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Onéguine: Réminiscences de Mathieu Ganio

Mathieu Ganio. Soirée du 1er mars 2025. Adieux à la scène.

Dans une superbe mise en scène de l’opéra de Tchaïkovski, on découvre Eugène Onéguine, avachi sur un fauteuil hors d’âge, en train de contempler son passé. Celui-ci se matérialise, sur un petit écran de TV, par les rails du chemin de fer filmés depuis l’arrière d’une locomotive filant à vive allure dans la steppe enneigée. Cette image de la production d’Andrea Breth (Festival de Salzbourg, 2007), qui dit de façon poignante le ratage irrémissible d’une vie, m’est revenue en mémoire sur le chemin des adieux à la scène de Mathieu Ganio. Pour ne plus me quitter. Pour le spectateur, aussi tête froide se veuille-t-il, le dernier rendez-vous avec une étoile exhale forcément un puissant parfum rétrospectif.

Les souvenirs reviennent par brassées ; les nouveaux qu’on se forge pour l’occasion se nimbent, tout de go, de nostalgie. On se surprend aussi à scruter l’interprète dans des moments où, habituellement, on ne regarde pas vraiment le personnage, par exemple quand Eugène joue aux cartes (Acte II) ou encore à suivre toutes les marques de son émotion quand il s’aperçoit, au milieu de leur pas de deux conjugal, que l’épouse de Grémine (l’attentionné Mathieu Contat) est Tatiana (Acte III). Une façon de grappiller jusqu’au bout des pépites.

On savait de longue date que Mathieu Ganio souhaitait faire ses adieux dans la plénitude de ses moyens, et dans le rôle d’Onéguine. Le choix est judicieux : le romantisme au regard charbonneux du personnage lui va comme un gant. Lui qui a été Albrecht, Siegfried ou Roméo, sait de manière irrésistible incarner les tourments. Mais il a aussi un côté solaire, une légèreté de saut, une élégance – inoubliable dans Robbins – et une précision qui font mouche quand il s’agit d’incarner l’homme idéal (le rêve de Tatiana) et emballer léger pour faire bisquer l’assemblée (les agaceries avec Olga).

Autre choix judicieux, celui du partenariat avec Ludmila Pagliero, très fluide et d’un grand naturel. Nous ne sommes pas, comme avec le couple de scène Dorothée Gilbert-Hugo Marchand, dans un accord sensuel, mais plutôt dans une parité de sensibilité : le sentiment s’exprime par le mouvement, avec éloquence, chez lui comme chez elle. Ensemble, ils donnent à voir une narration aussi pensée que lisible : lors du pas de deux de la rencontre, quand Eugène danse largo sur les cordes, et Tatiana staccato sur les vents, ils étirent la divergence au maximum (on dirait que Ganio lutte contre l’air alors qu’elle se coule dedans, tendant en vain la main vers lui qui se dérobe). L’accord est au contraire parfait lors du pas de deux du rêve ; au contraire, la scène finale est irriguée par une véhémence chorégraphiquement très maîtrisée, mais émotionnellement prenante. Les deux interprètes alternent tension et abandon (certains portés convoquent le souvenir l’effondrement de Manon mourante dans les bras de Des Grieux, autre grand rôle de Ganio).

Mlle Pagliero, qui fera bientôt, elle aussi, ses adieux au Ballet de l’Opéra de Paris, est toujours crédible en jeune fille ; sa scène de désolation-déploration à l’Acte II est sur le fil, comme une crise qui menace en permanence d’éclater. Mais elle touche aussi par son côté maternel : lors de la scène du duel Onéguine-Lenski, son regard est celui d’une Mater dolorosa. Le cri muet de cette madone tourmentée après qu’elle a congédié Onéguine nous hantera longtemps.

Ludmila Pagliero et Mathieu Ganio

La soirée bénéficie d’une distribution quatre étoiles : Léonor Baulac irradie en Olga à la jeunesse insouciante ; Marc Moreau, qui n’est pas le plus élégiaque des techniciens, a l’intelligence d’habiter de sens jusqu’à ses petites hésitations, ce qui sert le personnage. Les deux signent un pas de deux lyrique et fluide au premier acte.

Au début du bal de l’acte II, le poète et la cadette jouent à un « attrape-ma main si tu peux » similaire aux échanges primesautiers entre Albrecht et Giselle. Et le solo de Lenski – durant lequel un Moreau cambré-effondré se montre très émouvant – fait aussi écho à l’entrée au cimetière d’Albrecht à l’acte II du ballet de Coralli-Perrot.

Léonore Baulac et Marc Moreau

Que ce soit du fait de Cranko ou de l’humeur des adieux, tout convoque donc le souvenir d’autres ballets, d’autres soirées. Celle-ci, mémorable, se termine par une immense ovation ; sous une pluie d’applaudissements qui aura duré quasiment 20 minutes depuis la chute du premier confetti, Mathieu Ganio salue avec classe et élégance son public et sa compagnie.

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Mayerling : bilan tardif

Les Balletotos se sont cotisés pour voir trois distributions différentes du Mayerling de Sir Kenneth MacMillan. Tels des boas constrictors qui auraient mis du temps à digérer leur proie volumineuse, ils se résolvent enfin à vous en rendre compte. Fenella est enragée, Cléopold assommé et James… juste tombé sur la tête?

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JamesJames : représentation du 30 octobre 2024.

J’ai trouvé la recette pour passer une bonne soirée à coup sûr : voir le spectacle à travers les yeux de quelqu’un d’autre. J’ai longtemps hésité à revoir Mayerling, dont j’avais fait une overdose lors de son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris. Pour cette année, une revoyure serait le maximum. J’ai même failli revendre ma place, mais une charmante amie qui avait pourtant une journée bien chargée a insisté pour découvrir l’œuvre, et je ne pouvais pas la laisser en plan. Et me voilà arpentant tous les couloirs et escaliers de Garnier – et il y en a de lépreux – pour narrer les nombreuses péripéties de chaque acte, détailler les interactions entre les personnages, donner des pistes pour reconnaître les perruques, tenter de rabouter tout cela à la géopolitique de l’Empire austro-hongrois, avant qu’il soit temps de nous faufiler en troisièmes loges.
Et là, miracle, la magie du spectacle opère. À chaque instant, je vérifie que les épisodes annoncés (« tu vas voir, dans la scène du bal, Rodolphe danse, non pas avec son épouse, mais avec la sœur de celle-ci ! ») sont compréhensibles, et du coup, suis attentif au moindre détail (tiens, je ne souvenais pas ce qui déclenche cette entorse à l’étiquette : sa mère, déjà, lui manifeste une horrible froideur). C’est comme si l’œil brillant de ma voisine contaminait mon regard. De blasé, me voilà neuf.
Oh, tout n’est pas parfait. Les quatre zigues qui harcèlent le prince pour lui faire embrasser la cause de la Hongrie manquent de rudesse et ne dansent pas toujours ensemble (ils seront plus à leur aise à l’auberge au deuxième acte ; il s’agit de damoiseaux Busserolles, Lopes Gomes, Marylanowski et Simon).

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Mathieu Ganio et Héloïse Bourdon. Répétition à l’amphithéâtre Olivier Messian. 12 octobre 2024.

Mais il y a Mathieu Ganio, dont on voit cette saison les derniers feux ; le danseur-acteur donne toute la palette de son art dans le rôle du prince Rodolphe. On voit à travers lui la morgue, la rage, les doutes, la névrose. À chaque pas de deux – et il y en a de nombreux – il adapte son style à sa partenaire et à la situation de cœur de son personnage : dragueur insolent avec la princesse Louise (Ambre Chiarcosso), il est las mais sensuel avec son ancien collage Marie Larisch (Naïs Duboscq), avant de se faire effrayant et glaçant de violence dédaigneuse avec son épouse Stéphanie (Inès McIntosh très touchante en fétu de paille). Approchant sa mère (Héloïse Bourdon, toute de grâce avec tout le monde et toute de glace avec lui), on le voir redevenir enfant. Au deuxième acte, lors de la scène de la taverne, il fait montre d’une élégance inentamée aussi bien pour son solo de caractère que lors du duo avec Mitzi Caspar (une Clara Mousseigne un poil trop élégante).

Alors que la névrose du prince progresse, Mary Vetsera prend son ascendant : Léonore Baulac incarne avec une crâne détermination le seul personnage qui dialogue d’égale à égal avec le prince ; le passage où elle inverse les rôles (Rodolphe avait terrorisé Stéphanie avec un pistolet, elle fait de même) scelle le pacte de mort qui occupera le dernier acte. Dans le rôle de Bratfisch, serviteur fidèle de Rodolphe, Jack Gasztowtt est presque trop grand et élégant, mais il habite avec précision sa partition, et avec sensibilité son rôle d’amuseur (2e acte) qu’on ne regarde plus (3e acte).

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cléopold2Cléopold : représentation du 5 novembre 2024.

Sans doute parce que je n’avais pas comme l’heureux James pour sa soirée une charmante voisine à mes côtés, je n’ai pas eu d’épiphanie face au mastodonte Mayerling. Le ballet apparait toujours avec ses mêmes gros défauts, sa myriade de personnages accessoires, notamment féminins, le tout encore aggravé par cette spécialité de l’Opéra de distribuer les rôles plus selon la hiérarchie de la compagnie que selon la maturité physique des interprètes. C’est ainsi que le 5 novembre, dans son pas de deux du « dos à dos » avec Rodolphe, Célia Drouy, par ailleurs fine interprète, a l’air d’être la petite sœur de son partenaire et non sa mère. Sylvia Saint-Martin tire son épingle du jeu en Marie Larisch. Sa pointe de sécheresse donne à l’intrigante comtesse une image vipérine qui s’accorde avec le premier pas de deux qu’elle a avec le prince héritier tout en enroulements-déroulements – notamment le double tour en l’air achevé en une attitude enserrant le partenaire- . Marine Ganio est quant à elle très touchante ; aussi bien dans son solo de jeune mariée où, malgré les signes contraires donnés pendant le bal, elle espère encore trouver dans le prince héritier un mari, que dans le pas de deux « monstre à deux têtes » de la chambre nuptiale.

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Marine Ganio (Sophie), Francesco Mura (Bratfisch) et (? ahhh La confusion des personnages multiples et vides)

On l’aura compris, on se raccroche au pas de deux comme un marin naufragé aux planches éparses du navire englouti. MacMillan reste un maître incontesté du genre. Et qu’importe si chacun des personnages féminins qu’il dépeint à part peut-être Mary Vetsera se voit refuser toute progression dramatique. Chacune d’entre elles reste l’allégorie d’un type de relation avec le prince héritier.

C’est pourquoi on ne voit guère en Mayerling qu’une tentative ratée de surenchérir sur le succès de Manon, créé quatre ans auparavant. La scène la plus emblématique de cet échec est à ce titre celle de la taverne qui tente de transposer, de manière pataude, l’acte « chez Madame » de Manon. En effet, on y trouve une myriade de prostituées qui se dandinent et se chamaillent. Un personnage masculin secondaire exécute une variation aussi bouffonne qu’acrobatique (Francesco Mura donne à ce numéro de Bratfisch une jolie bravura, entre relâché –les roulis d’épaules- et énergie coups de fouet des sauts). Un personnage secondaire féminin danse une variation sensuelle (Clara Mousseigne atteint les critères techniques du rôle sans parvenir à donner corps à sa Mizzi Caspar). Un quatuor de messieurs fait des grands jetés dans tous les sens (Les Hongrois de carton-pâte qui jusque-là ressemblaient plutôt à des polichinelles sortant de leur boite – MacMillan aurait mieux fait de ne pas aborder le volet politique si c’était pour le traiter de cette manière). La police vient enfin gâcher la fête.

