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Programme « Racines » à l’Opéra : la forme et les formules

A l’Opéra de Paris, le programme Racines concocté par José Martinez se proposait de présenter trois ballets écrits pour la technique des pointes. L’an dernier, Sharon Eyal, qui devait créer avec cet accessoire central du ballet classique féminin, avait reculé devant l’obstacle. Ici, les trois œuvres répondaient donc bien au cahier des charges. La soirée proposait une reprise et deux entrées au répertoire : Thème et Variations s’y trouve depuis 1993. Corybantic Games de Christopher Wheeldon a été créé par le Royal Ballet en 2018 et Rhapsodies, par le chorégraphe Sud-africain Mthuthuzeli, est une très récente création pour le Ballet de Zurich, en 2024.

Le programme était bien pensé sur le papier. Qu’allait-il en être sur scène ?

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Theme & Variations.

La soirée s’ouvrait sur un des chef-d’œuvres du ballet néoclassique : Thème et Variations créé par George Balanchine en 1941 à l’American Ballet Theatre pour Alicia Alonso et Igor Youskevitch. L’eouvre appartient à la veine des ballets néo-pétersbourgeois du chorégraphe russe qui, au début du XXe siècle, avait participé aux derniers feux des ballets impériaux en exécutant des rôles d’enfant dans les grands ballets du tout juste défunt Petipa, notamment La Belle au bois dormant. Thème et Variations est d’ailleurs, comme d’autres ballets de Balanchine (Ballet Impérial, 1941, ou Diamants, 1967) une reconstruction amoureuse du ballet des ballets. Les théories des huit danseuses qui entrent en piétinés, main dans la main et servent de guirlande décorative aux développés équilibres de la ballerine, sont une citation assumée du septuor des fées du prologue. Les variations, extrêmement véloces, de la soliste de Thème ne sont pas sans rappeler les évolutions d’une fée Fleur de farine, Canari ou Violente. Les variations du soliste masculin reprennent en le condensant le répertoire de pas des rares variations de prince de La Belle. Le grand ballabile qui clôt le ballet est typique de la manière de Petipa.

Après une double et longue série de Belle au bois dormant la saison dernière, le ballet de l’Opéra s’est montré, les trois soirs où nous avons vu le ballet, tolérablement à la hauteur de sa réputation. Les demoiselles (en tutu bleu roi) étaient fort disciplinées tandis que les damoiseaux ont pu à l’occasion s’agenouiller en ligne sinusoïdale après leur grand jeté en tournant. Du quatuor de demi-solistes féminines, en bleu-layette, on aura préféré celui de la soirée du 7 novembre qui comptait dans ses rangs Claire Teisseyre et Nine Seropian. Les développés sur pointe avaient un petit côté jazzy qui rendait particulièrement hommage au style du plus américain des chorégraphes russes.

Les fortunes sont diverses chez les étoiles mais jamais inintéressantes. Le 18 octobre, Valentine Colasante se montre élégante : un joli travail des mains sans affectation et des épaulements bien dessinés. En revanche, elle finit sa première variation rapide bien avant l’orchestre, manquant donc son effet. Paul Marque  a un beau ballon. Ses jetés rebondis en attitude ou ses temps levés double ronds de jambe piqué arabesque sont parfaits. Pourtant, son aura de Leading man est en berne. C’est d’autant plus dommage que partenariat est fluide avec une pointe charnelle ajoutée par Colasante. Musicalement, ce passage n’est pas aidé par l’orchestre, le solo du premier violon est languissant sans être émouvant et l’orchestre, sous la baguette plan-plan du sempiternel Velö Pahn, joue les sédatifs. Ce défaut musical ne s’améliorera pas hélas avec les deux distributions suivantes.

Valentine Colasante et Paul Marque. Thèmes et Variations. 18/10/2025

Le 6 novembre, Roxane Stojanov interprétait le rôle de l’Etoile. La dernière nommée de l’Opéra a de jolies lignes et un joli phrasé. Ses gargouillades sur la première variation sont bien dessinées quand elles n’était pas le point fort de Colasante. Malheureusement elle manque successivement les pirouettes finales de ses deux variations, ternissant un tableau sans cela fort positif. On retient donc davantage son partenaire, Lorenzo Lelli, qui maitrise parfaitement sa partition et déploie le charisme qui manquait tant à Paul Marque. Lelli a un beau temps de saut. Il danse avec beaucoup de doigts, montrant que son mouvement va jusqu’aux extrémités du corps. L’arabesque en revanche pourrait s’allonger encore un peu, s’apparentant plus pour le moment à une attitude.

Le jour suivant on est enfin inconditionnellement conquis. Les premiers danseurs Inès McIntosh et Francesco Mura menaient avec maestria le corps de ballet. McIntosh, le bas de jambe ciselé, s’envole littéralement durant les gargouillades de la première variation. Ses épaulements à la fois précis et déliés séduisent car ils indiquent précisément des directions dans l’espace qui sortent du cadre pourtant large de la scène. Sa vitesse d’exécution dans les pirouettes ébaubit.

Francesco Mura, compact et explosif dans les sauts, la présence solaire, n’est pas sans évoquer Edward Villela, un grand interprète du rôle dans les années 70. Dans la série des doubles ronds de jambe les arabesques en piqué sont claires comme le cristal.

Dans l’adage, McIntosh à une qualité de distance-présence, très Farrellienne, qui nous donne envie de la voir dans le mystérieux et intime pas de deux de Diamants. Dans le Final pyrotechnique, le couple McIntosh-Mura peaufine l’arrêté-enchainé : les positions arabesques sont soulignées sans que jamais le flot du mouvement ne soit interrompu. Un bonheur !

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Rhapsodies.

La deuxième pièce, Rhapsodies, nous permet de découvrir un chorégraphe sud-africain inconnu de nous, Mthuthuzeli November. Le jeune chorégraphe, actif depuis le milieu des années 2010, propose une chorégraphie sur la célébrissime Rhapsody in Blue de Georges Guershwin pour piano et orchestre. La pièce, créée à Zurich en 2024, bénéficie d’une scénographie soignée de Magda Willi. Au début du ballet, une grande et profonde porte carrée éclairée en leds trône au centre de la scène. Actionnée par les danseurs, elle se difracte ensuite en plusieurs ouvertures qui redéfinissent l’espace et créent des effets-miroir assez malins. Déployées en forme de fleur, posées en arc de cercle, ces ouvertures sont surmontées d’un luminaire central (l’ex-cadre de la porte initiale), similaire à ceux qu’on trouverait dans une salle de billard mais qui aurait été repensé par un designer danois des sixties.

Rhapsodies de Mthuthuzeli November. Letizia Galloni et Yvon Demol

La gestuelle utilise d’amples ports de bras qui semblent entraîner les grands développés des jambes. La spirale est à l’honneur. Il y a des passages à genoux. Un premier couple ouvre le ballet, observé par un troisième larron avant que l’ensemble des danseurs, portant des costumes du quotidien à peine retouchés, n’apparaissent. Le 17 octobre et le 7 novembre, Letizia Galloni séduit par son énergie d’élastique tendu, prêt à vous claquer à la figure. Elle danse aux côtés d’Yvon Demol intense et athlétique. Le 6 novembre, Hohyun Kang fait montre d’une sinuosité plus végétale et exsude un parfum de sensualité qu’on aurait aimé trouver dans sa Myrtha, un tantinet monolithique, sur la scène de Garnier. Pablo Legasa, quant à lui, concurrence sa partenaire sur le terrain de la liane douée de vie. Sa souplesse, qui ferait pâlir d’envie une danseuse, est magnifiée par la force de son partenariat. Les oppositions et tensions du duo créent un phrasé palpitant.

Hohyun Kan et Pablo Legasa dans Rhapsodies de Mthuthuzeli November

Néanmoins, avec ces deux couples intéressants à leur manière, on reste un peu à l’extérieur. Tout d’abord, on ne comprend pas quelle histoire ils racontent. Leur connexion avec le corps de ballet qu’ils rejoignent entre deux passages solistes, reste obscure. Et on finit par se lasser de cette chorégraphie qui emploie tout le répertoire du classique sexy à l’américaine utilisé maintes fois à Broadway. La musicalité est calquée sur la musique : les mouvements de groupe se font sur les tutti d’orchestre et la phrase musicale semble paraphrasée. A l’occasion, certains mouvements tonitruants sont comiques. L’entrée des filles en piétinés sur pointe avec bras mécaniques ou le final où les garçons rejoignent les filles pour des piétinés sur demi-pointe n’est pas sans évoquer, l’humour en moins, la scène des papillons du concert de Robbins.

C’est plaisant, ça bouge, mais on a une impression de déjà-vu. Le programme annonçait que dans Rhapsodies, Nthuthuzeli November mêlait la danse de rue qu’il pratiquait enfant en Afrique du Sud et l’héritage de la danse classique. De rue, je n’ai décelé que la 42eme.

Ceci pose la question de l’intitulé de la soirée. Je pensais naïvement au début que Racines faisait référence au point commun de ces trois ballets : l’usage des pointes. Mais il semblerait que les racines en question étaient culturelles : la Russie pour Balanchine –connexion évidente dans Thème et Variations-, l’Afrique du Sud pour November –qu’on n’a pas été capable de déceler- et … la Grèce pour Christopher Wheeldon ?

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Corybantic Games.

C’est peut-être aller cherchez un peu loin les « Racines ». Certes, toute la culture occidentale peut se réclamer de la Grèce antique et le Ballet est sans conteste né d’un désir de retrouver les racines de la tragédie classique. Encore l’Empire romain était-il aussi convoqué comme origine de la pantomime noble. On pourrait retrouver un autre angle d’approche pour justifier le rattachement au thème de la soirée. Car pour ses rites corybantiques (des célébrations en l’honneur de la déesse castratrice Cybèle), Wheeldon a choisi la Serenade after Plato’s Symposium de Leonard Bernstein, une œuvre « à citations ».

En effet, Bernstein qui fut un compositeur novateur et rempli d’humour pour la comédie musicale (outre le célébrissime West Side Story, on pense à Candide qui fit entrer Voltaire sur la scène de Broadway) se voyait aussi en compositeur sérieux. Et dans ce domaine, hélas, sa muse était un tantinet constipée. Les œuvres symphoniques de Bernstein sont souvent ampoulées voire boursoufflées. Dans sa Sérénade platonicienne, il singe à tout-va les génies de son temps : il y a  un peu d’Hindemith, qui n’a lui-même pas toujours fait dans la dentelle, et beaucoup de Stravinski. Le dernier mouvement, tonitruant avec ses cloches, est embarrassant de grandiloquence.

Suivant jusqu’au bout son choix musical contestable, Christopher Wheeldon fabrique lui aussi une œuvre à citations. Il y a un soupçon d’Ashton dans les coquets costumes années 30 à harnais d’Erdan Morahoglu (on pense à Variations symphoniques mais pourquoi pas aussi La Chatte de Balanchine), une bonne dose de Robbins (celui d’Antique Epigraphs) dans le deuxième mouvement et beaucoup des Quatre Tempéraments de Balanchine (le dernier mouvement avec sa danseuse colérique qui évolue énergiquement au milieu de l’ensemble du corps de ballet et des solistes).

Ce jeu de collage lasse. Le ballet ne dure pourtant qu’une petite demi-heure… qui paraît une éternité.

Dans le Premier mouvement (lent) 2 garçons s’imbriquent l’un dans l’autre. Des positions bizarres, promenades-accroupissement sur demi-pointes, jambes en développés en dedans sont censés intriguer. Arrivent ensuite les filles. Bleuenn Battistoni  (le 18 octobre et le 6 novembre) montre ses belles lignes par des poses coquettes, très Art Déco, qu’on ne pardonne pas habituellement au style Lifar qui a le mérite, au moins, d’être d’époque. Le 7 novembre, Camille Bon, danseuse plutôt dans la veine sérieuse, force sa nature et rend le passage d’autant plus affecté.

Le deuxième mouvement commence par un solo pour une ballerine. Hohyun Kang tire ce qu’elle peut de ses précieux enchaînements qui la conduisent parfois au sol. Dans ce passage-citation d’Antique Epigraphs, c’est pourtant Claire Teisseyre qui retient notre attention le 7. Lorsqu’elle casse sa ligne très pure par des flexes des pieds ou des poignets, elle évoque presque une muse d’Apollon musagète de Balanchine. On reste néanmoins dans la citation.

Inès McIntosh et Jack Gasztowtt (les trois soirs) bénéficient ensuite d’un duo dynamique avec moult portés acrobatiques, y compris le dernier où la danseuse semble jetée dans la coulisse en double tour en l’air par son partenaire. Reconnaissons à ce mouvement le bénéfice de l’efficacité.

On ne peut en dire autant de l’adagio qui propose trois duos concomitants pour les solistes des mouvements précédents (deux femmes, deux hommes, un couple mixte) sans pour autant proposer de contrepoint par une énergie spécifique qu’ils déploieraient. Le décor arty, les lumières rasantes léchées nous bercent au point de nous faire piquer du nez.

Dans le dernier mouvement, néo-colérique, c’est Nine Seropian, par son alliance de pureté classique et d’énergie moderne qui nous convainc plus que Roxane Stojanov qui rend l’ensemble un peu trop fruité et minaudant.

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La critique peut paraître sévère. Christopher Wheeldon est assurément un chorégraphe chevronné. Aurais-je apprécié ce Corybantic Games si j’en étais aux prémices de  ma balletomanie ? Sans doute. La salle qui répond avec enthousiasme lors du baisser de rideau n’a pas à avoir honte de son plaisir. Simplement, on se dit qu’une fois encore, on se retrouve à ressasser des formules depuis longtemps éculées.

Faut-il pour autant abandonner la création néoclassique ? Certes pas. Balanchine lui-même, qui se voyait comme un cuisinier, disait qu’inspiré ou pas il fallait donner à manger à ses danseurs.  José Martinez a donc raison de continuer à commander des ballets contemporains pour justifier la continuation du difficile apprentissage des pointes. Peut-être qu’un jour ces racines de satin, de cuir et de carton feront éclore une fleur véritablement étrange et nouvelle comme à la fin des années 80 lorsque William Forsythe arriva pour sortir le ballet de son bégaiement post-balanchinien.

