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Casse-Noisette à l’Opéra : la belle surprise de Noël

En ce 25 décembre, on se rend à l’Opéra Bastille un peu circonspect. La distribution réunit en effet deux danseurs qui sont depuis longtemps dans la compagnie et ont mis du temps à être distingués. Marc Moreau, longtemps resté dans les rangs des sujets a finalement atteint le firmament de la maison alors qu’il avait additionné les prestations décevantes. Marine Ganio, peut-être éclipsée par la promotion éclair de son frère Mathieu, fait partie de ces danseuses qui ont été cantonnées dans les rôles de sujet (en petits groupes ou en pas de deux) et ont peu eu l’occasion de briller sur le devant de la scène. A l’époque Millepied, déjà assez lointaine, il lui fut donné une Lise.

Or le public, c’est la règle, aime la prime jeunesse et les promesses. « L’expérience » allait-elle suffire à soulever une salle de spectacle un jour de Noël ?

La réponse est oui.

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Marine Ganio et Marc Moreau. Clara et Drosselmeyer/Le Prince. 25 décembre 2023

Marine Ganio a les qualités de la maturité artistique pour dépeindre l’enfance. Durant le premier acte, on s’émeut de son agacement face à Fritz (Antoine Kirscher, très bien aussi bien en soldat mécanique qu’en agaçant morveux). C’est une sœur aimante mais excédée. Sa peine est également touchante en poupée dépouillée de ses oripeaux. Sa frustration et son monologue intérieur passent la rampe. Elle construit aussi tout un jeu avec le Casse-Noisette-jouet, le consolant quand les enfants et les adultes le trouvent trop vilain. On se prend même à l’observer en train de continuer à défendre le jouet assise dans le grand Voltaire pendant le menuet Grossvater (joli succès de Chavignier, très drôle en grandpa à entrechats).

Marc Moreau, quant à lui, donne de Drosselmeyer l’image d’un homme encore jeune dont on perçoit le charme sous le bandeau et les cheveux gris. Ceci aide à la lecture de l’histoire. Quand les parrains ont vraiment l’air trop décati à l’acte 1, on a du mal à imaginer que Clara l’idéalise en prince à l’acte 2. Surtout, on apprécie à nouveau sa danse qui, sur l’ensemble de la soirée, a gagné en amplitude et en moelleux. Dans la variation de rencontre, on apprécie bien sûr sa batterie ciselée, toujours un de ses points forts, mais aussi ses retombées propres et silencieuses dans les tours en l’air, une nouveauté car c’était un de ses points faibles depuis au moins deux saisons.

Le pas de deux qui ouvre l’acte 2 est une grande réussite. Les deux danseurs dépeignent une touchante amitié-complicité. Ils maîtrisent parfaitement leur partition. Il y a dans leur pas de deux de très beaux portés aériens qu’on retrouvera aussi dans le grand pas-de-deux final. En termes de jeu, Marc Moreau est tout en nuance : présence qui s’efface doucement avant le cauchemar. Marine Ganio est très crédible en jeune fille terrorisée face aux chauves-souris. Elle ne désarme même pas face aux injonctions de son partenaire revenu lui montrer qu’il s’agit en fait de ses parents. Elle marque sa reconnaissance de Fritz et Luisa (Kirscher et la très talentueuse Hortense Millet-Maurin, une Clara en puissance) en Espagnols.

Dans le grand pas de deux, il n’y a donc aucun doute que les deux danseurs en doré sont les deux héros qu’on suit depuis le début de soirée. Ils font montre de nouveau d’une grande complicité dans l’adage. Moreau domine la variation masculine : batterie, parcours, aucune raideur. La fin à genou, un tantinet brusque, est néanmoins parfaitement en musique. La salle est réceptive. Marine Ganio cisèle ses équilibres et son bas-de-jambe dans sa variation. La coda est bien enlevée. C’est un sans-faute.

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Lors du retour à la réalité, Clara se réveille dans les bras de Drosselmeyer qui la retire du fauteuil pour libérer la place au grand-père épuisé par ses exploits chorégraphiques. Il lui baise paternellement le front avant de partir. Les intentions narratives de Noureev ne nous avaient pas parues aussi claires lors de nos deux précédentes soirées en dépit du bonheur qu’on avait ressenti.

À cela s’ajoute une distribution belle et cohérente : des enfants au jeu de plus en plus naturel, des flocons tirés au cordeau et des solistes du divertissement bien assortis. Dans la danse arabe, Roxane Stojanov, aux développés toujours aussi impressionnants, est bien plus à l’aise aux bras d’Antonio Conforti que dans ceux de Jerémy-Loup Quer. Une histoire s’écrit enfin. Les trois acrobates-chinois sont très énergiques et homogènes. On remarque néanmoins les très beaux tours en l’air de Keita Belali. La Pastorale, qui réunit de nouveau Mathieu Contat, Clara Mousseigne et Bianca Scudamore nous paraît plus harmonieuse.

On aura vécu en somme une bien belle soirée.

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Casse-noisette à l’Opéra : de la fraîcheur sous les frimas

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Casse-noisette. Inès McIntosh et Paul Marque. Soirée du 11 décembre 2023

Neuf ans ! C’est un laps de temps bien long pour reprendre un ballet. La dernière fois que Casse-noisette de Noureev a été joué, Hugo Marchand, aujourd’hui étoile reconnue de la compagnie, faisait ses débuts aux côtés de Mélanie Hurel. Il était coryphée.

Lorsque tant de temps a passé, on peut légitimement se demander si la compagnie, qui n’a plus le ballet « dans les jambes », sera à la hauteur de sa réputation. Après une générale que certains ont pu qualifier d’inaboutie – le ballet n’avait pas été répété sur scène en raison d’une grève des machinistes – et deux annulations, la première effective a donc eu lieu le lundi 11 décembre dernier avec la seconde distribution.

À notre grand soulagement, le ballet de l’Opéra a été à la hauteur de nos souvenirs et donc de nos attentes. À l’acte 1, les élèves de l’École de danse étaient à la fois bien réglés et suffisamment spontanés pour évoquer la surexcitation enfantine propre à la période des fêtes. La scène de la bataille des rats, bien que sous-éclairée (un problème récurrent dans les productions de Noureev passées de Garnier à Bastille), avait de la tension dramatique et la confrontation avec les chevaux-jupons était savoureuse. La valse des flocons brillait par sa célérité. Le corps de ballet féminin rendait limpide le contraste entre les dessins géométriques, évoquant la structure des flocons de neige, et les formations en cercle représentant le blizzard. L’ensemble était facetté. Il y aura néanmoins matière à peaufiner la valse des fleurs de l’acte deux. Les tutus des filles, très « sautillants », ne pardonnent rien et certaines arabesques aux bras de partenaires masculins pouvaient sembler téléphonées.

La distribution des rôles secondaires du 11 décembre, c’est la règle dans ce genre de ballet, est plus inégale. Si on a fort gouté la danse espagnole roborative de Chun-Wing Lam et Luna Peigné, bas-de-jambes spirituels et ballon insolent, on aura trouvé la danse arabe de Roxane Stojanov et Jeremy-Loup Quer plus efficace que sensuelle. Est-ce parce qu’initialement monsieur Quer était censé la danser avec Héloïse Bourdon, comme inscrit sur la distribution ? En tous cas, on n’a pas jugé bon de mentionner le changement en avant-scène avant le spectacle. La Pastorale nous a paru un tantinet sèche. Bianca Scudamore et Clara Mousseigne sont sans doute des techniciennes accomplies, mais on attend de voir un peu plus de subtilité dans l’exposition de cette technique. La danse chinoise a été renommée danse des acrobates. Les altérations se limitent à retirer les calottes  de crane rasé à natte et les moustaches aux danseurs. La chorégraphie, inchangée, a été défendue avec gusto par Antonio Conforti, Léo de Busseroles et Thomas Docquir.

Pour ce qui est des rôles principaux, Inès McIntosh, nouvellement promue première danseuse (un rang qu’elle ne prendra effectivement qu’au 1er janvier) faisait ses débuts dans le rôle de Clara. La danseuse a su donner à son personnage toutes les grâces de l’enfance avec ses joies sans partage suivies de colères aussi soudaines et subreptices qu’une giboulée en bord de mer (sa confrontation avec le Fritz de Chun-Wing Lam autour du Casse-noisette est bien caractérisée). L’épisode des poupées est très réussi. McIntosh passe aisément de l’extrême en dehors à l’extrême en dedans sans pour autant ciller de la pointe de terre. Lam est parfaitement mécanique en soldat et ses adducteurs claquent de manière toute militaire tandis qu’en Louisa, Luna Peigné est à la fois précise et moelleuse en Turc à turban et cimeterre.

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Chun-Wing Lam et Luna Peigné : Fritz et Louisa

Dans la Clara d’Inès McIntosh, on sent néanmoins poindre la jeune fille sous l’enfant. Lorsque les jeunes invités de la fête la dépouillent sans ménagement de ses oripeaux d’automate, elle rend clair le sentiment de son personnage de n’être plus à sa place dans aucun de ces mondes : pas encore adulte mais plus tout à fait enfant. Cela rend son attirance de presque adolescente pour Drosselmeyer plausible. L’adulte avec son  bandeau sur l’œil apparaît lui aussi comme un peu à part. L’adolescente en recherche d’un modèle peut s’identifier à lui. Dans la section du rêve, la transformation du parrain en prince est donc compréhensible.