Seulement voilà, dans Manon, la scène chez Madame vient faire avancer l’action : des Grieux, voit sa fiancée volage revenir à lui. Lescaut, qui favorise ce retour de flamme après avoir été la cause même du départ de l’héroïne, perd la vie. Manon est arrêtée et va être déportée en Louisiane. Dans Mayerling, la scène n’apporte pas grand-chose au développement de l’action. Que nous importe que Rodolphe propose le suicide à Mizzi Caspar quand la chorégraphie ne nous a suggéré aucune vraie intimité, même sensuelle, entre les deux personnages. Peut-être aurait-il dû proposer le marché à Bratfisch. Cela aurait, peut-être, donné une raison d’exister à ce personnage accessoire se résumant à ses deux variations.

Invariablement, cette scène inutile émousse suffisamment mon attention pour me trouver indifférent à un moment pivot du ballet, celui du salon de la Baronne Vetsera où, durant un tirage de cartes truqué, Marie Larisch finit de tourner la tête à la jeune écervelée Mary Vetsera – le rôle féminin principal- qui, depuis le début du ballet, ne faisait que passer.

Il faut donc attendre la moitié de la soirée pour rentrer dans le vif du sujet et c’est sans compter encore deux autres scènes parfaitement inutiles : la réception au palais de la Hofburg où on nous inflige tous les proches et illégitimes de la famille impériale (en amant de Sissi, Pablo Legasa est grossièrement sous employé) et la scène à la campagne  (beaucoup de décors et de figurations pour un coup de fusil).

C’est un peu comme si MacMillan, qui avait su condenser la Manon de l’abbé Prévost, n’avait pas su sélectionner les épisodes les plus significatifs qui ont conduit le prince au tombeau. Un ballet n’est pas un livre d’Histoire et multiplier les notes de bas de page ne fait assurément pas une bonne histoire.

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Hohyun Kang et Paul Marque (Mary et Rodolphe).

Mais venons-en –enfin !- aux personnages principaux. En Rodolphe, Paul Marque, assez compact physiquement, torturé et introverti, nous crée des frayeurs au début du ballet. Il cherche ses pieds lors de sa première variation (ses chevilles tremblent sur les pirouettes et même en échappés). Le pas de deux avec la sœur de Stéphanie (Luna Peigné) est un peu périlleux avec des décentrés ratés. On craint un peu pour la jeune danseuse. Cela s’améliore par la suite. Paul Marque joue très bien la maladresse et l’inconfort. Il semble déplacé au milieu de tous ces ors et ces fastes. Il est même touchant dans la scène de chasse, avalé qu’il est par son lourd manteau et sa toque. Il est aussi un morphinomane poignant mais convainc moins en Hamlet sur Danube, dans ses confrontations avec le crâne.

Pour le drame, on se repose alors sur Hohyun Kang qui, assez charmante et lumineuse dans ses premières scènes de presque figuration, se mue assez vite en liane à l’élasticité toxique. Sa Mary est un petit animal qui ronronne et griffe tout à tour. A l’acte 3, la scène de la mort, avec ses portés-synthèses de tous les autres pas de deux avec les autres interprètes féminines, est d’un effet monstrueux.

Mary-Hohyun accrédite l’idée d’un vrai sacrifice consenti. Elle semble rester complètement dans l’exaltation jubilatoire du suicide romantique. Je préfère la version où la jeune fille recule au dernier moment et est emportée par la folie de Rodolphe qu’elle a activement encouragée. Le choix présenté par Kang et Marque est cependant très valide.

Mais Dieu qu’il faut patienter pour en arriver là ; et que de fois on a cru sombrer dans les bras de Morphée avant ce dénouement.

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Hoyun Kang (Mary), Paul Marque (Rodolphe) et Silvia Saint-Martin (Marie Larisch).

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FenellaFenella : soirée du 13 novembre 2024

SHOOT! 

Mayerling by Sir Kenneth MacMillan, Paris Opera Ballet at the Palais Garnier, November 13th, 2024. 

Even if you put a gun to my head, I will never ever go see this ballet again. 

The potential dramatic arc keeps shooting itself in the foot as hordes of pointless people keep disturbing the crime scene. This cacophony of characters only serves to distract and, worse, confuse an audience unversed in the minutiae of minor late 19th century Central European history.  

During the early scene at a ball, once again I just kept trying to guess who’s who, as did the two women sitting in front of me who were leaning in and actively chatting to each other. “Archduchess Gisela,” seriously? Who?  Who cares? Who even cared back then? The character is a non-character, a company member who was just wasted playing a titular extra. (At least 18 roles have names in the cast list).

 So there. Now back to the topic at hand. What I saw. And it didn’t start well. 

Then, after having been absolutely gobsmaked by an Emperor Franz Joseph doing heavy squats in second when he was supposed to be leading a Viennese waltz with upright elegance, I started to sink down in my seat. I will not out the very young dancer who perpetrated this assault on the waltz as either he was not, or was seriously badly, coached. Clearly, more attention was paid to his wig and costume. If you are going to be so historically correct that you give specific names to minor characters…maybe you should pay attention to little details such as how a waltz is properly danced? 

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Curtain calls. The too many characters

Oh yes. The leads.  

Germain Louvet as Crown Prince Rudolph nailed it. He’s grown into his talent. He’s gone from being a youthfully pretty star into this manfully expressive artist, all without losing a sliver of his lines and elan. He’s really in the zone right now and, despite the fact that I think this ballet is a total waste, he made it work for us in the audience. From his first entrance as Rudolf, Louvet set out a complicated but readable persona: already anguished, brusque; very proper manners if required but clearly not a fool, not naive (and not as mad as others, such as his mother, assume he is).  

 As his mother, Empress Elizabeth, Camille Bon did impose a calm presence. You could tell she was his mother from scene to scene, no matter what the hat or hair. In their only intimate encounter, the one in her bedroom, there was no doubt that this woman hated to be touched by her son. The little kiss goodbye on the forehead never fails to pin down what kind of mother the dancer has shaped. Alas, later on, when Elizabeth dances pointlessly with a lover who suddenly pops up in the deserted ballroom, neither radiated charisma (not to mention desire). Why not just ERASE Sissi’s pointless boyfriend “Colonel Bay Middleton” Cast member #9? I wanted to remove him at gunpoint. No one in the audience has ever been able to tell who the hell he is supposed to be. 

As Rudolph’s battered bride, Countess Stephanie, Inès McIntosh proved naively helpless, but not hopeless and definitely not a ninny. You started to cheer for her: if only her new husband could tell that she’s just as melancholic as he is! Just not as crazy. And if only her new husband could see that her body does match his in lines and energy. Both Louvet and McIntosh have an unassuming way of lifting and extending their legs that makes the high lines seem natural. Neither of the two kicks or flings their legs about needlessly. Their extensions soar up softly and take time to soak in the music. They’d make a nice couple, given a chance.  

Heloïse Bourdon, whom I had once seen playing Rudolfs’s mother with cold fire, was unrecognizable (in the best way) here as Countess Larisch. Healthy, sane, pragmatic – you almost could imagine that the Habsburg Empire wouldn’t have fallen if she’d been Franz Joseph’s Pompadour rather than Rudolph’s enabler. Actually, her countess seemed more wry and disabused than enabling. Yes, a Pompadour: elegant, smart, knows someone will always hate her for where she comes from. 

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Mayerling. Curtain Call.

By first intermission, I was already thinking about the busy 1953 Warner Brother’s cartoon Duck Amuck, where Bugs Bunny progressively erases Daffy Duck. And now, please, for Act Two: 

CUT the tavern scene with Mizzi Caspar, which provides zero dramatic purpose or emotional payoff. I mean, this endless scene finally fizzles out when Mizzi — whom we have not seen before …and will never see again – gets taken home by another man who probably has a name in the program? He might be #10 or #11, who cares? Waving papers around (ooh, plot clue) is something to be saved for a close-up in a BBC miniseries.  

As Mizzi, however, Marine Ganio infused her persona with the voluptuous Viennese charm of what they call “Mädls:” « Girlies » with hearts of brass.  

Some can even manage, like Ganio, to be one of the boys when dancing to Liszt’s Devil’s Waltz with four pointless Hungarians.  [Don’t even ask me about the score. I want to burn it]. OK, maybe do not FULLY ERASE the tavern scene entirely but please:  just EDIT OUT these “Hungarian” Jack In The Boxes from the entire ballet. I was rather annoyed that James did not find them rough and rustic enough. Le Sigh, they are supposed to be noblemen aka elegantly sinuous whisperers, not tough guys. 

Louvet’s Rudoph was the happiest and least tormented when dancing with Marine Ganio’s Mizzi, even when he was pulling her in too manaically. Their yearning to stretch matched, their arms – even when in tight couronnes — matched. There was a story ready to be told here, but that would have been a different ballet. 

Please CUT the ennnndless scene of the Habsburg Fireworks and thereby CUT the out-of-place diva impersonating “Katharina Schratt”, Franz Joseph’s actress mistress, as she sings to boring effect to live piano accompaniment.  And CRUMPLE UP AND THROW OUT: The Hunt, oh god please. OK, Rudolph killing someone, by accident or on purpose,  is based on a true story. As the guy already is a drug and sex addict, syphilitic, and just plain nuts, does this excuse to make a prop gun go pop…add anything to the narrative?  

Most of all: CUT CUT CUT Bratfisch, the loyal coachman, OR at least please give him enough to do to make him identifiable! As is, he is a 5th  Jack In The Box, but a lonely one who dances alone. As this character is 8th out of 18 in the playbill you might not notice that he was the first guy you saw on the snowy stage of Act One Scene One. Antoine Kirscher, eh? Didn’t he also get cast as the naughty coachman (aka the guy with a horsewhip) in Neumeier’s La Dame aux camellias? Here Kirscher couldn’t quite make as much of a sassy statement in the endless tavern scene, hampered by the fact you had no idea who he was supposed to be. Now seriously dated Groucho Marx references don’t help the younger ones in the audience.  Nor could you tell that the sad guy in the last scene in the churchyard was someone you’d seen before. Even with two solos, it’s a non-role and no dancer, none, has been given enough to chew on to really make it work.  

Oh, and by the way, one of the many pretty girls who’d been popping in and out for at least an act and a half then turns out to be the starring female role: Mary Vetsera, the last of Rudoph’s mistresses, the only one who turns out willing to die with/for him. Bluenn Battistoni. Clearly not naïve: she’s a girl of our time who has seen too much perversion on the internet that she thinks  doing  “x”(spellcheck just censored me) on a first date is normal. Battistoni’s Mary was clearly not a drama queen with death wish either. Just a girl…and perhaps Louvet’s Rudolph was a bit too careful with his ballerina during the final flippy- flappy too-much is not enough MacMillan partnering.   

