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Roméo et Juliette : jeux d’enfants

BastilleRoméo et Juliette, soirée de 13 avril 2016

Difficile d’imaginer une progression de couple plus différente que celle du couple Baulac-Heymann comparé à Ould Braham-Hoffalt. Elle est inverse. Lorsqu’ils se rencontrent leur premier pas de deux a de charmants petits « angles ». Ils mettent en scène deux cœurs qui sont attirés l’un par l’autre mais dont les corps se cherchent encore. Elle est une adolescente enjouée, un peu têtue (sa danse est précise sans tous les glacis que lui donnera un jour l’expérience) et lui un jeune homme charmeur (il a une incomparable façon d’attirer l’attention sur les gestes entreprenants de son personnage), direct (la célérité très impressionnante de ses pirouettes) et idéaliste (il les finit parfois avec des arabesques suspendues qui touchent le fond de l’âme du spectateur).

Leur rencontre se fait au milieu d’un groupe d’amis-ennemis aussi bien équilibré qu’il est individualisé. Revillion-Benvolio est un jeune rêveur qui s’affirme au cours du drame. Il est évident qu’à la fin c’est lui qui a battu le rappel des deux familles autour du tombeau de Juliette. Alu, un Mercutio plus « âgé » de quelques mois dans sa bande d’amis, émerveille par son sens du jeu pantomime qui se fond dans les chorégraphies les plus techniques. Il est au dessus de sa danse et peut donc se permettre quelques facéties supplémentaires alors même qu’il effectue les tricotages de jambes les plus torturés. Sa scène badine et vacharde aux dépends de la nourrice de Juliette, parfaitement épaulée par Révillion, est un chef d’œuvre de drôlerie. On est plus circonspect sur sa ligne, par trop courte et ramassée, mais on se laisse gagner par la richesse de son registre expressif. Sa scène de mort, en totale rupture de ton, est des plus saisissantes. Son meurtrier, Tybalt-Magnenet touche par sa juvénilité apparente. Les jeux de l’enfance ne sont pas loin. Ce qui frappe d’ailleurs, c’est la connexion qui semble exister entre les danseurs. On a le sentiment d’une forme d’intimité entre ces jeunes gens appartenant à des mondes antagonistes. Le temps n’est pas si loin où ils jouaient ensemble, avant que la gangrène des préjugés familiaux ne les contamine à leur tour. Il y a d’ailleurs une certaine forme de jeu dans le combat entre Tybalt et Roméo : en pleine rixe, Magnenet lance et rattrape sa dague comme un adolescent frimeur.

Par contraste, Pâris est étranger au groupe. Cet élégant jeune homme de famille fortunée ne sait pas exactement où il met ses pieds… qui font des merveilles. Pablo Legasa nous joue son petit air du « Et si c’était moi, Roméo » avec conviction et sérénité. Dans la sérénade à la mandoline, il nous gratifie d’une série de pirouettes attitudes en dehors achevées en arabesque suspendue, parfaites et immaculées. Le danseur fait mouche ; incontestablement.

Cet environnement de seconds rôles incarnés porte littéralement l’interprétation du couple principal. Léonore Baulac et Mathias Heymann ne partent pas du même point mais ils entrent en synergie dès la scène du balcon, même s’il y est encore beaucoup question de jeu. A l’acte 3, Juliette-Baulac reste une adolescente et Roméo-Heymann un jeune homme impulsif. Mais leur pas de deux de la chambre, par son lyrisme intime, montre que l’attirance s’est transmuée en accord charnel. Les deux grands enfants courent alors au bord du précipice puis s’y jettent sans plus réfléchir. Heymann vole plus qu’il ne court vers le lit mortel de Juliette et cette dernière se jette sur le couteau comme on embrasse l’être aimé.

Cette vision romantique en diable n’est peut-être pas celle qui se rapproche le plus de la conception de Rudolf Noureev mais elle vous emporte néanmoins par sa dynamique inflammable et haletante.

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Bayad’ère Millepied. Un temps du bilan

ElephantLes Balletonautes, qui avaient ouvert leur page en 2012 sur la dernière reprise de la Bayadère par une cohorte d’articles préparatoires, ont vu huit représentations de cette longue mouture 2015 et l’ensemble des sept couples principaux qui y étaient distribués. Un ballet revu par Rudolf Noureev étant toujours un observatoire privilégié pour entreprendre un petit bilan de santé de la compagnie… Lançons nous.

Apsaras, princesses et kshatriyas…

La série s’est assurément mieux déroulée que la dernière reprise ; à commencer par la distribution des couples solistes : en 2012, pauvrette pour commencer, elle avait été grevée par un festival de blessures en série. Rien de tout cela en 2015 malgré la disparition en cours de route de deux Solors.

P1110204Mais ce n’est pas pour autant que les deux premières distributions ont convaincu nos rédacteurs. James n’a pas été bouleversé par le couple Gilbert-Heymann (le 17/11) et a surtout trouvé que ce Solor ne convenait pas au gabarit de sa Gamzatti, Hannah O’Neill, elle même encore en phase de rodage technnique. Cléopold ne s’est pas montré plus séduit (le 24/11) par la paire Albisson-Hoffalt, chacun dansant dans sa sphère. Si Mademoiselle Albisson semblait s’être enfin acceptée en tutu, Josua Hoffalt continuait à montrer ses limites techniques dans l’acte 3. « Platel-iste » indécrottable, Cléo a eu de surcroit un peu de mal à appréhender l’exécution du grand pas par Valentine Colasante, néanmoins très fine actrice. Elle a gagné son suffrage plus tard dans la série.

P1110206James, ce snobinard impénitent n’a pu s’empêcher d’aller voir les distributions d’invités et … en est ressorti déçu. Le 5 décembre, Isaac Hernandez se montre bon partenaire mais sa technique « ne touche pas au superlatif ». Le 18, Kimin Kim atteint ce genre de sommet mais c’est au détriment de l’engagement émotionnel tandis que sa partenaire, Kristina Shapran, porte la jambe haut « comme c’est la mode » mais a la pointe un peu molle. La grande gagnante de ces soirées serait, selon James, Héloïse Bourdon, Nikiya le 5 et Gamzatti le 18. D’ici à penser que notre rédacteur est non seulement snob mais également nationaliste…

Entre temps, Fenella et Cléopold avaient vécu un moment en apesanteur. Le 14 décembre, Hugo Marchand, simple remplaçant sur la série, avait décidé d’allumer le feu sacré sur la scène de l’Opéra. Dorothée Gilbert était la grande bénéficiaire de ce cadeau des dieux. Le duo de tête était complété par une nouvelle venue dans le rôle de Gamzatti, Marion Barbeau, encore un peu verte mais pleine de promesses. Ils l’ont écrit en deux langues.

Le 28 décembre, Cléopold retrouvait Hugo Marchand, cette fois-ci aux côtés de Laura Hecquet, pour un plaisir plus esthétique qu’émotionnel. Ces deux danseurs auront un jour quelque chose à se dire, mais ce n’est pas pour tout de suite.

C’est le couple réunissant Myriam Ould-Braham et François Alu qui met enfin tout le monde d’accord. Pour les représentations des 26 et 30 décembre, chacun y va de sa métaphore lyrique pour caractériser cette Nikiya forte tête et ce Solor explosif qui forment un couple presque « dialectique ». Fenella regrette néanmoins que François Alu tire la couverture à lui dans le grand pas d’action aux côtés de la Gamzatti de Charline Giezendanner.

Corps de ballet : sous la colère des dieux…

P1110202Mais si les solistes ont pu réserver leur lot de satisfactions, qu’en est-il du corps de ballet ? La question doit évidemment être abordée puisque le directeur de la danse en a ouvertement parlé pendant le déroulement de cette longue série. On a été doublement surpris de voir l’entrée des ombres dans la ligne de mire, voire la ligne de tir ; d’une part parce que pour en avoir vu une certaine quantité ailleurs, on ne comprend pas en quoi elles ont démérité ; d’autre part, l’émetteur de ces critiques n’est autre que le directeur de la compagnie. Ces petites phrases ont abondamment circulé sur les réseaux sociaux après une série d’articles parus à l’occasion de la diffusion du documentaire « Relève » sur Canal+.

