Neumeier : Le Chant du compagnon errant

P1010032Dans le programme du Chant de la terre, John Neumeier dit que, peut-être, il comprendra le sens de sa création dans vingt ans. Par chance, je n’aurai pas à attendre aussi longtemps ; avec la troisième distribution (vue le 3 mars), il m’a été donné, si ce n’est de saisir les intentions du chorégraphe, au moins de ressentir les émotions qu’il a voulu créer.

À quoi ce sentiment nouveau tient-il ? Lors du prologue, Nolwenn Daniel impose son style ; Laëtitia Pujol était lyrique, et Dorothée Gilbert immarcescible; Mlle Daniel est dense, avec une pointe d’impétuosité dans le piétiné. Il y a, derrière la qualité d’attaque de la danse, un enjeu émotionnel, une urgence, qui attirent durablement l’attention. Et puis, il y a Fabien Révillion. Pour être honnête, je suis un peu tombé des nues : je tenais le danseur pour un sujet brillant, à la belle technique classique ; je ne m’attendais pas à découvrir un interprète aussi inspiré, aussi expressif, aussi touchant. L’intensité du regard, à la fois naïf et profond, y fait beaucoup. Il faudrait distribuer Révillion en Petrouchka, rien qu’avec ses yeux, il vous tirerait des larmes à ruminer dans sa cellule son amour pour la ballerine.

Mais il y a aussi un bougé, un tremblé dans la danse, qui créent un personnage, et racontent une histoire. Il y a ainsi des moments où le personnage principal évolue au milieu du corps de ballet, comme s’il cherchait son chemin. À ces occasions, Matthieu Ganio ou Florian Magnenet étaient dans la maîtrise. Révillion, lui, donne l’impression de ne pas savoir où il va. Son interprétation – et il y a tout lieu de supposer que c’est exprès – est moins élégante, plus physique et emportée que celle de ses collègues dans le rôle. Et c’est du coup le seul dont les accents m’aient paru faire écho à ceux, souvent douloureux, de l’orchestre. Tout d’un coup, j’ai vu un Compagnon errant (oui John, il te reste encore au moins cette pièce à explorer !). Le contraste avec Audric Bezard, aussi solide et extraverti que Révillion paraît fragile et intérieur, participe de la tension de la soirée. Autre contraste : celui entre Bezard et Sae Eun Park, qui est toute douceur dans le 4e chant. On retient aussi l’humour pince-sans-rire de Léonore Baulac et Sébastien Bertaud dans le léger passage exaltant la jeunesse (3e chant). Vous crierez peut-être au fou, mais au bout de la troisième vision, je perçois davantage les arêtes et la variété du Chant, et j’ai failli me décider pour une 4e vision…

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1 commentaire

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Une réponse à “Neumeier : Le Chant du compagnon errant

  1. Merci James pour ce compte rendu vibrant; c’est précisément la distribution que je verrai demain soir, j’ai vu aussi celle avec Ganio/Pujol…. j’avais déjà été  » embarquée » …. là, je serai peut être emportée plus loin encore? D’ici à ce que je me mette à errer dans les rues de Paris en sortant…. à la recherche de mon scooter compagnon perdu….