En Drosselmeyer, Paul Marque n’est pas sans rappeler les photographies de Rudolf Noureev dans le même rôle sans doute à cause de son arcade sourcilière prononcée. Il y a du charme et un petit soupçon de danger chez ce parrain plus âgé qui sait encore, à la différence des autres adultes, s’amuser avec ses pupilles. Dans ses évolutions à la fin de l’acte 1, transformé en prince, Marque parvient à exécuter toute les complications de la chorégraphie pour les jambes avec une belle liberté du haut du corps et du cou. Dans le premier pas de deux, Inès McIntosh donne de l’évolution à son personnage. D’abord intimidée par son tout nouveau partenaire, elle se laisse gagner par l’exaltation et libère le mouvement.

À l’acte deux, dans le Grand pas, le couple fait un très bel adage. Les fouettés arabesques de McIntosh sont limpides. Dans sa variation, Marque domine sa partition. Inès McIntosh se montre peut-être un peu moins libérée dans l’expression de son personnage pour sa variation mais on ne décèle aucune raideur dans sa danse. La coda a de l’élévation et de l’abattage.

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Inès McIntosh et Paul Marque. Grand pas de deux. Saluts

À la fin, dans la rue enneigée, Clara- Inès est très touchante avec son casse-noisette dans les bras dont elle semble regretter l’inertie tandis qu’elle regarde son parrain, mentor fantasque, un peu interloqué de la trouver là, s’enfoncer dans la nuit citadine.

On se dit qu’il y a de bien beaux développements dans la danse et le jeu de Paul Marque, qui n’a pas toujours fait partie de nos favoris, et de grandes promesses chez la nouvelle première danseuse du ballet de l’Opéra de Paris.

La saison des fêtes a commencé.

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A l’Opéra : Docteur Jirí et Mister Kylián

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Stepping Stones. Saluts.

Ballet de l’Opéra de Paris. Soirée Jirí Kylián. Vendredi 8 décembre 2023.

Le ballet de l’Opéra de Paris offre un programme Jirí Kylián rassemblant des œuvres dans la même veine scénographique. La palette de couleur est donc des plus sombres au risque de la monotonie.

Toutes les pièces présentées sont postérieures à 1990 et trois d’entre-elles ont été créées en 1991. Cette année semble représenter un tournant où le Kylian lyrique de Nuages (un pas de deux aérien sur la pièce du même nom de Claude Debussy) ou poignant de Symphonie de Psaumes (Stravinsky) s’estompe devant le style néo-forsythien : technique extrême et scénographie absconse.

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Gods and Dogs. Saluts.

De cela, Gods and Dogs (2008) est d’une certaine manière exemplaire. Sur une scène noire comme un four, les danseurs vêtus de blanc évoluent avec une gestuelle contournée qui nous paraît usée à force d’avoir été copiée depuis trois décennies par des suiveurs moins doués. Un rideau de chaines argentées, tantôt occultant tantôt révélateur, scintille en fond de scène. De temps à autres, une projection d’un chien prédateur courant, comme vu au travers de rayons X, apparaît projeté sur un pendrillon noir. On se rend compte que cette projection nous détourne des danseurs. C’est un peu triste… Le seul moment où on se raccroche au ballet, c’est quand la musique atmosphérique et percussive de Dirk Aubrich s’efface enfin derrière Beethoven. On retrouve dans ces trop courts moments l’extrême musicalité du chorégraphe, capable de nous faire ressentir une partition au travers du mouvement.

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Stepping Stones.

Stepping Stones (1991), entré au répertoire de l’Opéra en 2001, ne nous avait pas déplu alors. Mais vingt ans plus tard, l’overdose que je ressens face à ce genre de ballet fait écran. Sur scène, une estrade avec trois chats Bastet à jardin. À cour, des danseurs se tiennent sur une autre estrade. Sur le devant, deux danseurs immobiles tiennent des pierres dorées, fragments d’œuvre d’art, sur un plateau. Au-dessus, une grande structure en bois triangulaire (une référence à une pyramide ?), suspendue en l’air, actionnée par des filins, découpe l’espace par le truchement d’éclairages très étudiés (Kees Tjeebs d’après Mickael Simon). Les danseurs se succèdent en duos, quatuors masculins et trios féminins. On remarque l’élégance de Caroline Osmont au milieu d’étoiles qui n’ont pas tant d’éclat. Les pierres servent d’oreillers, sont entraînées dans des pirouettes coincées entre les chevilles. Les danseurs deviennent parfois les coussins présentoirs de ces fragments. Une réflexion sur l’Histoire ? On se dit : « À quoi bon ? ». Stepping Stones nous apparaît comme un livre bien informé, bien écrit, mais ennuyeux. Mister Kylián est décidément un créateur déprimé…

Et puis, après deux entractes, le contraste tant attendu dans cette soirée morne et sombre arrive enfin. Petite Mort et Sechs Tänze, qui sont présentés presque enchaînés, dans une scénographie pourtant aussi sombre, apparaissent truffés de surprises et de fantaisie. Dans Petite Mort, la section des garçons utilisant leur épée comme on jouerait de la scie est à la fois drôle et subtile. Les façades de robes de cour sur roulettes, qui évoquent les danseuses russes, provoquent les rires. Dans le même temps, la grande voilure noire tirée par les danseurs à travers la scène semble matérialiser la grande vaque émotionnelle suscitée par le concerto pour piano de Mozart. Dans les pas de deux, on retrouve déjà les enroulements-déroulements des pièces ultérieures mais s’y instille une pesanteur et un côté charnel dont étaient cruellement dépourvues les intrications fascinantes mais désincarnées des deux pièces précédentes. Sechs Tänze quant à lui, réutilise les façades de robes baroques mais de manière loufoque, pour un jeu d’auto-tamponneuses. Ces six danses sont un commentaire amusé sur la danse néoclassique. Les danseurs, avec une gestuelle volontairement mignarde, et comme en accéléré, paraphrasent les fioritures de l’orchestre dans un nuage de poudre à perruques. Les clins d‘œil et les gags arrivent inopinément. Et toute cette légèreté ne se sépare jamais de poésie…

C’est le Docteur Jirí, qu’on aime, celui de la Symphonie en Ré de Haydn, malheureusement pas au répertoire de l’Opéra.

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Jiri Kylian. Saluts après Petite Mort et Sechs Tänze.

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Robbins à l’Opéra 2/3 : In the Night. Mes nuits sont meilleures que les vôtres

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In the Night. Saluts. Soirée du 26 octobre 2023.

Le programme Robbins au ballet de l’Opéra de Paris s’est achevé le vendredi 10 novembre. En Sol (1975), In the Night (1971) et Le Concert (1956), des ballets faisant partie du répertoire récurent de l’Opéra, avaient déjà été réunis en 2008 lors de l’hommage au chorégraphe pour les dix ans de sa disparition. Ils étaient alors associés à Triade, une pièce de l’étoile montante de l’époque, aujourd’hui déchue dans la grande boutique : Benjamin Millepied.

Vos serviteurs ont vu quatre soirées de ce programme. Ils ont décidé de consacrer un article par ballet.

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Cléopold. Soirées des 26 octobre et 1er novembre.

In The Night est également un élément du répertoire solide de l’Opéra de ces trente dernières années. L’entrée au répertoire de ce chef d’œuvre, en 1989, a d’ailleurs marqué le début d’une lune de miel entre la maison et le chorégraphe qui ne s’est achevée qu’à la mort de celui-ci.

Pendant longtemps, l’essentiel de la distribution de la première parisienne a repris ses rôles dans les trois pas de deux qui constituent le ballet.

Ce qui a sans doute attiré Robbins dans cette génération de danseurs, c’était sans doute la ductilité infinie de leur technique. Avec In The Night version Opéra de Paris, on voyait une danse plus abstraite que ce que pouvaient présenter d’autres compagnies.

Pourtant, le drame n’était pas absent, loin s’en faut de l’interprétation parisienne d’antan. Dans le premier pas de deux, Monique Loudières avec Jean-yves Lormeau ou Manuel Legris, silencieux et sans poids, découpaient comme au laser les positions de la subreptice confrontation des jeunes amants. Le porté au fouetté double attitude de la danseuse, le face à face « toréador » des deux tendrons (chacun souffre mais dans sa bulle) recentraient l’attention sur le drame suggéré par la musique de Chopin.

Il en était de même dans le deuxième pas de deux. Elisabeth Platel aux bras de Laurent Hilaire, parfaits d’élégance aristocratique (j’ai encore dans l’oreille le bruit sourd de la pointe posée en quatrième derrière) donnait à la section des doutes une dynamique presque violente. Les ports de bras d’après les pirouettes sur pointe de la danseuse étaient aussi claquants qu’un reproche cinglant. Le porté tête en bas, très haut porté, contrastait tout à coup avec les petits frappés sur le coup de pied qui ne s’arrêtaient pas lorsque la ballerine regagnait le sol dans une position plus naturelle. On avait assisté à une explosion longtemps contenue sous le vernis des bonnes manières. Cette explosion de passion, répondant à l’affolement pianistique, préparait le troisième pas de deux pour Isabelle Guérin aux bras de Wilfried Romoli (qui remplaçait Jean Guizerix qui avait créé le pas de deux à la toute fin de sa carrière) et son tourbillon d’entrées et de sorties intempestives et son festival de portés aériens.