Dans Le Figaro (édition du 17/12/2015) : « Regardez à Bastille les Ombres de La Bayadère ! Vous les voyez, vous, les danseuses qui dessinent la rêverie de Solor dans les volutes de fumée de l’opium ? La transmission des chorégraphies classiques s’est faite de mano a mano depuis Noureev, mort il y a vingt-deux ans, et aujourd’hui il est urgent de se demander comment elles doivent être dansées ! Et d’interroger les maîtres qui savent encore tant qu’ils sont vivants. »

Dans Slate (23/12/2015) : « Les danseurs ont tellement été habitués à danser en ligne, à se faire engueuler, que ça devient du papier peint, il n’y a plus aucun plaisir. Un corps de ballet, s’il ne prend aucun plaisir, ça n’a aucune vie. Il faut changer ça. » […] « C’est quoi l’excellence de l’opéra exactement? Je ne suis pas encore satisfait de la façon dont ça danse en scène. L’excellence, j’attends de la voir pour de vrai. ». [L’Opéra] « C’est peut-être paradoxalement la meilleure troupe de danse contemporaine au monde aujourd’hui. On est une compagnie de danse classique, il faut que, le corps de ballet, ce soit pareil.»

Sorties du contexte de leur article respectif, ces petites phrases paraissent plus violentes qu’elles ne le sont en réalité. Benjamin Millepied dit aussi de très bonnes choses sur la compagnie qu’il dirige. Et puis à chaque changement de direction, les journalistes sont avides de faire « tomber la poussière des cintres de l’Opéra » (à cette occasion, nous aimerions juste rappeler à ces ignares que ça ne s’appelle pas de la poussière, c’est du vieil or et ça avait déjà cet aspect là en 1875). Mais il nous semble qu’en prenant à parti le corps de ballet en plein milieu d’une longue et difficile série de représentations (avec la fameuse arabesque sur plié répétée une quarantaine de fois sur la même jambe par les meneuses de la théorie d’apasaras), il commet une grosse indélicatesse qui n’est en aucun cas rattrapée par cette publication palinodique du 31 décembre sur sa page facebook officielle : « Congrats @balletoperaparis for an amazing run ». Celui qui se plaint des lourdeurs pachydermiques de l’archaïque maison ne devrait pas se servir de manière si cavalière de cette latitude que ce théâtre subventionné lui offre et que n’ont pas ses collègues des compagnies américaines, entités privées. Entendrait-on Peter Martins ou Kevin McKenzie dénigrer publiquement le travail de leur corps de ballet en plein milieu d’un « run » ? Non, leur seule latitude est celle de trouver des synonymes au mot « amazing ». Benjamin Millepied ne peut pas ignorer que l’état d’esprit d’un corps de ballet change quand les individus qui le composent ont l’espoir qu’ils seront distingués au bon moment par un œil averti. C’est le travail qu’il semble avoir initié avec certains et cela portera vite ses fruits s’il s’y tient.

Car, à vrai dire, le seul moment où le corps de ballet ne semblait pas à la hauteur des attentes, c’était dans la danse des perroquets. Les jeunes filles qui le dansaient étaient pourtant bien ensembles et très musicales. La raison ? Il ne faut pas aller chercher très loin. À la création, il y avait douze porteuses de volatiles en formation deux lignes qui s’entrecroisaient gracieusement. Pour cette reprise, elles étaient dix pour entrer et huit pour danser sur une seule ligne.

Programmer à Garnier « Le Sacre du Printemps » de Pina Bausch, une pièce très exclusive techniquement, en même temps que « La Bayadère » c’est priver ce ballet de 32 danseurs chevronnés. Mais ce n’est pas à Benji qu’on rappellera que l’Opéra est avant tout une compagnie classique…

P1110210Du coup, on était un peu à la peine du côté des rôles demi-solistes. Les Fakirs n’ont pas démérité mais seul Hugo Vigliotti s’est véritablement détaché, les idoles dorées non plus à une exception près (et James ne s’est toujours pas mis d’accord avec Cléopold à propos de celle de François Alu). Par contre, les quatre danseuses en vert qui accompagnent le grand pas d’action avec Gamzatti se montraient parfois inégales, surtout les soirs où Héloïse Bourdon (qui a interprété à peu près tous les rôles de solistes, de demi-solistes ainsi que les ombres) n’était pas parmi elles. James a enfin décrété que pas un soir il n’a été satisfait de l’ensemble du trio des ombres. Cléopold, pour sa part, n’a eu qu’un seul moment d’épiphanie avec celui qui réunissait Barbeau-Guérineau-…  et Bourdon (encore elle) le 24 novembre.

Une production à l’épreuve du temps sous les coups de l’air du temps…

La production, qui reste magique, a été amputée des petits négrillons qui accompagnaient l’idole dorée. Car c’est un fait entendu désormais : le ballet français est raciste. Il est pourtant curieux de s’attaquer à ce petit détail d’oripeaux qui, en soit, était un commentaire très second degré sur l’orientalisme du XIXe siècle au même titre que l’éléphant à roulettes de Solor (qui ne fait pas autant d’effet qu’à Garnier) ou le papier peint d’hôtel particulier cossu (un autre mot dorénavant honni) qui sert d’écrin à l’acte des ombres. On pouvait sourire, en effet, de voir des petits nubiens entourer une idole plus siamoise qu’indienne. La mécanique huilée de la chorégraphie faisait ressembler l’ensemble à une précieuse -et dérisoire- pendule posée sur un dessus de cheminée en marbre. En revanche, pour cette reprise, on avait la désagréable impression de voir des bambins portant des couches-culottes de la veille par dessus un maillot jaune pisseux. Ce politiquement correct à l’américaine rappelait plutôt fâcheusement la pudibonderie d’un pape qui avait imposé aux danseurs de ses états le port d’un maillot vert lorsqu’ils incarnaient des divinités de l’Olympe par trop dénudées. Était-ce pour compenser cette perte de couleur des enfants que les Fakirs étaient foncés au point de souiller comme jamais auparavant le sol du premier acte ? Chassez l’orientalisme et c’est la couleur locale, avec tout ce qu’elle comporte d’approximations et d’a priori défavorables sur les « races », qui s’en revient au galop.

Si l’on craint les a priori sur les cultures ou sur les sexes, autant éviter toute reprise des ballets du XIXe siècle…

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La Bayadère : Ould-Braham/Alu. Vues croisées

Nos trois Balletotos ont vu la distribution qui réunissait Myriam Ould-Braham et François Alu dans La Bayadère. Après un nécessaire temps de récupération émotionnelle, chacun vous fait part, à sa façon, de son ressenti.

After sighting Myriam Ould-Braham and François Alu in La Bayadère, the three Balletotos bustled off to their lairs so as to chew over the experience in peaceful silence. They have now emerged, their visions unspoiled.

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Style: "Dance_small"Fenella : « Celestial Bird »

Dec. 26, 2015, Opéra Bastille.

I inwardly cheered when François Alu’s determined Solor mimed impatiently to his messenger: “bring me my Ould-Braham!” Since the ballerina’s all too brief return this summer, he was not the only one who desired to be able to gaze upon this “gentle voice, [this] fair priestess » once again.

“One minute of heaven is worth them all”

If on December 14th Gilbert and Marchand inhabited this melodrama while enveloped in a kind of dream world of predestination, this night Myriam Ould-Braham and François Alu fought against their fates every step of the way. One couple embodied an elegy, the other an ode.

“Paradise itself were dim/And joyless, if not shared with him!”

From her first entrance, at one with the incisive keen of the flute, Ould-Braham’s Nikiya proved fierce and proud, definitely made of flesh and blood. The powerful way her deliciously long arms radiated out from deep in her spine and the way her body seemed to draw nourishment from the music made me think of a bird. But not a warbler or a wounded swan. No. A falcon. While you might manage to train one to land on your wrist after it has soared in the sky, don’t fool yourself into thinking that you have got it tamed: keep those weighty gloves on. I even felt sorry for the Grand Brahmin for once (a love-lorn Guillaume Charlot demonstrated on both nights that a high priest may be misbegotten without being evil). I also got why Yann Saiz’s grumpy Rajah quickly determined that the only way to stop the nonsense was to have the servants put this creature down.

“I never nurs’d a dear gazelle/To glad me with its soft black eye/But when it came to know me well/And love me it was sure to die.”

In a state of concentrated disbelief during the Wedding Scene, Ould-Braham had continued to aim her dance at Solor and Solor alone, convinced that she could still win him back. That is, until the perfectly timed second where she raised her eyes to discover Solor had actually turned away from her and towards Gamzatti. This Nikiya had never considered defeat, resignation, or renunciation as possible outcomes. In a way, she was right. Act III became all about how the former master now followed his avian other towards unknown skies. His arms and her wings sought to eliminate all that had ever once stood between them.

François Alu’s characterization – more hunter-warrior than prince – certainly gave this Nikiya reason to believe. From the nervous energy of his entrance, through the many ways he expressed his unequivocal reluctance to marry the other girl, down to his depiction of an inner torment that even opium couldn’t dull, his focus never wavered. Indeed, rarely has any Solor made such good use of his “time on the couch.” Even in semi-darkness, you could clearly follow the relentless train of his despairing thoughts.