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Balanchine au Royal Ballet : staccatovisme

Royal Ballet. Balanchine : Three Signature Works. Représentation du 29 mars 2015.

Toujours sevré de représentations des authentiques chefs d’œuvres de George Balanchine à Paris, j’ai traversé la Manche une seconde fois cette année pour assister au programme « Three Signature Works » par le Royal Ballet. Pensez ! Sérénade, Le Fils prodigue et Symphony In C. Tchaïkovski, Prokofiev et Bizet dans une même soirée. Pourtant, mis à part l’émotion musicale –les trois œuvres scintillent sous la baguette de Fayçal Karoui qu’on regrette de ne pas voir plus souvent diriger à l’Opéra- on est sorti du Royal Opera House assez perplexe.

Dans le programme rouge maison, quatre pages sont consacrées à une interview-hommage de la répétitrice du Balanchine Trust Patricia Neary, bénéficiaire de première génération du legs que Balanchine fit de ses ballets à ses danseurs et dont c’est le départ en retraite officiel. L’infatigable maîtresse de ballet, qui s’était retirée de la scène en 1968 et remontait déjà les œuvres du maître de son vivant, devrait donc être l’assurance même de la bonne tenue des représentations.

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Pourtant, dès l’ouverture de rideau sur Sérénade quelque chose ne fonctionne pas : les lumières sont acides de même que le corps de ballet. Les positions sont atteintes brusquement et les demoiselles en tutu romantique bleu sautent sur leurs pointes plutôt que d’y monter. Cette interprétation staccato de la chorégraphie brise le romantisme clair de lune du ballet. Est-ce pour cela qu’on n’adhère pas non plus à la distribution soliste ? Claire Calvert, qu’on aurait plutôt vu dans la Jumping Girl (Leticia Dias s’y montre plutôt convaincante) paraissait un peu compacte en ange de l’Elégie et ses lignes semblait peu assorties à son long partenaire, Lukas Bjørneboe Brædsrød. Le début de leur pas de trois avec la première soliste nous a même paru un peu pataud : Marianela Nuñez, qui avait pourtant fait une jolie entrée « du retard » sur l’Andante, s’était au préalable emberlificotée dans ses épingles lors de la pâmoison clôturant le premier tableau, nous faisant sortir un peu plus encore du ballet. Pour tout dire, son pas de deux avec Matthew Ball sur le Tempo di valse ne nous avait pas bouleversé non plus, les portés nous ayant paru brusques.

Serenade : Marianela Nunez et Matthew Ball

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Royal BAllet : les compagnons de beuverie.

Pour le Fils prodigue, l’interprétation staccato pouvait paraître plus pertinente. Et de fait, l’entrée de Leo Dixon, quoiqu’un peu minérale dans les réceptions de sauts, rend bien l’impression d’énergie dépensée de manière incontrôlée propre à la jeunesse. L’entrée de la chenille des sbires au début du deuxième tableau fait également son petit effet. Les huit danseurs martèlent allégrement le plateau et accentuent les cassures géométriques des corps. Au bout d’un moment cependant, ce parti pris expressionniste lasse et on a plutôt l’impression d’assister à la Table verte de Kurt Joos qu’au Fils Prodigue de Balanchine. La pantomime du Fils est outrée et on se demande ce qui le sépare par essence de ses compagnons d’agapes décadentes. Tout se gâte enfin à l’entrée de Fumi Kaneko qui, dans la Sirène, tient plus du ressort comprimé dans une boite que de la liane toxique. Les développés à la seconde sont fixés violemment en l’air et les poses lascives entre la courtisane et le Fils ressemblent plus à cet exercice consistant à faire rentrer des ronds dans des carrés.

Devenu complètement hermétique au déroulement du ballet, on assiste sans émotion à la marche du fils repentant. Il manque encore à Leo Dixon cette souplesse de chat pour ce passage où Balanchine se tourne résolument vers l’esthétique de la peinture baroque. Mais il n’est pas sûr qu’on lui ait appris le rôle dans ce sens. Plutôt qu’un saint martyr en clair-obscur, on assiste encore et toujours, sous une lumière froide, à une démonstration de pantomime un peu crue qui, on l’entend bien autour de nous, provoque des petits rires réprimés dans le public.

Le Fils prodigue : Fumi Kaneko et Leo Dixon

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Pour Symphony In C, on n’est pas tant gêné par les éclairages violents, qui font scintiller les strass des costumes. Dans l’Allegro Vivo, le corps de ballet a du ressort et tant pis si Mayara Magri danse les mains à la fois mortes et écartées. Son partenaire, William Bracewell, est à la fois preste et élégant. Melissa Hamilton, quant à elle, rend pleinement justice à l’Adage aux équilibres. Ses lignes sont très belles, particulièrement ses arabesques penchées. Elle transmet au public cette impression de sérénité aux bras de Ryoichi Hirano, partenaire noble et plein d’autorité. On s’étonne simplement de l’option prise lors des pâmoisons de la ballerine rattrapée in extremis par son partenaire. Les bras du danseur se referment sur la taille de la ballerine comme des pinces, ajoutant une touche spectaculaire mal venue à un passage qui devrait être juste suspendu. On s’étonne de cette faute de goût chez un partenaire sans cela au parfait. La réponse vient a posteriori d’une vidéo de répétition publiée par le Royal Ballet. Dans cette-ci, Mathew Ball rattrape Marianela Nuñez exactement de la même disgracieuse manière. Il s’agit donc d’une option voulue par les répétiteurs.

Symphony in C : Melisssa Hamilton et Ryoichi Hirano

La fin de la représentation est satisfaisante. Dans l’Allegro Vivace, les solistes aux sauts de basque, Sae Maeda et Taisuke Nakao, ont du ballon et du moelleux dans leur réception. Le Final est joliment introduit par Meaghan Grace Hinkins et Leo Dixon qui ont la vélocité requise pour lancer ce grand ballabile final qui réunit toute la distribution.

Même si la soirée s’achève sur une note ascendante, on reste globalement déçu. La dérive staccatiste dans l’interprétation des ballets de Balanchine, apparue il y a une dizaine d’années, d’abord au New York City Ballet, dessert décidément beaucoup l’œuvre de ce chorégraphe de génie. La vitesse, oui ; mais pas au prix du legato.

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Ballet du Capitole : Balanchine en Grand

Programme Magie Balanchine. Ballet national du Capitole. Représentations du 28 et du 29 décembre 2024.

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Magie Balanchine. Ballet National du Capitole. Thème et variations. Natalia de Froberville et Kleber Rebello. Photographie David Herrero.

Avec ce programme de fête, le ballet du Capitole renouait avec l’œuvre de Georges Balanchine dont elle avait été sevrée pendant la direction de Kader Belarbi. Le talentueux chorégraphe et directeur avait en effet mis fin au long règne de Nanette Glushak (vingt ans) qui avait placé le grand maître du néoclassique américain au cœur de sa programmation. Pour nous, spectateur parisien, c’est surtout l’occasion de renouer avec du Grand Balanchine. La dernière décennie, depuis la direction Millepied, a été en effet caractérisée par l’entrée au répertoire d’œuvres très secondaires du maître dans des programmes souvent mal agencés.

C’est donc un bonheur de retrouver Thème et variations après avoir dû s’enfiler à Paris l’indigeste, l’interminable Ballet impérial.

Pourtant, comme dans Ballet impérial, Balanchine joue sur la corde nostalgique pétersbourgeoise. Mais il introduit dans ses citations de la Belle au bois dormant de Petipa (la guirlande des fées qui s’enroule et se déroule au prologue) des références jazzy, des déséquilibres dynamiques, tout en imposant aux solistes une vitesse d’exécution digne de celle des Legnani ou des Brianza des années 1890, l’amplitude de mouvement et l’en-dehors de la période contemporaine en plus. Pour finir, la structure du ballet colle à son sujet du thème et variations. La combinaison initiale énoncée par les deux solistes – marche en dégagés avec opposition des bras, petit chassé en reculant, doubles dégagés en remontant – se trouve développée au cours de ballet et culmine avec les grands battements développés devant puis arabesque qui clôturent la pièce. L’enchaînement de pirouettes depuis la 5e du garçon sur sa première variation est reprise à la fin mais pimentée de double-tours en l’air.

Lors de la matinée du 28, Kleber Rebello renoue avec ses racines balanchiniennes acquises au Miami City Ballet où il fut Principal, dans un premier temps sous la direction du légendaire fondateur de la compagnie Edward Villella. Le rebond de Rebello sur les coupés-jetés en remontant est d’ailleurs réminiscent des classes de Villella à Miami. Les temps-levés double rond de jambe piqués arabesque ont du peps et le fini des pirouettes est impeccable. Rebello est de surcroît un partenaire élégant et attentif. Il permet à Natalia de Froberville (qui caresse le sol de la pointe, est d’une l’absolue légèreté et dans la prestesse d’exécution) de briller encore plus si cela est possible.

BNC_2606 - Thèmes et Variations - crédit David Herrero

Magie Balanchine. Ballet National du Capitole. Thème et variations. Ramiro Gómez Samón et Nina Queiroz. Photographie David Herrero.

Pour la matinée du 29 décembre, le rendu est tout différent. Le couple Nina Queiroz-Ramiro Gómez Samón se distingue par le crémeux de sa danse. Queiroz a de jolis épaulements et toute sa batterie est claire. On lui pardonnera aisément quelques petits déséquilibres sur la vitesse dans la première variation au vu de l’intimité qui se dégage du pas de deux central. Gómez Samón est à la fois élégant et réservé. Son partenariat est tout soie et velours. Sa coda de leading man avec les grandes sissonnes est roborative. On passe deux excellents moments d’autant que le corps de ballet féminin se montre à la fois discipliné et vibrant dans leurs scintillants costumes vert d’eau (Joop Stokvis) infiniment préférables aux fades tutus bleu-layette de la version parisienne de Thème et variations. Le quatuor des demi-solistes (dont Sofia Camininti et Solène Monnereau) danse avec beaucoup d’esprit et les garçons, qui arrivent sur le tard, exécutent une polonaise bien réglée.

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Magie Balanchine. Ballet Nationale du Capitole. Tchaïkovski Pas de deux. Lian Sanchez Castro et Philippe Solano. Saluts.

Peut-on avoir trop de bonnes choses ? Crée en 1960 sur des pages retrouvés du Lac pour un pas de deux du Cygne noir alternatif, Tchaïkovski Pas de deux est un autre authentique chef-d’œuvre de George Balanchine. Peut-être, si on veut absolument faire la fine bouche, trouvera-t-on que l’enchaînement de Tchaïkovski Pas de deux à Thèmes et Variations, après un simple précipité, est un peu monotone. Il y a en effet de grandes similarités dans les deux pas de deux et même dans la technique des variations (la célérité pour la fille, les assemblés battus en remontant pour le garçon…). Sans doute présenter Tarentella aurait été plus pertinent. On aurait eu le feu d’artifice technique, la musique de Gottschalk aurait contrasté avec celle de Tchaïkovski et le loufoque du pas de deux nous aurait préparé à l’ambiance Broadway de Who Cares ? .

Peut-être ce Tarentella aurait d’ailleurs mieux convenu à la nouvelle recrue Lian Sanchez Castro. La danseuse coche pourtant toutes les cases techniques pour le Tchaïkovski Pas de deux. Elle fait preuve d’une belle célérité et a un sens certain de la scène. Mais elle oublie d’installer une complicité avec son partenaire. Elle en a pourtant un de tout premier ordre. Philippe Solano peaufine en effet chaque détail de ses interactions avec elle, par la présentation des mains ou les regards portés sur elle. Le danseur trouve de son côté le bon équilibre entre l’humilité du partenaire qui cherche à présenter sa ballerine sous son meilleur jour et la bravura technique où il peut se permettre d’exprimer sa propre personnalité. Son grand manège final mange l’espace et ses tours à la seconde plein de d’énergie suscitent l’enthousiasme. Mais on ne peut s’empêcher d’imaginer le même couple dans Tarentella avec sa base de cabotinage facétieux et de concurrence drolatique.

Le 29, on retrouve le couple de Thème et variations de la veille dans Tchaïkovski pas de deux. Natalia de Froberville y joue d’emblée la connexion avec son partenaire Kleber Rebello. Elle n’a même pas besoin de le regarder. Dans l’adage, on se dit que son dos a des yeux… Ce partenariat très fluide et évident (le poisson final de l’adage est plein d’esprit) provoque l’adhésion alors même que Rebello se montre finalement plus en retrait que Solano.

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Magie Balanchine. Ballet National du Capitole. Tchaïkovski Pas de deux. Natalia de Froberville et Kleber Rebello. Photographie David Herrero.

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Lors de la première matinée, on pensait qu’on avait mangé son pain blanc avant l’entracte.

Who Cares ?  n’est en effet pas exactement dans mon Panthéon balanchinien. Le ballet fait partie du corpus d’œuvres où le fondateur du New York City Ballet caressait son public américain dans le sens du poil. Quoi de mieux en effet que de faire se dandiner des ballerines classiques dans des tenues à paillettes, sur des musiques populaires lourdement réorchestrées, afin de désennuyer les maris qui accompagnent leur légitime au ballet ? Bien entendu, un génie chorégraphique tel que Balanchine ne peut commettre un mauvais ballet sans insérer quelques jolies perles en plein milieu du torchon. Mais globalement, cette suite de danses me laisse le plus souvent froid. Ce fut particulièrement le cas lors de la soirée Balanchine à l’Opéra où les évolutions des danseurs, trop uniformément correctes, semblaient se noyer dans l’immensité du plateau.

Mais à Toulouse, dans l’écrin plus intime du Théâtre du Capitole, sous la baguette spirituelle de Fayçal Karoui et porté par l’énergie roborative du ballet du Capitole, on parvient à gouter aux charmes de surface de Who Cares ?