Honestly, by the time the action got around to Mary, at some point after the tavern or  the hunt, I must have been weirdly smiling: I was now thinking about that 1952 cartoon “Rabbit Seasoning” where Bugs asks his nemesis whether Elmer Fudd should shoot him now or shoot him later. If this ballet ever shows up in the Paris Opéra repertory again, I swear I shall scream, like Daffy Duck, “I demand that you shoot me now!

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Programme d’Ouverture du Ballet de l’Opéra : Soir de Fête ?

P1220695Le programme William Forsythe – Johan Inger ouvre la saison du ballet de l’Opéra. Il signe le retour du « Maître de Francfort » à la grande boutique, qu’il avait plutôt boudée depuis le départ fracassant de Benjamin Millepied, éphémère directeur de la Danse, en 2016. Il permet également l’intronisation d’un chorégraphe trop longtemps laissé en dehors du répertoire, Johan Inger, à qui José Martinez, alors directeur de la Compania Nacional de Danza, avait commandé une création réussie, Carmen, présentée au Théâtre Mogador en 2019. En cela, le directeur de la Danse répare donc une injustice.

Mais on doit également à José Martinez la correction d’une autre injustice, celle de la raréfaction de la présentation du Grand défilé du corps de ballet de l’Opéra au public « ordinaire » (entendez celui qui ne prend pas de place pour le très cher gala d’ouverture). Cette saison, le programme du Gala aura été répété deux fois, donnant plus d’occasions à la compagnie et au public de se rendre mutuellement hommage.

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Le défilé, un cérémonial propre au ballet de l’Opéra, a été créé une première fois par Léo Staats sur la marche de Tannhäuser de Wagner en 1926 avant d’être repris et pérennisé avec le concours d’Albert Aveline, cette fois-ci sur la marche des Troyens de Berlioz, en 1946.

Tout produit du XXe siècle qu’il soit, il est pourtant une réminiscence d’une tradition beaucoup plus ancienne. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les danseurs, alors masqués, venaient en effet en préambule d’une représentation se présenter au public en faisant trois fois le tour de la scène (les hommes les bras croisés et les femmes agitant leur éventail). Le défilé, avec sa descente hiérarchisée des danseuses puis des danseurs n’est pas sans évoquer également le ballet équestre, l’une des formes initiales du ballet royal. Cette référence, peut-être inconsciente, établit pourtant entre les us et coutumes du passé d’ancien régime et l’époque contemporaine, un rapport de continuité troublant.

Interrogée ce week-end à l’amphithéâtre Bastille lors d’une répétition publique sur Mayerling au sujet de la différence entre les danseurs anglais et les danseurs français, Dana Fouras, la coach du Royal Ballet, a diplomatiquement répondu : « Disons pour ce qui est de ma génération, nous étions souvent des aspirants acteurs qui se sont découverts danseurs alors qu’ici, nous avons avant tout des danseurs ». Et il est vrai que, comparé à d’autres compagnies, le ballet de l’Opéra du XXIe siècle présente encore en priorité de « la belle danse » avant de chercher à raconter une histoire. C’est cela, l’École française…

En termes de Belle danse, notons que pour le défilé du 9 octobre, plus pourvu en étoiles que le soir du Gala, l’École de danse de l’Opéra défile avec plus de rigueur que le Ballet lui-même où on a à déplorer quelques lignes par trop sinueuses notamment chez les dames… Autre constatation, quand on est placé un peu haut et un peu loin du proscenium et qu’on est équipé d’un appareil de moindre qualité, il y a les danseurs qu’on photographie et ceux qu’on rate. J’ai ma petite théorie que la difficulté d’obtenir la netteté  du cliché est inversement proportionnelle à la qualité du danseur ou de la danseuse… Dans le ballet, on n’est pas là pour poser mais pour présenter un flot ininterrompu de mouvements. Myriam Ould-Braham était ainsi quasiment impossible à photographier… Certains des clichés qui suivent ont demandé beaucoup de corrections; d’autres nettement moins… Je n’avouerai pas lesquels.

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Autre passage obligé de la soirée de gala, la pièce d’occasion, costumée depuis déjà quelques années par la maison Chanel.

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Word for Word. Jack Gasztowtt, Hannah O’Neill, Guillaume Diop, Valentine Colasante et Rubens Simon

Word for Word, du chorégraphe My’Kal Stromite n’est hélas qu’une pochade qui ne marquera pas l’Histoire de la Danse. Valentine Colasante et Guillaume Diop introduisent la pièce dans un langage néo-forsythien, avec force levés de jambes, décalés et poignet coquettement cassés sur fond de musique électronique à la Tom Willems qui évolue, à la mi-temps du ballet, vers de très traditionnels accords plaqués au piano. Les deux danseurs sont rejoints par Hannah O’Neill, Jack Gasztowtt et Rubens Simon qui égrènent la même gestuelle éculée tout en épaulements chics et ports de bras «  je parle à mes mains pour savoir laquelle des deux je préfère ». Une petite section « classe d’adage » après les acrobaties du mouvement d’ouverture et un final de dos en contre-jour du foyer de la Danse tout illuminé comme pendant le défilé viennent parachever l’œuvrette.

Les costumes de la maison Chanel ne feront pas date non plus. Ils montrent en négatif combien créer pour la mode est un métier différent de celui de créer pour le théâtre ; n’est pas Yves Saint Laurent ou Christian Lacroix qui veut. Il faut avoir une connaissance certaine du théâtre et de ses conventions. Gabrielle Chanel avait certes donné des costumes de sa collection de Bains 1924 pour le Train Bleu de Massine mais elle avait aussi affublé les danseurs d’Apollon musagète de Balanchine de bonnets de bains à fleur en 1928 ; pas nécessairement une réussite. Pour Word for Word, les danseuses portent de lourds tutus rose poudré qui, de loin, ont plutôt l’air vieux rose (une couleur qui ne va pas à tout le monde) et les danseurs ont des vestes sans manche qui évoquent celles des tailleur Chanel… C’est du vu et revu…

Les applaudissements sont polis…. On commence la soirée déjà passablement irrité…

[A SUIVRE]

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Robbins à l’Opéra 2/3 : In the Night. Mes nuits sont meilleures que les vôtres

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In the Night. Saluts. Soirée du 26 octobre 2023.

Le programme Robbins au ballet de l’Opéra de Paris s’est achevé le vendredi 10 novembre. En Sol (1975), In the Night (1971) et Le Concert (1956), des ballets faisant partie du répertoire récurent de l’Opéra, avaient déjà été réunis en 2008 lors de l’hommage au chorégraphe pour les dix ans de sa disparition. Ils étaient alors associés à Triade, une pièce de l’étoile montante de l’époque, aujourd’hui déchue dans la grande boutique : Benjamin Millepied.

Vos serviteurs ont vu quatre soirées de ce programme. Ils ont décidé de consacrer un article par ballet.

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Cléopold. Soirées des 26 octobre et 1er novembre.

In The Night est également un élément du répertoire solide de l’Opéra de ces trente dernières années. L’entrée au répertoire de ce chef d’œuvre, en 1989, a d’ailleurs marqué le début d’une lune de miel entre la maison et le chorégraphe qui ne s’est achevée qu’à la mort de celui-ci.

Pendant longtemps, l’essentiel de la distribution de la première parisienne a repris ses rôles dans les trois pas de deux qui constituent le ballet.

Ce qui a sans doute attiré Robbins dans cette génération de danseurs, c’était sans doute la ductilité infinie de leur technique. Avec In The Night version Opéra de Paris, on voyait une danse plus abstraite que ce que pouvaient présenter d’autres compagnies.

Pourtant, le drame n’était pas absent, loin s’en faut de l’interprétation parisienne d’antan. Dans le premier pas de deux, Monique Loudières avec Jean-yves Lormeau ou Manuel Legris, silencieux et sans poids, découpaient comme au laser les positions de la subreptice confrontation des jeunes amants. Le porté au fouetté double attitude de la danseuse, le face à face « toréador » des deux tendrons (chacun souffre mais dans sa bulle) recentraient l’attention sur le drame suggéré par la musique de Chopin.

Il en était de même dans le deuxième pas de deux. Elisabeth Platel aux bras de Laurent Hilaire, parfaits d’élégance aristocratique (j’ai encore dans l’oreille le bruit sourd de la pointe posée en quatrième derrière) donnait à la section des doutes une dynamique presque violente. Les ports de bras d’après les pirouettes sur pointe de la danseuse étaient aussi claquants qu’un reproche cinglant. Le porté tête en bas, très haut porté, contrastait tout à coup avec les petits frappés sur le coup de pied qui ne s’arrêtaient pas lorsque la ballerine regagnait le sol dans une position plus naturelle. On avait assisté à une explosion longtemps contenue sous le vernis des bonnes manières. Cette explosion de passion, répondant à l’affolement pianistique, préparait le troisième pas de deux pour Isabelle Guérin aux bras de Wilfried Romoli (qui remplaçait Jean Guizerix qui avait créé le pas de deux à la toute fin de sa carrière) et son tourbillon d’entrées et de sorties intempestives et son festival de portés aériens.

Combien de fois ai-je vu cette distribution ? Deux fois peut-être… Elle a pourtant inscrit dans le marbre mon ressenti d’In the Night sans m’empêcher d’apprécier les qualités d’autres distributions. Par la suite, Laurent Hilaire est passé du deuxième au troisième pas de deux aux côtés de Guerin, Platel a dansé avec Kader Belarbi puis avec Nicolas Le Riche (avec moins de succès. Leriche était un partenaire plus efficace que subtil). Delphine Moussin m’a également ému dans le deuxième et le troisième pas de deux ; et Carole Arbo dans le deuxième, si élégante et vibrante à la fois…

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Programme de l’opéra des années 90. La distribution d’origine d’In the Night. Photographies Jacques Moati (Loudières-Lormeau / Platel-Hilaire) et Rodolphe Torette (Guerin-Guizerix).

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Pour cette reprise 2023, force m’est de reconnaître que rien ne restera inscrit dans mes tablettes de manière indélébile. L’abstraction musicale n’était pas toujours au rendez-vous mais surtout, la plupart des couples de mes deux soirées auront manqué cruellement de « drame ».

Dans le premier pas de deux, le soir du 26, on retrouve la forme voulue par Robbins. Sae Eun Park développe une appréciable immatérialité (elle qu’on trouve en général pesante dans les portés) aux côtés de l’excellent partenaire qu’est Paul Marque. Mais le fond n’y est pas. On admire le partenariat mais on ne voit pas nécessairement de connexion dans ce couple. Le 1er novembre, on apprécie le mal que se donne Sylvia Saint Martin pour arrondir ses angles. Sa danse est moins sèche que dernièrement. On aime chez Pablo Legasa la ligne princière, la délicatesse de la musicalité et la chaleur de l’interprétation. Mais sa partenaire, toute dédiée à la correction de la forme, n’y réagit pas tellement.