“The heaven of each is but what each desires.”

As for Alu’s dance, I have one small quibble. He has long caught the eye as an airborne soloist with impressive beats and turns…but he needs to be reminded about when to tone it down. He must remember to remain true to every moment as dancer, actor, and partner. I was most distressed by the entrada with Gamzatti. Even if the libretto says you don’t want to marry the character, that is still no excuse for not being a gentleman. By insisting on using his natural full bounce, all that happened was that Alu made it look like one of them was really, really, off the music (not possible, by the way, given Fayçal Karoui‘s consistently gracious and graceful conducting). If Marchand and Barbeau’s body types didn’t match the other night, it seemed simply to indicate that the marriage was not made in heaven. Here, Solor landing way, way, after Gamzatti – and then arriving late to the next side-by-side jump – didn’t serve the text. It just seemed rude. Just listen to the music, as so vividly played by the Orchestre Colonne. Dude, Gamzatti’s big moment is not set to a fugue nor supposed to be an exercise in syncopation!

“This narrow isthmus ‘twixt two boundless seas,/The past, the future, – two eternities.”

Charline Giezendanner’s chic yet perceptive Gamzatti gave us a princess whose steely petulance proved a perfect match for this Nikiya’s unusual strength of will. Silky of movement, she is yet another exemplar of the Parisian style that doesn’t need to “sell it” and allows for nuances, such as that of the illusion of stillness, which fill out the interstices between impeccably rendered technical steps. If she had a bad bobble – that obsession of some “fans” — well, you know, shit happens sometimes. Back to her usual self, Giezendanner’s pure fouettés subsequently more than made up for the inopportune misbehavior of one tricksy ankle. With this dancer, mess-ups almost never happen. She’s been a lively and polished gem since even before she entered the company. Her graduation performance as Swanhilda certainly demonstrated that she was ready to let fly long ago.

Citations from Thomas Moore’s “Lalla Rookh” [1817] – a surprisingly fun read — and I cannot resist ending with the following lines from “”The Bird Let Loose” [1816].
“The bird, let loose in Eastern skies,/When hastening fondly home,/Ne’er stoops to earth her wing, nor flies/Where idle warblers roam;/But high she shoots through air and light,/Above all low delay,/Where nothing earthly bounds her flight,/Nor shadow dims her way.”

cléopold2Cléopold : « Avec les mains. »

Représentation du 26 décembre.

Il est des distributions où tout est dans les jambes. Ce sont celles qui attirent en général la grande faveur du public. Et puis, il en est qui vous parlent avec le haut du corps et vous élèvent avec lui. La distribution qui réunissait Myriam Ould-Braham et François Alu était de celles-là. On pourrait s’extasier, comme le reste de la salle, sur la fameuse technique saltatoire et giratoire du monsieur (qu’il parviendra un jour, on l’espère, à intégrer au reste de sa danse) ou sur les arabesques naturelles, suspendues jusqu’à l’abstraction de la demoiselle. Mais ce sont d’abord les mains qui attirent l’attention.

Dans sa variation d’entrée devant le temple, mademoiselle Ould-Braham met par exemple en lumière le monologue intérieur de son personnage. « Je cherchais un but » (port de bras vers le ciel et moulinets du poignet, tout en aspiration), « …et tu m’as été révélé » (face à la salle, les bras montent en couronne ouverte). « J’ai été consacrée à ton temple… » (dos au public les deux bras montant dans la position caractéristique avec coudes et poignets cassés) « … et je suis devenue ta danseuse » (début de la variation aux piqués attitude et pirouettes). Après cette profession de foi, en vient une autre ; celle à Solor.

François Alu a aussi la main expressive. Comme son personnage, elles sont fiévreuses et empressées. Elles palpent littéralement sa partenaire avec une ardeur dévorante. Nikiya-Myriam ose alors dans ces mains là des pirouettes attitudes avec décentrement des bras, du buste et de la tête qui expriment à merveille l’ivresse de la passion amoureuse. Après toutes ces années, c’est ce soir-là, avec ces deux là, que j’ai compris combien ce premier pas de deux était crucial pour la suite du ballet. S’il ne vous emporte pas, vous ne verrez au fond jamais Nikiya et Solor s’aimer comme des êtres de chair et l’acte 3 risque de vous apparaître comme un bel exercice de style.

Tout d’ailleurs pourrait être dit après cette première scène car l’analyse devient difficile quand on s’est laissé conquérir de la sorte. A l’acte 2, dans son éclatante robe orange, Myriam Ould Braham nous offre plutôt un monologue intérieur qu’une complainte mélodramatique. Elle a le buste suspendu et les bras comme écartelés, soit vers le ciel, soit dans la direction de son amant, fiancé à une autre, assis sur un tabouret, regardant obstinément ses genoux qu’il malaxe de ses mains nerveuses. Elle meurt dans une dernière aspiration vers le ciel, dans un cri muet qui perce le cœur à défaut du tympan.

A l’acte 3, au milieu de la paisible théorie des Bayadères, Ould-Braham est une nuée -la seule qui m’aura fait oublier le vilain piédestal délimité par du scotch de sécurité sur lequel les Nikiyas sont posées lors de leur première apparition, derrière la toile de scène. Là encore, le buste semble flotter au dessus de la corolle et faire oublier les jambes. Cette Nikiya est une ombre consolante et tutélaire. Car Solor-Alu n’est pas apaisé. Ses mains questionnent et interrogent lorsque sa partenaire s’éloigne de lui pour flotter doucement au dessus d’une série de piétinés. Patiente, l’ombre explique. Avec une lenteur cérémonieuse magnifiée par la direction d’orchestre de Faycal Karoui, le voile est présenté au public de telle manière que ce dernier ne puisse ignorer qu’il symbolise un lien spirituel qui enfin s’installe.

A la fin du ballet, dans le cercle onirique des trente deux ombres, Nikiya parvient in extremis à convertir son amant. Suspendant sa partenaire en attitude, Solor a encore le buste posé en arrière de ses jambes, comme s’il était surpris par la vision sublime que lui révèle Nikiya de son bras artistement ciselé.

James : « Toi Jane, Moi Tarzan. »

Représentation du 30 décembre.

Des derniers rangs du second balcon de Bastille, on perçoit bien, non seulement l’ampleur des traces de maquillage maculant dangereusement le sol au premier acte, mais aussi l’amplitude des interprètes. François Alu et Myriam Ould-Braham – cela se voit d’emblée, et sans jumelles – dansent et jouent grand. Au-delà de générosité dans le mouvement, il y a également une présence scénique très affirmée, impétueuse pour lui, impérieuse pour elle. Solor, guerrier au grand jeté triomphant, est manifestement habitué à être obéi ; Nikiya, altière gardienne du feu sacré, n’a besoin que de son regard pour faire reculer le grand brahmane. Comme lors de la précédente reprise en 2012, Mlle Ould-Braham est la seule danseuse à donner un tour solennel à son entrée (chaque série de trois pas se termine en demi-plié) ; sa première variation semble être une mystérieuse méditation dont nous n’avons pas les clefs.

Les deux interprètes principaux ont, pour autre point commun, une frappante similarité dans le sex-appeal : Mlle Ould-Braham est brindille mais pas filiforme, et tout le haut du corps respire la féminité épanouie ; M. Alu, dont le turban accentue les arêtes du visage, est un danseur qui a du poids. Son physique – qui le dessert dans Balanchine, par exemple – est idéal pour des rôles brillants mais pas tout uniment princiers (Colas dans La Fille, Djémil dans La Source), où l’éloquence importe plus que la prestance.

Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que le partenariat fasse mouche : le premier pas de deux – au cours duquel, le 30 décembre, la tunique du monsieur se dégrafa, laissant entrevoir un viril poitrail – eut un petit côté « moi Jane, toi Tarzan » assez émoustillant. Les deux personnages savent ce qu’ils sont, ce qu’ils veulent, et s’engagent sans hésiter : à quelques minutes de distance, on constate d’ailleurs la même absence de doute lors de la promesse de mariage de Solor à Nikiya et quand cette dernière reprend la même pantomime au cours de son affrontement avec Gamzatti.

Ould-Braham déploie avec ses mains des trésors d’expression ; Alu danse avec bravoure et panache, parfois trop. Cléopold et Fenella le disent mieux que moi, et je n’y insiste pas. Je retiens aussi que dans les vapeurs d’opium de l’acte des Ombres, une connexion hypnotique semble s’être installée : à deux reprises, Solor tend la main à sa bien-aimée fantôme sans la regarder, et celle-ci la saisit comme dans un songe. Ce sentiment d’irréalité fait tout le prix de ce couple de scène. Et puis, Alu a le mérite de donner du sens aux détails ; avant le manège des doubles assemblés, il fait des pas de liaison qui précèdent un moment de doute et de perte de repères du personnage.