Combien de fois ai-je vu cette distribution ? Deux fois peut-être… Elle a pourtant inscrit dans le marbre mon ressenti d’In the Night sans m’empêcher d’apprécier les qualités d’autres distributions. Par la suite, Laurent Hilaire est passé du deuxième au troisième pas de deux aux côtés de Guerin, Platel a dansé avec Kader Belarbi puis avec Nicolas Le Riche (avec moins de succès. Leriche était un partenaire plus efficace que subtil). Delphine Moussin m’a également ému dans le deuxième et le troisième pas de deux ; et Carole Arbo dans le deuxième, si élégante et vibrante à la fois…

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Programme de l’opéra des années 90. La distribution d’origine d’In the Night. Photographies Jacques Moati (Loudières-Lormeau / Platel-Hilaire) et Rodolphe Torette (Guerin-Guizerix).

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Pour cette reprise 2023, force m’est de reconnaître que rien ne restera inscrit dans mes tablettes de manière indélébile. L’abstraction musicale n’était pas toujours au rendez-vous mais surtout, la plupart des couples de mes deux soirées auront manqué cruellement de « drame ».

Dans le premier pas de deux, le soir du 26, on retrouve la forme voulue par Robbins. Sae Eun Park développe une appréciable immatérialité (elle qu’on trouve en général pesante dans les portés) aux côtés de l’excellent partenaire qu’est Paul Marque. Mais le fond n’y est pas. On admire le partenariat mais on ne voit pas nécessairement de connexion dans ce couple. Le 1er novembre, on apprécie le mal que se donne Sylvia Saint Martin pour arrondir ses angles. Sa danse est moins sèche que dernièrement. On aime chez Pablo Legasa la ligne princière, la délicatesse de la musicalité et la chaleur de l’interprétation. Mais sa partenaire, toute dédiée à la correction de la forme, n’y réagit pas tellement.

Le deuxième pas de deux est sans doute celui qui laisse le plus à désirer. Le 26, Ludmila Pagliero et Mathieu Ganio soulèvent quelques espoirs au début. « Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté », pense-t-on. Puis l’épisode des doutes est dansé exactement sur le même ton, avec les mêmes inflexions élégantes par les deux danseurs, vidant le pas de deux de toute sa tension. Le 1er novembre, c’est presque pire. Léonore Baulac et Germain Louvet récitent une leçon bien apprise. A aucun moment on n’imagine un couple qui a un vécu derrière lui et quelques nuages à dissiper. L’interprétation de la pianiste nous en semble encore plus plate que le premier soir, c’est tout dire…

Ceux qui s’en sortent le mieux lors de cette reprise, et auraient sans doute marqué davantage s’ils avaient été mieux entourés, sont les interprètes du troisième couple, d’emblée plus démonstratifs. Le 26 octobre, Amandine Albisson, merveilleuse femme blessée, et Audric Bezard, véhément contradicteur, se déchirent, se fuient et se retrouvent, relevant un ensemble sans cela fort terne. Lors de la matinée du 1er novembre, Hannah O’Neill est passionnée et musicale en face d’un Florent Melac dont la sensibilité émeut tandis qu’on apprécie ses qualités de partenaire.

Mais un pas de deux sur trois ne peut sauver un ballet. La section finale, où les trois couples se retrouvent sur scène, se jaugent pour revenir sur le passé ou envisager l’avenir, me laisse aussi froid qu’un amant au dernier stade du désamour.

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Le soir de ces deux représentations auxquelles ils ont assisté ensemble, Fenella et Cléopold pensaient qu’ils n’étaient pas exactement toujours sur la même longueur d’onde; particulièrement sur les dames. Mais finalement …

Fenella

October 26

Pas One. Paul Marque’s body and soul reached out to his partner even as he had his back turned. Sae-Eun Park seemed softer, much less semaphoric, than up until now. Good! Better! Now it’s time for her to learn Marque’s art of avid partner echolocation and let herself lean back into it all.

Pas Two started out with a promisingly elegant entrance. But Mathieu Ganio started to zone out and then – was this due to the dreadfully gummy piano playing? – Ludmila Pagliero became utterly earthbound. When those thundering chords (didn’t) come crashing down, the couple simply continued to dance next to each other. Due to someone’s sluggish timing, Robbins’s chiselled and playfully dramatic shifts and lifts lost their surprise factor and the whole thing seemed to go nowhere. I pretty much missed that spectacular one where he sweeps her up, literally upside down. That should be a “whoosh goddamn wow how can that happen!” moment. Instead, Pagliero was carefully and too slowly hauled up into what was a rather approximate position. And then she got loaded back down onto the ground. To say it was anticlimactic is putting it mildly.

Pas Three, I put my notebook away, sensing that if Amandine Albisson and Audric Bezard were going to do it, I’d start to gush. I will now gush again as to how the un-promoted Premier danseur Bezard continues to dance and partner more like a magnetic movie star than most of the other male “étoiles.” Here was the connection, here was the drama, here was the human element that I had been waiting for all evening so far. Whether Bezard was wrapping his hands around Albisson either to pull her tight or push her away, his partner was equally in the moment, equally responsive to her lover’s body language. Film is twenty-four frames per second and here this was happening on stage. The manner in which he pulled a fraction of a second back when she gently laid her hands on him spoke for them both.

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In the Night. Costume féminin pour le premier pas de deux. Antony Dowell.

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November 1

Pas One.

Pablo Legassa is yet another gentleman partner, stretching into the music and filling out each phrase as he hovers, with restrained and melodious desire, around his partner. This may sound weird, but I could almost hear Antonio Banderas’s rich and enveloping voice. But Sylvia Saint-Martin? She anticipated the music with a kind of spindly energy and her arms – her hands! – proved…crisp and kind of crinkly. Legassa concentrated so hard on this expressionless partner (she seemed to be saying “Please don’t take it personally, but I need look at the floor and not you because I want to look romantic”) that for me this misalliance became upsetting to watch.

Pas Two is about a couple who gently know each other all too well. Léonore Baulac and Germain Louvet certainly do, but that friendly studio feeling just doesn’t always, alas, necessarily carry out into the house either. As an onstage couple, this lack of “wow” has been the case before. They just don’t excite or inspire each other, even as they easily carry out all the steps and curves and lifts. Well, sort of. Louvet seemed to set Baulac off axis during almost all the turns. Well, at least the essential upside-down lift got timed right and was seen by the audience.

Pas Three. Here Hannah O’Neill seemed freed up and something happened between her and her both eager and bemused partner Florent Melac. “Ready, willing, and able,” he was up for anything that her nice but confused drama queen threw in his direction. Melac connects, he cares. Under the surface of all the wind-milling, O’Neill responded in kind. This was a real couple.

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James a sans doute été plus heureux dans ses distributions qui, pour imparfaites qu’elles soient, donnent à penser. Enfin pas trop. On vous le répète, James est un homme pressé …

James

Des trois couples qui peuplent In the night, j’avoue une tendresse pour le premier : c’est le moment de la rencontre des planètes (le mouvement du tout début me fait toujours penser à l’évolution des corps célestes) et de la naissance miraculeuse de l’amour vrai. Myriam Ould-Braham et Paul Marquet tiennent en équilibre sur le balancier : leur danse est fraîche et juvénile, mais dégage aussi une sereine assurance, celle d’avoir rencontré l’être aimé (25 octobre). À l’inverse, Bianca Scudamore penche clairement vers la certitude : voilà une fiancée altière, qui (pro)mène déjà son promis à sa guise (Guillaume Diop, comme éteint en trophée-suiveur de la donzelle, 10 novembre).
Le deuxième couple fait mon envie : son unisson serein, à la limite du barbant, est presque trop bien rendu par Valentine Colasante et Marc Moreau (25 octobre), alors qu’Héloïse Bourdon et Audric Bezard laissent davantage voir les arêtes : à tous égards, ils font montre de davantage de caractère (10 novembre)
Le troisième couple, celui des doutes, m’est le plus émouvant. Dorothée Gilbert et Hugo Marchand l’interprètent fortissimo : on dirait Kitri et Basilio al borde del ataque de nervios (25 octobre). Bleuenn Battistoni et Thomas Docquir jouent une partition bien plus subtile : on y voit l’amour poivré d’agacement, la lassitude teintée d’espérance, ça reste sur le fil ; pour couronner le tout, le partenariat est à la fois équilibré et fougueux, avec des portés-enroulés-envolés d’une grande fluidité.

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In The Night (1971). Costume féminin du deuxième pas de deux.

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A l’Opéra, programme Motin, Xin, Pite : l’esprit vagabonde…

img_4171-1Voilà sans doute l’un des derniers programme étiqueté « Aurélie ». L’ex-directrice, marchant dans les pas de Tamara Rojo à l’ENB, avait réuni un programme de chorégraphes exclusivement féminines. Sans se concerter, James et Cléopold se sont rendus à l’Opéra à un jour d’intervalle et ont chacun rendu leur copie. Résultat : l’ami James semble avoir joué toute la soirée au jeu des devinettes tandis que Cléopold est resté mornement analytique.