Le deuxième pas de deux est sans doute celui qui laisse le plus à désirer. Le 26, Ludmila Pagliero et Mathieu Ganio soulèvent quelques espoirs au début. « Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté », pense-t-on. Puis l’épisode des doutes est dansé exactement sur le même ton, avec les mêmes inflexions élégantes par les deux danseurs, vidant le pas de deux de toute sa tension. Le 1er novembre, c’est presque pire. Léonore Baulac et Germain Louvet récitent une leçon bien apprise. A aucun moment on n’imagine un couple qui a un vécu derrière lui et quelques nuages à dissiper. L’interprétation de la pianiste nous en semble encore plus plate que le premier soir, c’est tout dire…

Ceux qui s’en sortent le mieux lors de cette reprise, et auraient sans doute marqué davantage s’ils avaient été mieux entourés, sont les interprètes du troisième couple, d’emblée plus démonstratifs. Le 26 octobre, Amandine Albisson, merveilleuse femme blessée, et Audric Bezard, véhément contradicteur, se déchirent, se fuient et se retrouvent, relevant un ensemble sans cela fort terne. Lors de la matinée du 1er novembre, Hannah O’Neill est passionnée et musicale en face d’un Florent Melac dont la sensibilité émeut tandis qu’on apprécie ses qualités de partenaire.

Mais un pas de deux sur trois ne peut sauver un ballet. La section finale, où les trois couples se retrouvent sur scène, se jaugent pour revenir sur le passé ou envisager l’avenir, me laisse aussi froid qu’un amant au dernier stade du désamour.

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Le soir de ces deux représentations auxquelles ils ont assisté ensemble, Fenella et Cléopold pensaient qu’ils n’étaient pas exactement toujours sur la même longueur d’onde; particulièrement sur les dames. Mais finalement …

Fenella

October 26

Pas One. Paul Marque’s body and soul reached out to his partner even as he had his back turned. Sae-Eun Park seemed softer, much less semaphoric, than up until now. Good! Better! Now it’s time for her to learn Marque’s art of avid partner echolocation and let herself lean back into it all.

Pas Two started out with a promisingly elegant entrance. But Mathieu Ganio started to zone out and then – was this due to the dreadfully gummy piano playing? – Ludmila Pagliero became utterly earthbound. When those thundering chords (didn’t) come crashing down, the couple simply continued to dance next to each other. Due to someone’s sluggish timing, Robbins’s chiselled and playfully dramatic shifts and lifts lost their surprise factor and the whole thing seemed to go nowhere. I pretty much missed that spectacular one where he sweeps her up, literally upside down. That should be a “whoosh goddamn wow how can that happen!” moment. Instead, Pagliero was carefully and too slowly hauled up into what was a rather approximate position. And then she got loaded back down onto the ground. To say it was anticlimactic is putting it mildly.

Pas Three, I put my notebook away, sensing that if Amandine Albisson and Audric Bezard were going to do it, I’d start to gush. I will now gush again as to how the un-promoted Premier danseur Bezard continues to dance and partner more like a magnetic movie star than most of the other male “étoiles.” Here was the connection, here was the drama, here was the human element that I had been waiting for all evening so far. Whether Bezard was wrapping his hands around Albisson either to pull her tight or push her away, his partner was equally in the moment, equally responsive to her lover’s body language. Film is twenty-four frames per second and here this was happening on stage. The manner in which he pulled a fraction of a second back when she gently laid her hands on him spoke for them both.

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In the Night. Costume féminin pour le premier pas de deux. Antony Dowell.

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November 1

Pas One.

Pablo Legassa is yet another gentleman partner, stretching into the music and filling out each phrase as he hovers, with restrained and melodious desire, around his partner. This may sound weird, but I could almost hear Antonio Banderas’s rich and enveloping voice. But Sylvia Saint-Martin? She anticipated the music with a kind of spindly energy and her arms – her hands! – proved…crisp and kind of crinkly. Legassa concentrated so hard on this expressionless partner (she seemed to be saying “Please don’t take it personally, but I need look at the floor and not you because I want to look romantic”) that for me this misalliance became upsetting to watch.

Pas Two is about a couple who gently know each other all too well. Léonore Baulac and Germain Louvet certainly do, but that friendly studio feeling just doesn’t always, alas, necessarily carry out into the house either. As an onstage couple, this lack of “wow” has been the case before. They just don’t excite or inspire each other, even as they easily carry out all the steps and curves and lifts. Well, sort of. Louvet seemed to set Baulac off axis during almost all the turns. Well, at least the essential upside-down lift got timed right and was seen by the audience.

Pas Three. Here Hannah O’Neill seemed freed up and something happened between her and her both eager and bemused partner Florent Melac. “Ready, willing, and able,” he was up for anything that her nice but confused drama queen threw in his direction. Melac connects, he cares. Under the surface of all the wind-milling, O’Neill responded in kind. This was a real couple.

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James a sans doute été plus heureux dans ses distributions qui, pour imparfaites qu’elles soient, donnent à penser. Enfin pas trop. On vous le répète, James est un homme pressé …

James

Des trois couples qui peuplent In the night, j’avoue une tendresse pour le premier : c’est le moment de la rencontre des planètes (le mouvement du tout début me fait toujours penser à l’évolution des corps célestes) et de la naissance miraculeuse de l’amour vrai. Myriam Ould-Braham et Paul Marquet tiennent en équilibre sur le balancier : leur danse est fraîche et juvénile, mais dégage aussi une sereine assurance, celle d’avoir rencontré l’être aimé (25 octobre). À l’inverse, Bianca Scudamore penche clairement vers la certitude : voilà une fiancée altière, qui (pro)mène déjà son promis à sa guise (Guillaume Diop, comme éteint en trophée-suiveur de la donzelle, 10 novembre).
Le deuxième couple fait mon envie : son unisson serein, à la limite du barbant, est presque trop bien rendu par Valentine Colasante et Marc Moreau (25 octobre), alors qu’Héloïse Bourdon et Audric Bezard laissent davantage voir les arêtes : à tous égards, ils font montre de davantage de caractère (10 novembre)
Le troisième couple, celui des doutes, m’est le plus émouvant. Dorothée Gilbert et Hugo Marchand l’interprètent fortissimo : on dirait Kitri et Basilio al borde del ataque de nervios (25 octobre). Bleuenn Battistoni et Thomas Docquir jouent une partition bien plus subtile : on y voit l’amour poivré d’agacement, la lassitude teintée d’espérance, ça reste sur le fil ; pour couronner le tout, le partenariat est à la fois équilibré et fougueux, avec des portés-enroulés-envolés d’une grande fluidité.

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In The Night (1971). Costume féminin du deuxième pas de deux.

Commentaires fermés sur Robbins à l’Opéra 2/3 : In the Night. Mes nuits sont meilleures que les vôtres

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Les Balletos d’Or de la saison 2022-2023

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Gravure extraite des « Petits mystères de l’Opéra » par Alberic Second. 1844

Ils sont chaud-bouillants d’un côté, pluvieux-venteux de l’autre, mais il ne s’agit pas des conditions météos du jour dans l’Hexagone. Ils sont cuits à l’extérieur et crus à l’intérieur, mais ce ne sont pas des canelés. Ils sont polis en apparence et piquants en vérité, mais ce ne sont pas des piments. Ce sont, ce sont… les Balletos d’Or de la saison 2022-2023. Ne vous bousculez pas, il y en aura pour tous les goûts.

Ministère de la Création franche

Prix Création/Collaboration : Wayne McGregor (chorégraphie), Thomas Adès (musique), Tacita Dean (décors et costumes), Lucy Carter, Simon Bennison (lumières) et Uzma Hameed (dramaturgie) pour The Dante Project (London/Paris)

Prix programmation : Kader Belarbi  pour l’ensemble de son œuvre au Ballet du Capitole de Toulouse.

Prix Relecture : Martin Chaix (Giselle, Opéra national du Rhin)

Prix Réécriture : Kader Belarbi et Antonio Najarro revoient les danses de caractère de Don Quichotte (Ballet du Capitole de Toulouse).

Prix du Chorégraphe Montant : Mehdi Kerkouche (Portrait)

Prix Logorrhée : Alan Lucien Øyen (Cri de cœur)

Prix Chi©hiant : Pit (Bobbi Jene Smith / Orb Schraiber)

Ministère de la Loge de Côté

Prix Maturité : Paul Marque (Siegfried)

Prix C’est Arrivé ! : Hannah O’Neill (la nomination)

Prix Mieux vaut tard que jamais : Marc Moreau (la nomination)

Prix Et moi c’est pour quand ? : la versatile Héloïse Bourdon (Mayerling, Lac des cygnes, Études, Ballet impérial)

Prix Jouvence : Sarah Lamb et Steven McRae (Cendrillon d’Ashton)

Ministère de la Place sans visibilité

Prix Humour : Pam Tanowitz (Dispatch Duet, Diamond Celebration à Covent Garden)

Prix Adorable : Amaury Barreras Lapinet (Sancho dans DQ de Kader Belarbi et Loin Tain de Kelemenis. Ballet du Capitole de Toulouse)

Prix Lianes animées : Marlen Fuerte et Sofia Caminiti (Libra de George Williamson. Ballet du Capitole de Toulouse)

Prix de l’Arbre Sec : Sae Eun Park et Silvia Saint-Martin (ex-aequo)

Ministère de la Ménagerie de scène

Prix Bête de scène : Martin Harriague (Starlight. Biarritz)

Prix Pour qui sonne le glas: Le trio de bergers/bovins du Proyecto Larrua. (Idi Begi /Biarritz)

Prix Chaton rencontre un lion : Antoine Kirscher et Enzo Saugar (Le Chant du Compagnon Errant. Programme Béjart. Ballet de l’Opéra de Paris)

Prix Roi des Animaux : Audric Bezard (Boléro, Béjart).

Prix Guépard : Mathias Heymann (première variation de Des Grieux dans L’Histoire de Manon)

Prix Chatounet : Guillaume Diop (interprète un peu vert sur l’ensemble de sa saison)

Prix Croquettes : les distributions masculines de l’Hommage à Patrick Dupond

Ministère de la Natalité galopante

Prix Enfance de l’Art : Myriam Ould-Braham et Mathieu Ganio, merveilles de juvénilité dans L’Histoire de Manon

Prix Déhanché : Charline Giezendanner (Do Do Do, Who Cares ?).

Prix Débridé : Camille de Bellefon et Chun-Wing Lam (S’Wonderful, Who Cares ?).

Prix Boudiou ces Marlous: le corps de ballet masculin du ballet national du Rhin (Giselle, chorégraphie de Martin Chaix)

Prix Je t’aime moi non plus : Ariel Mercuri et Elvina Ibraimova (Demetrius et Helena dans le Songe de Neumeier à Munich).

Ministère de la Collation d’Entracte

Prix Velouté : Amandine Albisson en Manon

Prix Consommé : Le jeu de Pablo Legasa dans Le Lac des cygnes (Rothbart/Siegfried)

Prix Bouillon tiède : Laura Hecquet incolore en Sissi (Mayerling)

Prix Mauvaise Soupe : Concerto pour deux (chorégraphie de Benoit Swan Pouffer, musique de Saint-Preux)

Prix Onctueux : Natalia de Froberville en Dulcinée-Kitri (Don Quichotte de Belarbi)

Prix Savoureux : Philippe Solano en Basilio (Don Quichotte de Belarbi)

Prix Spiritueux : Marc-Emmanuel Zanoli en Espada (Don Quichotte de Martinez).

Prix Régime sans sel: la plupart des danseuses dans la prostituée en travesti à l’acte 2 de Manon.

