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La Bayadère à l’Opéra : le Feu sans le Sacré

P1180305Opéra Bastille, représentation du 27 avril 2022

La distribution Colasante-Quer, vue au lendemain du cast Ould-Braham-Mura, pâtit-elle de la comparaison ? Pas vraiment, contrairement à ce qu’on pouvait craindre. Pour deux raisons. D’abord, Valentine Colasante place son interprétation sur un autre plan que sa collègue : moins abstraite, moins sacrale, elle est d’emblée une femme amoureuse. Ensuite, alors que la taille de Francesco Mura lui était un désavantage dans le partenariat, la stature de Jérémy-Loup Quer confère aux pas de deux amoureux une impression de fluidité qu’ils n’avaient pas la veille.

Nous sommes donc dans un autre univers, et je laisse rapidement tomber le jeu des comparaisons entre ballerines : la Nikiya de Mlle Colasante n’est pas une danseuse sacrée qui tombe amoureuse par accident ; au contraire, sa fonction à l’intérieur du temple hindou semble accessoire et son amour une nécessité. C’est une option défendable : après tout, pour être bayadère, on n’en est pas moins femme, et tout le monde n’a pas la vocation monastique de Thérèse de Lisieux.

En tout cas, Valentine Colasante a suffisamment d’atouts – expressivité, équilibres très sûrs, endurance technique – pour emporter le morceau en trois actes. Elle est même celle des trois ballerines vues sur cette série qui négocie le mieux la difficile musicalité des tours enchaînés du pas de deux au ruban du 3e acte.

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Valentine Colasante (Nikiya) et Jeremy Lou Quer (Solor)

Jérémy-Loup Quer maîtrise sa partition – à l’exception de quelques double-tours en l’air dévalués de 25% – mais que peut-on dire de plus de sa prestation ? J’ai toujours trouvé l’interprète scolaire, et l’impression se confirme ; le 12 avril, son Idole dorée était si précautionneuse et téléphonée que, pour la première fois sur ce passage, j’ai remarqué les jeux de lumière bleutée qui palpitent sur la coupole du décor ; en Solor, sa pantomime est adéquate, mais son incarnation absente : par moments, on croirait l’entendre réciter la choré. Du coup – par exemple –, son pas de deux méditatif au début de l’acte III peine à raconter quoi que ce soit.

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Roxane Stojanov (Gamzatti)

La Gamzatti de Roxane Stojanov ne semblait pas dans un bon jour – avec notamment une diagonale de tours attitude un peu précaire – alors que sa prestation en 3e ombre quelques jours auparavant m’avait paru très sûre. À ce propos, Camille Bon, Clara Mousseigne et Katherine Higgins composent le trio des ombres le plus homogène de la série, car elles ont toutes trois les mains pareillement et délicatement travaillées.

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Don Quichotte : coup unique, coup de maître!

P1180207Don Quichotte (Petipa-Noureev / Minkus). Représentation du lundi 20 décembre 2021.

Après un début de saison pour le moins décevant, on aura enchaîné sur une série de fêtes troublée. Entre chaises musicales des distributions et affres du covid, je n’aurai finalement vu qu’un seul Don Quichotte pour cette mouture 2021 : une choquante première dans ma carrière de balletomane. Je ne m’étendrai pas sur le ballet, son histoire, son évolution et la production actuelle à l’Opéra. Je l’avais déjà fait en 2012-2013, au tout début des Balletonautes qui fêteront bientôt – comme le temps passe! – leurs 10 ans.

Pour consolation, ce coup unique aura – presque – été un coup de maître. Il faut dire que la distribution réunissait un couple éprouvé et apprécié des balletomanes : Dorothée Gilbert et Hugo Marchand.

Mademoiselle Gilbert commence pourtant son parcours un peu en-deçà de son habituelle pétulance. Kitri-Dorothée fait une entrée précautionneuse et sa variation aux castagnettes de milieu d’acte manque de peps et de rebond. Hugo Marchand est lui plein d’une belle énergie, mais ce partenaire attentif ne donne le meilleur de lui-même que lorsqu’il absorbe et recycle l’énergie que lui renvoie sa partenaire. On reste ébaubi par ses belles lignes mais un peu extérieur à l’histoire de Basilio et Kiteria. L’interaction entre les deux comparses ne devient vraiment drôle qu’au moment du menuet avec Don Quichotte. Kitri-Gilbert distribue les coups de pieds et les crocs en jambe avec une férocité gourmande.