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Magie Balanchine. Ballet National du Capitole. « Who Cares? ». Jeremy Leydier, Aleksa Zikic, Minoru Kaneko, Simon Catonnet et Eneko Amoros Zaragoza. Photographie David Herrero.

Le décor, beaucoup moins bling bling que celui de l’Opéra, représente un skyline depuis Battery Park et les pendrillons figurent des immeubles de bureau. Pour le double quintette, le défaut d’homogénéité des interprètes est en fait un atout. Les individualités ressortent et la succession des scénettes n’est jamais fastidieuse. Les cinq couples du 28 gagnent l’adhésion. Le premier duo est assez charmant sur ‘S Wonderful. Haruka Tanonooka a du chic et Eneko Amoros Zaragoza du peps. Sur Do do do, Aleksa Zikic est touchant et drôle en séducteur à râteaux aux côtés de Giorgina Giovannoni. Le 29, le quintette de garçons, très divers physiquement (les grands gabarits comme Jérémy Leydier ou Minoru Kaneko voisinent avec les physiques plus compacts comme celui d’Amaury Barreras Lapinet) retient l’attention par son déploiement de compétition amicale. Eneko Amoros Zaragoza trace décidément un inénarrable portrait de Groucho Marx dans le premier pas de deux. Jérémy Leydier fait un peu bookmaker facétieux aux côtés de la primesautière Sofia Camininti. Moins émouvant que Zikic sur Do do do, Amaury Barreras Lapinet roule des biscottos avec gusto.

Who Cares ? semble avoir été le médium par lequel la directrice, Beate Vollack a voulu introniser les deux nouvelles étoiles de la compagnie. Jacopo Bellussi, recruté à l’extérieur de la compagnie, un long danseur aux lignes harmonieuses et au physique avantageux, est donc le Leading Man à cœur d’artichaut de ce ballet. Il s’acquitte de sa tâche avec élégance. On regrette qu’il n’ait pas été distribué plutôt dans les vraies pièces de résistance du programme, Thème ou Tchaïkovski, où il eut été plus aisé de jauger ses qualités d’étoile.

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Magie Balanchine. Ballet National du Capitole. « Who Cares? ». Tiphaine Prévost. Photographie David Herrero.

Dans les trois dames, objet de l’attention du Principal masculin, on est gratifié le 28 de la présence de Kayo Nakazato dans le petit bijou de pas de deux qu’est The Man I Love. La danseuse, promue soliste après sa très belle saison dernière, installe une vraie atmosphère sensuelle et intime à la fois. Ses tours attitude continués en promenade attitude au bras de son partenaire sont d’une grande fluidité. En soliste mauve, Tiphaine Prévost est une superbe bacchante, à la fois primesautière et sans peur (ses sauts de basque et sa batterie sur Stairway To Paradise nous soulèvent littéralement de notre siège).

En vert, Marlen Fuerte Castro, l’autre nouvelle étoile, choisie, elle, parmi les solistes de la compagnie, est une danseuse en vert pleine d’autorité et d’aisance. Fuerte Castro a une communauté de taille et de ligne avec la nouvelle recrue masculine.

On est désormais familier de son rôle de beauté sculpturale dont Kader Belarbi avait su maintes fois tirer parti dans ses créations (la dompteuse dans Les Saltimbanques ou Suzanne Valadon dans Toulouse-Lautrec). À la fin de son pas de deux avec le Leading Man sur Embraceable You, elle concède un baiser à son partenaire. Le 29, les solistes féminines échangent les rôles. Tandis que Tiphaine Prévost reprend son rôle en mauve, Kayo Nakazato se met au vert avec grâce. Son pas de deux avec Jacopo Bellussi a la grâce du pas de deux final de Funny Face entre Fred Astaire et Audrey Hepburn. Le baiser final semble être donné et reçu d’un commun accord. À l’inverse, Marlen Fuerte Castro reste hélas univoque dans son The Man I Love. Elle est et reste une déesse chasseresse, belle mais froide, qui reçoit avec indifférence l’hommage de son partenaire.

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Magie Balanchine. Ballet National du Capitole. « Who Cares? ». Marlen Fuerte Castro et Jacopo Bellusi. Photographie David Herrero.

La question risque donc de se poser au moment des distributions si le Ballet du Capitole devait remonter La Sylphide, une nouvelle production de Giselle ou de La Belle à son répertoire. La nouvelle étoile féminine saura-t-elle se montrer assez éthérée, fragile ou subtile pour embrasser chacun de ces rôles? Ou faudra-t-il avoir recours à de talentueuses ballerines placées plus bas dans la hiérarchie pour endosser ces personnages iconiques? 

Mais peut-être aurons-nous une réponse plus optimiste à donner à l’occasion de la nouvelle Coppélia que Jean-Guillaume Bart va monter à Toulouse en avril prochain.

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Magie Balanchine. Ballet National du Capitole. « Who Cares? ». Kayo Nakazato et Jacopo Bellusi. Photographie David Herrero.

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Forsythe-Inger à l’Opéra : presque…

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Impasse. Scénographie. La maison à géométrie décroissante de Johan Inger. Lumières de Tom Visser

La première partie du programme de gala avait été, si vous vous en souvenez, assez peu roborative. On se réjouissait donc, après un entracte, de retourner dans le vif des choses avec deux ballets du grand Billy (entendez William Forsythe).

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Las, il faudra attendre encore de longues minutes avant d’être emporté. En effet, je n’ai pas reconnu Rearray, cette pièce créée pour Sylvie Guillem et Nicolas Le Riche en 2011 et vue au TCE en 2012. Certes, le pas de deux a été transformé en pas de trois, mais l’absence totale de réminiscences a sans doute d’autres raisons plus préoccupantes.

Lors de la répétition publique à l’amphithéâtre Bastille vue par Fenella, le répétiteur a en effet livré l’attitude de Forsythe lui-même face au remontage de ses œuvres. « Il n’y a pas de version définitive de ses ballets », « Les interprètes ne doivent pas reproduire ce qui a été fait par d’autres », « un ballet repris peut être transformé ». Tous ces principes, en eux-mêmes semblent fructueux. Forsythe est de cette génération qui a vu les ballets de Balanchine lentement se fossiliser après la mort du maître en 1983 (époque où Forsythe créait sa toute première pièce pour l’Opéra : France Dance).

La création du Balanchine Trust était une grande première. Elle consistait dans le legs des ballets du maître à certains de leurs interprètes, désormais seuls à être autorisés à les remonter dans d’autres compagnies. Le système a vite montré ses limites. Il y eut vite des luttes d’influences et certains imposèrent des règles qui n’étaient pas fixes du vivant du maître. Par exemple, le diktat du non-posé du talon au sol dans les enchaînements rapides s’est généralisé quand il n’avait été conçu par Balanchine que pour contourner le manque de longueur de tendon d’Achille de certains danseurs. Violette Verdy, créatrice de Tchaikovsky-Pas-de-deux, n’a jamais eu à utiliser cet expédient. Figer les règles n’a pas non plus empêché la dérive staccatiste qui à mon sens défigure les ballets du chorégraphe dans sa propre compagnie, le New York City Ballet.

Néanmoins, l’attitude de Forsythe face au remontage de ses ballets qui pourrait se résumer à « le style correct, c’est celui des danseurs qui sont en train de danser » rencontre aussi ses limites. Déjà à l’époque de Rearray avec Guillem-Leriche, je me montrais soulagé de retrouver le Forsythe qui m’avait fasciné depuis le début des années 90 et non une mouture chichiteuse du maître de Francfort. Car il y a le style (qui trop révéré peut scléroser) mais il y a aussi le Style (les spécificités chorégraphiques qui sont le cœur de l’œuvre du créateur).

En 2012, j’avais donc retrouvé les départs de mouvements à la Forsythe, c’est-à-dire de parties complètement inattendues du corps (un genou, une épaule). C’est ce qui justifiait l’accent mis par exemple sur les préparations, habituellement cachées dans le ballet académique et néoclassique mais hypertrophiées ici. Forsythe a ajouté au ballet une approche déconstructiviste, mettant l’accent sur le détail, ce qui rend également l’irruption de la danse et de la virtuosité inattendue et galvanisante pour le public. Les danseurs passent et repassent de l’attitude de ville au balletique sans crier gare. Mais devrait-on écrire « rend » ou bien « rendait » ? Aujourd’hui, de plus en plus, lorsqu’on voit les danseurs marcher sur scène, on a l’impression qu’ils sont sur le catwalk d’une énième Fashion Week. Les positions à poignets cassés ne sont plus déconstructivistes, elles sont tout bonnement maniéristes. La pièce d’occasion deMy’Kal Stromile en était la consternante preuve par l’exemple.

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Rearray. Roxane Stojanov.

Sans atteindre ce tréfonds, il nous faut reconnaître que Rearray mouture 2024 nous laisse complètement sur le bord de la route. Avec Roxane Stojanov, une subtile interprète qu’on ne peut accuser de maniérisme, tout part du centre attendu chez un danseur d’expression classique. La danseuse va piquer très loin ses pointes (Guillem dansait sur demi-pointes), jusqu’au point de déséquilibre, c’est fort beau, mais son mouvement reste continu quand les fulgurances post classiques devraient naître d’une préparation manquée ou d’une marche de rue. Dans ce Rearray, Roxane Stojanov demeure à chaque instant une danseuse.

En 2012, on s’était émerveillé aussi du mystère de la pièce : était-on face à un duo ou à un double solo ? Ici, la question ne se pose plus vraiment. Takeru Coste et Loup Marcault-Derrouard (qui parvient à se désarticuler d’une manière conforme à l’esthétique Forsythe) nous offrent ce jeu de nœuds trop léché avec leur partenaire qu’on a vu et revu partout. C’est la malédiction Forsythe en plein.

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Blake Works I, qui est fabriqué sur la joliesse inhérente à l’école française, ressort mieux. Ces badinages chorégraphiques sur les musiques suaves à paroles sombres de James Blake mettent la compagnie en valeur. Au soir du 9 octobre, beaucoup des créateurs du ballet en 2016 sont encore dans les rangs et ont, pour certains, monté dans la hiérarchie.

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Blake Works. Curtain calls

Léonore Baulac est toujours aussi lumineuse dans son rôle avec ses lignes pures, son mouvement continu et sa sensibilité à fleur de peau. Elle accomplit, une fois n’est pas coutume, un très beau duo avec Germain Louvet qui reprend le rôle de François Alu. Le pas de deux « The Color in Anything », qui à l’époque semblait teinté d’une charge « biographique » (on avait le sentiment d’assister à une scène de rupture amoureuse) ressemble aujourd’hui à ce qu’il était vraisemblablement dès le départ, l’évocation d’un travail de studio en cours qui résiste à devenir pas de deux. Les mains se croisent, les passes se tentent et avortent. On sent la frustration poindre chez l’interprète féminine face à son chorégraphe-partenaire à moins que ce ne soit elle la créatrice et lui le modèle rétif. Le trio « Put that Away » avec Pablo Legassa, Caroline Osmont et Inès McIntosh (nouvelle venue dans ce ballet), avec ses poignets cassés et ses poses de chat, fait penser à une version moderne du mouvement flegmatique des Quatre Tempéraments de Balanchine. On est fasciné. Hohyun Kang danse avec une jolie énergie et de belles lignes le rôle de Ludmila Pagliero même si on regrette les gargouillades ciselées de la créatrice. Le duo final avec Florent Mélac manque de recueillement intérieur. Hugo Marchand, qui a le mérite de montrer l’angularité de la chorégraphie, ressort moins que dans mon souvenir. Il me semble qu’il marque joliment. On est cependant satisfait de l’ensemble du ballet porté par sa vingtaine d’interprètes.

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Blake Works. Saluts

Le constat de cette section de la soirée reste néanmoins mitigé.

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Après un nouvel entracte, on va pouvoir enfin assister à la première pièce de Johan Inger entrée au répertoire du ballet de l’Opéra : Impasse.

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Impasse. Répétition publique à l’Amphithéâtre Bastille. Fernando Madagan (répétiteur), Ida Viikinkoski, Marc Moreau et Andrea Sarri.

J’avais pour ma part assisté à la répétition publique à l’Opéra Bastille, le 21 septembre. Le répétiteur Fernando Madagan avait choisi de présenter le trio central du ballet. L’ensemble était on ne peut plus prometteur. La chorégraphie, très fluide, avec ses marches et ses glissés au sol, ses corps qui dessinent des volutes, ses dos qui s’arquent vers le ciel et conduisent à des chutes rattrapées par les partenaires, sont dans la veine post classique. Il y a également une veine ekienne (Inger n’est pas Suédois pour rien) avec ses marches sur genoux pliés, ses poses assises jambes écartés et ses gestes du quotidien hypertrophiés, ses rires et des dandinements comiques. Le chorégraphe ajoute même une note folklorique en réaction à la bande son apposant Ibrahim Maalouf et Amos Ben-Tal.