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Bayadère : les voies du « N’y r’va pas »

BastilleLa Bayadère, Ballet de l’Opéra de Paris. Soirée du mardi 24 novembre 2015.

L’Acte 1 de la Bayadère est souvent un réservoir des possibles. Dans ce ballet à l’argument faiblard (les deux premiers actes ont été récemment classés dans la catégorie « nanard » par Sylvie Guillem), le personnage principal masculin a vite fait de devenir falot (car indécis) ou salaud (car parjure) ; et parfois les deux à la fois. Josua Hoffalt-Solor se présente avec trois très beaux grands jetés identiques. Il a toujours l’air du mâle assuré de plaire. Il n’a pas son pareil pour intimer des ordres au Fakir d’Antonin Monié [edit : Hugo Vigliotti. Un changement que l’Opéra a omis d’annoncer en début de représentation] (mais oublie de lui dire qu’il ne faut pas trop forcer sur le fond de teint afin de ne pas laisser des traces partout où il s’est traîné). Lorsqu’on lui présente Gamzatti, il a l’air boudeur d’un Achille prêt à se retirer sous sa tente. Il cille néanmoins avec art au lever du voile pour montrer son appréciation de la beauté de la princesse. Solor-Josua serait-il un prince changeant ?

On ne peut guère être que dans l’expectative. Nikiya-Albisson, un peu à l’économie au premier acte, reste un mystère. Ses poses manquent de relief dans la première variation du temple comme ses piqués de suspendu lors du passage à la cruche. Elle n’est pas aidée par son grand Brahmane qui tente de la bisouiller à la manière d’un acteur de boulevard (Chérie ! Ma femme est sortie).

Elle est en revanche beaucoup plus inspirée dans son adage à l’esclave (Florent Magnenet) . Elle y instaure une atmosphère réflexive et apaisée. Mais sa relation à Solor se résume à un accord des lignes qui, avec un peu d’imagination, devra tenir lieu de connexion des âmes.

P1100901La Gamzatti de Valentine Colasante est dans la veine des princesses altières et cruelles. Dans sa scène de confrontation, elle savoure chacune des humiliations infligées à sa rivale et triomphe lorsque la danseuse sacrée lâche au sol son poignard.

À l’acte deux, cette interprétation acquiert un vernis supplémentaire de cruauté. Gamzatti-Colasante reste impassible pendant tout le drame, y compris quand Nikiya, piquée par le serpent caché dans la corbeille l’accuse de l’attentat – il faut dire aussi que, pour cette reprise 2015, le bouquet prétendument offert par Solor à la bayadère est aux couleurs du tutu de la princesse. Jusqu’où une danseuse sacrée peut-elle être cruche ? Cette impassibilité glace le sang. Lorsque le rideau se baisse sur la fête des fiançailles, on a le sentiment qu’il n’y a aucun mariage de prévu à l’horizon. Le père et sa fille ont juste donné une cruelle leçon à Solor qui sera désormais confiné sur ses terres dans l’attente de subir tôt ou tard le même sort que sa maitresse. Quel dommage que cette interprétation dramatique forte de Valentine Colasante n’ait pas trouvé son équivalent dans la danse. La première danseuse fait tout très juste mais ses qualités ressortent plus dans l’allegro que dans les grands déploiements de lignes que requiert le pas d’action de l’acte deux.

Et Solor-Hoffalt, me direz-vous ? Après s’être taillé un succès estimable avec sa variation du deuxième acte, il se rachète une aura de noblesse en se consumant de honte sur son fauteuil doré pendant le très beau lamento à la robe orange de Nikiya-Albisson. Dans sa série de jetés en tournant, elle ne s’agenouille jamais de la même façon au sol. Sa dernière prière muette est poignante et admirable. Mais Nikiya pleure-t-elle sur son bel amour perdu ou tout simplement sur elle-même ?

P1100914C’est la question qui reste en suspens durant tout le troisième acte. Amandine Albisson, qui semble avoir surmonté enfin la « malédiction du plateau » (mis a part quelques développés à la seconde un peu timides), déploie ses lignes et semble enfin danser sans penser « je suis trop grande pour porter ça ». Elle est belle et digne. Solor-Hoffalt, continue sur le thème du remord. Il rentre les épaules dès que son apsara évanescente pose le regard sur lui. Mais cela parle-t-il d’amour ? Durant tout l’acte, Hoffalt reste désolé et Albisson … belle et digne ; chacun dans sa sphère. Au moins Albisson est-elle agréable à regarder. Car Josua Hoffalt confirme décidément qu’il n’est pas à la hauteur du challenge technique de cette « Bayadère ». Il cochonne la plupart des pirouettes de la coda et escamote une fois encore les doubles assemblés du manège pour les remplacer par des coupés renversés tout rabougris.

Les sujets de satisfaction de cette soirée sont donc à chercher ailleurs que dans le trio principal. A l’acte 2, l’idole dorée de François Alu, conforme à la conception de Noureev : une idole de chair avec une pesanteur voulue –suggérée d’ailleurs par l’orchestration de la variation- avec une forte caractérisation des poses et un beau contrôle des ralentis ; une charmante Manou par Charline Giezendanner et un trio Fakir-indiens (Vigliotti, Gorse, Quer) des plus enlevé.

Et puis, il y a l’acte 3 : une descente des ombres pleine de sérénité avec trois demi-solistes au firmament ; Barbeau musicale et suspendue, Guérineau preste et aérienne et Bourdon précise et élégante.

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La Bayadère : analytique plutôt qu’extatique

P1020329La Bayadère, 17 novembre 2015 – Opéra Bastille

Solor fait son entrée devant le temple du premier tableau de La Bayadère par une série de trois grands jetés. Mathias Heymann gère leur gradation avec art. C’est presque trop joli pour un chasseur, mais c’est ce qu’on est venu voir : un félin plus qu’un guerrier.

Le danseur étoile, toujours musical et précis, se montre à son aise, sans toutefois l’insolente facilité dont il pouvait faire montre lors de la saison 2009/2010. Il compense par le métier : lors des doubles tours en l’air de l’acte III, il lui manquera souvent un petit quart pour arriver face au public, mais il enchaîne si bien sur le rebond qu’on reste emporté dans le mouvement. Les portés avec la Nikiya de Dorothée Gilbert sont un peu prudents, mais le premier pas de deux regorge de complicité. La demoiselle – qui a, par le passé, plus souvent été distribuée en Gamzatti – donne à ses bras un étonnant ciselé : ce ne sont plus des doigts, des mains, des poignets, des coudes ou des épaules, ce sont des éléments d’un mystérieux rituel. La danseuse sacrée n’en a pas moins du répondant quand elle s’oppose à Gamzatti (fin de l’acte I), et du sentiment quand son désespoir fait de son dos une cambrure serpentine. À l’acte III, elle est un peu froide, un peu absente, ce qui sied bien à un retour en ombre.

Hannah O’Neill fait ses débuts en Gamzatti : la caractérisation est bonne, il y a de l’autorité, de la présence. Mais elle est trop grande pour Heymann ; cela crée quelques accrocs de partenariat, et la connexion ne semblait pas se faire au soir de la première, où la future première danseuse a raté la séquence des fouettés.

Quoiqu’en dise l’applaudimètre (et l’abruti au 3e rang qui brandit son téléphone pour pixelliser l’instant), François Alu peine à convaincre en idole dorée : il n’a ni le style, ni la précision, ni l’élévation. On attend du surnaturel, et voilà de l’Humain, trop humain. L’extase viendra plutôt de la séquence onirique des Ombres, homogène et vaporeuse ; Marion Barbeau enlève la première variation avec un très joli temps suspendu lors des développé à la seconde (le temps de l’arabesque est moins réussi), et Mélanie Hurel a le piqué qu’il faut pour la deuxième variation. Les petits enfants qui accompagnent l’idole dorée ne sont plus grimés de noir ; leur collant blanc, tout politiquement correct soit-il, n’est pas très seyant.

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Premier Bilan en Ouverture

P1100776Programme Millepied/Robbins/Balanchine.

Palais Garnier. Représentations du 30 septembre et du 9 octobre 2015.

Au terme de cette série du premier programme de la saison du ballet de l’Opéra, se dégagent déjà de nombreux sujets de contentement, le principal étant sans doute l’émergence ou l’épanouissement de personnalités dans un groupe depuis trop longtemps passé au rouleau compresseur administratif de la précédence direction.