Héloïse Bourdon délivre une danseuse de rue tout chic tout charme face à un Espada-Raveau scolaire et éteint. Le corps de ballet, en revanche est à son affaire et c’est un grand soulagement après ce début de saison cochonné chez les garçons.

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Héloïse Bourdon (la danseuse de rue) et Arthus Raveau (Espada)

L’acte deux est d’un tout autre acabit. Dès le pas de deux des moulins sur la musique de la rencontre Solor-Nikiya dans La Bayadère, il est évident que Dorothée Gilbert a retrouvé tout son aplomb. Il y a des étincelles dans ce couple qui se lutine sur la terre battue. La scène des gitans est également très réussie avec un Antonio Conforti véritable meneur de revue, rempli de charisme. Sa danse claque comme son fouet. Dorothée Gilbert et Hugo Marchand sont irrésistibles en gitans d’opérette se jouant de leurs poursuivants.

Cette scène n’est pourtant que le préambule à ce qui aura sans doute le plus beau moment de la soirée : la scène de la vision. L’Apparition de Kitri-Dulcinée et de l’homme noir, dans toute la simplicité du procédé, garde toute sa charge poétique et émotionnelle. Dorothée Gilbert s’y montre déjà en possession de toute son aura d’étoile. Le trio de soliste est, de surcroît, l’un des plus homogènes et assortis qu’il nous a été donné de voir depuis longtemps. Camille Bon, reine des Dryades, exécute avec une grâce détachée et une vraie qualité aérienne les redoutables glissades-développés seconde qui, trop souvent, deviennent péniblement techniques et sonores chez certaines danseuses. Légère, elle fixe ses grand développés avec aisance et moelleux. Hoyhun Kang est un preste Cupidon avec beaucoup de présence scénique et de style. Dorothée Gilbert accomplit une très belle variation de la vision : ses piqués attitude, très soutenus, sont évocateurs et poétiques. Le corps de ballet féminin, mené par le joli trio formé par Marine Ganio, Eléonore Guérineau et Inès Mcintosh est d’une grande précision, ce qui ne gâche rien.

À l’acte 3, la scène de la taverne plutôt bien enlevée. Basilio-Marchand mime son suicide feint avec gusto et le combat loufoque entre Don Q (Yann Chailloux) et Gamache (Daniel Stokes) est diablement bien réglé.

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Yann Chailloux (Don Quichotte)

La scène de mariage est un vrai feu d’artifice. Le fandango (dont on regrette toujours qu’il soit perdu au début dans le bric-à-brac de la mise en scène 2008) fait son petit effet. Dans le grand pas, on découvre avec plaisir la première demoiselle d’honneur d’Inès Mcintoch, très claire de ligne, précise et musicale. Un sans-faute.

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La première demoiselle d’honneur. Inès Mcintosh

Dans le grand pas de deux, Dorothée Gilbert exhibe ses équilibres parfois au détriment de la musique mais la salle adore. Elle accomplit une très belle variation à l’éventail, preste et musicale. Hugo Marchand, se montre parfait partenaire dans l’adage. Il fait lui aussi une belle variation même si le cruel final avec sa succession de double tours en l’air retiré finis en arabesque des deux côtés est plus négocié qu’embrassé. Les deux danseurs ajoutent une touche de bravache presque russe à leur coda.

Un joli final pour une bien belle soirée.

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Dorothée Gilbert (Kitri) et Hugo Marchand (Basilio).

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Le Rouge et le Noir d’après Lacotte : à plat (de couleur)

img_0294Opéra-Garnier, Soirée du 18 octobre 2021

Sur le papier, j’avais des doutes. Autant la solaire Chartreuse me paraissait susceptible d’adaptation chorégraphique, autant le sombre Rouge me semblait inaccessible au même traitement. Car comment représenter ce qui se passe dans la tête de Julien Sorel, « être singulier » chez qui « c’était tous les jours tempête » ? Autant Fabrice del Dongo fait corps avec son âme, autant Julien joue constamment un rôle, sauf avec Mme de Rênal, et encore, bien après qu’il l’a séduite par une sorte de défi que son orgueil s’est donné. Cet hypocrite joli garçon est tout sauf un héros romantique ; il n’y a presque jamais congruence entre ce qu’il pense et ce qu’il fait, ce qui est gênant pour un personnage de ballet.