Dans son solo, Ida Viikinkoski accomplit des sortes de sauts temps de flèche attitude en reculant qui sont une véritable déclaration d’innocence. Dans le duo, Andréa Sarri est lui aussi dans le charme et l’insouciance en dépit du gros patch qu’il porte à l’épaule gauche. Bien que le duo se transforme en trio, avec l’arrivée de Marc Moreau, on ne repère pas de rivalité entre les garçons pour la fille. Le répétiteur revient sur des nuances d’interprétation ou sur des dynamiques de mouvement qui vont changer le sens et le perception du passage. Viikinkoski est très réactive. Moreau se voit souvent reprocher de ne pas être assez dans le relâché au début mais se reprend bien. Il reste néanmoins plus sur le contrôle que les deux autres. On ne se refait pas. Fernando Madagan annonce qu’il y aura sur le plateau une puis deux puis trois maisons rétrécissant l’espace au fur et à mesure que les danseurs entreront en nombre toujours croissant. Trois groupes différents s’additionneront au final : le trio, les gens de la ville puis les royalties et autres excentriques. Le titre de la pièce, « Impasse » ferait référence au sentiment d’enfermement et d’inéluctable créé par le COVID. Comme pour la soirée Cherkaoui, Voelker, Kerkouche à l’Opéra en novembre 2020, Impasse fut finalement créé en ligne par les danseur junior du Nederlands Dans Theater (NDTII)…

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Impasse. Johan Inger. Saluts

Au soir du 9 octobre, le résultat final laisse pourtant un tantinet perplexe. Si on y retrouve les qualités des ballets de Johan Inger. Il y a d’abord son habileté à lier sa chorégraphie à la scénographie, à la différence de ce qu’a pu faire le duo Leon-Lightfoot au NDT. On apprécie la séquence des Oty People (les gens de la ville), presque music-hall, avec son drôle de va-et-vient ramenant toujours plus de danseurs qui s’ajoutent. On comprend enfin la symbolique de l’arrivée des personnages colorés et divers : d’abord tentés par le conformisme (le trio se change pour le costume unisexe noir des citadins), nos trois innocents d’hier sont confrontés aux sirènes de l’ultra individualisme. Ils échappent in extremis à cette apocalypse vociférante en se glissant sous le rideau couperet qui descend lentement sur le devant de la scène. Pourtant, cette dernière séquence avec ces gesticulations et ces cris nous perd un peu. On se remémore certaines pochades déjantées proposées par Kylian à la fin de sa direction à La Haye. On ne s’est pas ennuyé, non. Johan Inger sait composer un ballet. Mais on ne ressort pas aussi inspiré qu’on a pu l’être après certaines de ses productions. Le succès est d’estime et on espère que le directeur de la danse saura donner une autre chance au Suédois qui serait à même d’enrichir le répertoire du ballet de l’Opéra de Paris.

Au final, ce programme d’ouverture, celui de la première saison authentique de José Martinez à la direction de la Danse, aura été truffé d’occasions manquées.

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Balanchine à l’Opéra: sous la triste bannière étoilée

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Nomination. Le couple étoilé de Ballet impérial. Hannah O’Neill et Marc Moreau. 2 mars 2023

Commençons, une fois n’est pas coutume, par l’épilogue. Ma dernière soirée Balanchine de cette saison s’est achevée par une double nomination d’étoile. De manière assez inusitée, Alexander Neef et José Martinez sont montés sur scène à la mi-temps du programme. Le premier a annoncé d’abord la nomination étoile d’Hannah O’Neill puis, celle de Marc Moreau, les interprètes des deux rôles solistes principaux de Ballet impérial. Si la nomination de Mlle O’Neill était attendue depuis quelques temps et arrive presque tardivement, celle de Marc Moreau était une surprise. Le danseur est un vétéran de la compagnie qui a assez longtemps stagné dans la classe des quadrilles puis des sujets avant de passer premier danseur en 2019. Il y avait quelque chose d’émouvant à voir l’incrédulité puis l’effondrement joyeux du danseur à cette annonce. J’en ai presque oublié que je n’ai pas été tendre avec Moreau ces deux dernières saisons que ce soit dans Rhapsody d’Ashton, dans le Lac ou très récemment dans le soliste à la Mazurka d’Etudes. Marc Moreau est un excellent danseur mais, ces derniers temps, j’ai trouvé qu’il mettait beaucoup de pression et de contrainte dans sa danse dès qu’on lui confiait un rôle purement classique. C’est le syndrome, très Opéra de Paris, des danseurs qu’on laisse trop attendre et qui deviennent leur propre et impitoyable censeur. Cette nomination est donc à double tranchant. Soit elle libère enfin l’artiste (qui a montré l’année dernière ses qualités dans Obéron du Songe de Balanchine), soit elle finit de le contraindre. Et Marc Moreau n’a pas énormément de temps d’étoilat avant la date fatidique de la retraite à l’Opéra. On lui souhaite le meilleur.

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Cette double nomination aura mis quelques étoiles dans un programme bien peu étincelant par ailleurs.

Il présentait pourtant deux entrées au répertoire et donc deux nouvelles productions de ballet par le maître incontesté de la danse néoclassique au XXe siècle. Mais on peut se demander si ces additions étaient absolument indispensables…

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Ballet impérial. Pose finale. 16 février 2023.

Ballet impérial est un Balanchine de la première heure américaine. Il a été créé en 1941 pour l’American Ballet, alors toute jeune compagnie. Mais pour être un « early Balanchine », Ballet impérial est-il pour autant un chef-d’œuvre ? Disons plutôt qu’il a un intérêt historique. À l’époque de sa création, il fut ressenti comme très moderne. Le ballet symphonique, dont Léonide Massine était alors le grand représentant, avait le vent en poupe. Mais à la différence de Massine qui était tenté par l’illustration des programmes d’intention des compositeurs (comme dans la Symphonie fantastique de Berlioz), Balanchine proposait un ballet presque sans argument qui réagissait uniquement à la musique. De plus, en dépit de l’utilisation des oripeaux traditionnels du ballet (tutus-diadèmes pour les filles et casaques militaires-collants pour les garçons), le chorégraphe a truffé son ballet de petites incongruités qui marquent la rétine. Ainsi, la ballerine principale, placée en face de son partenaire qui avance, recule en sautillés sur pointe arabesque. À un moment, elle fait de petits temps levés en attitude croisée face à la salle qu’elle répète en remontant la pente de scène et dos au public. La deuxième soliste féminine, pendant un pas de trois avec deux garçons, est entrainée par ces derniers dans une promenade sur pointe en dehors. Les danseurs font alternativement des grands jetés tout en continuant à la faire tourner sur son axe.

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Alors pourquoi ce ballet n’entraine-t-il pas mon adhésion ? C’est qu’en dépit de ses qualités additionnées, Ballet impérial souffre d’un cruel défaut de structure, un peu à l’image du concerto n°2 pour Piano de Tchaïkovski sur lequel il est réglé. Le long premier mouvement, Allegro Brillante, commence d’une manière tonitruante et dévoile d’emblée toute la masse orchestrale avant de s’apaiser et d’additionner les thèmes. De même, Balanchine montre d’emblée l’ensemble de la compagnie. Au lever du rideau, huit garçons et huit filles placés en diagonale se font face. Après une révérence, huit autres danseuses entrent sur scène. Moins de trois minutes se sont écoulées et on a vu tout ce qu’il y avait à voir. Les ballabiles, habituellement point d’orgue dans les grands classiques et néoclassiques, se succèdent de manière monotone. À la fin de l’Allegro Brillante, la pose finale laisse penser que le ballet est teminé. Or il reste encore deux mouvements à venir. Ballet impérial est une œuvre sans montée d’intensité. Au bout d’un moment, l’attention s’effiloche. On se prend à faire la liste des inventions visuelles que Balanchine a réutilisées plus tard dans ses vrais chefs-d’œuvres.

Un autre problème vient aggraver encore ce manque de structure : la production. En effet, de 1941 à 1973, ballet impérial évoquait la Russie de Catherine II. Dans certaines productions, la Ballerine principale portait même une écharpe de soie censée être très régalienne, et lui donnant occasionnellement un petit côté « miss ». Il y avait un décor représentant les bords de la Neva à Saint Petersbourg. Mais en 73, Balanchine décida d’effacer toute référence nostalgique. Les tutus à plateaux et les uniformes masculins disparurent au profit de robes mi-longues de couleur rosée pour les filles et de simples pourpoints pour les garçons. Le ballet fut rebaptisé Tchaikovsky concerto n°2 et c’est ainsi qu’il est dansé dans la plupart des compagnies américaines aujourd’hui. Néanmoins, Ballet impérial, qui avait été donnée à d’autres compagnies (notamment le Sadler’s Wells, futur Royal Ballet) demeure avec tutus, diadèmes et casaques. Mais Balanchine, sans doute pour inciter à terme les compagnies à adopter la version 73, a exigé la suppression des décors. Et il faut reconnaitre que l’effet n’est pas des plus flatteurs. Sur une scène seulement habillée de pendrillons noirs et d’un cyclo bleu, pas même deux ou trois lustres pendus comme c’est le cas dans Thème et Variations pour suggérer un palais, les costumes de Xavier Ronze  pour la production de l’Opéra paraissent fort déplacés. Les garçons particulièrement semblent porter des pourpoints d’un autre temps et on se prend à remarquer combien ils sont en sous-nombre par rapport aux filles, marque d’une époque où, aux États-Unis, on comptait trop peu de danseurs suffisamment formés pour remplir un plateau. Ballet impérial, qui fut jadis un manifeste de modernité, apparaît ici comme une vieillerie.

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« Ballet impérial ». Corps de ballet. Saluts.

Qu’est-ce qui a poussé le ballet de l’Opéra à opter pour Ballet impérial plutôt que Concerto n°2 ? Dans ce dernier, les problèmes de structure de l’œuvre demeurent mais l’ensemble parait plus organique. Lorsque c’est bien dansé, avec une compagnie qui l’a dans les jambes, on peut même y prendre du plaisir. Ce fut le cas en 2011 lorsque le Miami City Ballet fut invité aux Étés de la Danse. On se souvient encore du trio formé par les sœurs Delgado et Renato Penteado.

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Or le ballet de l’Opéra, célébré encore universellement aujourd’hui comme un des meilleurs corps de ballet du monde, est loin de se montrer à la hauteur. Au soir de ma première, le 10 février, les lignes très géométriques voulues par Balanchine, alternant les carrés et les formations en étoiles qui s’entrecroisent, confinent au sinusoïdal. Ni les garçons ni les filles ne parviennent à l’unisson. L’une d’entre elles ne sait clairement pas où la prochaine mesure doit la porter. Cela s’est arrangé par la suite (15 février) sans jamais atteindre la perfection immaculée. Au soir de la représentation étoilée (2 mars), une danseuse rentre quand même dans une autre au moment d’un croisement de diagonale. Faut-il en imputer la faute aux répétiteurs ou la programmation ? Répéter en même temps Ballet impérial, Études (soirée Dupond) et Giselle pour la tournée en Corée du Sud peut s’avérer délicat même pour une compagnie de la taille du ballet de l’Opéra. Les jeunes quadrilles et surnuméraires, souvent « remplaçants de remplaçants » doivent apprendre tous les rôles et toutes les places afin, si besoin, de rentrer au pied levé. Dans un ensemble, les recours multipliés à ces jeunes artistes finissent par se voir nonobstant le talent et la bonne volonté que ces derniers déploient.

Au niveau des « principaux », le compte n’y est pas non plus le 10 février. En deuxième soliste, Silvia Saint-Martin, une autre de ces artistes talentueuses qui a beaucoup attendu et s’est mise à avoir une présence à éclipse, ne passe pas la rampe. Elle ne se distingue pas assez physiquement de la première soliste, Ludmila Pagliero, qui d’ailleurs ne semble pas au mieux de sa forme. Cette dernière rate par exemple à répétition une des incongruités balanchiniennes typique de Ballet impérial : les doubles tours seconde sur quart de pointe, jambe pliée, terminés en arabesque. Il est troublant de voir Pagliero, habituellement si sûre techniquement, achopper sur une difficulté technique. Plus dommageable encore, sa connexion avec le protagoniste masculin, Paul Marque, pourtant irréprochable, est quasi-inexistante. C’est regrettable. L’andante est le moment Belle au bois dormant acte 2 de Ballet impérial. Il préfigure aussi l’adage de Diamants (1967) : les danseurs s’approchent et se jaugent en marchant de côté chacun dans sa diagonale. Il y a même une once de drame dans l’air. La ballerine se refuse et le danseur doit faire sa demande plusieurs fois. Ici, rien ne se dégage de ce croisement chorégraphique.

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Ballet impérial. Ludmila Pagliero et Paul Marque.

L’impression est toute différente le 15 février. Hannah O’Neill est une deuxième soliste primesautière qui s’amuse avec ses deux compagnons masculins dans le fameux passage de la promenade-grand jetés. Cette posture joueuse contraste bien avec la sérénité élégante et la maîtrise régalienne du plateau déployées par Héloïse Bourdon en première soliste. En face d’elle, Audric Bezard sait créer le drame avec presque rien. Il y a une vibration dans l’air lorsque les deux danseurs s’approchent et se touchent. Bezard, plus imposant que Marque et de surcroît mieux accompagné d’un corps de ballet féminin plus à son affaire, met en valeur le passage où le danseur actionne comme un ruban deux groupes de cinq danseuses. Au soir du 10, le pauvre Paul Marque semblait s’adonner à un concours de force basque. Ce leitmotiv balanchinien, utilisé dans Apollon dès 1928, puis dans Sérénade (1934) ou enfin dans Concerto Barocco (1941) prend avec Bezard une dimension poétique. Le cavalier semble aux prises avec les fantômes de ses amours passées. Les deux « têtes de ruban », Caroline Robert et Bianca Scudamore s’imbriquent avec beaucoup de grâce en arabesque penchée sur son dos.

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Ballet impérial. Héloïse Bourdon et Audric Bezard

Le 2 mars, c’est d’ailleurs la damoiselle Scudamore qui endosse le rôle de la deuxième soliste. Elle le fait avec la légèreté et la facilité qui lui sont coutumières. Sa série de pirouettes sur pointe à droite et à gauche, reflétée par le reste du corps de ballet féminin est exemplaire. Hannah O’Neill, sans effacer chez moi le souvenir de Bourdon, sait se montrer déliée et musicale. C’est d’ailleurs elle qui maîtrise le mieux les redoutables tours sur quart de pointe. Nomination méritée donc. Marc Moreau, quant à lui, accomplit une représentation au parfait techniquement. Il est sans doute un peu petit pour sa partenaire mais gère plutôt bien cette difficulté notamment dans le passage aux reculés sur pointe. S’il a abandonné les gestes saccadés et coups de menton soviétiques qui nous ont tant agacé dans Études, il respire encore un peu trop la concentration pour emporter totalement mon adhésion. Avait-il eu vent d’une potentielle nomination ? En tous cas, c’est dans Who Cares ?, juste après avoir été nommé, qu’il a surtout montré son potentiel d’étoile de l’Opéra.