« Clear, Loud, Bright, Forward » était apparue le soir du gala d’ouverture comme une pièce plaisante mais un peu extérieure où les danseurs se voyaient donner l’occasion de montrer leurs belles possibilités. Or, dès le 30 septembre, on pouvait déjà observer une acuité supplémentaire dans leur interprétation. Du coup, les qualités du ballet ressortaient mieux. Hugo Marchand et Léonore Baulac ont pris « à bras le corps » la noueuse place centrale qui est la leur dans le ballet. On regrette juste que leur moment d’intimité chorégraphique, qui émerge enfin, ne soit pas plus isolé dans un cercle de lumière en lieu et place des éclairages – trop ?- étudiés de Lucy Carter. Mais on ne peut nier que la qualité de la chorégraphie est de permettre aux danseurs de déployer leurs plus belles qualités sans qu’elle semble trop servilement pincée sur eux. Quand Eléonore Guérineau et Laurène Lévy dansent ensemble quasiment le même texte, on s’émerveille du ballon de l’une et de l’élasticité de liane de l’autre mais on admire surtout la communauté d’impulsion qui les anime. Par contre, on reste à la fois gêné et séduit par les groupes statuaires dignes du « Détachement féminin rouge » que forme parfois le « corps de solistes » et on ne sait toujours quelle voie forte et claire Benjamin Millepied veut nous faire emprunter – après le pas de deux Marchand-Baulac on voit certes de très belles choses mais on aimerait passer au final. Les danseurs, eux, ont cependant l’air de savoir où ils vont. N’est-ce pas, après tout, le principal ?

Léonore Baulac, Hugo Marchand et Eléonore Guérineau le soir du 10 octobre.

Léonore Baulac, Hugo Marchand et Marion Barbeau le soir du 9 octobre.

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Avec « Opus 19, The Dreamer » de Jerome Robbins, on a pu mesurer l’écart de sens sidéral que deux couples principaux peuvent donner à une œuvre. Avec la distribution réunissant Mathieu Ganio et Amandine Albisson (30 septembre), on avait eu le sentiment de passer de l’abscons (Millepied) au mystérieux (Robbins). Un soliste principal en blanc était aux prises avec un corps de ballet bleu comme un ciel d’été en fin de journée, lorsque le soleil s’est couché mais que la luminosité reste importante. Dans ce décor mouvant, prêt à basculer dans la nuit, apparaissait une soliste vêtue d’un bleu plus intense qui subjuguait le rêveur lunaire. Était-elle une vision, comme le suggérait sa disparition très Sylphide derrière deux lignes du corps de ballet se fondant en une seule à la fin du 1er mouvement ? On retrouvait certes des éléments du style de Robbins, avec notamment ces séquences de danse classique pure d’où éclosent parfois, comme des bourgeons impromptus, des ébauches de danse de caractère. Mais tandis que le rêveur blanc les intégrait à sa danse un peu à la manière des protagonistes de « Dances at a Gathering » (une pièce où Mathieu Ganio excelle), les notes folkloriques faisaient littéralement irruption dans la danse du corps de ballet et dans celle d’Amandine Albisson, créant une impression de rupture voire d’agression. Le ciel d’été recelait-il les prémices d’un orage? Avec ce premier couple, « The Dreamer » susurrait une langue mystérieuse, hermétique mais évocatrice.

Avec le second couple du 9 octobre, Pierre-Arthur Raveau et Laura Hecquet, le ballet gagnait en clarté narrative ce qu’il perdait en angularité. Mademoiselle Hecquet, fluide et élégante, avait le « caractère » plus intégré. Jamais menaçante, elle évoquait plutôt une ombre tutélaire ou une muse parfois capricieuse. Le corps de ballet apparaissait du coup moins comme un ciel d’été orageux que comme une de ces nuées, un peu épaisses et presque palpables, qui présagent d’une belle journée d’automne. Ils pouvaient aussi représenter les humeurs du poète, un Pierre-Arthur Raveau au mouvement dense et plein, plus intériorisé, moins exalté que Mathieu Ganio. Une des sections du deuxième mouvement faisait tout à coup immanquablement penser au Pas de cinq « Flegmatique » des « Quatre Tempéraments » de Balanchine. Alors que le couple Ganio-Albisson laissait le ballet sur une question sans réponse, le couple Raveau-Hecquet, dans sa pose finale, semblait proposer une conclusion: la réalité faisait désormais corps avec les aspirations. Le rêveur avait apprivoisé sa muse… À moins que ce ne soit le contraire.

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D’une distribution à l’autre, «Thème et Variations» de Balanchine subissait lui aussi sa petite révolution copernicienne; à moins que ce ne soit sa théorie de la relativité.

Ancrés dans le sol, accentuant crânement le plié, jouant à fond le jeu des oppositions pieds-épaule. C’est ainsi que se présente le couple Colasante-Alu le 30 septembre, un duo au physique assez éloigné des canons de l’Opéra mais qui a le mérite de prendre les options qui lui conviennent le mieux. Un grand chemin a été parcouru depuis les Rencontres à l’amphithéâtre Bastille où les deux danseurs se cherchaient encore (on trouvait même alors que Millepied, répétiteur aurait beaucoup mieux convenu à Mademoiselle Colasante en terme de lignes que monsieur Alu). Ici, on pouvait apprécier le poli du travail. François Alu joue sur la puissance du saut et le fini bravache des pirouettes mais (mis à part les préparations de sa première variation qui vendent un peu la mèche) le rendu est d’une grande propreté. Melle Colasante danse sa partition jusqu’au bout de ses possibilités. Ses directions dans les redoutables déboulés tous azimuts de sa première variation sont diablement précises et sa pirouette finale semble s’achever sur un genou tapissé de velcro tant elle est arrêtée net. Ses gargouillades dans la deuxième variation sont sans concessions. Ce pas, plutôt fait pour émoustiller la tarlatane d’un tutu long que pour ébouriffer les dessous d’un tutu à plateau, nous rappellent les qualités modernes de la chorégraphie de Balanchine, qui n’hésitait jamais à introduire des aspérités dans un enchaînement sans cela cristallin.

On retrouve de ces petites incongruités dans le pas de deux lorsque le danseur attire à lui la danseuse qui effectue une sissone dos au public. Les deux danseurs ne cherchent pas à danser « joli » mais leur façon de présenter leur travail est tellement à l’unisson qu’on finit par se laisser emporter par cette interprétation un peu brut de décoffrage de la méthode américaine.

Le 9 octobre, en revanche, avec Héloïse Bourdon et Mathias Heymann, on retournait franchement sous les auspices de la Belle de Petipa-Tchaikovsky. Mademoiselle Bourdon, jusqu’ici tous les soirs dans ce même ballet à la place de demi-soliste, prenait en main avec une sérénité désarmante la place de leading lady. Naturel de l’arabesque, musicalité jamais prise en défaut, la danseuse abordait les difficultés avec cette aisance presque détachée de la ballerine née. Le haut du corps restait toujours libre au dessus de la corolle du tutu même dans les passages les plus rapides Et tant pis si, au passage, les fameuses gargouillades se trouvaient changées en de gracieux sauts-de-chat suspendus. Mademoiselle Bourdon convoque l’Aurore épanouie du troisième acte de la Belle. Mathias Heymann était dans « un jour sans », ce qui ne l’empêchait pas d’être en accord avec l’atmosphère créée par sa partenaire et de soulever la salle, à l’occasion, par l’élégance féline de ses sauts. Eut-il été moins tendu, on aurait sans doute assisté à la plus harmonieuse des représentations de cette reprise du chef d’œuvre de Balanchine.

Les deux interprétations à une dizaine de jours de distance, pour diamétralement opposées qu’elles soient, étaient toutes deux valables. Elles nous rappelaient que Thème, créé pour Alicia Alonso et Igor Youskevitch, des « stylistes » dans une certaine mouvance des Ballets russes, avait été remanié par son chorégraphe lorsqu’il l’avait repris au New York City Ballet pour Gelsey Kirkland et Edward Villella, deux brillants représentants de la danse classique à l’américaine.

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Aujourd’hui, à l’Opéra de Paris, cette diversité de points de vue donnée sur une même œuvre est on ne peut plus de bon augure. Elle démontre, si besoin est, la supériorité d’une direction de danseur-chorégraphe sur celle d’un administrateur-programmateur.

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Les Balletos d’or – Saison 2014-2015

Gravure extraite des

Gravure extraite des « Petits mystères de l’Opéra ». 1844

Trop de prix tuent les prix, s’est dit le jury cette année. Las, le désir de réduire le nombre de lauréats a fait long feu. Tout cela à cause de la dynamique des comités : une telle veut honorer Machin, l’autre accepte à condition qu’on distingue Truc, et le troisième valide l’ensemble pour peu qu’on lui passe tous ses caprices. On ne vous dira pas qui a été le plus puéril. En tout cas, voilà les résultats !