Ministère de la Couture et de l’Accessoire

Prix de la production intemporelle : Jurgen Rose (Le Songe d’une nuit d’été de Neumeier, Munich).

Prix Brandebourgs et postiches : la pléthore de personnages à costumes dans Mayerling.

Prix Un coup de vieux : les décors et costumes du Lac de Noureev

Prix Mal aux yeux : la nouvelle production pour la Cendrillon d’Ashton (Royal Ballet)

Ministère de la Retraite qui sonne

Prix Tu seras toujours Garance : Eve Grinsztajn (dernier rôle dans Kontakthof, mais on se souvient encore des Enfants du Paradis).

Prix Reviens, Alain ! : Adrien Couvez (les adieux).

Prix Saut dans le vide : François Alu depuis longtemps en roue libre

Prix Étoile filante : Jessica Fyfe, les adieux, dans Instars d’Erico Montes (Ballet du Capitole de Toulouse). Belle prochaine saison au Scottish Ballet !

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Manon à l’Opéra : polysémie

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La saison 2022-2023 à l’Opéra Garnier se referme comme elle s’est ouverte avec un grand ballet de Kenneth MacMillan. Le chorégraphe britannique décédé il y a trente ans aura donc bénéficié d’une saison hommage fortuite (Mayerling était initialement prévu pour la saison 2019-2020) tandis que Rudolf Noureev, lui aussi disparu il y a trois décennies n’aura vu que son Lac des cygnes, à la production usée jusqu’à la corde, et une exposition de costumes dans les espaces publics du théâtre pour toute forme de célébration.

Néanmoins, à la différence du début de saison, on ne va pas bouder son plaisir. « L’Histoire de Manon » est un authentique chef-d’œuvre quand « Mayerling » n’en est que la copie boursouflée. Dans le ballet de 1974, l’action, très révisée par rapport au roman de l’abbé Prévost, coule de source. Contrairement à Mayerling, qui semble prendre en compte toutes les personnalités de notes de bas de page de l’Histoire, le nombre des protagonistes est resserré afin de se concentrer sur le destin du couple improbable que forment Manon et Des Grieux.

Le retour de Manon était pour le moins attendu. Le ballet n’avait en effet pas été repris depuis 2015. C’est un des défauts de la gestion du répertoire à l’Opéra, de favoriser la variété des propositions au détriment de la récurrence du grand répertoire. Le public a peut-être l’embarras du choix mais les artistes n’ont pas nécessairement le temps de faire leur un rôle. C’est dommageable dans un ballet comme Manon où même le plus petit rôle offre des possibilités de jeux et d’interactions. Avec un hiatus de huit ans, de nombreux principaux ont pris leur retraite et les jeunes interprètes qui remplissaient les rangs du corps de ballet sont devenus des artistes mûrs et ont changé d’emploi.

Cela se voyait un tantinet lors de la première effective (la première publique initiale ayant été annulée pour cause de grève) le 21 juin. Le corps de ballet paraissait en effet plus réglé que spontané. C’était mieux le 27 sans pour autant encore avoir ce flot naturel qui s’était développé lorsque les reprises avaient été assez rapprochées (en 1998, 2001 et 2003).

Mais venons-en aux distributions des principaux.

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Le 21 juin, le Des Grieux de Mathieu Ganio était très à l’aise au premier acte dans un registre qu’il a fait sien : l’interprète « soupir ». La clarté de sa ligne évoque un jeune homme sincère et naïf emporté par un élan du cœur à la vue de Manon.

On pense à ce passage du roman ou des Grieux dit :

« […] je me trouvais enflammé jusqu’au transport. J’avais le défaut d’être excessivement timide et facile à déconcerter ; mais loin d’être arrêté alors par cette faiblesse, je m’avançai vers la maîtresse de mon cœur »

Sa rencontre avec Manon nous a semblé tout à fait fortuite. Elle ne prend corps que lorsque Des Grieux se cogne dos à dos avec la jeune fille. Et ce soir-là, la jeune fille, c’était Myriam Ould-Braham.

La ballerine, déjà cristalline dans sa première variation dépeint une héroïne véritablement innocente même lorsqu’elle semble comprendre qu’elle plaît à son vieux galant de voyage. Sa rebuffade quand les gestes de ce dernier deviennent trop explicites dénote même de la surprise teintée d’effarement. Cette approche pure va bien au Lescaut de Pablo Legasa. On le trouvait presque trop élégant au début pour le rôle (sa première variation immaculée, avec ses sautillés et grands ronds de jambe de la quatrième devant vers l’arabesque est un plaisir des yeux), mais par la suite la clarté de sa ligne et de sa danse rendaient ses tentatives de maquignonnages d’autant plus cyniques et abjectes. On imagine que les parents de Manon qui ont confié la jeune fille à son frère sont bien loin d’imaginer à quel point leur aîné a mal tourné depuis qu’il est parti du foyer. Tant pis si on a été moins conquis par sa scène de soulographie à l’acte 2, dont les chutes étaient un peu prévisibles, aux côtés de la capiteuse Roxane Stojanov.

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L’Histoire de Manon : Roxane Stojanov (la maîtresse de Lescaut), Pablo Legasa (Lescaut).

La Manon d’Ould-Braham semble ne pas exactement comprendre le jeu que joue son frère. Dans son premier pas de deux avec Des Grieux et ses portés aériens, on verrait presque un cygne blanc. Durant le pas de duo de la chambre, on reconnaît les qualités d’innocence et cette projection des lignes qui sortent tout droit du registre éthéré ; au point qu’on se demande si la ballerine saura négocier le tournant plus capiteux que doit prendre son rôle.

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L’Histoire de Manon : Katherine Higgins (Madame), Florimond Lorieux (Monsieur G.M.)

Un premier élément de réponse est donné lors du pas de trois qui suit entre Manon, son frère et Monsieur GM (Florimond Lorieux, à la fois séduisant et repoussant en aristocrate arrogant et fétichiste). Ould-Braham parvient à allumer le désir sans déployer de coquetterie (une option souvent présentée par d’autres danseuses). Ses réticences sont impalpables mais réelles. On se surprend à scruter sa respiration… Pour échapper au scabreux du moment, elle se concentre sur les joyaux qui eux, brillent de mille feux.

A l’acte 2 chez Madame, Myriam-Manon semble réciter une leçon, celle de la courtisane entraînée. Mais aussi bien dans sa variation que dans son pas aérien avec les gentilshommes, elle semble absente à elle-même. Cela lui donne un côté mystérieux et lointain qui peut attirer les mâles, mais surtout, il se dégage de ce passage une grande tristesse. L’innocence de l’héroïne a été piétinée mais elle est toujours là. Résiliente. Mathieu-Des Grieux reste le naïf adolescent inexpérimenté qu’il était à l’acte un. Il se révolte quand sa compagne patiemment se résigne et attend. Les deux héros ne sont pas encore sur le même registre émotionnel mais les deux danseurs continuent de danser avec un merveilleux unisson. Quand Des Grieux a fini d’exprimer son désespoir et que Manon le contemple à ses genoux, la pose des deux danseurs a la même qualité dynamique. Ould-Braham et Ganio sont des danseurs qui dansent même lorsqu’ils sont à l’arrêt.

Mathieu-Des Grieux semble atteindre la maturité dans la seconde scène de la chambre à la faveur du départ précipité et de l’assurance de l’attachement de Manon. Le danseur relève avec brio le défi de la célérité imposé par la chorégraphie. Myriam Ould-Braham quant à elle est redevenue vibrante avec, de surcroit, une pointe de sensualité. La dispute du bracelet y gagne en intensité. C’est la première querelle d’adulte de ce couple.

A l’acte 3, Myriam-Manon, courtisane déportée à la Nouvelle Orléans, entre brisée, sujette à des sortes de spasmes d’oiseau abattu en vol sur lesquels on n’avait pas tant focalisé avec d’autres danseuses. Il se dégage pourtant de l’interprète une impression de résistance dans la faiblesse même pendant la très crue scène du geôlier. Ganio- des Grieux, toujours sur la lancée de sa scène 2 de l’acte 2 insuffle de la détermination et même de la rage dans son hyper-lyrisme.

Ceci est particulièrement sensible dans la scène du Bayou. De son côté, Ould-Braham joue avec son épuisement physique d’interprète pour mener sa Manon vers la mort. Ses marches sont tremblantes et hébétées mais ses sauts dans les bras de Ganio ont un élan qui leur confère une qualité métaphorique : c’est l’agonie du corps qui rend possible la plénitude du cœur.

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L’Histoire de Manon : Myriam Ould-Braham (Manon, Mathieu Ganio (Des Grieux).

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Le 27 juin, l’alchimie est toute autre. Mathias Heymann est un Des Grieux qui se révèle adulte dès qu’il pose les yeux sur Manon :

« Je reconnus bientôt que j’étais moins enfant que je ne le croyais. Mon cœur s’ouvrit à mille sentiments de plaisir dont je n’avais jamais eu l’idée ; une douce chaleur se répandit dans toutes mes veines ; j’étais dans une espèce de transport, qui m’ôta pour quelques temps la liberté de la voix et qui ne s’exprimait que par mes yeux ».

Et de fait, pendant la première variation de Manon, on ne peut s’empêcher de contempler Mathias-Des Grieux, à jardin, dévorant des yeux Léonore Baulac, elle aussi par essence différente de la Manon d’Ould-Braham. Plus séductrice, elle a déjà développé un jeu avec son frère (Antoine Kirscher, dont la pointe de sècheresse va bien à ce personnage sans scrupules) pour déplumer la gente masculine.

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L’Histoire de Manon : Arthus Raveau (le geolier), Bleuen Battistoni (la maîtresse de Lescaut), Antoine Kirscher (Lescaut).

Dans sa première variation Heymann est à la fois puissant et sur le contrôle. Ses arabesques projetées parlent de sa détermination à séduire. Le pas de deux est du même acabit. On est d’emblée dans le domaine des passions. Le flot de danse est continu et emporte le spectateur dans une sorte de vague. En même temps, Des Grieux semble plus amoureux de Manon que Manon de Des Grieux. En un sens, Baulac est une Manon plus conforme à l’abbé Prévost que ne l’est Ould-Braham. Elle n’hésite pas à séduire GM (Cyril Chokroun, parfait en aristocrate habitué à être obéi) durant la scène de la chambre même si l’on sent chez elle une forme d’aversion prémonitoire ; seule la fourrure et la rivière de diamants la font se détendre.

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L’Histoire de Manon : Cyril Choktoun (monsieur G.M.), Katherine Higgins (Madame).

A l’acte 2, chez Madame, Léonore-Manon se montre directement séductrice dans sa variation et tout à fait à l’aise dans ses interactions avec les gentilshommes. Elle met surtout beaucoup d’énergie à éviter les regards incandescents de reproche de Des Grieux-Heymann qui pourtant cisèle ses arabesques « aspiration » dans ses variations.

Pendant cette première scène de l’acte 2, Kirsher-Lescaut accomplit une très drôle scène d’ébriété avec des pertes de repère très crédibles et des chutes bouffonnes. En revanche, Bleuen Battistoni, fascinante de beauté et de précision, reste trop élégante à mon goût pour jouer la maîtresse de Lescaut. Hohyun Kang, avec un plié de verre, ne nous convainc pas non plus en petite prostituée travestie. En revanche le trio des gentilshommes (Fabien Revillon, Antonio Conforti et Nicola Di Vico) est roboratif.