Cela n’est pas bon signe… 

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James‌James. Représentation du vendredi 29 septembre 2023

La nouvelle politique de placement de l’Opéra, consistant à faire entrer les strapontins au dernier instant (pratique justifiée de longue date pour le parterre, mais innovation inutile et mal venue en 3e loges) ne m’a pas laissé le temps de lire la feuille de distribution avant l’extinction des lumières. Ma tête de linotte aidant, je ne savais donc pas si la première pièce était de Marion Motin ou de Xie Xin. Voilà qui s’appelle aborder une pièce à l’aveuglette. The Last Call semble frappé au coin du cliché : dans une esthétique très années 80, « Le Vivant » (Alexandre Boccara) se contorsionne lorsqu’il reçoit une mauvaise nouvelle au téléphone (à l’époque, c’est bien connu, on s’emmêlait tout le temps dans les fils) et « La Mort » rode (comme chacun sait, elle apparaît dans une robe en skaï noir). Costumes, lumière, musique et gestuelle : tout dans cette œuvrette relève de l’esthétique du clip. On n’est pas sûr de courir à la prochaine création de Marion Motin.

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Marion Motin : The Last Call. Alexandre Boccara, Axel Ibot & Company

La deuxième pièce de la soirée, Horizon, intrigue davantage. Lors de leurs premières évolutions au sol, les personnages – trois filles, six garçons – donnent l’impression de flotter dans de l’ouate. Tout se passe comme s’il y avait dans l’air une densité qui à la fois ralentit leur mouvement et les soutient en équilibre (bien sûr, on sait que ce sont les abdos qui font le boulot, mais l’effet n’en est pas moins prenant) ; la chorégraphie, un peu répétitive, suscite néanmoins l’attention, notamment lors d’un pas de quatre masculin en partie centrale. À un moment, la perplexité m’étreint : mais pourquoi la pièce s’appelle-t-elle Horizon ? La vue est tout sauf dégagée. Les fumigènes – un décor à eux tous seuls – bouchent à chaque instant le regard. En fait, les interprètes sont eux-mêmes l’horizon, ce mirage visuel, lointain et impalpable. Je suis si content de mon interprétation que je néglige de vérifier dans le programme si elle rencontre les intentions de la chorégraphe.

Il y a quelque unité dans la soirée ; les mouvements à l’unisson de The Last Call font écho à la gestion des masses de The Season’s Canon, mais la chorégraphie de Marion Motin est grandiloquente quand celle de Crystal Pite est intense. Je ne suis fan ni de la recomposition de Vivaldi par Max Richter, ni des grands jeux de dominos sous ciel chromo de la pièce qui clôt le programme, mais la tension du corps collectif aimante l’œil, et Francesco Mura régale l’assistance de superbes double-tours en l’air.

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cléopold2Cléopold : représentation du jeudi 28 septembre 2023

Marion Motin : The Last Call. Ambiance quatrième dimension. Une cabine téléphonique. Un mec qui téléphone. La cabine s’illumine. Le type tombe au ralenti. Apparition à jardin du corps de ballet. La chorégraphe s’est vraisemblablement délectée des possibilités techniques et artistiques de la maison : fumigènes, lumières stroboscopiques et translucides, rampes de leds aveuglantes pour une ambiance fête foraine des années 80, entre le punching-ball et la piste d’autos tamponneuses. Les costumes irisés, parfois dégenrés, avec un petit côté vinyle, lorgnent vers la Fashion Week.

Chorégraphie à base de tressautements au-dessus des genoux et de grandes spirales du buste. Une scène affectée de fumage de cigarette. Un danseur roule des biscottos façon choré TikTok. Sinon le groupe ne varie jamais, reste massé, exécute les mêmes gestes. Les mains repliées, poignets cassés vers le sol : on fredonne dans sa tête « Walk like an Egyptian ». Fin grandiloquente avec chœur de requiem.

C’est long, trente minutes…

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Xie Xin : Horizon. Saluts

Xie Xin : Horizon. Une fille et un gars émergent des fumigènes (eh oui, encore…). Le garçon semble actionner la fille sans même la toucher, telle une marionnette à fil. Elle ondule, se soulève en pont. Puis d’autres corps émergent de la brume en un impressionnant perpetuum mobile. Une gestuelle captivante. Les portés semblent dénués de poids. Spirales des bras et volutes des corps qui se rencontrent. Grandes chaînes de danseurs qui créent des sortes de rubans voletants. Hélas, cette chorégraphie qui rend les corps aussi immatériels que les fumigènes ne propose aucun développement ni aucune issue. On finit par se dire qu’au fond la pièce aurait été tout aussi palpitante si on avait regardé les seuls nuages postiches lentement se dissiper tandis que la musique, à base piano et de corde, digne d’un générique de fin de film fantastique, continuait de s’égrener.

Ça se traîne, trente minutes…

Crystal Pite : The Season’s Canon. Autant les groupes de Xin sont sans poids autant ceux de Pite sont de la matière pétrie. La scène d’ouverture avec son magma de corps ondulants, ses bras de mantes religieuses et ses mouvements de tête mécaniques… Les duos Agonaux dans la veine kylianesque avec ses « portés-évitements »… Le nombre emporte avec ses vagues de danseurs magnifiés par de savants et efficaces canons chorégraphiques. La section mille-pattes fait toujours son petit effet.

Mais comme pour Xin, on se lasse de toutes ces prouesses formelles qui virent au maniérisme. Je n’ai toujours pas compris où allait toute cette masse grouillante. À l’image de la partition de Richter, la tension n’existe que lorsque des vraies sections des Saisons de Vivaldi sont utilisées.

Trente- cinq minutes. Le vide et l’ennui.

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Crystal Pite : The Season’s Canon. Saluts. Ludmila Pagliero, Jérémy-Loup Quer.

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Les Balletos d’Or de la saison 2022-2023

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Gravure extraite des « Petits mystères de l’Opéra » par Alberic Second. 1844

Ils sont chaud-bouillants d’un côté, pluvieux-venteux de l’autre, mais il ne s’agit pas des conditions météos du jour dans l’Hexagone. Ils sont cuits à l’extérieur et crus à l’intérieur, mais ce ne sont pas des canelés. Ils sont polis en apparence et piquants en vérité, mais ce ne sont pas des piments. Ce sont, ce sont… les Balletos d’Or de la saison 2022-2023. Ne vous bousculez pas, il y en aura pour tous les goûts.

Ministère de la Création franche

Prix Création/Collaboration : Wayne McGregor (chorégraphie), Thomas Adès (musique), Tacita Dean (décors et costumes), Lucy Carter, Simon Bennison (lumières) et Uzma Hameed (dramaturgie) pour The Dante Project (London/Paris)

Prix programmation : Kader Belarbi  pour l’ensemble de son œuvre au Ballet du Capitole de Toulouse.

Prix Relecture : Martin Chaix (Giselle, Opéra national du Rhin)

Prix Réécriture : Kader Belarbi et Antonio Najarro revoient les danses de caractère de Don Quichotte (Ballet du Capitole de Toulouse).

Prix du Chorégraphe Montant : Mehdi Kerkouche (Portrait)

Prix Logorrhée : Alan Lucien Øyen (Cri de cœur)

Prix Chi©hiant : Pit (Bobbi Jene Smith / Orb Schraiber)

Ministère de la Loge de Côté

Prix Maturité : Paul Marque (Siegfried)

Prix C’est Arrivé ! : Hannah O’Neill (la nomination)

Prix Mieux vaut tard que jamais : Marc Moreau (la nomination)

Prix Et moi c’est pour quand ? : la versatile Héloïse Bourdon (Mayerling, Lac des cygnes, Études, Ballet impérial)

Prix Jouvence : Sarah Lamb et Steven McRae (Cendrillon d’Ashton)

Ministère de la Place sans visibilité

Prix Humour : Pam Tanowitz (Dispatch Duet, Diamond Celebration à Covent Garden)

Prix Adorable : Amaury Barreras Lapinet (Sancho dans DQ de Kader Belarbi et Loin Tain de Kelemenis. Ballet du Capitole de Toulouse)

Prix Lianes animées : Marlen Fuerte et Sofia Caminiti (Libra de George Williamson. Ballet du Capitole de Toulouse)

Prix de l’Arbre Sec : Sae Eun Park et Silvia Saint-Martin (ex-aequo)

Ministère de la Ménagerie de scène

Prix Bête de scène : Martin Harriague (Starlight. Biarritz)

Prix Pour qui sonne le glas: Le trio de bergers/bovins du Proyecto Larrua. (Idi Begi /Biarritz)

Prix Chaton rencontre un lion : Antoine Kirscher et Enzo Saugar (Le Chant du Compagnon Errant. Programme Béjart. Ballet de l’Opéra de Paris)

Prix Roi des Animaux : Audric Bezard (Boléro, Béjart).

Prix Guépard : Mathias Heymann (première variation de Des Grieux dans L’Histoire de Manon)

Prix Chatounet : Guillaume Diop (interprète un peu vert sur l’ensemble de sa saison)

Prix Croquettes : les distributions masculines de l’Hommage à Patrick Dupond

Ministère de la Natalité galopante

Prix Enfance de l’Art : Myriam Ould-Braham et Mathieu Ganio, merveilles de juvénilité dans L’Histoire de Manon

Prix Déhanché : Charline Giezendanner (Do Do Do, Who Cares ?).

Prix Débridé : Camille de Bellefon et Chun-Wing Lam (S’Wonderful, Who Cares ?).

Prix Boudiou ces Marlous: le corps de ballet masculin du ballet national du Rhin (Giselle, chorégraphie de Martin Chaix)

Prix Je t’aime moi non plus : Ariel Mercuri et Elvina Ibraimova (Demetrius et Helena dans le Songe de Neumeier à Munich).