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Bianca Scudamore, Thomas Docquir et Florent Melac. La deuxième soliste et ses cavaliers

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Who Cares ?, justement. La deuxième entrée au répertoire de ce programme et sans doute la plus déplacée… George Balanchine était un homme malin. Arrivé dans un pays quasiment vierge en termes de ballet classique (même Michel Fokine s’y est cassé les dents quand il y a tenté sa chance), il savait à l’occasion caresser le public américain dans le sens du poil pour obtenir son soutien. Dans Square Dance, il présentait des danseurs sur des musiques de Corelli et Vivaldi dans des formations qui auraient pu être celles d’une danse de cour mais en les accompagnant des commentaires scandés d’un « square dance caller », il resituait tout le ballet sous une grange du midwest un soir de moisson. Dans Casse-Noisette, il faisait référence  à la danse arabe, dansée par une soliste féminine en tenue très légère, comme le passage « for the daddies » : il présentait aux maris et pères de familles accompagnateurs, morts d’ennui, l’évocation presque sans détour d’un spectacle de « burlesque » (un numéro d’effeuillage). Stars & Stripes, « le petit régiment » est un autre de ces ballets « américains » où la vulgarité assumée des costumes et de la musique suscite un enthousiasme facile. Who Cares ?, créé en 1970, est de cette veine. La musique de George Gershwin, avec qui Balanchine a travaillé brièvement à Broadway, est d’ailleurs augmentée et alourdie par l’orchestration sucrée d’Hershy Kay comme la musique de Souza pour Stars & Stripes. À la création, une critique toute à la dévotion du dieu vivant qu’était Balanchine (notamment Arlene Croce), a voulu y voir un chef-d’œuvre qui citait non seulement Raymonda (4 garçons en ligne font des doubles tours en l’air. Soit…), Apollon (car l’unique soliste masculin danserait avec trois danseuses solistes. Mais contrairement à Apollon, il n’en choisit aucune et elles ne dansent pas vraiment de concert) et Fred Astaire… Arlene Croce refusait cependant d’y voir un exercice de nostalgie du « Good Old Broadway » mais bien un ballet classique contemporain.

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« Who Cares? ». Saluts le 10 février.

C’est pourtant bien ce qu’est devenu Who Cares ?, un des numéros quasi-obligatoires de toute tournée d’une compagnie américaine à l’étranger. Dansé par le San Francisco Ballet, le Miami ou bien sûr le New York City Ballet, la pièce a un petit côté bonbon acidulé qui montre l’énergie et l’enthousiasme des danseurs américains ; leur « joie de danser » diront certains. Mais ces danseurs états-uniens, quoiqu’à un moindre degré aujourd’hui, sont baignés depuis l’enfance dans ce répertoire, qu’ils ont forcément rencontré à l’occasion d’un high school musical. Ils peuvent sans doute fredonner les paroles (lyrics) des chansons comme des Français le feraient pour La vie en rose de Piaf. Lorsqu’ils dansent, il y a un sous-texte. Le soir de ma première, dans le grand escalier à la fin du spectacle, une jeune femme disait à son amie : « je suis sûre d’avoir reconnu la musique de West Side Story ».

Les danseurs de l’Opéra pouvaient-il apporter autre chose que du mimétisme à Who Cares ? Non. Ils font de leur mieux mais soit cela tombe à plat (le 10 février) soit cela parait plaisant mais globalement insipide (le 2 mars). Comme pour Ballet Imperial, le Who Cares ? lasse par sa succession de tableaux à n’en plus finir. Il se termine néanmoins par une danse d’ensemble digne d’un final sur I Got Rythm.

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Entre deux moments de flottement, on peut trouver quelques éléments de satisfaction. Léonore Baulac (le 11 et le 15 février), dont c’est la rentrée cette saison, est fine, enjouée et déliée en soliste rose. Elle manque un peu de capiteux dans The man I love mais parvient à évoquer (le 15) une jeune Ginger Rogers aux côtés d’un Germain Louvet qui danse avec précision et légèreté mais ne varie pas d’un iota sa posture, quelle que soit sa partenaire. Les deux premiers soirs par exemple, il danse avec Valentine Colasante en soliste en parme pourtant aux antipodes de Baulac. Statuesque, sûre d’elle, femme puissante, elle se laisse voler un baiser avec délectation (Embraceable You). La soliste en rouge est tour à tour interprétée par Hannah O’Neill, un peu lourde le 10 et par Célia Drouy le 16 qui insuffle à son Stairway to Paradise une vibration jubilatoire communicative. Ceci n’empêche pas damoiseau Louvet de servir exactement la même – délectable – soupe à ces deux incarnations contrastées du même rôle.

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C’est sans doute le 2 mars que Who Cares ? a été au plus près de nous satisfaire. La salle et la scène étaient, dès le départ, comme électrisées par la nomination des deux danseurs étoiles. Le tableau des filles en violet dégageait une tension nerveuse assez roborative et le passage des petits duos des demi-solistes (filles en rose et garçons en violet) était sans doute le plus homogène des mes trois soirées. Jusque-là, on avait surtout remarqué Roxane Stojanov, la seule à avoir la dégaine requise, notamment pour son duo « Tu m’aimes, je te fuis. Tu pars, je t’aguiche » avec Gregory Dominiak. Le 2 mars, Camille de Bellefon et Chun-Wing Lam ont du feu sous les pieds dans S’Wonderful, Ambre Chiarcosso et Antonio Conforti sont adorables dans That Certain Feeling de même que Pauline Verdusen et Manuel Garrido.

Surtout, Marine Ganio est une superbe soliste rose. Son plié relâché est souverain et sensuel. Elle donne l’occasion à la nouvelle étoile Marc Moreau de montrer toutes ses qualités de leading man, sa réactivité à ses partenaires. Leur The Man I Love diffuse un sentiment d’intimité palpable même aux rangs reculés de l’amphithéâtre. Silvia Saint-Martin n’est peut-être pas aussi captivante dans Embraceable You que ne l’était Colasante, mais Moreau parvient à faire du baiser final un moment de complicité avec la salle. Héloïse Bourdon, le sourire accroché au visage comme un héros de guerre arbore sa médaille (on a encore étoilé une autre avant elle), est une danseuse rouge à la fois capiteuse et lointaine. Marc Moreau, le soliste au cœur d’artichaut, semble tournoyer autour d’elle comme une phalène attirée par un lampion. Il se dégage de leurs interactions un authentique charme un tantinet décalé…

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Mais une soirée réussie suffit-elle à justifier un tel programme ? L’Opéra annonce fièrement sur ses différentes pages qu’avec Imperial et Who Cares?, elle possède désormais 36 ballets de Balanchine. Mais que fait-elle de ce répertoire ? Depuis la brève direction Millepied, les Balanchine importés sont tous des œuvres secondaires du chorégraphe : Brahms Schoenberg Quartet, Mozartiana ou Le Songe d’une nuit d’été sont tous des ballets mineurs dans la production du maître, dépourvus de tension ou mal bigornés. Toute une jeune génération de balletomanes à l’Opéra n’aura connu de Balanchine que des œuvres mi-cuites. Pour eux, c’est une vieille perruque… Apollon musagète, Sérénade et Les Quatre tempéraments auraient dû être présentés en octobre 2020 mais 10 des 11 représentations ont été annulées en raison de la crise sanitaire. Or cela faisait déjà à l’époque une dizaine d’années que ces ballets n’avaient pas été dansés sur la scène de l’Opéra.
Un des – nombreux – chantiers de la direction Martinez sera de présenter à nouveau des œuvres dignes de l’authentique génie qu’était Balanchine ; des œuvres capables de porter les étoiles, actuelles, nouvelles et à venir vers de nouveaux cieux artistiques.

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Roxane Stojanov. Who Cares?. Saluts le 15 février.

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A l’Opéra : Croisée des Songes

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Fenella a déjà fait part de ses impressions sur la reprise de A Midsummer Night’s Dream. C’est au tour de Cléopold et de James de vous faire part de leur ressenti. Alors, ont-ils fait de beaux songes?

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cléopold2Cléopold : expériences inversées.

On aurait aimé avoir une révélation lors de cette revoyure du Midsummer Night’s Dream de Balanchine, une addition au répertoire de l’époque Millepied qui nous avait paru dispensable en 2017. Mais le ballet ne s’est pas bonifié avec le temps. Et pourquoi l’aurait-il fait ? Depuis sa création à New York en 1962, cela aurait eu amplement le temps d’avoir lieu. Reste que cet opus, pour manqué qu’il soit, avec ses failles narratives et ses redites chorégraphiques, reste du Balanchine ; et l’œuvre d’un génie, garde sa patte et son style. Dans le film de 1968, une distribution cinq étoiles rend même le brouet plutôt appétissant. Tout repose donc sur la cohérence de la distribution.

Or, au soir du 30 juin, le compte n’y est pas. C’est ainsi que dès le prologue, on se sent agacé par les conventions un peu ridicules que, sous prétexte qu’il évoquait un ballet de la fin de l’ère Petipa, Balanchine s’est permis de réitérer : la pantomime d’Obéron, le roi des elfes réclamant à Titania son petit page enturbanné, est en effet répétée deux fois à l’identique sur le reprise musicale de la célèbre ouverture de Mendelssohn. On a vu Balanchine plus inspiré…

Faut-il incriminer les danseurs ? Pas nécessairement. Titania-Pagliero incarne une reine des fées très fluide et féminine (notamment dans l’adage avec le « cavalier », Florent Magnenet, qui termine sa carrière dans ce rôle mineur) et Obéron-Quer, qui n’a pourtant pas le petit gabarit du créateur du rôle (Edward Villella), assure sa variation ultra-rapide de la scène 3 avec de jolis sauts et une batterie très claire. À peine peut-on chipoter sur le fini des pirouettes parfois négociées avec un haut du corps trop placé en arrière. Mais ce non-couple (ils n’ont jamais de pas de deux en commun) évolue du début à la fin dans des sphères séparées. L’histoire, déjà très paresseusement dessinée par Balanchine, ne prend pas. Du coup, Aurélien Gay ne convainc pas ce soir-là dans Puck. Il nous semble n’avoir aucun sex-appeal quand le créateur, Arthur Mitchell était vraiment savoureux. Et puis les Parisiens de l’entrée au répertoire (Emmanuel Thibault, Alessio Carbone ou encore Hugo Vigliotti) avaient plus de métier.

Le quatuor d’amoureux empêchés met lui aussi du temps à convaincre dans son timing comique. Les garçons sont plus à leur avantage que les filles, hélas assez insipides (le désespoir d’Hermia est ainsi un long moment d’ennui). En Lysandre, Pablo Legasa est délicieusement cucul lorsqu’il fait la cueillette des fleurs des bois tandis que son rival [le Demetrius d’Audric Bezard qui, avec son impossible perruque longue, sait être drôle en amoureux ensorcelé] lutine sa fiancée. Les deux compères savent ferrailler en mode ridicule lors de la scène de chasse. Il faut dire que ce passage, est l’un de ceux, avec la variation d’Obéron, qui a le plus de nerf. Et qu’Héloïse Bourdon la rythme de ses grand-jetés autoritaires d’Amazone ne gâche rien.

Dans le rôle croupion de Bottom (Balanchine garde l’épisode de l’âne mais élude la tordante pièce de théâtre dans le théâtre voulue par Shakespeare ; celle-là même que John Neumeier avait embrassée avec tant de panache dans sa propre version), Cyril Chokroun se montre très à l’aise et parvient à donner en âne l’impression qu’il est plus amoureux du foin que de Titania lorsqu’elle se jette dans ses bras.

Mais, ne le cachons pas, en ce soir du 30 juin, on était venu pour l’acte 2. Non pas qu’il soit meilleur que le précédent, bien au contraire : le passage sur la fameuse marche nuptiale avec tutu et strass est par exemple affreusement empesé. Mais cet acte recèle un véritable petit bijou. Le chorégraphe a calé un ballet de Balanchine (entendez détaché de tout contexte) dans un ballet de Balanchine. Les ensembles y sont « de bonne facture » sans être éblouissants. Mais en son centre, il y a le fameux pas de deux créé par Violette Verdy et filmé avec Allegra Kent, un des plus beaux adages que Balanchine ait jamais composé. Or, c’est Myriam Ould-Braham qui le danse, avec sa sérénité, sa perfection de lignes et cette façon si particulière de jouer avec les tempi de la musique, créant, avec l’aide d’un Germain Louvet inspiré, une impression de perpetuum mobile... Tout est dans le suspendu, l’immatériel. Une allégorie de l’amour (Hébée aux bras de Cupidon) a été convoquée aux noces terre à terre de Thésée. Mais dieu qu’il faut prendre son mal en patience pour avoir droit à ce moment de grâce !

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Le Songe d’une nuit d’été. Aurélien Gay (Puck), Ludmila Pagliero (Titania), Jeremy-Loup Quer (Obéron), Myriam Ould Braham et Germain Louvet (Divertissement), Héloïse Bourdon (Hippolythe).

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Au soir du 2 juillet, l’expérience est parfaitement inverse. Ce même pas de deux est littéralement transformé en exercice de classe par Laura Hecquet. Tout n’est que concentration ; tout paraît tenu et segmenté. En cavalier, Thomas Docquir a de la prestance et sa technique est bonne dans le presto.

C’est donc l’acte 1 qu’on retiendra. Marc Moreau (Obéron) maîtrise très bien sa partition et il a surtout un gabarit plus proche d’un Villella. Lui aussi a une batterie énergique mais ses pirouettes ne sont pas décentrées comme celles de son prédécesseur dans le rôle. Il développe également un très beau parcours. Surtout, il joue sans discontinuer. On le voit commander aux petits elfes de l’école de danse et donner des ordres impérieux. Il botte le derrière de Puck avec gusto. Et Justement, dans Puck, Aurélien Gay semble avoir mûri son interprétation. Il est facétieux et drôle. Sa pantomime (notamment lorsqu’il réalise ses erreurs de pairage amoureux) fait mouche.

Le quatuor de tendrons est beaucoup mieux calé. Eve Grinsztajn et Sylvia Saint Martin projettent davantage en Héléna et Hermia et leurs soupirants ne sont pas mal non plus. Florimond Lorieux est charmant en Lysandre et Arthus Raveau est presque plus pertinent que Bezard dans ses démêlées avec son amante indésirée.