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Ministère de la Création franche

Prix Création : William Forsythe (Study #3)

Prix Inventivité : William Forsythe (Study #3)

Prix Deleuze & Derrida : William Forsythe (Study #3)

Prix Forsythe : Jone San Martin (Legítimo/Rezo)

Prix Pensum qui fait penser : John Neumeier (Le Chant de la Terre)

Prix Étoile contemporaine : Wilfride Piollet

Prix Smoke and Flowers: Tanztheater Wuppertal Pina Bausch (Two Cigarettes In The Dark and Nelken)

 

Ministère de la Loge de Côté

Prix Découverte : Yannick Bittencourt (Le Lac, Les Enfants du Paradis)

Prix du Partenariat : Hugo Marchand et Dorothée Gilbert (Manon)

Prix Séduction : Eve Grinsztajn (Garance, Les Enfants du Paradis)

Prix Adage : Mathias Heymann (Le Lac)

Prix Ballon : Eléonore Guérineau (La Fille mal gardée)

 

Ministère de la Place sans visibilité

 Prix Lander : Héloïse Bourdon (Etudes)

 Prix Lifar par équipe : le Ballet National de Bordeaux (Suite en Blanc)

 Prix Petit : Alexander Akulov (Les Forains, Ballet du Capitole)

 Prix Noureev : Léonore Baulac et Germain Louvet (Casse-Noisette)

 Prix Elssler : Marine Ganio pour son interprétation tacquetée de La Fille mal gardée

Ministère de la Ménagerie de scène

Prix Cygne blanc : Héloïse Bourdon

Prix Cygne noir : Hannah O’Neill

Prix Faune : Alvaro Rodriguez Piñera (Lifar, Ballet de Bordeaux)

Prix Faun : Vadim Muntagirov et Melissa Hamilton (Robbins, Royal Ballet)

Prix Elfe : Fabien Révillion (Zaël, La Source)

Prix Claire fontaine : Muriel Zusperreguy (Naïla dans la Source)

Ministère de la Natalité galopante

Prix Couple de scène : Daniel Camargo & Elisa Badenes (Programme Alles Cranko !, Stuttgart)

Prix Couple tragique : Laëtitia Pujol & Mathieu Ganio (L’Histoire de Manon)

Prix Couple qu’a pas de chance : Yasmine Naghdi et Matthew Ball (Olga & Lenski, Onegin, Royal Ballet)

Prix Coquets coquins : MM. Révillion, Bittencourt et Marchand (Les 3 gentilshommes de Manon)

Prix Grand brun : Donald Thom (Royal Ballet)

Prix Beaux biscotos : Avetik Karapetyan (Le Jeune Homme des Mirages, Toulouse)

Prix J’abandonne mon mari : Federico Bonelli (A Month in the Country, Royal Ballet)

Prix Histrion : Josua Hoffalt (Frédérick Lemaître, Les Enfants du Paradis)

Prix Fée du logis : Alina Cojocaru dépoussière le Swan lake de L’ENB.

Prix C’était court mais c’était bon : Myriam Ould-Braham (2 représentations ¼ de La Fille)

Ministère de la Collation d’Entracte

Prix Loukoum : Eve Grinsztajn et Julien Meyzindi (La danse arabe, Casse-Noisette)

Prix Quessadilles : Laura Hecquet, piquante dans la Paquita cuisine-fusion de Lacotte

Prix Tu t’es vu quand t’as bu ? : Stéphane Bullion (Lescaut, Manon)

Prix Plat décongelé : Roberto Bolle et Aurélie Dupont (Soirée des adieux, Manon)

 

Ministère de la Couture et de l’Accessoire

Prix Bigoudis : Aurélien Houette (Mère Simone, La Fille mal gardée)

Prix Je triomphe du Pyjama de chasse : François Alu (Djémil, La Source)

Prix Mon beau sapin : Mélanie Hurel (Casse-Noisette)

Prix Le Tutu c’est Cucul : Les costumes du Pas de Trois de Paquita

Prix Un jour je me raserai de près : Benjamin Millepied

Ministère de la Retraite qui sonne

Prix Il n’est jamais trop tard pour bien faire : Karl Paquette (Rothbart, Frederick, Lucien dansés avec flair)

Prix A dansé 120 minutes à tout casser dans l’année : Jérémie Bélingard

Prix Après moi le déluge : Brigitte Lefèvre pour sa saison impossible

Les lauréats se verront remettre ce magnifique trophée à la désormais traditionnelle fête du 15 août : une tête de Poinsinet en plastique doré à l'or fin.

Les lauréats se verront remettre ce magnifique trophée à la désormais traditionnelle fête du 15 août : une tête de Poinsinet en plastique, dorée à l’or fin (représentation non contractuelle).

 

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Les précautions inutiles

P1100259La Fille mal gardée – Opéra Garnier, représentations des 2, 6 et 14 juillet 2015

J’avais prévu d’intituler mon papier « Maman, j’aime les garçons de ferme », mais la rédaction en chef, soucieuse de n’apparaître qu’en compagnie choisie dans les requêtes des moteurs de recherche, a mis son veto. Je me suis incliné, ne pouvant être de tous les combats contre la hideuse et sotte Anastasie. Je maintiens pourtant mon credo, car de quoi la veuve Simone entend-elle garder Lise, si ce n’est des séductions des gaillards de la campagne ? Et si toutes les précautions de la mère sont inutiles, c’est aussi que les appas du gars Colas sont irrésistibles.

Bien sûr, nous ne sommes pas dans une frontalité à la McGregor, où l’on manipule du mec en slip sur fond de musique stridente. La pastorale d’Ashton abonde en métaphores – celle du ruban court tout au long de l’acte I – et la tendresse amoureuse y a autant de place que les promesses de sensualité. C’est pourquoi l’entente Lise-Colas est une des clés du bonheur qu’on prend à voir et revoir La Fille mal gardée, sans jamais se lasser, car il y a autant de couples possibles que d’épis de blé à faucher.

Voici donc Muriel Zusperreguy et François Alu (2 juillet). Elle reprend avec une fraîcheur inentamée un rôle déjà abordé en 2012, la minutie de sa petite batterie fait toujours plaisir à voir, et c’est toujours elle qui réussit le mieux les battements en cloche. Il incarne un Colas débonnaire, facétieux, attentif, et régale la salle d’impayables mimiques lorsqu’il joue au petit cheval. Les deux personnages, comme aimantés l’un vers l’autre, donnent à la fois le sentiment de l’innocence, et l’impression que ça peut déraper à tout instant. Tout cela est joliment couronné par un pas de deux nuptial fluide et un rien languide. Alu confirme ses qualités de partenaire, mais – et je place la barre assez haut – le soliste me laisse un peu sur la réserve ; il campe ses variations avec un côté coq de village qui saute plus haut que les autres. Ça peut plaire, mais nuit à la netteté ; ainsi, lors du solo du « Elssler pas de deux », l’enchaînement double pirouette – tour attitude – fouetté devant est trop brusqué. S’il faut tout avouer, je préfère l’élégance toute de facilité d’un Heymann, la propreté millimétrée d’un McRae, à la fougue torée d’un Alu. Le plaisir de l’épate n’est pas tout.

Myriam Ould-Braham et Josua Hoffalt incarnent une autre idée du couple Lise/Colas, mais le 6 juillet, il n’ont malheureusement pas eu le temps de la développer. La ballerine-brindille est lancée si loin dans les airs par sa mère que son pied cogne le banc. À mi-parcours du premier acte, il faut écarter en une milliseconde l’idée qu’elle a profité du voyage en carriole pour se refaire une couleur : c’est Eléonore Guérineau qui prend le relais, et ce serait injuste de comparer un partenariat improvisé avec l’imagination contre-factuelle du spectateur.

Un tout autre état d’esprit anime le spectateur lors la soirée du 14 juillet : on vient découvrir Marine Ganio et Marc Moreau avec la curiosité que suscite les prises de rôle de sujets. Il a déjà eu quelques rôles solistes ; elle, quasiment pas. Son aisance scénique frappe d’autant plus. Lors du pas de deux final, notamment, son jeu de bras est élaboré sans être précieux ; on dirait une interprète qui a mûri toute seule. Lise & Colas version Ganio/Moreau, c’est un couple presque réaliste (disons, à la ruralité un brin moins imaginaire que d’ordinaire), aux qualités joliment complémentaires ; elle a les pieds sur terre, des attaques vives, tandis qu’il danse plus coulé.