Admettons que l’adaptation était impossible, et jetons Beyle aux orties. Faut-il laisser Lacotte en faire de la bouillie ? Pourquoi pas, si ça marche. Mais on est loin du compte. On y croit un peu au début, quand le père de Julien arrache son fils à ses lectures (« chien de lisard »), et quand sa maîtrise du latin est transposée en celle de la petite batterie, que le précepteur nouvellement embauché transmet aux enfants des Rênal (dans le roman, Julien est au contraire gauche de manières, mais il faut bien un truchement scénique pour que son charme opère). On peut même comprendre, au premier acte, que le rôle – ingrat à tous égards – de la soubrette Elisa (Roxane Stojanov) soit gonflé.

Mais on s’aperçoit vite qu’une sommaire caractérisation – Mme de Rênal en dévote, Julien en amoureux transi, Mathilde de la Mole en pimbêche – ne fait pas un arc narratif.

Un ballet, ce sont des hauts et des bas, et Pierre Lacotte a pondu du tout plat. On chercherait en vain un contraste entre la danse de M. de Rênal et celle de Julien Sorel (ils font tous deux du Bolchoï-soviétique ; Stéphane Bullion, le mari trompé, est en pleine forme). On guette aussi un peu de tension émotionnelle dans le pas de deux de la chambre. Peine perdue, on n’aura que du vaudeville. La narration est aussi profuse que dénuée de profondeur. Il faut connaître le roman sur le bout des doigts pour faire le lien avec les péripéties du livret, mais aucun détail ne va au-delà de l’anecdote ou de la convention.

L’ennui gagne, d’autant que le parti-pris musical tombe à faux : c’est une bévue a-stendhalienne d’avoir érigé Massenet (né en 1842) pour illustrer une chronique de 1830, d’autant que les extraits piqués çà et là ne sont pas du premier choix (MacMillan a déjà pris le meilleur pour sa Manon).

D’ailleurs, dans le solo de la Maréchale de Fervaques (Camille Bon), Lacotte cite clairement le chorégraphe britannique. Ou bien devrait-on parler de pastiche ? En tout état de cause, le patchwork chorégraphique composant les trois actes fait l’effet d’un kougelhopf qui n’aurait pas levé.

Durant le deuxième acte, les scènes au séminaire ratent l’occasion d’une intervention dramatiquement signifiante du corps de ballet : dans le roman, ce n’est pas l’abbé Castanède – campé par Pablo Legasa – qui tourmente Julien, ce sont ses condisciples rustres ; mais la chorégraphie ne donne à ces derniers qu’un rôle décoratif. La scène du bal, qui aurait dû être le clou de la soirée, s’étire mollement.

Après un nouveau pas de deux « de la chambre », cette fois entre Julien et Mathilde (Bianca Scudamore), qui n’éveille pas plus l’intérêt et n’est pas moins générique que le premier, l’embarras se renforce au cours du troisième acte, dont maints passages sont proprement ridicules : les hommes et les femmes priant séparés à l’église, le coup de fouet du geôlier et la porte de la geôle qui claque brutalement au nez de Julien…

Et puis, de quelle nécessité vient l’embarrassant pas de deux homo-érotique avec l’abbé Chélan (Audric Bezard), à qui Julien voue en fait une dévotion toute filiale ? À quoi sert de nous infliger une lancinante succession de scènes laborieusement illustratives (le procès, l’échafaud), au lieu de creuser les enjeux émotionnels ? Tout le talent de Dorothée Gilbert et Hugo Marchand, qu’on a toujours plaisir à voir sur scène, ne suffit pas à rattraper le naufrage.

Au sein de l’Opéra de Paris, on a dû se dire que donner une carte blanche sur toute la ligne à Pierre Lacotte – il cumule les emplois de chorégraphe, librettiste, décorateur et costumier – était une bonne idée. Ça donne un joujou créé en roue libre.

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