Hannah O’Neill, quant à elle, est à sa place en Titania. On admire ses jolies lignes, ses sauts « naïade » et son plié même si, sur la longueur, son personnage ne s’affirme pas assez. Jean-Baptiste Chavignier fait de l’épisode de l’âne un grand moment : il a vraiment l’air de manger du foin.

Mais c’est Célia Drouy qui aura été la révélation de la soirée. En Hippolyte, elle mêle autorité et charme dans le passage pyrotechnique de la chasse. Ses grands jetés, ses pirouettes et autres fouettés soulèvent à raison l’enthousiasme de la salle.

Mais ces courts moments de bonheur, glanés au détour de deux soirées, ne suffisent pas à faire oublier le Songe de Neumeier. Espérons qu’une direction plus inspirée saura au moins, à défaut d’abandonner le ballet mi- cuit de Balanchine dont la production a certainement coûté une fortune, organiser une alternance entre les deux versions chorégraphiques du chef-d’œuvre de Shakespeare…

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JamesÀ la relecture de ce que j’avais écrit en 2017 sur Le Songe de Balanchine, il me revient que je m’étais promis de ne jamais revoir cette pièce. Et pourtant, cinq ans après, j’y suis retourné pour deux soirées! Faut-il accuser ma mémoire de poisson rouge, ou saluer la solidarité financière dont j’ai fait preuve à l’égard de l’Opéra de Paris (dont le taux de remplissage sur cette série a été un peu pitoyable) ? En tout cas, le temps a fait son œuvre : le caractère inutilement étiré de la pièce frappe moins, car le souvenir de la version Ashton, à la délicieuse économie narrative, s’estompe. Et puis, quand les interprètes sont un Paul Marque-Obéron à la petite batterie souveraine et une Ludmila Pagliero-Titania tout en scintillance de style, la mayonnaise passe mieux. Même la raide Laura Hecquet semble adéquate dans le rôle de celle que personne n’aime. Puis, dans le pas de deux du divertissement, Myriam Ould-Braham étire si infiniment ses lignes qu’on a envie que jamais cette pourtant interminable quenouille n’arrête de se dévider. Enfin, il y a matière à philosopher : il suffit d’une perruque ridicule à Audric Bezard pour perdre tout son sex-appeal. J’en conclus qu’on est bien peu de chose…  (soirée du 21 juin).

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Paul Marque (Obéron) et Ludmila Pagliero (Titania).

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Lors de la deuxième soirée, choisie pour voir Pablo Legasa, les longueurs balanchiniennes sautent davantage aux yeux, d’autant qu’Eve Grinsztajn, un peu prudente dans les constants changements de direction de Titania, n’est guère aidée, lors de son premier pas de deux, par le partenariat pataud d’Arthus Raveau. Legasa marque le rôle d’Obéron par son autorité et la superbe éloquence de ses mains. Si l’on faisait du chipot – comme disent les Belges – on remarquerait que le pied gauche est un poil moins tendu que le droit dans les sissonnes; mais la petite batterie est emmenée avec art. En Hippolyte, Silvia Saint-Martin fait d’ébouriffants fouettés. Dans le divertissement du second acte, on retrouve Ludmila Pagliero en partenariat avec Marc Moreau, qui racontent une histoire tout autre que celle que proposait le duo Ould-Braham/Louvet. Ces derniers étaient un peu irréels et éthérés, comme une apparition venue d’ailleurs. Pagliero/Moreau, en revanche, sont clairement des danseurs payés par le Duc pour régaler les invités de la triple noce : ils sont champêtres et sensuels, et les regards de Marc Moreau le peignent autant diablement séduit que séducteur. (soirée du 3 juillet)

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Eve Grinsztajn (Titania), Arthus Raveau (Cavalier) et Pablo Legasa (Obéron)

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Les Saisons de l’Opéra : Quel chorégraphe êtes-vous ?

Réception d’un Grand-Duc. P.E Mesplès

Après le classement des œuvres en fonction de leur fréquence et de leur état de conservation, passons à celui des chorégraphes. Si l’on additionne toutes « nos » 49 saisons (celles répertoriées par Memopera.fr depuis 1972, et jusqu’à la prochaine (dans sa configuration initiale), ils sont un peu moins de deux cents.

Pourquoi cette imprécision ? Parce qu’il y a des êtres hybrides. Par exemple, Jean Guizerix et Wilfride Piollet ont souvent créé ensemble, et parfois séparément. Cela fait, dans notre liste, trois entités créatrices, dont une siamoise. À l’inverse, le quintette formé par Anne Koren, Mathilde Monnier, Josef Nadj, Alain Rigout et François Verret forme un seul être collectif (crédité d’une pièce nommée LA, créée en janvier 1986 à la Salle Favart). François Verret, qui avait monté In illo tempore en 1981 (toujours dans le cadre des soirées du groupe de recherches chorégraphiques de l’Opéra) est compté en plus, mais pas les quatre autres.

Bref, il y a précisément 183 chorégraphes (individuels ou collectifs) dans notre liste, mais si l’on tient compte à la fois des noms qui sont comptés plusieurs fois et de ceux qui sont amalgamés dans un groupe, cela fait environ 200 personnes.

Comment les comparer ? Parbleu, grâce à des indices intelligemment construits ! Imaginez que vous êtes chorégraphe. Pour comparer votre réussite à l’Opéra de Paris avec celle de vos collègues, plusieurs possibilités s’offrent à vous :

  • Compter le nombre de fois où on vous a invité à saluer sur scène à l’occasion d’une création, d’une entrée au répertoire ou d’une reprise (généralement, ça n’arrive qu’une fois par série, au soir de la première, mais si vous êtes du genre Narcisse, ça peut être tous les soirs de représentation);
  • Recenser le nombre de vos œuvres au répertoire de la compagnie (car ce qui compte pour vous, ce n’est pas votre nom en haut de l’affiche, c’est votre postérité, et elle est mieux garantie si on présente un large éventail de votre talent plutôt qu’une parcelle) ;
  • Calculer quelle part de la recette du Ballet de l’Opéra vous revient en royalties (car enfin, vous ne vivez ni des fleurs qu’on vous jette, ni de l’admiration qu’on vous portera une fois dans la tombe).

Ces trois critères  –  vanité, reconnaissance et pépettes – sont bien sûr étroitement corrélés. Le premier est plus égalitaire que les deux autres (qu’importe que votre création ait été présentée trois fois au Studio Bastille, dans la brochure de la saison, que vous laissez négligemment traîner sur la table du salon, votre nom est à côté de celui de Balanchine).

Mais il y a un autre test, plus immédiat, plus sûr, et parfois plus cruel, par lequel évaluer votre statut de chorégraphe-au-répertoire-de-l’Opéra-de-Paris. C’est le passage devant le portier de l’entrée des artistes. Cette épreuve de vérité ne pouvant être franchie que par des personnes ayant vécu au XXe siècle, les créateurs de la période romantique et classique en sont exclus (exit Petipa, Ivanov, Bournonville, Coralli et Perrot, Saint-Léon, tous Immortels hors catégorie).

« Loups blancs » : Foyer de la Danse de l’Opéra de la rue Lepeletier. Gravure anonyme. XIXe siècle.

Le Loup blanc : on vous laisse passer dans vous demander votre badge, on vous salue par votre nom sans jamais l’écorcher. Tout le monde vous connaît, et c’est normal, vous êtes là tout le temps : on vous a programmé sans discontinuer sur l’ensemble de la période, pour un nombre appréciable d’œuvres, et une part à la fois stable et élevée de l’offre des saisons vous est réservée (figure 20). Vous êtes incontournable, et vous pouvez amener à Garnier votre caniche, même s’il fait ses besoins partout. Vous êtes, vous êtes (roulement de tambour) … Pierre Lacotte (dans cette catégorie, les quatre autres sont morts).

« Amis de la maison » : Gravure extraite des « Petits mystères de l’Opéra » de Nestor Roqueplan

Les Amis de la Maison : un cran en dessous pas besoin de montrer patte blanche, mais n’essayez pas de passer le guichet avec votre animal de compagnie – les huit chorégraphes programmés au moins durant six septennats sur sept peuvent aisément se considérer comme des Amis de la Maison, ou des Intermittents de luxe : leur présence est un peu moins régulière,  et leur part dans l’offre beaucoup plus en dents de scie (pour le mettre en évidence, la figure 21 donne les pourcents par chorégraphe et non par période). On vous programme en moyenne une année sur trois, vous avez une dizaine d’œuvres au répertoire, vous êtes… John Neumeier, William Forsythe ou Carolyn Carlson.

Dans cette catégorie, l’hétérogénéité est plus marquée. En moyenne, les Amis de la Maison sont programmés au moins une année sur trois, et ont une dizaine d’œuvres au répertoire (cf. la figure 22). Mais outre l’exception Lander (présent pour une seule œuvre), ils se différencient au niveau temporel : Forsythe et Neumeier n’étaient pas présents en première période, Robbins, Lander et Béjart ont connu une éclipse passagère en milieu de période, tandis que pour Lifar, Carlson et Fokine, elle se situe dans la période présente… et s’apparente du coup à un crépuscule…

« Gloire déchue ». Les Petits mystères de l’Opéra. Nestor Roqueplan.

Les Gloires déchues : ceci nous amène à notre catégorie suivante, qu’on pourrait aussi appeler les Étoiles mortes. Vous avez connu votre heure de gloire, puis une chute brutale de faveur. À l’entrée des artistes place Diaghilev (Bastille n’est pas de votre époque), les plus anciens cerbères vous reconnaissent encore, mais les jeunes vous apostrophent de manière humiliante. Pas de doute, vous êtes une femme et/ou vous appartenez à l’univers soviétique, vous êtes…. Alicia Alonso (dont les productions de Giselle et de la Belle tenaient le haut du pavé dans les années 1970), ou Rosella Hightower (dont on a dansé la production de La Belle au bois dormant à 120 reprises entre 1981 et 1983), ou Vladimir Bourmeister (dont la version du Lac, créée à Moscou en 1960, a été dansée 129 fois entre 1973 et 1992), ou bien encore Iouri Grigorovitch, dont Ivan le Terrible a fait les beaux jours de la saison 1976-1977 (plus de 50 représentations en l’espace de 9 mois…).

« Nouveaux Lions » : Les petits mystères de l’Opéra. Nestor Roqueplan.

Les Nouveaux Lions : vous n’étiez pas là en début de période, mais vous percez à présent, et votre ascension symbolise peut-être le renouveau dans l’esprit de la direction de la danse (et sans doute la décadence pour les plus conservateurs des abonnés). Pour les plus précoces, vous avez entamé votre ascension dans le répertoire au milieu des années 1980, et pour les plus avancés dans la carrière, cumulez à présent une dizaine de saisons, et au moins une demi-douzaine d’œuvres. Vous êtes, vous êtes…., par ordre décroissant de présence cumulée sur les 28 dernières années : Angelin Preljocaj (7 œuvres, 18 saisons), Patrice Bart (2 œuvres, 9 années, mais absent en dernière période, contrairement à tous les autres), Jiří Kylián (13 œuvres, 14 saisons), Mats Ek (6 pièces, 11 saisons), Pina Bausch (2 œuvres, 10 saisons) Wayne McGregor (4 œuvres, 8 saisons), Anne Teresa de Keersmaeker (5 pièces, 5 saisons), Benjamin Millepied (6 pièces, 7 saisons)… Si, sans être jeune, vous entrez dans la catégorie ascensionnelle, vous ne pouvez être que… Frederick Ashton ou John Cranko, dont les œuvres n’entrent durablement et en force au répertoire que durant la période Lefèvre.

« Les éphémères » : Un petit tour et puis s’en va. « Karikari », Ludovic Halévy, 1886.

Les Éphémères : vous avez brillé de quelques feux, mais renaîtrez-vous de vos cendres ? On vous a vu dans les parages à peu près pendant une décennie, le temps de vous identifier à moitié (votre passage à l’entrée des artistes est donc plus ou moins fluide, ça dépend du cerbère). Deux à cinq de vos œuvres ont été programmées entre 2 et 6 fois, mais la dynamique semble arrêtée. Vous êtes… Trisha Brown, Edouard Lock, Jean-Claude Gallotta, Nicolas Le Riche, Douglas Dunn, Glen Tetley, Dominique Bagouet, Maguy Marin, Alwin Nikolais, Karole Armitage, Nacho Duato, Odile Duboc, ou encore Ulysses Dove…

Les Inconnus : c’est un peu la honte, mais personne ne vous reconnaît à l’entrée. Vous avez beau avoir revêtu vos habits du dimanche, dans les coulisses, on ne sait pas non plus à coup sûr qui vous êtes. Votre création, c’est « trois petits tours et puis s’en va » (une œuvre, une saison, mais rien depuis). Il va falloir intriguer sérieusement ou brûler des cierges pour qu’on vous reprogramme. Il y en a plus de 80 comme vous, et vous êtes presque perdu dans la masse. Qu’on ne s’y trompe pas ! Il y a parmi vous des gens reconnus dans le vaste monde (Birgit Cullberg, Christopher Wheeldon, Alvin Ailey, Thierry Malandain, Abou Lagraa, José Montalvo, Lucinda Childs, Philippe Decouflé, Karine Saporta), mais pas dans le microcosme un peu spécial qu’est l’Opéra de Paris. Bien sûr, si vous faites partie de la compagnie, vous entrez comme dans un moulin, mais on vous identifie comme danseur et non comme chorégraphe. Vous vous appelez peut-être Manuel, Marie-Agnès ou Mallory. Et si vous êtes dans ce cas, les soirs de spleen, il ne vous reste qu’une seule et amère consolation : vous comparer avec le dernier de la liste (Jérémie Bélingard, 0,0302% de l’offre de la saison 2016-2017 pour Scary Beauty).

"Inconnus": "On ne passe pas!". Le passage noir de l'Opéra de la rue Lepelletier.

« Inconnus » : Le passage noir de l’Opéra de la rue Lepeletier, purgatoire des refoulés à la porte de la concierge.