Cette reprise signe l’apparition d’une pantomime nataliste : quand Lise s’imagine avoir trois enfants, Colas qui a surpris sa rêverie solitaire lui en annonce dix (encore l’absence de précaution des campagnes). Takeru Coste aborde le rôle de la mère Simone avec truculence (2 juillet), sans atteindre encore la maîtrise d’Aurélien Houette, qui semble ajouter une couche d’interprétation à chaque représentation (6 et 14 juillet). Daniel Stokes, pantin déréglé à la touchante face de lune, est un émouvant Alain au comique de dessin animé (2 et 14 juillet, 2e acte le 6 juillet).

Marine Ganio et Marc Moreau, saluts du 14 juillet

Marine Ganio et Marc Moreau, saluts du 14 juillet

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Manon dernière : Marchand de bonheur

P1050181L’histoire de Manon 20/05/2015.

Lorsque que Hugo Marchand entre dans la foule bigarrée imaginée de concert par MacMillan et Nicholas Georgiadis, grand, le visage régulier sans expression particulièrement définissable, absorbé dans son livre – qu’on suppose de messe, étranger aux deux courtisanes qui lui collent aux basques; l’une feint même de s’intéresser à sa pieuse lecture –, on ne sait pas trop à quoi s’attendre. Une certaine radiance, un peu pâle tout de même, pourrait être de bon augure. Mais on se dit que de toute façon une bonne part des attentes du spectacle sera honorée. François Alu fait feu des quatre fers (hélas toujours un peu en force) dans Lescaut. Sa pantomime bravache, aussi riche et remplie de couches qu’un millefeuille, son charme un peu brutal forment un joli contraste dynamique avec le charme naturel un peu bonasse de la maîtresse de Muriel Zusperreguy. Et puis surtout, Gilbert-Manon balaye tous les doutes qu’on a pu avoir sur cette danseuse depuis son retour sur les planches cette saison. Dès le moment où elle fend l’espace au sauté (comment dire autrement) de la malle-poste. On voit d’emblée que sa Manon sera ondoyante mais jamais serpentine ou fausse d’intention. Elle semble déjà pervertie, mais comme à son insu, par son sympathique diable de frère. La façon dont elle repousse les gestes déplacés de son vieux soupirant, à la fois ferme mais bienveillante, nous la fait apparaître comme le personnage éponyme du roman vue au travers des yeux de Des Grieux ; toujours immaculée même au milieu de la fange.

Puis vient le moment de la première rencontre. Et cela commence sur une petite frayeur. Hugo Marchand semble se concentrer sur la ligne, qu’il a très belle, plutôt que sur sa partenaire sagement assise sur sa chaise. Une ou deux fois seulement son regard se tourne directement vers sa Manon. Mais lorsqu’il le fait, le regard est ardent. Tout se résout lorsque débute le premier pas de deux. Dès que les deux danseurs se touchent, ils semblent se dire. « Ça alors, nos lignes s’accordent parfaitement ! Elle : mais c’est que c’est un partenaire de confiance ! Lui : qu’elle va être facile à porter, une vraie plume ». À partir de ce moment, on se retrouve littéralement happé dans le tourbillon de l’histoire. Marchand a réussi ce tour de force pour sa prise de rôle de donner à son Des Grieux les qualités de sa jeunesse, avec ces effondrements du corps d’un enfant à qui on a cassé son jouet, tout en gommant, par son travail en amont, les inconvénients qui viennent généralement avec les jeunes interprètes. Dans le second pas de deux où il pose sa danseuse un peu loin pour l’embrassade finale, il parvient à la tirer brusquement à lui, en musique, rajoutant ainsi une strate supplémentaire d’émotion. Doté d’une arabesque facile, éloquente, il en module l’usage en ne répétant jamais le même pas de la même manière. Un premier piqué arabesque sera suspendu – l’aspiration –, le deuxième précipité – l’exaltation… Tout cela est magnifié par des bras jamais stéréotypés.

Des Grieux-Marchand est donc un héros très proche de celui du roman. À la réflexion, sa première variation, presque extérieure, rappelait ce que dit le chevalier de sa parade de séduction envers Manon où il s’étonne lui-même des moyens qu’il a employés. À la fin de l’acte 1, après le départ de Manon, la confrontation avec Lescaut fait sens. Le frère maquignon n’est plus ce diable sorti de sa boîte que l’on voit trop souvent dans cette scène. Marchand l’accueille d’ailleurs avec chaleur. Lescaut, presque aussi naturellement, lui annonce le merveilleux plan qu’il a échafaudé. Marchand semble d’abord ne pas comprendre, puis se bouche les oreilles, écœuré. La tension monte. Lescaut-Alu s’agace de tant de chichis. Il ne jette à terre le jeune rêveur que lorsqu’il est à court d’arguments.

C’est cette cohérence dramatique de l’ensemble de la distribution des rôles principaux qui mettait en valeur le travail d’acteur foisonnant déployé autour d’eux. Dans la scène chez Madame, Dorothée Gilbert veut paraître en contrôle de la situation, mais son air de sphinge cache mal la terreur que lui inspire son protecteur G.M., surtout lorsque le désespoir naïvement démonstratif de Marchand-Des Grieux se donne libre cours. On remarque alors un détail de jeu qui nous avait échappé jusqu’ici. Avant la scène de jeu truqué, G.M. rentre au bras d’une des courtisanes qu’il malmène rudement. La fille semble terrorisée. On ne s’étonne donc pas lorsque ce sinistre personnage décharge son pistolet sur un Lescaut déjà bien amoché dans la scène finale de l’acte 2.

À l’acte 3, l’inversion des rôles dans le couple, amorcée pendant le pas de deux du bracelet, est consommée. Gilbert-Manon sort du bateau dans un état d’hébétude infantile. L’adulte, c’est désormais Des Grieux qui repousse le geôlier tant qu’il peut, le tue dans la deuxième scène et entraîne Manon dans une fuite en spirale jusqu’à la mort.

Le garçon qui pousse un cri muet sur le corps de sa maîtresse est devenu un homme.

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Paquita : ballet schizophrène?

P1010032Le hasard des changements de distribution a fait que l’ami James et moi avons vu peu ou prou les mêmes interprètes. J’ai bien peu à rajouter à ce qu’il a dit dans son billet. La Paquita 2015 sera donc pour moi celle de l’intronisation de Laura Hecquet, prenant sereinement possession de son titre (le 5/05), celle aussi de la confirmation des immenses qualités d’Hannah O’Neill, acerbe de la pointe, vivante du haut du corps et alerte jusqu’au bout des cils (le 19/05). Peut-être parce que les rôles demi-solistes ont été moins biens servis que les années précédentes pour cause de surcharge en grosses productions, mon esprit s’est surtout attaché d’une manière analytique à cette production de Pierre Lacotte détaillant ses indéniables qualités mais aussi ses quelques gros défauts.

Paquita 1846, la pauvreté des sources.

Louise Marquet, danseuse de l'Opéra pendant le second empire. Un travesti dans le genre du pas des manteaux de Paquita.

Louise Marquet, danseuse de l’Opéra pendant le Second empire. Un travesti dans le genre du pas des manteaux de Paquita.

Qui veut faire une approche historique de la Paquita de Mazilier a étonnamment peu à dire. À la différence de bien d’autres ballets « historiques » présentés à l’opéra de Paris, la bibliographie est relativement pauvre ; au point que le programme concocté lors de la recréation du ballet, en 2001, en fait déjà le tour ainsi que des différents thèmes qui lui sont attachés : Théophile Gautier et Carlotta Grisi dans ce ballet, le goût pour la couleur locale, l’usage du travesti (au premier acte, le pas des manteaux était exécuté par des femmes sanglées dans de coquets costumes de toréador et à l’acte 2, pendant le Bal Empire, Adèle Dumilâtre – créatrice de Myrtha dans Giselle, une beauté – dansait un pas de deux aux bras d’Adeline Plunkett), une biographie de Mazilier, une autre du très chouineur Deldevez (je me suis enfilé jadis ses mémoires et j’avais furieusement envie de lui coller des baffes). En fait, ce programme est sans doute ni plus ni moins l’ouvrage de référence sur la question.

On pourrait s’étonner. Paquita est un nom qui vient assez couramment à l’esprit d’un quidam balletomane lorsqu’il s’agit de parler des grands ballets. À Paris, l’œuvre eu un succès « tolérable », sans plus, à l’image des autres productions du maître de ballet en poste qui se souciait peu de la conservation de son répertoire : 40 représentations entre 1846 et 1851 [Le Diable à quatre, ballet de 1845 de ce même chorégraphe, en comptabilisera 105 et sera repris jusqu’en 1863. Le Corsaire en comptabilisera 81 et sera repris durablement en Russie], c’était bien peu pour rentrer dans la légende.