Ministère de la Collation d’Entracte

Prix Velouté : Amandine Albisson en Manon

Prix Consommé : Le jeu de Pablo Legasa dans Le Lac des cygnes (Rothbart/Siegfried)

Prix Bouillon tiède : Laura Hecquet incolore en Sissi (Mayerling)

Prix Mauvaise Soupe : Concerto pour deux (chorégraphie de Benoit Swan Pouffer, musique de Saint-Preux)

Prix Onctueux : Natalia de Froberville en Dulcinée-Kitri (Don Quichotte de Belarbi)

Prix Savoureux : Philippe Solano en Basilio (Don Quichotte de Belarbi)

Prix Spiritueux : Marc-Emmanuel Zanoli en Espada (Don Quichotte de Martinez).

Prix Régime sans sel: la plupart des danseuses dans la prostituée en travesti à l’acte 2 de Manon.

Ministère de la Couture et de l’Accessoire

Prix de la production intemporelle : Jurgen Rose (Le Songe d’une nuit d’été de Neumeier, Munich).

Prix Brandebourgs et postiches : la pléthore de personnages à costumes dans Mayerling.

Prix Un coup de vieux : les décors et costumes du Lac de Noureev

Prix Mal aux yeux : la nouvelle production pour la Cendrillon d’Ashton (Royal Ballet)

Ministère de la Retraite qui sonne

Prix Tu seras toujours Garance : Eve Grinsztajn (dernier rôle dans Kontakthof, mais on se souvient encore des Enfants du Paradis).

Prix Reviens, Alain ! : Adrien Couvez (les adieux).

Prix Saut dans le vide : François Alu depuis longtemps en roue libre

Prix Étoile filante : Jessica Fyfe, les adieux, dans Instars d’Erico Montes (Ballet du Capitole de Toulouse). Belle prochaine saison au Scottish Ballet !

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MacMillan’s Manon at the Paris Opera: Dammit.

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Histoire de Manon Lescaut. Aquarelle de Maggy Monier. Editeur Nilsson, La Bibliothèque précieuse. 1930’s

Dammit, the evening of July 5th started out splendidly. The first image — that spotlit sight of an utterly lone and still man in cape and tricorn — made my neighbour gasp in surprise.

As Lescaut, Francesco Mura is elastic and poised, reaches out, seems to have no dark side.

The beggars and their chief make their parody clear, but none of the beggar chiefs I saw had the panache of Hugo Vigliotti, on June 24th, who seems to have inherited Simon Valastro’s title of “best lion king of the second bananas.”

Ludmila Pagliero’s Manon enters curious about everything and everybody, reactive to all the new sensations around her.

In their first encounter, Marc Moreau’s Des Grieux has nice inflections that respond to Pagliero’s feminine grace. The mood was that of children’s games, where everything – including using the see-saw – is natural and uncomplicated. As if they were on a playground swing, the sweep and flow built up. Remember when you’d swing so hard you were nearly horizontal to the top… and only then would you jump off? That’s how their lifts and curls felt throughout the ballet, dangerously free. Pagliero’s abandon, and utter trust that she will be caught, was gorgeous. She just took off, certain she could fly on her own.

My neighbour let out a breath and said “intermission already?!”

But alas this same neighbour left after Act Two. “I’m sorry, I couldn’t stop worrying about work due tomorrow.” During Act Two, I too admit my mind had begun to wander.

At fault?  Silvia Saint-Martin as Lescaut’s mistress. In Act One already, she was like one of those underage girls who watch some video of Roland Petit’s femmes fatales over and over again, thinking sexuality and sensuality are the same, and then imitates a Carmencita from the outside. She never added another layer, a nuance. If it weren’t for her costume, you couldn’t have told that she was supposed to be more interesting than the corps de ballet.

She gave us an engineer’s outline, not a character. Mura therefore had nothing to work with during Act Two, so he underplayed and their interactions did not provide even one hint of comic relief. The only moment the audience laughed was when she kicked him, but we should have been chuckling from the start.

So there was a gaping big hole in Act Two.

Meanwhile, Pagliero continued to develop her character in what had become a theatrical vacuum. A bit distressed by her brother’s boozy breath. Sad and cold in her solo for Monsieur G.M., definitely not “loud and proud” about being a top-notch sex worker. She’s also frightened by Moreau/Des Grieux’s pushiness. “This necklace is all that I have.” “This bracelet is non-negotiable.”

She’d worked hard for her money.

After the black hole of Act Two, I just couldn’t get back into the mood. I sat there during the last act thinking, “wow, those flips are incredible.” Dammit.

*

 *                                     *

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Histoire de Manon Lescaut. Aquarelle de Maggy Monier. Editeur Nilsson, La Bibliothèque précieuse. 1930’s

Zut alors! La soirée du 5 juillet avait pourtant superbement commencé. La première image d’un homme en cape et tricorne inondé dans sa solitude par une douche de lumière avait fait haleter de surprise ma voisine.

En Lescaut, Mura est à la fois élastique et posé ; il projette. Il semble n’avoir pas de côté sombre.

Les mendiants et leur chef rendent claire leur parodie, mais aucun des chefs mendiants n’a eu autant de panache qu’Hugo Vigliotti, le 24 juin, qui semble avoir hérité du titre de plus Grand Roi Lion des seconds couteaux jadis détenu par Simon Valastro.

Ludmila Pagliero entre, curieuse de tout et de tous, réceptive à toutes les nouvelles sensations autour d’elle.

Durant la première rencontre, Marc Moreau a de jolies inflexions qui répondent aux grâces féminines de Pagliero. L’humeur était aux jeux d’enfants où tout, même jouer à la bascule, est naturel et sans complication. Comme s’ils étaient sur une balançoire, leur flux et reflux gagnait en intensité. Vous souvenez-vous, quand vous vous balanciez très fort, vous vous retrouviez parfois en l’air à l’horizontale, et à ce point seulement vous lâchiez prise ? C’est à cela que les portés et entrelacements des deux danseurs faisaient penser pendant tout le ballet ; dangereusement libres. L’abandon de Pagliero et sa certitude qu’elle sera rattrapée étaient magnifiques. Elle prenait son essor, certaine qu’elle pourrait voler par ses propres moyens.

Ma jeune voisine, le souffle coupé, laissa échapper : « C’est déjà l’entracte ? ».

Hélas, cette même voisine est partie après l’acte 2 : « Désolée, j’ai du travail pour demain et je n’arrête pas d’y penser ». Et je dois aussi avouer que pendant l’acte 2, j’avais commencé à perdre ma concentration.

La faute à qui ? Silvia Saint Martin en maîtresse de Lescaut. Déjà durant l’acte 1, elle est comme une jeunette qui a regardé en boucle quelques vidéos de femmes fatales de Roland Petit, confond sexualité et sensualité, et du coup, imite la Carmencita de manière extérieure. Jamais elle n’a ajouté une couche supplémentaire, une nuance. À l’acte 2, n’était son costume, vous n’auriez pu deviner que la danseuse était censée être plus intéressante que le reste du corps de ballet. Elle nous a délivré un plan détaillé, jamais un développement. Du coup, Mura, qui n’avait peut-être rien sur quoi s’appuyer, s’est mis en retrait et leurs interactions n’ont donc offert aucun répit comique. Le seul moment où le public a ri est quand Saint-Martin a renversé son partenaire cul par-dessus tête, mais nous aurions dû pouffer dès le début.

Il y avait donc un trou béant à l’acte deux.

Et pendant ce temps, Pagliero continuait à développer son personnage dans ce qui était devenu un grand vide : quelque peu affligée par l’haleine alcoolisée de son frère, triste et froide pendant son solo pour monsieur G.M ., absolument pas haute et fière d’être une travailleuse du sexe de haut-vol. Elle se montre également effrayée par l’outrecuidance de Moreau/Des Grieux : « ce collier est tout ce que j’ai ! », « le bracelet n’est pas négociable ! ». Elle a travaillé dur pour les obtenir…

Mais après le trou noir de l’acte 2, je n’ai pu me remettre dedans. Je me suis retrouvée assise là, pendant le dernier acte, en train de penser « ouah, ces grands doubles tours en l’air sont incroyables ».

Zut alors!

Libre traduction : Cléopold

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Manon à l’Opéra : polysémie

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La saison 2022-2023 à l’Opéra Garnier se referme comme elle s’est ouverte avec un grand ballet de Kenneth MacMillan. Le chorégraphe britannique décédé il y a trente ans aura donc bénéficié d’une saison hommage fortuite (Mayerling était initialement prévu pour la saison 2019-2020) tandis que Rudolf Noureev, lui aussi disparu il y a trois décennies n’aura vu que son Lac des cygnes, à la production usée jusqu’à la corde, et une exposition de costumes dans les espaces publics du théâtre pour toute forme de célébration.

Néanmoins, à la différence du début de saison, on ne va pas bouder son plaisir. « L’Histoire de Manon » est un authentique chef-d’œuvre quand « Mayerling » n’en est que la copie boursouflée. Dans le ballet de 1974, l’action, très révisée par rapport au roman de l’abbé Prévost, coule de source. Contrairement à Mayerling, qui semble prendre en compte toutes les personnalités de notes de bas de page de l’Histoire, le nombre des protagonistes est resserré afin de se concentrer sur le destin du couple improbable que forment Manon et Des Grieux.