La seconde scène de la chambre est intense. Heymann s’affole dans sa première variation comme sous le coup de la panique. En termes de sentiments, sur cette Manon, c’est plutôt Des Grieux qui est aux commandes

A l’acte 3, Léonore Baulac est une Manon plus brisée physiquement et hébétée que finalement tombée amoureuse de son Des Grieux. L’attrait de ce qui brille a néanmoins disparu comme en témoigne la terrible scène avec le geôlier (Artus Raveau, violent et abject lorsqu’il agite le bracelet au-dessus de sa victime comme un hochet). Heymann-Des Grieux est fiévreux et intense dans le désespoir qui suit le meurtre du bourreau de Manon : ses très larges échappés quatrième, les bras écartelés en l’air lui donnent l’air de Marsyas avant le supplice.

La scène du Bayou, elle aussi est intense. C’est comme si Des Grieux devenait les yeux de cette Manon aveuglée qui meurt brutalement d’épuisement. Léonore Baulac, qui peut se montrer parfois exagérément sur le contrôle avec certains partenaires nous gratifie ici de ses plus jolis relâchés. Quand elle est en confiance avec un partenaire, elle sait se montrer à fleur de peau et, de ce fait absolument émouvante.

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L’Histoire de Manon : Léonore Baulac (Manon), Mathias Heymann (Des Grieux).

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Vus à une petite semaine de distance, nos deux couples montraient en creux la richesse et la polysémie de l’œuvre de Prévost.

Les deux personnages principaux du roman sont en effet un sujet infini d’étude. Voilà en effet un héros vertueux et naïf qui accomplit toutes des actions bien peu recommandables et une héroïne dont on doit déterminer si elle est-elle amorale ou immorale et si elle aime ou préfère juste son amant de cœur.

Nos deux couples étoilés ont à la fois offert des visions fortes de leur personnage tout en conservant ces points d’interrogation.

Un tour de force en somme.

Commentaires fermés sur Manon à l’Opéra : polysémie

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Béjart à l’Opéra : une question d’interprètes

P1190185Dans les ballets de Maurice Béjart, il n’y a jamais eu, de l’aveu même du chorégraphe lui-même, grand-chose de novateur en termes de technique. Comme souvent, les grands moments de renouveau dans le monde du ballet ne se jouent pas sur le dépassement des limites physiques de cet art mais sur un nouvel éclairage ainsi que sur des métissages réussis. Balanchine a exploré et poussé à l’extrême le ballet symphonique déjà en germe dans la Belle au bois dormant de Tchaïkovski-Petipa tandis que Lifar poussait à ses limites les volutes décoratives des Ballets russes. Plus tard, Forsythe a ajouté la structure en boucle des enchaînements ainsi que des départs de mouvements inspirés de la kinésphère labanienne au vocabulaire du ballet.

Dans un sens, Béjart ne va même pas aussi loin que ces novateurs d’un art séculaire. Chez lui, ce sont les sujets abordés, les mises en éclairages de thèmes anciens, l’ancrage dans les thématiques du présent qui ont fasciné les foules. Ce principe a rencontré ses limites. Après les années 80, Maurice Béjart a perdu son flair de l’air du temps et ses créations sont devenues redondantes et fastidieuses. C’est l’époque où je suis devenu balletomane… Autant dire que le chorégraphe ne fait donc pas partie intégrante de mon panthéon chorégraphique.

Pourtant, à la différence de l’œuvre de Lifar qui est « d’une époque » dans le sens noble du terme, certains ballets de Béjart ont acquis une sorte d’intemporalité. La simplicité des procédés aussi bien chorégraphiques que scéniques provoque toujours l’adhésion du public pour peu qu’elle soit transmise par des danseurs inspirés.

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Oiseau(x) de feu : le difficile équilibre entre la force et la vulnérabilité

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L’Oiseau de feu. Soirée du 28 avril. Grégory Dominiak (le Phénix) et Francesco Mura (l’Oiseau)

L’Oiseau de feu est un ballet qui se veut une métaphore de l’esprit révolutionnaire (les huit partisans desquels émerge l’oiseau au troublant académique rouge portent des tuniques qui ne paraîtraient pas déplacées dans Le Détachement féminin rouge) mais qui n’échappe pas complètement à la métaphore christique, avec sa lumière pourpre reçue des cintres comme on serait touché par l’Esprit saint. Il a été créé en 1970 par Mickaël Denard alors que ce dernier n’était que premier danseur. Devenu étoile entre temps, Denard a immortalisé en 1975, pour la télévision française, deux extraits de son rôle. Il exsudait à la fois la force (la clarté des pieds dans les brisés de volée de la première variation) et l’abandon (le relâché de l’arabesque – première variation – ou les bras repliés au sol avec cette suspension digne des amortisseurs d’une DS – deuxième variation). Il présentait aussi un curieux mélange de détermination (le regard magnétique planté dans le public) et de langueur (les roulés au sol de la variation finale entre agonie et orgasme).

Mickaël Denard nous a quittés en février dernier. La saison prochaine, aucune soirée d’hommage n’a été programmée. Sans doute faudra-t-il à l’Opéra trois années, comme pour Patrick Dupond, avant de réagir. Un petit film d’hommage, utilisant l’archive de l’INA aurait néanmoins pu être concocté pour ouvrir cette soirée. Mais peut-être valait-il mieux ne pas convoquer le souvenir de cette immense interprétation au vu de ce que la maison avait à présenter sur cette saison. En début de série (le 28 avril), Francesco Mura ne s’est en effet guère montré convaincant en Oiseau. Le danseur, très à l’aise dans la veine « héroïque » (son Solor avec Ould-Braham nous avait séduit) manque de ligne pour rendre justice à la chorégraphie. Son arabesque est courte et forcée. La chorégraphie semble plus exécutée qu’incarné. L’élégie est cruellement absente. Gregory Dominiak paraît plus efficace en oiseau phénix. Mais c’est Fabien Revillion dans l’uniforme gris des partisans qu’il faut regarder pour voir véritablement un oiseau de feu.

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L’Oiseau de feu. Soirée du 18 mai. Yvon Demol (le Phénix), Mathieu Ganio (l’Oiseau)

Plus tard dans la série (le 16 mai), Mathieu Ganio interprétait à son tour l’Oiseau. En termes de lignes, on tutoie l’idéal. Le créateur du rôle même n’approchait pas cette facilité physique. Les temps levés avec rond de jambe 4e devant de l’Oiseau sont un plaisir des yeux. Mais Ganio manque absolument de cette sauvagerie qui évoquerait le Leader et qui rendrait plus émouvant par contraste les passages de la chorégraphie où le danseur joue sur le registre de la vulnérabilité. Dans la variation de la mort, Denard, le buste penché et montant une jambe en attitude seconde reste menaçant, ce n’est que lorsqu’il casse la ligne du cou et dépose sa tête sur l’épaule droite qu’on réalise que la bête est blessée. Avec Ganio, on a plutôt l’impression d’assister à la mort de la Sylphide…

Qui aurait pu rendre justice à ce rôle iconique ? On a bien quelques noms en tête mais ce ne sont pas ceux qu’on a vu apparaître sur les listes de distribution.

Le Chant du Compagnon errant : duos concertants

Ce ballet, déjà présenté lors de l’hommage à Patrick Dupond, montre un Béjart osant faire danser deux hommes ensemble tout en évitant l’écueil de l’homo-érotisme trop marqué. Dans le Chant du Compagnon Errant, sur le cycle de lieder du même nom de Mahler, le soliste en bleu symbolise la jeunesse et ses illusions tandis que le soliste rouge est le destin ou, mieux encore, la mort qui attend son heure et avec laquelle il faut apprendre à composer. Le ballet, composé pour Rudolf Noureev et Paolo Bertoluzzi, a depuis souvent été dansé par des stars de la danse. Il nécessite non seulement des personnalités individuelles marquées mais aussi une vraie connexion entre les deux interprètes.

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Le Chant du Compagnon errant. Soirée du 28 avril. Antoine Kirscher et Enzo Saugar

La distribution du 28 avril ne provoquait pas à priori l’enthousiasme sur le papier. Antoine Kirscher, promu premier danseur à l’issue du dernier concours de promotion annuel, s’est montré d’une grande faiblesse dans le pas de trois du Lac des cygnes en décembre. Enzo Saugar, distribué sur le soliste rouge est peu ou prou un inconnu. Il est quadrille. Il a réalisé un beau concours où il a été classé sans pour autant être promu coryphée.

Mais à notre plus grande surprise, le résultat a été plus que satisfaisant. Les deux danseurs ont une beauté des lignes qui emporte l’adhésion car ces dernières s’accordent parfaitement en dépit de leur différence de gabarit (Kirscher est plutôt frêle, notamment des jambes, et Saugar déjà très bâti). Produits de leur école, les deux interprètes accentuent les lignes avec toujours ce petit plus qui les rendent plus profondes et conséquemment plus signifiantes. Ils partagent aussi et surtout une musicalité jumelle. Ils répondent avec acuité et nuance à la musique et au timbre du baryton Samuel Hasselhorn. Antoine Kirscher garde ses fragilités mais n’en paraît ici que plus juvénile. Enzo Saugar ressemble à une Statue du Commandeur, à la fois protectrice et implacable. On passe un très beau moment.

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Le Chant du Compagnon errant. Soirée du 16 avril. Germain Louvet et Marc Moreau.

Le 18 mai, le duo étoilé n’était pas nécessairement très assorti physiquement. Germain Louvet (en bleu) est tout liane et Marc Moreau tout ronde bosse. Louvet, avec sa pureté de lignes, son ballon et sa batterie limpide portraiture parfaitement la jeunesse insouciante. Moreau, dans le deuxième mouvement s’oppose intelligemment en déployant une énergie concentrée et explosive là où, dans la même combinaison de pas, Louvet était tout soupir. La confrontation entre l’homme et son destin a bien eu lieu même si on ressent toujours une certaine réticence quand les danseurs sont l’un à côté de l’autre. Mais peut-être le fait que le baryton, Thomas Tatzi, criait tous ses aigus a pu nous rendre moins réceptif au couple d’étoiles qu’aux deux outsiders de la soirée du 28 mai.

Boléro(s) : Bottom, Middle and Top

Le Boléro est un de ces coups de génie comme il peut en arriver parfois dans le ballet ; c’est à  dire que la modernité et l’intemporalité de l’œuvre repose sur des ressorts très simples ancrés dans l’Histoire de la discipline. Boléro était dès l’origine un Ballet. Conçu en 1928 pour Ida Rubinstein, transfuge des Ballets russes de Serge de Diaghilev, et pour sa compagnie, le ballet se situait dans un bouge espagnol où une beauté exotique montait sur une table pour danser et déchaîner la passion des mâles. Ravel s’était résigné à cette interprétation par défaut, lui qui voyait une danse d’ouvriers sortant de l’usine, l’ostinato figurant sans doute le rythme obsédant de la chaîne de production. Même le titre a sans doute été déterminé par défaut. La partition de Ravel se compte à trois temps quand un Boléro authentique se compte à quatre.