Reconstitution, reconstruction, évocation, pastiche-affabulation

Pierre Lacotte, qui s’est fait une spécialité des reconstitutions d’œuvres disparues n’en est pas à son coup d’essai avec Mazilier. En 1981, il avait reconstitué Marco Spada, une commande du ballet de l’Opéra de Rome. La tradition n’avait pourtant absolument rien transmis de la chorégraphie. Pas de violon conducteur avec des pas notés sous la portée musicale comme pour la Sylphide, pas d’enchainements livrés par d’anciens interprètes qui l’auraient eux même tenus de leurs professeurs, pas de maquette des décors, à peine un croquis pour l’Acte 1, scène 2. Le projet a surtout vu le jour parce que Noureev, un ami de la première heure de Lacotte, s’y est intéressé. Mais ce fut au prix d’une trahison. Le rôle mimé de Marco Spada, a été truffé de chorégraphie pour plaire au grand danseur et la raison d’être initiale du ballet, l’opposition de deux prima ballerina, la terrienne et vivace Carolina Rosati et la poétique Amalia Ferraris, s’est trouvée gommée. Voilà pour la fidélité philologique.

Mais doit-on faire un procès à Pierre Lacotte pour remettre au goût du jour des ballets dont l’opéra de Paris a fait de l’oubli sa plus discutable tradition ? Sans doute pas s’ils sont réussis. La Sylphide reste un chef-d’œuvre même si certaines parties sont plus des recréations que de véritables reconstitutions –Pierre Lacotte a l’art de maintenir un flou artistique lorsqu’il en parle. Et il est extrêmement regrettable que sa Coppélia « restaurée » ne soit plus confiée qu’à l’Ecole de danse dans la version en deux actes. Je crains en revanche qu’un programmateur mal inspiré ne s’avise un jour d’importer la calamiteuse Fille du Pharaon du Bolchoï, un immangeable mastodonte à vous faire douter de l’éthique du chorégraphe-restaurateur qui disait : « Lorsqu’on domine bien un style, il est aisé d’apposer des couleurs sur un simple canevas ». Dans ce cas précis, on a la fâcheuse impression que la palette languide d’Ary Sheffer a été plaquée sur un dessin préparatoire de Delacroix. On voit dans cette restauration d’un ballet impérial russe des années 1860 le même travail de bas de jambe et les mêmes sauts partis du plié qu’on observe dans des restitutions d’œuvres romantiques crées à Paris dans les années 1830.

Paquita? Paquita-pas?

Quand on assiste à une représentation de Paquita, on peut néanmoins par moment croire de nouveau au credo du médecin volant de la chorégraphie oubliée : « sortir un ballet du tombeau et lui insuffler la vie n’est pas aisé. Il ne suffit pas de connaître l’ordonnance des pas et de les exécuter froidement. Il faut y placer les épaulements et surtout y mettre l’âme ». La première variation de Paquita au milieu d’une gracieuse ronde de comparses féminines est délicieusement vive et alerte. Elle correspond bien aux descriptions des contemporains du style, bien accentué mais un peu terre-à-terre, de Mazilizer [Charles Maurice, à la plume bien acérée, qualifie sa chorégraphie de « vieille école » mais lui reconnaît la « qualité » de connaître « les ficelles du métier »]. Les œillades de Paquita à Lucien, avec attitude sur pointe et regards par-dessous le bras à la couronne en anse de panier rappellent suffisamment Giselle pour évoquer en écho la créatrice des deux rôles, Carlotta Grisi. À l’acte 2, la pantomime de tromperie est sans doute la restitution la plus savoureuse et la plus intelligente. C’est à la fois clair, rapide et un tantinet humoristique. Le moment où Lucien tire son épée comme dernier viatique contre les comploteurs n’avait certainement pas été écrit dans cette veine second degré mais ce petit clin d’œil remet certainement en selle le public contemporain abasourdi par tant de « primitive naïveté » (un commentaire du critique Fiorentino déjà à la création en 1846). La scène de bal Empire [le « nom de répétition » du ballet selon Théophile Gautier], même rhabillé à la mode 1820 est également très savoureuse, particulièrement pour ses danses masculines en uniforme des dragons. Le duo des aides de camp introduit opportunément deux rôles de demi-solistes sans alourdir l’ensemble. Le pas de deux de fiançailles de Paquita et de Lucien enfin est juste ce qu’il faut lyrique et pyrotechnique pour achever le ballet sur une note enthousiasmante.

Malheureusement, le ballet de Pierre Lacotte ne se termine pas sur cette note « positive ». C’est que « Paquita » est entré dans la psyché du balletomane de base pour des raisons fort éloignées de la version parisienne de 1846. Trois fragments composites subsistent de la deuxième relecture « russe » du ballet. Après l’avoir remonté une première fois dans une version sans doute proche de celle de Mazilier, Marius Petipa, le frère du premier Lucien d’Hervilly, Lucien Petipa (vous me suivez ?), en septembre 1847, créa une seconde mouture en 1882 dans laquelle il rajouta « un pas de trois », une « polonaise » pour des enfants de l’école de danse et un « grand pas » de mariage dans la veine de celui de Don Quichotte (1871). A quoi ressemblait le reste de la production 1882 de Petipa ? Restait-elle conforme à la chorégraphie de Mazilier ou s’agissait-il d’une totale réécriture ? Qui peut le savoir ? La mise en scène du plus russe des chorégraphes français, excepté ces trois passages, a également complètement disparu. Le grand pas, lui-même est, la plupart du temps présenté comme un palimpseste de tous les ballets classiques oubliés (On y insère même parfois une variation musicale du « Pavillon d’Armide », un ballet de Fokine de 1907).

Petipa … Ou pas

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Un ballet composite, à l’image du décor du tableau final

La faute de Pierre Lacotte aura été d’annoncer la Paquita de Mazilier tout en n’ayant pas le courage d’omettre ces importants vestiges de la production Petipa ou, du moins, de ne pas prendre le problème à bras-le-corps (en 2001, il s’était principalement reposé sur Elisabeth Platel pour remonter partiellement la version Vinogradov du Grand Pas dans laquelle elle s’était illustrée dans les années 80).

Le premier hiatus dans le ballet arrive donc avec les danseurs du « Pas de Trois » au premier acte. Quelle mouche a piqué Luisa Spinatelli et Pierre Lacotte pour faire rentrer les deux danseuses en tutu à plateau anglais en plein milieu des corolles en tulipes inversées du ballet romantique ? Elles n’existaient même pas encore en 1882 ! Petipa s’amuserait-il à jouer le convive pique-assiette chez Mazilier ? Cette rupture stylistique volontaire n’est même pas totalement assumée. Le velours des corsages des filles cherche trop à rappeler celui utilisé pour les autres danseuses du corps de ballet. Systématiquement je suis éjecté sans ménagement de l’argument du ballet au moment de cette interpolation d’autant que le pas des manteaux qui précède –énième pas de caractère qui alourdit terriblement cet acte- me parait déjà un tantinet superflu et ridicule (mais que viennent faire ces toréadors de pacotille en pleine montagne ?).

Hippolyte Mazilier, carte visite dédicacée de 1867. Le danseur aurait-il reconnu le ballet de son tonton dans la version Pierre Lacotte?

Hippolyte Mazilier, carte visite dédicacée de 1867. Le danseur aurait-il reconnu le ballet de son tonton dans la version Pierre Lacotte?

À l’acte 2, la scène 2 débute abruptement par la fastidieuse et très praline polonaise des enfants (qui n’a jamais été une spécialité de l’École de danse de l’Opéra) et le « Grand Pas » est tronqué de la plupart de ses variations pour ressembler à un classique pas de deux de mariage. Mais là encore, l’irruption du tutu à plateau dans un contexte 1820-1830 choque.

S’il s’agissait de garder Petipa, n’aurait-il pas mieux valu annoncer la reconstitution de « Paquita 1882 » comme l’a récemment fait Ratmansky ? Ou alors, n’aurait-il pas mieux valu un baisser de rideau et une présentation le Grand Pas avec toutes ses variations – y compris le « Pas de trois » – exécuté par d’autres étoiles en l’honneur du mariage de Paquita-Grisi et de Lucien ?

Cette présentation aurait eu l’avantage de montrer plus de talents de la compagnie (en 2001 du moins c’était encore possible) et aurait pu être omise le cas échéant.

En l’état, « Paquita » est un ballet qui ne tient pas vraiment ses promesses, un monstre bicéphale qui n’est ni une reconstitution plausible, ni une évocation entièrement satisfaisante.

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