Le retour de Manon était pour le moins attendu. Le ballet n’avait en effet pas été repris depuis 2015. C’est un des défauts de la gestion du répertoire à l’Opéra, de favoriser la variété des propositions au détriment de la récurrence du grand répertoire. Le public a peut-être l’embarras du choix mais les artistes n’ont pas nécessairement le temps de faire leur un rôle. C’est dommageable dans un ballet comme Manon où même le plus petit rôle offre des possibilités de jeux et d’interactions. Avec un hiatus de huit ans, de nombreux principaux ont pris leur retraite et les jeunes interprètes qui remplissaient les rangs du corps de ballet sont devenus des artistes mûrs et ont changé d’emploi.

Cela se voyait un tantinet lors de la première effective (la première publique initiale ayant été annulée pour cause de grève) le 21 juin. Le corps de ballet paraissait en effet plus réglé que spontané. C’était mieux le 27 sans pour autant encore avoir ce flot naturel qui s’était développé lorsque les reprises avaient été assez rapprochées (en 1998, 2001 et 2003).

Mais venons-en aux distributions des principaux.

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Le 21 juin, le Des Grieux de Mathieu Ganio était très à l’aise au premier acte dans un registre qu’il a fait sien : l’interprète « soupir ». La clarté de sa ligne évoque un jeune homme sincère et naïf emporté par un élan du cœur à la vue de Manon.

On pense à ce passage du roman ou des Grieux dit :

« […] je me trouvais enflammé jusqu’au transport. J’avais le défaut d’être excessivement timide et facile à déconcerter ; mais loin d’être arrêté alors par cette faiblesse, je m’avançai vers la maîtresse de mon cœur »

Sa rencontre avec Manon nous a semblé tout à fait fortuite. Elle ne prend corps que lorsque Des Grieux se cogne dos à dos avec la jeune fille. Et ce soir-là, la jeune fille, c’était Myriam Ould-Braham.

La ballerine, déjà cristalline dans sa première variation dépeint une héroïne véritablement innocente même lorsqu’elle semble comprendre qu’elle plaît à son vieux galant de voyage. Sa rebuffade quand les gestes de ce dernier deviennent trop explicites dénote même de la surprise teintée d’effarement. Cette approche pure va bien au Lescaut de Pablo Legasa. On le trouvait presque trop élégant au début pour le rôle (sa première variation immaculée, avec ses sautillés et grands ronds de jambe de la quatrième devant vers l’arabesque est un plaisir des yeux), mais par la suite la clarté de sa ligne et de sa danse rendaient ses tentatives de maquignonnages d’autant plus cyniques et abjectes. On imagine que les parents de Manon qui ont confié la jeune fille à son frère sont bien loin d’imaginer à quel point leur aîné a mal tourné depuis qu’il est parti du foyer. Tant pis si on a été moins conquis par sa scène de soulographie à l’acte 2, dont les chutes étaient un peu prévisibles, aux côtés de la capiteuse Roxane Stojanov.

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L’Histoire de Manon : Roxane Stojanov (la maîtresse de Lescaut), Pablo Legasa (Lescaut).

La Manon d’Ould-Braham semble ne pas exactement comprendre le jeu que joue son frère. Dans son premier pas de deux avec Des Grieux et ses portés aériens, on verrait presque un cygne blanc. Durant le pas de duo de la chambre, on reconnaît les qualités d’innocence et cette projection des lignes qui sortent tout droit du registre éthéré ; au point qu’on se demande si la ballerine saura négocier le tournant plus capiteux que doit prendre son rôle.

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L’Histoire de Manon : Katherine Higgins (Madame), Florimond Lorieux (Monsieur G.M.)

Un premier élément de réponse est donné lors du pas de trois qui suit entre Manon, son frère et Monsieur GM (Florimond Lorieux, à la fois séduisant et repoussant en aristocrate arrogant et fétichiste). Ould-Braham parvient à allumer le désir sans déployer de coquetterie (une option souvent présentée par d’autres danseuses). Ses réticences sont impalpables mais réelles. On se surprend à scruter sa respiration… Pour échapper au scabreux du moment, elle se concentre sur les joyaux qui eux, brillent de mille feux.

A l’acte 2 chez Madame, Myriam-Manon semble réciter une leçon, celle de la courtisane entraînée. Mais aussi bien dans sa variation que dans son pas aérien avec les gentilshommes, elle semble absente à elle-même. Cela lui donne un côté mystérieux et lointain qui peut attirer les mâles, mais surtout, il se dégage de ce passage une grande tristesse. L’innocence de l’héroïne a été piétinée mais elle est toujours là. Résiliente. Mathieu-Des Grieux reste le naïf adolescent inexpérimenté qu’il était à l’acte un. Il se révolte quand sa compagne patiemment se résigne et attend. Les deux héros ne sont pas encore sur le même registre émotionnel mais les deux danseurs continuent de danser avec un merveilleux unisson. Quand Des Grieux a fini d’exprimer son désespoir et que Manon le contemple à ses genoux, la pose des deux danseurs a la même qualité dynamique. Ould-Braham et Ganio sont des danseurs qui dansent même lorsqu’ils sont à l’arrêt.

Mathieu-Des Grieux semble atteindre la maturité dans la seconde scène de la chambre à la faveur du départ précipité et de l’assurance de l’attachement de Manon. Le danseur relève avec brio le défi de la célérité imposé par la chorégraphie. Myriam Ould-Braham quant à elle est redevenue vibrante avec, de surcroit, une pointe de sensualité. La dispute du bracelet y gagne en intensité. C’est la première querelle d’adulte de ce couple.

A l’acte 3, Myriam-Manon, courtisane déportée à la Nouvelle Orléans, entre brisée, sujette à des sortes de spasmes d’oiseau abattu en vol sur lesquels on n’avait pas tant focalisé avec d’autres danseuses. Il se dégage pourtant de l’interprète une impression de résistance dans la faiblesse même pendant la très crue scène du geôlier. Ganio- des Grieux, toujours sur la lancée de sa scène 2 de l’acte 2 insuffle de la détermination et même de la rage dans son hyper-lyrisme.

Ceci est particulièrement sensible dans la scène du Bayou. De son côté, Ould-Braham joue avec son épuisement physique d’interprète pour mener sa Manon vers la mort. Ses marches sont tremblantes et hébétées mais ses sauts dans les bras de Ganio ont un élan qui leur confère une qualité métaphorique : c’est l’agonie du corps qui rend possible la plénitude du cœur.

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L’Histoire de Manon : Myriam Ould-Braham (Manon, Mathieu Ganio (Des Grieux).

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Le 27 juin, l’alchimie est toute autre. Mathias Heymann est un Des Grieux qui se révèle adulte dès qu’il pose les yeux sur Manon :

« Je reconnus bientôt que j’étais moins enfant que je ne le croyais. Mon cœur s’ouvrit à mille sentiments de plaisir dont je n’avais jamais eu l’idée ; une douce chaleur se répandit dans toutes mes veines ; j’étais dans une espèce de transport, qui m’ôta pour quelques temps la liberté de la voix et qui ne s’exprimait que par mes yeux ».

Et de fait, pendant la première variation de Manon, on ne peut s’empêcher de contempler Mathias-Des Grieux, à jardin, dévorant des yeux Léonore Baulac, elle aussi par essence différente de la Manon d’Ould-Braham. Plus séductrice, elle a déjà développé un jeu avec son frère (Antoine Kirscher, dont la pointe de sècheresse va bien à ce personnage sans scrupules) pour déplumer la gente masculine.

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L’Histoire de Manon : Arthus Raveau (le geolier), Bleuen Battistoni (la maîtresse de Lescaut), Antoine Kirscher (Lescaut).

Dans sa première variation Heymann est à la fois puissant et sur le contrôle. Ses arabesques projetées parlent de sa détermination à séduire. Le pas de deux est du même acabit. On est d’emblée dans le domaine des passions. Le flot de danse est continu et emporte le spectateur dans une sorte de vague. En même temps, Des Grieux semble plus amoureux de Manon que Manon de Des Grieux. En un sens, Baulac est une Manon plus conforme à l’abbé Prévost que ne l’est Ould-Braham. Elle n’hésite pas à séduire GM (Cyril Chokroun, parfait en aristocrate habitué à être obéi) durant la scène de la chambre même si l’on sent chez elle une forme d’aversion prémonitoire ; seule la fourrure et la rivière de diamants la font se détendre.

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L’Histoire de Manon : Cyril Choktoun (monsieur G.M.), Katherine Higgins (Madame).

A l’acte 2, chez Madame, Léonore-Manon se montre directement séductrice dans sa variation et tout à fait à l’aise dans ses interactions avec les gentilshommes. Elle met surtout beaucoup d’énergie à éviter les regards incandescents de reproche de Des Grieux-Heymann qui pourtant cisèle ses arabesques « aspiration » dans ses variations.

Pendant cette première scène de l’acte 2, Kirsher-Lescaut accomplit une très drôle scène d’ébriété avec des pertes de repère très crédibles et des chutes bouffonnes. En revanche, Bleuen Battistoni, fascinante de beauté et de précision, reste trop élégante à mon goût pour jouer la maîtresse de Lescaut. Hohyun Kang, avec un plié de verre, ne nous convainc pas non plus en petite prostituée travestie. En revanche le trio des gentilshommes (Fabien Revillon, Antonio Conforti et Nicola Di Vico) est roboratif.

