Roméo et Juliette, soirée de 13 avril 2016
Difficile d’imaginer une progression de couple plus différente que celle du couple Baulac-Heymann comparé à Ould Braham-Hoffalt. Elle est inverse. Lorsqu’ils se rencontrent leur premier pas de deux a de charmants petits « angles ». Ils mettent en scène deux cœurs qui sont attirés l’un par l’autre mais dont les corps se cherchent encore. Elle est une adolescente enjouée, un peu têtue (sa danse est précise sans tous les glacis que lui donnera un jour l’expérience) et lui un jeune homme charmeur (il a une incomparable façon d’attirer l’attention sur les gestes entreprenants de son personnage), direct (la célérité très impressionnante de ses pirouettes) et idéaliste (il les finit parfois avec des arabesques suspendues qui touchent le fond de l’âme du spectateur).
Leur rencontre se fait au milieu d’un groupe d’amis-ennemis aussi bien équilibré qu’il est individualisé. Revillion-Benvolio est un jeune rêveur qui s’affirme au cours du drame. Il est évident qu’à la fin c’est lui qui a battu le rappel des deux familles autour du tombeau de Juliette. Alu, un Mercutio plus « âgé » de quelques mois dans sa bande d’amis, émerveille par son sens du jeu pantomime qui se fond dans les chorégraphies les plus techniques. Il est au dessus de sa danse et peut donc se permettre quelques facéties supplémentaires alors même qu’il effectue les tricotages de jambes les plus torturés. Sa scène badine et vacharde aux dépends de la nourrice de Juliette, parfaitement épaulée par Révillion, est un chef d’œuvre de drôlerie. On est plus circonspect sur sa ligne, par trop courte et ramassée, mais on se laisse gagner par la richesse de son registre expressif. Sa scène de mort, en totale rupture de ton, est des plus saisissantes. Son meurtrier, Tybalt-Magnenet touche par sa juvénilité apparente. Les jeux de l’enfance ne sont pas loin. Ce qui frappe d’ailleurs, c’est la connexion qui semble exister entre les danseurs. On a le sentiment d’une forme d’intimité entre ces jeunes gens appartenant à des mondes antagonistes. Le temps n’est pas si loin où ils jouaient ensemble, avant que la gangrène des préjugés familiaux ne les contamine à leur tour. Il y a d’ailleurs une certaine forme de jeu dans le combat entre Tybalt et Roméo : en pleine rixe, Magnenet lance et rattrape sa dague comme un adolescent frimeur.
Par contraste, Pâris est étranger au groupe. Cet élégant jeune homme de famille fortunée ne sait pas exactement où il met ses pieds… qui font des merveilles. Pablo Legasa nous joue son petit air du « Et si c’était moi, Roméo » avec conviction et sérénité. Dans la sérénade à la mandoline, il nous gratifie d’une série de pirouettes attitudes en dehors achevées en arabesque suspendue, parfaites et immaculées. Le danseur fait mouche ; incontestablement.
Cet environnement de seconds rôles incarnés porte littéralement l’interprétation du couple principal. Léonore Baulac et Mathias Heymann ne partent pas du même point mais ils entrent en synergie dès la scène du balcon, même s’il y est encore beaucoup question de jeu. A l’acte 3, Juliette-Baulac reste une adolescente et Roméo-Heymann un jeune homme impulsif. Mais leur pas de deux de la chambre, par son lyrisme intime, montre que l’attirance s’est transmuée en accord charnel. Les deux grands enfants courent alors au bord du précipice puis s’y jettent sans plus réfléchir. Heymann vole plus qu’il ne court vers le lit mortel de Juliette et cette dernière se jette sur le couteau comme on embrasse l’être aimé.
Cette vision romantique en diable n’est peut-être pas celle qui se rapproche le plus de la conception de Rudolf Noureev mais elle vous emporte néanmoins par sa dynamique inflammable et haletante.
Vous avez décidé l’art de rédiger vos billets…. on se délecte de vos mots! et on revoit le spectacle avec votre regard sans perdre de vue ce que l’on a vu soi-même… une expérience aussi irréelle que délicieuse! merci!
Merci pour votre indéfectible soutien, Valérie!
De rien, Cléopold, je trouve en vos textes exactement ce que j’y cherche : une grande qualité d’écriture, de l’humour, de la poésie, et tout cela associé à une grande érudition, mais qui n’est pas du savoir pour le savoir, sans vécu et sans » tripe »; et par dessus tout cela, un oeil qui sait tellement bien analyser le mouvement dansé! Mes perceptions sont plus brouillonnes, plus émotionnelles, et parfois en voulant passer par les mots pour prolonger et capturer ce que j’ai vu sur scène, je rage de ne pas trouver assez de clarté en mon esprit; quand je lis vos mots, ces sensations brouillonnes s’éclaircissent, beaucoup de choses me reviennent en mémoire… cela n’a pas de prix! 🙂
J’ai oublié un détail que je regrette de ne pas avoir intégré dans mon texte. Avez-vous remarqué (mais était-ce le cas le soir où vous y étiez?) que Juliette-Baulac montrait une certaine répulsion pour Mercutio-Alu quand il s’interposait pour détourner l’attention pendant la scène du bal? c’était un peu « qui est ce garçon que je ne connais pas, pourquoi me touche-t-il? Je ne lui ai pas été présentée ». J’ai trouvé ce petit détail assez admirable.
Eh bien voilà, c’est tout à fait typique de vous : j’avais aussi remarqué ce détail, et puis il s’est fondu au tout! mais effectivement, Mlle Baulac montre bien qu’elle se demande qui est ce fanfaron aux allures de rustre et n’en aime guère le contact!
Voi-là!!