En 1961, à la Monnaie de Bruxelles, Béjart revint en quelque sorte au ballet original de Nijinska-Rubinstein en plaçant sur scène une immense table basse rouge, disponible dans les magasins du théâtre, et une pléthore de chaises de la même couleur. À l’époque, c’est une femme, Duška Sifnios, qui « succédait » à Rubinstein au centre de la table. Les garçons tout autour faisaient tomber la cravate et desserraient les cols au fur et à mesure que l’imperturbable oscillation en développés fondus se perpétuait. Aujourd’hui, l’interprétation du Boléro est devenue beaucoup moins anecdotique et plus musicale. Le chorégraphe comparait « la », et bientôt « le », soliste central à la mélodie et le corps de ballet (un temps alternativement masculin ou féminin, mais la forme masculine semble s’être imposée) à la masse orchestrale.

Un autre indice de la puissance de cet opus béjartien vient justement du fait que le rôle, loin d’être univoque, est un medium parfait pour faire ressortir les qualités profondes d’un interprète (et parfois malheureusement aussi ses faiblesses). On aura été plutôt chanceux ces fois-ci. Chacun des danseurs qu’on a pu voir attirait l’attention sur un aspect particulier de la chorégraphie ainsi que sur une partie de leur corps.

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Boléro. Soirée du 28 avril. Hugo Marchand

Avec Hugo Marchand qui ouvrait le bal, ce sont les jambes que l’on regardait. Ses oscillations en petits fondus, énergiques et imperturbables, étaient véritablement hypnotiques. Élégiaque et androgyne, présence presque évanescente en dépit de sa taille conséquente, Marchand avait bien sûr des bras mousseux mais on était fasciné par la musique du bas du corps dont la mélodie semblait littéralement émaner.

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Boléro. Répétition publique du 5 mai. Audric Bezard.

À l’occasion du cours public donné à Bastille (le 5 mai), il nous aura été donné d’assister à un filage du ballet, sur bande enregistrée et sans corps de ballet, avec Audric Bezard. Lors de cette découverte inattendue, l’attention se porte sur le buste aux contractions reptiliennes et sur les bras puissants et sensuels du danseur. Là où Marchand était la musique, Bezard, semblait ouvrir tous les pores de sa peau afin d’en absorber l’essence et pour lentement s’en repaître ; une bien belle promesse que le danseur a très certainement concrétisée lors des représentations complètes

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Boléro. Soirée du 18 avril. Ludmila Pagliero entourée de Gregory Dominiak, Florent Melac et Florimond Lorieux

Avec Ludmila Pagliero, le 16 mai, on recentre toute son attention sur les mains, immenses et comme démesurées de l’interprète qu’on n’avait jamais remarquées auparavant… La danseuse, qui apparaît étonnamment juvénile (elle qui habituellement paraît si femme) déploie une sorte de soft power. Sinueuse et insidieuse comme la mélodie, Pagliero ne paraît plus tout à fait humaine. Au moment où les garçons commencent à entourer la table en attitude, poignets cassés, on croit deviner une architecture arabo-mauresque dont la danseuse serait la coupole ornée d’un croissant.

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Au final, la soirée se terminait donc à chaque fois sur une note ascendante. L’hommage à Maurice Béjart, en dépit du bémol de mes distributions sur l’Oiseau de feu peut donc être considéré comme une réussite. C’est que les trois ballets choisis, qui ne sont pas isolés dans l’œuvre du chorégraphe décédé en 2007, justifient à eux seuls la place majeure qu’il tient dans le concert des chorégraphes du XXe siècle.

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Balanchine: au milieu de l’Atlantique

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Who Cares? Décors Paul Gallis (détail).

Deux parties, deux ambiances. À vol d’oiseau, le trajet entre Saint-Pétersbourg (Ballet impérial) et New York (Who Cares ?) vous fait passer l’entracte quelque part au milieu de l’Atlantique. La première pièce du programme Balanchine, qui est en partie un brouillon des créations postérieures de George, m’a d’abord fait l’effet d’un exercice de style. Le soir de la première, Ludmila Pagliero et Paul Marque semblaient en démonstration pour le Balanchine Trust : « T’as vu ? Je fais tout, même les bizarreries, comme tu m’as dit ! ». C’est à la fois impressionnant de maîtrise, et bien froid. Le lendemain, Héloïse Bourdon et Audric Bezard, techniquement moins à l’aise, racontent une histoire – intrigue de cour et un peu de cœur –, et ce souffle de tension amoureuse fait qu’on cesse de regarder sa montre pour vérifier la différence entre temps objectif et temps ressenti (9 février). Quasiment un mois plus tard, Hannah O’Neill et Marc Moreau, étrennant leur étoile nouvelle, font revenir la pièce sur le versant formel. Las, à un moment, le cavalier fait tourner sa cavalière de manière un peu trop penchée, et  par la suite, sa tension devient douloureusement visible. Souhaitons que l’étoilat permette à damoiseau Moreau de dompter le stress (4 mars).

Dans Who Cares ?, il m’a fallu attendre la deuxième représentation pour voir le style qui manquait à la première, du côté des filles : Charline Giezendanner, dans Do Do Do, a le déhanché et le roulement d’épaule jazzy. C’est discret, chic et charmant. Non contente d’entraîner Gregory Dominiak dans son sillage, elle donne in fine l’impression, par des retirés musicalement impérieux, de donner elle-même le tempo à l’orchestre. C’est grisant (soirées des 9 février et 4 mars). Il faudrait plusieurs Charline pour donner du peps aux évolutions du corps de ballet féminin. Il y a aussi Dorothée Gilbert, flirteuse en chef dans The Man I Love : la ballerine a le déhanché balanchinien voluptueux, mais sans ostentation : cet art d’être le style sans le montrer est délicieux (9 février). On retrouvera la même impression, en moins canaille, chez Ludmila Pagliero (4 mars).

Côté garçons, Germain Louvet donne l’impression d’être une projection des fantasmes des trois filles avec lesquelles il danse : c’est l’homme idéal, celui qui n’existe que dans tes rêves, mon chou (8 février). Jeremy-Loup Quer (9 février) comme Mathieu Ganio (4 mars), ont une présence plus réelle. On s’amuse à voir dans les trois filles qu’ils courtisent autant de new-yorkaises : pour Quer, l’amoureuse (Mlle Gilbert), l’impétrante (Roxane Stojanov, Embraceable You), la pétulante (Bianca Scudamore, Who Cares ?). Pour Ganio, celle qui fait ses premiers pas dans le monde (Mlle Pagliero), l’intello qu’on croise au Metropolitan Museum (Laura Hecquet), et la libérée, celle qui virevolte dans Central Park (Hannah O’Neill).

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Hommage à Patrick Dupond : la deuxième est (presque) la bonne

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Etudes. Saluts le 22/02

J’suis snob. C’est de famille. Du temps de sa splendeur vocale, je n’ai pas pu entendre Jonas Kaufmann  chanter au festival de Salzbourg, mais j’ai une photo de ma tante avec le ténor un peu flou en arrière-plan qui nous a permis de faire croire à la terre entière qu’on y était. Pour l’hommage à Patrick Dupond, c’est pareil, j’ai   raté le gala du mardi 21 février avec le défilé des anciennes Étoiles, mais j’ai vu la même distrib’ le surlendemain, donc, c’est tout comme.

Blague à part, je n’ai pas regretté une revoyure au lendemain de la soirée du 22. Déjà, l’expérience prouve qu’on peut assister deux fois en 24 heures au défilé du Ballet sans éprouver la moindre lassitude. Mais surtout, pour les deux premières chorégraphies, c’était le jour et la nuit.

Le soir du 22, les solistes principaux de Waslaw comme du Chant du compagnon errant m’ont laissé de marbre : le lendemain, d’autres interprètes m’ont bouleversé. Dans le rôle de Waslaw, Marc Moreau fait preuve d’une poignante intensité (alors que la veille, Alexandr Trusch montrait surtout sa maîtrise de la gestuelle Neumeier). Son abattement final, lors de la mise au ban(c) vous fait un effet de plomb fondu à même le cœur. Dans le rôle du double torturé, Audric Bezard est bouillant de rage rentrée (rendant criante la profondeur du hors-sujet commis par Guillaume Diop la veille).

Au soir de mercredi, la compagnon errant et son acolyte m’avaient aussi laissé sur le bord du chemin. Je suis membre à vie du fan-club de Mathieu Ganio, mais il m’a paru bien trop élégant pour émouvoir : son style élégiaque fait merveille dans Robbins, mais s’avère trop propret pour Béjart. Et faute de percevoir une interaction forte entre lui et Audric Bezard (en rouge), tout dans la pièce m’a fait l’effet d’un exercice de style alternativement creux ou pompier.

Le lendemain, dans le même rôle du soliste en bleu, Germain Louvet ose une véhémence qui, d’emblée, emporte l’adhésion ; il fait de discrètes mais vives accélérations sur les tours, ce qui leur donne une dimension d’urgence et de course. Vers quoi ? L’abîme, la solitude, le lointain et la perte ? Germain Louvet, que j’ai plusieurs fois trouvé fade, frappe ici par l’intensité émotionnelle de son incarnation. On ne regarde plus la technique, on ne se demande plus si le cycle mahlérien a vraiment besoin d’une chorégraphie, on suit les tourments d’un personnage pétri de douleur. La complicité généreuse de l’échange avec Hugo Marchand s’avère, aussi, immédiatement attachante.

Avec deux distributions pour trois soirs, l’Opéra de Paris aurait pu aligner dans Études au moins deux étoiles féminines (sur sept en état de marche) et quatre étoiles masculines (sur quatre). Ça aurait eu quelque panache. Las, cette générosité à la Patrick Dupond ne semble plus de saison. Cependant, au soir du 22 février, ce ne sont pas tant les solistes qui m’ont chagriné que l’impression brouillonne donnée par le corps de ballet masculin lors du finale. Est-ce le manque de répétitions ou la jeunesse des interprètes ? D’un côté de la scène, sur quatre garçons, il y avait deux rythmes. L’impression d’ensemble est meilleure le soir du 23 (avec quelques danseurs plus aguerris que la veille dans le casting).

Quant aux solistes, comment résister au charme d’Héloïse Bourdon ? La ballerine folâtre avec esprit avec ses deux partenaires (damoiseaux Quer et Moreau). Quand elle réapparaît pour la séquence « Sylphide », on se frotte les yeux : est-ce bien la même danseuse ? Oui, mais elle apporte à sa partition un alanguissement tout liquide, et nous régale de poses délicieusement précieuses sans être maniérées.

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Héloïse Bourdon. Défilé.

Le 23 févier, Valentine Colasante, toujours techniquement très sûre, emporte moins dans le rêve, mais ne boudons pas notre plaisir : dans la pièce de Lander, la maîtrise, pour le spectateur, un effet directement jubilatoire. Paul Marque a une petite batterie si propre et si véloce qu’on n’en voit (presque) pas la difficulté. Dans le rôle du deuxième soliste masculin, Guillaume Diop rabote un peu les changements de cap de la mazurka. En fait, Marc Moreau, que Cléopold a trouvé un brin démonstratif, m’a davantage convaincu dans le rôle (soirée du 22).

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Valentine Colasante (défilé).