La seconde scène de la chambre est intense. Heymann s’affole dans sa première variation comme sous le coup de la panique. En termes de sentiments, sur cette Manon, c’est plutôt Des Grieux qui est aux commandes

A l’acte 3, Léonore Baulac est une Manon plus brisée physiquement et hébétée que finalement tombée amoureuse de son Des Grieux. L’attrait de ce qui brille a néanmoins disparu comme en témoigne la terrible scène avec le geôlier (Artus Raveau, violent et abject lorsqu’il agite le bracelet au-dessus de sa victime comme un hochet). Heymann-Des Grieux est fiévreux et intense dans le désespoir qui suit le meurtre du bourreau de Manon : ses très larges échappés quatrième, les bras écartelés en l’air lui donnent l’air de Marsyas avant le supplice.

La scène du Bayou, elle aussi est intense. C’est comme si Des Grieux devenait les yeux de cette Manon aveuglée qui meurt brutalement d’épuisement. Léonore Baulac, qui peut se montrer parfois exagérément sur le contrôle avec certains partenaires nous gratifie ici de ses plus jolis relâchés. Quand elle est en confiance avec un partenaire, elle sait se montrer à fleur de peau et, de ce fait absolument émouvante.

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L’Histoire de Manon : Léonore Baulac (Manon), Mathias Heymann (Des Grieux).

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Vus à une petite semaine de distance, nos deux couples montraient en creux la richesse et la polysémie de l’œuvre de Prévost.

Les deux personnages principaux du roman sont en effet un sujet infini d’étude. Voilà en effet un héros vertueux et naïf qui accomplit toutes des actions bien peu recommandables et une héroïne dont on doit déterminer si elle est-elle amorale ou immorale et si elle aime ou préfère juste son amant de cœur.

Nos deux couples étoilés ont à la fois offert des visions fortes de leur personnage tout en conservant ces points d’interrogation.

Un tour de force en somme.

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Fille incomprise : un argument pour Manon

Pauline Montessu dans Manon, 1830

Pauline Montessu dans Manon, 1830

À l’instar d’autres classiques français comme Les Noces de Figaro ou Les Liaisons dangereuses, cette histoire met en lumière les questions de genre et de classe durant l’Ancien régime.

Ouh ça semble rasoir ! Reformulons : ce ballet à propos de toutes sortes d’interactions sociales ou sexuelles sera dansé par des personnes incroyablement souples portant d’étourdissants costumes d’époque. Et ça, ça n’est jamais barbant.

Le roman de l’abbé Prevost, 1731, continue de laisser les lecteurs perplexes. Son héroïne de la lie aux nues et des nues à la lie est-elle immorale ou amorale ? Une vicieuse croqueuse de diamants prétendant l’innocence ou une innocente désemparée corrompue par les hommes et précipitée dans le vice ? À moins que la proactive Manon ne représente l’horizon très anti-Cendrillon des jeunes filles bien informées d’aujourd’hui?

S’il existe quelque chose comme la « nature féminine », les hommes – du politicien libidineux au zélote exalté – essayent encore de la déchiffrer.

Vous connaissez peut-être les plus célèbres adaptations de ce conte, les opéras de Jules Massenet (1885) et de Puccini (1894). Sir Kenneth MacMillan les connaissait assurément en 1974. Amoureux de cette histoire, sous la pression d’une échéance au Royal Ballet de Londres, il se sentait paralysé par ces deux somptueuses partitions. Comment éviter de faire mimer aux danseurs des arias bien connues ? La solution:  utiliser de la musique de Massenet, quantité de passages savoureux mais pas une note extraite de l’opéra !

ACTE UN (43 minutes)

Scène 1 : un relais de poste non loin de Paris

La première personne que nous découvrons sous une douche de lumière est le corrompu et vénal frère de Manon, Lescaut. Aussi à l’aise avec la racaille qu’avec l’aristocratie émoustillée, il essaye tout d’abord de placer sa maîtresse auprès du riche Monsieur G.M. avant de s’esclaffer quand ses amis mendiants soutirent la montre de cet imbécile prétentieux.

Au milieu de cette assemblée décadente débarque un timide et séduisant étudiant, tellement perdu dans la lecture de son livre qu’il est insensible à toute l’agitation qui l’entoure. Son nom est Des Grieux.

La diligence arrive finalement et Manon avec. Alors qu’elle est encore en train d’essayer de se débarrasser du vieillard qui avait tenté de la séduire durant le voyage, elle se retrouve confrontée à son frère qui essaye de la placer auprès du lubrique G.M. Il n’est pas étonnant que ses parents l’expédient au couvent, les hommes ne semblent pouvoir garder les mains dans leurs poches en sa présence. Est-ce de sa faute ?

Sur une musique très délicate, Manon essaye de s’accrocher à sa liberté, ou tout au moins à son libre arbitre dans le choix de l’un des hommes dégoûtants que son frère encourage dans leurs ardeurs. Pendant ce temps, la maîtresse de Lescaut découvre à foison ses bas. Elle ne verrait aucun inconvénient à postuler pour les miettes.

Mais voici que les yeux de Manon rencontrent ceux de Des Grieux, le seul et unique homme qu’elle désirera jamais. Après tous ces vieux grimaçants et trébuchants, voilà enfin un homme qui sait danser !

À la fin de cette scène, nous sommes gratifiés du premier des glorieux pas de deux que les amoureux de la danse associent à MacMillan : jusqu’à quel point les corps peuvent être portés aux limites du push-me-pull-you? Dans ce ballet, l’enjeu de chacun de ces duos sera de savoir jusqu’à quel point vous pouvez aller sans vous casser une cheville ou un poignet ou tomber la tête la première tout en transmettant une pure émotion. Et chacun de ces duos se terminera avec l’exquise façon qu’à MacMillan d’inventer d’infinies manières pour les amants de redescendre des hauteurs en balayant le sol – tellement délicieusement – avec leurs corps.
Le barbon revient pour constater que Manon s’est enfuie avec son porte-monnaie et sa voiture. Monsieur GM offre encore davantage d’argent à Lescaut pour qu’il retrouve et lui livre cette tentante et fringante créature.

Scène deux : dans l’humble mansarde de Des Grieux. [au moins ce n’est pas une ennuyeuse propriété campagnarde] Des Grieux essaye d’écrire une lettre à son paternel sur l’air du « c’est un ange, stp envoie-moi un peu plus d’argent ». Il est de bonne famille mais n’a pas encore la main sur son héritage.

Amoureuse mais néanmoins lassée de le regarder écrire, Manon entreprend de le distraire – c’est un euphémisme- (ici, consultez l’article de Cléopold sur ce pas de deux qu’il analyse seconde par seconde).

Lorsque Des Grieux s’extirpe finalement de cette étreinte pour aller poster sa lettre, Lescaut entre furtivement en compagnie de Monsieur G.M. qui tente Manon avec toutes sortes de promesses, de joyaux et même une cape doublée de fourrure. Rien auquel une jeune fille puisse décemment résister. Bon, d’accord, le mec à l’air d’avoir développé un bizarre fétichisme des pieds, mais toute ballerine qui se respecte a été vaccinée contre ce genre de cliché depuis une éternité.

Lescaut reste en arrière afin de juguler les légitimes angoisses d’un Des Grieux horrifié et d’essayer de lui faire entendre raison : « Laissons-là dépouiller ce richard ! Nous pourrions tous être riches ! »

ENTRACTE (20 minutes)

ACTE DEUX (46 minutes)

Scène un : Une soirée élégante chez une dame fort louche.

Nous l’avions déjà vue durant la première scène trainant aux côtés de Monsieur G.M. Mais ce n’était pas une dame… ou sa femme. « Madame » est ce qu’on appelle une maquerelle. Ces femmes avec des éventails durant la même scène n’étaient pas des dames mais ses « filles ».

Chez Madame, les épées doivent être laissées à l’entrée ; mais on peut être tenté par toutes sortes de métaphores.

Tirant à sa suite un Des Grieux boudeur et peu disposé à le suivre, arrive Lescaut bien éméché qui entraîne dans son jeu – cul par-dessus tête – son inconditionnellement optimiste maîtresse.

Manon entre sensationnellement parée. Elle est portée en l’air, à la Marilyn Monroe, par un groupe de clients énamourés devant Monsieur G.M., exsudant une fierté malsaine.

La vanité un peu stupide de Manon n’est tout d’abord pas le moins du monde érodée par les regards languissants de Des Grieux. Lorsqu’il parvient enfin à s’isoler avec elle, elle lui dit clairement que si elle l’aime lui, il n’en est pas de même de sa pauvreté.

Elle lui indique quoi faire : tondre G.M. en trichant aux cartes… Des Grieux est mimi, mais il sabote le travail. Les épées sont tirées des fourreaux. À la faveur de cette confusion, les amants s’échappent de nouveau.

Scène deux : de retour dans la mansarde.

Les amants, c’est devenu une habitude, dansent dans tous les recoins de la chambre.

Mais voilà que Manon se rend compte qu’elle a « oublié » de rendre ses bijoux…

Mauvaise idée. G.M. sait où se trouve le nid d’amour et fait irruption escorté par la police et trainant à sa suite un Lescaut menotté et sanguinolent. Il fait arrêter Manon pour vol et prostitution. Pour la première fois de sa vie, l’héroïne doit faire face à l’abjecte cruauté vengeresse à laquelle certains hommes sont particulièrement enclins.