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Les Saisons de l’Opéra : mémoires de loge, oubliettes de strapontin

Gustave Doré : le public des théâtres parisiens.

Faisons une pause dans notre exploration des saisons de l’Opéra de Paris depuis un demi-siècle. Partant d’un constat visible à l’œil nu (la chute de la part des œuvres classiques et néoclassiques, nette depuis le début du XXe siècle), nous avons scruté le sort fait aux vieilleries, dont une grande partie moisit dans l’oubli. À tort ou à raison ? Beaucoup de questions restent à trancher, mais c’est à présent l’été, et nous avons bien gagné le droit à un peu de légèreté.

Observons donc le temps qui passe à travers un petit bout de lorgnette. Aujourd’hui, on classera les œuvres non par leur âge ou leur style, mais par leur caractère récurrent. Quelles sont les pièces qu’on voit le plus souvent ? Sont-ce toujours les mêmes au fil du temps ? Suffit-il d’être dansé souvent pour échapper au péril des oubliettes ? (Bon d’accord, en termes de frivolité, c’est un peu décevant, mais recenser les œuvres en fonction de la couleur des costumes aurait pris trop de temps).

Piliers (Gustave Doré)

Les pièces présentées plus de 10 fois dans les 49 dernières années sont les piliers de la maison (Figure 16). Elles sont au nombre de 15. Au haut du palmarès, les apparemment indétrônables Lac des Cygnes et Giselle (programmés environ tous les 2 ans en moyenne), suivis des blockbusters attendus (Sylphide, Belle, DQ, Bayadère, etc.) mais aussi d’autres pièces à effectif plus réduit (Afternoon, Le Fils prodigue ou Agon), dont des séries sont programmées tous les 3 à 4 ans.

Ces piliers sont tous assez solides, à l’exception de Petrouchka, à la présence relativement plus fragile (l’œuvre n’a pas été dansée à Paris depuis plus de 10 ans, sa présence a connu deux éclipses de 8 et 12 années, et les dernières programmations sont plus espacées qu’auparavant).

« Loges » (Gustave Doré)

Un cran en dessous en termes de fréquence sur scène, on a décidé de nommer « Loges » les pièces qui ont été présentées sur la scène de Garnier ou de Bastille entre 6 et 9 fois lors des 49 dernières saisons. Viennent ensuite les « Chaises » (entre 3 et 5), les « Strapontins » (2 fois) et les « Places debout » (1 fois).

Tout le monde aura compris la métaphore : on est moins à son aise juché sur son strapontin qu’assis sur une chaise, et les titulaires des places debout sont les moins bien installés. Logiquement, le nombre d’œuvres dans chaque catégorie va croissant : en regard des 15 piliers-superstar, on compte 33 loges, 72 chaises, 86 strapontins et 222 places debout (pour éviter les aberrations historiques, la douzaine d’œuvres anciennes programmées une seule fois pendant la période 1972-2021, mais dont on sait qu’elles étaient souvent dansées auparavant, sont rangées non pas en « place debout », mais par approximation dans une catégorie supérieure).

Être une Loge est-il une garantie de pérennité ? Pas si sûr… Certaines œuvres de cette catégorie peuvent prétendre au rang de futurs piliers, par exemple Le Parc, En Sol, In the Night, déjà programmés à neuf reprises pour plus de 100 représentations depuis leur entrée au répertoire.

Mais de l’autre côté du spectre, il est prouvé qu’une loge peut tomber en ruine. Ainsi d’Istar (Lifar, 1941), pièce représentée une bonne centaine de fois à l’Opéra selon les comptages d’Ivor Guest, mais dont la dernière programmation en 1990 pourrait bien avoir été le chant du cygne. Plus près de nous, la Coppélia de Lacotte (1973), dont des séries ont été dansées sept fois en moins de 10 ans, a ensuite connu une éclipse de huit ans, avant une dernière programmation, en 1991, qui sera peut-être la dernière.

Hormis ces deux œuvres en péril d’oubliettes, on repère quelque fragilité – les teintures s’effilochent, la peinture s’écaille, les fauteuils se gondolent – dans le statut d’œuvres comme Tchaïkovski-pas de deux, Raymonda, Les Mirages, les Noces de Nijinska ou le Sacre du Printemps de Béjart. Un indice de décrépitude – plus ou moins flagrant selon les cas – réside dans l’écart soudain entre l’intervalle moyen de programmation et le temps écoulé entre les dernières séries. Quand une œuvre autrefois programmée souvent connaît soudain des éclipses plus ou moins longues, c’est que du point de vue de la direction, elle est plus du côté de la porte que de la promotion (Figure 17).

À ce compte, ce sont le Sacre de Béjart, les Noces et Les Mirages, qui semblent les plus fragiles : non seulement l’écart entre deux séries s’allonge significativement, mais en plus, la dernière date de programmation commence aussi à être éloignée dans le passé.

Dans une moindre mesure, ce phénomène touche le répertoire balanchinien (Tchaïkovski-pas de deux, et Sonatine) dont la fréquence s’amenuise au fil du temps, ainsi que Raymonda (dont la date de reprogrammation après le rendez-vous manqué de décembre 2019 sera sans doute décisive).

En dehors de ces huit cas (24% du total quand même…), la majorité des 33 œuvres-Loge semble solidement implantée dans le répertoire (on compte parmi elles Suite en blanc, Paquita, Le Sacre de Pina Bausch, Cendrillon, Manon, La Dame aux Camélias, The Concert, Joyaux…). Mais on ne peut s’empêcher de remarquer que cinq autres pièces de Balanchine – Serenade, Symphonie en ut, Les Quatre tempéraments, Violon concerto et Concerto Barocco – se font plus rares au fil du temps (le temps écoulé entre deux séries ayant tendance à s’allonger de moitié par rapport au passé, ce qui n’est peut-être pas sans effet sur le résultat sur scène…).

« Chaises » (Cham)

De manière plus synthétique, mais en utilisant les mêmes critères, l’analyse de l’état de conservation des Chaises, Strapontins et Place debout donne des résultats assez prévisibles. Ainsi, les Chaises (programmées entre 3 et 5 fois) se répartissent à part presque égales entre solidité, fragilité et décrépitude (Figure 18).

Parmi les Chaises en ruine ou en péril à l’Opéra de Paris, on repère – outre les œuvres de Skibine, Clustine, Lifar, Massine, Fokine… dont on a déjà évoqué la disparition lors de nos précédentes pérégrinations – le Pas de dieux de Gene Kelly (création en 1960, dernière représentation 1975), Adagietto d’Oscar Araïz (entrée au répertoire 1977, dernière apparition en 1990), mais aussi Density 21,5 (1973) et Slow, Heavy and Blue (1981) de Carolyn Carlson, Casanova (Preljocaj, 1998), Clavigo (Petit, 1999), et Wuthering Heights (Belarbi, 2002). Par ailleurs, certaines pièces entrées au répertoire au tournant des années 1980, comme le Jardin aux Lilas (Tudor), Auréole (Taylor), Divertimento n°15 (Balanchine) ou Sinfonietta (Kylian) ne semblent pas avoir fait souche, et en tout cas, s’éclipsent au cours des années 1990.

Les Chaises un peu bancales – renaissance pas impossible, mais présence en pointillé en dernière période –, incluent certaines entrées au répertoire de Neumeier (Sylvia, Vaslaw  et le Songe d’une nuit d’été), Tzigane (Balanchine), la Giselle de Mats Ek, Dark Elegies (Tudor), Le Chant de la Terre (MacMillan), The Vertiginous Thrill of Exactitude (Forsythe), et – parmi les créations Maison – Caligula (Le Riche), et La Petite danseuse de Degas (Patrice Bart).

« Strapontins » (Cham)

La situation est par nature plus précaire pour les Strapontins, et encore plus pour les Places debout. Et notre classement devient forcément sommaire, principalement corrélé à l’ancienneté de la dernière représentation : un Strapontin déplié une dernière fois il y a plus de 30 ans est tout rouillé, et une Place debout qui n’a pas bougé depuis 20 ans est ankylosée de partout. Les créations un peu plus récentes sont dites fragiles, faute de mieux, et on évite de se prononcer sur les dernières nées : l’avenir des Noces de Pontus Lidberg, par exemple, est imprévisible.

Bien sûr, les 222 Places debout, majoritaires en nombre, ne constituent pas la moitié des spectacles : présentées moins souvent, dans des jauges plus petites, ou occupant une partie de soirée, elles représentent une part minime de l’offre… sauf, et c’est troublant, dans la période récente.

Alors qu’entre 1972 et 2015, les œuvres programmées une seule fois composaient en moyenne 9% de l’offre (nous ne parlons plus ici de nombre d’œuvres, mais de leur part pondérée dans les saisons), lors du septennat en cours, cette part triple, pour atteindre 27%, signe d’une accélération de la tendance au renouvellement dans les saisons Millepied et Dupont (Figure 19).

Ce phénomène n’est pas seulement dû à l’absence de recul historique (les entrées au répertoire sont forcément Debout, avant éventuellement de monter en grade) : lors de la période précédente, seules deux pièces (Daphnis et Chloé de Millepied, et le Boléro de Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet), étaient des créations vouées à être reprises quelque temps après. Et elles ne représentent que 1,1% de l’offre 2008-2015 (autrement dit, le passage du temps ne change pas beaucoup la donne).

Au demeurant, la rupture est visible de l’autre côté du spectre : la part combinée des Piliers et des Loges s’estompe au fil du temps (de plus de 60% sur la période 1972-2001, à moins de 50% lors des 20 dernières années). Un signe que l’instabilité gagne du terrain ?

[A SUIVRE]

« Places debout » (Daumier)

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Les Saisons de l’Opéra : Raymond, qu’as-tu fait de ton stock ?

André Eglevsky, « Le Spectre de la Rose », par ALex Gard

Résumé des deux épisodes précédents: la part du classique dans les saisons de l’Opéra de Paris diminue sur longue période, celle des œuvres issues du XIXe siècle aussi (c’est logique). Mais quid des créations du premier tiers du XXe siècle?

Penchons-nous donc sur les créations post-1900, en gros à partir des Ballets russes. C’est là que les difficultés commencent, car d’une part les univers chorégraphiques se diffractent (troupe Diaghilev et ses démembrements, galaxie Vic-Wells, expérimentations expressionnistes, etc.), d’autre part leur présence dans les saisons de l’Opéra est à la fois inégale et instable.

Il est donc bien plus malaisé de repérer à la fois les œuvres qui s’imposent d’elles-mêmes par leur récurrence et leur prégnance dans l’imaginaire collectif, mais aussi de les classer a priori.

Prenons donc une autre méthode, et demandant pardon à votre délicatesse pour le vocabulaire employé. Notre période d’analyse démarrant en 1972, on appellera « Stock XXe » toutes les œuvres parmi lesquelles on peut « piocher » pour construire sa programmation (qu’elles aient déjà été dansées à Garnier, ou qu’on veuille les y présenter pour la première fois). Imaginez Raymond Franchetti, directeur de la danse de 1972 à 1977, et inventeur des saisons de ballet telles que nous les connaissons aujourd’hui, contempler chaque pièce du stock d’un œil interrogatif : « je la programme-t-y ou je la programme-t-y pas ? » (il est né à Aubervilliers, notre reconstitution lui prête un accent faubourien).

À l’époque, les vols transatlantiques existent, on passe par-dessus la Manche autant qu’on veut, le monde de la danse est dès longtemps international, et tout circule vite : fait partie du vivier tout ce qu’on a pu voir ou dont on a pu entendre parler à temps pour avoir envie de le programmer, donc toute œuvre créée en 1970 au plus tard (car en 1971, on finalise déjà le programme de l’année suivante : In the Night fait partie du stock, Les Variations Goldberg, non).

Collecter les ingrédients du « Franchetti éternel »

Le stock potentiel 1901-1970 est, bien sûr, un ensemble immense (certaines œuvres créées pendant la période n’ont jamais été dansées par le ballet de l’Opéra, elles ne sont pas « au répertoire » comme dit la régie de la danse). Par ailleurs, le stock constaté est une reconstitution après-coup (car certaines œuvres de la période n’ont fait leur « entrée au répertoire » que longtemps après leur création).

Enfin, le vrai stock d’œuvres créées sur notre planète s’enrichit chaque année (le stock Lefèvre, directrice de la danse 1995-2014, étant plus large que le stock Hightower, directrice de 1980 à 1983, etc.).

Mais à élargir sans cesse les marges, on arriverait à considérer que tout est stock, ce qui n’aurait pas de sens pour l’analyse. Effectivement, Aurélie Dupont peut faire son marché dans tout le XXe siècle, mais nous n’avons pas envie de nous mettre dans la tête d’Aurélie.

Nous préférons imaginer un Franchetti éternel qui aurait présidé à tous les choix de programmation patrimoniale jusqu’à présent, et à qui on pourrait demander :  Raymond, qu’as-tu fait de ton stock ? (Les amoureux de la vraisemblance plaident pour une reformulation en : Raymond, qu’a-t-on fait de ton stock?, mais nous ne sommes pas de ce genre-là).

Si vous nous avez suivis jusqu’ici, vous savez que c’est le moment d’un petit graphique. La part des œuvres de la période considérée dans la totalité des saisons s’établit à un niveau assez stable, aux alentours de 18%. L’évolution sur longue période n’apparaît que si l’on décompose un peu.

Le stock Franchetti « mis en boîtes » à la hussarde.

Tâchons d’expliquer, à présent la figure n°6 ci-dessus. En fait, l’univers chorégraphique du stock Franchetti n’est pas aussi hétérogène qu’on pouvait le craindre. Mais comme nous aimons bien les graphiques à trois couleurs, nous l’avons encore simplifié. Ainsi, la catégorie Ballets russes inclut-elle, au-delà de Diaghilev, les démembrements de fin de parcours (Le Bal des cadets de David Lichine, période Colonel de Basil), ainsi que les créations des Ballets suédois (la recréation de Relâche de Jean Börlin, 1924, production de 1979).

