réaction de Solor qui se rebiffe ostensiblement en repoussant violemment le bras que le Rajah lui tendait en signe d’apaisement. Ce désespoir plus démonstratif, notamment lorsque Nikiya s’effondre, donne du relief au personnage principal masculin qui peut parfois paraître faible ou veule.

À l’acte 3, Marque ouvre le bal en dépeignant un désespoir ardent. Sa variation devant le vitrail Tiffany a un rythme haletant qui, par contraste, met en relief la paisible descente des ombres qui va suivre.

Dans ce passage, on admire une fois encore la poésie sans afféterie du corps de ballet féminin. Il est à la fois calme, introspectif et vibrant.

Le trio des trois Ombres est bien réglé dans les ensembles. Les variations peuvent encore être améliorées. Héloïse Bourdon, en première ombre, sautille un peu trop sur ses développés arabesque en relevé sur pointe. Roxane Stojanov se montre trop saccadée en troisième ombre. Sylvia Saint-Martin, qui m’avait laissé assez indifférent en Manou à l’acte 2, réalise une jolie variation de la deuxième ombre avec un très beau fini des pirouettes – développé quatrième.

Las ! Le personnage principal du ballet ne transforme pas l’essai des deux premiers actes. Dans l’acte blanc, et en dépit de la chaleur de son partenaire et d’un réel travail sur la concordance des lignes, Sae Eun Park redevient purement technique. À part un premier jeté seconde suspendu et silencieux, le reste de l’acte est sans respiration et sans poésie. La nouvelle étoile de l’Opéra n’a pas encore l’abstraction signifiante.

 Il faudra attendre de prochaines distributions pour ressortir l’œil humide…

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La Bayadère. Saluts. Sae Eun Park, Paul Marque, Sylvia Saint-Martin (2e ombre) et Marc Moreau (l’Idole dorée).

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Le Rouge et le Noir d’après Lacotte : à plat (de couleur)

img_0294Opéra-Garnier, Soirée du 18 octobre 2021

Sur le papier, j’avais des doutes. Autant la solaire Chartreuse me paraissait susceptible d’adaptation chorégraphique, autant le sombre Rouge me semblait inaccessible au même traitement. Car comment représenter ce qui se passe dans la tête de Julien Sorel, « être singulier » chez qui « c’était tous les jours tempête » ? Autant Fabrice del Dongo fait corps avec son âme, autant Julien joue constamment un rôle, sauf avec Mme de Rênal, et encore, bien après qu’il l’a séduite par une sorte de défi que son orgueil s’est donné. Cet hypocrite joli garçon est tout sauf un héros romantique ; il n’y a presque jamais congruence entre ce qu’il pense et ce qu’il fait, ce qui est gênant pour un personnage de ballet.

Admettons que l’adaptation était impossible, et jetons Beyle aux orties. Faut-il laisser Lacotte en faire de la bouillie ? Pourquoi pas, si ça marche. Mais on est loin du compte. On y croit un peu au début, quand le père de Julien arrache son fils à ses lectures (« chien de lisard »), et quand sa maîtrise du latin est transposée en celle de la petite batterie, que le précepteur nouvellement embauché transmet aux enfants des Rênal (dans le roman, Julien est au contraire gauche de manières, mais il faut bien un truchement scénique pour que son charme opère). On peut même comprendre, au premier acte, que le rôle – ingrat à tous égards – de la soubrette Elisa (Roxane Stojanov) soit gonflé.

Mais on s’aperçoit vite qu’une sommaire caractérisation – Mme de Rênal en dévote, Julien en amoureux transi, Mathilde de la Mole en pimbêche – ne fait pas un arc narratif.

Un ballet, ce sont des hauts et des bas, et Pierre Lacotte a pondu du tout plat. On chercherait en vain un contraste entre la danse de M. de Rênal et celle de Julien Sorel (ils font tous deux du Bolchoï-soviétique ; Stéphane Bullion, le mari trompé, est en pleine forme). On guette aussi un peu de tension émotionnelle dans le pas de deux de la chambre. Peine perdue, on n’aura que du vaudeville. La narration est aussi profuse que dénuée de profondeur. Il faut connaître le roman sur le bout des doigts pour faire le lien avec les péripéties du livret, mais aucun détail ne va au-delà de l’anecdote ou de la convention.

L’ennui gagne, d’autant que le parti-pris musical tombe à faux : c’est une bévue a-stendhalienne d’avoir érigé Massenet (né en 1842) pour illustrer une chronique de 1830, d’autant que les extraits piqués çà et là ne sont pas du premier choix (MacMillan a déjà pris le meilleur pour sa Manon).

D’ailleurs, dans le solo de la Maréchale de Fervaques (Camille Bon), Lacotte cite clairement le chorégraphe britannique. Ou bien devrait-on parler de pastiche ? En tout état de cause, le patchwork chorégraphique composant les trois actes fait l’effet d’un kougelhopf qui n’aurait pas levé.

Durant le deuxième acte, les scènes au séminaire ratent l’occasion d’une intervention dramatiquement signifiante du corps de ballet : dans le roman, ce n’est pas l’abbé Castanède – campé par Pablo Legasa – qui tourmente Julien, ce sont ses condisciples rustres ; mais la chorégraphie ne donne à ces derniers qu’un rôle décoratif. La scène du bal, qui aurait dû être le clou de la soirée, s’étire mollement.

Après un nouveau pas de deux « de la chambre », cette fois entre Julien et Mathilde (Bianca Scudamore), qui n’éveille pas plus l’intérêt et n’est pas moins générique que le premier, l’embarras se renforce au cours du troisième acte, dont maints passages sont proprement ridicules : les hommes et les femmes priant séparés à l’église, le coup de fouet du geôlier et la porte de la geôle qui claque brutalement au nez de Julien…

Et puis, de quelle nécessité vient l’embarrassant pas de deux homo-érotique avec l’abbé Chélan (Audric Bezard), à qui Julien voue en fait une dévotion toute filiale ? À quoi sert de nous infliger une lancinante succession de scènes laborieusement illustratives (le procès, l’échafaud), au lieu de creuser les enjeux émotionnels ? Tout le talent de Dorothée Gilbert et Hugo Marchand, qu’on a toujours plaisir à voir sur scène, ne suffit pas à rattraper le naufrage.

Au sein de l’Opéra de Paris, on a dû se dire que donner une carte blanche sur toute la ligne à Pierre Lacotte – il cumule les emplois de chorégraphe, librettiste, décorateur et costumier – était une bonne idée. Ça donne un joujou créé en roue libre.

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