ENTRACTE (20 minutes)

ACTE TROIS (25 minutes)

Scène un : arrivée à la Nouvelle Orléans

Une cargaison d’infortunées prostituées a été déportée à la Nouvelle Orléans. L’amour de Des Grieux ne connaît aucune limite. Il a réussi à embarquer sur le bateau en prétendant être le mari de Manon et paraît même curieusement content en dépit des circonstances.

Même brisée psychologiquement et le crâne tondu, Manon attire malgré elle une attention inhabituelle.

Scène deux : le bureau du geôlier

En voilà une particulièrement dégoûtante. Le geôlier lui donnera des privilèges si elle … Et il la force à le faire. Des Grieux assouvit le désir du public médusé en tuant ce prétentieux pervers.

Scène trois : perdus dans le bayou

En fuite et sans but, le couple s’obstine à s’aimer dans des directions opposées. Des Grieux espère encore, tandis qu’hantée par ses souvenirs, Manon, qui n’est pas faite pour ce genre de vie, meurt d’épuisement dans les bras de son amant désespéré. Elle a été complètement consumée par la force des attentes des autres hommes.

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Maurice Béjart at the Paris Opera : « Let Me Entertain You »

Maurice Béjart, Paris Opera Ballet. April 28th, 2023.

L’article en anglais est traduit en français plus bas …

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Maurice Béjart’s ballets have a Broadway soul: generous, florid,  and loud. So catchy, you feel you could almost hum a few bars of the steps.

Decades later, Béjart’s gimmicks still “have it” for an audience, even when it probably sees them coming from miles away. Just one example: spot-lit and center stage, you lunge towards the house/ right arm thrust directly forward/palm up/eyes focussed straight into the audience/ in order to either plead to or challenge the darkness. It showed up in each one of this night’s three ballets.

Firebird/L’Oiseau de feu …

”Do something special, anything that’s special!”

Everyone kept demonstrating the steps too heavily: now I plié to leap, now I plié to turn, now I…

Francesco Mura didn’t lead the narrative. If he hadn’t been in red, you wouldn’t have known he was the one inspiring the troops in this theoretically “revolutionary” ballet. For a while I wondered if he were holding back in order to unleash charismatic power later and thus pump up the drama.  Not.  While Mura’s soft and un-bombastic approach (despite rather tight-backed arabesques) did grow on me a bit, I couldn’t find the firebird.

In fact, it seemed that the trio of girl passionarias were in charge.  Caroline Robert, Aubane Philbert, and Pauline Verdusen, caught the light and commanded our attention at every twist and turn.

I could sense that those sitting around me had not the faintest idea as to who Gregory Dominiak’s Phoenix was supposed to be, either.

The audience wasn’t restless. Just clueless.

Songs of a Wayfarer/Le Chant du compagnon errant…

“I had a dream, a wonderful dream.”

Most in this role of “the young man who must look death in the face” dive right away into the realm of twenty minutes of anguish. Here we started with an almost weightless Antoine Kirscher and I wondered where he was going to go with this nice and naïve persona.

But then he, like the audience, got a shock when Enzo Saugar (who he? A yesss to whoever cast him) showed up and revealed the stage presence of someone born to be in the spotlight. Better yet, this kid knows how to share the stage. Here, dancing with his death, Kirscher has never seemed so alive. His partner shook him up, challenged him, made him dance bigger and better. Unexpected emotional crescendos happened. I, and I think Kirscher too, forgot about how pretty his feet are.

Bolero…

“I’m beginning to like doing this. I like that. I hope you did because I’m going to do it again. However – my mother’s advice, which I always take, is to make them beg for more, and then – don’t give it to them.”

Bolero, about 16-17 minutes of emphatically-demonstrated aerobic striptease, often just wears me down. By the time we reach the sweat-drenched climax, I’ve often got a melody from a different burlesque thrumming in my head: “You can pull all the stops out/ Till they call the cops out, […]/ Grind your behind till you’re dead…”

Here, Hugo Marchand proved he had nothing to prove. Calm, controlled, riveting, he patterned the downbeat, light and agile and untouchable. There was stillness to the way he moved. I sat there thinking: how fabulous that he’s pretending this ballet is not a gimmick.

Those little thrusting movements, which can seem quite vulgar, here illustrated Duncan’s theory about the solar plexus: an honest – almost innocent — grounding of the body.  My thoughts flashed to when Sondheim’s Gypsy Rose Lee — very, very slowly — removes a glove with finesse instead of baring it all.

The male corps responded to Marchand’s cool aplomb and worked it with ease. On cloud nine, the audience hummed as it wafted down the steps of the Opera Bastille in a bemused daze, begging for more.

In Béjart’s world, ”Either you have it, or you’ve had it.”

All quotes are from the 1959 Broadway musical Gypsy. Stephen Sondheim, lyrics.

*

 *                                         *

« Let Me Entertain You ».

Libre traduction Cléopold

Les ballets de Béjart ont toujours eu une âme Broadway : généreux, flamboyants, tapageurs. Tellement entraînants qu’on a l’impression qu’on pourrait en fredonner les pas.

Des décennies plus tard, les « trucs en plume » de Béjart sont toujours un hit pour le public, même lorsqu’on les sent venir à des kilomètres. -Un exemple ? Éclairé au projecteur, en plein centre de la scène, vous vous mettez en fente en direction de la salle, le bras et la paume droite tendus vers l’avant, les yeux plongés dans le public comme pour une supplication ou un défi à l’obscurité.- On retrouve ces ingrédients dans chacun des trois ballets de cette soirée.

L’Oiseau de feu

« Do something special, anything special ! »

Chacun avait tendance à détailler lourdement les pas : « et maintenant je plie pour sauter », « et maintenant je plie pour tourner », « et maintenant… »

Francesco Mura ne dominait pas la narration. S’il n’avait pas été en rouge, on n’aurait pu deviner qu’il était l’inspirateur de cette troupe dans ce ballet théoriquement « révolutionnaire ». Un moment, je me suis demandé s’il ne se retenait pas afin de déchainer son pouvoir charismatique plus tard dans l’optique de renforcer le drame. Mais non. Même si l’approche douce et non grandiloquente de Mura a fini par me toucher (en dépit d’une arabesque un peu raide), je n’ai jamais vu un oiseau de feu.

En fait, il m’a semblé que le trio féminin de passionarias avait pris les commandes. Caroline Robert, Aubane Philbert et Pauline Verdusen, prenaient la lumière et attiraient notre attention sur chaque tour et chaque torsion.

Je pouvais sentir aussi que tous ceux qui étaient assis autour de moi n’avaient pas la moindre idée de ce qu’était le Phénix de Gregory Dominiak.

Le public n’était pas impatienté mais vaguement médusé.

Le Chant du compagnon errant

« I had a dream, a wonderful dream »

Dans ce rôle du « jeune homme qui doit regarder la mort en face », la plupart des interprètes plongent d’emblée dans un monde de vingt minutes d’angoisse. Ici, tout a débuté avec un Antoine Kirscher presque sans poids et je me suis demandé où le danseur allait pouvoir aller avec cette douce et naïve personnalité.

Mais alors le danseur, de même que le public, a reçu un choc quand Enzo Saugar (qui ça ? Bravo en tous cas à la personne qui l’a distribué) est apparu, révélant une personnalité faite pour se retrouver sous le feu des projecteurs. Mieux encore, ce gamin sait déjà comment partager la scène. Ici, dansant avec sa propre mort, Kirscher n’a jamais autant semblé en vie. Son partenaire l’a bousculé, l’a poussé dans ses retranchements, le faisant danser plus grand et plus vrai. Sont arrivés d’inattendus crescendo émotionnels. J’en ai oublié, et sans doute Kirscher aussi, combien ses pieds sont jolis.

Bolero

« I’m beginning to like doing this. I like that. I hope you did because I’m going to do it again. However, my mother’s advice, which I always take, is to make them beg for more, and then – don’t give it to them”

Boléro, 16 à 17 minutes de striptease aérobic emphatiquement démontré, me lasse bien souvent. Alors qu’on atteint le climax inondé de sueur, j’ai souvent la mélodie d’un numéro burlesque qui me trotte dans la tête « You can pull all the stops out, /Till they call cops out, […]/ Grind your behing till you’re dead… »

Mais ici, Hugo Marchand a prouvé qu’il n’avait rien à prouver. Calme, sur le contrôle, passionnant, il façonnait le rythme, agile, léger et inatteignable. Il y avait une forme d’immuabilité dans son mouvement. Je restais là assise, pensant : c’est fabuleux, il fait comme si ce ballet n’était pas un truc en plumes.

Ces petites oscillations pelviennes, qui peuvent paraître assez vulgaires, illustraient ici la théorie Duncanienne du plexus solaire : un honnête, presque innocent, ancrage au sol du corps. Retournant soudain à la Gypsy de Stephen Sondheim, j’ai pu voir Gypsy Rose Lee, retirer très très lentement un gant au lieu de se mettre crument à poil.

Les hommes du corps de ballet se sont mis à l’unisson de l’aplomb contrôlé de Marchand et s’y sont aisément coulés. Au septième ciel, les spectateurs semblaient littéralement flotter tandis qu’ils descendaient les marches de l’Opéra Bastille, l’air hébété. Ils en redemandaient.

Dans le monde de Béjart « Either you have it, or you’ve had it ».

Toutes les citations viennent de la comédie musicale Gypsy (1959) avec les paroles de Stephen Sondheim.

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