On a aussi éhontément amalgamé en « Monde anglo-saxon » des chorégraphes aussi divers qu’Antony Tudor (Le Jardin aux Lilas, 1936), Agnes de Mille (Fall River Legend, 1948), José Limon (La Pavane du Maure, 1949), Paul Taylor (Auréole, 1962), John Cranko, Frederick Ashton, Jerome Robbins et George Balanchine dans sa période américaine (car ce dernier a été délicatement écartelé : les productions antérieures au Bourgeois gentilhomme sont comptées chez les Ballets russes).

Anthony Tudor par Alex Gard

Enfin, on a réuni en une autre grosse catégorie fourre-tout, « Chorégraphes Maison », toutes les œuvres dues aux chorégraphes liés, de près ou de loin, à l’Opéra de Paris. Cela inclut tous les anciens directeurs de la danse, dont les créations (pas forcément pour l’Opéra) étaient encore jouées à l’aube des années septante (pas forcément pour très longtemps) : Léo Staats (Soir de fête, 1925), Ivan Clustine (Suites de danses, 1913), Serge Lifar (de son Icare de 1935 aux Variations de 1953), George Skibine (Daphnis et Chloé, 1959), Michel Descombey (Symphonie concertante, 1962). On compte aussi dans le lot Victor Gsovsky (Grand pas classique, 1949), car il a été maître de ballet à Garnier (et puis l’œuvre, bien que créée au TCE, a été réglée sur Yvette Chauviré et Wladimir Skouratoff). Et l’on annexe aussi au contingent « Maison » les Études (1948) d’Harald Lander, car ce dernier a tout de même dirigé un temps l’école de danse de l’Opéra.

On l’aura compris, nous avons l’adoption facile. Mais aussi cavalier que cela paraisse, ceci n’est pas irraisonné: il est courant que chaque grande école de ballet ait son chorégraphe attitré (Bournonville à Copenhague, Ashton au Royal Ballet après 1945, puis MacMillan, Cranko à Stuttgart et, plus près de nous, Neumeier à Hambourg), dont les productions contribuent à forger l’identité stylistique du lieu. Que cette pratique courante soit contrecarrée, à Paris, par une relative instabilité directoriale n’enlève rien au fait qu’il est justifié et intéressant – ne serait-ce qu’à titre de comparaison avec les autres maisons – de pister le sort fait à la production endémique. Par ailleurs, comme l’a montré Cléopold pour Suites de danses, certaines pièces-maison ne visent-elles pas précisément à acclimater les tendances du jour au style propre à la compagnie, ou à en magnifier les possibilités ? Enfin, la plupart des œuvres comptées dans le contingent-maison ont été soit créées pour l’Opéra de Paris soit conçues et présentées dans son orbite proche.

C’est pourquoi Roland Petit et Maurice Béjart sont enrôlés sous la bannière-maison, en dépit de la brièveté de la relation institutionnelle du premier avec l’Opéra (quelques semaines virtuelles à la direction de la danse en 1970) et de son caractère tumultueux pour le second (avec de sérieuses bisbilles au cours du mandat Noureev). Tout cela pourrait être débattu, mais ce qui compte pour notre propos est que, aussi indépendante qu’ait été leur carrière, elle n’en a pas moins fait, et durablement, quelques allers-retours avec la Grande boutique (Notre-Dame de Paris et L’Oiseau de feu sont tous deux des créations ONP).

Un petit coup de lorgnon dans chacune des boîtes …

Ceci étant posé, nous ne sommes pas des brutes. La catégorisation à la hussarde a le mérite de la lisibilité, mais ensuite, rien n’interdit de zoomer, et de retrouver le sens des nuances.

Alexandra Danilova, « Gaité Parisienne », par Alex Gard

Pour les Ballets russes, le rideau tombe lentement mais sûrement (figure n°7). Le phénix renaîtra peut-être de ses cendres après l’éclipse totale du septennat actuel, mais de toute même, la variété des œuvres et des chorégraphes se réduit comme peau de chagrin : dans le palmarès des œuvres représentées, seuls surnagent encore L’Après-midi d’un faune (1912), Apollon Musagète (1928, mais c’est à présent la version 1979 qui est le plus souvent représentée, et on pourrait la compter ailleurs), le Tricorne (1919), le Fils prodigue (1929) et Petrouchka (1911). Nijinska, dont Les Noces (1923), entrées au répertoire en 1976, étaient présentées assez souvent, est à présent proche de l’oubli dans la maison (Le Train bleu et Les Biches, présentées au début des années 1990, n’ont pas fait souche).

Si l’on fait un rapide gros plan sur le monde anglo-saxon (on y reviendra), il est amusant de comparer les destins croisés de trois paires de chorégraphes qui à eux seuls, concentrent 95% du paquet (même quand on zoome, on aime créer des effets de flou). La figure n°8 contraste le sort de trois tandems rassemblés à la diable :

George Balanchine dans ses années Ballets Russes de Monte Carlo par Alex Gard

  • Les duettistes Tudor/Taylor n’ont pas grand-chose en partage (en tout cas, ni l’âge, ni le style), hormis un destin commun au regard des saisons parisiennes : une percée assez notable, mais peu durable. Qui se souvient qu’Auréole (1962) a été programmé à huit reprises entre 1974 et 1996 ? Et qu’au tournant des années 1990, l’Opéra avait rendu hommage à Antony Tudor (1908-1987) en présentant quatre fois, de manière rapprochée, aussi bien Le Jardin aux lilas (1936) que Dark Elegies (1937) ?
  • Par contraste, l’ascension dans les saisons des rejetons de la filière Vic-Wells-Royal Ballet, John Cranko (Onéguine, 1965), et Frederick Ashton (La Fille mal gardée, 1960), est plus récente, mais aussi plus forte, et probablement plus durable (la petite touche orangée durant la période 1979-1986 est due à un passage-éclair au répertoire du Roméo et Juliette de Cranko, 1962).
  • Rien de facétieux, enfin, dans le rapprochement entre les deux chorégraphes iconiques du NYCB, dont la présence dans les saisons est en pente ascendante.

Le sort des chorégraphes-maison « en conserve »

Last but not least, que met en évidence un petit gros plan sur la section « Maison » de notre stock Raymond ? Fidèles à notre manie des rapprochements hardis et des acronymes stupides, nous réunissons dans un seul paquet les hommes qui n’ont qu’une pièce au répertoire durant toute la période 1972-2021 (Lander=Études, Clustine=Suites de Danse, Staats=Soir de fête, Descombey=Symphonie concertante, etc.) ainsi que Georges Skibine (qui en a trois, mais elles disparaissent vite : Daphnis et Chloé, La Péri et Concerto). Cet être collectif sera nommé HSO&S (pour Hommes d’une Seule Œuvre & Skibine ; on lui donne, pour années de naissance et mort, la médiane des dates des huit personnes concernées). N’échappent à notre logique de groupement que Serge Lifar, Maurice Béjart et Roland Petit.

La figure n°9 parle d’elle-même : HSO&S ne survit que par la grâce d’Études. Sans l’annexion de Lander aux Chorégraphes-Maison, le stock endémique hors-Lifar (10 œuvres créées entre 1913 – Suites de danses – et 1969 – Ecce Homo de Lazzini) aurait disparu encore plus vite : hors Études (qui revient encore tous les dix ans : 1994, 2004, 2014), les seuls presque-survivants sont Soir de fête (dernier soir pour l’œuvre en 1997) et le Grand pas classique (dernière présentation en soirée régulière en mars 1982 ; les reprises par l’École, en 1987, et les 5 soirées de gala entre 1991 et 2020 ne valent pas résurrection).

L’intérêt programmatique pour Serge Lifar rebondit un peu dans les années qui suivent son décès (6 œuvres présentées, à un niveau qui reste très modeste dans l’offre globale), mais le phénomène s’apparente à un feu de paille (Figure n°10). Par la suite, le répertoire vivant se réduit progressivement (bientôt, ne restera-t-il que Suite en blanc ? ).Figure n°10

Quant aux œuvres de jeunesse de Béjart, elles se maintiennent correctement : des cinq pièces présentées entre 1972 et 1979 (période qu’on peut nommer « septennat Franchetti-Verdy »), toutes sont encore présentées lors des 21 dernières années (Le Sacre et L’Oiseau de feu, l’increvable Boléro, mais aussi Serait-ce la mort ? et Webern op. 5). Il reste que la part des œuvres du chorégraphe dans les saisons baisse nettement dans la période actuelle.

Pour l’heure, et pour finir, Roland Petit n’est pas non plus trop mal servi, avec le maintien sur le long terme de pièces dansées par le ballet de l’Opéra dès les années 1970 (Notre-Dame de Paris, Le Loup), et l’ajout au fil du temps d’œuvres des années 1940 (Carmen, le Rendez-vous, les Forains, Le Jeune homme et la mort).

Il n’y a guère que Formes (1967), pas de deux silencieux avec habillage sonore de Marius Constant, qui ait disparu de la scène. Cette incursion de Roland Petit dans l’expérimental a été dansée pour la dernière fois à Favart en 1978, avec en alternance, Wilfride Piollet et Jean Guizerix, ou Ghislaine Thesmar et Jean-Pierre Franchetti. Jean-Pierre ? Le fils de Raymond !

[À SUIVRE]

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À Stuttgart: Cranko, blanc de blancs

Konzert für Flöte und Harfe - courtesy of Stuttgarter Ballet

Konzert für Flöte und Harfe – courtesy of Stuttgarter Ballet

Le programme Shades of White (en anglais dans le texte) du ballet de Stuttgart débute par un ballet blanc à corps de ballet masculin, le Concerto pour flûte et harpe (1966) de Cranko. Lors du World Ballet Day, Tamas Detrich, qui dirige à présent la compagnie, expliquait, en faisant répéter l’adage, qu’obtenir l’unisson de la part des hommes était un défi dans les années 60, et le restait aujourd’hui. On s’attendait donc à une configuration plutôt classique : des morceaux de bravoure pour les deux couples solistes pendant que dix bonshommes feraient tapisserie au fond ou sur les côtés.

Mais Cranko s’est manifestement amusé à déjouer les attentes trop convenues. Lors du premier mouvement, les lignes du corps de ballet sont, assez souvent, rompues par une petite intervention en solo d’un des gars, comme inopinément jailli du décor. Et à l’inverse, on peut reconnaître, caché dans les ensembles, un soliste (Friedemann Vogel), qui alternera sans cesse entre singularité et unité.

Quand une des filles apparaît, on se dit qu’elle va concentrer l’action et aimanter le regard au centre. Fausse piste : non seulement elle n’établit pas de partenariat avec le type que la distribution lui assigne, préférant papillonner avec un ou plusieurs autres, mais en plus, un des « vrais » solistes masculins fait le malin de l’autre côté. Il faudrait loucher pour tout voir. Le premier mouvement, assez jubilatoire, donne l’impression d’une profusion – « c’est presque surpeuplé », relis-je sur mes notes griffonnées dans le noir – en réponse à l’invention mélodique mozartienne. Cranko a concocté pour ses danseurs une partition fluide, cumulant tricotage du bas de jambe, temps de saut souvent voyagés (la configuration spatiale est souvent complexe), et tours sur le contrôle.

Lors de la cadence – moment intime où flûte et harpe dialoguent de manière virtuose, en interpolant les thèmes de l’allegro – la ballerine entame un pas de deux avec un des membres du corps de ballet. On retrouvera cette configuration inattendue dans les deux mouvements suivants (on regrette d’ailleurs de n’être pas en mesure d’identifier formellement chacun des trois zigues).

L’andantino débute avec une impeccable arabesque penchée – clin d’œil à Giselle ? – de Friedemann Vogel, qui parle le Cranko 1e langue. Tout du long – il est présent les trois-quarts du temps – le danseur se montre délicieusement précis : on se souviendra longtemps de ses pirouettes au jarret finies en développé devant ou arabesque, comme de ses grands jetés sans élan. À l’image de la chorégraphie, Vogel sait être délicat sans mièvrerie, brillant sans ostentation. Également familière du style Cranko, sa partenaire Alicia Amatriain prolonge cette impression de facilité. Le deuxième couple – Ami Morita et David Moore – ne démérite pas, mais on aurait grand tort de ne parler que des rôles principaux. Au niveau du corps de ballet, de simples ports de bras, subtilement agencés, diffusent une atmosphère de sereine méditation. Chaque porté central du mouvement lent – la ballerine est hissée par quatre à cinq danseurs, tandis que les autres l’entourent en penché – est aussi délicat qu’une porcelaine.

Konzert für Flöte und Harfe - Courtesy of Stuttgarter Ballet

Konzert für Flöte und Harfe – Courtesy of Stuttgarter Ballet

En deuxième partie de soirée, l’acte des Ombres de la Bayadère est présenté dans la version Makarova, qui fait pour l’occasion son entrée au répertoire de Stuttgart. La toile de fond montagneuse évoque un sommet himalayen éclairé de lumière bleutée. Durant leur descente, les vingt-quatre ombres ont un plié très retenu, ni moelleux ni vaporeux, mais la magie opère progressivement. Elisa Badenes compose une Nikiya lyrique, aux très jolis bras, quoiqu’un peu fébrile dans les tours planés. Adhonay Soares da Silva déploie la partie de Solor avec bravoure, avec un sourire et des bras un peu conventionnels (on en jugerait peut-être autrement sur une soirée entière).

La soirée s’achève avec le Symphony in C de Balanchine, où l’on apprécie le sens de l’attaque du corps de ballet féminin, et le peps’ de Miriam Kacerova. L’adage est pris par l’orchestre un poil trop vite pour que les danseurs – Elisa Badenes et Jason Reilly – puissent nous étourdir de langueur. L’ensemble est honorable, et – Bizet aidant – on ressent toujours le frisson du quatrième mouvement, quand progressivement tous les danseurs reviennent faire leur tour sur scène; mais on ne voit pas dans Balanchine et chez tous les solistes actuels de Stuttgart l’aisance naturelle qui fait tellement merveille dans Cranko.

Sinfonie in C - Courtesy of Stuttgarter Ballet

Sinfonie in C – Courtesy of Stuttgarter Ballet

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