Au fond, le premier danseur, qui tire son épingle du jeu aussi bien dans Waslaw que dans Études, n’est pas loin d’être pour moi la petite révélation de la soirée Dupond.

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Marc Moreau. Etudes. « Petite » révélation.

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Hommage à Patrick Dupond : une grand messe en mal de desservants

Voici donc qu’a eu lieu le très attendu hommage à Patrick Dupond : trois soirées dont une de gala hors de prix (j’ai passé mon tour), une plaquette hagiographique truffée de jolies photographies qui élude complètement la question des rapports difficiles qu’a entretenus le danseur avec « sa » maison (son renvoi se réduit à « 1997 : un conflit avec l’Opéra entraîne son départ ») mais un programme somme toute bien construit.

Le fait est à relever et à saluer. Les hommages ne sont pas, loin s’en faut, la spécialité de la Grande boutique.

Ici, s’adjoignaient en effet à un très joli film d’introduction par Vincent Cordier et au Grand défilé de la troupe trois ballets intimement liés au souvenir du flamboyant météore que fut Patrick Dupond dans le firmament chorégraphique : Vaslaw, créé en 1979 pour le tout jeune danseur par John Neumeier, Le Chant du compagnon errant, évoquant le fort lien personnel et artistique que Dupond entretint avec Maurice Béjart et enfin Études d’Harald Lander, le rôle du soliste à la Mazurka ayant été un des grands rôles du bouillant et facétieux interprète.

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Grand défilé du corps de ballet. Mercredi 22 février.

Cela étant dit, cette soirée d’hommage, dès le défilé, montrait les failles actuelles de la compagnie. C’est en effet une cruelle ironie du sort qu’alors qu’on célèbre le danseur même qui a révélé au monde, par sa médaille d’or et son grand prix au concours international de Varna en 1976, qu’il y avait d’excellents danseurs à Paris, que les rangs des étoiles masculines aient été si décimés. Quatre étoiles à mettre sur scène, c’est bien peu pour une compagnie de 154 danseurs.

Et la suite du programme n’a fait que confirmer cette impression.

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Vaslaw. Mercredi 22 février 2023. Saluts

Pour Vaslaw, par exemple, la compagnie a dû faire appel à Alexandr Trusch, un vétéran de Hambourg, pour interpréter le soliste blanc créé par Dupond.

Vaslaw est un ballet un peu à part dans la somme des ballets que John Neumeier a créés autour de la personnalité de son idole, Nijinsky, dont il collectionne les memorabilia et artefacts depuis de nombreuses années. Au fur et à mesure, ces différentes pièces sont devenues de plus en plus biographiques et narratives. Ici, le lien avec l’immense icône de la danse est plus ténu. Il n’y a pas d’argument. Sur des pièces de Bach qu’aurait voulu chorégraphier Nijinsky, mais qu’il n’a jamais touchées, quatre couples et un soliste en vert égrènent un art du pas de deux néoclassique. Le personnage principal n’est finalement pas celui qu’on croit car Vaslaw (en blanc) est très statique. Il reste posé au sol dans des positions de gymnaste, avec beaucoup d’écarts, ou fait des poses plastiques (une référence au spectre de la Rose et quelques poignets cassés à la Faune) lorsqu’il est debout. Les fulgurances chorégraphiques sont très subreptices. John Neumeier, plutôt que de paresseusement se reposer sur la technique explosive du jeune Dupond, a intelligemment voulu  montrer son incroyable charisme.

Les pas de deux réagissent à la musique. Le premier, très calme, met l’accent sur les lignes. Roxane Stojanov et Florent Melac s’y montrent très à l’aise et installent un climat de plénitude. Le deuxième, très dynamique, avec des sauts en l’air pour la fille, va bien à Hohyun Kang et Andrea Sarri. Le couple est vraiment charmant. Si le troisième pas deux dans la même veine badine que le précédent (Hannah O’Neill et Daniel Stokes) marque moins, le quatrième qui se mue en pas de trois avec Vaslaw, défendu par Arthus Raveau (en belle forme) et Naïs Duboscq (charmante de fraîcheur), séduit.

Las, avant ce pas de deux à trois, Guillaume Diop a saccagé la variation la plus célèbre du ballet (choisie jadis moult fois lors des concours de promotion), celle au poing dans le sol. Neumeier a en effet dissocié le corps et la psyché de Vaslaw. Si le soliste en blanc, sans être prostré comme plus tard Nijinsky, semble être déjà rentré en lui-même, le ou la soliste en vert (la variation est en effet dégenrée) exprime les affres et aspirations du plus mythique des danseurs-chorégraphes. Guillaume Diop passe malheureusement complètement à côté de sa partition, rendant mignarde et narcissique l’ensemble de la variation. Il faudrait veiller à ce que le plus étoilable des garçons de la compagnie ne verse pas dans une insipidité de joli garçon content de lui. Certes Guillaume Diop est jeune mais Patrick Dupond était plus jeune encore quand Neumeier a créé ce ballet sur lui.

C’est d’autant plus dommage que ce trou d’expression à un moment crucial du ballet m’a empêché de vraiment adhérer à la proposition de l’invité hambourgeois, dont on voit bien pourtant qu’il maîtrise les clés du vocabulaire du maître de Hambourg. Trusch paraissait curieusement parachuté au milieu des danseurs parisiens.

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Le Chant du compagnon errant. Audric Bezard et Mathieu Ganio.

J’ai toujours associé Le Chant du Compagnon errant à Patrick Dupond. En 1985, lors de l’émission du Grand échiquier de Jacques Chancel qui lui était consacrée, il avait dansé la section finale avec son ami de toujours, Jean-Marie Didière. Il interprétait le soliste principal en bleu et Didière le soliste en bordeaux. En 1990, à l’occasion de la Carte Blanche à Jean Guizerix (un autre trait de la générosité d’intentions de la direction Dupond que cette soirée consacrée à une étoile sortante, tellement plus parlante que les ovations à pétales qui sont devenues la tradition aujourd’hui), Patrick Dupond avait endossé le rôle du second soliste face à Rudolf Noureev. Le directeur entrant rendait ainsi une forme d’hommage au sortant. Dans le petit film de Vincent Cordier, un extrait des saluts à la suite de cette représentation montre Noureev faisant un geste en direction de Dupond. Celui-ci recule d’abord et Rudy répète ce geste comme pour dire avec humour, « viens, idiot ! Je ne vais pas te manger ! » C’était absolument émouvant. Le Ballet est enfin rentré au répertoire en 2003. En 2007, il fut repris à l’occasion d’une très forte soirée d’adieux pour Laurent Hilaire. C’est Manuel Legris, son binôme-rival-parèdre de toujours dans la compagnie, qui l’entrainait vers les ténèbres du fond de scène.

« Compagnon errant » est un résumé du travail béjartien. Sur la partition du même nom de Gustav Mahler, Béjart, comme tous les grands réformateurs du ballet – Balanchine avant lui et Fosythe après – égrène des enchaînements somme toute très classiques, presque extraits de la classe, arabesques, ports de bras, souvent en position croisée, changements de direction, mais mis dans une lumière nouvelle. Ainsi, des développés-seconde se terminent en grands plié sur un pied en demi-pointe. Les développés-quatrième se font en miroir inversé (l’un des partenaires faisant des arabesques dans la même diagonale).

Le soliste principal en académique bleu commence le ballet seul sous le regard du soliste rouge. Puis les deux danseurs dansent en parallèle ou en canon. Ils interagissent enfin dans des parades de séduction, puis dans des duos conflictuels. Rien d’explicitement homo-érotique ici. Le Chant du compagnon errant est tout centré autour de l’acceptation d’une compagne crainte par-dessus tout : la Mort. D’abord ignorée, puis courtisée, puis enfin combattue avant d’être enfin acceptée comme une nécessaire et ultime partenaire. Dans le rôle du soliste bleu, Mathieu Ganio a cette qualité solaire et éternellement juvénile qui rend ce dialogue avec la mort poignant. Audric Bezard est parfait dans le rôle de la Mort. Il a au début ce côté impavide qui inspire l’admiration et la crainte. Il est séduisant et dangereux à la fois. Ses talents de partenaire le rendent également doux et attentionné. Personnellement, j’ai été interpellé par ce duo.

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Etudes. Héloïse Bourdon

Études est également un rôle qui a marqué la carrière de Patrick Dupond. La variation de la Mazurka faisait notamment partie de son programme de deuxième tour à la compétition de Varna en 76. Il y fit, selon ses dires, « le gadin le plus brillant de toute l’histoire de la danse ». Obligée de se retirer dans un gymnase au sol glissant en raison des conditions météo, la compétition avait vu une hécatombe de chutes conduisant certains compétiteurs à se blesser irrémédiablement. Invité à recommencer le jour suivant dans le cadre habituel du théâtre de verdure, Dupond avait reçu entre temps les conseils (pas forcement utiles selon lui) du créateur du rôle en 1948, John Gilpin.

Pour cette soirée d’hommage, la première question qui se posait était de savoir si le corps de ballet de l’Opéra, qu’on a trouvé un peu à la peine sur Ballet impérial lors des premières représentations du programme Balanchine, allait être à la hauteur de mes souvenirs. Le soulagement est venu très vite. Le ballet de Lander, au répertoire depuis 1952 (Lander était alors maître de ballet à l’Opéra), est toujours dans les jambes de la compagnie, surtout chez les filles. Dans la section de « la barre des tutus noirs », la série des ronds de jambes et des petits frappés est tirée au cordeau. Les séries de pirouettes des tutus blancs passent bien ainsi que toute la batterie, filles et garçons confondus. Le final aux diagonales de grand jetés, d’emboités et de coupés jetés (hormis pour un garçon qui semble avoir commencé du mauvais pied en coulisse) a l’élan et le brio nécessaire.

Dans le trio d’étoiles, Héloïse Bourdon est parfaitement à son aise. Elle irradie une sérénité et une détente dans sa danse, même dans les passages les plus techniques, qui provoque immanquablement l’adhésion. Dans le passage de « La Sylphide » (un épisode historique rajouté par Lander pour l’entrée au répertoire de l’Opéra), la danseuse ébauche même une narration.

Hélas, elle est seule. Les interactions avec ses partenaires ne passent pas la rampe. Jeremy-Loup Quer a une jolie ligne et passe tolérablement les difficultés techniques mais il lui manque une pointe de brio dans ce ballet où tout doit être pyrotechnique. Marc Moreau confirme l’impression qu’il nous avait donnée dans le Lac des cygnes en décembre dernier. Dès qu’il y a un enjeu technique, il se met en mode hyper-contrôle. Il croit rattraper le manque de moelleux qui en découle en jouant au matamore qui se prendrait pour un chef d’orchestre. Avec ses mains et ses ports de tête, il souligne les tutti d’orchestres d’une manière un peu ridicule surtout dans la Mazurka, jadis cheval de bataille du danseur qu’il est censé célébrer. Voilà une curieuse manière d’évoquer la mémoire du grand danseur à la souplesse de chat que fut Dupond.

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Le nouveau directeur de la danse, lui-même étoile hors pair, a décidément une première mission à accomplir : redonner confiance et force aux excellents danseurs masculins de l’Opéra visiblement en perte de repères.

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Patrick Dupond dans « Boléro » de Maurice Béjart. Photographie Mickaël Lemoine

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